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FEDERICO FELLINI - AMARCORD (1973)

 

Auto-biopic ...

« Amarcord », ça veut dire quelque chose entre « il était une fois » et « je me souviens » dans le dialecte de la région de Rimini. Rimini étant comme par hasard la ville où est né et a grandi Fellini.

Et le Maestro déroule avec « Amarcord » le dernier volet de ce qu’on a qualifié de trilogie mémorielle. Après le faux documentaire « Les clowns » (Fellini a toujours été attiré par le cirque et les bohémiens, voir son insurpassable « La Strada »), et « Fellini Roma » sur ses années romaines (où le génial côtoie le foutraque complet), Fellini centre « Amarcord » sur son adolescence boutonneuse à Rimini.

Fellini et son harem ...

Enfin, à Rimini, façon de parler. Tout a été tourné aux studios Cinecitta à Rome. L’histoire se déroule sur une année, du printemps au printemps. Et parler d’histoire est aussi un non-sens. Comme un peintre, Fellini joue sur les impressions, les couches superposées. Il l’a dit et répété, bien peu de son film repose sur des faits réels et avérés, un souvenir fugace amène une scène. Et s’il y a une chronologie, des personnages récurrents, il n’y a pas d’histoire, au sens scénaristique du terme.

Le personnage central de « Amarcord » est Titta (un ersatz de Fellini donc), joué par le jeune débutant Bruno Zanin. Qui ne fera guère parler de lui par la suite, Fellini recherchant pour ses personnages des « gueules » plutôt que des stars. Au milieu de cette brochette d’anonymes, un second rôle qu’il a déjà fait tourner à deux reprises est attribué à Magali Noël (celle qui a chanté les joies du SM avec « Fais moi mal Johnny », paroles de Boris Vian). Elle sera la Gradisca, femme du coiffeur et pin up locale qui affole tous les mâles de la ville. Et parmi tous les personnages « felliniens » du casting, une aura son quart d’heure warholien de gloire, Maria Antonietta Beluzzi (la buraliste à la poitrine démesurée dans laquelle finira par se perdre le jeune Titta).

Repas de famille ...

Il y a dans « Amarcord » toute la démesure de Fellini qui voisine avec l’intimisme de la cellule familiale, tendrement caricaturée (le père maçon, le grand-père pétomane et lubrique, l’oncle silencieux et fourbe, un autre qu’on sortira de l’asile pour un pique-nique homérique, la mère qui essaie d’arrondir les angles, la bonne qu’à peu près tous les mâles de la maison essaient de tripoter, …).

Dans ces polaroids de la fin des années 30, Fellini nous montre avec tendresse cette sorte d’interzone (on n’est pas à la campagne, mais pas non plus dans une grande ville), en butte avec ses traditions (on commence par un feu de joie pour fêter l’arrivée du printemps, rite païen, mais les curetons veillent et font la loi dans les âmes, voir la libidineuse séquence de confessions à la chaîne), mais rattrapée par l’histoire qui s’écrit ailleurs (la montée du fascisme, ses parades grotesques, mais aussi ses arrestations arbitraires et ses interrogatoires « musclés »).

Dans cette petite ville de province, tout ce qui sort de l’ordinaire devient – lapalissade – extraordinaire. On voit tout le village s’embarquer sur de frêles rafiots pour attendre au large le passage du Rex (paquebot gigantesque mis en chantier et symbole de la puissance économique de Benito et ses sbires, Fellini a fait construire pour cette seule scène une maquette de cent mètres, on est pas loin de Cameron et « Titanic »), on voit tous les hommes du village suivre avec des yeux gourmands, forcément gourmands, le dernier arrivage de « beautés » à destination du bordel de la ville.

Magali Noel, la Gradisca

On sent toute la tendresse de Fellini pour cette Italie « d’en bas ». Le sourire est bonhomme. Que ce soit pour décrire la misère sexuelle des collégiens et leurs concours de branlette, leur fascination pour le derrière moulant et rebondi de la Gradisca ou l’hypertrophie mammaire de la buraliste. Que ce soit pour les fantasmes de la Gradisca, férue de cinéma et qui rêve de donner la réplique à Gary Cooper. Que ce soit le narrateur du film, bourgeois distingué et précieux qui n’est en fait qu’un mytho affabulateur. Que ce soit les dimensions imposantes du Grand Hotel, fierté touristique de la ville, et les évènements fantasmatiques qui y ont eu lieu (la Gradisca y aurait été la maîtresse d’une nuit d’un prince de passage, le simplet du village y aurait honoré tout le harem d’un sultan, qui donne lieu à une scène pastiche des ballets aquatiques des Ziegfield Folies). Les simplets sont montrés avec compassion (la souillonne prostituée, le tonton aliéné qui monte tout en haut d’un arbre immense et réclame une femme, …).

Par contre, comme Indiana Jones qui n’aime pas les nazis, on peut pas dire que Fellini porte les fascistes dans son cœur. Mise en scène grandiose et caricaturale lors d’une parade des leaders locaux du parti dans un village tout acquis à leur cause avec scènes d’hystérie à la Beatlemania devant les deux chefs (un nain et un paralytique !) et leurs affidés qui défilent en trottinant avant qu’une immense composition florale à l’effigie du Benito se mette à parler. Un grotesque compensé quand un type joue « L’Internationale » à la clarinette du haut du clocher du village. Le père de Titta (ancien ouvrier maçon donc « forcément » communiste aux yeux des fascistes) est arrêté, menacé, et subit un interrogatoire « musclé » à base de larges rasades d’eau de ricin. Ces séquences de Fellini sont peut-être ce qui s’est fait de mieux en matière de dénonciation par la farce des régimes dictatoriaux nationalistes de l’époque.

Zanin et Beluzzi 

Collaborateur attitré de longue date du Maestro, Nino Rotta livre dans « Amarcord » ce que beaucoup (dont Alexandre Desplat) considèrent comme sa meilleure B.O.

Avec « Amarcord », Fellini, quelque peu empêtré dans la surenchère symbolique démesurée depuis quelques années (au hasard « Satyricon ») signe son dernier grand chef-d’œuvre. Deux films acclamés par la suite lui doivent beaucoup. « Le tambour » de Volker Schlöndorff (un faux biopic, la frustration sexuelle, un nain comme dignitaire nazi, …) et peut-être plus encore « Underground » de Kusturica. Avec ses personnages en vase clos, la musique de Bregovic plus Rotta tu peux pas, et sa dernière scène (le mariage sur l’île qui dérive du Serbe, celui de la Gradisca dans un bord de mer triste chez Fellini).

S’il fallait n’en retenir qu’une poignée de Fellini, « Amarcord » en fait partie (allez comme je suis de bonne humeur je vous fais mon Top 5 du Federico, les quatre sont dans le désordre « La Strada », « Les nuits de Cabiria », « Huit et demi », « La dolce vita », et « Juliette des esprits ». Oh, ducon, ça fait six… Ben oui, en plus d’être de bonne humeur, je suis généreux …


Du même sur ce blog : 


JACQUES RIVETTE - CELINE ET JULIE VONT EN BATEAU (1974)

 

Deux en un ...

Bon, on rentre dans le dur là … Parce que Rivette, comment dire … il a ses fans, certes, un peu moins nombreux que ceux des Tuche, mais comment expliquer … t’images pas un dating généré par Tinder où un des deux proposerait à l’autre avant de passer aux choses sérieuses, d’aller voir un film de Rivette.

Déjà, parce que les films de Rivette, ils durent au moins trois plombes (une fois en version ciné parce que le director’s cut, il fait généralement le double), et c’est du cinéma d’auteur pour ciné-club ou pas d’heure la nuit sur Arte.

Berto, Rivette & Labourier

« Céline et Julie … » c’est la comédie de Rivette, alors qu’a priori comédie et Rivette ça rime pas du tout, mais vraiment pas du tout. « Céline et Julie … », c’est un film accidentel. Après « Out 1 » qui durait une douzaine d’heures (!), le futur film que le Jacquot met en chantier est « Phénix », relecture « à la Rivette » du mythe du Fantôme de l’Opéra, avec dans les deux rôles principaux Jeanne Moreau et Juliet Berto. Des problèmes d’agenda de Jeanne Moreau lui font abandonner le projet que Rivette ne concevait pas sans elle. Mais Juliet Berto lui annonce qu’avec une de ses connaissances, Dominique Labourier, elles écrivent des choses qui pourraient faire un scénario. C’est pas tant l’idée de ce scénario qui intéresse Rivette, mais beaucoup plus de faire se confronter devant la caméra une actrice post soixante-huitarde libérée (Berto), avec une qui vient du théâtre classique (Labourier). D’ailleurs de scénario il n’y a guère, plutôt un enchaînement de situations, de sketches …

Rivette dit banco, mais bon, on se refait pas, il faut contrebalancer l’effet potache amené par les deux actrices-scénaristes. Il fait donc appel à Eduardo de Gregorio, scénariste argentin fada de Nouvelle Vague, pour qu’il écrive « autre chose ». De Gregorio s’inspire d’une nouvelle de l’auteur anglo-américain Henry James et la retravaille avec un trio d’acteurs choisi par Rivette, sa « muse » Bulle Ogier , Marie-France Pisier, Barbet Schroeder (celui qui mettait la musique de Pink Floyd en films, « More » et « La vallée »).

Il y a juste une faille spatio-temporelle dans cet étrange attelage des deux groupes antinomiques. Berto et Labourier sont dans le contemporain, et les quatre autres adaptent une œuvre de la fin du XIXème siècle. Choc des cultures à prévoir …

Rivette réussit le tour de force d’assembler ces deux univers dans la même histoire. En reprenant le pitch de « Alice au pays des merveilles ». Et bizarrement, ça fonctionne. Pas de quoi avoir une révélation cinématographique majeure, mais « Céline et Julie … » se laisse voir.

Pisier, Shroeder, Ogier

A condition d’avoir le temps. Trois heures et quart. Ce qui fatalement ne va pas sans quelques redondances. Dont certaines sont voulues et nécessaires, mais bon, trois heures et quart …

« Céline et Julie … » commence donc comme le bouquin de Lewis Caroll. Julie (Dominique Labourier) est assise sur un banc dans un square parisien (le film est aussi une visite de Paris) et bouquine un fort imposant traité de magie. Surgit Céline (Juliet Berto), look gypsy délurée qui traverse le square. Julie la remarque, la suit du regard, voit qu’elle tombe de son sac une paire de lunettes de soleil, court les ramasser, et se lance à sa poursuite telle Alice suivant le Lapin Blanc, dans un étrange ballet où l’une ne veut pas se laisser rattraper mais s’attache à ne pas semer sa poursuivante, et où l’autre préfère suivre que rattraper. Le lendemain, les rôles s’inverseront, et c’est Céline qui attendra Julie dans l’escalier de son immeuble avant de squatter chez elle. Julie est bibliothécaire férue de magie, et Céline fait des numéros de magie dans un cabaret minable. Forcément, les deux deviennent des amies inséparables.

Un jour, Céline se rend dans une grande bâtisse bourgeoise (au 7 Bis rue du Nadir aux Pommes, cherchez pas, la rue n’existe pas) où il se passe des choses étranges. Comment se rendre à cette adresse et voir ce qui s’y passe ? En suçant des bonbons. Parenthèse. Rivette assure que toute ressemblance avec des trips après avoir gobé des acides est involontaire, certains acteurs du film des années plus tard affirment le contraire. Fin de la parenthèse. Et que se passe t-il dans cette baraque ? Un veuf (Schroeder), sa belle-sœur (Bulle Ogier), une amie de sa femme (Marie-France Pisier), organisent leur vie autour d’une gamine souffreteuse et pas très bien portante (la fille de Schroeder) aidés par une infirmière-bonne-femme de ménage. Contraste violent entre le way of life très seventies de Céline et Julie et le maniérisme très Nouvelle Vague de la grande bâtisse, où toutes les attitudes et émotions sont surjouées, et les dialogues dans un style très précieux. Un drame atroce semble s’y préparer, mais lequel ?

Céline et Julie se projettent à tour de rôle dans cet univers en prenant la place de l’infirmière, n’arrivent pas à démêler l’intrigue, puis emploient les grands moyens en s’y rendant ensemble. Je vais pas spoiler, mais la justification du titre trouve son explication dans la dernière scène où le trio fantomatique de la grande bâtisse réapparaît, genre neverending story …

Pour le peu que je connais de la filmo de Rivette, « Céline et Julie … » y tient à peu près la même place que « Ce jour-là » de son disciple Raoul Ruiz ou « Sourires d’une nuit d’été » dans celle de Bergman, la comédie vue par un austère. La partie écrite par Berto et Labourier est relativement décousue (c’est fait exprès), très Godard style (on écrit la nuit ce qu’on tourne le lendemain), et l’autre très écrite, très théâtralisée.

En route pour le trip ...

« Céline et Julie … » doit beaucoup à la Nouvelle Vague (le jeu théâtral évidemment, les extérieurs non « préparés », les gosses s’agglutinent sur les lieux de tournage, les passants se retournent, dévisagent acteurs et cameraman, …). Rivette, pourtant contemporain de Truffaut ou Godard, tournera peu dans les années 60, et comme Jean Eustache, sortira ses films les plus connus dans les seventies, alors que les « anciens » commencent à tourner en rond (pour être gentil). Les emprunts et références fourmillent (Alice au pays des Merveilles, Fritz Lang avec la trace de main ensanglantée sur l’épaule de Julie qui renvoie à « M le Maudit », Bresson par l’austérité et le côté désincarné des personnages de la bâtisse, « Rashomon » de Kurosawa par la répétition des scènes avec une vision différente, Feuillade pour les tenues très Musidora en patins à roulette (!) des deux filles…).

A l’opposé, il y en a au moins deux qui ont pioché des choses dans « Céline et Julie … ». Gus Van Sant pour « Elephant » avec les mêmes scènes vécues par des personnages différents et le grand David Lynch himself dont « Mulholland Drive » semble parfois un remake avec les deux actrices qui s’échangent les rôles et se dédoublent dans des univers parallèles. Fort à parier que le scénariste de « Un jour sans fin » a aussi vu le film …

Même s’il minimalise son importance, Rivette est évidemment crucial. Il assure la liaison entre les deux histoires, codifie chacune (exubérance vs rigueur) et derrière son approche je-m’en-foutiste, produit un vrai travail de réalisateur, avec des choix esthétiques forts.

Du côté des cinq acteurs principaux, on peut rester réservé sur les prestations de Barbet Schroeder et Dominique Labourier. Le premier fait assez piètre figure à côté de Pisier et Ogier, et Labourier fait beaucoup d’efforts trop voyants pour avoir l’air déjantée. Marie-France Pisier, hiératique et hautaine est excellente, tout comme Bulle Ogier en hémophile diaphane. C’est malgré tout Juliet Berto qui domine la distribution, parce que c’est la seule à ne pas avoir l’air de jouer, tant sa déjante paraît raccord avec son image. Après les « intouchables » Bardot et Deneuve des sixties, Berto (tout comme Bernadette Laffont) va être le prototype de l’actrice « différente », l’idéal d’un hédonisme sans limite. Celle qui vient d’inspirer un hit (mineur) à Yves Simon (« Au pays des merveilles de Juliet ») sera la première d’une liste de trop vite disparues, filles trop insouciantes pour la dureté de l’époque qu’elles traversaient façon tourbillon (comme par hasard des enfants de …, Pascale Ogier et Pauline Laffont).

Si « Céline et Julie … » accuse parfois son âge par certains tics de réalisation et de jeu des acteurs, il reste dans l’ensemble assez efficace, et en tout cas à ma connaissance sans équivalent dans la filmo ardue de Rivette. Superbe réédition en 2018 remastérisée avec plein de bonus de chez la maison Potemkine, qui donne pas dans la distribution du classique et du consensuel, mais qui fait toujours bien les choses (on est pas chez Canal ou TF1 Vidéo, si vous voyez ce que je veux dire).

Si vous avez trois heures et quart de disponibles …





PLACEBO - 1973 (1973)

 

Le piège ...

Bon, inutile de faire de trop longues présentations. Même s’ils sont un peu passés de mode, Placebo, c’est-à-dire Brian Molko et ses deux (?) potes ont pas mal fait parler d’eux à la fin du siècle dernier, avec leur britpop à tendance glam, allant même, reconnaissance suprême, jusqu’à partager un titre avec David Bowie. Et donc, fidèles à eux-mêmes, avec une obstination qui force le respect, ils intitulent leur disque « 1973 », millésime glam de référence …


Bon, en fait non … Compteurs à zéro, on reprend.

Comme Nirvana, Placebo fait partie des groupes connus dans les nineties, et qui ont eu une formation homonyme qui a sévi avant eux. Les Placebo dont au sujet duquel je vas vous entretenir sont un groupe de jazz fusion belge. Jazz … fusion … et belge … on est mal, chef, on est mal …

Et après écoute minutieuse, je confirme, on est mal. Bon, faut un peu relativiser. Dans ce genre, des rondelles pires, j’en ai connues. Ici, on est face à une famille nombreuse souvent fortement marquée par Blood, Sweat & Tears, vous savez cette fanfare pléthorique de « techniciens » fondée par Al Kooper. Le Al Kooper de Placebo il s’appelle Marc Moulin, Belge de son état, et contrairement à Kooper, il partira pas avant d’avoir fini d’enregistrer le premier disque, Moulin, c’est l’âme de Placebo, c’est lui qui compose et arrange tous les titres. Douze personnes figurent au générique de « 1973 » dont cinq cuivres au assimilés (une clarinette), une paire de bassistes (qui se remplacent au fil des titres) un trio de batteurs (ils ont souvent deux sur les titres), un guitariste (sur un seul morceau, fans de Jimi passez votre chemin), et donc le Moulin susnommé aux claviers et synthés.

A la louche, y’ a deux lignes directrices dans cette rondelle. La première, voir plus haut, c’est en gros Blood, Sweat & Tears qui aurait plus ou moins abandonné ses accents rhythm’n’blues pour aller fouiner du côté du jazz fusionné par Miles Davis et tous ses disciples, malheureusement fort nombreux à l’époque. Et comme en ces temps-là, on raisonnait en termes de face vinyle, quand on retourne le plastoc noir, on a des titres pour faire simple plus atmosphériques (le dernier « Re-Union » est l’œuvre de Moulin seul avec ses machines, et ça évolue entre Floyd planant et machins plus invertébrés genre Tangerine Dream).

Marc Moulin

Moi j’aime bien (on se refait pas, hein) le seul titre où on entend une guitare, « Polk » il s’appelle, le gratteux joue funky, ça ressemble à du Curtis Mayfield (la B.O. de « Superfly »). Sur cette face-là, « Red Net » est supportable, rythme alangui, genre comédie musicale triste. « Only nineteen » soit j’en dis rien, soit du mal …

Revenons à la première face. « Bolkwush » c’est du Blood etc … instrumental (comme sur tout le disque, personne ne se hasarde à pousser la goualante derrière le micro, ça vaut peut-être mieux ainsi) dans la formule sonore, sans le côté soul et rhythm’n’blues des Ricains, « Temse » me paraît avec ses deux batteurs synchrones comme une visite du côté des rythmes motorik chers aux groupes teutons de l’époque, sauf que la famille nombreuse de cuivres vient parasiter tout le machin. On a droit à un titre live (« Phalène »), bonne surprise parce que c’est cool, construit, sobre, et surtout sans les farineux solos tous azimuts de mise dans le genre. « Balek » qui suit, c’est quasiment à l’opposé un machin où beaucoup de monde joue en même temps, mais pas forcément ensemble.


A noter que ce « 1973 » a bénéficié d’une réédition cossue (vinyle 180 grammes) par le label Music On Vinyl, spécialisé généralement dans les œuvres « culte », c’est-à-dire de prétendus chefs-d’œuvre oubliés qu’il convient de réhabiliter en grandes pompes sonores. Il me semble pas que « 1973 » réponde à tous ces critères, son écoute va pas provoquer des épiphanies de masse.

Quant à ce Placebo-là, sa carrière sera brève, trois ou quatre ans pour trois disques, et malgré la parution d’un disque live et d’un album tribute par d’obscurs jazzeux belges (?) ces dernières années, son parcours est bel et bien terminé, son âme Marc Moulin étant décédé après avoir eu une petite célébrité dans les 80’s grâce à Telex, groupe pastiche des groupes à synthés fort en vogue à l’époque …


MAGAZINE - REAL LIFE (1978)

 

Post-punk ...

Au commencement, furent donc les punks. Les provocateurs anars (Sex Pistols), les politisés (Clash), les working class heroes (Jam), les infréquentables (Stranglers), … mais le gros des troupes (tous les autres), c’était plutôt un ramassis de bas-du-front, philosophes de comptoir bourrins moulinant un boucan vaguement hardos, témoin l’inénarrable « If the kids are united then we'll never be divided » des non moins inénarrables Sham 69. Mais tout ça, c’est à Londres que ça se passait.

Les ploucs de province, ils devaient attendre de voir dans leur bled un concert de leurs idoles londoniennes, quand il était pas interdit par la municipalité. A Manchester, une bande de gamins va se faire électrochoquer par un concert des Pistols, et monter dans la foulée leur groupe. Buzzcocks ils s’appelleront. Tout juste sortis de l’adolescence, ils mettront en accords saccadés toutes leurs frustrations, d’être prolos, moches, boutonneux, derniers de la classe, pas sportifs, et donc enchaînant les râteaux auprès des lycéennes (voir leur extraordinaire « Orgasm addict », manifeste définitif des frustrations pubères).

Howard Devoto

Allez savoir pourquoi, la presse va s’enticher de ces quatre couillons de province et d’à peu près toute la litanie des groupes de la vague punk, ils seront les seuls à hériter du qualificatif de groupe « culte ». Perso, et c’est pas faute d’avoir essayé, j’ai jamais compris pourquoi. Sympa assez souvent, mais pas de quoi se relever la nuit …

Les Buzzcocks, ils existent encore (la bataille avec les Stranglers pour être le plus vieux groupe punk du monde fait rage), plus vraiment, évidemment, dans la légendaire composition d’origine. Les Buzzcocks originaux, ceux du second mitan des seventies, ils étaient menés par Pete Shelley et Howard Devoto.

Pour des raisons qui m’échappent et que j’ai jamais vraiment cherché à connaître (si ça vous intéresse, il doit y avoir la réponse sur Wikimachin), Devoto va quitter les Buzzcocks pour monter sa petite entreprise, Magazine, dont ce « Real life » est la première rondelle. Rondelle dont les mêmes qui trouv(ai)ent les Buzzcocks géniaux affirment sans barguigner qu’il s’agit de Tables de la Loi du post-punk … Ma foi, s’ils le disent …

Qu’oyez-vous dans « Real Life » ? Plein de choses qui partent dans tous les sens, parfois en dépit du bon (sens). L’on vous dira que le titre majeur de « Real Life », c’est « Shot by both sides » et que c’est l’alpha et l’oméga musical de cette fin de décennie. C’est ma foi un fort bon single de pop énergique, mais comme il en sortait des brouettes tous les mois à cette époque-là. Non, l’intérêt majeur de la rondelle, c’est pas « Shot by both sides », c’est plutôt l’envie d’aller voir « ailleurs », de fuir la mécanique simpliste du boucan punk basique.

Magazine

Déjà, Devoto, il soigne (enfin façon de parler, voir des photos de lui à l’époque de « Real life » donne plutôt envie de rire que de se pâmer devant tant d’originalité capillaire et vestimentaire) son look. En gros, comme il est fan de Brian Eno, il le singe dans sa période Roxy Music (en fait il ressemble à un figurant de « Phantom of paradise », ce qui était original en 72, et beaucoup moins à la fin de la décennie). Il y a dans « Real Life » (en filigrane, revendiquer ça en 78, y’avait de quoi finir avec du goudron et des plumes) l’influence du krautrock, tous ces groupes allemands défoncés, planants, et vaguement anars, ou leur proche cousin anglais, le Van der Graaf Generator de Peter Hammill.

Il y a aussi dans « Real life » ce qu’avec le recul il fut bien considérer comme un bon casting, avec notamment le futur guitariste des Banshees John McGeosh (guitar hero de la new wave et influence majeure de Robert Smith), et le bassiste Barry Adamson (futur Bad Seeds de Nick Cave et auteur d’une litanie de disques solo aventureux et expérimentaux). Il y a aussi des points faibles. En premier lieu, la voix de Devoto, comment peut-on envisager de passer derrière le micro avec des cordes vocales pareilles, ça fait mal aux oreilles … Niveau compos, on est loin des fulgurances des Buzzcocks passées et à venir. Ici, même si on a deux titres co-écrits avec Shelley (dont le très buzzcockien « Recoil »), le reste selon comment on l’envisage, fait preuve d’ouverture ou part dans tous les (mauvais) sens.

Perso, je trouve intéressant le début du disque, « Definitive gaze » (jolie intro, bon titre pop, et malin gimmick de synthé), suivi par les déjà cités « Shot by both sides » et « Recoil » (au sujet de ce dernier, existe-t-il un lien avec le groupe du Depeche Mode Wilder en solo, y’a rien à gagner à fournir la réponse). Se glisse au milieu de ce tiercé majeur « My Tulpa » qui avec sa grosse ligne de basse fait penser aux Stranglers, avant un pénible final avec sax free en avant. « The light pours out of me » quant à lui force sur l’aspect martial pour pas dire pompier …


Pas mal de choses ne font pas avancer le schmilblick « Burst » avec son intro pompière et qui balance ensuite entre les pires horreurs de Genesis et un final en version stridente du « Space Odditty » de qui vous savez (et si vous savez pas, vous gagnez un exemplaire dédicacé du dernier bouquin de Philippe le Jolis de Villiers de Saintignon, le fou qu’est tombé dans le Puy). « The great beautician in the sky », sorte de valse flonflonneuse donne envie de lâcher l’affaire pour écouter un bon vieux Pogues.

Reste une paire de titres intéressants, « Motorcade », seul titre « à guitares », rapide et bruyant, et la ballade finale (« Parade »), intro calme au piano, mélodie torturée ensuite.

« Real life », c’est pour moi le genre de disque surestimé, cité par tous les « connoisseurs » arty. On peut certes lui reconnaître une tentative de rupture avec tout le punk bas-du-front qui commençait à se multiplier et une ténue influence sur la cold wave – new wave à venir. On peut aussi lui reprocher (et c’est pas rien) la grand-paternité de tous les poseurs prétentieux munis de synthés qui vont fleurir dans l’Angleterre du début des 80’s. Magazine (une décennie) et Devoto seul ensuite (jusqu’à aujourd’hui) ne déchaîneront jamais vraiment les foules

Et non, le disque-référence post-punk, c’est pas « Real life », il faut pas chercher du côté de Devoto, mais plutôt de celui d’un certain John Lydon (anciennement Rotten), responsable avec les deux premières rondelles de P.I.L. de déflagrations bien plus majeures …


THE CURE - STARING AT THE SEA THE SINGLES (1986)

 

Le sombre héros de l'amer ...

« Staring at the sea » est la première « vraie » compilation des Cure. Quand elle sort en 86, sont déjà parus un maxi 45T 4 titres (« The singles ») réservé au marché des Antipodes (Australie et Nouvelle-Zélande), qui coûte une blinde aujourd’hui et un mini 33T (« Japanese whispers ») reprenant les 45T et leurs faces B de fin 82 à fin 83 (une année où The Cure - Robert Smith ne faisait paraître que des singles, on y reviendra). Sans oublier la vraie – fausse compile « Boys don’t cry » destinée aux retardataires qui n’auraient pas acheté le premier disque et sur laquelle on retrouve la plupart des titres de « Three Imaginary Boys » ainsi que des machins sortis en 45 T.

1978

« Staring at the sea » (17 titres) est la version Cd de la compilation, « Standing on the beach » la version vinyle (13 titres), les deux titres reprenant les premiers vers de leur désormais mythique premier single « Killing an Arab ». Pour les complétistes et pour en finir avec cette intro encyclopédique, la version de « Standing on the beach » en K7 double durée incluait une dizaine de faces B de 45T (je l’ai, faire offre).

« Staring at the sea » est donc paru en 86. Autant être clair, pas vraiment dans un but philanthropique. Contre toute attente, le groupe venait de cartonner au niveau mondial avec la rondelle « The head on the door » et Fiction (label) et Polydor (distributeur) vu l’histoire du groupe et la personnalité euh … comment dire, instable de son leader, ont jugé opportun de faire passer les fans à la caisse et de remplir les leurs, de caisses … Parenthèse, plus de quarante-cinq après sa formation Cure existe toujours (certes en pointillés) mais remplit vite fait les stades chaque fois qu’il en prend le chemin, et y reste sur scène minimum trois heures …

« Staring at the sea » est une compilation. Classique, basique. Tous les titres (sous leur forme single) par ordre chronologique de parution, zéro inédit, live, remix … Le fan de base avait déjà tout ça, par contre pour le commun des mortels, et au vu du caractère assez chaotique du groupe, c’est une bonne entrée en matière. D’autant plus qu’à l’exception de rares bons titres parus plus tard (« Why can’t I be you », « Lullaby »), on a quasiment un best-of du groupe, aujourd’hui en route pour sa cinquième décennie d’existence.

1982

Même s’il a monté ses premiers groupes quand il était ado, Robert Smith est trop jeune pour être un des gars qui comptent dans le mouvement punk. Les choses sérieuses commencent en 1978, quand à la fin de l’année Cure enregistrent leur premier single, « Killing an Arab », typique du post-punk (ou de la new wave, appelez ça comme vous voudrez). Intro arabisante, batterie syncopée, striures de guitares, chant dans les aigus, musicalement on est beaucoup plus proche de Siouxsie & the Banshees ou Wire que des Pistols et du Clash. « Killing an Arab », dès sa sortie a fait le bonheur de quelques skinheads d’extrême-droite (pléonasme). Evidemment il ne serait pas venu à l’idée de ces incultes que le titre puisse être inspiré par « L’étranger » de Camus que Robert Smith avait lu en V.O., en français donc (Fat Bob apprécie la France et sa culture, le groupe y fera de longues et nombreuses tournées, y enregistrera parfois ses disques, et y en vendra beaucoup …). Le premier 33T (« Three imaginary boys », The Cure est un trio) suivra. Album juvénile, inégal, que le Roberto n’aime pas beaucoup à l’image de la reprise déconstruite du « Foxy Lady » d’Hendrix, qu’il dit détester (peut-être parce qu’exceptionnellement dans l’histoire des Cure, ce n’est pas lui qui la chante, mais le bassiste Michael Dempsey). Par contre on trouve sur « Staring … » un des titres emblématiques du groupe « 10 : 15 Saturday night », sorte de rockabilly mutant au ralenti (genre « Fever » de Presley), avec son solo de guitare (Smith est considéré comme un guitariste original et inventif, très souvent bien classé dans les listes de guitar-heroes, alors qu’il ne s’est jamais pris pour un virtuose de la six-cordes). Un single qui ne figure pas sur l’album paraît ensuite, « Boys don’t cry ». Bide retentissant, qui n’aura du succès que lors de sa réédition en 1986, surfant sur la vague de la Curemania. Pourtant, c’est un des meilleurs sinon le meilleur titre de Smith. Grand titre pop, mélodie imparable, superbe gimmick de batterie calée sur la ligne de basse, … un morceau qui reste quand même atypique du groupe.

1983

La suite immédiate verra Robert Smith partir dans tous les sens, voire en vrille. Pour plusieurs raisons, son groupe n’a pas grand succès, le Roberto qui a toujours aimé téter les bouteilles commence à s’attaquer à des drogues moins légales et plus violentes, et puis il a envie d’aller voir ailleurs. Il va finir par faire des piges chez Siouxsie & The Banshees (il est très pote avec le bassiste Steve Severin et vénère le jeu de leur guitariste John McGeoch) pour la seconde fois (chaque fois que le guitariste se casse c’est lui qui le remplace), et pendant une paire d’années est au moins autant membre des Banshees que de Cure.

Parallèlement à ses piges guitaristiques, Cure va évoluer. La formation va se stabiliser en trio (avec Dempsey à la basse et Tolhurst à la batterie, la formation dite « royale »), le look « Robert Smith » (cheveux crêpés, fond de teint blanc, rouge à lèvres, fringues généralement noires deux tailles au-dessus, baskets délacés) va s’affiner, et un son Cure va se mettre en place (dense, bruyant, oppressant, voix hurlée dans les aigus) et des thématiques (noires, sombres, cold, glaciales, gothiques, appelez ça comme vous voulez) monopoliser les textes. Les trois albums consécutifs (Seventeen seconds » - « Faith » - « Pornography ») seront considérés par beaucoup (mais pas par Robert Smith) comme la trilogie « glaciale » du groupe. Radicalité sonore et des textes, et radicalisation des fans qui commencent à copier le look de Smith. Il y a aura bien des singles extraits de ces disques (un ou deux max pour chacun) qui auront bien du mal à trouver leur public, pour employer la gentille métaphore de rigueur.

Smith, toujours au moins bourré, est quand même tout sauf un dilettante. Il se rend compte qu’il va vers l’impasse psychologique et artistique (selon ses dires, pas forcément à prendre au sérieux, l’enregistrement de « Pornography » était une alternative à son suicide) et va faire bouger les lignes de façon une nouvelle fois radicale, au grand désespoir de ses premiers fans corbacs.

Un single, « Charlotte sometimes », enregistré avant « Pornography » remet en avant la mélodie et les notions de couplets-refrains qui avaient tendance à disparaître au profit d’un magma sonore uniforme. Cure va devenir un duo (Smith, Tolhurst) et s’engager dans des horizons sonores beaucoup plus dégagés, bien souvent à base de mélodies aux synthés.

1986

Tout devient beaucoup plus « léger » tant sur le fond que la forme, les parutions ne se font plus qu’en 45T, et de nouveaux fans aident ces titres à grimper dans les charts. Ces morceaux sans lien conducteur permettent à Smith de se « lâcher », passant de la pop bubble-gum (« Let’s go to bed »), à l’eurodance à machines (« The Walk »), à la facilité guillerette (« The Lovecats »), jusqu’à l’expérimental mélodique (« The Caterpillar » et son piano pompé sur les parties de Garson avec Bowie). Cette période « singles » occupera la fin de 82 et l’année 83.

Et puis, nouveau changement de cap avec succès cette fois mondial à la clef. Ce sera l’album « The head on the door », étonnant patchwork de tout ce qu’à fait Cure jusque là. Deux titres pour les charts noyés dans un retour aux atmosphères très dark. Le sautillant « In between days » et le minimaliste « Close to me » (malheureusement ici dans sa version la plus commerciale, c’est-à-dire avec section de cuivres festifs sur la fin), seront les locomotives du 33T. Dès lors, la Curemania version 2.0 est en marche …

Conclusion : le titre n’est pas trompeur, cependant même si elles n’ont pas été exemptes de revirements sonores, les premières années de Cure ont tout de même été plus homogènes que ce que ce disque laisse entendre …



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THE WHO - WHO'S NEXT (1971)

 

Projet Lifehouse ...

S’il ne fallait garder qu’un disque des Who, pas besoin de réfléchir longtemps, c’est celui-là … Parce que c’est leur meilleur, bien loin au-dessus de tous les autres (des leurs, et aussi de pas mal de leurs concurrents). La faute aux années 60, qui privilégièrent longtemps les singles, et bien que les Who en aient sorti de fameux, comme ils ne se retrouvaient pas sur les 33 T, ceux-ci en pâtissaient … la faute à Tommy, cet opéra-rock mythique, mais boursouflé par des prétentions symphoniques et pompières (au moins une heure à jeter sur cette foutue rondelle), que le groupe s’entêtait à rejouer le plus souvent en intégralité sur scène …

La scène où pourtant ils étaient les meilleurs … mais le fulgurant « Live at Leeds », dont il existe autant de versions que de rumeurs sur ses lieux et conditions d’enregistrement a été partiellement « arrangé » en studio, et les Who ont manqué le rendez-vous avec l’Histoire à Woodstock, où se sont construites tant de légendes (« Woodstock est le pire concert que les Who ont donné de toute leur carrière » dixit Daltrey)… et tout cela, Townshend le sait et veut que son groupe frappe un grand coup. Il a un concept, un projet, une idée, celle de faire le disque de rock ultime. Qui ne serait que la partie émergée d’un iceberg où il est question de spectacle total, le groupe sur scène, une troupe de comédiens, et un film en arrière-plan centré également sur le groupe. Nom de travail du projet : Lifehouse. Qui sera a minima un double album.

Les Who à l'apéro chez Keith Moon

Dans le groupe personne moufte. Ni Daltrey, qui n’est que le chanteur des mots du Pete au grand nez, ni Entwistle, bassiste par définition taiseux, ni Keith Moon, trop occupé à bambocher pour s’occuper d’autres choses. Y’a juste un souci, enfin deux. Leur manager Kit Lambert, veut exploiter le filon « Tommy » jusqu’au trognon. Son but est d’en tirer un film, que modestement il compte réaliser. Faut juste trouver le pognon et les acteurs, pas grand-monde se bouscule, mais lui y passe tout son temps et veut que les Who s’impliquent toutes affaires cessantes dans son projet. Second problème, Townshend lui est complètement obnubilé par « Lifehouse », a la tête remplie des concepts fumeux, forcément fumeux de son précepteur-gourou indien Meher Baba, et l’estomac rempli de Rémy Martin qu’il ingurgite à doses pantagruéliques, ce qui n’aide pas à avoir les idées claires.

Contre l’avis de Kit Lambert, les Who investissent en Février 1971 un petit théâtre londonien (le Vic Theatre), où, trois soirs durant, ils vont jouer live les deux douzaines de titres de nouveau répertoire de Townshend, « Lifehouse », première approche du projet multimédia global conçu par Townshend. Lequel, détruit physiquement par la bibine, finit par sombrer psychologiquement. Lambert en profite pour reprendre la main, dresse le constat que ni « Tommy » le film, ni « Lifehouse » l’opéra-rock, n’avançant, il serait peut-être sage de revenir à quelque chose de plus simple, un disque des Who. Les meilleurs titres écrits par Townshend et déjà joués au Vic Theatre constitueront le nouveau Who. Durant le printemps 71, le groupe est envoyé au Record Plant de New York en compagnie de l’ingé-son et producteur Glyn Johns. Même si sur les crédits, il n’assure que la co-production avec les Who, Pete Townshend reconnaîtra plus tard que c’est Glyn Johns qui a fait la plus grosse partie du boulot. Et quel boulot !


S’il fallait définir comment doit sonner un groupe de rock sur disque, c’est « Who’s next » qui doit servir de référence. Une rythmique à deux têtes, la rigueur caoutchouteuse d’Entwistle vient en contrepoint du tabassage insensé de ses fûts par Moon, Townshend se multiplie aux guitares, tant électriques (Gibson Les Paul, Fender Stratocaster, Gretsch), qu’acoustiques. Car souvent perçu comme un disque violent, « Who’s next » comporte beaucoup de parties acoustiques, faisant encore plus ressortir lorsqu’ils surgissent les riffs dévastateurs. Et par-dessus tout ça, la voix de Daltrey qui n’a jamais aussi bien chanté et qui pose des parties vocales extraordinaires sur chaque titre.

La musique de « Who’s next » est en quasi-totale rupture avec ce que le groupe a enregistré jusque là. Finis les embarrassants errements opératiques de « Tommy », et au placard également tout l’attirail mod des débuts. Townshend ne se limite plus à l’Angleterre (les fringues et guitares floqués de l’Union Jack, de toutes façons sur ce segment difficile de faire plus british que les rivaux Kinks), pas plus qu’à la soul et au rhythm’n’blues américains qui avaient donné lieu sur leurs premières rondelles à quelques reprise pas toujours heureuses. Pour « Who’s next », Townshend se situe dans la lignée de ses plus grands titres (« My generation », « Substitute », « Pictures of Lily », « The kids are alright », « Happy Jack », …).

Février 71 : The Who live at Young Vic

Townshend a un vice caché. Il est estomaqué par les performances de Terry Riley, un des maîtres de la musique sérielle (ou répétitive selon l’angle selon laquelle on l’envisage). Il a tartiné à un doigt sur un synthé (l’ARP) une « pièce » de 9 minutes. Une partie de ce titre sera l’intro du disque sur le premier morceau « Baba O’Riley », référence transparente à ses deux « maîtres » Meher Baba et Terry Riley. Première minute plus qu’audacieuse pour les Who et pour l’époque, mais quand la batterie de Moon surgit suivie par une partie chantée fabuleuse de Daltrey, le tout servi par un son colossal, on sent que pendant presque trois quart d’heure il va se passer un truc … « Bargain » suit. Les Who ont enregistré 9 versions finalisées de ce titre. C’est la prise la plus électrique qui est retenue. Les gros riffs de Townshend sont joués sur une Gretsch, cadeau de Joe Walsh (du groupe proto hard James Gang, et futur Eagles). Démarche inverse pour « Love ain’t for keepin’ », où les grosses guitares hardos de la maquette sont remplacées par des parties acoustiques (comme du Led Zep celtique et lyrique, période « III »). Quatrième titre et « intermède » signé Entwistle « My wife », où le massif bassiste se taille la part du lion (piano, basse, trompette et chant). Un titre à des années-lumière du reste de l’album qui bizarrement s’y intègre parfaitement, respiration légère après un une première triplette tonitruante. La première face du vinyle original s’achève avec « The song is over », à mon sens le titre le plus ambitieux jamais écrit par Townshend (on oublie les bouses symphoniques de « Tommy »). Le groupe est renforcé par Nicky Hopkins au piano. Avec sa dizaine de « sections » tout au long de ses six minutes, c’est un titre injouable sur scène (les Who ne s’y sont jamais essayé), et c’est par sa construction le plus grand titre de prog jamais gravé, un monument dans la lignée du « 21st Century Schizoid Man » de King Crimson (ou du « Pet sounds » des Beach Boys).

Projet de pochette pour Who's Next

En retournant la galette, on débute par « Getting in tune » (avec toujours Hopkins au piano) qu’on pourrait prendre pour une gentille ballade quelconque avant que Moon défonce ses fûts et change radicalement l’optique du titre. « Going mobile » est le plus mauvais titre du disque (bon, il en faut un), il est juste excellent, avec ses airs de rave-up brouillonne. Et comme un grand disque doit tenir la route d’un bout à l’autre, les Who vont faire encore mieux. Deux de leurs quatre ou cinq meilleurs titres jamais gravés concluent « Who’s next ». « Behind blue eyes » est une balade ultime, commencée acoustique puis transfigurée par les riffs dévastateurs de Townshend. Au départ, ce titre devait être le premier single extrait. Ce single précurseur du disque sera finalement une version raccourcie de « Won’t get fooled again ». Single qui n’arrive pas à la cheville de la monstrueuse version de huit minutes et demie qui clôt « Who’s next ». « Won’t get fooled again » pour moi c’est peut-être bien le plus grand morceau de rock ever. Ecrit comme le contrepoint du mythique « My generation », c’est le dernier clou sur le cercueil des années soixante, on voulait tout changer, on s’est fait entuber, mais gaffe, vous nous baiserez plus. Une autre partie du titre sériel à l’ARP l’introduit, genre réplique-miroir de « Baba O’ Riley », avant que Moon et Townshend du haut de son meilleur riff viennent installer une puissance de feu croissante et inexorable pendant plus de six minutes. Quand les notes d’ARP reviennent, ne pas entretenir l’espoir qu’on se dirige vers un final pianissimo. La batterie herculéenne de Moon, le riff suramplifié de Townshend et un chant littéralement hurlé de Daltrey explosent à nouveau les haut-parleurs. Remarque toute perso, tant par sa durée que sa construction (même si le propos n’est pas le même), « Paradise City » des Guns N’Roses est le titre qui se rapproche le plus de « Won’t get fooled again ». Pas un hasard si ce titre est aussi de très loin le meilleur de la bande de à Axl Rose et Slash.

« Who’s next », évidemment il fallait l’avoir en vinyle. Enfin, pour ceux qui avaient la chance d’être ados dans les seventies, et donc le malheur d’avoir les cheveux blancs aujourd’hui (pour ceux à qui il en reste, des cheveux). Evidemment, outre les multiples rééditions en format d’origine (la mienne est un vinyle honteux de 78, pressage en 80 grammes), l’ère Cd a aussi pondu ses litanies de versions de « Who’s next » (bizarrement à ma connaissance, pas de « reconstitution officielle » intégrale du projet « Lifehouse », il vaut peut-être mieux, voir le cas d’école « Smile » suite mythique du « Pet sounds » de Beach Boys, qui quarante ans après sa parution initiale avortée, n’a pas bouleversé grand-monde). Une des meilleures rééditions Cd (gros son, bonus, livret instructif que j’ai pillé sans vergogne pour rédiger cette notule) est celle de 1995. Sept titres supplémentaires (du live au Vic Theatre, les premières versions de titres qu’on retrouvera sur des compilations et que les Who ont joué en public dans les seventies, des maquettes de travail) ont le mérite de prouver que le projet « Lifehouse » a bien fait d’être abandonné, un double ou un triple album à la place de « Who’s next » n’aurait pas eu le même impact …

Ethan Russell & The Who

Un mot sur la pochette. Initialement, ce devait être une photo de Keith Moon, pas à une pochade douteuse près, en travesti SM. Cette photo existe, elle a servi de support à des pubs dans la presse annonçant la sortie du disque. La photo retenue est quasiment accidentelle, et relève aussi d’un projet abandonné. Celui d’un pont devant supporter un axe routier, seules quelques bases de pilier avaient été érigées en pleine nature du côté de Durham (nord-est de l’Angleterre). Repéré lors d’un retour de concert, le groupe y est revenu avec le photographe Ethan Russell (l’auteur des quatre portraits de la pochette de « Let it be »). Beaucoup d’interprétations de cette photo ont circulé. Il semblerait in fine que personne n’ait uriné sur cette sorte de monolithe (juste de l’eau versée « artistiquement ») et que l’allusion à Kubrick et à « 2001, Odyssée de l’Espace » soit purement fortuite. L’idée de base était de retranscrire l’étrangeté de ce bloc de béton au milieu d’une cambrousse désertique … les idées venues lors de la séance de shooting ont fait le reste …

« Who’s next » sera le plus haut fait d’armes des Who. Et surtout leur dernier, les années 70 auraient pu leur appartenir, elles ne seront que le témoin de leur inexorable dégringolade artistique. Si « Who’s next » n’est pas a minima dans votre Top Ten, on risque de pas être d’accord …


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Sings My Generation

A Quick One 





LOU REED - TRANSFORMER (1972)

 

Englishmen in New York

Cela va sans dire, mais ça va pas plus mal en le disant. Le Velvet Underground, groupe crucial s’il en fut, c’est Lou Reed et les autres. Que ces autres s’appellent Andy Warhol, John Cale, Sterling Morrison, Nico, Moe Tucker, Doug Yule ou qui on voudra, ce n’est pas leur faire injure que d’affirmer que c’est Lou Reed qui a fait le plus gros du boulot, et que tous ces titres, devenus mythiques du Velvet, c’est lui qui les a écrits.

Reed & Bowie 1972

Lou Reed a eu beau démontrer qu’il avait du talent – beaucoup – il a aussi prouvé que c’était un mec pas très sympa, voire un sale con. Après son départ du Velvet (trois disques et les compos du quatrième), il a volé de ses propres ailes, signé en solo par RCA. Un premier disque éponyme sera une des pires ventes de la vénérable firme. Faut dire que le Velvet vendait très peu, quelle que soit son influence sur ses contemporains (« le premier Velvet s’est vendu à mille exemplaires, mais tous les types qui l’ont acheté ont monté leur groupe » dixit plus tard Brian Eno), Lou Reed n’était qu’un musicien pour musiciens, selon la formule consacrée.

Parmi ses fans, l’Anglais David Jones, rebaptisé Bowie. Qui dans l’été 72, triomphe (après des années de vaches soit maigres soit faméliques), avec son double extra-terrestre Ziggy Stardust, et porte au sommet des charts le concept musical de glam rock. Et maintenant qu’il a les moyens, il se propose pour donner un coup de main à tous les gens dont il est fan. Premier servi, Ian Hunter et son groupe Mott the Hoople à qui Bowie offre ce qui sera leur seul grand hit, « All the young dudes ». Par l’intermédiaire de sa maison de disques (RCA, ça tombe bien), Bowie propose de travailler avec Lou Reed sur son prochain disque. Va savoir pourquoi, le misanthrope Lou accepte (enfin, il a dû y avoir des pressions « amicales » du management et de RCA), et Bowie s’envole pour New York avec le titre de producteur de « Transformer », le prochain Lou Reed, non sans avoir glissé dans ses bagages son guitariste Mick Ronson (crédité comme coproducteur), et Ken Scott (assistant de George Martin période Beatles, producteur de « Ziggy Stardust », il sera seulement crédité du mixage de « Transformer », mais nul doute qu’il s’est beaucoup plus impliqué que ce que disent les crédits de pochette).


Il y a du boulot. A même pas trente ans, Lou Reed est déjà un has been. Il a certes des chansons en réserve, mais voir des rosbifs débarquer et s’occuper de sa « carrière », ça le fait pas sauter de joie. On imagine l’ambiance en studio et les séances houleuses. D’ailleurs, une fois le succès de « Transformer » certifié, il ne se privera pas pour épancher son fiel sur Bowie et son équipe. La routine …

Il est peut-être sorti pour le cinquantenaire du disque une version en quinze CDs et huit Blu-ray sur les sessions de « Transformer » (quand il s’agit de vendre pour la énième fois aux fans une rondelle mythique, tous les prétextes et arguments foireux sont bons) mais il suffit de la version Cd de 2002 avec juste deux « inédits » (les démos acoustiques de « Hangin’ ‘round » et « Perfect day ») pour voir qu’on était très loin du résultat final. Incontestablement, Bowie, Ronson et Scott ont énormément apporté.

Certains titres sont stricto sensu du glam-rock (« Hangin’ ‘round », calqué sur la reprise du « Round & round » de Papy Chuck Berry par Bowie, « Make up » traité comme les ballades du même Bowie, « Satellite of love » et son crescendo à la « Rock’n’roll suicide », « I’m so free » glam-rock ou plutôt rock-glam avec la guitare de Ronson très en avant). D’autres par contre sont du pur Lou Reed, le boogie monolithique de « Vicious », « Perfect day », réminiscent des balades du 3ème Velvet, la courte rigolade (enfin, rigolade et Lou Reed, vous imaginez le tableau, c’est juste souriant) « New York telephone conversation », et Goodnight ladies », voyage au bout de la nuit newyorkaise, comme une version interlope du « Il est cinq heures Paris s’éveille » de Dutronc. Ce dernier titre comme une sorte de contrepoint à « Walk on the wild side ».

Ah, « Walk … », le genre de titres comme on en écrit pas quatre dans sa vie (quand on s’appelle Lou Reed, pour quasiment tous les autres, ça relève du rêve …). Portraits croquignolets de tous les oiseaux de nuit qui hantent les rues mal famées de New York, les transsexuels (Holly et Candy Darling), les prostitués défoncés (Joe) ou les défoncées tout court (Jackie), une ligne de basse unique de Herbie Flowers (que Bowie recrutera lors de sa carrière américaine de 75-76), les mythiques vers « but she never lost her head, even when she was givin’ head », le tout pour un des plus improbables titres à avoir jamais atteint le haut des charts.


Ronson est très présent (plus même que chez Bowie), lui et le Ziggy font les chœurs, et le grand bonhomme du disque est la révélation Herbie Flowers qui magnifie « Walk … » certes, qui dirige « Andy’s chest » (hommage du bout des lèvres à Warhol), et joue de l’improbable tuba sur « Make up ».

« Transformer » est un disque quasiment parfait (un seul titre faible, « Wagon wheel »), avec sa pochette devenue iconique tant son recto (la photo « ratée » de Mick Rock, égarée parmi toutes celles qu’il présentait pour la pochette, c’est évidemment celle que le Lou a choisie) que son verso du photographe Karl Stocker (la mannequin anglaise Gala Mitchel et le pote de Reed Ernie Thormahlen avec sa banane dans le jean).

« Transformer » boosté par « Walk … », lancera la carrière internationale de Lou Reed, fera reconnaître tardivement le Velvet (le concert français de « reformation » avec Nico et John Cale l’année suivante). En 73 paraîtra l’autre grand classique de Reed, « Berlin », beaucoup plus sombre et glauque qui assiéra définitivement son statut de figure tutélaire du rock. Dès lors à l’abri du besoin, Reed pourra laisser libre cours à sa mauvaise humeur (pour être gentil) légendaire, faire paraître une litanie de disques où le très bon côtoie le sans intérêt, avant un ultime chef d’œuvre (« New York ») à la fin des 80’s …



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