Les Stranglers ont débuté leur discographie sur les
chapeaux de roues. En à peine plus de cinq mois en 1977, ils ont sorti deux trente-trois
tours. « No more heroes » est le second. La moitié des titres avait
déjà été enregistrée lors des sessions du précédent « Rattus
Norvegicus », sessions d’enregistrement qui avaient duré 6 jours !!
Autant dire que ça traînait pas…Burnel, Greenfield, Black & Cornwell
Parce que l’époque voulait ça, pourrait-on croire … 77,
c’est l’année punk, do it yourself, et fuck tout le reste … sauf que les
Stranglers n’avaient à la base que peu à voir avec les tribus à crête iroquois
et à épingles à nourrices … Les Stranglers étaient vieux (pour l’époque), Jet
Black allait avoir 40 ans (le plus vieux punk du monde ?), Greenfield et
Cornwell approchaient la trentaine, seul Burnel du haut de ses 25 ans faisait
figure de minot dans cet équipage. Et puis, contrairement à l’immense majorité
de leurs voisins de palier, les Stranglers savaient composer, ne se contentent
pas du boucan de base alors de mise. Et accessoirement savaient se servir de
leurs instruments. Musicalement et dans l’absolu, leur point faible s’appelle
Hugh Cornwell qui n’est ni un guitariste virtuose ni un chanteur à voix (mais
pourtant quand il quittera le groupe en 1990, les autres embaucheront deux
types pour le remplacer). Cependant Cornwell ne sera pas un membre au rabais
des Stranglers, au contraire ses lacunes seront le marqueur sonore du groupe,
cette voix entre parlé et chanté, et les solos de guitare seront remplacés par
des parties de claviers de Greenfield (médiatiquement le plus en retrait, mais
celui qui donnera sa signature sonore au groupe). Les Stranglers sont un tout,
un vrai groupe, et pas une juxtaposition de quatre types.
Les Stranglers seront un groupe imprévisible, et pas seulement musicalement. Autant présents dans les rubriques faits divers que dans les pages de critiques de disques. Multipliant bagarres, appels à l’émeute, déclarations ou actes sexistes, théories fumeuses, … sans que l’on ait jamais su si tout ça était spontané ou savamment mis en scène, toujours en équilibre sur le fil du rasoir. Et une bande de furieux, eux au premier degré, les Finchley Boys, qui les suivaient partout et contribuaient à entretenir l’image ultra-sulfureuse du groupe …
Déjà rien que le titre du disque témoigne de l’ambiguïté
des Stranglers. « No more heroes ». Trois options : soit un coup
de pompe dans les dents de Bowie dont le « Heroes » (titre et album)
s’entendaient beaucoup à l’époque ; soit un regret nostalgique des temps
passés et des grands personnages qu’ils abritaient ; soit un postulat punk,
fuck off vos idoles seventies, on va les remplacer … Logiquement, en profitant des
doubles sens, les trois à la fois, mon capitaine …
Autant à l’époque on ne savait pas trop sur quel
pied danser avec les Stranglers, le temps n’a rien précisé. Musicalement, les
Stranglers sont à la croisée de beaucoup de genres musicaux passés ou présents (du
pub-rock, du garage, du psyché, du old rock ‘n’roll, du reggae, …) et leur
son et leurs titres contiennent les germes de futurs courants en vogue dans les
80’s (new wave, post punk, pop à synthés, gothique, …). Tout ça dans le même
disque, parfois dans le même morceau …
Bon je m’en vas vous dire que mis à part le très
atypique « Feline », leur absolu chef-d’œuvre de 1982 (et un tournant
dans leur carrière, après « Feline » ce ne sera jamais plus comme
avant), je ne suis en extase devant aucun de leurs disques. Trop décousus, trop
désinvoltes, trop hermétiques, abstraits, voire abscons, développant des idées
et des thématiques que seuls les membres du groupe me paraissent maîtriser … Ce
qui n’empêche pas leurs rondelles de contenir quelques morceaux fabuleux,
généralement le plus simples, le plus abordables. Les Stranglers sont capables
de merveilles mélodiques imparables.
Dans cette case, on trouve ici « Bring on the nubiles » (appel à l’orgie ?), avec un riff qui me semble un démarquage de celui de « All day and all of the night », un titre des Kinks qu’ils reprendront des années plus tard. « Something better change », emmené par Farfisa sautillant genre tex-mex, laboure les mêmes terres que le porte-parole des prolos Ian Dury. « No more heroes » le morceau-titre, sur la base d’un name dropping baroque, Shakespeare, Néron, Sancho Pança, Trotsky (sur la tombe duquel pose alangui Burnel au verso de la pochette), sera un incontournable de leurs concerts … Ces trois titres se succèdent au milieu du disque.
Qui commence par « I feel like a wog », comme du
Doors en accéléré (le jeu de Greenfield évoque là très fortement celui de
Manzarek, d’où la comparaison entre les deux groupes, mais qui ne vaut que pour
quelques titres sur l’ensemble de leur carrière), et se termine, comme sur leur
précédent « Rattus Norvegicus » par un long titre (« School
mam »), perclus de synthés indigestes. Et on voit défiler tout au long des
onze titres tout l’éclectisme des Stranglers, le sautillant « Bitching »
(tout un programme, paroles classées X), les quasi pub-rock « Burning up
time » et « Dagenham Dave », le (prémonitoire au niveau sonore) post
punk « English towns », « Dead ringer » qui évoque Talking
Heads et Television … le tout avec plus ou moins de réussite.
« No more heroes » est avec le temps un
des trois ou quatre meilleurs Stranglers. S’ils avaient opté pour la concision
en cet an de grâce 1977, et extirpé le meilleur de celui-ci et de « Rattus
… », cette compilation serait fantastique. Séparément, ces deux disques
sont trop inégaux, le dispensable côtoyant l’essentiel …
Des mêmes sur ce blog :
Rattus Norvegicus
The Raven
Feline
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