La grande malbouffe ?
Bon, par où commencer ? Tiens, par la
conclusion … J’aime pas ce film. Pour plein de raisons. Peut-être pas bonnes,
mais je m’en fous, j’envisage pas de devenir pigiste à Télérama ou aux Cahiers
du Cinéma …
« Le cuisinier … », je le mets dans le
même sac que « Salo ou les 120 journées de Sodome » de Pasolini ou
« La grande bouffe » de Ferreri, un film pour voyeurs malsains à
tendance SM. De la première scène (une humiliation à base de tartinage de face
avec de la merde de chien lavée en suite à la pisse) à la dernière (une mise en
scène théâtrale et opératique de cannibalisme), cœurs sensibles s’abstenir.
Pourtant, c’est pas le genre d’images qui va m’empêcher de dormir la nuit, les
grosses ficelles scato ou révulsives, j’assimile, et je comprends parfaitement
que ça se justifie dans un film. A condition que ça serve à quelque chose, et
d’abord au film …Greenaway & Bohringer
Mais là, sorry, ça sert à quoi ? Parce qu’entre
les deux « sommets » du début et de la fin, ce qu’il y a entre est
loin d’être soft (violence physique, verbale, scènes d’humiliation, de
tabassage, de meurtre, du full naked, une petite pipe par ci par là, et j’en
passe …). D’ailleurs les Ricains, éternellement traumatisés par le code Hayes,
envisageaient le fameux Rated X pour le film, reléguant ainsi sa diffusion aux
salles dédiées au porno. Finalement, « Le cuisinier … » s’en sortira
avec une interdiction au moins de 16 ou 17 ans partout dans le monde (si tant
est qu’il ait eu une distribution mondiale, je suppose que Greenaway et son
équipe sont pas allés assurer la promo à Ryad, Manille, Islamabad ou Pékin).
Greenaway, il est responsable du scénario et de la
mise en scène. C’est un British vrai de vrai, né dans un quartier populaire de
Londres (le même que celui de Ian Dury, celui qui chantait en 77 « Sex
& drugs & rock’n’roll », d’ailleurs les deux se connaissent, sont
potes, et Ian Dury a un petit second rôle dans le film), et qui est venu au
cinéma après plusieurs années passées dans une école d’art où il a appris la
peinture dans l’intention d’en faire son métier. Ce qui ne se révèle pas totalement
inutile quand ensuite on fait du cinéma, on sait jouer avec les couleurs. Et
là, c’est un des points positifs du film (il y en a quand même quelques-uns),
cette utilisation de la gamme des couleurs. « Le cuisinier… » a été
entièrement tourné en studio. Chaque endroit dans lequel évoluent les
personnages a sa couleur, poussée aux limites de la saturation : le bleu
pour la rue extérieure, le vert pour la cuisine, le rouge pour la salle de
restau, le blanc pour les toilettes, le jaune orangé pour les espaces moins utilisés
(l’hôpital, la bibliothèque). L’essentiel des costumes est de la même couleur
que le décor, et quand les personnages changent de lieu, la couleur de leurs
habits change aussi (raccords compliqués à faire, y’avait pas le numérique à
l’époque). Tous ces costumes sont signés d’un type qui commence à avoir une
grosse réputation, Jean-Paul Gaultier. Pour l’anecdote, Madonna en rachètera un
porté dans le film par Helen Mirren. Qui devait pas être trop usé, parce que la
belle Helen passe plus de temps à poil que vêtue … Et tant qu’on est dans le
rayon couleurs et peintures, dans la salle de restau trône un immense tableau,
et comme j’y connais rien en taches de gouaches, je croyais que c’était un pastiche
de « La ronde de nuit » de Rembrandt, en fait c’est une vraie œuvre
originale d’un type dont j’ai la flemme de chercher le nom sous forte
inspiration Rembrandt. Et les convives principaux sont habillés comme les
miliciens du tableau.La salle de restaurant
La base du script du film tient en trois
lignes : dans un restau huppé, vient tous les soirs faire ripaille une
bande de malfrats incultes et vulgaires. La femme du chef de bande quitte
régulièrement ces lourdauds pour aller tirer un p’tit coup en cuisine avec un
intello bcbg, jusqu’à ce que son mec en soit informé et que tout, si tant est
que ce soit encore plus possible, parte en vrille … voilà, trois lignes j’avais
dit … Était-ce nécessaire pour cela que chaque scène soit construite uniquement
pour être choquante, dérangeante, montrer la bêtise, la cruauté, la veulerie
des personnages, that is the question. Greenaway y répond dans une discussion
sur son film, et de façon pas toujours convaincante. « Le cuisinier
… » serait un film pour dénoncer le thatchérisme, et sa politique
ultralibérale dans laquelle le fric est roi, et permet toutes les ignominies à
ceux qui en ont. Soit … Le film serait un hommage aux dernières pièces de
Shakespeare, paraît-il les plus sombres de son œuvre, montrant plein cadre les
abominations qui au théâtre se passent hors scène. Re-soit. « Le cuisinier
… » ferait implicitement référence au nazisme et à l’Holocauste (notamment
quand la femme et son amant rentrent nus dans un camion frigo rempli de viande
avariée lorsque le mari-voleur les recherche, les portes du camion-frigo qui
sont refermées par le cuisinier assurant le parallèle avec les chambres à gaz),
c’est pour cela que l’on doit montrer la nature humaine dans toute la noirceur
absolue qu’elle peut atteindre. Re-re-soit … Tout ça pour finir par une
dernière longue scène, figurant une sorte de Jugement dernier dans un décor
évidemment rougeoyant, où l’expiation se fait sous les yeux des victimes … Que
celui qui a décelé tout ça au premier visionnage me fasse signe, j’ai des
équations à multiples inconnues et variables à résoudre …Les toilettes
Pour faire un film, il faut aussi des acteurs. Selon
Greenaway, celui autour duquel tout le casting a été construit, c’est Richard
Bohringer. Choisi pour la démesure épique qu’il donnait à ses personnages.
Bizarrement, à part un face-à-face tendu avec le chef mafieux, il est tout en
retenue, passant le film à arrondir les angles lorsque les situations
dégénèrent, et à favoriser les ébats puis la fuite des deux amoureux. Les
amoureux, ce sont Helen Mirren, la femme du truand et l’intello placide pour
qui elle a eu le coup de foudre. L’amant, inconnu depuis disparu des radars,
n’a de toutes façons qu’un rôle secondaire. Helen Mirren, la quarantaine
gironde, est comme souvent excellente dans les mauvais films, avant qu’on se
décide à reconnaître son talent et lui en faire tourner des bons. Celui qui
crève l’écran, c’est le truand. Interprété par Michael Gambon, physique à la
Pavarotti, et jeu à la Falstaff, en encore plus lubrique, obscène, violent et
truculent que le personnage d’opéra (opéras qui constituent l’essentiel de la
bande-son). Autour de Gambon, une petite troupe de séides et de traînées, tous
plus bêtes et méchants les uns que les autres. Parmi ces petits seconds rôles,
le quasi-débutant et futur grand pote de Tarantino, Tim Roth (qui finira par
cachetonner dans les Hulk de chez Marvel, tout comme Gambon le fera dans la
série des Harry Potter) …. A noter que pour la véracité de certaines scènes en
cuisine, ce sont les vrais employés du prestigieux Hotel Savoy de Londres qui
sont aux fourneaux …La cuisine
En conclusion-bis, je dirai que ce film au titre de
fable de La Fontaine et sans réellement de morale (si, si, j’ai vu et à peu
près compris la fin, mais je vais pas spoiler) est plutôt indigeste. Comme à
peu près tous ceux de Greenaway que j’ai visionnés … Pénible et complaisant un
jour, pénible et complaisant toujours ?
Conclusion-ter, une citation de Peter Greenaway :
« il y a des choses particulièrement horribles dans ce film que j’ai du
mal à regarder moi-même ». Pas mieux …