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MAGAZINE - REAL LIFE (1978)

 

Post-punk ...

Au commencement, furent donc les punks. Les provocateurs anars (Sex Pistols), les politisés (Clash), les working class heroes (Jam), les infréquentables (Stranglers), … mais le gros des troupes (tous les autres), c’était plutôt un ramassis de bas-du-front, philosophes de comptoir bourrins moulinant un boucan vaguement hardos, témoin l’inénarrable « If the kids are united then we'll never be divided » des non moins inénarrables Sham 69. Mais tout ça, c’est à Londres que ça se passait.

Les ploucs de province, ils devaient attendre de voir dans leur bled un concert de leurs idoles londoniennes, quand il était pas interdit par la municipalité. A Manchester, une bande de gamins va se faire électrochoquer par un concert des Pistols, et monter dans la foulée leur groupe. Buzzcocks ils s’appelleront. Tout juste sortis de l’adolescence, ils mettront en accords saccadés toutes leurs frustrations, d’être prolos, moches, boutonneux, derniers de la classe, pas sportifs, et donc enchaînant les râteaux auprès des lycéennes (voir leur extraordinaire « Orgasm addict », manifeste définitif des frustrations pubères).

Howard Devoto

Allez savoir pourquoi, la presse va s’enticher de ces quatre couillons de province et d’à peu près toute la litanie des groupes de la vague punk, ils seront les seuls à hériter du qualificatif de groupe « culte ». Perso, et c’est pas faute d’avoir essayé, j’ai jamais compris pourquoi. Sympa assez souvent, mais pas de quoi se relever la nuit …

Les Buzzcocks, ils existent encore (la bataille avec les Stranglers pour être le plus vieux groupe punk du monde fait rage), plus vraiment, évidemment, dans la légendaire composition d’origine. Les Buzzcocks originaux, ceux du second mitan des seventies, ils étaient menés par Pete Shelley et Howard Devoto.

Pour des raisons qui m’échappent et que j’ai jamais vraiment cherché à connaître (si ça vous intéresse, il doit y avoir la réponse sur Wikimachin), Devoto va quitter les Buzzcocks pour monter sa petite entreprise, Magazine, dont ce « Real life » est la première rondelle. Rondelle dont les mêmes qui trouv(ai)ent les Buzzcocks géniaux affirment sans barguigner qu’il s’agit de Tables de la Loi du post-punk … Ma foi, s’ils le disent …

Qu’oyez-vous dans « Real Life » ? Plein de choses qui partent dans tous les sens, parfois en dépit du bon (sens). L’on vous dira que le titre majeur de « Real Life », c’est « Shot by both sides » et que c’est l’alpha et l’oméga musical de cette fin de décennie. C’est ma foi un fort bon single de pop énergique, mais comme il en sortait des brouettes tous les mois à cette époque-là. Non, l’intérêt majeur de la rondelle, c’est pas « Shot by both sides », c’est plutôt l’envie d’aller voir « ailleurs », de fuir la mécanique simpliste du boucan punk basique.

Magazine

Déjà, Devoto, il soigne (enfin façon de parler, voir des photos de lui à l’époque de « Real life » donne plutôt envie de rire que de se pâmer devant tant d’originalité capillaire et vestimentaire) son look. En gros, comme il est fan de Brian Eno, il le singe dans sa période Roxy Music (en fait il ressemble à un figurant de « Phantom of paradise », ce qui était original en 72, et beaucoup moins à la fin de la décennie). Il y a dans « Real Life » (en filigrane, revendiquer ça en 78, y’avait de quoi finir avec du goudron et des plumes) l’influence du krautrock, tous ces groupes allemands défoncés, planants, et vaguement anars, ou leur proche cousin anglais, le Van der Graaf Generator de Peter Hammill.

Il y a aussi dans « Real life » ce qu’avec le recul il fut bien considérer comme un bon casting, avec notamment le futur guitariste des Banshees John McGeosh (guitar hero de la new wave et influence majeure de Robert Smith), et le bassiste Barry Adamson (futur Bad Seeds de Nick Cave et auteur d’une litanie de disques solo aventureux et expérimentaux). Il y a aussi des points faibles. En premier lieu, la voix de Devoto, comment peut-on envisager de passer derrière le micro avec des cordes vocales pareilles, ça fait mal aux oreilles … Niveau compos, on est loin des fulgurances des Buzzcocks passées et à venir. Ici, même si on a deux titres co-écrits avec Shelley (dont le très buzzcockien « Recoil »), le reste selon comment on l’envisage, fait preuve d’ouverture ou part dans tous les (mauvais) sens.

Perso, je trouve intéressant le début du disque, « Definitive gaze » (jolie intro, bon titre pop, et malin gimmick de synthé), suivi par les déjà cités « Shot by both sides » et « Recoil » (au sujet de ce dernier, existe-t-il un lien avec le groupe du Depeche Mode Wilder en solo, y’a rien à gagner à fournir la réponse). Se glisse au milieu de ce tiercé majeur « My Tulpa » qui avec sa grosse ligne de basse fait penser aux Stranglers, avant un pénible final avec sax free en avant. « The light pours out of me » quant à lui force sur l’aspect martial pour pas dire pompier …


Pas mal de choses ne font pas avancer le schmilblick « Burst » avec son intro pompière et qui balance ensuite entre les pires horreurs de Genesis et un final en version stridente du « Space Odditty » de qui vous savez (et si vous savez pas, vous gagnez un exemplaire dédicacé du dernier bouquin de Philippe le Jolis de Villiers de Saintignon, le fou qu’est tombé dans le Puy). « The great beautician in the sky », sorte de valse flonflonneuse donne envie de lâcher l’affaire pour écouter un bon vieux Pogues.

Reste une paire de titres intéressants, « Motorcade », seul titre « à guitares », rapide et bruyant, et la ballade finale (« Parade »), intro calme au piano, mélodie torturée ensuite.

« Real life », c’est pour moi le genre de disque surestimé, cité par tous les « connoisseurs » arty. On peut certes lui reconnaître une tentative de rupture avec tout le punk bas-du-front qui commençait à se multiplier et une ténue influence sur la cold wave – new wave à venir. On peut aussi lui reprocher (et c’est pas rien) la grand-paternité de tous les poseurs prétentieux munis de synthés qui vont fleurir dans l’Angleterre du début des 80’s. Magazine (une décennie) et Devoto seul ensuite (jusqu’à aujourd’hui) ne déchaîneront jamais vraiment les foules

Et non, le disque-référence post-punk, c’est pas « Real life », il faut pas chercher du côté de Devoto, mais plutôt de celui d’un certain John Lydon (anciennement Rotten), responsable avec les deux premières rondelles de P.I.L. de déflagrations bien plus majeures …


THE CURE - STARING AT THE SEA THE SINGLES (1986)

 

Le sombre héros de l'amer ...

« Staring at the sea » est la première « vraie » compilation des Cure. Quand elle sort en 86, sont déjà parus un maxi 45T 4 titres (« The singles ») réservé au marché des Antipodes (Australie et Nouvelle-Zélande), qui coûte une blinde aujourd’hui et un mini 33T (« Japanese whispers ») reprenant les 45T et leurs faces B de fin 82 à fin 83 (une année où The Cure - Robert Smith ne faisait paraître que des singles, on y reviendra). Sans oublier la vraie – fausse compile « Boys don’t cry » destinée aux retardataires qui n’auraient pas acheté le premier disque et sur laquelle on retrouve la plupart des titres de « Three Imaginary Boys » ainsi que des machins sortis en 45 T.

1978

« Staring at the sea » (17 titres) est la version Cd de la compilation, « Standing on the beach » la version vinyle (13 titres), les deux titres reprenant les premiers vers de leur désormais mythique premier single « Killing an Arab ». Pour les complétistes et pour en finir avec cette intro encyclopédique, la version de « Standing on the beach » en K7 double durée incluait une dizaine de faces B de 45T (je l’ai, faire offre).

« Staring at the sea » est donc paru en 86. Autant être clair, pas vraiment dans un but philanthropique. Contre toute attente, le groupe venait de cartonner au niveau mondial avec la rondelle « The head on the door » et Fiction (label) et Polydor (distributeur) vu l’histoire du groupe et la personnalité euh … comment dire, instable de son leader, ont jugé opportun de faire passer les fans à la caisse et de remplir les leurs, de caisses … Parenthèse, plus de quarante-cinq après sa formation Cure existe toujours (certes en pointillés) mais remplit vite fait les stades chaque fois qu’il en prend le chemin, et y reste sur scène minimum trois heures …

« Staring at the sea » est une compilation. Classique, basique. Tous les titres (sous leur forme single) par ordre chronologique de parution, zéro inédit, live, remix … Le fan de base avait déjà tout ça, par contre pour le commun des mortels, et au vu du caractère assez chaotique du groupe, c’est une bonne entrée en matière. D’autant plus qu’à l’exception de rares bons titres parus plus tard (« Why can’t I be you », « Lullaby »), on a quasiment un best-of du groupe, aujourd’hui en route pour sa cinquième décennie d’existence.

1982

Même s’il a monté ses premiers groupes quand il était ado, Robert Smith est trop jeune pour être un des gars qui comptent dans le mouvement punk. Les choses sérieuses commencent en 1978, quand à la fin de l’année Cure enregistrent leur premier single, « Killing an Arab », typique du post-punk (ou de la new wave, appelez ça comme vous voudrez). Intro arabisante, batterie syncopée, striures de guitares, chant dans les aigus, musicalement on est beaucoup plus proche de Siouxsie & the Banshees ou Wire que des Pistols et du Clash. « Killing an Arab », dès sa sortie a fait le bonheur de quelques skinheads d’extrême-droite (pléonasme). Evidemment il ne serait pas venu à l’idée de ces incultes que le titre puisse être inspiré par « L’étranger » de Camus que Robert Smith avait lu en V.O., en français donc (Fat Bob apprécie la France et sa culture, le groupe y fera de longues et nombreuses tournées, y enregistrera parfois ses disques, et y en vendra beaucoup …). Le premier 33T (« Three imaginary boys », The Cure est un trio) suivra. Album juvénile, inégal, que le Roberto n’aime pas beaucoup à l’image de la reprise déconstruite du « Foxy Lady » d’Hendrix, qu’il dit détester (peut-être parce qu’exceptionnellement dans l’histoire des Cure, ce n’est pas lui qui la chante, mais le bassiste Michael Dempsey). Par contre on trouve sur « Staring … » un des titres emblématiques du groupe « 10 : 15 Saturday night », sorte de rockabilly mutant au ralenti (genre « Fever » de Presley), avec son solo de guitare (Smith est considéré comme un guitariste original et inventif, très souvent bien classé dans les listes de guitar-heroes, alors qu’il ne s’est jamais pris pour un virtuose de la six-cordes). Un single qui ne figure pas sur l’album paraît ensuite, « Boys don’t cry ». Bide retentissant, qui n’aura du succès que lors de sa réédition en 1986, surfant sur la vague de la Curemania. Pourtant, c’est un des meilleurs sinon le meilleur titre de Smith. Grand titre pop, mélodie imparable, superbe gimmick de batterie calée sur la ligne de basse, … un morceau qui reste quand même atypique du groupe.

1983

La suite immédiate verra Robert Smith partir dans tous les sens, voire en vrille. Pour plusieurs raisons, son groupe n’a pas grand succès, le Roberto qui a toujours aimé téter les bouteilles commence à s’attaquer à des drogues moins légales et plus violentes, et puis il a envie d’aller voir ailleurs. Il va finir par faire des piges chez Siouxsie & The Banshees (il est très pote avec le bassiste Steve Severin et vénère le jeu de leur guitariste John McGeoch) pour la seconde fois (chaque fois que le guitariste se casse c’est lui qui le remplace), et pendant une paire d’années est au moins autant membre des Banshees que de Cure.

Parallèlement à ses piges guitaristiques, Cure va évoluer. La formation va se stabiliser en trio (avec Dempsey à la basse et Tolhurst à la batterie, la formation dite « royale »), le look « Robert Smith » (cheveux crêpés, fond de teint blanc, rouge à lèvres, fringues généralement noires deux tailles au-dessus, baskets délacés) va s’affiner, et un son Cure va se mettre en place (dense, bruyant, oppressant, voix hurlée dans les aigus) et des thématiques (noires, sombres, cold, glaciales, gothiques, appelez ça comme vous voulez) monopoliser les textes. Les trois albums consécutifs (Seventeen seconds » - « Faith » - « Pornography ») seront considérés par beaucoup (mais pas par Robert Smith) comme la trilogie « glaciale » du groupe. Radicalité sonore et des textes, et radicalisation des fans qui commencent à copier le look de Smith. Il y a aura bien des singles extraits de ces disques (un ou deux max pour chacun) qui auront bien du mal à trouver leur public, pour employer la gentille métaphore de rigueur.

Smith, toujours au moins bourré, est quand même tout sauf un dilettante. Il se rend compte qu’il va vers l’impasse psychologique et artistique (selon ses dires, pas forcément à prendre au sérieux, l’enregistrement de « Pornography » était une alternative à son suicide) et va faire bouger les lignes de façon une nouvelle fois radicale, au grand désespoir de ses premiers fans corbacs.

Un single, « Charlotte sometimes », enregistré avant « Pornography » remet en avant la mélodie et les notions de couplets-refrains qui avaient tendance à disparaître au profit d’un magma sonore uniforme. Cure va devenir un duo (Smith, Tolhurst) et s’engager dans des horizons sonores beaucoup plus dégagés, bien souvent à base de mélodies aux synthés.

1986

Tout devient beaucoup plus « léger » tant sur le fond que la forme, les parutions ne se font plus qu’en 45T, et de nouveaux fans aident ces titres à grimper dans les charts. Ces morceaux sans lien conducteur permettent à Smith de se « lâcher », passant de la pop bubble-gum (« Let’s go to bed »), à l’eurodance à machines (« The Walk »), à la facilité guillerette (« The Lovecats »), jusqu’à l’expérimental mélodique (« The Caterpillar » et son piano pompé sur les parties de Garson avec Bowie). Cette période « singles » occupera la fin de 82 et l’année 83.

Et puis, nouveau changement de cap avec succès cette fois mondial à la clef. Ce sera l’album « The head on the door », étonnant patchwork de tout ce qu’à fait Cure jusque là. Deux titres pour les charts noyés dans un retour aux atmosphères très dark. Le sautillant « In between days » et le minimaliste « Close to me » (malheureusement ici dans sa version la plus commerciale, c’est-à-dire avec section de cuivres festifs sur la fin), seront les locomotives du 33T. Dès lors, la Curemania version 2.0 est en marche …

Conclusion : le titre n’est pas trompeur, cependant même si elles n’ont pas été exemptes de revirements sonores, les premières années de Cure ont tout de même été plus homogènes que ce que ce disque laisse entendre …



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THE CURE - PORNOGRAPHY (1982)

 

Au fond du trou ...

« Pornography », on l’a souvent décrit comme le dernier et l’aboutissement de la trilogie « glaciale », « cold » - appelez ça comme vous voulez de Cure, après « Seventeen seconds » et « Faith ». Ce qui fait sens, d’autant plus que les trois disques se sont succédé dans la discographie de la bande à Robert Smith. Sauf que ledit Bob Smith, qui est quand même aux manettes du groupe, voire Cure à lui tout seul, et qui prend souvent un malin plaisir à contredire tout le monde, considère « Pornography » comme le premier volet d’une trilogie se poursuivant avec « Disintegration » (1989) et se concluant avec « Wild mood swings » (1996). D’ailleurs il ira jusqu’à donner une série de concerts où il enchaînera en respectant leur tracklisting ces trois disques … ce qui bien entendu ne prouve rien … Si vous voulez mon avis (et même si vous le voulez pas je vous le donne), Cure a produit quatre disques « sombres », « Seventeen seconds », « Faith », « Pornography » et « Disintegration ». Ce dernier est le meilleur, insurpassable, avec pas loin derrière « Pornography ». Et « Wild mood machin » me susurre t-on ? Oubliez-le, il est pas terrible du tout …

Smith, Gallup & Tolhurst : The Cure 1982

En tout cas, en ce début des années 80, Cure n’est pas un groupe qui compte vraiment. Il a certes des fans, vend correctement du disque, mais rares sont ceux qui miseraient sur lui pour une « grosse » carrière. D’autant que Robert Smith, leader maximo, est un jeune type instable. Qui préfère faire des piges comme guitariste chez Siouxsie and the Banshees que s’occuper de Cure. De toutes façons, le garçon est un tristos voire pire, anxieux, angoissé, en proie au doute en permanence, et chez lui, c’est pas une façade pour faire gothique. Il ne se désinhibe qu’en picolant sévère et en se défonçant aussi sévèrement. D’ailleurs, les rumeurs prétendent (ne pas se fier à ce que dit Robert Smith, spécialiste des bobards face à la presse musicale) qu’il a hésité entre mettre en chantier « Pornography » ou se suicider. Ceux qui voient en filigrane apparaître la figure de Kurt Cobain n’ont pas tort. Sauf que l’un a supporté le succès beaucoup mieux que l’autre …


Décision est donc prise de se saouler et de se défoncer copieusement et de voir ce que ça peut donner musicalement. Smith réunit un Cure en formation réduite, lui, Simon Gallup à la basse et Lol Tolhurst à la batterie, ce que les fans du groupe considèrent comme la formation « royale » de Cure. Evidemment, parce que ce n’est plus à la mode et que Smith déteste le classic rock, rien à voir avec un power trio. Les trois (à tour de rôle ou ensemble) rajoutent des couches et des couches de synthés, triturent tous les sons, et ne cherchent pas à faire étalage d’une quelconque technique virtuose (que de toutes façons ils ne possèdent pas).

Bon, des disques sous substances, c’est pas ça qui manque. Ça peut donner de grandes et belles choses, et même dans ce cas, partir un peu dans tous les sens (cas d’école : « There’s a riot coming on » de Sly & the Family Stone », ou « Station to station » de Bowie). Ce qui frappe avec « Pornography » c’est son unité. Ce disque est tout d’un bloc, d’une homogénéité redoutable.

Les titres (il est difficile de parler de chansons) sont tous construits de la même façon. Un schéma rythmique (basse et batterie mates) immuable (pas d’intro, de couplets, de refrains, de ponts, de solos), des nappes lourdes de synthés en surlignage, des guitares distordues dénuées de tout aspect mélodique. Et par-dessus tout ça, Robert Smith qui hurle de façon monocorde dans les aigus. Le résultat est un son oppressant, sans le moindre répit. Déstabilisant et diversement accueilli à sa sortie, le disque deviendra une référence incontournable du rock dit gothique, surclassant ses inspirations (si l’on en croit Robert Smith, Siouxsie of course, et les martiaux Psychedelic Furs). Aujourd’hui cette descente aux enfers sonores est devenue un des incontournables de Cure et des années 80.


« Pornography » définit une fois pour toutes le vocabulaire de Smith. Les mots, rattachés à la souffrance, à l’obscurité, au mal-être, et autres états d’esprit pas vraiment joyeux reviennent comme des mantras au long des paroles (die-death, dark, night, pain, fall, blood, rain, sick, madness, …)

Musicalement, s’il faut en extraire quelques-uns de ce pavé, on citera l’introductif « One hundred years » qui donne la couleur de l’ensemble, le seul single extrait du disque « The hanging garden », sorte de surf music jouée par des trépanés pour des trépanés, annonciateur du Cure à (gros) succès à venir, « A strange day » qui malgré (à cause ?) une intro lourde et planante offre un peu de répit, avant que le morceau-titre vienne finir d’enfoncer les clous dans le cercueil, avec ses dialogues de vieux films surimposés, et une voix de Smith qui n’est plus que cris ou borborygmes étouffés, avant un final noyé dans l’écho, genre vortex qui engloutit tout …

Dépressifs s’abstenir … Un des deux meilleurs Cure, toutes époques confondues, et un disque à ranger à côté de « La joie de vivre » de Zola …


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THE CURE - SEVENTEEN SECONDS (1980)


 Cold Wave ...

Un beau jour, dans les années 2000, parce qu’il ne sortait plus que des mauvais disques, ou que plus personne n’en achetait, ou les deux, y’a un manager fûté qui a dit à ses poulains qu’ils avaient qu’à rejouer en concert l’intégralité et dans l’ordre des titres leurs vieux disques, ceux que les gens aimaient et avaient achetés. Je sais pas qui a eu l’idée, ni qui a commencé, mais tous les quadra-quinquas voire plus du rock s’y sont collés. On prenait la masterpiece de la disco, on étirait un peu les morceaux, une heure passait, rideau, deux ou trois hits en rappel et l’affaire était dans le sac, merci chers fans pour votre contribution au quotidien de nos vieux jours …

Gallup, Tolhurst, Smith & Hartley : The Cure 1980

Cure n’a pas échappé à la règle. Sauf que jouer un disque en entier, une poignée de titres en rappel et plier les gaules au bout d’une heure et quart de scène, c’était pas vraiment le genre de Robert Smith, qui dans ce cas-là aurait passé plus de temps à se crêper la tignasse, se maquiller le groin avec du noir, du blanc et du rouge à lèvres pétard, qu’à être sur scène. Parce qu’à l’instar d’un autre vioque du New Jersey et de ses poteaux de la rue E, Smith tient facilement trois heures sur les planches … et donc la solution pour coller à l’air du temps et en donner au public pour son argent fut pour les Cure de ne pas jouer l’intégralité d’un vieux disque, mais l’intégralité de trois vieux disques en concert. Ainsi, lors d’une tournée dont j’ai la flemme de rechercher la date, furent successivement balancés au public « Seventeen seconds », « Pornography » et « Desintigration » dans leur intégralité, plus quelques rappels, et il n’était pas rare que le groupe reste beaucoup plus de trois heures sur scène …

Tout ce pensum introductif pour dire que « Seventeen seconds » est un disque important pour les Cure. Apparus trop tard pour être les Sex Pistols ou les Clash et trop tôt pour être Eurythmics ou Depeche Mode, l’avenir des Cure semblait incertain. Les premiers titres du groupe partaient dans tous les sens, que ce soit sur le premier « Three imaginary boys », ou sur la compilation (ouais, je sais, sortir une compilation après seulement un disque, c’est pas très malin, mais Cure sortait plein de 45 T et de maxis, et cette compile « Boys don’t cry » c’était un peu une façon de prendre le train en marche pour ceux qui avaient raté le premier Lp). Et à propos de train, pas grand-monde l’a pris, le Cure des débuts est un groupe confidentiel dont la ligne musicale n’est pas vraiment définie, et au futur en forme de point d'interrogation.


Parce que Cure n’est pas un groupe. Robert Smith écrase tout le monde, c’est le Lider Maximo, et ça commence à défiler dans le casting … Manière de faire se poser des questions sur l’avenir de Cure, il va faire une pige comme guitariste chez Siouxsie & the Banshees. Après quelques mois d’existence, l’avenir des Cure est déjà une totale spéculation.

Robert Smith garde son pote batteur Laurence Tolhurst, vire le bassiste Michael Dempsey, embauche Simon Gallup à la place, et complète le line-up avec aux claviers un certain Matthieu Hartley, qui ne passera même pas un an dans le groupe et dont on a perdu la trace depuis … Les Three Imaginary Boys devenus quatre comme les Mousquetaires vont aller en studio pour en sortir « Seventeen seconds ». Et avec « Seventeen seconds » va commencer à s’écrire la saga Cure …

Finies les reprises saugrenues d’Hendrix, les tourneries pop, les petits rocks épileptiques et autres incongruités antérieures, et place au Cure sound, celui qui va quasiment définir une génération, celle des années 80. Quand la formule sera rodée et définitive, on verra les rues encombrées de silhouettes unisexes très Walking Dead, longs cheveux crêpés, orbites noircies, fond de teint farineux, lèvres carmin vif, fringues noires et baskets montantes blanches sans lacets. Le look de Robert Smith dans les eighties sera le plus copié, avant la décennie suivante celui de Kurt Cobain (mais là, c’était plus facile, moins disruptif …).

Niveau look, on n’en est pas encore là avec « Seventeen seconds ». Smith a vingt et un ans, le cheveu court, et une bonne bouille ronde sympathique … le parfait boy next door en somme. Niveau musique, par contre, ça commence à se démarquer de toute concurrence. Non pas que ce soit foncièrement original. On sent que Robert Smith (qui est le compositeur quasi unique et exclusif du groupe) a pas mal écouté Joy Division, et Cure s’essaie à sa façon à reproduire le martèlement rythmique du groupe de Manchester. Le tempo est lent, métronomique, les instruments forment un magma sonore d’où s’extraient des arpèges de guitare ou de piano, la basse est très mélodique (souvent une Fender VI à six cordes), le chant est fort, aigu, plaintif, et des mots tels que « cry », « scream », « tears », « blood », « dark », « rain », commencent à se poser comme la base lexicale des textes de Smith.

« Seventeen seconds » n’est pas parfait, mais la formule qu’il propose n’aura pas besoin de beaucoup d’évolutions pour devenir un des marqueurs sonores les plus facilement identifiables du rock. Qu’on l’aime ou pas, le son des Cure, on le reconnait instantanément …

Le disque débute par un instrumental (« A reflection ») tout en lenteur enchevêtrée de piano et guitare. « Play for today » qui suit est un des sommets de la rondelle, avec ce son de batterie tellement trafiqué (Mike Hedge, producteur depuis les débuts, Chris Parry, patron de leur label Fiction Records et Bob Smith co-produisent) qu’on la croirait électronique. L’intro, comme souvent chez Cure, atteint ou dépasse la minute, la voix de Smith trouve son registre qui la fait instantanément reconnaître. Seuls des synthés un peu datés et un rythme plutôt allegro (pour Cure s’entend) montrent les tâtonnements dans la mise en place du classic Cure sound…


Et « Seventeen seconds » c’est un peu ça tout le temps. C’est un disque de mise en place, un premier chapitre (d’ailleurs avec ses deux suivants « Faith » et « Pornography », on parlera souvent – au grand dam de Smith, et il a raison, « Pornography » est brûlant comme du métal en fusion » - de la trilogie « glaciale » de Cure). Il y a des petits trucs, qui à la réécoute à l’aune de tous ses successeurs, piquent les tympans. Si Smith sait commencer ses morceaux par de longues intros, il ne sait pas toujours les finir, certaines fins de titres sont plutôt abruptes (« Secrets », « M »). Parfois tout est en place et les titres auraient pu figurer sur au hasard, « The Head on the door », comme par exemple « In your eyes ». D’autres fois, des petits détails, parce que l’ensemble est quand même un bloc homogène, rendent un titre quelconque (« Three »).

Deux titres se démarquent. Leur premier single classé (31 dans les charts anglais, c’est pas « Seventeen seconds » qui a rendu Smith millionnaire) est « A forest », pas grand-chose à dire, c’est du classic Cure, et accessoirement le titre le plus joué par le groupe sur scène. L’autre titre majeur, c’est « M » qui met en avant ce côté « on sautille dans le désespoir », qui décliné et dupliqué par la suite (« In between days », « Why can’t I be you ») remplira bien les poches de Fatbob. Petite parenthèse sur les succès de The Cure. Leur titre peut-être le plus connu, « Boys don’t cry » (en gros mise en forme musicale joyeuse du désespoir) qui réunit les qualités de « M » et « A forest », est sorti en single avant la parution de « Seventeen seconds » sans obtenir le moindre succès. Ce n’est que lorsque la gloire du groupe sera atteinte que Smith le ressortira en 86 pour là faire un carton mondial …

« Seventeen seconds » tant par sa musique que par sa pochette (des arbres morts ou au moins sans feuilles dans le brouillard) sera le premier grand marqueur de ce qu’on appellera cold wave. Car même si l’expression a déjà été utilisée pour d’autres (Siouxsie, Wire, P.I.L., …), c’est The Cure qui en deviendra la figure de proue …

Un disque bien rafraîchissant par les temps de canicule …


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Pornography

Staring At The Sea The Singles



PUBLIC IMAGE - PUBLIC IMAGE (1978)


 Bad Religion ?

Tout commence avec les Sex Pistols … ou plutôt tout commence avec la fin des Sex Pistols. Le plus célèbre – provocateur – vendu (rayer la ou les mentions inutiles) orchestre punk, une fois paru son manifeste « Nevermind the bollocks » part vite en sucette (merci au crétin ingérable Sid Vicious, et aux divagations managériales de Malcolm McLaren), de toute façon, comment aurait-il pu en être autrement, les Sex Pistols par définition et essence n’étaient pas faits pour durer …

Walker, Levene, Wobble & Lydon : Public Image 1978

Le premier à claquer la porte (il ne supportait pas McLaren) et signer de fait la mort du groupe est Johnny Rotten. Qui reprend son état-civil (John Lydon), et entend montrer à la Terre entière que son génie n’a pas besoin d’un groupe de bras cassés et de McLaren pour éclater à la face du monde … Lydon étant quelque peu connu, il n’a pas trop de mal à monter un groupe. Et tant qu’à faire, il choisit pour l’accompagner des gens qu’il connaît depuis longtemps. Keith Levene à la guitare. Pote de Vicious et ayant fait partie d’une des formations du Clash avant qu’ils enregistrent leur premier disque pour CBS. Jah Wobble tiendra la basse. Lui et Lydon se connaissent depuis des années, il a appris la basse de façon autodidacte parce qu’il est fan de reggae et de dub, et n'a pas la réputation d’un type commode, ses poings étant son principal outil de communication … Le batteur (Jim Walker) sera recruté via une petite annonce.

Au départ et encore plus une fois la machine Public Image en marche, il sera évident que c’est le groupe de Lydon. Il faut des envies de généalogiste pour recenser tous ceux qui participeront au groupe, censé être encore en activité, même si ses parutions sont très épisodiques depuis le début des années 90. La première formation n’échappe pas à la règle du turn-over. Le batteur ne fera qu’un album, Jah Wobble se fera virer en 1980, et Keith Levene en 83, ces deux-là gardant une rancune certaine à Lydon …

« Public Image » le single inaugurera la carrière de Public Image le groupe. Et assure la transition avec les Pistols. On est en terrain sonore connu (la voix de Lydon, la pulsation rock brute de décoffrage), avec un petit côté grinçant et répétitif en plus. Ce titre ouvrira la seconde face du vinyle original.


Qui atteint pile les quarante syndicales minutes. Au prix de quelques délayages. Faut dire que le budget alloué par Branson et Virgin a surtout servi en « remontants » divers et variés, et que cette bande d’ingérables n’est pas forcément la bienvenue dans un studio d’enregistrement (la légende – mais en est-ce une – prétend que Jah Wobble démolira un ingé-son tatillon et pas convaincu de sa technique à la quatre-cordes). D’où des titres à rallonge (quatre titres sur huit flirtent où dépassent les six minutes, voire les neuf pour « Theme »), assez loin des formats punks de 2’30 alors de rigueur, des mixages étonnants (« Attack » beaucoup plus mat et étouffé que ce que l’on avait entendu jusque-là, ou « Fodderstompf » le reggae-dub expérimental et mutant final) montrent que du personnel qualifié et compétent n’est pas inutile en studio, surtout quand le trio a eu l’idée saugrenue de produire la rondelle …

Il n’en reste pas moins que « Public Image » constituera une déflagration non négligeable dans le landernau musical londonien. Par facilité linguistique, on appellera ce nouveau son post-punk, étiquette facile et qui permettra de ranger tous ceux qui s’en inspireront (… ou pas, il suffira qu’ils ne respectent pas les « règles » originelles du punk pour s’en trouver affublés).

« Public Image » n’invente rien, mais pioche et assemble des choses que l’on n’avait pas l’habitude de voir frayer ensemble (un peu de musique industrielle, de rock, de krautrock, de punk-rock, de prog même, le Johnny est très fan de Peter Hammill le chanteur de Van der Graaf Generator, et ça s’entend parfois). Technique musicale rudimentaire oblige, on est dans le lancinant, le crissant, le grinçant et le répétitif. Hormis des schémas de batterie saccadés, l’approche musicale est assez souvent celle du reggae, avec basse en avant et guitare à contre-temps (mais jouée façon tronçonneuse). Maintenant on a entendu des millions de groupes (pas forcément les plus doués) jouer comme ça, mais force est de reconnaître qu’en 1978, c’était plutôt novateur.

Et puis, ne surtout pas oublier que Lydon, en plus d’une technique de chant assez particulière, genre muezzin qui appelle les fidèles à la prière, est un type qui n’a pas la langue dans sa poche (avoir affaire à lui en interview ou en conférence de presse était un exercice attendu – et redouté – par tous les journaleux rock), et un certain sens des punchlines qui dépasse largement les capacités de Praud, Bouleau, Salamé ou Polony.


Sur « Public Image » le thème central est la religion (chrétienne en l’occurrence, mais Lydon les déteste toutes). Le Paradis est appelé à aller se faire foutre dès le premier titre (« Theme »), titre noirâtre sur la mort (le verbe « to die » revient bien une vingtaine de fois). C’est encore pire sur les deux « Religion ». Le « Religion I » est juste un court speech ultra-violent (1’25) contre l’Eglise catholique. Et manière d’enfoncer le clou dans les paumes des mains ou la plante des pieds de ceux qui auraient pas saisi, les mêmes paroles sont mises en musiques sur « Religion II ». Et cerise confite sur l’hostie rance, « Annalisa » sur une trame de rock assez simple et basique, donne le point de vue de Lydon sur Anneliese Michel, jeune allemande prétendument possédée et exorcisée 67 (!) fois, jusqu’à ce qu’elle meure la vingtaine à peine dépassée …

Pour être tout à fait exhaustif, mentionnons « Low life » qui ne vaut que pour les psalmodies nasillardes de Lydon.

Lequel, quoi qu’il ait pu en dire, n’a pas atteint avec Public Image l’aura naturellement indépassable des Sex Pistols. Livré à lui-même, avec des comparses extatiques aux ordres, Public Image (qui s’appellera selon les circonstances Public Image, Public Image Ltd, ou P.I.L.) deviendra vite une carricature de son premier disque (« Metal Box » est aussi bon, la suite ne sera que dégringolade artistique), n’obtenant son seul vrai succès qu’avec le single bâclé et (donc forcément) répétitif « This is not a love song » …


JOY DIVISION - CLOSER (1980)

 

Mémoires d'Outre-Tombe ...

17 mai 1980 : Ian Curtis, chanteur dépressif et épileptique de Joy Division se dispute pour la énième fois avec sa femme dans la soirée. Il a une vie sentimentale compliquée, marié jeune, père d’une petite fille, vit avec une autre femme et veut divorcer. L’épouse légitime se casse chez sa mère, Ian Curtis regarde à la télé « Stroszek » ("La ballade de Bruno" en français) de Werner Herzog (pas exactement une comédie, c’est l’histoire d’un musicien raté qui finit par se suicider), puis manière de rester dans l’ambiance se passe en boucle « The Idiot » d’Iggy Pop (pas vraiment le genre de disques de fin de banquet). Après cette nuit joviale, au petit matin du 18 Mai, Ian Curtis se pend dans sa cuisine.

Ian Curtis

Le groupe devait partir sous peu pour une tournée américaine. Pas sûr que les bouffeurs de burgers auraient fait un triomphe aux broyeurs de noir anglais, mais Joy Division traversait pas l’Atlantique sans rien dans la besace. Un single (« Love will tear us apart ») était en cours de pressage et était le meilleur titre écrit par le groupe. Un trente-trois tours (fini d’enregistrer, sur lequel ne figure pas « Love … ») devait le suivre. Et forcément tout s’est écroulé … et écoulé en quantités (la mort est très vendeuse dans le rock), sans toutefois atteindre des ventes mirobolantes…

Parce que Joy Division n’est pas un groupe facile, flirtant (et inventant aussi un peu) avec le post-punk, le gothique, la cold wave, autant de genres musicaux que tout un chacun n’écoute pas forcément au lever, manière de commencer la journée de bonne humeur. Evidemment, la mort de Curtis va amplifier le nom et l’importance de son groupe. Le débat le plus récurrent du rock va se mettre en place. D’un côté les adorateurs de la première heure qui vous diront que c’était mieux avant, et de l’autre ceux qui rejoignent la caravane et vous assènent que c’est bien mieux maintenant …

Je vois mes millions de lecteurs, les yeux hagards, la bave aux lèvres, attendre mon indiscutable verdict : puisqu’ils en ont fait que deux (sans compter bien sûr tous ces machins post-mortem exhumés et le plus souvent sans aucun intérêt), quel est le meilleur disque de Joy Division, lequel faut-il avoir sur ses étagères. Ma réponse sera claire nette et précise : soit aucun des deux, soit les deux …

Summer, Curtis, Morris & Hook : Joy Division

Non « Closer » n’est pas à ranger dans le tiroir éculé (de ta mère) du toujours difficile second album obligatoirement moins bon que le premier, cet axiome vaseux de ceux qui n’y comprennent rien (ça marche pour les Doors, Pink Floyd, le Clash, mais pas pour les Beatles, les Stones ou Led Zeppelin, y’a quand même des trous dans la raquette de la démonstration) … Les deux disques de Joy Division se ressemblent. Avec des nuances. « Unknown pleasures » est un disque de Martin Hannett qui produit Joy Division, « Closer » est un disque de Joy Division produit par Martin Hannett … et c’est pas pour le plaisir de sortir une affirmation cryptique que je dis ça. Sortez vos crayons, prenez des notes, je m’explique.

Le son de « Unknown pleasures » est inouï au sens premier du terme. Cette façon de faire sonner la batterie, de distribuer les instruments dans l’espace, de remplir cet espace avec un minimum de sons, cette appétence pour les stridences, quand c’est sorti, y’avait rien qui ressemblait. Et Hannett rejoignait dès son coup d’essai le club très fermé de ces producteurs qui ont révolutionné le son, aux côtés de George Martin, Phil Spector, et Lee Perry (liste close). Une telle démonstration d’innovation faisait pour moi passer les morceaux du groupe au second plan, c’était le son loin devant, avant tout le reste.

La production de « Closer » est moins démonstrative, moins innovante. Foncièrement originale, mais axée sur des éléments essentiels. La batterie reproduit les schémas complexes du motorik (on pense souvent à Jaki Liebezeit de Can) et évite quasi absolument toute utilisation des cymbales. La basse très en avant amène la mélodie (comme dans le funk), sauf que chez Joy Division rien ne sonne funky. La guitare ponctue les séquences rythmiques au lieu de les diriger, au strict opposée du blues et de ses dérivés. Tout est overdubbé sur plusieurs pistes et passé par tout un tas de bidules (échos, delays, flangers, …) commandés depuis la table de mixage. Et par-dessus tout ça la voix de baryton triste de Curtis va aussi loin dans les graves que celle de Jim Morrison sur « L.A. Woman ».


Mais derrière la chape de plomb, New Order met de l’écriture, de la mélodie. Des chansons. Radicales. Flippantes. Sombres. Mais des chansons. Sans envie qu’elles plaisent et qu’elles finissent sur les playlists FM.

Joy Division, c’est la matrice d’une grosse partie de la musique des années 80, et pas toujours la pire. Rajoutez à Joy Division l’envie de faire une soirée disco, et vous obtenez New Order. Si vous voulez un peu plus de mélodie, vous tombez sur la trilogie dite « glaciale » des Cure. Un peu plus de synthés, vous obtenez OMD, l’Eurythmics des débuts et tous ces groupes à synthés du début de la décennie. Refilez à Joy Division des pilules de toutes les couleurs, et vous obtenez Happy Mondays, Stone Roses, House of Love … Beaucoup des descendants, reconnus ou pas de Joy Division viendront comme eux de Manchester. Les années 80 seront celles de la lutte d’influence avec Londres, la province qui tient musicalement la dragée haute à la capitale n’était pas chose envisageable jusque-là. L’affaire deviendra mondiale dans les années 90 avec la (fausse) guerre Oasis – Blur.

Beaucoup des influences évidentes sont dans « Closer ». La froideur des Cure, elle est dans « Twenty four hours », les synthés prennent le dessus sur « Decades », New Order est en filigrane dans « A means to an end » ou la danse (macabre) de « Isolation ». D’autres titres renvoient eux aux maîtres inspirateurs de Joy Division. « Atrocity exhibition » et sa rythmique c’est Can, « Colony », c’est Bowie qui ferait du glam dans des catacombes, Heart and soul » malgré son titre de standard jazz, évoque Suicide …

Association d’idées, la pochette de « Closer » est une de celles qui se remarquent, renforçant à l’extrême le côté dark du groupe. Comme celle de « Unknown pleasures », elle est l’œuvre de Peter Saville, retouchant une photo d’une composition sculpturale géante de Pietà prise dans un cimetière italien. Après le suicide de Curtis, beaucoup crieront à la prémonition. Peut être beaucoup plus prosaïquement, elle représente parfaitement ce qu’on trouve dans le disque …


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Unknown Pleasures

EURYTHMICS - TOUCH (1983)

Europop ...
Y’a des fois faut remettre les pendules à leur place et les choses à l’heure. Flashback donc …
1983. Les débuts de MTV et des « émissions » de clips. Y’en a un qui tourne en boucle en Angleterre et par extension en Europe. « Sweet dreams (are made of this) » qu’il s’appelle. On y voit au milieu d’allusions à deux balles à Kubrick, le Floyd et les Beatles, un type à lunettes noires coiffé comme un caniche pianoter un ordi d’époque et une rouquine androgyne fixer façon dominatrice glaciale la caméra. La chanson, portée par une mélodie tellement évidente que beaucoup ont regretté de ne pas l’avoir trouvée, fera un hit colossal, de ceux qui traversent les décennies. Le binoclard, c’est Dave Stewart. La meuf à poil ras, Annie Lennox. Anglais, ancien couple à la ville, ayant formé leur premier groupe à l’époque du punk, The Tourists, ça s’appelait. Coupables d’une reprise ratée de la scie « I only want to be with you », popularisée en son temps par Dusty Springfield. Parenthèse : allez voir cette dernière vidéo et comparez l’évolution de la Lennox, tant du point de vue vocal que de l’attitude (Stewart n’est pas encore dans le groupe). A cause de la troublante et équivoque Annie, Eurythmics intrigue, se détache d’un lot de poseurs et de figurines de mode qui encombraient le paysage musical. « Sweet dreams » le titre était quelque peu perdu au milieu d’un album du même nom sans grand intérêt. Ce qui faisait penser que ces deux zozos avaient tout dit avec un titre, et qu’on n’en entendrait plus parler.

1983 toujours. Dix mois après « Sweet dreams » paraît déjà son successeur. « Touch ». RCA qui distribue le duo veut enfoncer le clou, capitaliser sur le phénomène. Soyons clair, les Eurythmics se font fait bouffer par la machine. « Touch », même s’il est meilleur que « Sweet dreams », c’est quand même un torchon sonore pas très net. D’abord, c’est Lennox qui est mise en avant. Photo de pochette genre dominatrice de partouze, « on » lui confectionne sur mesure un look hautain, glacial et distant pour en faire une sorte de Greta Garbo new wave. Soit. En faisant disparaître Dave Stewart, qui, l’histoire le montrera, est bien plus que la moitié d’Eurythmics. Le son de « Touch », qui se voulait à la pointe lors de sa parution, est atroce aujourd’hui. Farci de ces premiers synthés cheap, de ces batteries électroniques monolithiques, de ces infâmes basses slappées mises en avant (c’est un type dont par charité on taira le nom qui en joue, seul élément extérieur greffé au duo), noyant sous leur raffut cordes (plus ou moins vraies) et cuivres (faux). Avec tous les clichés et maniérismes inhérents à l’époque. Un disque bien de sa triste époque quoi.

Faut faire du travail d’archéologue, gratter sous le vernis pour trouver des choses intéressantes. Un don certain (Stewart, puisque c’est lui qui signe toutes les musiques) pour la mélodie qui sauve quelques titres, que RCA n’a pas oublié de mettre en avant. « Here comes the rain again » cold wave à donf), « Right by your side » (improbable salsa-calypso électronique qui fonctionne) et « Who’s that girl » (soul rigide et martiale sauvée par le chant de Lennox) essaieront de se frayer un chemin vers le haut des charts, sans toutefois égaler le parcours de « Sweet dreams ». Comme par hasard les trois titres les plus « sobres » dans le contexte. Et puis la Lennox, derrière ses atours fashion, se livre à un gros boulot sur les voix, les doublant, rajoutant les chœurs. Derrière le morne cliquetis des synthés, transparaissent d’évidents clins d’œil au gospel, à la soul, au rhythm’n’blues. Ce que pas grand-monde avait relevé à l’époque, les Eurythmics semblant se diriger à grande vitesse direct vers les poubelles de la variété neuneu.
La suite serait totalement imprévisible. Deux ans plus tard, Stewart reprendra tout en main, le duo signera un des meilleurs disques (« Be yourself tonight ») de rhythm’n’blues de la décennie (non, je déconne pas), épaulé par un gang de super requins de studio, avec des participations plus que remarquées d’Aretha Franklin, Stevie Wonder (certes pas au mieux de leur carrière) et Elvis Costello (celui-ci à cette époque là très tatillon sur ses collaborations). Mieux encore, Dave Stewart, catalogué au départ archétype du joueur de synthés anglais, allait être courtisé comme producteur par les figures de proue du classic-rock ricain, Tom Petty en tête …

« Sweet dreams » are vraiment made of this …


THE CARS - THE CARS (1978)

En voiture (et en roue libre) ...
Sur la highway musicale des 70’s, les Cars sont au bord de la route. En mini-jupes, talons aiguilles, décolleté profond et maquillage pétard. Les Cars sont des putes. Pas des escorts aux tarifs prohibitifs réservées à l’élite, non, des putes de base d’aires de repos, maquées par des proxos russes, qui se donnent à tout le monde …
Il y a cinq putes dans les Cars. Avec une pute en chef, Ric Ocasek. Plus moche du lot, mais c’est lui qui fait tout le taf, tapine, attire le chaland. En écrivant l’essentiel de titres tellement aguicheurs que fatalement, tu te laisses embringuer. Sans débander, cette pute d’Ocasek et ses potes alignent des sucettes à l’anis sonores. Bien aidés pour le coup par Roy Thomas Baker, l’homme attitré aux manettes derrière la folle Freddie Mercury et son gang de michetonneurs.

Faut dire que ces salopes de Cars préfèrent les Anglais aux Américains. Mais pas n’importe quels Anglais. Une nette prédisposition pour Roxy Music, groupe de dandys décadents et fin de race. Comme eux, les Cars, mettent des pin-ups aguicheuses sur leurs pochettes de disques. Et vont même jusqu’à pomper, y’a pas d’autres mots, la bande à Ferry sur des choses comme « I’m in touch with your world » (la même rythmique que celle de « Bogus man ») ou « Moving in stereo » qui recrache tous les plans de Roxy.
Le problème ( ? ) des putes, c’est que ça baise avec n’importe qui. Alors ces catins de Cars font même des clins d’œil aux pompiers et aux progueux (le doigté de Baker ?) avec quelques ponts tarabiscotés et des synthés baveux. Ce sont ces synthés qui datent irrémédiablement les Cars, sonnant parfois pénibles ou risibles. Mais on est prêt à tout leur pardonner …
Parce que d’entrée, ces biatches t’allument salement. Qui ne dresse pas l’oreille et le reste à l’écoute des trois premiers titres doit être un putain de pervers. S’ils avaient entendu « Good times roll », « My best friend’s girl » et « Just what I need » , les Sept Nains auraient fini par gangbanger Blanche-Neige. Ouais, même Simplet … on touche avec ces trois morceaux au plus profond de la matrice de la power-pop, du rock FM, ces genres musicaux un peu … putes qui vont faire jouir tous les hit-parades de la fin des 70’s … Forcément, après de tels préliminaires, le reste ça fait un peu coitus interruptus. Tu croyais que t’allais te taper Clara Morgane et tu t’aperçois que la meuf qui est là, elle est juste bien maquillée et toute chirurgée esthétiquement, « Don’t cha stop », c’est faiblard, ça bande mou …

T’as l’impression que finalement c’est toi qui t’es fait baiser. Mais tu t’en fous un peu. T’en redemandes de ces ribaudes, parce que finalement elles t’ont fait monter au plafond. De vraies salopes, mais t’aimes ça … Et t’as bien raison …

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MARTIN L.GORE - COUNTERFEIT E.P (1989)

En Mode solo ...
Durant les années 80, Depeche Mode a sans doute été le groupe le plus moqué. Vu de loin, ils le méritaient bien. Sauf que derrière les présumées marionnettes falotes à synthés, il y avait de la substance. Trente ans plus tard, Depeche Mode joue dans des stades ses titres des années 80 avec moins de synthés que, au hasard, le E-Street Band…
Depeche Mode s’organisait derrière deux figures de proue. Le chanteur Dave Gahan, souvent mis en avant, cache derrière une exubérance de façade un héroïnomane dépressif. Martin Gore, le compositeur exclusif du groupe dissimule derrière une extravagance très gay-SM, une serial buveur et serial niqueur hétéro. La pression sur Gore devient proportionnelle aux premiers gigantesques succès (l’album « Music for the masses » et sa ribambelle de singles). A la première occasion, un break dans les cadences infernales studio-promo-tournées, Gore va enregistrer, manière de décompresser, quelques titres en solo, réunis sur ce « Counterfeit E.P », et le moins que l’on puisse dire, assez éloignés de l’univers Depeche Mode.

D’abord, et sûrement pour ménager les susceptibilités diverses au sein de Depeche Mode (malgré une façade de groupe lisse et propre, le relationnel interne a toujours été chaotique), Gore ne va rien composer, ne tenant sans doute pas à se voir accuser de garder les meilleures compos pour lui. « Counterfeit E.P » sera un disque de reprises et comme son titre l’indique, plutôt court (25 minutes). Gore ne va pas choisir la facilité, la reprise de hits consensuels.
« Counterfeit E.P » propose un des tracklisting les plus bizarres qui se puissent concocter. A la place des attendus Bowie ou Roxy Music, faut s’accrocher, on n’a pas ici de relecture de hits certifiés. Les deux titres les plus « connus » sont le traditionnel « Motherless child », jusque-là plutôt chasse gardée des souleux-folkeux-rockeux (profil type du client : Van Morrison) et le « Never turn you back … »  des Sparks (pas un de leurs célèbres quand même). Pour le reste, on a droit à des covers de quelques groupes pas réputés pour être un conglomérat de joyeux lurons (Tuxedomoon, Durutti Column, Comsat Angels), ou de l’inconnu (en tout cas pour moi) Joe Crow. C’est ce dernier qui fournit l’introductif « Compulsion », peut-être bien le meilleur titre du lot.
« Counterfeit E.P » est un disque sobre, presque austère. Martin Gore, déjà bien à l’abri du besoin, ne se la pète pas, n’invite personne du gotha musical à l’accompagner dans son trip individualiste. Il joue ou programme tout, et assure tous les vocaux. Même s’il lui arrivait de chanter quelques titres sur les albums de Depeche Mode (pas les plus connus), ce n’est pas un grand interprète. Il s’en fout un peu, essaie ici de chanter juste, sans trop vouloir masquer ses évidentes limites vocales (sauf sur la reprise des Sparks, à la mélodie comme d’habitude chez les frangins Mael assez tarabiscotée, où là Gore double sa voix pour lui donner un peu plus d’ampleur). Musicalement, on est dans un truc évidemment synthétique, assez sombre mais pas sinistre, le plus souvent voisin de la cold wave, à des lieues des mélodies sautillantes qu’il débite alors à la chaîne pour Depeche Mode (seule exception à mon sens, « Gone » des Comsat Angels où à grands coups de synthés martiaux, on navigue en territoire à peu près connu).

Ceux qui auront eu la curiosité d’écouter ce petit disque sans ambition (très peu de promo, pas de tournée) seront surpris par sa maturité et son originalité. Dès lors, l’année suivante, la qualité exceptionnelle de la nouvelle livraison depechemodienne « Violator » coulera presque de source après cet excellent intermède solo …