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MANO NEGRA - PUTA'S FEVER (1989)

 

MST (Musique Sans Territoire)

C’était un temps (les années 80) où, comme d’habitude la plupart de ceux qui sortaient des disques en France couraient après ce qui marchait ailleurs (chez les Grands Britons ou les Ricains). Sauf que par hasard, à force de courir, certains les avaient dépassés. Oh, pas dans tous les domaines, mais c’est en territoire mitterrandien qu’était sorti un genre inconnu ailleurs, qu’on baptisa rock alternatif. Piochant dans les tréfonds de la musique franchouillarde (les flonflons des bals musette, la chanson réaliste à texte), et passé à la sauce punk (ou bourrin, ça marche aussi).

Mano Negra 1989

Têtes de gondole du genre, les Bérurier Noir, qui faisaient ce qu’ils pouvaient pour masquer et refuser un succès populaire certain, allant jusqu’à la dissolution du groupe pour être sûrs de ne pas passer en boucle sur NRJ. Dans leur sillage, une foultitude de groupes affichant à peu près la même radicalité morale. Il y avait deux camps : les intégr(ist)es, refusant toute forme de « compromission » avec le « système », et puis ceux pour qui ce qui comptait c’était de s’éclater entre potes (ceux du groupe, ceux qui venaient les voir). Dans cette seconde catégorie, la Mano Negra.

La Mano venait de loin. De plein de groupes de « jeunesse » (Hot Pants, Carayos, Kingsnakes, …), où se sont rencontrés ceux qui allaient devenir l’ossature de la Mano Negra (les frères Chao, Santi). Le groupe n’a jamais eu de composition définie et rigide, selon les époques et les occasions (travail en studio ou prestations scéniques), mais a toujours compris au moins une demi-douzaine de personnes. Un groupe dont il n’est pas facile de dresser l’historique au niveau personnel, d’abord parce que tous avaient un (voire plusieurs pseudos), qu’il y avait beaucoup « d’invités » (dont certains de façon quasi permanente), et qu’au hasard de ses tournées dans les pays le plus improbables, des musiciens locaux se joignaient pour quelques dates (ou quelques mois) au groupe sur scène …

Leur premier album, « Patchanka » est paru chez Boucherie Productions, label de François Hadji-Lazaro (qui avait joué avec Manu Chao dans los Carayos, le monde du rock alternatif est petit …). Le morceau de latino punk endiablé « Mala vida » va devenir un hit, et les majors, sentant le potentiel commercial de la Mano, sa faculté à remplir des salles où le groupe donne des prestations explosives, se pointent avec leur chéquier. La Mano Negra va signer chez Virgin pour un nouvel album, qui sera ce « Puta’s fever » dont je m’en vas vous causer.


Parenthèse : je vais zapper tout le débat « traîtres – vendus » qui a secoué pendant des années voire plus les principaux tenants de « l’affaire », les arguments antagonistes et irréconciliables, les rancœurs étalées au grand jour par presse spécialisée ou pas interposée, les interventions par centaines de gens qui n’étaient en rien concernés mais qui prenaient position, et le plus souvent de façon pas très nuancée … Débats qui n’auraient certainement pas eu lieu si « Puta’s fever » avait fait un bide …

« Puta’s fever », il ressemble au groupe qui l’a fait. Protéiforme et bordélique, s’il fallait s’en tenir à deux mots. Il y a des effluves de rock, de rockabilly, de punk, de reggae, de chanson réaliste, de rap, de musiques latines, arabes, et j’en passe, le tout souvent mêlé dans le même titre. Idem pour les paroles, parfois politiques, parfois drolatiques, parfois nonsensiques … Paroles chantées en français, anglais, espagnol, arabe, voire entre charabia et yaourt … Et le tout défile à toute blinde (dix-huit titres en quarante minutes, les plus longs dépassent à peine les trois minutes).

S’il fallait ne citer qu’un disque similaire, celui qui s’approche le plus de « Puta’s fever », tant par « l’esprit » que par la multiplicité des genres abordés, c’est « Sandinista ! » du Clash (avec quatre faces vinyle de moins). Parallèle ni très osé ni très difficile à établir, le groupe de Jones et Strummer est le dénominateur commun d’à peu près tous ceux qui œuvrent dans la Mano …

Trente cinq ans après les faits, ce stroboscope sonore passe quand même moins bien que lors de sa sortie. Et malgré les tempos supersoniques, on trouve des redondances, de l’autocomplaisance, et on sent des passages « diplomatiques », pour faire plaisir ou mettre en avant tel ou tel de la bande. Il n’empêche que pour une rondelle aussi « typée » et datée, « Puta’s fever » tient plus que bien la route.

Pour une raison primordiale, les gens de la Mano sont vrais, ne trichent pas, ne renient rien (de leurs origines, de leurs goûts musicaux, …), ne se la racontent pas, vivent et enregistrent au jour le jour, sans plan de carrière. Pas de calcul, des tripes et la bonne humeur à faire partager.

Point musical commun de la plupart des titres, des tempos tachycardiques. D’entrée le morceau « Mano Negra », un machin speed indéfini suscite presque le doute (sur vinyle) de la bonne vitesse de rotation du disque. Et puis le Grand Huit musical se met en branle, on passe du rockabilly à gros riffs hardos au final (« Rock’n’roll band ») à un rap, « King Kong Five ». Gros succès en 45T, et fait assez rare pour un rap somme toute basique, le rythme est souligné par un bon vieil orgue Hammond (ou c’est bien imité). « Soledad », hormis son tempo hyper-rapide, pourrait passer pour le meilleur titre des Négresses Vertes, est soutenu par de gros riffs de cuivres et recrache au final la mélodie de « Je cherche après Titine » (très vieux morceau franchouillard, déjà « adapté » en yaourt avec sa chorégraphie surréaliste par Chaplin dans « Les Temps Modernes »). Suit un morceau chanté en arabe (« Sidi H Bibi »), mixant musique traditionnelle (?) nord-africaine et rock alternatif, avant un hommage sonore appuyé au Clash avec « The rebel spell » et « Peligro ». Changement de décor avec le plus gros succès du groupe, « Pas assez de toi ». Rythme apaisé mais festif, sur des paroles bien dépressives, limite suicidaires.

Manu Chao

« Pas assez de toi » est le sommet populaire du disque. La suite de la rondelle sera moins évidente. Rien d’ignoble, on reste en terrain connu, mais il y a des choses qui font redite (« Voodoo », « Magic dice », « The devil’s call »), on se laisse aller à la facilité (« Pachuco hop », matrice du punk musette qui engendrera tant de groupes dispensables), ou à la grosse blague un peu lourdingue (« Roger Cageot » le titre du guitariste Daniel Jamet, comme un crobar de Reiser mis en musique, ou « La rançon du succès » classic rock balourd qui bifurque non moins lourdement sur le « Chéri je t’aime » du très improbable Bob Azzam).

Au rythme où ça s’enchaîne, on peut pas parler de remplissage, mais quelques passages auraient mérité d’être élagués, et d’autres développés sans que ça ressemble à du prog …

Titre charnière du disque : « Guayaquil City », tempo beaucoup moins oppressant, rythme sud-américain, qui préfigure la carrière solo de Manu Chao. Parce qu’il faut bien en causer du garçon. N’allez surtout pas dire que la Mano c’est sa chose, ça lui aurait pas fait plaisir, d’autant plus que c’est pas vrai. Mais il en était la figure de proue (guitariste rythmique et principal chanteur), de très loin le plus gros contributeur en matière d’écriture. Le seul capable de faire parler de lui à la fin du groupe au début des années 90 en se lançant dans une carrière solo à l’écho mondial (par charité, on se contentera de citer sans commenter la reconversion du batteur Santi qui rejoindra le staff directionnel d’Universal Music et le jury de Popstars sur M6 …).

On ne compte plus tous les groupes et disques qui en cette fin des 80’s ont surfé sur cette vague patchwork, concrétisée par le succès de la Mano Negra et de « Puta’s fever ». Très rares ont été ceux qui sont parvenus à laisser des publications qui tiennent la route aujourd’hui, autrement que sous l’angle nostalgie … La Mano Negra, c’étaient les meilleurs et « Puta’s fever » reste d’assez loin leur sommet créatif …


MY BLOODY VALENTINE - LOVELESS (1991)

 

Shoegazing ...

Le shoegazing … le machin juste avant le grunge et la britpop. Ça ne vous rajeunit pas, hein ? Si ça peut vous rassurer, moi non plus … Le shoegazing, tout est contenu dans le terme. Des zozos qui jouaient en regardant leurs chaussures. Enfin, plus exactement, le rack (souvent démesuré) de pédales d’effets sur lesquelles ils s’escrimaient en triturant les cordes de leurs guitares.

Le shoegazing, c’est avant tout une approche auditive. C’est basé sur la guitare qui doit phagocyter l’espace sonore, et qu’on essaye de faire sonner différemment, étrangement, comme si c’était pas une guitare. Sur des bases pop inspirées par la léthargie mélodique du 3ème Velvet, des Jesus & Mary Chain, et des quiet/loud somnolents. Le tout enrobé par des couches d’innombrables parties de guitare pour un rendu tout à la fois cotonneux et strident. Avant tout une affaire de studio et de production.


Courant musical à la mode quelques temps fin 80’s – début 90’s en Angleterre. Première (et dernière star) du genre : Ride, avec l’assez intéressant « Nowhere » paru à l’automne 1990. Un an plus tard sortait « Nevermind » de Nirvana et dès lors la messe shoegaze semblait dite. Sauf que … depuis presque trois ans, une bande de forcenés multipliaient les séances de studio pour sortir le disque référence.

My Bloody Valentine (MBV pour les amis et pour le reste du post), c’était un quatuor : un batteur, une bassiste et un couple (à la ville comme à la scène) de guitaristes, Kevin Shields et Bilinda Butcher. Les deux composaient et chantaient. Et Kevin Shields, asocial monomaniaque produisait et recherchait obsessionnellement « le son », celui qui allait lui permettre de redistribuer toutes les cartes du pop-rock machin. MBV avait fait paraître quelques Ep’s et un album, « Isn’t anything » (que j’ai, et peut-être même écouté, mais si c’est le cas il m’a laissé aucun souvenir), et surtout convaincu Alan McGee, boss du label Creation de financer leur prochain chef-d’œuvre.

Creation (nommé à cause du groupe garage anglais garage des 60’s du même nom), était un gros label indé, qui avait fait paraître les premiers Jesus & Mary Chain et Primal Scream, et remplissait ses caisses avec les shoegazing dont il avait les principaux groupes (Ride et Slowdive). L’histoire est connue. La confiance de McGee envers MBV a failli ruiner le label à cause du coût astronomique des trois années passées en studio par Shields et consorts … Pour la petite histoire, c’est pas MBV qui a renfloué le navire (ils auraient pu en vendre des dizaines de millions de leur « Loveless », ça aurait pas suffi à équilibrer les comptes), mais quelques années plus tard, un groupe de frangins sourcilleux de Manchester, avec leur groupe Oasis …

Shields et Butcher devant, les autres derrière ...

« Loveless » est une expérience (et une expérimentation) sonore. Assez unique et remarquable. Assez vaine aussi. Je m’en vas vous expliquer tout ceci (attention, je m’attaque à un des jalons du rock, qu’on retrouve cité dans toutes les listes ou bouquins de skeuds absolument géniaux et rigoureusement indispensables) …

Au crédit de « Loveless », il y a plein de choses. Tout d’abord un son que personne n’avait jamais retranscrit sur disque. Un magma de guitares empilées sur des bases mélodiques simples (un riff, quelques accords) avec utilisation systématique de l’effet tremolo, certaines pistes mises en avant sur le mix, puis assourdies quelques mesures plus tard. La batterie est tout juste audible (en totale opposition avec ces rythmiques herculéennes à la Steve Lillywhite qui avaient dominé les 80’s), les voix sont monocordes, farcies d’effets et mixées très bas ce qui rend les paroles totalement incompréhensibles (d’ailleurs trois ou quatre titres sont instrumentaux sans que ça saute vraiment aux oreilles), la structure quiet/loud des couplets/refrains est inversée (loud pour les couplets, quiet pour les refrains). Les épithètes pour qualifier le son de MBV se sont multipliés avec parfois beaucoup d’imagination, on a souvent parlé à leur sujet de « guitares liquides » (suite à un article dans un mag anglais où le journaliste décrivait la musique de MBV comme écoutée immergé dans la baignoire quand le groupe joue dans la salle de bains). En tout cas une expérience sonore unique et originale, et une unité de sons et de tons constante tout du long du disque. Et en live, les MBV jouaient extrêmement fort, à la limite du supportable, tout en contraste avec le chant juste audible.

Il faut aussi reconnaître à MBV un talent certain pour faire émerger les mélodies de ce magma sonore, sans que rien ne soit pourtant fait pour les mettre en avant. On pense souvent aux Jesus & Mary Chain pour la construction des titres, c’est simple mais évident. L’agencement du disque est réussi, les titres les plus agressifs sont au début, et on tend vers l’apaisement (bruyant), voire la « normalité » (le dernier titre « Soon » propose des gimmicks quasi infantiles et une batterie pour une fois audible sur un groove quasi hip-hop) à mesure que défilent les pistes.

Au débit de « Loveless », on peut dire que dans le rayon guitares jouées de façon « originale », ils n’étaient pas une sorte d’OVNI unique en son genre. Qu’il me soit permis de préférer à leur magma sonique l’approche toute particulière de  l’instrument par Tom Verlaine et Richard Lloyd dans Television (le fabuleux et inégalé « Marquee Moon »), voire d’avoir une pensée pour ce bon vieux Neil Young qui lors de la parution de ce « Loveless » venait de mettre sur le marché deux ou trois disques studio remplis de saturation (dont l’extraordinaire « Ragged glory »), et de publier un live strident (« Weld ») dont certaines versions expended contenaient un Cd supplémentaire (« Arc ») d’une demi-heure comprenant uniquement du feedback de guitare. Plus radical tu meurs …


L’obstination de Shields de sortir un disque « sans concessions » rend quand même l’objet monolithique, et la plupart des titres interchangeables. Même si deux sont parus en singles, (« Only shallow » et « When you sleep », assez « évidents »), et qu’également « I only said » et « Soon » méritent la citation. Le buzz autour de « Loveless » sera phénoménal, mais comme tous les buzz durera peu.

Les MBV vont hésiter entre intégrité et intégrisme, et surtout se heurter au mur de la suite à « Loveless », que faire quand on a tout donné et mis toutes ses obsessions sur un même disque ? La suite était tellement peu évidente a priori, que fatalement de suite il n’y aura pas. Le groupe s’est séparé de fait vers le milieu des 90’s sans avoir publié autre chose, s’est reformé des lustres plus tard autour des inamovibles Shields et Butcher avec une nouvelle rythmique, et a fait paraître un disque (« mbv ») en 2013, au retentissement bien moindre (doux euphémisme) que « Loveless ».

Qui restera sa pièce maîtresse certes, mais pas au point qu’elle me suive dans la proverbiale île déserte …


HAPPY MONDAYS - PILLS N' THRILLS AND BELLYACHES (1990)

 

Factory & Hacienda ...

Allez, un petit coup de gymnastique neuronale. Toute fin des années 80. Manchester et Madchester, la Factory et l’Hacienda, ça y est vous y êtes ? Pour ceux qui opinent (d’huître) pour faire les malins et pour ceux qui ont un peu zappé – oublié – ignoré tout ce bazar, petit rappel des faits.

Tout commence à la débandade punk (1978) à Manchester. Un animateur de télé locale, Tony Wilson, achète un petit club, Factory, et avec un pote monte un label musical du même nom. Premier album sorti : « Unknown pleasures » de Joy Division. Groupe et album cultes, et d’autant plus que le chanteur du groupe Ian Curtis se suicide avant la parution du deuxième album, un peu moins culte mais intrinsèquement meilleur. Joy Division a permis au label de survivre, de créer grâce à une équipe réduite une imagerie forte (le graphiste Peter Saville) et un son reconnaissable entre mille (le producteur azimuté Martin Hannett).

Happy Mondays, famille nombreuse, famille heureuse ?

La gloire et le fric viendront avec les survivants de Joy Division rebaptisés New Order (leur maxi « Blue Monday » fut le maxi le plus vendu de tous les temps en Angleterre). C’est avec le pognon que lui rapporte New Order que Tony Wilson va investir dans un nouveau club, l’Hacienda (des membres de New Order sont aussi actionnaires). Lancé au début des années 80, l’Hacienda va devenir à partir du milieu des années 80 le repaire de toute la jeunesse branchée de Manchester. Tous ceux qui écoutent de la musique, voire envisagent d’en faire, tous ceux qui viennent danser et gober de l’ecstasy avec en fond sonore les débuts de la house et de la techno, se retrouvent à l’Hacienda, qui acquiert en quelques années une notoriété et une fréquentation internationales.

Parmi cette troupe en party non stop, les frangins Ryder (rien à voir avec le Mitch de Detroit), Paul le bassiste et Shaun, chanteur et compositeur. En plus de se défoncer copieusement, ils envisagent de monter un groupe, baptisé Happy Mondays. Un guitariste, un batteur et un claviers complètent l’affaire, et bien évidemment Tony Wilson les signe sur Factory. La formation va s’agrandir avec l’arrivée d’une choriste-chanteuse, Rowetta, et d’un cas social à peu près désespéré, un type surnommé Bez, plus ou moins percussionniste, mais surtout danseur étrange grâce aux pilules de toutes les couleurs qu’il gobe comme des smarties (les autres ne sont pas en reste).

Les Happy Mondays viennent du rock, sauf que l’environnement de l’Hacienda les a mis au contact de la dance music (qu’elle soit blanche ou noire), et de toute la vague electro naissante. Le matériau de base des Mondays, c’est les Stones mixés à du Chic accéléré. Une paire de disque les installeront dans le paysage mancunien et anglais, et « Pills … » les fera connaître un peu partout ailleurs.

Bez & Shaun Ryder

Tout le monde vous dira que New Order est la référence absolue du Manchester sound, et que le meilleur disque de rock sous substances de l’époque, c’est le « Screamadelica » de Primal Scream. Permettez votre honneur, que je vienne balayer d’un revers de main ces théories de musicologue professionnel. J’ai jamais été fan de New Order et de leur dance à assez grosses ficelles (dans le genre, je trouve les Pet Shop Boys beaucoup plus intéressants et amusants), et au « Screamadelica » de Primal Scream, j’ai toujours préféré les psychédéliques barrés de Spacemen 3. Et pour la référence de Madchester, j’ai tendance à regarder du côté des Stones Roses (les plus « rock » du lot) et des Happy Mondays (le mix le plus réussi de tous les sons « tendance » de l’époque).

Ce qui nous amène à « Pills … », le meilleur de la première époque (ils se sont séparés et reformés encore plus de fois que les Stray Cats ou Guns N’Roses). « Pills … » est leur masterpiece. Parce qu’il est homogène (y’a un son, une idée musicale directrice) et parce qu’il y a leurs hits. Et ce malgré une pochette comment dire … très bariolée (si, si y’a le nom du groupe et du disque écrits dessus, au milieu d’un kaléidoscope très psychédélique, daltoniens s’abstenir …).

« Kinky afro » ouvre le disque. Belle intro, voix légèrement maniérée, groove dansant sur une structure rock. Et de fortes similitudes avec la bombe pré-disco de Lady Marmalade « Voulez-vous coucher avec moi ce soir ? ». Les Mondays ont toujours nié s’être inspirés de ce titre (ils en citent un bien obscur de je sais plus qui), à chacun de se faire son idée. En tout cas gros succès et pas seulement de discothèque. L’autre incontournable de la rondelle c’est « Step on », d’essence nettement rock, titre bien construit, dansant (enfin pour ceux qui en ont envie) et qui pourrait figurer tout en haut dans un best-of d’INXS.


La famille nombreuse des Happy Mondays (sept sur scène), bien aidée par les producteurs Paul Oakenfold (qui deviendra un des DJ’s qui compteront dans les 90’s, et qui entame quasiment avec ce disque sa carrière médiatique) et Steve Osborne, va mettre en place la formule gagnante. De la mélodie (songwriting très surligné par des lignes de claviers de tout type), groove dansant et gros riffs de guitares pour le côté rock de l’affaire. Cette bande de défoncés ne fait pas dans le n’importe quoi (les disques sous substances ont bien souvent tendance à l’autocomplaisance), tout juste si on peut mettre de côté l’assez faiblard « Bob’s yer uncle » malgré son entêtant gimmick de synthé. Le reste est plutôt malin, envoyant plein de signaux plus ou moins subliminaux aux anciens de tout poil.

Dans « God’s cop », il y a plein de tics vocaux de Mick Jagger, le chanteur des Who (c’est juste pour voir ceux qui ont lu jusque là), « Loose fit » a par moments des airs de « Stayin’ alive » au ralenti, la guitare de « Dennis and Lois » fait penser à celle des Cure dans « In between days », la mélodie au début de « Harmony » rappelle la version de « I heard it through the grapevine » de Marvin Gaye, et l’atmosphère de « Harmony » évoque le 3ème Velvet (avec de la guitare slide en plus). Tout ça reste diffus (sinon les avocats concernés auraient dégainé les procédures), il y a réellement une patte Happy Mondays sur les compositions. C’est funky, dansant, indéniablement rock aussi, en prise directe avec les nouveaux courants musicaux et sonores, et assez étrangement, ça a plus que bien vieilli. A tel point que « Pills … » me semble même plus pertinent et évident aujourd’hui que lors de sa sortie.


PAVEMENT - CROOKED RAIN, CROOKED RAIN (1994)


 Lo-Fi ...

Pavement est censé avoir inventé ce qu’on appelle « lo-fi » (low fidelity par opposition à high fidelity, entendre par là qu’on cherche pas la perfection à quelque niveau que ce soit, on enregistre comme ça vient, voire on fait en sorte que ça sonne tout pourri). Bon évidemment, comme tout le monde, ils ont rien inventé, ils ont juste mixé et codifié des choses qui existaient déjà. Depuis le rock garage des 60’s, en passant par le Velvet, Patti Smith, Television, les punks, le Neil Young saturé, Sonic Youth, … En rajoutant l’évidence mélodique de REM et des Pixies … et en se faisant bien sûr publier par des labels le plus indépendants possible …

Pavement 1994

Les Pavement ont fait de l’approximation un art. Et c’est pas facile d’être systématiquement approximatif. Parce que figurez-vous, je les soupçonne (enfin, Stephen Malkmus surtout, guitariste, chanteur et compositeur quasi exclusif du groupe) de faire semblant. Prenez un truc composé avec les pieds un lendemain de cuite, enregistrez-le dans un état comateux ou avoisinant, vous obtiendrez au mieux une bouillasse infame et bruyante. Chez Pavement, au contraire, tout repose sur des chansons tout ce qu’il y a de bien écrites, que l’on s’efforce de démantibuler, de désosser, pour que ça ait l’air tout foireux. A preuve le sieur Malkmus (en solo, avec les Jicks, avec Pavement reformé, ou au sein de multiples collaborations) a montré depuis des décennies que c’est un super songwriter et un grand mélodiste, un des plus doués de ce que l’on appelle désormais du classic rock …

Pavement est au départ un vrai groupe de potes, même si une fois les premiers enregistrements parus, les frictions entre membres apparaîtront vite. Leur point de départ, « Slanted & enchanted » (lui-même précédé de quelques singles et Ep’s) sera parfait. Ses deux successeurs (chronologiquement ce « Crooked … » et « Wowee Zowee ») seront un cran en dessous, sans que l’on puisse parler de déclin.

Stephen Malkmus

« Crooked rain, crooked rain » paraît presque deux après « Slanted … ». Le temps pour le groupe de mettre sur la touche leur pote batteur, rendu ingérable avec ses problèmes d’alcoolisme démesuré. Avec « Crooked … », on reste en terrain connu. A peine si globalement, c’est un peu moins bordélique que le coup précédent. Le premier titre (« Silence kid », écrit avec un lettrage genre gosse de six ans sur le verso de la pochette « Silence kit », rien que ce détail je suppose que c’est fait exprès, genre « regardez comme on s’en branle, comme on s’en fout de ce qu’on fait ») est un peu le stéréotype du Pavement sound. Une espèce d’intro toute foireuse, comme si les types avaient tout juste fini de s’accorder approximativement et commençaient à jammer sur un rock mid tempo. Puis la voix de Malkmus arrive, on dirait que le bonhomme sort du lit avec une gueule de bois en chêne massif, il expédie une paire de couplets et de refrains, avant un final de titre tout hésitant. Conclusion surtout pas définitive, les types savent pas commencer et achever un morceau, et ça chante plutôt faux … sauf que si on dissèque un peu le titre, on s’aperçoit qu’il y a une jolie mélodie et un refrain qui peut se siffloter.

C’est à peu près toujours comme ça sur la durée du disque. Enfin, une fois sur deux, parce que dans une espèce de rigueur mathématique saugrenue, après un rock feignasse mid tempo, on a droit à une ballade déglinguée. Constante, la qualité d’écriture, l’ensemble dénote quand même un sens de la composition plutôt hors du commun, assez loin de l’image de slackers que les Pavement veulent de donner … de faux dilettantes, même si instrumentalement on a l’impression que chacun joue son truc sans s’occuper de ce que jouent les autres …


Pavement a quand même réussi à proposer trois singles issus de ce « Crooked … ». Aucun n’a marché, remarquez ça les aurait certainement bien emmerdés si « Cut your hair » (hommage à David Crosby ? hum, je crois pas …), « Gold soundz » ou « Range life » avaient fini en haut des charts, ils étaient pas prêts à gérer du succès, et là on peut supposer que c’était pas bluff … D’autant que ces trois titres sont parmi les plus bancals de la rondelle, le plus « accessible » de ce tiercé dissonant était le rock pépère de « Range life » où les gars ont rajouté leurs discussions sur la fin, comme si ça avait été enregistré live en studio, ce qui ne doit bien sûr pas être le cas …

Quand on n’a pas peur du ridicule on n’a peur de rien et les Pavement font une sorte de jazz psychédélique ( ? ) incongru sur l’instrumental « 5-4 = Unity », et concluent sur un titre à tiroirs (« Fillmore jive », encore un titre qui ne veut rien dire, et n’est en aucune façon une allusion au club de Bill Graham dans le Frisco psychédélique) où sont convoqués le Velvet des deux premiers disques sur l’intro, puis un rock lent et lourd avant de finir sur une sorte de rave up toute en brisure de rythmes …

Ne pas croire que les Pavement sont hors du temps et à côté de leurs pompes. Ils sont bien ancrés dans le début des années 90, ils reprennent du R.E.M. (« Camera ») en face B du single « Cut your hair » et étrangement, malgré leur amateurisme qu’ils prétendent forcené, réussissent à faire sonner un titre (« Unfair ») comme le Nirvana de « In Utero ».

Pavement des bricolos approximatifs ? Non, juste des imposteurs qui voudraient faire croire qu’ils savent pas composer, jouer ou chanter …


Des mêmes sur ce blog :

Slanted & Enchanted

FRANK BLACK - FRANK BLACK (1993)

 

Sur la lancée ...

Les Pixies furent (oui, je sais, ils se sont reformés depuis) à la fin des années 80 et au début des années 90 un groupe majeur. Et un groupe d’une influence colossale sur la scène rock des années 90, s’il ne fallait citer qu’un nom parmi ceux qui leur doivent beaucoup, allons-y pour Nirvana.

Dès le départ, on savait que les Pixies, c’était avant tout Charles Michael Kittridge Thompson IV, auto-rebaptisé Black Francis. Guitariste rythmique et compositeur quasi exclusif, gabarit de garçon boucher et voix principale assez souvent dans le registre hurlée suraiguë. Il aurait dû être de très loin le plus visible du groupe. Sauf que beaucoup de regards allaient se focaliser sur la bassiste Kim Deal, toxico hédoniste, et chœurs très présents. Qui a récupéré le qualificatif de fille la plus cool du monde. Assez rapidement, Fat Black en prit ombrage, la laissant de moins en moins intervenir vocalement sur les titres. D’où frictions et tensions entre les deux. Jusqu’à ce que début 93, Black Francis décrète tout seul la dissolution des Pixies. Les trois autres du groupe sont avertis soit par téléphone, et Kim Deal par fax (no comment …)


Exit les Pixies. Black Francis n’attend pas longtemps avant de donner des nouvelles discographiques. Il se rebaptise Frank Black et moins de deux mois après la fin officielle des Pixies, fait paraître son premier et éponyme album solo … Ou son second, ou le dernier des Pixies selon comment on envisage la chose. « Trompe le monde », le dernier Pixies c’était lui et les autres très loin derrière, un disque de Black Francis accompagné par un groupe. A bien des égards, « Frank Black » peut passer pour un disque des Pixies … avec de nouveaux membres, dont un qui est omniprésent et deviendra le compagnon attitré des jeux sonores de Frank Black pendant quelques années, Eric Drew Feldman. Lequel Feldman a commencé sa carrière avec le Captain Beefheart, puis Père Ubu, et fera plus tard partie au début des années 2000 des Residents, autrement dit pas les groupes les plus faciles musicalement à aborder.

Feldman est très présent sur ce « Frank Black ». Basse mais surtout claviers. Ce sont ses interventions qui changent la donne sonore du disque par rapport aux Pixies. Par contre, les compositions sont dans droite ligne de ce qu’on connaissait. A quelques petits changements près : finis les morceaux fourmillant d’idées et d’arrangements, les compositions sont beaucoup plus classiques, voire linéaires ; Frank Black a laissé tomber ses hurlements, il chante sur la mélodie ; et finis les chœurs additionnels. On reste quand même en terrain connu.


Et il faut bien reconnaître que les trois premiers titres de ce « Frank Black » font la farce. Tellement bons qu’ils font oublier tout le reste (voir paragraphe précédent et ce qui suit sur le disque). « Los Angeles » ouvre les hostilités. Intro acoustique, mélodie électrochoquée par la batterie, arrivée de guitares très énervées (le genre de choses qu’on devrait apprendre dans les écoles de rock, si elles existaient), une chanson haut de gamme, qui se calme peu à peu avant un final qu’on pourrait se hasarder à qualifier de planant, d’atmosphérique. Du grand art, rendre simples des choses compliquées. En parlant de choses simples, suit « I heard Ramona sing », hommage respectueux aux Ramones, dont on a souvent tendance à oublier que derrière le jemenfoutime bruyant, se cachaient des chansons bien écrites, mélodiques (enfin, au début, avant que les faux frangins virent hardos bas de gamme). L’hommage de Frank Black est un mid tempo hyper mélodique, enrobé des claviers tournoyants de Feldman. Rien à dire, parfait.

Et puis se pointe « Hang on to your ego ». Pas signé Frank Black, mais Wilson-Asher, Brian et Tony de leurs prénoms, autrement dit le duo responsable de la quasi-totalité de « Pet sounds », œuvre majeure des Beach Boys, et de la pop des années 60 et suivantes. Cherchez pas sur votre 33 T vintage de « Pet sounds », elle y est pas « Hang on to your ego ». Mais il y en a une qui lui ressemble plus qu’étrangement, en fait y’a que les paroles qui changent, elle s’appelle « I know there’s an answer ». « Hang … » était la version originale, censée vanter les vertus du voyage sous LSD. Sous la pression (de la Columbia, de cousin réac Mike Love, …) elle sera rebaptisée « I know … » et figurera sur « Pet sounds ». Au final, aucun des deux titres siamois ne traite de LSD. La version de « Hang … » par Frank Black est mirifique, et surpasse les versions originales des Boys, ce qui n’est pas à la portée du premier corniaud venu … Et cette reprise assez inattendue (peu d’atomes crochus entre Pixies et Beach Boys) figure au moins dans le tiercé majeur des titres de la galaxie Frank Black – Pixies.


Avec les dix minutes de cette triplette introductive, ce disque place la barre à des hauteurs stratosphériques. La suite est très nettement en dessous. La douzaine de titres qui suit semble dominée par une sorte de power pop, où comment l’écriture novatrice et originale de Frank Black marche maintenant sur les traces de Cheap Trick (qui était un bon groupe avec de bons titres, mais là n’est pas le problème, c’était quinze ans avant ce disque …).

Le cœur de ce « Frank Black » ronronne doucement, basé sur des midtempo interchangeables. Quelques titres restent à sauver, comme « Fu Manchu », « « Parry the wind high, low » avec ses airs de « Paint it, black » sur les couplets, et surtout l’instrumental surf « Tossed ». Globalement, le final du disque est correct, avec « Parry … », « Adda Lee » et son intro ska, la ballade glam « Every time I go around here » et la power pop musclée de « Don’t ya rile ‘em ». Et même si la durée totale n’est pas déraisonnable (trois quart d’heure ), Frank Black aurait été bien inspiré de laisser de côté quelques titres, ça aurait rendu la rondelle meilleure et plus homogène …

Malgré son tiercé de titres majeurs, ce « Frank Black » sera loin d’avoir le succès des disques des Pixies (qui n’on jamais été de très gros vendeurs, c’est dire qu’ici ça va pas faire très lourd). Les suivants de Franck Black ne feront pas mieux, leur qualité ira déclinant. A tel point que dix ans après ce disque, Fat Frank reformera (ça à dû lui coûter au niveau amour-propre) les Pixies, tout d’abord pour l’alimentaire (et pour des disques oubliables dans la foulée) dans leur formation originale, c’est-à-dire avec Kim Deal. Qui ne tardera pas à se casser, et l’histoire ne dit pas si elle en a averti Frank Black par fax.

Et pour que le calice soit bu jusqu’à la lie, quelques mois après la parution de ce « Frank Black », Kim Deal réactivera son groupe récréatif-exutoire les Breeders, et sortira un honnête « Last splash » qui sera lui un carton mondial grâce au gros hit « Cannonball » …


MINISTRY - THE LAND OF RAPE AND HONEY (1988)

 

Métal urbain …

J’ai une tendresse toute particulière pour Ministry … parce que je suis bien cinglé ? ouais, certainement …

Situons le machin. Ministry est un faux vrai groupe. Le leader, c’est Al Jourgensen. Un type dont le CV et le way of life sont plutôt croquignolets. En gros, du punk et du métal dans leurs versions les plus radicales, et une addiction à l’héroïne à faire passer tous les déglingos du music business pour des amish … Keith Richards et Lemmy Motörhead, et tous leurs disciples, c’est petit bras à côté … Evidemment, ça peut donner lieu à quelques, comment dire, errements, tant musicaux que mentaux …

Ministry

Al Jourgensen a créé Ministry au début des 80’s. Avec les moyens du bord, c’est-à-dire pas grand-chose. Lui et quelques synthés d’occase. Dans ses débuts (pas écoutés), Ministry se situait dans la mouvance sonore de la pop synthétique anglaise. Petit à petit, des types viendront rejoindre Jourgensen (quelques fois des passages éclair), Ministry ressemblera au moins sur scène à un groupe de rock « classique », et parallèlement le son évoluera. La radicalité à tous les niveaux va s’imposer, et de ritournelles au synthé, on va passer à des choses beaucoup plus excessives, dans une surenchère sonore et comportementale apparemment sans limite. En une demi-décennie, Ministry va devenir la figure de proue (et plus ou moins l’inventeur) de ce que l’on appelle communément le métal industriel. Tout en végétant sur de micro-labels indépendants, et en voyant Jourgensen s’impliquer dans d’autres projets (Revolting Cocks) à peu près similaires et tout autant radicaux. Musique et prestations scéniques apocalyptiques généreront le buzz, les gros labels et les majors pointeront leur nez. Généralement, quand les gros cigares se pointent, la folie s’estompe. Chez Ministry, c’est le contraire. Plus il y a de fric, plus il y a de la coke et de l’héro, et plus il y a de boucan. Radicalisation totale …

« The land of rape and honey » (en voilà un titre qui claque, mais ne me demandez pas le pourquoi du comment, j’en sais rien) est le disque qui a fait passer Jourgensen et Ministry à l’étage supérieur, question notoriété. Il y a le nez creux de Seymour Stein le patron de Sire (filiale de la Warner, ça aide à diffuser de la rondelle argentée) qui vient de les signer, Sire est un label capable de dénicher les grosses ventes de demain (Pretenders, Cure, Madonna, Alanis Morissette, …) tout en gardant une certaine crédibilité artistique.

Al Jourgensen

Bon, classiquement comme tous les toxicos forcenés, Jourgensen a claqué la thune avancée pour le studio en substances chimiques diverses, et il a fallu faire du remplissage. Une paire de titres sont vite expédiés (« I prefer », « Flashback », tempo punk bourrin pour le premier, bouillasse sursaturée pour le second). Les trois premiers (et les trois meilleurs, on y reviendra) proviennent de singles et d’Eps déjà parus. Un fonds de tiroir est rajouté, c’est le dernier titre « Abortive », résultat de sessions antérieures londoniennes, produit sous pseudo par le célèbre remixeur Adrian Sherwood, et très différent du reste de la rondelle (basses slappées funky, sonorités très synthpop, et dialogues samplés de films qui remplacent le chant).

Tiens, j’ai cité le mot chant. J’aurais pas dû. Parce que ce qui tient lieu de ramage à Jourgensen ferait passer le chanteur de Rammstein pour Roberto Alagna. Et qui plus est, le raclement de gosier qui lui tient lieu de voix, est passé soit par un mégaphone, soit par tellement de consoles d’effets qu’on distingue pas un traître mot de ce qu’il gueule … ce qui est peut-être dommage (Jourgensen a passé huit ans à baver en interview sur W. Bush, c’est donc a priori un type intéressant) … ou pas (l’héro, l’alcool à doses monumentales, ça donne pas toujours des propos sensés…).

Pour ce disque, Ministry c’est Jourgensen et Paul Barker (on a longtemps pensé que Ministry était un duo, jusqu’à ce que Barker finisse par mettre les voiles après des années de bons et loyaux services), qui composent et produisent, sous les pseudos de Hypo Luxa (Jourgensen) et Hermes Pan (!) (Barker). Deux musiciens additionnels complètent l’attelage de base.

Ministry live

L’essentiel des titres, ou du moins les plus intéressants, balance un punk rock porté par des programmations tachycardiques, des riffs de guitare dévastateurs, et le râle scandé de Jourgensen. Il y a des trucs terrifiants d’efficacité, le single (afin, façon de parler, le titre a pas fini en haut des charts) « Stigmata » qui ouvre le disque, et les extraits de l’EP « Deity » (le morceau du même nom et « The missing »). « Deity » c’est aussi efficace que du Motörhead de la bonne époque, et « The missing », on dirait bien que la mélodie (si, si, y’en a une) est repiquée sur le jeu d’arcade « Space Invaders » (les grabataires sauront de quoi je parle, ceux qui connaissent le 1er Pretenders aussi).

En gros, la première partie du disque repose sur les titres les plus frénétiques, ensuite ça se calme un peu, il y a même quelques mid-tempo, certes énergiques. « Destruction » on dirait de la synthpop jouée par des zombies, « Golden Dawn », lourd, menaçant et atmosphérique (?), parle certainement de la secte du même nom. « Hizbollah » (je préfère pas savoir de quoi ça cause en détail, ce que Jourgensen a à raconter sur les islamistes libanais), c’est le « Kashmir » de Ministry avec son ambiance forcément arabisante. Le morceau-titre est lui un truc très martial, et me semble une référence musicale évidente aux assez équivoques belges de Front 242, influence revendiquée de Ministry (Jourgensen bossera pour un projet parallèle avec l’un des membres du groupe).

Musicalement, outre Front 242, on pense à Métal Urbain ou aux Bérurier Noir (la boîte à rythmes frénétique), ou au hard-rock le plus extrémiste (les riffs monstrueux, la voix glapie). Avec « The land of rape and honey », Ministry se met en route pour la reconnaissance « grand public », un des fers de lance américain de la scène indé américaine (participation au festival Lollapalooza). Leur chef-d’œuvre reste à venir (« Psalm 69 » en 92), et leur « enfants » les plus évidents seront Nine Inch Nails, Marilyn Manson, tout le métal indus …

Pas mal pour un défoncé sans aucun plan de carrière …


GRAVENHURST - FIRES IN DISTANT BUILDINGS (2005)


 Never say never ...

Warp … c’est le label de Gravenhurst … Vous connaissez pas les trucs du label Warp ? Vous avez bien raison … Originellement dédié à de la musique électronique expérimentale (ça fout les jetons, n’est-il pas…), révéré par quelques malentendants adorateurs de Broadcast (Portishead du pauvre), Boards of Canada (Pink Floyd des sourds), Aphex Twin (Boulez pour trisomiques), j’en passe et des pas meilleurs, le label s’est comme tous, ouvert à l’économie de marché, comme disent les ultra-libéraux qui veulent se faire passer pour progressistes … Et donc a signé des gens susceptibles de vendre (un peu) de disque, pour faire bouillir la marmite.

Au mitan des années 2000, Warp signe le dénommé Nick Talbot (originaire de Bristol, c’est pas non plus rendez-vous en terre inconnue quand on donne dans la musique électronique), folkeux minimaliste et dépressif se cachant sous le nom de Gravenhurst … Le gars fait ses disques tout seul, et se fait accompagner par quelques comparses en live, le tout pour une célébrité qui ne lui a, on s’en doute, jamais valu la une des JT …

Nick Talbot

Tout ça pour dire, que ce « Fires in distant buildings », jeté sans la moindre once de conviction dans la gueule du lecteur de Cd, j’en attendais rien … tu parles, un folkeux lo-fi sur le label roi des joueurs de disquette …

Mea culpa, errare humanum est, and so on … Parce que sur ce « Fires in distant buildings », ben, y’a rien à jeter (ouais, bon, la pochette si on veut). Le titre de la rondelle, on le dirait trouvé par David Byrne et Brian Eno (« More songs about buildings and food » des Talking Heads). Ça tombe bien, le Brian est une des références de Talbot, et ça s’entend … enfin le Eno des disques des mid seventies, pas celui ambient ou des musiques d’ascenseur. Mais plus encore que le dégarni bidouilleur de sons et de mélodies, moi Gravenhurst, ça m’évoque Nick Drake. Du timbre voilé à la pureté mélodique des compositions, le triste barde folk à la musique féérique est présent tout le long des titres. Mais chez Talbot, les chansons ne sont pas uniquement à base d’arpèges acoustiques ou d’arrangement de cordes. Gravenhurst, on dirait souvent Nick Drake accompagné par les Yardbirds époque Beck-Page.

Parce que de temps en temps (et pas tout le temps, sinon la formule serait vite éventée), le Talbot balance de grands riffs sursaturés tous potards sur onze, et va même sur une reprise hallucinée (on y reviendra) de « See my friends » jusqu’à partir dans un rave-up acide que ne renieraient pas les fans de Quicksilver Messenger Service … Les titres de Gravenhurst prennent leur temps (huit pour plus de cinquante minutes) sans qu’une seule fois on pense remplissage ou délayage. Sur le coup, le Talbot n’a pas tout enregistré et produit tout seul, il s’est adjoint les services d’un vrai batteur (et il le fallait, une boîte à rythmes ou un séquenceur, ça l’aurait pas fait du tout sur l’intro de « Song from under the arches », cette batterie lointaine et qui semble à la dérive, avant de prendre en main le morceau, faudrait apprendre ça dans les écoles de musique). Talbot pour le reste se débrouille plutôt bien, sur tout ce qui a des touches blanches et noires (pas trop de synthés, de vrais orgues ou pianos, ou alors c’est plus que bien imité) et même à la guitare (le guitar hero chez Warp, c’est lui, et me dites pas que c’est pas difficile, que c’est le seul à en jouer sur le label …).


« Fires … », faut juste passer les trente premières secondes du disque qui donnent pas envie d’aller plus loin. Sur ce titre (« Down river », référence au millième degré à Neil Young ?), après une intro donc désolante, s’immisce une mélodie jazzy sophistiquée qui rappelle Steely Dan, avant que le final, entamé avec de gros riffs qui font planer l’ombre royale cramoisie de Robert Fripp (ou de ses quelconques imitateurs contemporains genre Black Midi).

« The velvet cell » suit, et là, avec la voix nonchalante et la mélodie power pop, on se croirait sur le premier Strokes. Une merveille de truc sautillant de trois minutes. Et alors qu’on croit que tout est dit, un break, et Talbot sur un final instrumental sur un tempo totalement différent. Bien joué … C’est ce final qui servira de base quelques titres plus loin à la bien nommée et très rock « The velvet cell reprise ». Entre temps, changement de décor sonore, le folk très Nick Drake de « Animals » et la lenteur dépouillée de « Nicole » (esprit de Leonard Cohen, sors de ce corps …) sont là pour démontrer qu’on peut encore faire du neuf et du beau avec des formules pourtant déjà ressassées à l’infini …

« Cities beneath the sea » est construit sur une base folk crépusculaire, et amène une autre preuve de l’aisance mélodique du sieur Talbot, avant qu’il fasse décoller ce titre par une partie d’orgue et une redescente rythmique où s’entrecroisent synthés discrets et arpèges de guitare (ou le contraire). Tout ça conduit à la pièce montée du disque (plus de dix minutes), « Song from under the arches ». J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de son intro avec cette espèce de batterie flottante, mais on n’est jamais au bout de ses surprises avec ce titre, où l’on trouvera des passages avec guitares lentes et lourdes (genre Black Sabbath), une partie très apaisée avant un final tout en riffs dévastateurs digne du meilleur de King Crimson. Par sa construction, ce titre n’est ni plus ni moins que du prog, mais du prog comme n’en ont même pas envisagé en rêve les Genesis ou Yes de sinistre mémoire …


Last but not least, la reprise de « See my friends » des Kinks (précision à l’usage des auditeurs habituels des productions Warp). Le titre est ici quasiment méconnaissable (ne subsiste que la mélodie très ralentie), traité comme Jojo Harrison l’aurait fait de retour de son ashram indien quand il avait la tête dans les bâtons d’encens (très psyché-orientale donc). Et le final du morceau (de moins de trois minutes dans sa version originale, on arrive ici à neuf) devrait ravir comme j’ai dit plus haut tous les amateurs de Cippolina …

Ce « Fires … » est parfait. Assez loin en termes de qualité avec tout ce qu’a produit avant ou après Nick Talbot / Gravenhurst. C’est ce que dit la rumeur publique et ce qu’il m’a semblé après l’écoute de quelques titres au hasard du reste de sa discographie.

N’empêche, un des grands disques de rock de ce siècle qui en a pas produit foule … et tout ça chez Warp … ce monde fout vraiment le camp …


THE SMITHS - THE QUEEN IS DEAD (1986)

 

Rois et Reine ...

Et s’il ne devait en rester qu’un des disques des Smiths, ce serait celui-là. Loin, très loin au-dessus des autres, n’en déplaise au fan-club (ou aux Inrocks, ce qui revient au même). Et pourtant, quand il sort, ce « The Queen is dead », troisième disque du groupe, les Smiths n’ont déjà plus rien à prouver. Et il n’y a même pas deux ans et demi qu’ils ont fait paraître leur inaugural album éponyme.


Entre-temps, ils sont devenus une institution en Angleterre, dernière sensation de rock indé à guitares. Dans un paysage musical gangréné par de la pop à synthés, ils s’obstinent dans une formule guitare-basse-batterie-chant … Bien aidés pour atteindre les sommets par les machins de plus en plus pompiers que publient les acclamés une paire d’années plus tôt U2 et Simple Minds (de toutes façons disqualifiés pour le titre de meilleur groupe anglais, les premiers sont Irish et les seconds Scottish). Tous les magazines musicaux anglais vouent une vénération aux Smiths. Faut dire que les Anglais aiment bien le rock, surtout quand c’est eux qui le font. Et donc, plus les groupes forcent sur le « so british », plus le public local leur fait un triomphe. Après les Jam et en attendant Oasis, c’est l’heure des Smiths … même Londres, pourtant souvent jalouse et aimant afficher une supériorité arrogante vis-à-vis des ploucs provinciaux, s’entiche de ces Mancuniens. Ailleurs dans le monde, que dalle, au mieux un succès d’estime… Un peu normal, les Smiths ne sont pas les Beatles, et ne cultivent pas l’universalisme musical.

Et ne changent rien avec « The Queen is dead ». Qui débute par le morceau éponyme, rengaine uchronique (et un des plus longs titres enregistrés par les Smiths, plus de six minutes) se moquant du grand dadais de Charles, appelé à régner maintenant que sa mère est morte. Caustique et moins direct que le « God save the Queen » des Pistols, mais pas moins malin. On reste au second degré (un Anglais digne de ce nom ne doit pas s’attaquer de quelque façon que ce soit à la Couronne). Ce ne sera pas toujours le cas. Morrissey deux ans plus tard sur son premier disque solo chantera un peu équivoque « Margaret on the guillotine » (vous me direz, Thatcher était pas Reine …).

Morrissey & Marr

Fidèles à leur réputation friendly gay, les Smiths mettent un beau mâle sur la pochette (Alain Delon, photo tirée du peu connu film « L’insoumis » d’Alain Cavalier), et reconduisent une méthode gagnante. Marr compose toutes les musiques, Morrissey tous les textes, Stephen Street est à la console (même si cette fois-ci Marr et Morrissey co-produisent avec lui). Les progrès viennent d’une qualité mélodique supérieure, sans titres de remplissage un peu bâclés, d’un chant tout en micro-nuances de Morrissey (finies les pénibles montées dans les aigus), et d’un Johnny Marr qui se lâche à la guitare. Sans foutre les Marshall sur onze, sans se perdre dans des solos pentatoniques à rallonge (d’autant plus que les Smiths ont très peu à voir avec les gammes bluesy) « The queen is dead » est le disque qui permet de comprendre pourquoi ce type discret et taiseux est considéré comme le meilleur guitariste des années 80 ;

Et il contraste avec l’exubérance de Morrissey au niveau des textes, qui prend un malin plaisir à cultiver une sorte d’impressionnisme loufoque (la mélodie la plus enjouée, celle de « Cemetary Gates », est une visite des pierres tombales des grands poètes romantiques anglais, Wilde, Yeats, Keats). Le gars est capable d’hommages littéraires, mais ne dédaigne pas le nonsensique complet (« Frankly Mr Shankly » et sa mélodie sautillante, l’exubérant « Somme girls are bigger than others »). Comme souvent, Morrissey est là où on ne l’attend pas, Marr a plusieurs fois évoqué sa surprise de le voir écrire des paroles légères sur des rythmes tristes et inversement, de mettre les refrains sur ce qu’il avait composé comme couplets, … ce sont ces contrastes surprenants qui participent aussi au charme des Smiths …

Mais point n’est besoin d’une licence de musicologie ou d’une maîtrise parfaite de la poésie de la langue anglaise pour apprécier ce disque. Il y a des choses d’une évidence immédiate. « I know it’s over » par exemple, la ballade sixties revisitée façon crooner avec un  Morrissey sur les traces vocales de Sinatra. Quand on sait combien se sont vautrés dans le pathos ou la grandiloquence dans ce genre d’exercice, on apprécie d’autant plus ici le résultat.


Les Smiths, comme les plus grands sont aussi un groupe à singles. Pas forcément présents sur les albums, même si ici on a trois qui ont bien marché dans les charts : « Bigmouth strikes again », le meilleur selon moi avec un grandiose Johnny Marr, « There is a light that never goes out », et son riff présentant des similitudes troublantes avec celui de « There she goes again » du Velvet Underground, et « The boy with the thorn on his side », un peu surchargé à mon goût, sur la thématique de la jalousie passionnelle meurtrière. Je lui préfère le loufoque, enjoué et moqueur « Vicar in a tutu ». Et s’il faut trouver un maillon faible à cette rondelle, ce sera « Never had no one ever » (un peu trop) tourbillonnant et (un peu trop) lyrique …

« The Queen is dead » sera l’apogée des Smiths. Un autre disque suivra qui sent l’épuisement du filon (« Strangeways, here we come »), Marr aura envie d’explorer d’autres horizons musicaux, Morrissey (ancien président du fan-club anglais des New York Dolls) voudra mettre un peu de paillettes glam dans ses chansons, et la section rythmique Rourke et Joyce en aura assez de jouer les faire-valoir anonymes des deux stars qui se partagent l’écriture …


Des mêmes sur ce blog :

The Smiths