Il était un petit navire ...
… qui avait beau beau beaucoup navigué … Et qui s’appelait le HMS Surprise, et qui comme son nom l’indique (Her Majesty Service) portait fièrement les couleurs de l’Union Jack pour défendre sur mer les intérêts de la Couronne contre les coques de noix affrétées directement ou en sous-main par l’infâme Napoléon Bonaparte à qui l’on prêtait l’intention en ces années-là (tout début du XIXème siècle) d’envahir grâce à sa marine la toujours perfide Albion …
Weir & Crowe |
Le HMS Surprise, deux douzaines de canons et quasiment
200 hommes à bord (militaires, marins, hommes d’équipage, personnel d’entretien,
…) se trouve en avril 1805 au large des côtes brésiliennes lorsque commence le
film. Il ne va pas tarder à rencontrer si l’on peut dire son âme-sœur (en deux
fois plus balèze) le navire corsaire français l’Achéron (pour bien montrer que
c’est un esquif méchant, on l’a baptisé du nom d’un fleuve des enfers dans la
mythologie grecque). Les infâmes froggies profitent du brouillard pour s’approcher,
attaquer et mettre à mal le bateau des rosbifs. Sans l’expérience et la rouerie
de son capitaine Jack Aubrey, dit Jack la Chance (qui rentre dans le banc de
brouillard pour éviter d’être coulé), le film n’aurait pas duré longtemps …
Dès lors, le capitaine Aubrey n’aura de cesse de
traquer l’Achéron autour de l’Amérique du Sud. La seconde rencontre sera aussi
synonyme de branlée pour les Anglais, et la troisième confrontation sera (on le
voit venir depuis le début) la bonne …
Le scénario de base est digne d’un téléfilm de France 3 Limousin (l’obstination du « bon » contre le « méchant » qui finit par triompher), j’aime pas la mer, encore moins les bateaux, et pas trop les Anglais dont on dirait qu’ils sont juste là pour nous faire la guerre et nous battre au rugby (même si sur ces deux aspects ils sont en train de s’améliorer, ils prennent des roustes au rugby) … donc tout ça pour dire que « Master and Commander …», il se pointait pas chez moi sous les meilleurs auspices …
Bettany & Crowe |
Passées les deux heures et quart du film, j’aime toujours
pas la mer, les bateaux et les Anglais, mais j’aime plutôt bien « Master
and Commander … ». Qui en plus de ses a priori défavorables déjà
évoqués, affiche en tête de générique le nom immensément bankable pour le
capitaine Aubrey de Russell Crowe (le seul à figurer sur la jaquette) qui en
trois ans, vient d’être nominé trois fois aux Oscars dans la catégorie meilleur
acteur (et gagnant pour « Gladiator »). Bon, tant qu’on est dans les
amabilités, Crowe pour moi, c’est Bronson en blond, juste capable de faire son
regard noir annonciateur de mauvais temps pour ses interlocuteurs, le castagneur
bien bourrin … or ici, il a un personnage un peu moins taillé à la hache, et un
interlocuteur-contradicteur campé par Paul Bettany (Maturin dans le film), scientifique
homme à tout faire (et surtout réparer les estropiés), et doublé d’une
humaniste. Cette opposition entre les deux amis dans le film fait déborder « Master
and Commander … » du strict cadre du film d’action. Entre deux joutes
verbales où s’opposent deux définitions du Bien et du Mal, le devoir et l’obstination
face à la raison et la science, les deux compères se retrouvent dans la cabine
du capitaine pour jouer des airs classiques, Crowe au violon et Bettany au
violoncelle. A noter que les deux ont réellement suivi un entraînement intensif
pour ces instruments, ce sont eux qui jouent vraiment (même s’ils sont doublés
par de vrais pros sur la bande-son, il n’y avait paraît-il pas trop de pains à
l’origine).
Derrière la caméra, Peter Weir (plein de succès au
box office, d’abord en Australie, puis plus tard dans le reste du monde supposé
libre). Qui voulait absolument Crowe pour le premier rôle (par solidarité
antipodique, les deux étant australiens ?). Bonne pioche, Crowe n’est pas
pour rien dans le succès du film. Revers de la médaille, les relations, ont été
sinon tempétueuses, du moins fortement houleuses entre les deux …
Le scénario est tiré d’un bouquin d’une interminable saga nautique d’un certain Patrick O’Brian (évidemment un Anglais, malgré son pseudo irlandais), adapté par Weir (pour être sûr de ne fâcher personne aux Etats-Unis, le bateau « ennemi » à l’origine américain est devenu français, et rien que sur ce sujet, y’en aurait des choses à dire …). Weir est un type sérieux, pour pas dire austère. Il sait qu’il va pas falloir se contenter de deux maquettes dans une bassine et trois effets spéciaux pour faire un film d’action crédible. D’autant qu’en matière de bateaux, un certain James Cameron vient de placer la barre plutôt haut … « Titanic » n’est jamais évoqué dans les bonus du Blu-ray même si, comment ne pas penser sur un plan qui nous montre Crowe et Bettany en haut d’un mât à Di Caprio et Winslet à la proue du Titanic … Manque juste la Dion en train de brailler une de ses insanités habituelles (dans « Master … », c’est de la musique classique, qui n’est pas forcément moins pompière d’ailleurs, merci Mozart, Bach et consorts …).
« Master … » ne sentait pas le film fauché au départ. Avant même d’avoir finalisé son scénario et complété son casting, Weir (ou plutôt la Fox), avait acheté un vrai voilier d’époque. Ce sera le HMS Surprise, il sera réellement en mer, et certaines scènes y seront tournées (par temps calme, faut pas non plus demander à des acteurs et une équipe technique de manœuvrer ce bestiau par gros temps). Parallèlement, une copie grandeur nature sera réalisée par l’équipe du film, montée sur vérins, immergée dans un gigantesque bassin dans les studios de Baja (propriété de la Fox), au Mexique. C’est cette réplique qui donnera certaines scènes de combat et de gros temps. Deux morceaux de navire (un pour le HMS Surprise et un pour l’Achéron) serviront pour l’abordage final. Plus évidemment les maquettes qui serviront de base aux trucages numériques. On voit que d’entrée, « Master … » était tout sauf un film à petit budget.
Rajoutez les tenues d’époque, une vraie escale dans les
Iles Galapagos (parfois retouchées numériquement, mais la plupart des bestioles
rencontrées par Maturin et ses deux accompagnateurs font réellement partie de
la vraie faune locale. Rajoutez aussi un travail colossal sur le son (tous ces
bruits boisés dans le bateau, de vrais essais dans un champ de tir de l’armée
américaine de vrais canons d’époque pour savoir où et comment placer les micros
pour reproduire leur vrai son). Rajoutez un parti pris de beaucoup de pans
larges y compris lors des scènes de bataille (nécessitant donc la participation
de dizaines de figurants ou cascadeurs), des préparations minutieuses pour des
séquences « one shot » (avec destruction de fausses parties du
navire) filmées sous plusieurs angles par quatre caméras, pour que si un truc
déconne dans un coin, on ait d’autres angles de prise de vue pour exploiter la
scène sans avoir à la refaire … Cerise sur la gâteau maniaque du réalisme, lors
de la tempête au passage du Cap Horn, ce sont de vrais vagues du Cap Horn
(tirées d’un documentaire maritime) qui, ramenées à grands coups d’ordinateur à
l’échelle de la maquette du bateau, servent de décor à une des scènes épiques
du film (démâtage, marin tombé à l’eau sacrifié, …). Tout se veut réaliste dans
« Master … », ce qui nous vaut aussi beaucoup de sang lors des
bastons et quelques scènes crispantes (l’amputation du tout jeune aspirant, la
trépanation d’un vieux marin, l’auto-opération de Maturin lorsqu’il s’est accidentellement
ramassé une balle dans le buffet, …)
Tout ça coûte forcément une blinde. Le point faible
du film, c’est donc qu’il repose beaucoup sur Crowe (et un peu sur Bettany). Le
reste du casting (composé de « gueules » venues essentiellement du
théâtre anglais), c’est à peu près des figurants muets, les seconds rôles
parlants sont peu nombreux et les histoires dans l’histoire qu’ils peuvent
générer guère captivantes (le sous-off accusé d’être le chat noir de l’équipage
et qui finit par se balancer à la flotte lesté d’un boulet de canon, …).
« Master and commander … » est un film à grand
spectacle qui est … spectaculaire. Mission accomplie …