Bon, inutile de faire de trop longues présentations.
Même s’ils sont un peu passés de mode, Placebo, c’est-à-dire Brian Molko et ses
deux (?) potes ont pas mal fait parler d’eux à la fin du siècle dernier, avec
leur britpop à tendance glam, allant même, reconnaissance suprême, jusqu’à partager
un titre avec David Bowie. Et donc, fidèles à eux-mêmes, avec une obstination
qui force le respect, ils intitulent leur disque « 1973 », millésime
glam de référence …
Bon, en fait non … Compteurs à zéro, on reprend.
Comme Nirvana, Placebo fait partie des groupes
connus dans les nineties, et qui ont eu une formation homonyme qui a sévi avant
eux. Les Placebo dont au sujet duquel je vas vous entretenir sont un groupe de
jazz fusion belge. Jazz … fusion … et belge … on est mal, chef, on est mal …
Et après écoute minutieuse, je confirme, on est mal.
Bon, faut un peu relativiser. Dans ce genre, des rondelles pires, j’en ai
connues. Ici, on est face à une famille nombreuse souvent fortement marquée par
Blood, Sweat & Tears, vous savez cette fanfare pléthorique de
« techniciens » fondée par Al Kooper. Le Al Kooper de Placebo il
s’appelle Marc Moulin, Belge de son état, et contrairement à Kooper,
il partira pas avant d’avoir fini d’enregistrer le premier disque, Moulin,
c’est l’âme de Placebo, c’est lui qui compose et arrange tous les titres. Douze
personnes figurent au générique de « 1973 » dont cinq cuivres au
assimilés (une clarinette), une paire de bassistes (qui se remplacent au fil
des titres) un trio de batteurs (ils ont souvent deux sur les titres), un
guitariste (sur un seul morceau, fans de Jimi passez votre chemin), et donc le
Moulin susnommé aux claviers et synthés.
A la louche, y’ a deux lignes directrices dans cette
rondelle. La première, voir plus haut, c’est en gros Blood, Sweat & Tears
qui aurait plus ou moins abandonné ses accents rhythm’n’blues pour aller
fouiner du côté du jazz fusionné par Miles Davis et tous ses disciples,
malheureusement fort nombreux à l’époque. Et comme en ces temps-là, on
raisonnait en termes de face vinyle, quand on retourne le plastoc noir, on a
des titres pour faire simple plus atmosphériques (le dernier « Re-Union »
est l’œuvre de Moulin seul avec ses machines, et ça évolue entre Floyd planant
et machins plus invertébrés genre Tangerine Dream).
Marc Moulin
Moi j’aime bien (on se refait pas, hein) le seul
titre où on entend une guitare, « Polk » il s’appelle, le gratteux
joue funky, ça ressemble à du Curtis Mayfield (la B.O. de
« Superfly »). Sur cette face-là, « Red Net » est
supportable, rythme alangui, genre comédie musicale triste. « Only
nineteen » soit j’en dis rien, soit du mal …
Revenons à la première face. « Bolkwush »
c’est du Blood etc … instrumental (comme sur tout le disque, personne ne se
hasarde à pousser la goualante derrière le micro, ça vaut peut-être mieux ainsi)
dans la formule sonore, sans le côté soul et rhythm’n’blues des Ricains,
« Temse » me paraît avec ses deux batteurs synchrones comme une
visite du côté des rythmes motorik chers aux groupes teutons de l’époque, sauf
que la famille nombreuse de cuivres vient parasiter tout le machin. On a droit
à un titre live (« Phalène »), bonne surprise parce que c’est cool,
construit, sobre, et surtout sans les farineux solos tous azimuts de mise dans
le genre. « Balek » qui suit, c’est quasiment à l’opposé un machin où
beaucoup de monde joue en même temps, mais pas forcément ensemble.
A noter que ce « 1973 » a bénéficié d’une
réédition cossue (vinyle 180 grammes) par le label Music On Vinyl, spécialisé généralement
dans les œuvres « culte », c’est-à-dire de prétendus chefs-d’œuvre
oubliés qu’il convient de réhabiliter en grandes pompes sonores. Il me semble pas
que « 1973 » réponde à tous ces critères, son écoute va pas provoquer
des épiphanies de masse.
Quant à ce Placebo-là, sa carrière sera brève, trois
ou quatre ans pour trois disques, et malgré la parution d’un disque live et
d’un album tribute par d’obscurs jazzeux belges (?) ces dernières années, son
parcours est bel et bien terminé, son âme Marc Moulin étant décédé après avoir
eu une petite célébrité dans les 80’s grâce à Telex, groupe pastiche des
groupes à synthés fort en vogue à l’époque …
Au commencement, furent donc les punks. Les
provocateurs anars (Sex Pistols), les politisés (Clash), les working class
heroes (Jam), les infréquentables (Stranglers), … mais le gros des troupes
(tous les autres), c’était plutôt un ramassis de bas-du-front, philosophes de
comptoir bourrins moulinant un boucan vaguement hardos, témoin l’inénarrable
« If the kids are united then we'll never be divided » des non moins
inénarrables Sham 69. Mais tout ça, c’est à Londres que ça se passait.
Les ploucs de province, ils devaient attendre de
voir dans leur bled un concert de leurs idoles londoniennes, quand il était pas
interdit par la municipalité. A Manchester, une bande de gamins va se faire
électrochoquer par un concert des Pistols, et monter dans la foulée leur
groupe. Buzzcocks ils s’appelleront. Tout juste sortis de l’adolescence, ils
mettront en accords saccadés toutes leurs frustrations, d’être prolos, moches,
boutonneux, derniers de la classe, pas sportifs, et donc enchaînant les râteaux
auprès des lycéennes (voir leur extraordinaire « Orgasm addict »,
manifeste définitif des frustrations pubères).
Howard Devoto
Allez savoir pourquoi, la presse va s’enticher de
ces quatre couillons de province et d’à peu près toute la litanie des groupes
de la vague punk, ils seront les seuls à hériter du qualificatif de groupe
« culte ». Perso, et c’est pas faute d’avoir essayé, j’ai jamais
compris pourquoi. Sympa assez souvent, mais pas de quoi se relever la nuit …
Les Buzzcocks, ils existent encore (la bataille avec
les Stranglers pour être le plus vieux groupe punk du monde fait rage), plus
vraiment, évidemment, dans la légendaire composition d’origine. Les Buzzcocks
originaux, ceux du second mitan des seventies, ils étaient menés par Pete
Shelley et Howard Devoto.
Pour des raisons qui m’échappent et que j’ai jamais
vraiment cherché à connaître (si ça vous intéresse, il doit y avoir la réponse
sur Wikimachin), Devoto va quitter les Buzzcocks pour monter sa petite
entreprise, Magazine, dont ce « Real life » est la première rondelle.
Rondelle dont les mêmes qui trouv(ai)ent les Buzzcocks géniaux affirment sans
barguigner qu’il s’agit de Tables de la Loi du post-punk … Ma foi, s’ils le
disent …
Qu’oyez-vous dans « Real Life » ?
Plein de choses qui partent dans tous les sens, parfois en dépit du bon (sens).
L’on vous dira que le titre majeur de « Real Life », c’est
« Shot by both sides » et que c’est l’alpha et l’oméga musical de
cette fin de décennie. C’est ma foi un fort bon single de pop énergique, mais
comme il en sortait des brouettes tous les mois à cette époque-là. Non,
l’intérêt majeur de la rondelle, c’est pas « Shot by both sides »,
c’est plutôt l’envie d’aller voir « ailleurs », de fuir la mécanique
simpliste du boucan punk basique.
Magazine
Déjà, Devoto, il soigne (enfin façon de parler, voir
des photos de lui à l’époque de « Real life » donne plutôt envie de
rire que de se pâmer devant tant d’originalité capillaire et vestimentaire) son
look. En gros, comme il est fan de Brian Eno, il le singe dans sa période Roxy
Music (en fait il ressemble à un figurant de « Phantom of paradise »,
ce qui était original en 72, et beaucoup moins à la fin de la décennie). Il y a
dans « Real Life » (en filigrane, revendiquer ça en 78, y’avait de
quoi finir avec du goudron et des plumes) l’influence du krautrock, tous ces
groupes allemands défoncés, planants, et vaguement anars, ou leur proche cousin
anglais, le Van der Graaf Generator de Peter Hammill.
Il y a aussi dans « Real life » ce qu’avec
le recul il fut bien considérer comme un bon casting, avec notamment le futur
guitariste des Banshees John McGeosh (guitar hero de la new wave et influence
majeure de Robert Smith), et le bassiste Barry Adamson (futur Bad Seeds de Nick
Cave et auteur d’une litanie de disques solo aventureux et expérimentaux). Il y
a aussi des points faibles. En premier lieu, la voix de Devoto, comment peut-on
envisager de passer derrière le micro avec des cordes vocales pareilles, ça
fait mal aux oreilles … Niveau compos, on est loin des fulgurances des
Buzzcocks passées et à venir. Ici, même si on a deux titres co-écrits avec
Shelley (dont le très buzzcockien « Recoil »), le reste selon comment
on l’envisage, fait preuve d’ouverture ou part dans tous les (mauvais) sens.
Perso, je trouve intéressant le début du disque,
« Definitive gaze » (jolie intro, bon titre pop, et malin gimmick de
synthé), suivi par les déjà cités « Shot by both sides » et
« Recoil » (au sujet de ce dernier, existe-t-il un lien avec le
groupe du Depeche Mode Wilder en solo, y’a rien à gagner à fournir la réponse).
Se glisse au milieu de ce tiercé majeur « My Tulpa » qui avec sa
grosse ligne de basse fait penser aux Stranglers, avant un pénible final avec
sax free en avant. « The light pours out of me » quant à lui force
sur l’aspect martial pour pas dire pompier …
Pas mal de choses ne font pas avancer le schmilblick
« Burst » avec son intro pompière et qui balance ensuite entre les
pires horreurs de Genesis et un final en version stridente du « Space
Odditty » de qui vous savez (et si vous savez pas, vous gagnez un
exemplaire dédicacé du dernier bouquin de Philippe le Jolis de Villiers de
Saintignon, le fou qu’est tombé dans le Puy). « The great beautician in
the sky », sorte de valse flonflonneuse donne envie de lâcher l’affaire
pour écouter un bon vieux Pogues.
Reste une paire de titres intéressants,
« Motorcade », seul titre « à guitares », rapide et
bruyant, et la ballade finale (« Parade »), intro calme au piano,
mélodie torturée ensuite.
« Real life », c’est pour moi le genre de
disque surestimé, cité par tous les « connoisseurs » arty. On peut
certes lui reconnaître une tentative de rupture avec tout le punk bas-du-front
qui commençait à se multiplier et une ténue influence sur la cold wave – new
wave à venir. On peut aussi lui reprocher (et c’est pas rien) la
grand-paternité de tous les poseurs prétentieux munis de synthés qui vont
fleurir dans l’Angleterre du début des 80’s. Magazine (une décennie) et Devoto
seul ensuite (jusqu’à aujourd’hui) ne déchaîneront jamais vraiment les foules
Et non, le disque-référence post-punk, c’est pas
« Real life », il faut pas chercher du côté de Devoto, mais plutôt de
celui d’un certain John Lydon (anciennement Rotten), responsable avec les deux
premières rondelles de P.I.L. de déflagrations bien plus majeures …
« Staring at the sea » est la première « vraie »
compilation des Cure. Quand elle sort en 86, sont déjà parus un maxi 45T 4
titres (« The singles ») réservé au marché des Antipodes (Australie
et Nouvelle-Zélande), qui coûte une blinde aujourd’hui et un mini 33T
(« Japanese whispers ») reprenant les 45T et leurs faces B de fin 82
à fin 83 (une année où The Cure - Robert Smith ne faisait paraître que des
singles, on y reviendra). Sans oublier la vraie – fausse compile « Boys
don’t cry » destinée aux retardataires qui n’auraient pas acheté le
premier disque et sur laquelle on retrouve la plupart des titres de
« Three Imaginary Boys » ainsi que des machins sortis en 45 T.
1978
« Staring at the sea » (17 titres) est la version Cd de
la compilation, « Standing on the beach » la version vinyle (13 titres),
les deux titres reprenant les premiers vers de leur désormais mythique premier
single « Killing an Arab ». Pour les complétistes et pour en finir
avec cette intro encyclopédique, la version de « Standing on the
beach » en K7 double durée incluait une dizaine de faces B de 45T (je l’ai,
faire offre).
« Staring at the sea » est donc paru en 86. Autant être
clair, pas vraiment dans un but philanthropique. Contre toute attente, le
groupe venait de cartonner au niveau mondial avec la rondelle « The head
on the door » et Fiction (label) et Polydor (distributeur) vu l’histoire
du groupe et la personnalité euh … comment dire, instable de son leader, ont
jugé opportun de faire passer les fans à la caisse et de remplir les leurs, de
caisses … Parenthèse, plus de quarante-cinq après sa formation Cure existe
toujours (certes en pointillés) mais remplit vite fait les stades chaque fois
qu’il en prend le chemin, et y reste sur scène minimum trois heures …
«
Staring at the sea » est une compilation. Classique, basique. Tous les
titres (sous leur forme single) par ordre chronologique de parution, zéro
inédit, live, remix … Le fan de base avait déjà tout ça, par contre pour le
commun des mortels, et au vu du caractère assez chaotique du groupe, c’est une
bonne entrée en matière. D’autant plus qu’à l’exception de rares bons titres parus
plus tard (« Why can’t I be you », « Lullaby »), on a
quasiment un best-of du groupe, aujourd’hui en route pour sa cinquième décennie
d’existence.
1982
Même s’il a monté ses premiers groupes quand il était
ado, Robert Smith est trop jeune pour être un des gars qui comptent dans le
mouvement punk. Les choses sérieuses commencent en 1978, quand à la fin de
l’année Cure enregistrent leur premier single, « Killing an Arab »,
typique du post-punk (ou de la new wave, appelez ça comme vous voudrez). Intro
arabisante, batterie syncopée, striures de guitares, chant dans les aigus, musicalement
on est beaucoup plus proche de Siouxsie & the Banshees ou Wire que des Pistols
et du Clash. « Killing an Arab », dès sa sortie a fait le bonheur de
quelques skinheads d’extrême-droite (pléonasme). Evidemment il ne serait pas
venu à l’idée de ces incultes que le titre puisse être inspiré par
« L’étranger » de Camus que Robert Smith avait lu en V.O., en
français donc (Fat Bob apprécie la France et sa culture, le groupe y fera de
longues et nombreuses tournées, y enregistrera parfois ses disques, et y en
vendra beaucoup …). Le premier 33T (« Three imaginary boys », The
Cure est un trio) suivra. Album juvénile, inégal, que le Roberto n’aime pas
beaucoup à l’image de la reprise déconstruite du « Foxy Lady »
d’Hendrix, qu’il dit détester (peut-être parce qu’exceptionnellement dans
l’histoire des Cure, ce n’est pas lui qui la chante, mais le bassiste Michael
Dempsey). Par contre on trouve sur « Staring … » un des titres
emblématiques du groupe « 10 : 15 Saturday night », sorte de
rockabilly mutant au ralenti (genre « Fever » de Presley), avec son
solo de guitare (Smith est considéré comme un guitariste original et inventif,
très souvent bien classé dans les listes de guitar-heroes, alors qu’il ne s’est
jamais pris pour un virtuose de la six-cordes). Un single qui ne figure pas sur
l’album paraît ensuite, « Boys don’t cry ». Bide retentissant, qui
n’aura du succès que lors de sa réédition en 1986, surfant sur la vague de la
Curemania. Pourtant, c’est un des meilleurs sinon le meilleur titre de Smith.
Grand titre pop, mélodie imparable, superbe gimmick de batterie calée sur la
ligne de basse, … un morceau qui reste quand même atypique du groupe.
1983
La suite immédiate verra Robert Smith partir dans tous
les sens, voire en vrille. Pour plusieurs raisons, son groupe n’a pas grand
succès, le Roberto qui a toujours aimé téter les bouteilles commence à
s’attaquer à des drogues moins légales et plus violentes, et puis il a envie
d’aller voir ailleurs. Il va finir par faire des piges chez Siouxsie & The
Banshees (il est très pote avec le bassiste Steve Severin et vénère le jeu de
leur guitariste John McGeoch) pour la seconde fois (chaque fois que le
guitariste se casse c’est lui qui le remplace), et pendant une paire d’années
est au moins autant membre des Banshees que de Cure.
Parallèlement à ses piges guitaristiques, Cure va évoluer.
La formation va se stabiliser en trio (avec Dempsey à la basse et Tolhurst à la
batterie, la formation dite « royale »), le look « Robert Smith »
(cheveux crêpés, fond de teint blanc, rouge à lèvres, fringues généralement
noires deux tailles au-dessus, baskets délacés) va s’affiner, et un son Cure va
se mettre en place (dense, bruyant, oppressant, voix hurlée dans les aigus) et
des thématiques (noires, sombres, cold, glaciales, gothiques, appelez ça comme
vous voulez) monopoliser les textes. Les trois albums
consécutifs (Seventeen seconds » - « Faith » -
« Pornography ») seront considérés par beaucoup (mais pas par Robert
Smith) comme la trilogie « glaciale » du groupe. Radicalité sonore et
des textes, et radicalisation des fans qui commencent à copier le look de
Smith. Il y a aura bien des singles extraits de ces disques (un ou deux max
pour chacun) qui auront bien du mal à trouver leur public, pour employer la gentille
métaphore de rigueur.
Smith, toujours au moins bourré, est quand même tout sauf
un dilettante. Il se rend compte qu’il va vers l’impasse psychologique et
artistique (selon ses dires, pas forcément à prendre au sérieux, l’enregistrement
de « Pornography » était une alternative à son suicide) et va faire
bouger les lignes de façon une nouvelle fois radicale, au grand désespoir de
ses premiers fans corbacs.
Un single, « Charlotte sometimes », enregistré
avant « Pornography » remet en avant la mélodie et les notions de
couplets-refrains qui avaient tendance à disparaître au profit d’un magma
sonore uniforme. Cure va devenir un duo (Smith, Tolhurst) et s’engager dans des
horizons sonores beaucoup plus dégagés, bien souvent à base de mélodies aux synthés.
1986
Tout devient beaucoup plus « léger » tant sur
le fond que la forme, les parutions ne se font plus qu’en 45T, et de nouveaux
fans aident ces titres à grimper dans les charts. Ces morceaux sans lien
conducteur permettent à Smith de se « lâcher », passant de la pop bubble-gum
(« Let’s go to bed »), à l’eurodance à machines (« The
Walk »), à la facilité guillerette (« The Lovecats »), jusqu’à
l’expérimental mélodique (« The Caterpillar » et son piano pompé sur les
parties de Garson avec Bowie). Cette période « singles » occupera la
fin de 82 et l’année 83.
Et puis, nouveau changement de cap avec succès cette fois
mondial à la clef. Ce sera l’album « The head on the door », étonnant
patchwork de tout ce qu’à fait Cure jusque là. Deux titres pour les charts
noyés dans un retour aux atmosphères très dark. Le sautillant « In between
days » et le minimaliste « Close to me » (malheureusement ici
dans sa version la plus commerciale, c’est-à-dire avec section de cuivres
festifs sur la fin), seront les locomotives du 33T. Dès lors, la Curemania
version 2.0 est en marche …
Conclusion : le titre n’est pas trompeur, cependant même
si elles n’ont pas été exemptes de revirements sonores, les premières années de
Cure ont tout de même été plus homogènes que ce que ce disque laisse entendre …
S’il ne fallait garder qu’un disque des Who, pas
besoin de réfléchir longtemps, c’est celui-là … Parce que c’est leur meilleur,
bien loin au-dessus de tous les autres (des leurs, et aussi de pas mal de leurs
concurrents). La faute aux années 60, qui privilégièrent longtemps les singles,
et bien que les Who en aient sorti de fameux, comme ils ne se retrouvaient pas
sur les 33 T, ceux-ci en pâtissaient … la faute à Tommy, cet opéra-rock
mythique, mais boursouflé par des prétentions symphoniques et pompières (au
moins une heure à jeter sur cette foutue rondelle), que le groupe s’entêtait à
rejouer le plus souvent en intégralité sur scène …
La scène où pourtant ils étaient les meilleurs …
mais le fulgurant « Live at Leeds », dont il existe autant de
versions que de rumeurs sur ses lieux et conditions d’enregistrement a été
partiellement « arrangé » en studio, et les Who ont manqué le
rendez-vous avec l’Histoire à Woodstock, où se sont construites tant de
légendes (« Woodstock est le pire concert que les Who ont donné de toute
leur carrière » dixit Daltrey)… et tout cela, Townshend le sait et veut que son
groupe frappe un grand coup. Il a un concept, un projet, une idée, celle de
faire le disque de rock ultime. Qui ne serait que la partie émergée d’un
iceberg où il est question de spectacle total, le groupe sur scène, une troupe
de comédiens, et un film en arrière-plan centré également sur le groupe. Nom de
travail du projet : Lifehouse. Qui sera a minima un double album.
Les Who à l'apéro chez Keith Moon
Dans le groupe personne moufte. Ni Daltrey, qui
n’est que le chanteur des mots du Pete au grand nez, ni Entwistle, bassiste par
définition taiseux, ni Keith Moon, trop occupé à bambocher pour s’occuper
d’autres choses. Y’a juste un souci, enfin deux. Leur manager Kit Lambert, veut
exploiter le filon « Tommy » jusqu’au trognon. Son but est d’en tirer
un film, que modestement il compte réaliser. Faut juste trouver le pognon et
les acteurs, pas grand-monde se bouscule, mais lui y passe tout son temps et
veut que les Who s’impliquent toutes affaires cessantes dans son projet. Second
problème, Townshend lui est complètement obnubilé par « Lifehouse »,
a la tête remplie des concepts fumeux, forcément fumeux de son
précepteur-gourou indien Meher Baba, et l’estomac rempli de Rémy Martin qu’il
ingurgite à doses pantagruéliques, ce qui n’aide pas à avoir les idées claires.
Contre l’avis de Kit Lambert, les Who investissent
en Février 1971 un petit théâtre londonien (le Vic Theatre), où, trois soirs
durant, ils vont jouer live les deux douzaines de titres de nouveau répertoire
de Townshend, « Lifehouse », première approche du projet multimédia
global conçu par Townshend. Lequel, détruit physiquement par la bibine, finit
par sombrer psychologiquement. Lambert en profite pour reprendre la main,
dresse le constat que ni « Tommy » le film, ni « Lifehouse »
l’opéra-rock, n’avançant, il serait peut-être sage de revenir à quelque chose
de plus simple, un disque des Who. Les meilleurs titres écrits par Townshend et
déjà joués au Vic Theatre constitueront le nouveau Who. Durant le printemps 71,
le groupe est envoyé au Record Plant de New York en compagnie de l’ingé-son et
producteur Glyn Johns. Même si sur les crédits, il n’assure que la
co-production avec les Who, Pete Townshend reconnaîtra plus tard que c’est Glyn
Johns qui a fait la plus grosse partie du boulot. Et quel boulot !
S’il fallait définir comment doit sonner un groupe
de rock sur disque, c’est « Who’s next » qui doit servir de
référence. Une rythmique à deux têtes, la rigueur caoutchouteuse d’Entwistle
vient en contrepoint du tabassage insensé de ses fûts par Moon, Townshend se
multiplie aux guitares, tant électriques (Gibson Les Paul, Fender Stratocaster,
Gretsch), qu’acoustiques. Car souvent perçu comme un disque violent,
« Who’s next » comporte beaucoup de parties acoustiques, faisant
encore plus ressortir lorsqu’ils surgissent les riffs dévastateurs. Et
par-dessus tout ça, la voix de Daltrey qui n’a jamais aussi bien chanté et qui
pose des parties vocales extraordinaires sur chaque titre.
La musique de « Who’s next » est en
quasi-totale rupture avec ce que le groupe a enregistré jusque là. Finis les
embarrassants errements opératiques de « Tommy », et au placard
également tout l’attirail mod des débuts. Townshend ne se limite plus à
l’Angleterre (les fringues et guitares floqués de l’Union Jack, de toutes façons
sur ce segment difficile de faire plus british que les rivaux Kinks), pas plus
qu’à la soul et au rhythm’n’blues américains qui avaient donné lieu sur leurs
premières rondelles à quelques reprise pas toujours heureuses. Pour
« Who’s next », Townshend se situe dans la lignée de ses plus grands
titres (« My generation », « Substitute », « Pictures
of Lily », « The kids are alright », « Happy Jack »,
…).
Février 71 : The Who live at Young Vic
Townshend a un vice caché. Il est estomaqué par les
performances de Terry Riley, un des maîtres de la musique sérielle (ou
répétitive selon l’angle selon laquelle on l’envisage). Il a tartiné à un doigt
sur un synthé (l’ARP) une « pièce » de 9 minutes. Une partie de ce
titre sera l’intro du disque sur le premier morceau « Baba O’Riley »,
référence transparente à ses deux « maîtres » Meher Baba et Terry
Riley. Première minute plus qu’audacieuse pour les Who et pour l’époque, mais
quand la batterie de Moon surgit suivie par une partie chantée fabuleuse de
Daltrey, le tout servi par un son colossal, on sent que pendant presque trois
quart d’heure il va se passer un truc … « Bargain » suit. Les Who ont
enregistré 9 versions finalisées de ce titre. C’est la prise la plus électrique
qui est retenue. Les gros riffs de Townshend sont joués sur une Gretsch, cadeau
de Joe Walsh (du groupe proto hard James Gang, et futur Eagles). Démarche
inverse pour « Love ain’t for keepin’ », où les grosses guitares
hardos de la maquette sont remplacées par des parties acoustiques (comme du Led
Zep celtique et lyrique, période « III »). Quatrième titre et
« intermède » signé Entwistle « My wife », où le massif
bassiste se taille la part du lion (piano, basse, trompette et chant). Un titre
à des années-lumière du reste de l’album qui bizarrement s’y intègre
parfaitement, respiration légère après un une première triplette tonitruante.
La première face du vinyle original s’achève avec « The song is over »,
à mon sens le titre le plus ambitieux jamais écrit par Townshend (on oublie les
bouses symphoniques de « Tommy »). Le groupe est renforcé par Nicky
Hopkins au piano. Avec sa dizaine de « sections » tout au long de ses
six minutes, c’est un titre injouable sur scène (les Who ne s’y sont jamais
essayé), et c’est par sa construction le plus grand titre de prog jamais gravé,
un monument dans la lignée du « 21st Century Schizoid Man » de King
Crimson (ou du « Pet sounds » des Beach Boys).
Projet de pochette pour Who's Next
En retournant la galette, on débute par
« Getting in tune » (avec toujours Hopkins au piano) qu’on pourrait
prendre pour une gentille ballade quelconque avant que Moon défonce ses fûts et
change radicalement l’optique du titre. « Going mobile » est le plus
mauvais titre du disque (bon, il en faut un), il est juste excellent, avec ses
airs de rave-up brouillonne. Et comme un grand disque doit tenir la route d’un
bout à l’autre, les Who vont faire encore mieux. Deux de leurs quatre ou cinq
meilleurs titres jamais gravés concluent « Who’s next ».
« Behind blue eyes » est une balade ultime, commencée acoustique puis
transfigurée par les riffs dévastateurs de Townshend. Au départ, ce titre
devait être le premier single extrait. Ce single précurseur du disque sera
finalement une version raccourcie de « Won’t get fooled again ».
Single qui n’arrive pas à la cheville de la monstrueuse version de huit minutes
et demie qui clôt « Who’s next ». « Won’t get fooled again »
pour moi c’est peut-être bien le plus grand morceau de rock ever. Ecrit comme
le contrepoint du mythique « My generation », c’est le dernier clou
sur le cercueil des années soixante, on voulait tout changer, on s’est fait
entuber, mais gaffe, vous nous baiserez plus. Une autre partie du titre sériel
à l’ARP l’introduit, genre réplique-miroir de « Baba O’ Riley »,
avant que Moon et Townshend du haut de son meilleur riff viennent installer une
puissance de feu croissante et inexorable pendant plus de six minutes. Quand
les notes d’ARP reviennent, ne pas entretenir l’espoir qu’on se dirige vers un
final pianissimo. La batterie herculéenne de Moon, le riff suramplifié de
Townshend et un chant littéralement hurlé de Daltrey explosent à nouveau les
haut-parleurs. Remarque toute perso, tant par sa durée que sa construction
(même si le propos n’est pas le même), « Paradise City » des Guns
N’Roses est le titre qui se rapproche le plus de « Won’t get fooled
again ». Pas un hasard si ce titre est aussi de très loin le meilleur de
la bande de à Axl Rose et Slash.
« Who’s next », évidemment il fallait
l’avoir en vinyle. Enfin, pour ceux qui avaient la chance d’être ados dans les
seventies, et donc le malheur d’avoir les cheveux blancs aujourd’hui (pour ceux
à qui il en reste, des cheveux). Evidemment, outre les multiples rééditions en
format d’origine (la mienne est un vinyle honteux de 78, pressage en 80
grammes), l’ère Cd a aussi pondu ses litanies de versions de « Who’s
next » (bizarrement à ma connaissance, pas de « reconstitution officielle
» intégrale du projet « Lifehouse », il vaut peut-être mieux, voir le
cas d’école « Smile » suite mythique du « Pet sounds » de
Beach Boys, qui quarante ans après sa parution initiale avortée, n’a pas
bouleversé grand-monde). Une des meilleures rééditions Cd (gros son, bonus,
livret instructif que j’ai pillé sans vergogne pour rédiger cette notule) est
celle de 1995. Sept titres supplémentaires (du live au Vic Theatre, les
premières versions de titres qu’on retrouvera sur des compilations et que les
Who ont joué en public dans les seventies, des maquettes de travail) ont le
mérite de prouver que le projet « Lifehouse » a bien fait d’être
abandonné, un double ou un triple album à la place de « Who’s next »
n’aurait pas eu le même impact …
Ethan Russell & The Who
Un mot sur la pochette. Initialement, ce devait être
une photo de Keith Moon, pas à une pochade douteuse près, en travesti SM. Cette
photo existe, elle a servi de support à des pubs dans la presse annonçant la
sortie du disque. La photo retenue est quasiment accidentelle, et relève aussi
d’un projet abandonné. Celui d’un pont devant supporter un axe routier, seules
quelques bases de pilier avaient été érigées en pleine nature du côté de Durham
(nord-est de l’Angleterre). Repéré lors d’un retour de concert, le groupe y est
revenu avec le photographe Ethan Russell (l’auteur des quatre portraits de la
pochette de « Let it be »). Beaucoup d’interprétations de cette
photo ont circulé. Il semblerait in fine que personne n’ait uriné sur cette
sorte de monolithe (juste de l’eau versée « artistiquement ») et que
l’allusion à Kubrick et à « 2001, Odyssée de l’Espace » soit purement
fortuite. L’idée de base était de retranscrire l’étrangeté de ce bloc de béton
au milieu d’une cambrousse désertique … les idées venues lors de la séance de
shooting ont fait le reste …
« Who’s next » sera le plus haut fait
d’armes des Who. Et surtout leur dernier, les années 70 auraient pu leur
appartenir, elles ne seront que le témoin de leur inexorable dégringolade
artistique. Si « Who’s next » n’est pas a minima dans votre Top Ten,
on risque de pas être d’accord …
Cela va sans dire, mais ça va pas plus mal en le
disant. Le Velvet Underground, groupe crucial s’il en fut, c’est Lou Reed et
les autres. Que ces autres s’appellent Andy Warhol, John Cale, Sterling
Morrison, Nico, Moe Tucker, Doug Yule ou qui on voudra, ce n’est pas leur faire
injure que d’affirmer que c’est Lou Reed qui a fait le plus gros du boulot, et
que tous ces titres, devenus mythiques du Velvet, c’est lui qui les a écrits.
Reed & Bowie 1972
Lou Reed a eu beau démontrer qu’il avait du talent –
beaucoup – il a aussi prouvé que c’était un mec pas très sympa, voire un
sale con. Après son départ du Velvet (trois disques et les compos du quatrième),
il a volé de ses propres ailes, signé en solo par RCA. Un premier disque
éponyme sera une des pires ventes de la vénérable firme. Faut dire que le
Velvet vendait très peu, quelle que soit son influence sur ses contemporains
(« le premier Velvet s’est vendu à mille exemplaires, mais tous les types
qui l’ont acheté ont monté leur groupe » dixit plus tard Brian Eno), Lou
Reed n’était qu’un musicien pour musiciens, selon la formule consacrée.
Parmi ses fans, l’Anglais David Jones, rebaptisé
Bowie. Qui dans l’été 72, triomphe (après des années de vaches soit maigres
soit faméliques), avec son double extra-terrestre Ziggy Stardust, et porte au sommet
des charts le concept musical de glam rock. Et maintenant qu’il a les moyens,
il se propose pour donner un coup de main à tous les gens dont il est fan.
Premier servi, Ian Hunter et son groupe Mott the Hoople à qui Bowie offre ce
qui sera leur seul grand hit, « All the young dudes ». Par
l’intermédiaire de sa maison de disques (RCA, ça tombe bien), Bowie propose de travailler
avec Lou Reed sur son prochain disque. Va savoir pourquoi, le misanthrope Lou
accepte (enfin, il a dû y avoir des pressions « amicales » du
management et de RCA), et Bowie s’envole pour New York avec le titre de
producteur de « Transformer », le prochain Lou Reed, non sans avoir
glissé dans ses bagages son guitariste Mick Ronson (crédité comme coproducteur),
et Ken Scott (assistant de George Martin période Beatles, producteur de
« Ziggy Stardust », il sera seulement crédité du mixage de
« Transformer », mais nul doute qu’il s’est beaucoup plus impliqué
que ce que disent les crédits de pochette).
Il y a du boulot. A même pas trente ans, Lou Reed
est déjà un has been. Il a certes des chansons en réserve, mais voir des
rosbifs débarquer et s’occuper de sa « carrière », ça le fait pas
sauter de joie. On imagine l’ambiance en studio et les séances houleuses.
D’ailleurs, une fois le succès de « Transformer » certifié, il ne se
privera pas pour épancher son fiel sur Bowie et son équipe. La routine …
Il est peut-être sorti pour le cinquantenaire du
disque une version en quinze CDs et huit Blu-ray sur les sessions de
« Transformer » (quand il s’agit de vendre pour la énième fois aux
fans une rondelle mythique, tous les prétextes et arguments foireux sont bons)
mais il suffit de la version Cd de 2002 avec juste deux « inédits »
(les démos acoustiques de « Hangin’ ‘round » et « Perfect
day ») pour voir qu’on était très loin du résultat final.
Incontestablement, Bowie, Ronson et Scott ont énormément apporté.
Certains titres sont stricto sensu du glam-rock
(« Hangin’ ‘round », calqué sur la reprise du « Round &
round » de Papy Chuck Berry par Bowie, « Make up » traité comme
les ballades du même Bowie, « Satellite of love » et son crescendo à
la « Rock’n’roll suicide », « I’m so free » glam-rock ou
plutôt rock-glam avec la guitare de Ronson très en avant). D’autres par contre
sont du pur Lou Reed, le boogie monolithique de « Vicious »,
« Perfect day », réminiscent des balades du 3ème Velvet,
la courte rigolade (enfin, rigolade et Lou Reed, vous imaginez le tableau, c’est
juste souriant) « New York telephone conversation », et Goodnight
ladies », voyage au bout de la nuit newyorkaise, comme une version
interlope du « Il est cinq heures Paris s’éveille » de Dutronc. Ce
dernier titre comme une sorte de contrepoint à « Walk on the wild
side ».
Ah, « Walk … », le genre de titres comme
on en écrit pas quatre dans sa vie (quand on s’appelle Lou Reed, pour quasiment
tous les autres, ça relève du rêve …). Portraits croquignolets de tous les
oiseaux de nuit qui hantent les rues mal famées de New York, les transsexuels
(Holly et Candy Darling), les prostitués défoncés (Joe) ou les défoncées tout
court (Jackie), une ligne de basse unique de Herbie Flowers (que Bowie
recrutera lors de sa carrière américaine de 75-76), les mythiques vers « but
she never lost her head, even when she was givin’ head », le tout pour un
des plus improbables titres à avoir jamais atteint le haut des charts.
Ronson est très présent (plus même que chez Bowie),
lui et le Ziggy font les chœurs, et le grand bonhomme du disque est la
révélation Herbie Flowers qui magnifie « Walk … » certes, qui dirige
« Andy’s chest » (hommage du bout des lèvres à Warhol), et joue de l’improbable
tuba sur « Make up ».
« Transformer » est un disque quasiment
parfait (un seul titre faible, « Wagon wheel »), avec sa pochette
devenue iconique tant son recto (la photo « ratée » de Mick Rock,
égarée parmi toutes celles qu’il présentait pour la pochette, c’est évidemment
celle que le Lou a choisie) que son verso du photographe Karl Stocker (la
mannequin anglaise Gala Mitchel et le pote de Reed Ernie Thormahlen avec sa
banane dans le jean).
« Transformer » boosté par « Walk
… », lancera la carrière internationale de Lou Reed, fera reconnaître tardivement
le Velvet (le concert français de « reformation » avec Nico et John
Cale l’année suivante). En 73 paraîtra l’autre grand classique de Reed,
« Berlin », beaucoup plus sombre et glauque qui assiéra définitivement
son statut de figure tutélaire du rock. Dès lors à l’abri du besoin, Reed
pourra laisser libre cours à sa mauvaise humeur (pour être gentil) légendaire,
faire paraître une litanie de disques où le très bon côtoie le sans intérêt,
avant un ultime chef d’œuvre (« New York ») à la fin des 80’s …
Oh misère ! … Comment le Cult en est arrivé là,
à sortir un machin calamiteux comme ce « Agents … » ?
What, qu’est-ce tu racontes, calamiteux, une
rondelle qui contient « (Don’t fear) the reaper » ? Yes,
affirmatif.
Bloom, Roeser, Lanier, Bouchard & Bouchard
Bon, on reprend au début … Je vous fais grâce du
néolithique supérieur du groupe (les premières traces des protagonistes, jusqu’au
Stalk-Forrest Group), tout se met en place sous le nom de Blue Öyster Cult en
1971, avec ce qu’il convient d’appeler la formation « royale »,
Roeser, Lanier, Bloom et les frangins Bouchard. Là, toutes les bonnes fées
new-yorkaises branchées de la rock-critique (Sandy Pearlman), de la littérature
(Richard Meltzer), du milieu arty (Patti Smith), … s’entichent de ce groupe
sombre, au parfum sulfureux (leurs textes, leur logo que certains ont cru
dérivé de la croix celtique chère aux fachos), aux disques brûlants comme du
métal glacé …
Certes, le BÖC se traînera pendant la première
partie des 70’s une réputation de groupe élitiste, moins facile d’accès que
Status Quo ou Kiss, mais leurs trois premiers disques (« Blue Öyster Cult »,
« Tyranny and mutation », « Secret treaties », chefs-d’œuvre
indispensables) feront froncer bien des sourcils (le rock et le second degré ne
vont pas bien ensemble, voir le cas d’école Queen), certains poussant même le
bouchon jusqu’à accuser le groupe de faire l’apologie des totalitarismes de
tout poil … Comme de bien entendu, un live point trop mauvais (« On your
feet or on your knees »), viendra clôturer en 1975 une première partie de
carrière irréprochable.
« Agents of fortune » va suivre. Déjà, la
pochette pique les yeux … ‘tain, c’est quoi cette horreur ? Pour le coup,
les coupeurs de cheveux en douze n’ont rien trouvé à y redire, mauvais signe … Même
si un disque, ça se regarde pas, ça s’écoute, pareil visuel, surtout comparé
aux quatre précédents, ça donne pas envie. Visuellement, on est donc en
dérapage incontrôlé, et musicalement, c’est encore pire. Alors que le BÖC était
volontiers rangé dans la catégorie hard-rock – heavy metal – machin truc, ils
entreprennent avec ce « Agents … » un virage marqué vers la pop et le
funky. En en utilisant les plus grosses ficelles sans en retenir l’essence. Je
m’explique. Une bonne mélodie ou une rythmique groovy n’ont jamais fait de mal
à une chanson, sauf qu’ici ça fait plutôt parti pris délibéré de coller à un
air du temps, d’adoucir, d’édulcorer une approche sonore, plutôt que choix
artistique assumé.
Le BÖC savait envoyer des gros riffs qui tâchent, et
ils ont encore la recette (l’inaugural « This ain’t the summer of
love », « E.T.I. »), mais très vite les claviers omniprésents de
Lanier (ou Roeser) viennent systématiquement « alléger » le propos
pour donner des choses frayant avec le pire du rock FM à venir (dans
« E.T.I. » arrive comme un cheveu sur la soupe un pitoyable refrain,
suivi d’un solo de guitare imbécile, brouillon et démonstratif à la fois). Le
BÖC se hasarde même à une sorte de power pop (l’ultime « Debbie
Denise », peut-être le plus gros naufrage musical de la rondelle, mais la
concurrence est rude), après s’être vautré dans le ridicule du funky de
supermarché (« Sinful love »), ou pire le grotesque jazz-rock de
contrebande (« Tenderloin »), et avoir marché sur les plates-bandes
de Tatie Elton (« True confessions », tout piano en avant, comme une
mauvaise chute de « Goodbye yellow brick road »).
Il faut signaler que c’est la première fois dans sa
discographie que le groupe est livré quasiment à lui-même, Meltzer a disparu du
générique, Pearlman se concentre sur la production et n’intervient que sur la
co-écriture d’un titre. Reste le cas Patti Smith. Ayant fréquenté de près le
groupe (Lanier, mais pas que), elle vient parler sur l’intro et faire quelques chœurs
sur « The revenge of Vera Gemini » (qu’elle a coécrit, tout comme
« Debbie Denise »). Un signe qui ne trompe pas sur l’égarement du BÖC,
l’apparition sur les crédits des frangins Brecker, remarquables cuivres de
sessions, complices attitrés de Steely Dan, c’est dire si on est assez loin du
Cult des débuts …
Chacun sa guitare à tous les rappels de concert
Qu’est-ce qu’il reste t-il donc à sauver sur
« Agents … » ? Ben, pas grand-chose. Un peu « This ain’t
the summer of love », son bon gros riff malgré son refrain de corps de
garde ; à peu près même verdict pour « E.T.I. » (pour
« Extra Terrestrial Intelligence », cosmos et mondes parallèles, une
des thématiques favorites du Cult), ; « Morning final » rappelle
au début « Last days of May », mais le titre est vite gâché par une
mélodie funky pop du plus mauvais effet. Reste le cas « (Don’t fear) the
reaper ». Thématique morbide sur fond enjoué, dûe à Buck Dharma (le pseudo
de scène de Donald Roeser, aux débuts du groupe, ils en avaient tous un, c’est
le seul à l’avoir conservé), une intro aussi facilement identifiable aux
premières mesures que celle du « Layla » de Clapton. Très gros hit du
Cult, tirant beaucoup plus sur la power pop que sur le métal froid des débuts,
et titre incontournable du groupe.
Une réédition Cd du début du siècle rajoute quatre
titres. La version originale de « Fire of unknown origin », sorte de
pop blues symphonique, qui donnera plus tard son titre à un album très
dispensable, la maquette déjà aboutie de « (Don’t fear) the reaper »
par Roeser en solo, un « Sally » vaguement swinguant, dispensable
mais meilleur que beaucoup de titres de « Agents … », et un « Dance
the night away » (rien à voir avec le titre de Van Halen) pleurnichard
avec piano en avant …
« Agents of fortune » est en rupture totale
avec ce que le groupe avait produit jusque là. Perso, c’est sans moi … La suite
poursuivra dans cette veine. L’autre gros hit du groupe, « Godzilla »
suivra bientôt, ainsi qu’une litanie de disques aux pochettes repoussantes et
au contenu idoine. Le groupe existe toujours, cachetonne (chèrement) en tête
d’affiche de festivals, avec pour rescapés de la formation originale Roeser et
Bloom, et n’est plus que l’ombre du groupe majeur qu’il fut à ses débuts …
Brian Eno, c’est pas un blaireau
(joke cycliste des années 80, désolé mais c’était trop facile). C’est tout le
contraire, le gars a du sang bleu dans les veines, son vrai blaze étant Brian
Peter George St. John le Baptiste de la Salle Eno, ça claque davantage sur une
carte de visite que Robert Smith ou Duran Duran …
Moebius, Eno, Rodelius & Plank 1977
Le Brian a commencé à se faire
connaître par ses extravagances sonores et vestimentaires dans les deux
premiers Roxy Music, avant de faire son Clapton et de quitter la bande à Bryan
Ferry une fois le succès arrivé. Suivront une poignée d’albums solo hautement
recommandables (concepts plutôt cérébraux, mais musique sous forme de chansons
très accessibles). Parallèlement à sa carrière solo, Eno collaborera avec
quelques extravagants de son acabit genre John Cale ou Robert Fripp, avant de
devenir producteur – éminence grise sonore de Bowie dans sa trilogie dite
berlinoise. Ce qui renforcera notablement sinon sa célébrité, du moins sa
notoriété.
Eno a dès le départ souvent crié
sur tous les toits son admiration entre autres pours ceux qu’on a parfois
qualifiés comme faisant partie de l’école minimaliste américaine (Terry Riley,
John Cage, Steve Reich, Philip Glass, …). Parallèlement, Eno a bossé avec deux
types de Cluster (prog électronique) aux noms sortis des BD d’Astérix (Moebius
et Rodelius), ainsi que leur producteur, Conny Plank. Ajoutez les plages
instrumentales des albums de Bowie (elles aussi sous influences krautrock), et
vous avez en gestation un cocktail sonore capable de faire fuir tout fan de
Status Quo normalement constitué. Le déclic pour « Ambient 1 Music for
airports » viendra lorsque Eno flippera sa race dans un terminal d’aéroport
à cause de retards de vols et de l’atmosphère anxiogène qui s’ensuivra (mes
correspondances, mes rendez-vous, …) parmi les passagers. Il imaginera donc une
musique anti-stress qui conviendrait parfaitement à ce genre de situation dans
les aéroports.
Musique pour salon de thé ? Eno 78
Bon, moi la musique d’aéroport,
ça m’évoque la première scène du « Lauréat », où la caméra suit un
Dustin Hoffman impassible sur un tapis-roulant électrique. Et le fond sonore c’est
« The sound of silence » de Simon & Garfunkel. Je suis pas un fan
acharné du nain et du grand bêta rouquin, mais autant être clair, je préfère
leur gentil folk baba au disque d’Eno. Qui n’est pas mauvais-mauvais, mais bon,
vous m’avez compris …
Et si vous avez pas compris,
je m’explique (brièvement, je vais pas passer cent ans à écrire sur cette
rondelle). « Music for airports », comme indiqué dans l’autre partie du
titre, c’est de l’ambient, c’est-à-dire un truc mélodiquement linéaire, pas de
structure rythmique, très peu d’instruments, très peu ou pas du tout de
paroles, et des claviers, de préférence électroniques … Eh, oh, il reste encore
quelqu’un ? …
Au cas où, continuons
vaillamment comme si de rien n’était la description de l’objet. Quatre morceaux
(pas de titres, numérotés dans l’ordre des pistes vinyles d’origine, à savoir « 1-1 »,
« 1-2 », « 2-1 », « 2-2 ») entre huit et seize
minutes, pour un total de trois-quarts d’heure. Et comme y’a davantage de place
sur le cd, 30 secondes de silence après chaque titre (même après le dernier)
celui-ci étant rallongé de trois minutes sur la rondelle argentée par rapport à
la parution originale.
« Ambient 1 … »
deviendra la référence absolue du genre auquel il donnera son nom, et générera
des multitudes de disques s’en inspirant (en gros tout ce qu’on peu regrouper
sous le terme de muzak électronique, musique d’ascenseur, chill-out music, …). Sauf
que tous ces papiers-peints sonores, ils sont là pour décorer, on les entend
mais on les écoute pas. On peut faire pareil avec le disque d’Eno (mais alors,
à quoi ça sert de jouer un disque qu’on écoute pas ? bonne question,
gamin, t’as gagné l’intégrale de Motörhead), sauf que les quatre titres sont
différents.
J'en ai une longue comme çà ... Vantard, Brian Eno ?
« 1-1 », le plus
long, reçoit le renfort de notamment l’auto-défenestré Robert Wyatt, sorte de
Coluche pataphysique et communiste, entre autres fondateur de Soft Machine et
responsable du seul titre écoutable (« Moon in June ») de leur
bouillasse « Third ». Il joue ici du piano (rappelons qu’il est
batteur) façon Pascal Comelade par-dessus les synthés d’Eno, et c’est beau (et
chiant) comme du Keith Jarrett période « Koln Concert ». Sur « 1-2 »,
seulement des nappes de synthés planants, sur lesquels se superposent des
vocaux (râles liturgiques genre gospel ou chant grégorien par un trio de
trisomiques). Troisième titre (« 2-1 ») et nouvelle juxtaposition,
cette fois de ces chœurs avec les synthés d’Eno sonnant comme des pianos
robotiques. Le dernier titre viendra clore les possibilités du mélange acoustique/électronique,
vocal/instrumental, à savoir des accords plaqués sur des synthés qui pour le
coup donnent l’impression (mais juste l’impression, ça ressemble pas à du
Slayer) d’être violents.
Bon, pour moi, le meilleur des
quatre c’est le premier, et les autres (effet de répétition, lassitude, mais
tout ça est peut-être le but, « oublier » d’écouter pour juste
percevoir le fond sonore), au fur et à mesure qu’ils défilent, ils me gavent
quand même un peu beaucoup … bon, j’ai jamais écouté (ou entendu) ce disque
dans un aéroport, mais il paraît qu’il est parfois diffusé dans des salles de réveil
de bloc opératoire …
A noter que « Ambient 1 … »
est paru (et réédité) sur le label E.G. Records, label roi du prog (celui de
King Crimson, ELP, de quelques rondelles de Genesis) autant de gens très
exigeants en matière de son. Ben, même en version Cd remastérisée, y’a un
souffle de mammouth sur « Ambient 1 … », et j’ose pas imaginer ce que
ça peut donner sur un vinyle d’origine …
Ah, et puis, Eno il en sortira
d’autres des ambient (au moins trois de plus il me semble) avant de devenir un
producteur très successful dans les années 80.
Conclusion, c’est (quasiment par définition) pas franchement
insupportable, mais, bon, suivant …
Ça tombe raccord, c’est la
période de cette fête à la con que les Amerlos nous ont refilé. L’occasion ou
jamais de dire tout le bien que je pense du meilleur film de Carpenter et de l’inégalé
chef-d’œuvre du slasher. « Halloween », c’est le film auquel on se doit
de mesurer quand on veut jouer dans la même catégorie, et depuis 1978, c’est
pas les candidats qui ont manqué …
Quand il met « Halloween »
en chantier, Carpenter a trente ans, un way of life de babacool, mais un background
« classique » pour qui veut faire carrière dans le cinéma (des études
dans la plus prestigieuse fac de cinéma de Los Angeles). Un court-métrage de
fin d’études, « Dark star » (qu’il rallongera plus tard pour le
sortir en salles) et un premier film underground (« Assaut sur le Central
13 ») constituent sa carte de visite pour démarcher les producteurs. Evidemment,
les chèques avec plein de zéros vont pas se multiplier, d’autant qu’il a avec
sa compagne de l’époque, la scénariste Debra Hill, envie de tourner un film d’horreur.
Irwin Yablans, un petit producteur indépendant lui file trois cent mille
dollars avec une condition, il doit s’agir de meurtres de baby-sitters.
Carpenter et Hill se mettent à écrire, sans résultat satisfaisant, jusqu’à ce
que le décidément très inspiré Yablans leur suggère que l’action se passe le
soir d’Halloween. Déclic de Hill et Carpenter (qui pose une condition, le film devra
s’appeler « John Carpenter’s Halloween », ce qui sera le cas lors de
sa sortie) couchent dès lors rapidement sur papier un scénario.
John Carpenter & Jamie Lee Curtis
Pas très épais le scénario. Un gosse
qui sans raison apparente à tué sa sœur à coups de couteau un soir d’Halloween
est interné et soigné comme une bête féroce. Il s’évade et retourne dans sa
ville semer terreur et cadavres à nouveau un soir d’Halloween, coursé par le
psychiatre qui s’occupait de son cas. En fait, beaucoup plus qu’une histoire, c’est
un univers que Carpenter va créer.
Tout d’abord celui du serial killer
fantomatique, qu’on aperçoit à peine, qui joue du couteau de cuisine et avec
les nerfs de ses victimes. Ses victimes sont jeunes, priorité aux jeunettes
délurées et peu farouches, et donc forcément leurs amoureux ont aussi bien du
souci à se faire. Instant critique, quand on est sous la couette et qu’on vient
de s’essayer à perpétuer l’espèce. Seul espoir de peut-être salut, être une
jeune fille vierge et ne pas céder à la gaudriole facile. Tous ses éléments
scénaristiques jetés dans « Halloween » un peu au hasard finiront par
devenir des axiomes de base dans tous les films qui s’en inspireront, témoin le
plus marquant, le quasi-plagiat qu’est « Vendredi 13 ». Autre passage
obligé du genre, la naïveté confondante des futures victimes, qui une fois le
danger aperçu, font tout pour se faire désosser, en dépit de toute
prudence et bon sens …
Le génie de Carpenter qui le
hisse au-dessus de tous ses suiveurs n’est pas seulement d’avoir rédigé les Tables
de la Loi du slasher (d’ailleurs les historiens de cette sous-catégorie de film
d’horreur citent comme premiers du genre « La baie sanglante » de
Mario Bava et « Black Christmas » du Canadien Bob Clark), mais d’avoir
réussi à faire un vrai film avec un scénario de court-métrage (tout « Halloween »
tiendrait maintenant en dix minutes d’un film gore au montage épileptique). Plutôt
que le choc des images, Carpenter joue sur l’ambiance, le suspense.
Tout petit, il aimait les grands couteaux ...
Par bien des aspects, « Halloween »
est un film au ralenti. Et Carpenter l’avoue sans ambages, il a étiré toutes
les scènes à la limite du raisonnable pour arriver à l’heure et demie
syndicale. Et c’est ce qui fait fonctionner le film. Un seul exemple, lorsque l’héroïne
Laurie traverse la rue pour aller à la maison voisine, on sait que ses copains
y ont été tués et que le psychopathe y est. On la suit pas à pas dans la semi-obscurité,
les synthés de Carpenter commencent à entrer en action (signe qu’il va se passer
quelque chose, ils annoncent jusque là l’apparition du tueur), et pour parcourir
vingt ou trente mètres la scène dure plus d’une minute. Pas d’effet jump scare
facile, pas d’ouragan de violons, juste l’angoisse sourde qui monte
inexorablement …
Et tout le long du film, c’est
cette lenteur qui entretient la pression. Le tueur avance à la vitesse d’un
zombie de Romero (dont le film éponyme vient de sortir), et semble aussi inarrêtable
dans son allure léthargique qu’un Terminator. Carpenter peut se permettre les
longues scènes parce qu’il utilise beaucoup (voire abuse) de la Panaglide, une
caméra portée ancêtre de la Steadicam, qui permet des plans-séquence en
mouvement, témoin la mythique scène d’ouverture en caméra subjective qui dure
plusieurs minutes (même s’il y a un raccord, quand la main attrape le couteau
dans un tiroir).
... et plus grand aussi.
L’inconvénient de cette
lenteur, et qui quelquefois dessert le film selon ses détracteurs, les lentes
montées en tension laissent le temps de tout observer minutieusement, et là on voit
tout, les faux raccords, les effets spéciaux fauchés, les incohérences à tous
les étages. La liste est longue. Quelques exemples. Des arbres bien verts à
Halloween (normal, le film a été tourné au printemps 78, et pour faire couleur
automnale, quelques feuilles mortes volent devant la caméra, sauf que quand le
cadre s’élargit, il n’y a des feuilles mortes qu’au pied des acteurs), un
interné classé extrêmement dangereux qui a dû apprendre à conduire dans sa cellule
capitonnée parce qu’il fauche et conduit sans problème des bagnoles, le même qui
a vachement de mémoire pour aller déterrer la pierre tombale de sa sœur mais
qui reconnaît pas son toubib quand il lui passe à côté en voiture, des poignées
de portes à droite à l’intérieur et à gauche à l’extérieur, des nuits qui
tombent très vite (deux filles discutent en plein jour en roulant, changement
de plan, elles ont fait quelques mètres et c’est nuit noire, de plus jamais
personne regarde dans les rétros pour voir qu’on est suivi, on fume un joint
portières fermées et quand on baisse la vitre devant le papa flic, il s’aperçoit
de rien ; le tueur poursuit sa victime, il est à quelques pas derrière
elle, et le plan suivant dans la continuité de l’action il est au moins à
trente mètres, dans quelques scènes on voit l’ombre de la caméra sur les murs, …
et que dire des face à face avec ce tueur dans le dernier tiers, tueur à qui on
laisse toutes les chances de se remettre des coups portés (faut dire que les
bestiau est solide, un chargeur de revolver en plein buffet ne suffit pas à le
dézinguer, ce qui laisse une fin ouverte et la possibilité des multiples suites
qui n’ont pas manqué d’apparaître, alors que c’était pas du tout le but au
départ, là le coup de génie est involontaire, Mike Myers ne peut pas être tué, parce
que selon Carpenter, il incarne le Mal )…
Jamie Lee Curtis
L’histoire de « Halloween »
est certes simple pour ne pas dire simpliste, mais surtout parce qu’elle est
exposée très méthodiquement. Premier acte, le jeune Michael Myers déguisé en
clown espionne puis poignarde sans raison apparente sa sœur alors qu’elle vient
de se faire sauter par son petit ami, et sort de la maison totalement hébété
son gros coutelas à la main. Séquence suivante, son psychiatre le docteur
Loomis part avec une infirmière le chercher dans son asile pénitentiaire pour l’amener
devant les juges des années plus tard. L’occasion de nous montrer l’extrême
dangerosité du Michael, qualifié de « mal absolu » par son
toubib. Orage, pluie, éclairs, tonnerre, une entrée d’hôpital avec des types en
camisole qui errent dans la nature. L’un d’entre eux malmène l’infirmière et
pique sa bagnole (facilement identifiable grâce à son logo sur la portière). On
devine qu’il s’agit de Myers. Troisième séquence, présentation de la jeune
Laurie Strode et de ses copines, lycéennes le jour et baby-sitters le soir.
Soit l’origine de la folie meurtrière du personnage, son évasion, et la
présentation de ses victimes. D’une clarté scénaristique imparable, pas besoin
de flashbacks, de personnages tiers qui racontent, lorsque apparaît Laurie, on connaît
tous les tenants et aboutissants.
Et malgré ses trois cent mille
dollars, Carpenter réussit à avoir une star, enfin un type connu, en la
personne de Donald Pleasance (rôle principal dans un Polanski mineur, et un des
Blofeld de la saga James Bond). Lequel Pleasance (c’est Carpenter qui le dit) a
trouvé son personnage nul, le scénario navrant et n’a accepté le rôle que parce
que sa fille avait adoré « Assaut … » et qu’elle l’a littéralement
harcelé pour qu’il rejoigne ce casting d’inconnus. L’autre star du film est une
débutante, Jamie Lee Curtis, fille du Tony du même nom et de Janet Leigh (l’inoubliable
Marion Crane de « Psychose »). Rien ne laisse supposer que c’est grâce
à la notoriété de ses parents que Jamie Lee a eu le rôle (d’ailleurs comme
toute l’équipe, pinceau en main, elle a participé à la décoration et au
blanchiment à la chaux de la maison des Myers pour la première scène). Et elle l’a
accepté faute de mieux, parce qu’elle déteste les films d’horreur, et des
années plus tard, alors qu’elle commente le film avec Carpenter elle est encore
très effrayée par les scènes qu’elle a portant tournées, ce qui déclenche l’hilarité
du réalisateur. Par contre elle avoue que malgré l’énorme succès du film (plus
de 200 fois la mise) elle a eu beaucoup de mal à trouver d’autres rôles devant
se contenter de la suite « Halloween II », de quelques autres rôles
dans des nanars d’horreur avant la réorientation à succès vers la comédie
topless (« Un fauteuil pour deux ») puis en soutifs (« Un
poisson nommé Wanda »).
Donald Pleasance
Le succès de « Halloween »
repose sur la lisibilité du scénario, la création du personnage de serial
killer implacable et indestructible, et toutes les astuces narratives qui
deviendront incontournables de tous les slashers qui ont suivi. « Halloween »
doit être le film le plus cité nommément ou subliminalement dans « Scream »,
et il me semble bien que la scène dans la penderie de « Blue Velvet »
est un copier-coller de celle de « Halloween », c’est dire si le film
de Carpenter a rayonné bien au-delà de la classification étroite dans laquelle
on a tendance à le cantonner.
L’autre touche de génie de
Carpenter c’est la bande-son. Lors des premières projections du montage final sans
partition musicale, juste les images et le dialogue aux distributeurs (la Twentieth
je crois), Carpenter s’est entendu dire que son film était trop lent et surtout
ne faisait pas du tout peur. Comme il avait pas les moyens de se payer un
orchestre, (merci Papa Carpenter qui était prof de musique et a initié son
fiston au maltraitage de gammes), Carpenter s’est fait son petit délire à la
Tangerine Dream (ou plus vraisemblablement Mike Oldfield pour le thème de « L’exorciste »),
tout composé avec des synthés lents et sinistres qui s’amplifient à mesure que
la menace et la tension à l’écran augmentent. Un procédé certes pas inouï mais
qui deviendra un incontournable des B.O. de tout film à suspens … A noter que
maintenant, à un âge désormais vénérable, Carpenter a depuis longtemps renoncé
à tourner des films, mais par contre il a enregistré des disques et monnaye
très cher ses concerts pour un public de fans venus écouter le thème de « Halloween »
…
Pour terminer, les cinéphiles
savent certainement que le film préféré de Carpenter est « Rio Bravo »,
et que ceux que l’on voit sur la télé dans « Halloween » sont « The
Thing » de Howard Hawks (dont Carpenter réalisera un assez bon remake), et
« Planète interdite », honnête série B d’anticipation de l’oublié
Wilcox (pas vraiment là par hasard je suppose, c’est un des premiers films
sinon le premier à être doté d’une musique entièrement électronique … en
1956 !).
Si « Halloween » est
un must absolu, assez logiquement ses très nombreuses suites ne vaudront pas
tripette, même si par intermittences, Carpenter, Pleasance et Jamie Lee Curtis
y reprendront du service …