Ouais, on va pas y passer la nuit. Venons-en directement
aux (mé)faits. Travis donc, groupe de quatre types écossais, débuts au milieu
des années 90. Pour situer, ceux qui comptent dans la perfide Albion s’appellent
Blur et Oasis, et ceux qui vont compter Coldplay et Radiohead. Les deux
premiers donnent dans le rock, les deux autres non.
C’est pourtant en singeant de façon éhontée les bandes à
Chris Martin et Thom Yorke que Travis va faire son beurre. « The Man Who »
s’est vendu à des millions d’exemplaires chez les rosbifs, et le groupe est
resté à peu près inconnu dans le reste du monde. Ça arrive, on a bien Johnny
Hallyday et chez les Ricains Billy Ray Cyrus (le père de la Miley du même nom),
énormes vendeurs chez eux et qui ne s’exportent pas. Essentiellement parce que
trop typiques de leur pays.
Les Travis, on peut pas dire qu’ils soient typiques de l’Ecosse
ou de l’Angleterre, c’est pas les Kinks des années nonante, on en est loin ...
Que leur disque ait pu marcher quelque part relève pour moi du prodige, tant il
est d’une fadeur affligeante. Pour faire simple, on dira que c’est du Coldplay
des débuts avec le producteur de Radiohead. Oui, le sieur Nigel Godrich himself
est aux manettes de « The Man Who ». Ils ont bien fait de l’écrire
sur les notes de pochette, parce que ça s’entend pas trop. Comme quoi, un
producteur aussi doué soit-il, s’il a pas face à lui des types qui ont des
idées, il imprime pas sa marque …
Faut dire que dans le genre, les Travis font assez fort.
Dix titres (plus un caché) construits de la même façon. De la ballade mid-tempo
sur fond d’arpèges de guitare, des constructions mélodiques rachitiques, des
refrains soporifiques, et un type au micro dont je veux même pas savoir le nom
qui chante tous les titres exactement de la même façon, voix feignasse,
linéaire et voilée.
Et quand l’inspiration manque, on va exhumer des grilles
d’accord de « Bonnie & Clyde » (Gainsbourg et Bardot) sur l’introductif
« Writing to reach you » ou de celles du Lennon de « Jealous guy »
(sur « As you are »). Quatre singles furent extraits de cette
rondelle et se comportèrent honorablement dans les charts (anglais only). Coup
de bol, il y a dans le lot les deux meilleurs titres, « Why does it always
rain on me ? », agréable mid-tempo avec une fois n’est pas coutume
une jolie mélodie, et « Driftwood », point trop moche réminiscence du
REM période « Out of time – Automatic for the people ». Les autres
morceaux, interchangeables mièvreries inconsistantes, on peut les zapper.
Ce « The Man Who » on le trouve facilement d’occase pour
le prix port compris d’un demi. Ô joie, la version que j’ai pécho comprend sur
un Cd bonus trois titres live (deux at home à Glasgow, un sur une radio ou une
télé italienne). Believe me, c’est encore plus mauvais que sur disque (on
entend pas le batteur à Glasgow, ça semble unplugged), à tel point que la meilleure
performance est d’assez loin celle du présentateur italien, qui semble
surexcité à l’idée d’annoncer Travis. Y’a vraiment pas de quoi …
« The Queen » est centré sur la semaine du
Dimanche 31 Août 1997 au Samedi 6 Septembre de la même année. C’est-à-dire
entre l’accident parisien qui lui a coûté la vie et l’enterrement de Diana
Spencer, plus connue comme Lady Di.
Ceci étant dit, j’ai jamais été abonné ni même lu
les torchons sur les people et les têtes couronnées genre « Gala », « Point
de vue » et assimilés, et la saga et les frasques de la famille royale
britannique, je m’en tape complètement. « The Queen », heureusement
est un film qui fait intervenir les people, mais n’est pas un film sur les
people royaux. C’est un film que je qualifierai de politique. Dont les
premières scènes montrent l’arrivée au pouvoir de Tony Blair (une paire de mois
avant que la Merco aille s’encastrer sur un poteau du souterrain du Pont de l’Alma),
et les dernières une rencontre protocolaire entre le Prime Minister et la Queen
Mom deux mois après les funérailles de Lady Di.
Mirren & Frears
C’est pour moi cette entrée en matière et le final
du film qui sont les plus importants. Le reste, la semaine évoquée plus haut, a
été tellement commenté et documenté, que mis à part des immersions (réussies) au
10 Downing Street, au domaine privé écossais de Balmoral et à Buckingham Palace,
lieux de résidence de la famille royale, ça n’apporte pas grand-chose à l’histoire,
celle qu’on écrit dans les livres. « The Queen » n’est pas une
version « alternative » de l’Histoire comme peuvent l’être le « JFK »
d’Oliver Stone ou le « Farenheit 11/9 » de Michael Moore. « The
Queen » nous montre en continu, de façon chronologique (la date est
précisée chaque fois que l’on change de journée), ces jours qui ont failli faire
vaciller la monarchie britannique, et ses siècles de pouvoirs héréditaires.
Derrière la caméra, Stephen Frears, évidemment Sujet
de Sa Très Gracieuse Majesté. Quasiment une quarantaine d’années derrière la
caméra en 2006, parsemées de quelques aimables succès critiques et populaires (« My
beautiful Laundrette », « Les liaisons dangereuses », « High
fidelity », …), sans pour autant être reconnu comme un cador des plateaux
de tournage. Il signe avec « The Queen » ce qui est certainement son
meilleur film. Et pas qu’un peu aidé par une prestation époustouflante d’Helen
Mirren, qui prouve enfin, à plus de soixante balais, qu’elle peut tenir un
grand rôle dans un grand film, cantonnée qu’elle a été dans des séries B plus
ou moins navrantes (je vais pas faire la liste, y’a Wikipedia qui le fait très
bien). Un Oscar (mérité) viendra couronner (c’est bien le mot) sa performance
en Reine d’Angleterre face à une crise morale, sociale, politique et
institutionnelle.
Evidemment, et c’est précisé à la fin du générique, « The
Queen » est une fiction basée sur des faits réels. Les seules versions de
l’histoire ne venant que du camp de Tony Blair, campé dans le film par Michael
Sheen, choisi pour une vague ressemblance. C’est lui le maillon faible du casting,
alors que sa femme Cherie (Helen McCrory), ou les membres de la famille royale
(eux aussi castés pour des similitudes physiques) s’en sortent mieux (le futur
King Charles, son père Philip, la mère d’Elisabeth).
Tony Blair prête serment
« The Queen » mélange scènes d’archives
télé et pour l’essentiel des reconstitutions, avec parfois les acteurs
superposés aux images d’actualités. Inutile de préciser que rien n’a été tourné
aux abords du Ritz, au Château de Balmoral, à Buckingham Palace, ou dans la
cathédrale de Westminster. Mais comme vous et moi et pas grand-monde n’a jamais
foutu les pieds dans ces endroits prestigieux, le subterfuge était facile (pour
la cathédrale de Westminster, images d’archives et plans serrés sur les acteurs
suffisent à entretenir l’illusion du réel).
« The Queen » a ceci d’efficace, qu’il nous
montre deux choses. Le chaos dans lequel s’est enfoncé des jours durant la
Reine et sa famille, et un Tony Blair qui très vite va finir beaucoup plus mal
que ce qu’il avait commencé. Est-ce en filigrane un règlement de comptes de
Frears avec celui qui a quand même bien trahi ses idéaux (et ses électeurs), il
se pourrait bien.
Dans quasiment tout le film, c’est pourtant Blair
qui a la main et « sauve » la Reine. Sauf que … On débute par une
Elisabeth majestueuse qui pose en tenue de grand apparat pour un portrait en pied
(enfin, assise) pour le peintre (officiel ?) du régime. La scène a lieu le
jour des élections qui vont voir la victoire du Labour de Blair. Dans la
discussion (très protocolaire) le peintre glisse que thanks God, il n’a pas
voté travailliste. Plus fine, la Reine lui fait remarquer qu’elle n’a pas le
droit de vote, mais on sent bien que ... vous m’avez compris … Et déjà, on voit
que « The Queen » ne sera pas un pensum historique pesant. La finesse,
l’ironie, le second degré, le tongue-in-cheek sont souvent de la partie. Grand
numéro d’équilibriste de Frears et de son scénariste Peter Morgan, d’autant
plus que les faits évoqués ne sont pas vraiment légers et ont traumatisé toute une
nation. Quelques jours après les élections, entrevue officielle et en privé de
Blair et Elisabeth pour l’investiture du premier Ministre. Blair, d’apparence
joviale, décontractée et souriante, est intérieurement tétanisé par la
solennité du moment. Beaucoup plus que sa femme, qui le rejoint dans la foulée
(dans la famille Blair, et pas seulement dans le film, c’est elle qui était à
gauche). On voit déjà l’instinct politique de la Reine qui a auparavant demandé
à son chef du protocole de venir l’appeler au bout d’un quart d’heure pour ne
pas éterniser la rencontre avec les prolos Blair, à qui elle n’a pas manqué de rappeler
que son premier Premier Ministre fut un certain Winston Churchill …
Débordée par l'actualité ...
Ces décennies de pratique et de finesse politique vont
se fracasser deux mois plus tard lors de l’accident de Diana. Lorsque le décès
est confirmé, les certitudes et les siècles de tradition volent en éclats.
Charles, bien qu’ex-mari cocu (la réciproque est aussi vraie) sent que toute la
famille royale doit rendre hommage à celle qui fut femme de l’héritier du
trône, d’autant plus qu’elle est adorée par le pays. Il va trouver en face lui
la Reine, son époux et sa grand-mère (en gros « c’est pas une Windsor, c’est
plus ta femme, que sa famille – les Spencer – se démerdent »). Toute la
famille royale est au moment du décès en villégiature dans sa propriété privée
de Balmoral en Ecosse et il n’est pas question de retourner à Londres, de faire
quelque discours ou intervention que ce soit et d’organiser des funérailles d’apparat.
Le futur King Charles (étrangement, Frears ne fait jamais apparaître ni ne cite
la Camilla) doit s’appuyer sur Blair pour faire rapatrier le corps avec un
minimum de solennité en Angleterre.
Blair et son équipe sentent bien que la pression
populaire est en train de monter contre la Reine et les coups de téléphone se
multiplient entre Downing Street et Balmoral où toute la famille Windsor
continue ses activités champêtres et bucoliques (la pêche, la chasse, les grillades,
les ballades en Land Rover) comme si de rien n’était. Ces face à face par
British Telecom interposés sont passionnants, entre un Blair qui s’affirme de plus
en plus et une Queen qui s’agace de son attitude mais commence à douter. C’est
la pression populaire, cumulée à des sondages (secrets) calamiteux pour la
monarchie attaquée par toute la presse sans exception, qui conduira à son
retour à Londres, ses déambulations devant les tonnes de fleurs entassées
devant les grilles de Buckingham Palace, son message de deuil à la Nation, les
obsèques nationales avec Elton venu entonner un « Candle in the wind »
(on l’entend pas mais on le voit entrer dans la cathédrale), enfin tout ce que
les télés du monde entier (passage de temps en temps de vrais extraits de JT d’un
peu partout) ont montré non stop et en direct pendant toute la semaine.
Blair calling : Allo, non mais allo quoi ...
La monarchie a tremblé, la popularité de la Reine s’est
effondrée, Blair triomphe (sa fameuse expression de « Princesse du peuple »
lors d’un discours d’hommage à Diana). Mais le film s’appelle « The Queen »
et pas « Tony ». Quelques semaines plus tard, lors des rencontres
hebdomadaires avec son Premier Ministre (2500 à ce moment-là, comme le lui
rappelle Blair), on voit celle à qui il est interdit de faire de la politique
avoir repris les choses en main, et humilier (toute en sourires et formules malicieuses)
un Tony Blair qui lui est déjà sur la pente descendante …
Helen Mirren est époustouflante dans son rôle, et
pas pour seulement pour son apparence similaire (l’allure, les fringues
terriblement désuètes, paraît-il sa façon de s’exprimer, mais là je peux pas
dire, j’ai pas de Cds de la Queen Elisabeth). Elle rend magnifiquement le
désarroi d’une femme devant laquelle tout le monde s’est toujours courbé, et
qui se retrouve face à une situation qui fait voler toutes ses certitudes en
éclats. Mention particulière également à James Cromwell excellent dans le rôle
de son mari, qui présente la facette la plus conservatrice de la famille, à
grand renfort de réparties cinglantes (et donc ridicules).
Deux anecdotes pour finir.
Aussi méticuleux qu’ait voulu être Frears, il a
laissé passer un pain au montage. A un moment, on voit la Reine partir se
balader en 4X4 et elle fait monter deux clébards noirs (des labradors ?)
dans la voiture. A la scène suivante, lorsqu’elle rouvre la portière, il en
descend trois. L’autre énigme du film, ce sont les deux face à face de la Reine
avec un cerf gigantesque, le premier alors qu’elle en panne avec sa vieille Land
Rover, et le second alors qu’il a été abattu par des chasseurs d’un domaine
voisin. Les spéculations les plus étranges se sont multipliées sur la
symbolique sous-entendue. Frears affirme que ça fait partie des scènes sans
aucune signification, juste là pour leur rendu visuel, et donner une durée « décente »
au film (une heure quarante) …
Madness, ils avaient réussi le hold-up parfait à la
toute fin des seventies. En obtenant le hit majeur d’un très improbable ska
revival, le gentiment crétin « One step beyond », que tout le monde,
de sept à soixante dix-sept ans a, de gré ou de force, évidemment entendu. Le
ska anglais a fait à peu près aussi long feu que le mouvement punk (un peu plus
d’un an) et exit tous ces groupes de la vague appelée aussi two-tone (imagerie
en noir et blanc, groupes multiraciaux), qu’ils soient bons (Specials), ou pas (Selecter,
English Beat, et des plus couillons …). Tous rayés de la carte, sauf Madness …
Et pourquoi ? Bravo, bonne question, eh bien je
vais vous le dire. D’abord Madness, ils étaient arrivés en haut des charts, et
la thune récoltée à l’occasion, ça permettait d’affronter les premiers jours
moins fastes. Ensuite, ils étaient nombreux (six ou sept, j’ai jamais vraiment
su et eux non plus peut-être), dont la plupart étaient capables d’écrire des
morceaux (par comparaison, le répertoire des Specials dépendait du seul Jerry
Damners, et quand il s’est barré, plus de groupe …). Et puis, Madness étaient
Anglais, mais vraiment Anglais, quoi, jusqu’à la caricature (comme les Kinks,
Slade ou Ian Dury avant eux, et Oasis plus tard). Et là t’es sûr de vendre du
disque, au moins à tes compatriotes …
Des disques, merci pour eux, ils en ont vendu. Et
parce qu’il ne faut rien laisser au hasard et battre la ferraille tant qu’elle
est chaude, tous les trois disques studio, ils sortaient une compilation. Celle-ci,
« Utter Madness » (comprendre « Other Madness » avec
l’accent cockney typique du prolo londonien), arrive donc après « The rise
and fall » (le meilleur des trois), « Keep moving » et
« Mad not mad ». Elle tombe à point, parce que le groupe est en train de
se mettre en sommeil (les Madness se sépareront et se reformeront à peu près
aussi souvent que Deep Purple). Les tensions, querelles, fâcheries, départs et
autres bisbilles, dont les Madness seront coutumiers lors d’une carrière qui
dès lors ne s’écrira plus qu’en dents de scie, même si elle se poursuit avec la
plupart des membres originaux depuis plus de quatre décennies.
J’ai la flemme de pointer, mais hormis le dernier
titre « Seven year scratch » (mix de plus de huit minutes compilant
quantité de leurs titres, sorte de collector sans intérêt), il me semble qu’il
n’y a dans cette compile rien d’inédit. Musicalement, on est loin, bien loin de
« One step beyond » (mais pas visuellement, ils ont gardé cette manie
de chenille sodomite, la photo de pochette est dérivée de celle de « One
step beyond »)
Madness, au fil des albums, est devenu un groupe pop,
comme populaire … ou parfois populacier (voir la navrante « Driving in my
car », minable scie pour fans de sept à soixante dix sept ans). Ce qui
permet de voir que plusieurs « lignes » s’affrontent dans le groupe
(Madness et Clash, même combat ?). Ceux qui aimeraient bien être le groupe
fun dont on écoute les morceaux bien bourré avec des potes dans un pub, et ceux
qui voudraient être plus « sérieux » et faire passer un message.
C’est cette dernière tendance qui l’emportera par la suite, mais c’est une
autre histoire …
N'empêche, quand les gars se retrouvent sur une
mélodie sur laquelle chacun amène sa contribution, c’est magique (« Our
house », leur meilleur single ever ?). On trouve sur cette compile d’autres
grandes chansons pop (« Tomorrow’s just another day » avec sa très
légère touche de sax ska, « (Waiting for) the ghost train », dernier single
avec la séparation, « The sun and the rain », bluette au piano
martelé, comme du McCartney des mauvais jours, mais un peu du McCartney quand
même, …).
Parfois les Madness font leur Bowie, vampirisant les
autres. On ne peut s’empêcher de trouver un air de famille entre « Victoria
Garden » et Elvis Costello, entre « Wings of a dove » et une
version moins groovy de Kid Creole and the Coconuts, entre « Yesterday’s
men » et les ambiances jazzy du Dire Straits de « Brothers in
arms », entre « Sweetest girl » et le reggae suave ou mou du
genou (choisissez votre camp) de UB40. Parfois aussi pour faire tomber les
tensions, on laisse de la place à tout le monde sur un titre, ça sonne
bordélique parce qu’ils sont nombreux, et ça s’appelle « I’ll
compete ». Seul relent du ska des débuts, même si plus « apaisé »
et mélodique, le titre « Uncle Sam » (dans l’esprit leur « I’m
so bored with the USA » du Clash). Y’a aussi une ballade triste qui traîne
ses guêtres et sa mélancolie vers la fin (« One better day »).
Et puis il y a le titre que seul un groupe vraiment
anglais et fier de l’être pouvait écrire. Il s’appelle « Michael Caine »
(avec la voix du vrai Michael Caine qui se présente), et c’est bien évidemment
un hommage à l’acteur anglais le plus cool de tous les temps, et en plus c’est
un des meilleurs morceaux de cette compile … qui ne contient pas que de
l’indispensable, vous l’avez compris.
Plus dure sera la chute … Quatre ans après s’être
extirpés du néant, la bande des frères Gallagher est à peu près devenue la plus
grosse attraction musicale du monde dit libre. Il y en a qui arrivent à gérer
ce statut et tout le gigantisme dans tous les domaines qui va avec, comme au
hasard les Stones. Mais pas Oasis …
D’abord parce que les types sont ingérables. Enfin, les
deux qui comptent, les deux frangins. Avec mention particulière à Liam,
oscillant en permanence entre Sid Vicious et Mr Bean, capable de réparties
incendiaires et parfois drôles, mais aussi de boxer sa gonzesse. Tout ceci
hypertrophié par beaucoup d’alcool et de coke. Mais ça fait vendre du tabloïd
(la pseudo guéguerre Blur-Oasis), et donc entretient la surmédiatisation du
groupe.
Oasis 1997
Qui peut s’appuyer sur ses deux premiers disques plus que
bien torchés, reprenant les choses là ou Beatles et Stones les avaient laissées
en 68, et Who et Faces en 71. A la manœuvre, et donc à l’écriture, Noel, lider
maximo de la bande. Qui a trouvé un gimmick au niveau du songwriting qui fait
que ça accroche. Des mélodies mid tempo (qu’il suffit d’accélérer ou de
ralentir pour avoir un nouveau titre), des guitares lourdes, une rythmique qui
enclume, et des arrangements et des constructions de titres (à peu près
toujours les mêmes) qui semblent être ce que le peuple (celui qui contribue à
faire des chiffres de vente colossaux) a envie d’acheter à ce moment-là.
Alors, qu’est-ce qui les a pris avec ce « Be here
now » ? J’en sais rien et je m’en fous, mais je m’en doute un peu.
Tout le monde (le Noel, toujours responsable de tous les titres, le reste du
groupe, le management, le label, …) a pris le melon. A voulu faire un disque
qui marque l’Histoire. A la manière d’un Michael Jackson qui écrivait tous les
jours sur le miroir (qu’on imagine grand comme un parking de supermarché) de sa
salle de bain « 100 millions », soit le nombre de disques qu’il
voulait en vendre alors qu’il s’attelait au successeur de
« Thriller ». Et si le Michou se shootait à l’oxygène dans un caisson
hyperbare, les Oasis carburaient à des trucs qui te déglinguent aussi les
neurones.
Comment personne, parmi tous ceux qui étaient concernés
avant que le disque sorte, n’a été foutu de se rendre compte qu’il y avait un
gros souci avec « Be here now ». Peut-être quelqu’un a-t-il osé faire
la remarque aux sourcilleux frangins, mais il est sûr qu’il n’a pas été écouté
…
Deux frères ...
Tout dans « Be here now » empeste la
mégalomanie. De la pochette à « messages » et énigmes, à cette
litanie de titres interminables. Le lecteur de Cd affiche 71’38’’ pour onze titres.
Presque six minutes par morceau, et il y en a même un (« All around the
world ») qui dépasse les neuf minutes. Et comme les types sont pas des
virtuoses, ça mouline à l’infini le même accord, et c’est pas les claviers (qui
rejouent généralement les accords de guitare) qui viennent aérer ce son. Toutes
ces couches instrumentales empilées, mixées tous les potards sur onze, ça fait
beaucoup plus de bruit que de musique. Parce que la partie musicale de
l’affaire est réduite au strict minimum, des trucs qu’on a déjà entendus sur
les deux disques précédents, en plus concis et plus imaginatif (la bonne
trouvaille de la scie musicale sur « Wonderwall » par exemple). En
gros le son de « Be here now » est peu ou prou celui du magma de guitares
saturées qu’on trouvera un peu plus tard sur le live « Familiar to
millions ». Qui lui a tout de même l’avantage d’être aussi un greatest
hits live.
Bon, des hits, il y en a deux de corrects sur « Be
here now ». Pas forcément par hasard, ce sont deux ballades très typées 70’s,
où il faut le reconnaître, Oasis excelle. « Don’t go away » ne
déroutera pas les fans des Red Hot Chili Peppers, n’est point trop
assourdissante, et a l’immense mérite d’avoir un final à la guitare acoustique,
ce qui offre une pause bienvenue pour les oreilles …« Stand by me », elle, figure dans
la poignée des meilleurs titres d’Oasis, avec sa montée progressive vers un
refrain qui sait se faire désirer. Dans à peu près le même registre, un bon
point également au morceau-titre, qui ne marque tout de même pas autant les
esprits … Des titres dont la construction convient parfaitement au style vocal
de Liam Gallagher, jamais aussi à l’aise que dans les tempos lents. Ce qui nous
amène à souligner son inaptitude souvent criante lorsque le rythme s’accélère.
Le lad suprême est à la ramasse sur le up tempo de « My big mouth »,
et la plupart du temps est obligé de gueuler plutôt que de chanter pour pas se
faire écrabouiller vocalement par le mur de guitares.
Du coup, tout ce que les détracteurs d’Oasis avaient
d’emblée mis en avant se trouve ici de façon exacerbée. Le manque d’imagination
de l’écriture de Noel, la manque de souplesse vocale de Liam, la technique
musicale rudimentaire de l’ensemble, les citations-hommages-pastiches un peu
trop voyants (Lennon et les Who sur l’insignifiant « Fade in – Fade
out », « It’s getting better » qui cite par son intitulé les
Beatles de « Sgt Pepper’s … » mais est un des plus mauvais de la
rondelle avec l’épouvantablement strident « I hope, I think, I
know »). Pour tenter de sauver la face, Oasis va même jusqu’à
s’autoparodier (« The girl in the dirty shirt » reprend tous les tics
d’écriture de Noel et tous les tics vocaux de Liam entendus jusque là).
En fait un seul titre résume l’affaire. Le premier, « D’you know what I mean ? ». Une
intro avec bruit d’avions (on se croirait dans « The Wall » ou « The
final cut » de Waters / Pink Floyd), des borborygmes de synthés … Il faut
attendre une minute pour que le titre « démarre », avant que
s’enchaînent clins d’œil appuyés à tout ce qui a fait le succès du groupe, sans
que jamais celui-ci ne semble mettre un terme à cet enchaînement de grosses
ficelles (7 minutes 42 secondes au compteur).
Un mot sur l’ésotérique pochette. On voit bien qui
« commande ». Noel au premier plan, Liam un peu en retrait, les trois
autres loin derrière. Un calendrier qui indique la date de sortie dans le pays
concerné, une Rolls dans une piscine (référence à une anecdote avinée de Keith
Moon), une montre sans aiguilles (là, ça m’étonnerait que ça fasse allusion au
film de Bergman « Les fraises sauvages » où on en voit une
similaire), la Vespa, le vieil électrophone (la nostalgie, camarades, c’était
mieux avant), la mappemonde du premier disque, et puis plein de détails que seuls
peuvent assimiler les fans hardcore … Il paraît que c’est une des pochettes les
plus chères de l’histoire du rock … bâillements …
La suite de l’aventure ne sera pas meilleure, loin de là.
Vladimir Gallagher devra lâcher du lest, laissant les autres (malheureusement)
écrire des chansons, en contrepartie de quoi il passera (malheureusement)
occasionnellement derrière le micro, le tout dans une ambiance de guerre civile
fratricide qui durera une dizaine d’années avant le sabordage parisien.
Bien que globalement très médiocre, « Be here
now » est le dernier disque studio encore écoutable d’Oasis …
Et s’il ne devait en rester qu’un des disques des
Smiths, ce serait celui-là. Loin, très loin au-dessus des autres, n’en déplaise
au fan-club (ou aux Inrocks, ce qui revient au même). Et pourtant, quand il
sort, ce « The Queen is dead », troisième disque du groupe, les
Smiths n’ont déjà plus rien à prouver. Et il n’y a même pas deux ans et demi
qu’ils ont fait paraître leur inaugural album éponyme.
Entre-temps, ils sont devenus une institution en
Angleterre, dernière sensation de rock indé à guitares. Dans un paysage musical
gangréné par de la pop à synthés, ils s’obstinent dans une formule
guitare-basse-batterie-chant … Bien aidés pour atteindre les sommets par les
machins de plus en plus pompiers que publient les acclamés une paire d’années
plus tôt U2 et Simple Minds (de toutes façons disqualifiés pour le titre de
meilleur groupe anglais, les premiers sont Irish et les seconds Scottish). Tous
les magazines musicaux anglais vouent une vénération aux Smiths. Faut dire que
les Anglais aiment bien le rock, surtout quand c’est eux qui le font. Et donc,
plus les groupes forcent sur le « so british », plus le public local leur
fait un triomphe. Après les Jam et en attendant Oasis, c’est l’heure des Smiths
… même Londres, pourtant souvent jalouse et aimant afficher une supériorité
arrogante vis-à-vis des ploucs provinciaux, s’entiche de ces Mancuniens. Ailleurs
dans le monde, que dalle, au mieux un succès d’estime… Un peu normal, les
Smiths ne sont pas les Beatles, et ne cultivent pas l’universalisme musical.
Et ne changent rien avec « The Queen is
dead ». Qui débute par le morceau éponyme, rengaine uchronique (et un des plus
longs titres enregistrés par les Smiths, plus de six minutes) se moquant du
grand dadais de Charles, appelé à régner maintenant que sa mère est morte.
Caustique et moins direct que le « God save the Queen » des Pistols,
mais pas moins malin. On reste au second degré (un Anglais digne de ce nom ne
doit pas s’attaquer de quelque façon que ce soit à la Couronne). Ce ne sera pas
toujours le cas. Morrissey deux ans plus tard sur son premier disque solo chantera
un peu équivoque « Margaret on the guillotine » (vous me direz,
Thatcher était pas Reine …).
Morrissey & Marr
Fidèles à leur réputation friendly gay, les Smiths
mettent un beau mâle sur la pochette (Alain Delon, photo tirée du peu connu film
« L’insoumis » d’Alain Cavalier), et reconduisent une méthode gagnante.
Marr compose toutes les musiques, Morrissey tous les textes, Stephen Street est
à la console (même si cette fois-ci Marr et Morrissey co-produisent avec lui).
Les progrès viennent d’une qualité mélodique supérieure, sans titres de remplissage
un peu bâclés, d’un chant tout en micro-nuances de Morrissey (finies les
pénibles montées dans les aigus), et d’un Johnny Marr qui se lâche à la
guitare. Sans foutre les Marshall sur onze, sans se perdre dans des solos
pentatoniques à rallonge (d’autant plus que les Smiths ont très peu à voir avec
les gammes bluesy) « The queen is dead » est le disque qui permet de
comprendre pourquoi ce type discret et taiseux est considéré comme le meilleur
guitariste des années 80 ;
Et il contraste avec l’exubérance de Morrissey au
niveau des textes, qui prend un malin plaisir à cultiver une sorte
d’impressionnisme loufoque (la mélodie la plus enjouée, celle de
« Cemetary Gates », est une visite des pierres tombales des grands
poètes romantiques anglais, Wilde, Yeats, Keats). Le gars est capable d’hommages
littéraires, mais ne dédaigne pas le nonsensique complet (« Frankly Mr
Shankly » et sa mélodie sautillante, l’exubérant « Somme girls are
bigger than others »). Comme souvent, Morrissey est là où on ne l’attend
pas, Marr a plusieurs fois évoqué sa surprise de le voir écrire des paroles légères
sur des rythmes tristes et inversement, de mettre les refrains sur ce qu’il
avait composé comme couplets, … ce sont ces contrastes surprenants qui participent
aussi au charme des Smiths …
Mais point n’est besoin d’une licence de musicologie
ou d’une maîtrise parfaite de la poésie de la langue anglaise pour apprécier ce
disque. Il y a des choses d’une évidence immédiate. « I know it’s
over » par exemple, la ballade sixties revisitée façon crooner avec un Morrissey sur les traces vocales de Sinatra. Quand on sait combien se sont
vautrés dans le pathos ou la grandiloquence dans ce genre d’exercice, on
apprécie d’autant plus ici le résultat.
Les Smiths, comme les plus grands sont aussi un
groupe à singles. Pas forcément présents sur les albums, même si ici on a trois
qui ont bien marché dans les charts : « Bigmouth strikes again »,
le meilleur selon moi avec un grandiose Johnny Marr, « There is a light
that never goes out », et son riff présentant des similitudes troublantes
avec celui de « There she goes again » du Velvet Underground, et « The
boy with the thorn on his side », un peu surchargé à mon goût, sur la
thématique de la jalousie passionnelle meurtrière. Je lui préfère le loufoque,
enjoué et moqueur « Vicar in a tutu ». Et s’il faut trouver un
maillon faible à cette rondelle, ce sera « Never had no one ever »
(un peu trop) tourbillonnant et (un peu trop) lyrique …
« The
Queen is dead » sera l’apogée des Smiths. Un autre disque suivra qui sent l’épuisement du
filon (« Strangeways, here we come »), Marr aura envie d’explorer d’autres
horizons musicaux, Morrissey (ancien président du fan-club anglais des New York
Dolls) voudra mettre un peu de paillettes glam dans ses chansons, et la section
rythmique Rourke et Joyce en aura assez de jouer les faire-valoir anonymes des
deux stars qui se partagent l’écriture …
« California dreaming » est la plus belle
chanson des 60’s (avis ferme, définitif et incontestable) et donc forcément aussi
des décennies suivantes. Alors si elle est dans la B.O. d’un film, j’ai tout de
suite un a priori très favorable, c’est comme ça … Dans « Fish tank »,
on l’entend trois fois. Bon, dans la version de Bobby Womack, qui vaut pas l’originale
des Mamas & Papas, mais qui est très bien tout de même. Et si « California dreaming » était pas
dans la B.O., « Fish tank » serait quand même un putain de grand film
…
Un grand film … ouais, mais je sais même pas si « Fish
tank » est ce que l’on a coutume d’appeler un film. C’est une tranche de
vie. On sait pas vraiment ce qui s’est passé avant, et on n’a pas la moindre
idée de ce qui va se passer après la dernière image. Peu importe …
Andrea Arnold & Katie Jarvis
On voit souvent cité à propos de « Fish tank »
le nom de Ken Loach, le grandmaster du cinéma social anglais. Ce qui n’est pas
stupide. Sauf que dans « Fish tank », y’a pas de message, ni directement,
ni en filigrane … Plus rarement, on évoque le « Rosetta » des
frangins Dardenne. Comparaison pertinente également, surtout si on n’oublie pas
de mentionner Emilie Dequenne. Parce que Emilie Dequenne, pour son premier
rôle, crevait l’écran et portait « Rosetta » à elle seule …
Dans « Fish tank » y’a encore plus fort.
Une parfaite inconnue (repérée par une copine de la réalisatrice alors qu’elle
se disputait avec son copain sur un quai de gare) est l’héroïne du film et
présente dans toutes les scènes, et sur sa seule prestation fait de ce qui
aurait été un film sympa mais un peu plombant un pur bijou. Elle s’appelle Katie
Jarvis, et a totalement disparu des radars une fois le tournage terminé. Elle n’était
pas au Festival de Cannes où « Fish tank » a récolté le Prix du Jury
(elle avait une excuse, elle était enceinte jusqu’aux yeux) et n’est jamais
réapparue devant une caméra. Un cas à peu près unique …
La réalisatrice de « Fish tank » c’est
Andréa Arnold, adepte du cinéma vérité. Par les thèmes abordés, et la façon de
filmer (en extérieurs, y compris dans des logements de 40 m², et caméra à l’épaule).
Heureusement, c’est en couleurs, sinon plus austère tu peux pas … et c’est pas
une tocade de réalisatrice à la recherche d’un coup d’esbroufe. Tout ce que je
connais d’elle (des courts-métrages dont un oscarisé, présents en bonus du Dvd,
et l’excellent « American honey ») font passer la rigueur technique
aux oubliettes.
« Fish tank », c’est quelques semaines de
la vie de Mia, une adolescente d’une quinzaine d’années des quartiers que pudiquement
on appelle défavorisés (ici, ceux de l’Essex, banlieue Nord de Londres). Mia est
une solitaire, ne va plus à l’école, et passe ses journées dans un logement
abandonné à s’entraîner à danser du hip hop, au son de deux minuscules
enceintes reliées à un discman, et vêtue de joggings à capuche Prisu informes. Elle
a tout juste le sens du rythme, et pour ce qui est des figures acrobatiques, c’est
la cata. Mais elle s’obstine, son but c’est de gagner sa vie en dansant … Que
ceux qui s’imaginent voir quelque chose ressemblant à « Fame » ou « Dirty
dancing » sachent qu’ils sont très loin du compte, les vilains petits
canards ne deviennent pas des cygnes gracieux chez Arnold…
Mia a une mère, encore jeune, poivrote et fêtarde, qui
peut se permettre de s’habiller moulant et sexy, et une jeune sœur. Ont-elles
le même père, on en sait rien, y’a plus d’homme à la maison. La majorité des
échanges de ce triangle féminin consiste généralement en une bordée d’insultes.
Alors forcément, un tel milieu, ça t’endurcit, et Mia n’est pas vraiment une
tendre. Quand elle rencontre d’anciennes copines qui la chambrent, c’est à
coups de boule qu’elle met un terme final à l’embrouille … Mia est sauvage,
rebelle. Alors quand elle passe à côté d’un terrain vague où campent des roms
et qu’elle voit une jument à l’air malheureux enchaînée à un bloc de béton,
elle essaie de la libérer. S’enfuit quand les jeunes roms la repèrent. Revient le
lendemain, manque de se faire tabasser voire pire, se fait détrousser. Et revient
encore récupérer son sac et son discman. Et là, elle sympathise (un tout petit
peu) avec un jeune rom.
Jarvis & Fassbender
Ce ne sont pas les occasions de voir du monde qui
lui manquent, à Mia. Mais c’est pas son truc, la vie sociale. Quand des amis et
amies à sa mère viennent dans leur minuscule appart danser, flirter, fumer des
joints et picoler, elle leur pique une bouteille et va se saouler toute seule dans
sa chambre. Mia finit quand même par être intriguée par Connor, le nouveau mec
de sa mère (un superbe Michael Fassbender débordant de sensualité animale, et
seul acteur professionnel du film), commence par lui faire les poches et lui
piquer un peu de fric, avant de l’« accepter ». C’est lors d’une balade
familiale dominicale qu’elle se laissera un peu « apprivoiser »,
Connor lui faisant découvrir sur le lecteur Cd de sa bagnole la version de « California
dreaming » de Bobby Womack. Mia laissera un peu tomber ses rythmiques rap
pour s’entraîner à danser hip hop sur Bobby Womack. Elle s’inscrira à un
casting de danseuses la tête pleine de rêves … A partir de là, ça pourrait,
comme chez à peu près tout le monde, virer conte de fées dance ou love story à
deux balles. Ben pas ici …
Famille dysfonctionnelle ?
Là où réside le talent d’Arnold et de son casting, c’est
d’aller explorer la face dark de cette affaire. Parce que chez ces gens-là,
tout peut partir en vrille à tout instant. Et tout partira en vrille (mais … normalement,
raisonnablement, serait-on tenté de dire, on n’est pas avec « Fish tank »
dans l’excès scénaristique aussi improbable qu’incroyable). Les personnages de « Fish
tank » sont entiers, mais pas des psychopathes. Il y a toujours une
immense justesse plutôt qu’une surenchère lorsque le film flirte avec le
glauque ou le sordide. Mais une fois que beaucoup sont passés au bord de l’abîme,
il n’y a pas non plus de happy end …
Tout juste si on assiste à la fin du film à une scène
fabuleuse, lorsque les chemins de Mia et de sa mère vont se séparer, la mère et
la fille ondulent lentement face à face au rythme de la musique sur fond de
reggae, la seule façon que trouvent ces deux êtres qui semblent se détester de
se montrer réciproquement leur affection, sans échanger le moindre mot…
Des films qui sont peu ou prou basés sur le même
scénario que « Fish tank », il en sort trois par semaine. Mais des
films aussi bons, il en sort pas trois par décennie … Claque monumentale …
Comme indiqué en sous-titre, « For your
pleasure » est « the second Roxy Music album ». Et même si une
demi-douzaine suivra, « For your pleasure » sera le dernier de la
formation d’origine. Avec Brian Eno s’entend. Autant commencer par lui … ce
type me laisse assez circonspect avec ses théories (les stratégies obliques,
comme si dans le rock il fallait être un stratège, ceux qui l’ont inventé ne
connaissaient même pas l’existence de ce mot), sa litanie de disques ambient,
pour les aéroports, … qui remplacent avantageusement les somnifères … Tout ça
pour le côté obscur de la farce … Parce qu’en face, on le retrouve très
impliqué (souvent comme producteur, ou metteur en sons, comme on veut) de
quelques rondelles pas dégueulasses, genre les Bowie période Berlin, les
meilleurs Talking Heads ou U2, et … « For your pleasure » sans
oublier une poignée de disques à lui superbes dans les 70’s … Difficile de dire
avec précision la part d’Eno sur « For your pleasure », parce que
Roxy a un sacré leader maximo, en la personne de Bryan Ferry, qui signe, ce qui
n’est pas rien, la quasi-totalité des musiques et des textes. Mais ces chansons
sonnent toutes d’une façon étrange, inédite, inouïe, quand Eno les a
tripatouillées (tout un tas de bruitages, de sons passés à travers des ordis ou
des synthés), que ce soit en studio ou sur scène (lors des concerts, il est à
la table de mixage, pas sur les planches).
Roxy est un groupe étrange, dans ce début des
seventies où la bizarrerie la plus extravagante est la norme. Cité juste après Bolan
et Bowie lorsqu’il s’agit de définir le glam-rock, on le retrouve en bonne place
sur toutes les compilations prog seventies. Vous me direz, c’est en ratissant
large qu’on trouve le plus de fidèles. A mon sens, Roxy penche beaucoup plus
vers le glam que vers le prog (cette funeste engeance a tendance à vouloir
rattacher à sa chapelle plein de choses et de gens qui n’ont rien à voir avec
Genesis, Yes, les types de Canterbury and so on …). Même si on retrouve chez Roxy Music,
l’espace de quelques mesures les sonorités alambiquées et les arrangements
tarabiscotés qui font tout le charme (?) des progueux … Et de toutes façons,
niveau glam, les Roxy écrasent toute la concurrence au moins visuellement (voir
leurs tenues sur la pochette intérieure), à faire passer Bowie pour un attaché
parlementaire du Modem …
Tiens, et puisqu’on parle pochette, autant causer de
celle-ci, une des plus connues du rock. Parce que d’emblée Roxy Music s’est
plus fait remarquer par ses pochettes que par sa musique. La légende prétend
que le groupe a été signé par Chris Blackwell sur Island au vu du projet de
maquette pour la pochette de son premier album, une mannequin allemande façon
playmate Playboy sur une pochette en recto et verso (gatefold). Pour « For
your pleasure », le principe est le même. Pochette gatefold, même
photographe (Karl Stoecker). Autant la précédente était lumineuse, autant
celle-ci est sombre. Elle est captée dans un grand studio (pour y faire rentrer
une limousine), vinyle noir sur le sol, décor Las Vegas by night. Le modèle
choisi est Amanda Lear. Bustier, robe fourreau et longs gants de cuir noir,
talons aiguille vertigineux, cambrure de gymnaste des pays de l’Est, panthère
noire tenue en laisse. Un peu au second plan, Bryan Ferry (chauffeur ?,
compagnon ?) semble l’attendre à la portière d’une limousine. Amanda Lear n’est
pas vraiment une inconnue. Muse-amante de Salvador Dali dans un improbable
triangle amoureux (l’autre sommet du triangle est Gala, épouse légitime de Dali),
ancienne compagne de Brian Jones (la chanson « Miss Amanda Jones »
sur « Between the buttons »), et à l’époque de la photo, compagne (en
pointillés) de Bryan Ferry. Cette pochette marquera bon nombre de personnes.
Dont particulièrement un chanteur anglais, qui se renseignera sur cette blonde
longiligne, la contactera et se mettra en couple avec elle pendant quelques
années. Que ceux qui ne savent pas qu’il s’agit de David Bowie se fassent
connaître, il n’y a rien à gagner …
Et la musique, au fait, dans ce disque ? bonne question,
garçon, j’y viens … « For your pleasure » débute par une cavalcade glam,
« Do the strand », avec un sax façon corne de brume (dans la lignée « Fun
house » des Stooges, ou de Bowie) et un piano annonciateur du style Mike
Garson (bientôt chez Bowie). « Beauty queen » est la ballade épique
très 70’s, « Strictly confidential » est le titre qui fait que parfois
Roxy est associé au courant prog (on dirait du Genesis supportable, donc à peu
près du Van der Graaf Generator). « Editions of you » est le titre le
plus méchamment rock, avec un solo de sax traité par Eno qui le fait ressembler
à un solo de guitare. Ce titre fait penser au « Suffragette City » de
… Bowie (décidément) et le malin Damon Albarn devait bien l’avoir en tête quand
il a composé « Song 2 ». La première face du vinyle se terminait par « In
every dream home a heartache », ballade reposant au début sur des sonorités
électroniques avant un grand final d'électricité rugissante, et chanson d’amour adressée à … une poupée gonflable « I
blew up your body, but you blew my mind ».
La seconde face est plus expérimentale, entamée par « The
Bogus man » longue (presque dix minutes) mélopée lancinante, pas très
éloignée du krautrock de Can. « Grey lagoons » revisite la face
glam avec sax et guitares saturées en avant, dans la lignée de ce faisait Elton
John à la même époque (l’album « Goodbye yellow brick road »). Fin
des hostilités avec le morceau-titre, ballade malade (traitement des sons de sax
et de batterie) sur fonds de synthés inquiétants, anxiogènes.
Il ressort de tout ça que Ferry est un grand
auteur-compositeur (le format chansonnette de trois minutes est pulvérisé, mais
ça reste facile d’accès) doublé d’un grand chanteur, à la palette vocale
étendue, comme une sorte de Sinatra glam. Que le band derrière tient la route (Phil
Manzanera est un grand guitariste et sera par la suite un sessionman très
recherché, la rythmique est efficace dans des schémas pourtant parfois
compliqués, le sax de MacKay se démarque des plans archi-rebattus du rhythm’n’blues).
Et que Eno confère une étrangeté sonore (ça sonne bizarre, sans être
expérimental – prise de tête).
Cette formation et ce disque seront l’apogée de Roxy
Music. Certes le groupe sera populaire, reconnu commercialement, les disques
suivants se vendront bien mieux que ce « For your pleasure », mais
aucun n’atteindra sa beauté étrange et vénéneuse …
Que les choses soient claires : les Kinks sont
le groupe le plus sous-estimé des 60’s (avis comme de bien entendu ferme,
définitif et incontestable). Ils ont commencé comme tous ceux de la même génération
(Beatles, Stones, Who and so on …), en truffant leurs albums de reprises, plus
des originaux ressemblant à des reprises… Puis petit à petit les compositions
originales ont pris le dessus. On prête aux Kinks l’invention du hard-rock
(accidentelle, une histoire d’ampli lacéré au rasoir par Dave Davies, qui a
donné ce son de guitare sauvage et inouï) avec « You really got me »
en 1964. Très vite le talent d’auteur et de compositeur de l’autre Davies du
groupe, le frère aîné Ray, s’imposera, et après avoir surfé sur la vague et
dupliqué « You really got me », l’écriture des Kinks basculera dans
une autre dimension à partir du disque « Face to face » en 1966 avec
des masterpieces (« Dandy », « Most exclusive residence for
sale », « Sunny afternoon ») et quelques singles fabuleux parus
dans la foulée (« I’m not like everybody else », « Dead End
Street »). « Face to face » inaugure le quartet de disques indispensables
qui vont se succéder (« Something else … », « Village
green », « Arthur »), faisant de Ray Davies l’auteur d’un
répertoire fabuleux (rappelons que les Stones étaient deux à écrire, les
Beatles deux et demi avec Harrison, et que Townsend s’est quand même
quelquefois fourvoyé dans la grandiloquence, avec l’essentiel de « Tommy »
mais pas seulement …).
Et durant cette période « pop » des Kinks,
seul un Brian Wilson de l’autre côté de l’Atlantique réalisait aussi des
prodiges. Le plus gros malheur des Kinks fut certainement d’être sur Pye, gros
petit label mais sans toutefois avoir les moyens des majors pour booster la
carrière de ses artistes. Les Kinks ont eu des singles à succès, mais leurs
albums se sont toujours piètrement vendus. Et pourtant …
Les disques des Kinks sont dans l’air du temps au
niveau sonore (pop, psyché, arrangements classiques, baroques, cuivres, chœurs,
ou instruments jusque là délaissés dans le rock …). A la console, ils
bénéficient de Shel Talmy (producteur des Who entre autres) avec Ray Davies
toujours pas très loin de lui. Lequel Ray Davies est un équilibriste de
l’écriture. Dans l’air du temps et en même temps très personnel …
Alors en 67les Kinks portent des chemises à pois ou à jabots, du velours, des
vestes à brandebourgs, … comme tout musicien branché londonien qui se respecte.
Mais alors que la concurrence a la tête dans les étoiles, les buvards, la route
de Katmandou, et toute cette sorte de choses, les Kinks sont profondément et
viscéralement Anglais avant tout le reste … et pas des beuglards nationalistes
bas du front, juste des types attachés à un territoire, sa culture, son Histoire,
son patrimoine … pas étonnant qu’ils se soient vautrés dans la conquête de
l’Amérique dans cette décennie-là, on imagine mal le répertoire kinksien de la
fin des 60’s dans les arenas des grandes métropoles et encore moins dans les salles
du Midwest ou les bars du Texas …
« Something else … » n’est pas parfait …
difficile de faire des disques parfaits en 67, quand tout le monde goûte sans
modération à tout un tas de plaisirs et de substances jusque-là inconnus ou
défendus. Il y a toujours une ou plusieurs couillonnades dans les totems de
l’époque que leurs auteurs s’appellent Beatles, Stones, Who, Hendrix, Doors,
Jefferson Airplaine, Beach Boys, Love, Byrds, … et les Kinks n’échappent pas à
la règle (le seul à y échapper est Dylan, parce qu’il ne fait pas comme tous
les autres, il fait du Dylan). Sur « Something else … » on peut
zapper « No return » (dérive vers des rivages bossa nova ?) et « Funny
page » (bâclé et sans intérêt). Le reste on peut le garder, et plutôt deux fois
qu’une …
Avec par ordre d’apparition « David
Watts », une mélodie instantanément mémorisable, qui avait un gros riff de
guitare hardos aurait pu être un hymne pour stades genre « Smoke on the
water », « We will rock you », « Seven nation army ». Si
elle n’inspirera pas les candidats hooligans, elle fera le bonheur de Paul
Weller qui en donnera une version hommage énergique et un des incontournables
des Jam sur « All mod cons », leur troisième disque.
Second titre de « Something else … » une
étrangeté comme le music business en tolérait dans ces années 60 un peu folles.
En effet, le titre est signé du seul Dave Davies, chanté par lui, sorti en
single sous son nom. Les trois autres Kinks se sont contentés de jouer dessus
en studio. Ce titre, (« Death of a clown »), avec son intro à la
« Lady Jane » (et si vous connaissez pas « Lady Jane »,
allez fissa réviser la bio de Brian Jones, et si vous savez pas qui est Brian
Jones, oh putain, qu’est-ce que vous foutez sur ce blog ?). En tout cas,
« Death of a clown » sera à cette époque-là le plus gros succès
commercial de toutes les choses plus ou moins estampillées Kinks, ce qui ne
contribuera pas à arranger les relations compliquées (un peu à la Gallagher
Brothers) des frères Davies. A noter que dans les bonus de la réédition Castle
Music de « Something else … », on a droit aux deux titres
(« Lincoln County » / « There’s no life without love »)
d’un autre single (sans le moindre succès) publié par Ray Davies, et qui vaut
une blinde en vinyle sur les sites spécialisés …
Ray Davies
Bon, je vais pas faire l’article titre par titre,
sachez qu’à part les deux évoqués plus haut, le reste est excellent, avec
mention particulière à des bluettes comme « Harry Rag », « Tin
soldier man », « End of the season », qu’on retrouve souvent sur
des compiles des Kinks, et qui traduisent le début de l’évolution de l’écriture
de Ray Davies, vers ce qui sera appelé de l’autre côté de la Manche du
« vaudeville » (rien à voir avec la signification française du mot) …
Une évolution des Kinks au niveau sonore similaire à celle des Beatles (« Sgt
Peppers … » et « Something else … » sont parus à un mois
d’intervalle, fanfares, arrangements à base d’orchestrations classiques,
travail sur les chœurs (chez les Kinks, c’est la femme de Ray Davies, Raisa,
qui vient souvent susurrer derrière le groupe). Là où Davies se distingue c’est
par ses textes et ses thèmes. C’est un observateur plutôt caustique de la
société anglaise (mais le « petit peuple » dont il est issu garde toujours
son affection), et un adepte de la théorie du « c’était mieux
avant », la nostalgie d’époques révolues …
Ce qui nous amène à « Waterloo Sunset », titre
de clôture du disque, description nostalgique et attachante d’un coucher de soleil
sur la station de métro de Waterloo Station, avec son couple d’amoureux qui se
balade … plus londonien que ça, tu peux pas. Ce qui n’empêche pas ce titre
d’être fabuleux et universel, et considéré par beaucoup (dont moi) comme le
meilleur des Kinks …
Conclusion : « Something else by the Kinks
», c’est peut-être pas encore leur meilleur, mais à tout le moins une pierre
angulaire de leur discographie …
Ouais, parce que plus anglais tu peux pas … déjà le
nom du groupe. Choisi parce que Smith est le nom de famille le plus répandu du
bon côté de la Manche (si l’on cause musique) … Mais c’est pas le tout d’avoir
un nom qui va causer à ses concitoyens… Les Smiths, le temps de leur courte
existence (une poignée d’années) furent chaque fois désignés par les lecteurs de
la presse musicale (anglaise, évidemment) comme le meilleur groupe de l’année,
voire du siècle. Une popularité mesurée à l’aune des Beatles et des Jam avant
eux, et d’Oasis la décennie suivante.
Hors de la perfide Albion, que dalle … à tel point
que le fan-club français du groupe, pour que l’on parle des Smiths dans les
mags musicaux hexagonaux, n’eurent que la possibilité de créer le leur, de
magazine musical. Ils le baptisèrent les Inrockuptibles, et bon an mal an, le
mag persista dans une ligne éditoriale branchée, s’éloignant autant que les contraintes
économiques le permettent, du mainstream, quitte à s’extasier pour des tocards
terminaux … mais ceci est une autre histoire …
Les Smiths, donc … une curieuse entité bicéphale. A
Johnny Marr la partie musicale. Le type est guitariste, jeune, et capable de fulgurances
mélodiques remarquables. Il est considéré par ses pairs comme le guitariste le
plus talentueux des 80’s, alors qu’il n’a strictement rien d’un virtuose qui
s’expose et ne fait pas rugir des empilements de Marshall. Ce serait plutôt un
taiseux discret.
Morrissey & Marr
Le contraire du chanteur et auteur des textes, le
dénommé Steven Patrick Morrissey, dont le nom de famille lui servira de nom de
scène. Lui, il cherche depuis quelque temps (il a vingt-trois ans, quatre ans
de plus que Marr au début des Smiths) son quart d’heure de gloire dans
l’underground artistique et musical (il a été président du fan-club anglais des
New York Dolls, a fondé celui des Cramps, et se fait publier dans la presse
anglaise grâce à de multiples lettres qu’il envoie aux rubriques
« Courrier des lecteurs »). Il écrit des textes plutôt sombres et
tordus. C’est un ami des deux (Billy Duffy, guitariste des hardeux
steppenwolfiens The Cult) qui fera se rencontrer Marr et Morrissey. Leur
alliage sera celui du feu et de la glace, Morrissey l’extraverti et Marr
l’introverti. L’un cherche l’ombre, l’autre fait un numéro assez étrange sur
scène, chante et danse lascivement comme un pantin désarticulé. Signe décoratif
notoire des premiers temps, Morrissey est grand consommateur de glaïeuls, glissés
dans son dos dans la ceinture du pantalon. Les fleuristes de Manchester seront
en rupture de stock les soirs de concert, les filles du public inondant la
scène de glaïeuls… Morrissey apparaît comme un sex symbol … las, les groupies
doivent déchanter, le chanteur revendique une activité sexuelle quasi nulle (il
se prétend tour à tour vierge, homo, bi) et ses fréquentations amoureuses et
ses goûts sexuels resteront mystérieux longtemps (il est très occasionnellement
gay) malgré une nuée de paparazzi qui le traquent … Par contre, il gardera un sens
de la communication exacerbé, parfois acéré et direct (intituler une chanson
sur Thatcher « Margaret on the guillotine » est plutôt explicite), parfois
beaucoup plus abscons (« Suffer little children », on en recausera
plus bas de celle-là), voire navrant (de multiples prises de position certes alambiquées
mais tellement souvent répétées qui ont montré dès la fin des 80’s une certaine
affinité avec les théories du National Front anglais, copie conforme du parti
de la Le Pen family)…
La préhistoire des Smiths, c’est le parcours
classique dans le total anonymat, de multiples groupes avec de multiples
comparses, avant que la bonne formule se mette en place, et que les Smiths
viennent au monde. Détail géographique plus qu’important, les Smiths sont de la
scène de Manchester et fortement influencés par les « stars » locales
récentes (Buzzcocks, Joy Division, The Fall). Bien que d’emblée les Smiths
aient un succès aussi conséquent qu’imprévisible, et ce dès leurs trois
premiers singles, « Hand in glove », « This charming man »
et « What difference does it make », qui se comporteront fort
honorablement dans les charts nationaux.
Ces trois titres sont présents dans leur première
rondelle dont au sujet de laquelle il est question ici, ce qui ne sera pas
toujours le cas (comme au hasard les Beatles, nombreux seront les singles des Smiths
qui ne figureront pas dans leurs albums).
« Hand in glove », un de leurs titres les
plus évidents, aura une vie après les Smiths. Morrissey assiègera quasiment le
staff de Sandie Shaw (une de ses idoles, chanteuse pieds nus des sixties, qui
avait touché le firmament avec « Puppet on a string », scie gagnante
de l’Eurovision en 1967, et tombée aux oubliettes depuis), la quadragénaire
diva reprendra la chanson pour un numéro un anglais. « This charming
man » sera un des classiques absolus des Smiths, typique du Smiths sounds,
et introduit par un riff qui me semble repiqué sur celui de « Souvenirs,
souvenirs » de feu le mari de Laeticia Boudou. « What difference … » j’ai beaucoup
de mal avec celle-là parce que Morrissey, encore à la recherche de son style
vocal, passe la moitié du titre à se forcer à piailler dans les suraigus, et
putain ça fait trop mal aux oreilles …
Mêmes tics vocaux, mêmes causes et mêmes effets pour
« Miserable lie ». Tout ça pour dire que « The Smiths »,
s’il constituera pour certains une révélation et se vendra très très bien,
n’est pas pour moi un indispensable, ni même pas un de ces début albums qui
marquent leur époque. Les Smiths se cherchent encore et ne se trouvent pas
toujours. Il se dégage de ce premier disque une certaine uniformité qui vire
parfois à la monotonie. Marr ne se lâche pas encore aux compositions, et Morrissey
cherche encore sa voix. Avant d’être totalement originaux par la suite, les
Smiths piochent leurs musiques aux frontières du rock (« You’ve got
everything now », « What difference … »), ou même du ska
(« Pretty girls make graves »).
Mais surtout les Smiths sont à l’opposé de ce qui
marche, qui se vent par camions. Inutile de chercher chez eux le gros son de
batterie à la « Born in the USA », les démonstrations virtuoses d’un
Prince, le racolage commercial d’une Madonna, … Les Smiths seront les rois de
la mélodie mid-tempo (« Still ill »), de la ballade cabossée de
crooner (« I don’t owe you anything »). Avec des paroles qui claquent
et font réagir. Ici, la controverse viendra de « Suffer little
children », qui fait allusion à des meurtres d’enfants par un serial
killer dans la région de Manchester. Les faits sont récents, et les prénoms des
victimes sont cités. Polémique (Victor), des familles seront offusquées,
d’autres reconnaissantes, les textes de Morrissey, toujours impersonnels, laissent
la porte ouverte à toutes les interprétations, et cette ambiguïté littéraire
sera sa marque de fabrique.
Et les Smiths feront aussi causer avec leurs
pochettes. Ils mettront souvent en photo des icônes masculines ou gay (voire
les deux). Ici, c’est Joe d’Alessandro (photo extraite du film
« Flesh » d’Andy Warhol), il y aura Jean Marais sur un single en 87,
et Alain Delon sur leur chef-d’œuvre « The Queen is dead » en 86.
Les Smiths, vu leur succès, seront souvent cités
comme références (enfin, Morrissey et Marr, tout le monde a oublié le nom de la
section rythmique), leur style sera vite reconnaissable aux premières mesures,
mais musicalement, peu se réclameront de leur influence. Ont-ils placé la barre
trop haute, ou ne sont-ils que des étoiles filantes au cœur d’une décennie
musicale souvent décriée ?