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THE ROLLING STONES - STICKY FINGERS (1971)

 

Définir la décennie ...

Les Stones au début des 70’s sont quelque part, là, tout en haut. Parce que leurs amis rivaux des Beatles ont décidé que les egos ne sauraient s’accommoder de ratiocinations collectives, et ont laissé libre le titre de « plus grand groupe pop-rock-machin-truc … du monde ». Mais les Stones n’ont pas gravi l’Olympe sans quelques dégâts, leur lutin blond fondateur a fini au fond d’une piscine, et ce qui devait être leur consécration américaine (un festival organisé par eux, pour eux et autour d’eux) à Altamont a été un fiasco meurtrier. Et puis leur manager, l’escroc Allen Klein est parti avec la caisse, les droits d’auteurs et les royalties qui vont avec de leur catalogue des années soixante.

Jagger, Jimmy Miller, Richards & Watts

Et même si « Sticky fingers » fait partie de leur bloc discographique majeur qui va de « Beggars banquet » à « Exile on Main St », il marque un tournant. Economiquement, les Stones se prennent en main. Ils créent leur label, Rolling Stones Records, avec son célébrissime logo à la langue rouge. Musicalement, ils intègrent tout à fait officiellement Mick Taylor qui devient le cinquième Stones. Ce qui n’empêche pas tous les autres cinquièmes Stones (Ian Stewart, Bobby Keys, Nicky Hopkins, Jim Dickinson, Billy Preston, Jim Price, voire Jack Nitzche et Ry Cooder) d’être présents sur le disque. La même ribambelle d’ingés-son (Jimmy Johnson, Andy Johns, Chris Kimsey, Glyn Johns, ...) est toujours là, sous la supervision de Jimmy Miller à la production (et occasionnellement aux percussions).

La pochette de « Sticky fingers » est une des plus iconiques du rock. Signée Andy Warhol, gros plan pelvien avec vraie braguette sur les vinyles originaux (ce qui avait le désavantage de ruiner le dos du disque suivant dans l’étagère, qui si l’on était bien ordonné dans son rangement, était celle de « Exile … »). La braguette s’ouvrait laissant apparaître ce qu’on trouve derrière un jean, des jambes forcément et éventuellement un slip (ici, dans un coton très fin sixties – début seventies). Qui était le modèle ? On n’en sait officiellement rien mais Joe d’Allesandro (la connexion Warhol – Factory) a prétendu que c’était lui.


Le son et la direction musicale générale de « Sticky fingers » marquent aussi un tournant. Même si la patte de Jimmy Miller (ce brouhaha sonore qui donne l’impression que toutes les pistes se parasitent mutuellement et qui rend inefficace toutes les remasterisations possibles) est toujours là, le disque est au moment de sa parution le plus américain du groupe. On est dans le basique, dans une version « améliorée » de leurs premiers disques constitués de reprises. Finis les fanfreluches des arrangements de Brian Jones, les titres pop ou psyché ayant culminé avec respectivement « Aftermath » et « Satanic Majesties », remisés au placard les systématiques boogies en open tuning de Keith Richards dont est (trop) rempli leur live « Get yer ya-ya’s out », on se réoriente vers le blues, le rhythm’n’blues et la soul, souvent soulignés par des cuivres.

En ouverture de « Sticky Fingers », un des trois (cinq ? dix ?) titres essentiels des Stones, « Brown sugar ». Naturellement signé Jagger – Richards, mais en fait totalement écrit par Mick Jagger (fait très rare, sinon unique dans toute leur discographie). Un riff d’anthologie, suramplifié par le sax de Bobby Keys, et une merveille d’ambiguïté des paroles, peu consensuelles quelque soit l’angle sous lequel on les envisage (brown sugar, c’est une jeune beauté noire à la peau douce qui bosse dans une maison de passe, ou le surnom d’une certaine forme d’héroïne en argot américain).

« Sway » qui suit c’est la ballade virile, voire violente, qui vu son intro donne l’impression d’avoir été enregistrée live en studio (mais même si tel était le cas, le titre a été overdubbé par la suite). C’est l’occasion d’entendre aussi le premier solo sur le disque de Mick Taylor.

« Wild horses » est une autre ballade, dans le registre country-soul (les racines américaines du disque). Un des meilleurs morceaux du disque, avec un Jagger qui force dans les aigus, et se met en danger vocalement. A noter que c’est sur « Sticky … » et « Exile … » qu’il trouvera et définira son registre vocal, que depuis plus de cinquante ans il s’attache à reproduire, certaines fois de façon quasi caricaturale …

La pièce de bravoure du disque, c’est « Can’t you hear me knocking », pièce de bravoure et par sa longueur (plus de sept minutes, un des quatre ou cinq titres studio les plus longs des Stones), et par son final épique. Introduit par un des riffs les plus sauvages de Richards tout en saturation, mélange de plein d’influences sonores (rock, rhythm’n’blues, soul, gospel, …), et les deux derniers tiers du titre amenés par un fouillis percussif (Jimmy Miller), donnent lieu façon jam à un solo furieux de sax de Bobby Keys (soutenu par Jagger à l’harmonica), avant une démonstration virtuose de Mick Taylor qui signe là sa meilleure partie de guitare stonienne. Titre essentiel, archétype du « son » seventies des Stones, et évidemment une fois Taylor parti, peu ou pas joué en live, car sans faire injure à Keith ou Ronnie, ils ont pas le niveau pour entreprendre ce genre de solo …


La face vinyle se conclut par « You gotta move », antique blues des années 40 de (Mississippi) Fred McDowell et moultes fois repris depuis. Les Stones en livrent une version avec une approche sonore très voisine du traitement appliqué au « Love in vain » de Robert Johnson sur « Let it bleed ».

« Bitch » est un boogie « sérieux », violent, sans fioritures, aux riffs de guitare doublés par les cuivres (Bobby Keys et Jim Price). Pas le titre le plus imaginatif de leur carrière, mais le but n’était pas de faire preuve d’audace musicale, juste de montrer qui étaient les boss … et à ce jeu-là (les Stones qui font du Stones), ils n’ont forcément pas d’équivalents.

Et je maintiens cette théorie que les Stones de 71 font du Stones de la première moitié des années 60 - en mieux - à l’écoute de « I got the blues » qui semble un lointain cousin de « Heart of stone », un des premiers titres composés par Jagger et Richards, sur l’édition anglaise de « Out of our heads » en 1965.


« Sister Morphine », c’est avec « Brown sugar », l’autre titre de légende de la rondelle. Un peu la ballade des soins palliatifs, puisqu’elle évoque les appels désespérés du malade souffrant à son infirmière pour qu’elle lui injecte un peu de morphine pour soulager ses douleurs. Le titre avait été enregistré par Marianne Faithfull deux ans plus tôt en face B d’un de ses singles resté à peu près anonyme, et co-écrit avec Mick Jagger (elle les paroles, lui la musique). L’amour rendant souvent con, elle l’avait laissé paraître sous la signature Jagger-Richards. Ici il est repris par les Stones plus les accompagnateurs de la version originale, Ry Cooder à la slide magique et Jack Nitzche au piano. Ce titre est un classique absolu des Stones, mais ils le traîneront comme un boulet pour avoir spolié lors de la sortie de « Sticky fingers » Marianne Faithfull de ses droits d’auteur. Il faudra attendre de longues années pour que Lady Marianne apparaisse sur les crédits lors des innombrables rééditions du disque (à ce jour, le site de référence Discogs en recense la bagatelle de 587 versions).

« Dead flowers » est un intéressant patchwork sonore où se mêlent passé et futur des Stones. Le titre est un country rock assez classique (un genre musical plus américain tu peux pas), une orientation qui sous l’influence du nouveau pote de biture et de défonce de Keith, un certain Gram Parsons, sera au cœur des inspirations sonores qui aboutiront à la création de « Exile … ». Les traces de leur passé se trouvent dans le refrain très mélodique du titre, qui renvoie à leur période pop-chansons circa 66-67 (« Ruby Tuesday », « Out of time », « Under my thumb », …).


Le disque s’achève avec « Moonlight mile ». Et on peut pas dire que tout est bien qui finit bien parce que ce titre est à mon sens la sortie de route de la rondelle. Pas qu’il soit foncièrement mauvais, mais cette sorte de mantra avec arrangements de cordes rompt avec l’unité sonore de ce qui précède et renvoie à une période (celle de « Satanic Majesties Request ») qui n’est, doux euphémisme, pas la plus célébrée du groupe.

Avec « Sticky fingers », les Stones vont obtenir leur plus gros succès commercial depuis leurs débuts et confirmer leur position de rock band number one in the world. Effet domino, maintenant qu’ils gèrent en direct la partie financière de leur carrière, le fisc anglais va leur tomber dessus et leur réclamer des sommes faramineuses au titre de l’impôt. Ils choisiront l’exil fiscal pour échapper aux percepteurs, et se réfugieront dans le sud de la France pour enregistrer « Exile on Main Street », le successeur de « Sticky fingers » … Mais c’est une autre histoire …


Des mêmes sur ce blog : 


FLASH CADILLAC AND THE CONTINENTAL KIDS - FLASH CADILLAC AND THE CONTINENTAL KIDS (1972)

 

Sooner or later ...

Ils étaient pas forcément au bon endroit (le Colorado, c’est pas l’Etat qui a fourni le plus de musiciens célébrissimes), mais surtout ils étaient pas là au bon moment. Flash Cadillac & The Continental Kids (joke on ne peut plus ricaine, nom à base de bagnoles, la marque Cadillac et la Lincoln Continental, j’y connais pas grand-chose, mais je crois que c’est un mix des deux sur la pochette), ils ont commencé dans les seventies et ont eu leurs cinq minutes de gloire en tant que Herby and the Heartbeats (le groupe de la scène de bal dans « American Graffiti » le film de George Lucas).


Flash Cadillac, déjà en 72, ils regardent dans le rétroviseur. A peu près pile poil dix ans en arrière, soit vers 1962, époque, on nous l’a appris à l’école, où la musique américaine était pas au mieux. Les antiques pionniers de la fin des 50’s étaient soit morts physiquement soit, pire, artistiquement. Bob Dylan, les Byrds, la Tamla, Spector, … n’en étaient au mieux qu’à leurs premiers vagissements. Les charts étaient occupés par de jeunes (voire très jeunes) gens (blancs) BCBG, mêlant avec une précision d’experts comptables relents de doo-wop et restes de rock, et généralement prénommés Frankie (Avalon, Valli, voire Lymon bien que ce dernier soit – ô scandale – noir). C’est cette génération et cette époque qu’on voit dans au cinéma « American graffiti », et un peu plus tard dans « Grease ».

Donc Flash Cadillac etc … ils sont un peu dans un no man’s land revival, coincés entre Sha Na Na (sorte d’ancêtres américains de Au Bonheur des Dames, célèbres pour s’être égarés au milieu des hippies à Woodstock), et le revival rockab initié à partir de 75 par Robert Gordon et jackpotisé au début des 80’s par les Stray Cats. Les six Flash Cadillac sont soit des attardés musicaux, soit des précurseurs, en tout cas totalement hors sujet et à peu près sans équivalents dans l’Amérique du début des 70’s.


La descendance des teen idols est clairement affichée au verso de la pochette de ce disque, leur premier, avec une dédicace encadrée d’Annette Funicello, toute jeune star maison de Disney des années cinquante (en 72 en grosse perte de vitesse sinon oubliée), sorte de grand-mère virtuelle des Britney Spears ou Zendaya … Assez étrangement, alors que le décorum renvoie à de l’hyper consensuel, c’est beaucoup moins évident à l’écoute de « Flash Cadillac … ».

Quand ils donnent dans le rockabilly, ils font pas penser au gentil Ricky Nelson, mais plutôt au Johnny Burnette Trio (« Reputation »), voire à Eddie Cochran (« Nothin’ for me », étonnante de similitudes). Mieux, sur un titre comme « Endless sleep », Flash Cadillac etc … sonne en 72 comme les Cramps de 82. Faut fouiner dans les crédits (maigres, sur certaines rééditions, dont la mienne, y’a même pas les auteurs des chansons) pour trouver écrit en petit que le producteur de « Flash … », c’est nul autre que cette grande asperge déjantée de Kim Fowley, grand amateur de « coups » musicaux qui verra son obstination à truster le haut des charts par groupes (manipulés) interposés, obtenir le jackpot avec les gamines trashy et rock’n’roll des Runaways (Joan Jett, Lita Ford et consorts …). Pourquoi le groupe ou Epic, leur label, sont-ils allés chercher Fowley, mystère et boule d’opium …

Les Flash Cadillac ont beau être six, ils écrivent peu (à eux deux, le claviers et le guitariste ont signé trois titres sur douze). « Flash … » est donc surtout un disque de reprises. Et l’on s’aperçoit vite que c’est pas « l’authenticité » qui compte, mais plutôt la façon de sonner, de jouer qui importe. C’est léger, ludique, parfois trop, mais ça fait partie du concept. Les Flash Cadillac sont au rock’n’roll des origines ce que Madness des débuts sera à la musique jamaïcaine.

Côté loufoquerie, ça commence d’entrée avec la reprise de l’antique « Muleskinner blues (Blue yodel # 8) » vieille scie du countryman Jimmie Rodgers, reprise déjà de multiples fois (de Woody Guthrie à Dolly Parton qui venait d’en faire un hit national). Après le « Reputation » évoqué plus haut, les Flash Cadillac font un mauvais, très mauvais sort à « Crying in the rain », une des plus belles chansons du monde créée par les Everly Brothers. La filiation gaguesque avec Sha Na Na frappe les oreilles avec le sautillant « Betty Lou », que les au Bonheur des Dames ont dû écouter, tant leur « Oh les filles » va lui ressembler … Une reprise instrumentale (comme l’original) de « Pipeline » des Chantays n’apporte rien à ce classique de la surf music.


La face B (oui, on cause bien 33 RPM, ce disque n’a jamais été réédité en Cd) débute avec « She’s so fine », un des deux « classiques » de Flash Cadillac, qui figurera l’année suivante sur la B.O. de « American graffiti » (en compagnie de « At the Hop », autre titre du groupe et leur plus gros succès, qui sera sur l’album suivant, ces deux morceaux étant il me semble bien les deux seuls à être postérieurs à 1962, année où se déroule l’action du film). A propos de « At the hop », le dernier titre du disque « Up on the mountain » semble en être le brouillon avec son rythme doo-wop accéléré. Le reste de la face, hormis le plagiat ? - hommage ? de Cochran déjà évoqué ne mérite pas de passer à la postérité …

Et tant qu’on parle de postérité, celle de Flash Cadillac & the Continental Kids n’a pas traversé les décennies. Certes cet album et le suivant, boostés par « American graffiti » se vendront un peu, un troisième paraîtra (en fait une compilation des deux précédents), un autre fera un four monumental, et vers 75, le groupe se dispersera (avant des tentatives avortées de reformation à destination du marché nostalgia pendant des décennies). Aucun membre du groupe ne connaîtra par ailleurs succès et gloire. Pire, quand le revival rockab initié par les Stray Cats explosera, ils ne seront jamais cités comme influence par quelque porteur à banane de blouson de cuir.

Les Flash Cadillac ont joué la carte du gag sonore, ils n’auront jamais aucune reconnaissance ni crédibilité. Une page anecdotique du rock américain des 70’s …





NICOLAS ROEG - NE VOUS RETOURNEZ PAS (1973)

 

Mort à Venise ...

Nicolas Roeg (claqué en 2018) a eu sa décennie de gloire dans les 70’s. Notamment en faisant tourner des stars du rock. Mick Jagger qui faisait du Mick Jagger dans « Performance », et David Bowie qui faisait son Ziggy Stardust dans « L’homme qui venait d’ailleurs ». Ces deux films, qui intrinsèquement valent pas lourd, et doivent leur postérité et leur notoriété à leurs acteurs principaux, ne doivent pas occulter le fait que Roeg sait concevoir un film et tenir une caméra.

Christie, Sutherland & Roeg

« Ne vous retournez pas » (« Don’t look now » en V.O.) en est la démonstration et a mieux traversé les décennies. Par exemple cité comme un film de premier plan par des gens ayant pourtant peu de choses en commun, comme Danny Boyle et Justine Triet.

Pour « Ne vous retournez pas », Roeg a un scénario et deux stars bankables au générique. Le scénario est dû à son complice Alan Scott, extrapolé d’après une courte nouvelle de Daphné du Maurier. Du Maurier, son thème de prédilection, c’est le polar, avec parfois une touche de fantastique. Pas étonnant que Hitchcock s’en soit servi à trois reprises (l’oublié « La taverne de la Jamaïque » et les deux beaucoup plus conséquents « Rebecca » et « Les oiseaux »).

Les deux stars de Roeg sont le Canadien Donald Sutherland (carrière aux States, révélé dans « Les douze salopards », premiers rôles dans « M.A.S.H. », « De l’or pour les braves », « Klute ») et l’Anglaise Julie Christie (entre autres l’inoubliable Lara du « Docteur Jivago »). Le reste du casting, au mieux présent sur quelques scènes (les deux sœurs) est composé de troisièmes couteaux pas vraiment très aiguisés devant la caméra.

L’histoire de « Ne vous retournez pas » est chronologique. Dans les premières scènes au montage alterné intérieur-extérieurs, on voit une petite fille en ciré rouge et son jeune frère jouer au bord d’un étang aux abords d’une maison cossue. Dans laquelle le père (John Baxter / Sutherland) visionne des diapos agrandies de vitraux pendant que la mère (Laura / Christie) lit. Quand le père a la vision d’une tache sanglante se répandant sur la diapo, il est surpris. Quand il pense que cette vision irréelle pourrait être une prémonition, il se rue vers l’étang, plonge et remonte avec dans les bras le cadavre de sa fille qui vient de se noyer. La mère qui passe derrière une fenêtre voit la scène et pousse un grand hurlement.


C’est à ce moment qu’intervient une transition remarquable (même si elle pompée sur une similaire vue dans « Les 39 marches » de qui vous savez et si vous savez pas je vous plains) où le hurlement devient bruit strident d’une perceuse qui fore un mur (avec un léger décalage, on entend d’abord le son avant d’avoir l’image).

A coté du gars qui tient la perceuse, Sutherland observe le mur dans un piètre état, le plan s’élargit, on est dans une église en cours de restauration. Très vite, on comprend que John est architecte, et supervise un projet de rénovation de bâtiments dans Venise, qui se passe en hiver, pour ne pas obérer l’activité touristique. Avec Laura, ils logent dans un hôtel à peu près vide, tandis que leur fils a été placé dans un pensionnat anglais. Les événements ont lieu (même si aucun repère temporel n’est précisé) peu après la noyade de leur fille dont on sent Laura beaucoup plus affectée que son mari. La rencontre d’un couple de vieilles anglaises comme eux, dont l’une est aveugle et médium sera un tournant dans leur séjour. Une Laura qui participe avec elles à une séance de spiritisme, au cours de laquelle la voyante leur recommande de quitter immédiatement Venise, en sort tout ébranlée, et doit faire face aux remarques narquoises de John, cartésien et rationnel, qui ne croit pas à ces balivernes.

Laisse les gondoles à Venise ...

Parce que lui est tout de même intrigué par une petite silhouette en ciré rouge qui semble se cacher et le fuir, et qu’il aperçoit fugacement une paire de fois aux abords des canaux. Même si le couple Baxter reste très uni, témoin une longue scène de plumard jugée très scandaleuse lors de la sortie du film (certains ont prétendu qu’elle n’était pas simulée, le prétendu réalisme n’est du qu’à un montage malin alternant plans de quelques secondes du couple en action et les mêmes se rhabillant pour aller à un dîner), une certaine parano commence à les envahir, elle très sensible aux visions de l’aveugle ( ! ), et lui victime d’un accident de chantier qui aurait pu lui être fatal. Ça flippe encore plus quand le pensionnat les appelle pour leur dire que leur fils a eu un accident bénin. John entend rester pour terminer son boulot, mais il accompagne Laura dans le vaporetto qui la conduira à l’aéroport pour qu’elle retourne au chevet du gamin en Angleterre. Sauf que le lendemain, il la revoit en tenue de deuil en compagnie des deux frangines sur une gondole-corbillard.

Direction le poste de police où dans un décor très Brazil-Gillian, il raconte tout à un flic qui ne l’écoute que d’une oreille distraite. Il faut dire que dans cette Venise hors-saison rôde un serial killer qui donne du couteau dans les ruelles sombres et étroites qui bordent les canaux, alors l’Anglais avec sa femme et les mystérieuses frangines, c’est pas une priorité. C’est quand le proprio du pensionnat lui téléphone et lui passe Laura qui lui annonce son retour à Venise que tout se complique et pour John et pour le spectateur. Et le dernier quart d’heure du film va donner lieu à un twist scénaristique remarquable.

Parce que Roeg (dont tous ceux qui le connaissent affirment qu’il avait quasiment image par image le film dans sa tête avant d’avoir commencé à tourner) installe une atmosphère à laquelle on ne peut guère échapper. Le cadre, c’est-à-dire Venise en hiver est glauque à souhait. Dans ces ruelles sombres, étroites et souvent désertes, dans ces bâtiments décrépis éclairés par une lumière d’hiver pisseuse, tout l’envers des cartes postales d’une place Saint-Marc grouillante de vacanciers en goguette au milieu des pigeons, il ressort des impressions mortifères et angoissantes. Les couleurs sont mates, sombres, l’éclairage est voulu approximatif, et l’image très granuleuse, à l’exception évidemment du rouge très vif de ce ciré que portait la fille Baxter quand elle s’est noyée et dont est aussi vêtue cette petite silhouette fugace aperçue plusieurs fois à Venise.

Et la parano et le malaise induits par les images et les scènes vont crescendo à mesure que les incidents, les accidents et surtout les visions et les prémonitions de la médium rajoutent des éléments surnaturels à l’histoire.

Le petit chaperon rouge ?

C’est ce mélange de genres qui fait la qualité de « Ne vous retournez pas ». Est-on devant un drame psychologique, une histoire surnaturelle, un thriller ? Et certains parlent du film comme un des très rares giallos non italiens, même si réduire « Ne vous retournez pas » à ce genre typiquement transalpin de la fin des années 60 – début des années 70 est plutôt réducteur, même si on retrouve chez Roeg meurtres sanglants, phénomènes étranges, érotisme, autant de thèmes chers aux Bava, Fulci, Argento et consorts …

En fait, en 1973 lors de sa sortie, « Ne vous retournez pas » est un objet cinématographique plutôt unique, à la marge de tous les genres évoqués. Qui n’a pas affolé le box-office, les distributeurs américains (Paramount il me semble) ayant exigé que Roeg en supprime une demi-heure, qui à ma connaissance est restée totalement inédite (pas de director’s cut sur les derniers supports physiques malgré une restauration en 4 K). A la longue, c’est devenu un film culte, des cinéastes plutôt « décalés » le citant comme une référence.

Et il y en a même un (Shyamalan) qui comment dire, me semble s’en être fort inspiré et qui a cartonné au box-office, avec Bruce Willis dans le rôle principal …


Du même sur ce blog :

L'Homme Qui Venait D'Ailleurs


FEDERICO FELLINI - AMARCORD (1973)

 

Auto-biopic ...

« Amarcord », ça veut dire quelque chose entre « il était une fois » et « je me souviens » dans le dialecte de la région de Rimini. Rimini étant comme par hasard la ville où est né et a grandi Fellini.

Et le Maestro déroule avec « Amarcord » le dernier volet de ce qu’on a qualifié de trilogie mémorielle. Après le faux documentaire « Les clowns » (Fellini a toujours été attiré par le cirque et les bohémiens, voir son insurpassable « La Strada »), et « Fellini Roma » sur ses années romaines (où le génial côtoie le foutraque complet), Fellini centre « Amarcord » sur son adolescence boutonneuse à Rimini.

Fellini et son harem ...

Enfin, à Rimini, façon de parler. Tout a été tourné aux studios Cinecitta à Rome. L’histoire se déroule sur une année, du printemps au printemps. Et parler d’histoire est aussi un non-sens. Comme un peintre, Fellini joue sur les impressions, les couches superposées. Il l’a dit et répété, bien peu de son film repose sur des faits réels et avérés, un souvenir fugace amène une scène. Et s’il y a une chronologie, des personnages récurrents, il n’y a pas d’histoire, au sens scénaristique du terme.

Le personnage central de « Amarcord » est Titta (un ersatz de Fellini donc), joué par le jeune débutant Bruno Zanin. Qui ne fera guère parler de lui par la suite, Fellini recherchant pour ses personnages des « gueules » plutôt que des stars. Au milieu de cette brochette d’anonymes, un second rôle qu’il a déjà fait tourner à deux reprises est attribué à Magali Noël (celle qui a chanté les joies du SM avec « Fais moi mal Johnny », paroles de Boris Vian). Elle sera la Gradisca, femme du coiffeur et pin up locale qui affole tous les mâles de la ville. Et parmi tous les personnages « felliniens » du casting, une aura son quart d’heure warholien de gloire, Maria Antonietta Beluzzi (la buraliste à la poitrine démesurée dans laquelle finira par se perdre le jeune Titta).

Repas de famille ...

Il y a dans « Amarcord » toute la démesure de Fellini qui voisine avec l’intimisme de la cellule familiale, tendrement caricaturée (le père maçon, le grand-père pétomane et lubrique, l’oncle silencieux et fourbe, un autre qu’on sortira de l’asile pour un pique-nique homérique, la mère qui essaie d’arrondir les angles, la bonne qu’à peu près tous les mâles de la maison essaient de tripoter, …).

Dans ces polaroids de la fin des années 30, Fellini nous montre avec tendresse cette sorte d’interzone (on n’est pas à la campagne, mais pas non plus dans une grande ville), en butte avec ses traditions (on commence par un feu de joie pour fêter l’arrivée du printemps, rite païen, mais les curetons veillent et font la loi dans les âmes, voir la libidineuse séquence de confessions à la chaîne), mais rattrapée par l’histoire qui s’écrit ailleurs (la montée du fascisme, ses parades grotesques, mais aussi ses arrestations arbitraires et ses interrogatoires « musclés »).

Dans cette petite ville de province, tout ce qui sort de l’ordinaire devient – lapalissade – extraordinaire. On voit tout le village s’embarquer sur de frêles rafiots pour attendre au large le passage du Rex (paquebot gigantesque mis en chantier et symbole de la puissance économique de Benito et ses sbires, Fellini a fait construire pour cette seule scène une maquette de cent mètres, on est pas loin de Cameron et « Titanic »), on voit tous les hommes du village suivre avec des yeux gourmands, forcément gourmands, le dernier arrivage de « beautés » à destination du bordel de la ville.

Magali Noel, la Gradisca

On sent toute la tendresse de Fellini pour cette Italie « d’en bas ». Le sourire est bonhomme. Que ce soit pour décrire la misère sexuelle des collégiens et leurs concours de branlette, leur fascination pour le derrière moulant et rebondi de la Gradisca ou l’hypertrophie mammaire de la buraliste. Que ce soit pour les fantasmes de la Gradisca, férue de cinéma et qui rêve de donner la réplique à Gary Cooper. Que ce soit le narrateur du film, bourgeois distingué et précieux qui n’est en fait qu’un mytho affabulateur. Que ce soit les dimensions imposantes du Grand Hotel, fierté touristique de la ville, et les évènements fantasmatiques qui y ont eu lieu (la Gradisca y aurait été la maîtresse d’une nuit d’un prince de passage, le simplet du village y aurait honoré tout le harem d’un sultan, qui donne lieu à une scène pastiche des ballets aquatiques des Ziegfield Folies). Les simplets sont montrés avec compassion (la souillonne prostituée, le tonton aliéné qui monte tout en haut d’un arbre immense et réclame une femme, …).

Par contre, comme Indiana Jones qui n’aime pas les nazis, on peut pas dire que Fellini porte les fascistes dans son cœur. Mise en scène grandiose et caricaturale lors d’une parade des leaders locaux du parti dans un village tout acquis à leur cause avec scènes d’hystérie à la Beatlemania devant les deux chefs (un nain et un paralytique !) et leurs affidés qui défilent en trottinant avant qu’une immense composition florale à l’effigie du Benito se mette à parler. Un grotesque compensé quand un type joue « L’Internationale » à la clarinette du haut du clocher du village. Le père de Titta (ancien ouvrier maçon donc « forcément » communiste aux yeux des fascistes) est arrêté, menacé, et subit un interrogatoire « musclé » à base de larges rasades d’eau de ricin. Ces séquences de Fellini sont peut-être ce qui s’est fait de mieux en matière de dénonciation par la farce des régimes dictatoriaux nationalistes de l’époque.

Zanin et Beluzzi 

Collaborateur attitré de longue date du Maestro, Nino Rotta livre dans « Amarcord » ce que beaucoup (dont Alexandre Desplat) considèrent comme sa meilleure B.O.

Avec « Amarcord », Fellini, quelque peu empêtré dans la surenchère symbolique démesurée depuis quelques années (au hasard « Satyricon ») signe son dernier grand chef-d’œuvre. Deux films acclamés par la suite lui doivent beaucoup. « Le tambour » de Volker Schlöndorff (un faux biopic, la frustration sexuelle, un nain comme dignitaire nazi, …) et peut-être plus encore « Underground » de Kusturica. Avec ses personnages en vase clos, la musique de Bregovic plus Rotta tu peux pas, et sa dernière scène (le mariage sur l’île qui dérive du Serbe, celui de la Gradisca dans un bord de mer triste chez Fellini).

S’il fallait n’en retenir qu’une poignée de Fellini, « Amarcord » en fait partie (allez comme je suis de bonne humeur je vous fais mon Top 5 du Federico, les quatre sont dans le désordre « La Strada », « Les nuits de Cabiria », « Huit et demi », « La dolce vita », et « Juliette des esprits ». Oh, ducon, ça fait six… Ben oui, en plus d’être de bonne humeur, je suis généreux …


Du même sur ce blog : 


JACQUES RIVETTE - CELINE ET JULIE VONT EN BATEAU (1974)

 

Deux en un ...

Bon, on rentre dans le dur là … Parce que Rivette, comment dire … il a ses fans, certes, un peu moins nombreux que ceux des Tuche, mais comment expliquer … t’images pas un dating généré par Tinder où un des deux proposerait à l’autre avant de passer aux choses sérieuses, d’aller voir un film de Rivette.

Déjà, parce que les films de Rivette, ils durent au moins trois plombes (une fois en version ciné parce que le director’s cut, il fait généralement le double), et c’est du cinéma d’auteur pour ciné-club ou pas d’heure la nuit sur Arte.

Berto, Rivette & Labourier

« Céline et Julie … » c’est la comédie de Rivette, alors qu’a priori comédie et Rivette ça rime pas du tout, mais vraiment pas du tout. « Céline et Julie … », c’est un film accidentel. Après « Out 1 » qui durait une douzaine d’heures (!), le futur film que le Jacquot met en chantier est « Phénix », relecture « à la Rivette » du mythe du Fantôme de l’Opéra, avec dans les deux rôles principaux Jeanne Moreau et Juliet Berto. Des problèmes d’agenda de Jeanne Moreau lui font abandonner le projet que Rivette ne concevait pas sans elle. Mais Juliet Berto lui annonce qu’avec une de ses connaissances, Dominique Labourier, elles écrivent des choses qui pourraient faire un scénario. C’est pas tant l’idée de ce scénario qui intéresse Rivette, mais beaucoup plus de faire se confronter devant la caméra une actrice post soixante-huitarde libérée (Berto), avec une qui vient du théâtre classique (Labourier). D’ailleurs de scénario il n’y a guère, plutôt un enchaînement de situations, de sketches …

Rivette dit banco, mais bon, on se refait pas, il faut contrebalancer l’effet potache amené par les deux actrices-scénaristes. Il fait donc appel à Eduardo de Gregorio, scénariste argentin fada de Nouvelle Vague, pour qu’il écrive « autre chose ». De Gregorio s’inspire d’une nouvelle de l’auteur anglo-américain Henry James et la retravaille avec un trio d’acteurs choisi par Rivette, sa « muse » Bulle Ogier , Marie-France Pisier, Barbet Schroeder (celui qui mettait la musique de Pink Floyd en films, « More » et « La vallée »).

Il y a juste une faille spatio-temporelle dans cet étrange attelage des deux groupes antinomiques. Berto et Labourier sont dans le contemporain, et les quatre autres adaptent une œuvre de la fin du XIXème siècle. Choc des cultures à prévoir …

Rivette réussit le tour de force d’assembler ces deux univers dans la même histoire. En reprenant le pitch de « Alice au pays des merveilles ». Et bizarrement, ça fonctionne. Pas de quoi avoir une révélation cinématographique majeure, mais « Céline et Julie … » se laisse voir.

Pisier, Shroeder, Ogier

A condition d’avoir le temps. Trois heures et quart. Ce qui fatalement ne va pas sans quelques redondances. Dont certaines sont voulues et nécessaires, mais bon, trois heures et quart …

« Céline et Julie … » commence donc comme le bouquin de Lewis Caroll. Julie (Dominique Labourier) est assise sur un banc dans un square parisien (le film est aussi une visite de Paris) et bouquine un fort imposant traité de magie. Surgit Céline (Juliet Berto), look gypsy délurée qui traverse le square. Julie la remarque, la suit du regard, voit qu’elle tombe de son sac une paire de lunettes de soleil, court les ramasser, et se lance à sa poursuite telle Alice suivant le Lapin Blanc, dans un étrange ballet où l’une ne veut pas se laisser rattraper mais s’attache à ne pas semer sa poursuivante, et où l’autre préfère suivre que rattraper. Le lendemain, les rôles s’inverseront, et c’est Céline qui attendra Julie dans l’escalier de son immeuble avant de squatter chez elle. Julie est bibliothécaire férue de magie, et Céline fait des numéros de magie dans un cabaret minable. Forcément, les deux deviennent des amies inséparables.

Un jour, Céline se rend dans une grande bâtisse bourgeoise (au 7 Bis rue du Nadir aux Pommes, cherchez pas, la rue n’existe pas) où il se passe des choses étranges. Comment se rendre à cette adresse et voir ce qui s’y passe ? En suçant des bonbons. Parenthèse. Rivette assure que toute ressemblance avec des trips après avoir gobé des acides est involontaire, certains acteurs du film des années plus tard affirment le contraire. Fin de la parenthèse. Et que se passe t-il dans cette baraque ? Un veuf (Schroeder), sa belle-sœur (Bulle Ogier), une amie de sa femme (Marie-France Pisier), organisent leur vie autour d’une gamine souffreteuse et pas très bien portante (la fille de Schroeder) aidés par une infirmière-bonne-femme de ménage. Contraste violent entre le way of life très seventies de Céline et Julie et le maniérisme très Nouvelle Vague de la grande bâtisse, où toutes les attitudes et émotions sont surjouées, et les dialogues dans un style très précieux. Un drame atroce semble s’y préparer, mais lequel ?

Céline et Julie se projettent à tour de rôle dans cet univers en prenant la place de l’infirmière, n’arrivent pas à démêler l’intrigue, puis emploient les grands moyens en s’y rendant ensemble. Je vais pas spoiler, mais la justification du titre trouve son explication dans la dernière scène où le trio fantomatique de la grande bâtisse réapparaît, genre neverending story …

Pour le peu que je connais de la filmo de Rivette, « Céline et Julie … » y tient à peu près la même place que « Ce jour-là » de son disciple Raoul Ruiz ou « Sourires d’une nuit d’été » dans celle de Bergman, la comédie vue par un austère. La partie écrite par Berto et Labourier est relativement décousue (c’est fait exprès), très Godard style (on écrit la nuit ce qu’on tourne le lendemain), et l’autre très écrite, très théâtralisée.

En route pour le trip ...

« Céline et Julie … » doit beaucoup à la Nouvelle Vague (le jeu théâtral évidemment, les extérieurs non « préparés », les gosses s’agglutinent sur les lieux de tournage, les passants se retournent, dévisagent acteurs et cameraman, …). Rivette, pourtant contemporain de Truffaut ou Godard, tournera peu dans les années 60, et comme Jean Eustache, sortira ses films les plus connus dans les seventies, alors que les « anciens » commencent à tourner en rond (pour être gentil). Les emprunts et références fourmillent (Alice au pays des Merveilles, Fritz Lang avec la trace de main ensanglantée sur l’épaule de Julie qui renvoie à « M le Maudit », Bresson par l’austérité et le côté désincarné des personnages de la bâtisse, « Rashomon » de Kurosawa par la répétition des scènes avec une vision différente, Feuillade pour les tenues très Musidora en patins à roulette (!) des deux filles…).

A l’opposé, il y en a au moins deux qui ont pioché des choses dans « Céline et Julie … ». Gus Van Sant pour « Elephant » avec les mêmes scènes vécues par des personnages différents et le grand David Lynch himself dont « Mulholland Drive » semble parfois un remake avec les deux actrices qui s’échangent les rôles et se dédoublent dans des univers parallèles. Fort à parier que le scénariste de « Un jour sans fin » a aussi vu le film …

Même s’il minimalise son importance, Rivette est évidemment crucial. Il assure la liaison entre les deux histoires, codifie chacune (exubérance vs rigueur) et derrière son approche je-m’en-foutiste, produit un vrai travail de réalisateur, avec des choix esthétiques forts.

Du côté des cinq acteurs principaux, on peut rester réservé sur les prestations de Barbet Schroeder et Dominique Labourier. Le premier fait assez piètre figure à côté de Pisier et Ogier, et Labourier fait beaucoup d’efforts trop voyants pour avoir l’air déjantée. Marie-France Pisier, hiératique et hautaine est excellente, tout comme Bulle Ogier en hémophile diaphane. C’est malgré tout Juliet Berto qui domine la distribution, parce que c’est la seule à ne pas avoir l’air de jouer, tant sa déjante paraît raccord avec son image. Après les « intouchables » Bardot et Deneuve des sixties, Berto (tout comme Bernadette Laffont) va être le prototype de l’actrice « différente », l’idéal d’un hédonisme sans limite. Celle qui vient d’inspirer un hit (mineur) à Yves Simon (« Au pays des merveilles de Juliet ») sera la première d’une liste de trop vite disparues, filles trop insouciantes pour la dureté de l’époque qu’elles traversaient façon tourbillon (comme par hasard des enfants de …, Pascale Ogier et Pauline Laffont).

Si « Céline et Julie … » accuse parfois son âge par certains tics de réalisation et de jeu des acteurs, il reste dans l’ensemble assez efficace, et en tout cas à ma connaissance sans équivalent dans la filmo ardue de Rivette. Superbe réédition en 2018 remastérisée avec plein de bonus de chez la maison Potemkine, qui donne pas dans la distribution du classique et du consensuel, mais qui fait toujours bien les choses (on est pas chez Canal ou TF1 Vidéo, si vous voyez ce que je veux dire).

Si vous avez trois heures et quart de disponibles …





PLACEBO - 1973 (1973)

 

Le piège ...

Bon, inutile de faire de trop longues présentations. Même s’ils sont un peu passés de mode, Placebo, c’est-à-dire Brian Molko et ses deux (?) potes ont pas mal fait parler d’eux à la fin du siècle dernier, avec leur britpop à tendance glam, allant même, reconnaissance suprême, jusqu’à partager un titre avec David Bowie. Et donc, fidèles à eux-mêmes, avec une obstination qui force le respect, ils intitulent leur disque « 1973 », millésime glam de référence …


Bon, en fait non … Compteurs à zéro, on reprend.

Comme Nirvana, Placebo fait partie des groupes connus dans les nineties, et qui ont eu une formation homonyme qui a sévi avant eux. Les Placebo dont au sujet duquel je vas vous entretenir sont un groupe de jazz fusion belge. Jazz … fusion … et belge … on est mal, chef, on est mal …

Et après écoute minutieuse, je confirme, on est mal. Bon, faut un peu relativiser. Dans ce genre, des rondelles pires, j’en ai connues. Ici, on est face à une famille nombreuse souvent fortement marquée par Blood, Sweat & Tears, vous savez cette fanfare pléthorique de « techniciens » fondée par Al Kooper. Le Al Kooper de Placebo il s’appelle Marc Moulin, Belge de son état, et contrairement à Kooper, il partira pas avant d’avoir fini d’enregistrer le premier disque, Moulin, c’est l’âme de Placebo, c’est lui qui compose et arrange tous les titres. Douze personnes figurent au générique de « 1973 » dont cinq cuivres au assimilés (une clarinette), une paire de bassistes (qui se remplacent au fil des titres) un trio de batteurs (ils ont souvent deux sur les titres), un guitariste (sur un seul morceau, fans de Jimi passez votre chemin), et donc le Moulin susnommé aux claviers et synthés.

A la louche, y’ a deux lignes directrices dans cette rondelle. La première, voir plus haut, c’est en gros Blood, Sweat & Tears qui aurait plus ou moins abandonné ses accents rhythm’n’blues pour aller fouiner du côté du jazz fusionné par Miles Davis et tous ses disciples, malheureusement fort nombreux à l’époque. Et comme en ces temps-là, on raisonnait en termes de face vinyle, quand on retourne le plastoc noir, on a des titres pour faire simple plus atmosphériques (le dernier « Re-Union » est l’œuvre de Moulin seul avec ses machines, et ça évolue entre Floyd planant et machins plus invertébrés genre Tangerine Dream).

Marc Moulin

Moi j’aime bien (on se refait pas, hein) le seul titre où on entend une guitare, « Polk » il s’appelle, le gratteux joue funky, ça ressemble à du Curtis Mayfield (la B.O. de « Superfly »). Sur cette face-là, « Red Net » est supportable, rythme alangui, genre comédie musicale triste. « Only nineteen » soit j’en dis rien, soit du mal …

Revenons à la première face. « Bolkwush » c’est du Blood etc … instrumental (comme sur tout le disque, personne ne se hasarde à pousser la goualante derrière le micro, ça vaut peut-être mieux ainsi) dans la formule sonore, sans le côté soul et rhythm’n’blues des Ricains, « Temse » me paraît avec ses deux batteurs synchrones comme une visite du côté des rythmes motorik chers aux groupes teutons de l’époque, sauf que la famille nombreuse de cuivres vient parasiter tout le machin. On a droit à un titre live (« Phalène »), bonne surprise parce que c’est cool, construit, sobre, et surtout sans les farineux solos tous azimuts de mise dans le genre. « Balek » qui suit, c’est quasiment à l’opposé un machin où beaucoup de monde joue en même temps, mais pas forcément ensemble.


A noter que ce « 1973 » a bénéficié d’une réédition cossue (vinyle 180 grammes) par le label Music On Vinyl, spécialisé généralement dans les œuvres « culte », c’est-à-dire de prétendus chefs-d’œuvre oubliés qu’il convient de réhabiliter en grandes pompes sonores. Il me semble pas que « 1973 » réponde à tous ces critères, son écoute va pas provoquer des épiphanies de masse.

Quant à ce Placebo-là, sa carrière sera brève, trois ou quatre ans pour trois disques, et malgré la parution d’un disque live et d’un album tribute par d’obscurs jazzeux belges (?) ces dernières années, son parcours est bel et bien terminé, son âme Marc Moulin étant décédé après avoir eu une petite célébrité dans les 80’s grâce à Telex, groupe pastiche des groupes à synthés fort en vogue à l’époque …


MAGAZINE - REAL LIFE (1978)

 

Post-punk ...

Au commencement, furent donc les punks. Les provocateurs anars (Sex Pistols), les politisés (Clash), les working class heroes (Jam), les infréquentables (Stranglers), … mais le gros des troupes (tous les autres), c’était plutôt un ramassis de bas-du-front, philosophes de comptoir bourrins moulinant un boucan vaguement hardos, témoin l’inénarrable « If the kids are united then we'll never be divided » des non moins inénarrables Sham 69. Mais tout ça, c’est à Londres que ça se passait.

Les ploucs de province, ils devaient attendre de voir dans leur bled un concert de leurs idoles londoniennes, quand il était pas interdit par la municipalité. A Manchester, une bande de gamins va se faire électrochoquer par un concert des Pistols, et monter dans la foulée leur groupe. Buzzcocks ils s’appelleront. Tout juste sortis de l’adolescence, ils mettront en accords saccadés toutes leurs frustrations, d’être prolos, moches, boutonneux, derniers de la classe, pas sportifs, et donc enchaînant les râteaux auprès des lycéennes (voir leur extraordinaire « Orgasm addict », manifeste définitif des frustrations pubères).

Howard Devoto

Allez savoir pourquoi, la presse va s’enticher de ces quatre couillons de province et d’à peu près toute la litanie des groupes de la vague punk, ils seront les seuls à hériter du qualificatif de groupe « culte ». Perso, et c’est pas faute d’avoir essayé, j’ai jamais compris pourquoi. Sympa assez souvent, mais pas de quoi se relever la nuit …

Les Buzzcocks, ils existent encore (la bataille avec les Stranglers pour être le plus vieux groupe punk du monde fait rage), plus vraiment, évidemment, dans la légendaire composition d’origine. Les Buzzcocks originaux, ceux du second mitan des seventies, ils étaient menés par Pete Shelley et Howard Devoto.

Pour des raisons qui m’échappent et que j’ai jamais vraiment cherché à connaître (si ça vous intéresse, il doit y avoir la réponse sur Wikimachin), Devoto va quitter les Buzzcocks pour monter sa petite entreprise, Magazine, dont ce « Real life » est la première rondelle. Rondelle dont les mêmes qui trouv(ai)ent les Buzzcocks géniaux affirment sans barguigner qu’il s’agit de Tables de la Loi du post-punk … Ma foi, s’ils le disent …

Qu’oyez-vous dans « Real Life » ? Plein de choses qui partent dans tous les sens, parfois en dépit du bon (sens). L’on vous dira que le titre majeur de « Real Life », c’est « Shot by both sides » et que c’est l’alpha et l’oméga musical de cette fin de décennie. C’est ma foi un fort bon single de pop énergique, mais comme il en sortait des brouettes tous les mois à cette époque-là. Non, l’intérêt majeur de la rondelle, c’est pas « Shot by both sides », c’est plutôt l’envie d’aller voir « ailleurs », de fuir la mécanique simpliste du boucan punk basique.

Magazine

Déjà, Devoto, il soigne (enfin façon de parler, voir des photos de lui à l’époque de « Real life » donne plutôt envie de rire que de se pâmer devant tant d’originalité capillaire et vestimentaire) son look. En gros, comme il est fan de Brian Eno, il le singe dans sa période Roxy Music (en fait il ressemble à un figurant de « Phantom of paradise », ce qui était original en 72, et beaucoup moins à la fin de la décennie). Il y a dans « Real Life » (en filigrane, revendiquer ça en 78, y’avait de quoi finir avec du goudron et des plumes) l’influence du krautrock, tous ces groupes allemands défoncés, planants, et vaguement anars, ou leur proche cousin anglais, le Van der Graaf Generator de Peter Hammill.

Il y a aussi dans « Real life » ce qu’avec le recul il fut bien considérer comme un bon casting, avec notamment le futur guitariste des Banshees John McGeosh (guitar hero de la new wave et influence majeure de Robert Smith), et le bassiste Barry Adamson (futur Bad Seeds de Nick Cave et auteur d’une litanie de disques solo aventureux et expérimentaux). Il y a aussi des points faibles. En premier lieu, la voix de Devoto, comment peut-on envisager de passer derrière le micro avec des cordes vocales pareilles, ça fait mal aux oreilles … Niveau compos, on est loin des fulgurances des Buzzcocks passées et à venir. Ici, même si on a deux titres co-écrits avec Shelley (dont le très buzzcockien « Recoil »), le reste selon comment on l’envisage, fait preuve d’ouverture ou part dans tous les (mauvais) sens.

Perso, je trouve intéressant le début du disque, « Definitive gaze » (jolie intro, bon titre pop, et malin gimmick de synthé), suivi par les déjà cités « Shot by both sides » et « Recoil » (au sujet de ce dernier, existe-t-il un lien avec le groupe du Depeche Mode Wilder en solo, y’a rien à gagner à fournir la réponse). Se glisse au milieu de ce tiercé majeur « My Tulpa » qui avec sa grosse ligne de basse fait penser aux Stranglers, avant un pénible final avec sax free en avant. « The light pours out of me » quant à lui force sur l’aspect martial pour pas dire pompier …


Pas mal de choses ne font pas avancer le schmilblick « Burst » avec son intro pompière et qui balance ensuite entre les pires horreurs de Genesis et un final en version stridente du « Space Odditty » de qui vous savez (et si vous savez pas, vous gagnez un exemplaire dédicacé du dernier bouquin de Philippe le Jolis de Villiers de Saintignon, le fou qu’est tombé dans le Puy). « The great beautician in the sky », sorte de valse flonflonneuse donne envie de lâcher l’affaire pour écouter un bon vieux Pogues.

Reste une paire de titres intéressants, « Motorcade », seul titre « à guitares », rapide et bruyant, et la ballade finale (« Parade »), intro calme au piano, mélodie torturée ensuite.

« Real life », c’est pour moi le genre de disque surestimé, cité par tous les « connoisseurs » arty. On peut certes lui reconnaître une tentative de rupture avec tout le punk bas-du-front qui commençait à se multiplier et une ténue influence sur la cold wave – new wave à venir. On peut aussi lui reprocher (et c’est pas rien) la grand-paternité de tous les poseurs prétentieux munis de synthés qui vont fleurir dans l’Angleterre du début des 80’s. Magazine (une décennie) et Devoto seul ensuite (jusqu’à aujourd’hui) ne déchaîneront jamais vraiment les foules

Et non, le disque-référence post-punk, c’est pas « Real life », il faut pas chercher du côté de Devoto, mais plutôt de celui d’un certain John Lydon (anciennement Rotten), responsable avec les deux premières rondelles de P.I.L. de déflagrations bien plus majeures …