La tornade punk s’abattait sur l’Angleterre. De
partout surgissaient des bandes de jeunes cons dépenaillés bien décidés à
chambouler le paysage musical local. Rattachés à cette horde braillarde, les
Stranglers. Qui très vite susciteront moultes interrogations.
Le punk, c’était la jeunesse. Les Stranglers avaient
trente ans de moyenne d’âge. Les punks, c’était l’approximation bordélique à
tous les niveaux. Les Stranglers
étaient de glaciaux calculateurs, tout sauf des improvisateurs. En gros,
les Stranglers faisaient peur à tout le monde. Fallait pas trop les chatouiller.
Le vétéran Jet Black (presque 40 ans), batteur fan de jazz et gérant d’un bar
dans le quartier « difficile » de Guilford, n’avait pas la réputation
de se laisser marcher sur les pieds par la clientèle avinée. Un peu le Parrain
de son block … Quand ça bastonnait (et avec les punks ça arrivait souvent), Jet
Black pouvait compter sur son bassiste pour l’aider à faire le ménage. Français
de naissance, biker proche des Hell’s Angels, ceinture plus que noire de
karaté, Jean-Jacques Burnel n’était pas vraiment un tendre. Pour compléter cet
étrange attelage rythmique, un type qui avait fait des études supérieures en
biochimie, le guitariste-chanteur Hugh Cornwell, et aux claviers (des claviers
dans un groupe punk ??), un gars qui ne jurait que par la musique
classique, Dave Greenfield.
Très tôt, le caractère particulier (et
particulièrement violent) des Guilford Stranglers (leur premier nom de scène),
fera traîner dans leur sillage une bande de dangereux cinglés, les Finchley
Boys. Et le groupe se révèlera maître de la provocation, de l’art de faire
partir toutes les situations auxquelles il est confronté en vrille. Ce qui leur
vaudra d’être le groupe de l’époque à détenir le record de refus de contrat par
les maisons de disques.
Greenfield, Black, Burnel, Cornwell : The Stranglers 1977 |
Et pourtant, les Stranglers étaient tous des
musiciens confirmés. Si par un raccourci journalistique fainéant, ils seront
catalogués punks, il suffit d’écouter leurs disques pour mesurer l’abîme sonore
qui les sépare des Clash, Pistols, Jam et consorts … « Rattus
Norvegicus » (le nom savant du rat d’égout, un animal qui deviendra
souvent le symbole de groupes punks) est leur premier disque. Enregistré en une
semaine (et une bonne part des titres du suivant « No more heroes »
sont également issus de ces séances), produit par l’alors quasi-inconnu Martin Rushent qui deviendra leur homme de
studio attitré (ainsi que des Buzzcocks, … et même du « Au cœur de la
nuit » de Téléphone). Affublé d’une pochette cryptique. Le titre n’y
apparaît pas et le « message » que veut susciter cette image a donné
lieu à une foule d’interprétations. Moi j’y vois une exposition de tout ce
qu’ils détestent. Le « IV » ledzeppelinien, la perspective à la
« Ummagumma » du Floyd, le maquillage outrancier de Burnel façon glam
… en gros, fuck les dinosaures heavy, les pompiers progeux et les efféminés
glam …
Musicalement, le gros malentendu du groupe à ses
débuts (les Doors du punk, prétendait-on) dure exactement vingt-huit secondes.
Celles de l’intro du premier titre,
« Sometimes », sur laquelle Greenfield fait sonner son orgue Vox
exactement comme celui de Manzarek. Ensuite, il faut beaucoup d’imagination
pour trouver que la non-voix de Cornwell a des similitudes avec celle de
Morrison, et tout le reste à l’avenant … Les Stranglers, d’entrée, sont
uniques, ne sonnent comme personne …
Stranglers live 1977 |
Ce qui ne veut pas dire pour autant que ce disque
est une merveille. Les quatre premiers titres ne sont pas ceux qui reviennent
souvent cités comme leurs meilleurs. Si le troisième (« London
Lady ») est passé à la postérité, c’est parce qu’il constitue une attaque frontale
et personnelle sur une journaliste qui avait descendu le groupe dans un de ses
papiers. La vengeance est un plat que les Stranglers feront toujours bouffer à
leurs « ennemis » et ce titre est le premier élément d’une longue
longue litanie de rapports plus que houleux qu’ils entretiendront longtemps
avec les médias …
En fait, les choses vraiment intéressantes ne
commençaient qu’à la fin de la première face de vinyle, avec « Hanging
around », sorte de reggae mutant sérieusement détourné, désossé et
cabossé. Un des hymnes classiques du groupe. A propos de classiques, on en a
avec les deux titres suivants. « Peaches », sa guitare en
contre-temps typique elle aussi du reggae, mais aussi son gimmick aux claviers
qui donne un aspect très garage sixties. « (Get a) grip (on
yourself) », c’est la pierre angulaire de « Rattus … », morceau noyé
par des claviers tournoyants mixés très en avant, mélodie désanchantée sur
rythme sautillant, texte assez lugubre sur leurs années de galère … Un titre
assez vilain, le bien nommé « Ugly » précède l’épilogue « Down
in the Sewer », titre épique de neuf minutes (on est loin du
« format » punk) en quatre « mouvements » (thanks God, on
est aussi très loin du prog), très « écrit », très technique, très
travaillé malgré une apparence bêtement répétitive …
Dans les sections bonus des rééditions (souvent
chiches chez les Stranglers, et pas souvent captivantes, celle de « Rattus
… » me paraissant être l’exception ), on a droit à un petit rock
sautillant au titre réminiscent des délires de Zappa (« Choosey
Susie »), un pub-rock’n’roll (« Go Buddy go ») empruntant autant
au « Hey Joe » d’Hendrix qu’au « Bony Maronie » de Larry
Williams, et un titre live (« Pesant … ») barré et
incantatoire qui sonne avec une paire d’années d’avance comme le PIL des
débuts.
Les fans des débuts vouent un culte à « Rattus
Norvegicus » et aux premières années du groupe, estimant que les choses
commencent vraiment à se gâter avec « La folie » (1981). Perso, je
pense à peu près le contraire, que c’est un groupe qui a fait des disques
hétérogènes, mais globalement en constante progression jusqu’à
« Feline ». C’est ensuite (là tout le monde est d’accord) que ça
s’effiloche gravement …
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