ANNA CALVI - ANNA CALVI (2011)

 

Guitar woman ...

Des guitar heroes, c’est pas ça qui manque … des très grands (Billy Corgan), des tout petits (Prince, Sylvain Sylvain), des avec un grand nez (Pete Townshend, Jeff Beck), des avec un bonnet (The Edge), des avec un béret (Captain Sensible), des chauves (Joe Satriani), des à la coupe afro (Jimi Hendrix), des avec les cheveux longs (abonnez-vous à Hardos Magazine, vous en avez à toutes les pages), des moustachus (Frank Zappa), des barbus (Billy Gibbons), des gras du bide (Frank Black, Leslie West, Poppa Chubby, Warren Haynes, Miami Steve Machin), des à qui il manque des doigts (Django Reinhardt, Tommy Iommi), des à qui il manque des neurones (liste trop longue, mais un abonnement à Hardos Magazine peut vous aider à l’incrémenter), des qu’en avaient des neurones mais ont fini par les perdre (Syd Barrett), … plus tous les autres qui rentrent dans plusieurs catégories … à condition que ce soient des mecs, parce que guitar hero, c’est une locution qui n’a pas de féminin …

Pourtant des meufs (c’est bon Marlène S., inutile d’engager des procédures) à guitare, y’en a aussi. Mais généralement, c’est parce qu’elles sont aussi sexy avec une guitare que sans (Chrissie Hynde, Wendy Melvoin, PJ Harvey, … et leur grand-mère à tous, The Duchess, la guitariste rythmique de Bo Diddley, … ah et j’allais oublier Carla Bruni-Sarkozy-Bismuth …). Mais des femelles (coucou Marlène) de la gratte, des branleuses de manche à vitesse supersonique, vous en connaissez (oui, me souffle un abonné à Hardos Magazine, …) des virtuoses de la six cordes ? Bonnie Raitt … ouais, mais elle joue de la slide et elle est rousse, double handicap … Lita Ford ? Poison Ivy ? Ruyter Suys ? (no comment, sinon Marlène va encore se fâcher …). Ah, et toutes ces prépubères (généralement asiatiques ou d’Europe de l’Est) qui l’air de s’en foutre royalement inondent YouTube de vidéos où elles rejouent à la note près « Eruption » ou du Stevie Ray Vaughan, ont juste l’air d’animaux savants, gamines robotisées dénuées du moindre feeling …


Non, la seule à en foutre plein les oreilles guitare en bandoulière (une Fender Telecaster quasi exclusivement), c’est Anna Calvi. Et qui plus est, d’une façon totalement atypique. C’est pas une adepte des millions de notes à la seconde, jamais. Son truc, à la petite (par la taille) Anglaise, c’est une approche de la guitare par son aspect sonore. Bon, vous allez me dire, c’est pas ça non plus qui manque depuis des décennies. Sauf que généralement, ça produit … du bruit (Lou Reed étant le premier nom qui vienne à l’esprit). Dans ce « Anna Calvi », son premier disque en 2011, on a des chansons (j’ai bien écrit chansons) tout du long des quarante syndicales minutes. Miss Calvi avoue comme influences de la musique classique (no comment), cite des gens comme Nina Simone, Hendrix, les Smiths, les Stones, … plus quelques cinéastes « décalés » genre Lynch … Très rapidement, elle est devenue incontournable de prestations « artistiques », « performant » lors des défilés de mode (Lagerfeld, Chanel et Gucci l’ont sollicitée). Anna Calvi n’a rien d’une fashion victim (c’est pas Kanye West et la Kardashian, quoi …) même si elle soigne son image et sa féminité (maquillage glamour, satin ou soie souvent portés, rouges de préférence).

Musicalement, sont souvent revenus à son sujet les noms de Siouxsie, Patti Smith, PJ Harvey, Kate Bush. Pour les trois premières, je veux bien, mais à la marge, pour le côté parfois déclamatoire et crispant du chant ; pour la Babooshka, faudra qu’on m’explique. Alors moi aussi je vais faire du name dropping (ce qui me changera pas vraiment). Je citerai volontiers Jeff Buckley (plus de ferveur que de hurlement), Television (pour l’approche guitaristique de Tom Verlaine et Richard Lloyd), ainsi que Marc Ribot dans le même style (tous les trois évoluant parfois à leur corps défendant dans la galaxie jazz). Également Thom Yorke, mais un Thom Yorke qui en aurait et qui passerait pas son temps à chouiner.


« Anna Calvi » débute par un instrumental que par commodité et paresse on qualifiera d’atmosphérique (comme le premier disque de Siouxsie, là s’arrête la comparaison). Le reste est rarement évident, et sans être inouï, plutôt original. Plutôt la tension que l’attaque frontale, plutôt le feeling que la technique, plutôt la déconstruction que l’architecture classique, et inutile de chercher dans le tracklisting une reprise de quelque antédiluvien ancêtre, la dame signe toutes les compositions. Seuls « Blackout » (de la power pop des années d’après la power pop), ou le quasi classic rock de « I’ll be your man » naviguent en territoire connu.

Pour le reste, on a droit avec « Desire » à une sorte de rock « héroïque » (les guitares-cornemuses) comme U2 ou Simple Minds en tartinaient leurs premiers disques, voire les moins connus mais plus approchants dans ce cas The Alarm ou Big Country. « Morning light » pourrait être le seul où l’on se hasarde à citer (avec beaucoup d’imagination et de mauvaise foi) Kate Bush. Mais dans l’ensemble, c’est du Anna Calvi. Avec curieusement une énorme batterie en avant (beaucoup plus que la guitare dans le mix), quand on sait qu’en plus de jouer de la Telecaster, la Calvi qui est une « vraie » musicienne pratique aussi la basse, le piano et les claviers. Comme quoi avec elle, l’ego surdimensionné du guitariste n’est pas de mise.


Il y a dans ce disque quelque chose. Une âme, oserait-on écrire. Ou au moins une démarche, l’impression que tout est là pour définir une œuvre, une approche. Que tout n’a pas été calculé, minutieusement réfléchi, pour nous vendre de la rondelle argentée. Qu’Anna Calvi ne se montre pas à nous comme un phénomène de foire arty, qu’elle fait d’abord un disque, son disque, avant de se préoccuper comment il sonnera, et s’il s’en vendra beaucoup. Il aurait par exemple été facile de faire de « The Devil » un blues classique, et non pas cette chose mutante qu’elle nous présente, il aurait été aussi facile de faire un quiet-loud basique à la Nirvana ou Pixies d’un titre comme le « I’ll wanna be your man » déjà cité, de supprimer le tourbillon sonique final de « First we kiss » qui dès lors n’aurait été qu’une jolie ballade de plus, de lâcher de ci de là quelques effets de manche pour montrer, que ouais, elle assure, la nana … Seul bémol, le dernier titre « Love won’t be learning », précieux et ambitieux, et aussi celui qui a l’approche la plus jazz du lot, vient rompre la magie de ceux qui l’ont précédé.

Finalement, c’est en sortant et en se sortant de tous les sentiers battus et rebattus du disque de rock fait par une femme (rien que d’envisager le rock et la féminité ensemble est un signe de condescendance douteux) qu’Anna Calvi fait avec ce coup d’essai un coup de maître.

La suite démontrera que ce disque n’était pas un heureux accident de studio (la dame assure vraiment sur scène), le suivant « One breath » est aussi bon. Anna Calvi, une des (trop) rares bonnes surprises des années 2010 …


ELLIOTT SMITH - EITHER / OR (1998)

 

Chansons de l'innocence perdue ...

A ce stade de sa … euh, carrière (?), « Either / Or » était le disque « spectorien » d’Elliott Smith. Son troisième en solo, Elliott Smith approche de la trentaine.

Elliott Smith est issu de la middle class américaine, fils d’une institutrice et d’un toubib. Brillant, il entame des études supérieures sans conviction, ce qui ne l’empêche pas d’être diplômé en philo et sciences politiques. Il fait aussi un peu de musique avec quelques potes, dans le genre boucan (punk, hardcore, proto-grunge, cette sorte de choses). Le groupe se séparera avant la parution de son premier disque (ce qui lui vaudra plus tard des bisbilles avec l’industrie du disque, il a évidemment signé un contrat qui l’engage à vie et après le succès critique de « Either /Or » ce contrat ressurgira …). Il aurait aussi commencé tout juste ado à goûter goulûment aux drogues dures.

Smith sort au milieu des années 90 deux disques sur un label indépendant. Un pote lui a prêté un 4 pistes, il donne dans le folk dépouillé et compose, joue et produit tout seul. Avec les ventes phénoménales qu’on imagine …


Elliott Smith est un type insaisissable, beaucoup de choses dans sa vie restent un mystère (jusqu’à sa mort, classée cold case, on ne sait pas vraiment s’il s’est suicidé ou a été tué, accidentellement ou pas). Il fait partie de cette litanie d’auteurs tourmentés, fragiles et accros aux drogues et médicaments, dont les têtes de gondole du genre se nomment Nick Drake, Townes Van Zant ou Kurt Cobain … On l’aura compris, les disques d’Elliott Smith ne sont pas de ceux qu’on entend sur la sono à la fin des banquets de mariage …

« Either / Or » le sortira de l’anonymat. Sans qu’il soit dans quelque air du temps que ce soit. C’est dans tous les sens du terme un disque solo. Enregistré grâce à son 4 pistes un peu partout, et notamment chez sa copine de l’époque Joanna Bolme (que l’on retrouvera des années plus tard dans les Jicks, le groupe de Stephen Malkmus).

Le titre du disque est le même que celui d’un bouquin du philosophe danois Kierkegaard, pas vraiment un hasard quand on connaît le cursus de Smith. Sauf que sur le disque, nulle prise de tête.

Il est assez sidérant de constater comment, dans un genre largement diffusé (le folk pour faire simple) et minimaliste, on puisse encore trouver des mélodies, des refrains, des brouillons d’arrangements aussi beaux et fragiles. Oui, certes c’est brouillon. Sur plusieurs titres, on entend le souffle des bandes, le bruit du magnéto qui démarre l’enregistrement, la « production » est sommaire (les effets sur la voix, souvent doublée, sont à la limite de la faute professionnelle, on espère que c’est fait exprès, mais rien n’est moins sûr). En gros, n’importe quel groupe débutant ne voudrait pas du son de « Either / Or » comme première maquette. Sauf que …


Qui est capable d’écrire des trucs affolants de simplicité comme « Speed trials », « Ballad of big nothing », « Rose parade » « Punch and Judy », pour ne citer que les plus évidents. Et puis, chose assez inédite à cette époque-là chez Smith, il n’hésite pas à se lâcher et envoyer le bois (pas de la même façon que Metallica peut-être, mais plus intelligemment certainement). Il cogne sur les fûts, lâche quelques riffs électriques (« Pictures of me », le final quiet-loud de « Cupid’s trick », celui carrément bruyant de « 2 :45 AM »). On a rarement entendu des choses aussi évidentes faites par quelqu’un qui a l’air de s’en foutre royalement (un morceau n’a pas de titre, sinon celui de travail, « No name n°5 »).

Quelques dizaines de milliers de copies de « Either / Or » trouveront preneur. Parmi les acquéreurs, le sieur Gus Van Sant, fan depuis les débuts, qui avait utilisé de nombreux titres d’Elliott Smith pour son acclamé « Will Hunting » l’année précédente, le titre « Miss Misery » se retrouvant nommé aux Oscars, catégorie meilleure chanson originale. Elliott Smith refusera de la chanter lors de la cérémonie. Dans un premier temps, car sous la pression de l’Académie (« si tu viens pas la chanter, on la fera chanter par quelqu’un d’autre », ce genre), il s’exécutera finalement.

Dès lors, ce type qui comme Cobain ne voulait absolument pas de gloire ou de célébrité, va se retrouver malgré lui sous le feu des projecteurs, et corollaire, va devenir un junkie parano jusqu’auboutiste. Ce qui ne l’empêchera pas de publier quelques autres disques fabuleux …


JOHNNY WINTER - SECOND WINTER (1969)

 

Woodstock Child ...

Le Festival des festivals a certes fait la part belle aux valeurs confirmées (Hendrix, Joplin, Grateful Dead, Creedence, …), mais a aussi révélé au monde des stars en devenir (qui ne le sont pas toujours devenues) comme Joe Cocker, Santana, Alvin Lee, Sly Stone, … Et parmi tous ces futurs du rock’n’roll, ont été retenus surtout des guitaristes, Alvin Lee, Santana, Joe Cocker (ouais, je sais, il a seulement inventé la air guitar mais les hippies du haut de la colline devaient croire qu’il en jouait vraiment …).

Johnny Winter

Et puis question guitariste, il y en a un dont on a moins parlé sur le coup, mais qui allait devenir un des poids lourds des seventies en matière de heavy blues, le dénommé John Dawson Winter III, plus connu sous le diminutif de Johnny Winter. Un des bleubites du raout, qui avait juste un disque « Johnny Winter » passé inaperçu début 69, et venait de terminer des sessions à Nashville qui allaient donner à la fin de cette même année ce « Second Winter ».

Et du coup, le monde des seventies allait (un peu) s’enticher de cet albinos myope, chevelu et longiligne, qui remettait au goût du jour un modèle oublié de guitare, la Gibson Firebird, et de par son style et son origine texane, devenait un des grands ancêtres du rock sudiste.

Où en est-on cinquante après ? Johnny Winter est mort et enterré (en 2014) sans que ça fasse la une des journaux, même spécialisés, et son nom, lentement mais sûrement, est écrit de plus en plus petit dans les livres d’histoire depuis quarante ans … et rien ne laisse supposer qu’on ait un jour un Johnny Winter revival …

Ecouter aujourd’hui « Second Winter » … why not … mais ça laisse quand même une impression d’aller visiter une pièce de musée ignorée du public. En clair, Jeannot Hiver a sacrément pris la poussière. Le guitar hero c’est un genre en voie de disparition et Johnny Winter en est un des spécimens les plus caricaturaux. Deux exemples tirés de « Second Winter ». Au bout de sept (oui, sept) secondes du premier titre (« Memory pain »), il part en solo, avant de se raviser le temps de quelques mesures en reprenant le riff, puis finalement de se lâcher sur le manche. Le dernier titre, « Fast life rider » est une jam de sept minutes basée sur un solo de sept minutes. Je sais, y’en a qui aiment voire qui adorent ça, mais moi, aujourd’hui, comment dire, je peux pas …

Johnny Winter à l'école des fans ...

Faut pas pour autant cracher sur Winter, qui était un brave type qui se la racontait pas, et un passionné sincère de blues. Tout sauf un opportuniste (et l’époque en a connu quelques-uns, notamment tous les clones de Hendrix qui ont fleuri comme mauvaises herbes après interdiction du glyphosate). Un type qui avait du style, et un style, la recherche de la vitesse sur le manche, et une énergie jamais démentie. A tel point que ses disques les plus souvent cités sont les deux lives de cette époque (« Captured Live », « Johnny Winter And »). Johnny Winter donnait le meilleur sur les planches. Parce qu’en studio …

Johnny Winter certes composait (une petite moitié des titres sur cette rondelle), mais sans réel talent (qui peut citer un morceau écrit par lui ? répondez pas tous en même temps, de toute façon y’a rien à gagner). Johnny Winter était un musicien de reprises, rendant éternellement hommage aux pionniers du blues et du rock’n’roll (même quand il signe le titre, par exemple « I’m not sure », ben moi je suis sûr qu’il repique sur un passage un riff à Muddy Waters, en l’occurrence celui de « Hoochie Coochie Man »).

Comme il faisait des disques sans me demander mon avis, il reprenait (ici deux fois, « Slippin’ & slidin’ » et « Miss Ann ») du Little Richard, ce qu’il ne faut jamais faire si on ne s’appelle pas McCartney, Fogerty ou Wanda Jackson. Et encore, sur « Slippin’ & slidin’ », y’a l’autre Winter qui sauve presque l’affaire avec son sax et son piano. Ah, je vous ai pas dit, des Winter il y en a deux sur ce disque. Le Johnny donc, et puis le petit frère Edgar (albinos également, mais à moustache et le cheveu plus court). Curieuse affaire familiale, Edgar n’étant là qu’en studio, alors qu’en live Johnny Winter se produit en power trio (le bassiste de ce « Second Winter » et un batteur qui arrivera un peu plus tard constitueront dans les 80’s la rythmique de Stevie Ray Vaughan, comme quoi y’a des bassistes qui prennent leur pied derrière des guitaristes bavards …). Et assez vite, le petit frère frustré montera son propre groupe, l’originalement nommé Edgar Winter Band.

Edgar et son grand frère

J’en étais où ? ah ouais, les reprises … « Johnny Be Goode » est évidemment de la partie. Rien à dire, c’est un morceau d’une évidence et d’une simplicité bibliques, difficile de le massacrer même en y mettant de la bonne volonté. Ce sera, étiré jusqu’à pas d’heure, le titre emblématique des concerts de la Juke Box Winter Revue pendant des décennies … parce qu’en fait, Johnny Winter c’est un juke-box qui fait des solos de guitare. Quelques fois à côté de la plaque. Reprendre le « Highway 61 revisited » (un des premiers titres « électriques » de Dylan) était pas une bonne idée, (surtout après la tornade « All along the whatchtower » par Hendrix) et le classique dylanien, tout barbouillé de Gibson Firebird, en reste pour le moins problématique …

En fait, il n’y a qu’un titre un peu à part, il s’appelle « I hate somebody », et sous l’impulsion d’Edgar, tire une bordée vers le swing jazz, tout en restant éloigné par le résultat des productions de Lionel Hampton, Count Basie ou Duke Ellington …

L’heure de gloire de Johnny Winter continuera jusqu’au milieu des années 70, avec une rude concurrence à succès côté sudiste (Allman Brothers Band, Lynyrd Skynyrd, ZZ Top, …), et puis le temps des guitaristes bavards (Santana, Alvin Lee, Marino, Cippolina, …) finira par passer de mode. Winter, d’une santé de plus en plus fragile, et bien qu’il soit monté sur scène jusqu’à la fin de sa vie, ne réussira pas à accrocher le train des heavy blues revivals des années 80 (S R Vaughan) et suivantes (Gov’t Mule, Poppa Chubby, …).


R.E.M. - MURMUR (1983)

 

Kudzu songs ...

Le kudzu (ou kuzu) est une plante vivace et invasive d’origine asiatique, qui s’est répandue dans d’autres continents, et notamment la partie orientale tempérée des Etats-Unis. Aujourd’hui, quelques bobos végans trouvent intéressant, voire intelligent ou carrément nourrissant d’en bouffer les tiges ou les graines …

Et non, je n’ai pas passé le second (ou le deuxième, allez savoir, on nous cache tout on nous dit rien) confinement à prendre des cours du soir de botanique. Si je cause du kudzu, c’est parce qu’il recouvre tout sur la photo de la pochette de « Murmur ». Il y en a partout dans les environs d’Athens, Géorgie. Et les R.E.M. viennent justement d’Athens. Ville universitaire qui en ce début des années 80, venait de livrer au monde les exubérants B-52’s.


R.E.M. ça veut dire « rapid eye movement », une des phases du sommeil paradoxal. Arrivés à ce stade, les fans de Status Quo ont déjà abandonné la lecture. Ça tombe bien, R.E.M. c’est pas pour eux … D’ailleurs, a priori, R.E.M. c’était pas destiné à grand-monde. Quatre types qui jouent de la musique dans leur garage en espérant au mieux, si tout s’emmanche bien, donner un concert d’une demi-heure lors d’une soirée étudiante. A l’origine du groupe, le classique magasin de disques. Peter Buck (pas vraiment filiforme, plutôt trapu et une coupe de cheveux à la Roger McGuinn ou Beatles 65) y travaille comme vendeur et passe ses journées et ses nuits (sa vie entière, en fait, et il continuera, ce type a une des cultures musicales les plus phénoménales du monde du rock) à écouter les disques en rayon. Il repère un type qui n’achète que des disques qu’il a trouvés excellents. Ce type, c’est Michael Stipe (silhouette frêle et souffreteuse, des binocles et le cheveu long qui a déjà tendance à se dégarnir), un type dont le seul plaisir en dehors de la musique est de traîner et de méditer dans la campagne, de se mettre en symbiose avec la nature, ne rechignant pas à bouffer quelques poignées de terre pour être plus près de la Mère nourricière (c’est ce qu’il avouait timidement lors de ses premières interviews). Entre ces deux bizarros, une amitié musicale naît, et comme Buck gratouille un peu et que Stipe chante (ou murmure, on y reviendra) à peu près juste, pourquoi pas monter un petit groupe … Une section rythmique qui joue depuis quelque temps ensemble au gré d’éphémères formations de collège est repérée, et c’est parti. Le bassiste, c’est Mike Mills, tronche de musaraigne comme un brouillon du Bellamy de Mumuse, et son pote batteur aux sourcils gigantesques qui répond au commun patronyme de Bill Berry.


Au départ donc quatre boys next door plutôt pas mignons, dont on ne peut être sûr que d’une chose, c’est qu’ils vont pas rendre trop de gamines hystériques. D’autant plus que leurs points communs musicaux sont pas vraiment dans l’air de ce début des 80’s : ils révèrent le Velvet Underground (groupe culte, c’est-à-dire inconnu du consommateur lambda de musique), les premiers disques des Byrds (passés de mode depuis belle lurette), ou les Modern Lovers (et leur folk-rock en totale roue libre, la référence en matière de je m’enfoutisme musical). Le son originel de R.E.M. repose sur une rythmique mouvante, souple, élastique. Parce qu’après, ça se complique. Peter Buck est le Buster Keaton de la guitare, le second faisait des films hilarants sans jamais sourire, le premier est un guitar hero qui ne fait jamais de solos et déteste tous les effets de manche et les gros riffs faciles, se contentant le plus souvent de suites d’arpèges. Quant à Stipe, qui écrit les textes, il s’évertue à les marmonner (parce qu’il en a honte, parce qu’ils n’ont aucun sens, parce qu’il a pas du tout l’âme d’un frontman) les yeux fermés loin des poursuites des projecteurs.

Moins de dix ans après leur formation, R.E.M. sera la plus grosse machine d’indie rock (le terme a été inventé pour eux) de la planète, vendant des disques par millions, classant des singles en haut des charts d’une façon métronomique. Et tout cela sans cours de chant ou de guitare, sans chirurgie esthétique, sans tenues fluo ni plumes d’oiseaux des îles dans le cul … Le disque qui va les assoir sur le toit du monde pop-rock (« Out of time » en 1991), il est pas foncièrement différent de leur premier, ce « Murmur » dont il serait quand même temps de causer un peu …

R.E.M. et « Murmur », ça tient quand même de l’accident industriel. Leur premier single (autoproduit), avec « Radio free Europe » en face A et une reprise en direct live dans le studio de « There she goes again » du Velvet en face B est tiré à cent exemplaires. Pendant qu’un contrat est signé avec I.R.S. (label indépendant où l’on trouve à la tête le frangin de Stewart Copeland, le batteur de Police), voilà-t-il pas que des journaux sérieux, pas forcément très rock’n’roll, mais d’audience parfois nationale font de « Radio free Europe » qui son single de la semaine, du mois, voire de l’année (quand il sera publié, « Murmur » récoltera les mêmes louanges).

Une version réenregistrée de « Radio … » ouvre « Murmur » (et « There she goes again » figure dans les bonus de la réédition Cd de 93), et force est de reconnaître qu’on n’a pas souvent entendu quelque chose d’aussi original et d’aussi évident bien souvent. Tout ce que développera et affinera R.E.M. pendant des années est dans « Radio free Europe ». Une base de country rock sautillante, une atmosphère brumeuse et cotonneuse (forcément cotonneuse, on est en Géorgie), cette voix qui tient plus du murmure que du chant, ces arpèges de guitare, ces chœurs le plus souvent à contre-temps. On retrouve à des degrés divers ces éléments dans tous les titres du disque. Mais attention si on parle bien d’uniformité, on ne parle de répétition. Parce que ce qui distinguera R.E.M. de tous ses semblables et bientôt suiveurs, c’est la capacité à écrire des chansons, ce truc léger et en même temps rigoureux avec une mélodie, des couplets, un refrain, le tout en trois-quatre minutes chrono. La concision sera aussi un des signes distinctifs de R.E.M.

Une fois la recette établie, les variations interviennent sur le tempo (il faudra attendre l’arrivée du producteur Scott Litt et la signature sur la major Warner à la fin des eighties pour que morceaux s’enjolivent et deviennent beaucoup plus radio-compatibles, sans que jamais on ne puisse accuser lors de leur première décennie d’activité les Athéniens de virer commercial). Qu’il s’accélère, et on se retrouve face à de petites bombinettes pop-rock (« Pilgrimage », « Moral kiosk », « 9.9 », l’extraordinaire « Catapult »). Qu’il se ralentisse, et on se retrouve face à de superbes ballades country-rock (« Laughing », « Perfect circle », cette dernière comme en apesanteur).


Quelquefois, ces infimes variations peuvent déboucher sur des titres moins réussis (le superflu « West of the fields », les plus quelconques « Sitting still » ou « Talk about the passion »). Et pour finir quelques ponts jetés vers l’avenir telle « Shaking through » qui préfigure le disque suivant et selon moi encore meilleur (« Reckoning »), la chanson triste et entraînante à la fois comme une projection de tous les « Losing my religion » futurs (« We walk », encore « Laughing »).

On ne peut cependant pas citer R.E.M. comme la réponse américaine à la cold wave britannique (Cure et ses disciples). Il y a chez les Américains une chaleur, une positivité et une légèreté qui ne sont pas de mise chez tous les British vêtus de noir. R.E.M. est définitivement un groupe de rock (cf. les trois titres live en bonus joués en surtempo, et tant pis pour les pains où l’approximation, on est beaucoup dans le festif et pas dans la rumination mélancolique).

« Murmur » est un des meilleurs premiers albums jamais publiés et inaugure le début d’une décennie cohérente pour le groupe qui tracera patiemment, disque après disque, améliorant sans jamais renier sa formule initiale, une route qui le mènera sur le toit du monde …



Des mêmes sur ce blog : 



THE BYRDS - GREATEST HITS (1967)

 

L'envol des Oyseaux ...

Les Byrds, tous ceux qui ont pas fini encovidés dans les EHPADs vous le diront, c’est les Beatles qui reprennent Bob Dylan. Certes … Sauf que les Byrds ils ont inventé le country-rock (avec Gram Parsons, l’indépassable album « Sweetheart of the Rodeo »), et ont donné l’idée à Tom Petty (et d’autres) de foutre partout de la Rickenbacker 12 cordes acoustique, ce que n’ont fait ni Dylan ni les Beatles …

Hillman, Clark, Clarke, McGuinn & Crosby en 1964

Il n’en reste pas moins que citer dans la même phrase Dylan, Beatles et Byrds ne relève pas d’une litote. Aux débuts était Dylan. Avec ses folks revêches acoustiques déclamés de sa voix nasale. Beaucoup plus à l’Est, les Beatles avec leurs petits costards, leurs coupes au bol, et leurs chansonnettes pour petites filles révolutionnaient l’Europe et commençaient à envahir les States. Qui se devaient de répondre. La Columbia, pas la moindre ni la pire des maisons de disques avança ses pions, les Byrds. Quasi un boys band, ils savaient chanter, composer, et avaient été réunis par une sorte de casting autour de celui qui apparaissait le plus doué (ou la plus grande gueule du lot), un certain Roger McGuinn. Par contre, en studio, ils étaient priés de laisser leurs instruments à la maison, remplacés par des sessionmen, et se contentaient de chanter et d’harmoniser. Et ça, ils savaient faire. Sauf qu’assez vite, les talents ont percé.

Roger McGuinn (qui lors d’un trip se reprénommera Jim) était la boussole du groupe, celui qui donnait la direction et le seul à participer à la longue litanie des formations différentes du groupe, Gene Clark se révèlera un compositeur fabuleux (et mésestimé toute sa vie, y compris dans sa carrière solo), et David Crosby un grand chanteur avant d’entrer dans la légende de la West Coast avec ses potes (?) S, N et parfois Y. Les trois sont l’ossature originelle des Byrds. Sera recruté un batteur (en fait c’est Hal Blaine qui joue en studio) limité mais choisi parce qu’il ressemble très très beaucoup physiquement à Brian Jones. Et assez vite, le multi-instrumentiste Chris Hillman rejoindra le groupe baptisé Byrds avec une faute d’orthographe comme Beatles. Parce que la référence absolue des Byrds, c’est le groupe de Liverpool et ses harmonies vocales. Dylan arrivera un peu par hasard, sur l’insistance du manager du groupe et de Jac Holzman, homme à tout faire de la Columbia. Les deux pousseront le groupe (pas très chaud au départ) à enregistrer une chanson inédite du Zim, « Mr Tambourine Man ».

Les mêmes un peu plus tard ...

Succès considérable, la version des Byrds deviendra une des chansons emblématiques des sixties. Nous sommes en 1965 et dès lors, en quelques mois, les Byrds vont avancer à une vitesse prodigieuse, mettre en place un son (la Rickenbacker 12 cordes acoustique), un numéro vocal jamais pris en défaut, et de gens à qui on force la main pour choisir un répertoire, devenir un groupe d’avant-garde, un de ceux qui lancent ou valident les courants musicaux. Tout en continuant (ils y ont pris goût et sont devenus fans) de reprendre Bob Dylan (qu’ils influenceront à leur tour, le « convertissant » à l’électricité, ce qu’il ne fera pas avec le dos de la cuillère).

La présente compilation dont au sujet de laquelle il est question s’attache aux trois premières années du groupe, celles du quatuor McGuinn – Clark – Crosby – Hillman (Michael Clarke sera conservé mais mis en retrait pour incompétence musicale flagrante). Ce « Greatest Hits » est rachitique (31 minutes sur un Cd, c’est léger, très léger, et qu’on ne vienne pas me dire que c’est la réédition du vinyle original), mais du coup a l’avantage de présenter le strictement indispensable du groupe, sans bout de gras superflu. Les quatre premiers albums sont concernés (« Mr Tambourine Man », « Turn ! Turn ! Turn ! », « 5th Dimension », « Younger than yesterday »), et sur les onze titres de la compilation, quatre sont signés Dylan (« Mr Tambourine Man », « All I really want to do », « Chimes of freedom », « My back pages »).


Les Byrds des débuts étaient une redoutable machine folk à hit-parades (la réponse de la côte Est se nommera Simon & Garfunkel), entamée avec « Mr Tambourine man » et « All I really want to do », cette dernière lorgnant effrontément vers le Beatles sound. Et tant qu’à faire du Beatles, Gene Clark va se fendre d’un « I feel a whole lot better » qui pourrait sans problème figurer dans le Double Bleu. En plus de Dylan, l’autre inspiration folk sera Pete Seeger, avec « The bells of rhymney » qu’il a co-écrite et une relecture d’une de ses adaptions (« Turn ! Turn ! Turn ! »  autre gros succès) à partir de versets de la Bible.

Ensuite, très vite, moins de deux ans après leurs débuts, les Byrds sous l’impulsion de McGuinn vont plonger dans le psychédélisme naissant et toutes les billevesées mystiques adjacentes. Là les titres parlent d’eux-mêmes (« Eight miles eight », « Mr Spaceman », « Fifth Dimension ») et signent une des premières émancipations du groupe (ces titres sont écrits par McGuinn, avec parfois l’aide de Crosby ou Hillman). Cette période va aussi voir leur succès commercial décliner. Pas cons, les Byrds vont revenir vers leurs fondamentaux originels, le folk rock électrique et les reprises de Dylan, l’album « Younger than yesterday » sur lequel figure l’excellente « My back pages » du Zim. La pièce de ce choix de ce disque (voire même de la compilation) est signée McGuinn / Hillman, c’est l’ironique « So you want to be a rock’n’roll star », c’est expédié en 2’05, et comporte une partie de trompette quasi mariachi du Sud-Africain Hugh Masekele.

La suite (au prochain numéro ?) sera l’éviction de Crosby (remplacé par un cheval sur la pochette de « Notorious Byrds Brothers », no comment …) avant l’arrivée du jeune prodige Gram Parsons …


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WILLIAM CAMERON MENZIES - LA VIE FUTURE (1936)

 

Nouveau Monde et Ordre Nouveau ...

William Cameron Menzies c’est un peu le prototype du poissard. Plus gros coup de malchance : c’est en quelque sorte l’âme damnée de Selznick sur le projet, et un des gars qui a le plus bossé sur « Autant en emporte le vent », eh bien il a disparu du générique (c’est pas le seul sur cette affaire-là me direz-vous, mais bon …). Idem un peu plus tôt sur « La vie future » (« Things to come » en VO). Celui qui a son nom écrit en gros sur l’affiche, c’est HG Wells, le plus célèbre écrivain d’anticipation de l’époque (« La machine à explorer le temps », « L’Île du Docteur Moreau », « l’Homme invisible », « La guerre des Mondes », …).

« La vie future », c’est le projet totalement délirant et mégalo du producteur anglais d’origine tchèque Alexander Korda et de Wells, lequel s’implique à fond dans le scénario, allant même jusqu’à choisir celui qui sera chargé de la musique (Arthur Bliss, un cador du genre, qui composera une pièce de quatre (!) heures dont seules quelques bribes seront utilisées pour le film). Parce qu’à moment, il a fallu trancher dans le vif, et revenir à quelque chose de « réalisable » (techniquement et financièrement).

WC Menzies

Le bouquin de Wells (« The shape of things to come »), paru en 1933, décrit l’évolution de l’Angleterre (mais pas seulement) de 1940 jusqu’en 2106. Dans le film, l’histoire s’arrête en 2036. Classique, Wells sera très fâché par la tournure des évènements, devant ce qu’il estime être un film au rabais de son œuvre …

Le film commence pour le Noel 1940 à Everytown, ville fictive d’Angleterre. Les gens s’affairent à préparer le réveillon, au milieu de placards qui annoncent l’imminence d’une guerre mondiale. Et dans la nuit, les bombardements commencent. Le conflit va durer jusqu’en 1970, deuxième époque de l’histoire. Dans une humanité quasi décimée en proie à une terrible pandémie, toute structure sociale et politique a disparu. Ne subsistent que des systèmes claniques dirigés par des chefs de guerre qui luttent entre eux pour la conquête de territoires ou d’outils technologiques (des avions, de l’essence, …). Atterrit dans la ville à bord d’un avion futuriste une sorte de gourou qui prêche pour un monde scientifique et pacifique. Retenu prisonnier, il sera libéré par ses amis, technologiquement supérieurs au reste de l’humanité. Transposition en 2036 pour la troisième partie dans laquelle un nouveau monde scientifique hégémonique (voire dictatorial) part à la conquête de l’espace.

1940

Evidemment, à quelques mois près, le déclenchement d’un conflit mondial a fort logiquement marqué les esprits. Même si le régime nazi n’est pas directement évoqué, il est fortement suggéré (il en restera des traces lors de la période suivante, dans un plan fugace où on salue le chef de guerre – tyran, en levant et tendant les deux bras main ouverte). Extrapolation audacieuse mais guère « magique » au vu de la montée conjointe du Reich et de la capitulation diplomatique du reste du monde face à Hitler et sa clique … Beaucoup plus intéressante est la vision des années 70. Quand on voit la situation (la recherche de l’essence, le virus qui zombifie les infectés, ne laissant le choix aux autres que de les abattre) et les fringues de rigueur (les armures en haillons, pour faire simple), on tient là la matrice du 1er Mad Max, du dernier (« Fury Road »), et de « La nuit des morts-vivants » (mêmes symptômes, même démarche, même inexpressivité). Miller et Romero doivent avoir vu « La vie future » …

La dernière partie laisse quelque peu dubitatif. Cette vie future, où savoir, science (et népotisme, on y reviendra) dirigent d’une main de fer le monde pour le bien de tous (selon la formule consacrée), où face à une contestation sociale qui commence à s’amplifier, on envoie en catastrophe un couple (vision allégorique et biblique d’Adam et Eve à la recherche d’un nouveau jardin d’Eden) vers la Lune, cette vie future-là, on sait pas trop quoi en penser, et surtout ce qu’on veut in fine nous montrer, les « effets spéciaux » prenant le pas sur l’histoire elle-même, au milieu de dialogues et de situations confuses…

1970

Mais un film, c’est avant tout des images. Et qu’est-ce qu’on voit dans la vie future ? Visuellement, c’est un « Metropolis » version british. Menzies à l’origine est chef décorateur sur les tournages et ça se voit. « La vie future » ne fait pas son âge, exploite des décors pharaoniques (ou plutôt romains, en 2036 les types sont habillés en toge et jupettes), des effets spéciaux (la flotte d’avions futuristes) qui n’ont rien à envier à ce qui se fera à la fin des années 50 (certains trucages sont trop voyants, on voit bien que ce sont des maquettes miniatures, mais ça confère une patine poétique à l’ensemble). De ce côté-là, « La vie future » est réellement en avance sur son temps …

Une fois posé le contexte général, il y a un « héros » dans « La vie future ». Il s’appelle John Cabal, il est en 1940 dubitatif face à la menace de guerre, il pense que la sagesse humaine l’emportera sur les velléités belliqueuses, et on le retrouvera 30 ans plus tard face au chef de guerre (c’est lui qui atterrit avec son avion futuriste), avant de s’apercevoir après sa libération (pacifique, grâce à des gaz anesthésiants) qu’il est le leader de cette espèce de secte-confrérie qui entend amener l’humanité vers justement plus d’humanité. Et dans la dernière partie, c’est son petit-fils Oswald qui est la plus haute autorité de ce monde nouveau (d’où le népotisme). C’est le même acteur, le Canadien Raymond Massey qui joue les deux Cabal, et qui bien qu’ayant participé à quelques classiques dans des seconds rôles, trouvera avec « La vie future » son apparition la plus célèbre. Une remarque : dans les étriqués bonus, Jean-Pierre Dionnet, maître es-cinéma de série B, suggère que le nom du personnage vient de la Kabbale, et de la pseudo-secte qui découle de cette fumisterie mystique.

2036

Que retenir de ces visions d’anticipation ? Des images, des effets spéciaux et des décors grandioses (notamment ceux de la dernière partie, genre style romain démesuré), font de « La vie future », sinon un classique absolu, du moins un film qui compte parmi ceux d’anticipation de la première moitié du siècle dernier. Des systèmes d’organisation publique et sociale, qui une fois oubliés les oripeaux fashion des costumes, mettent tous en filigrane des systèmes totalitaires très hiérarchisées, même si un semblant de révolte populaire contre les « élites » semble possible (dernière partie). Et la conclusion n’est guère optimiste, le seul salut semble être pour la fille Cabal (décidément une affaire de famille) et son compagnon d’aller rechercher des jours meilleurs sur la Lune …

Remarque : la vraie star du film ne figure même pas au générique. Il s’est occupé un peu du montage et fait une apparition en tant que figurant. Son heure de gloire sera tardive (plus de 50 ans plus tard !) lorsqu’il tournera son dernier film, la fabuleux « Un poisson nommé Wanda ». Il (pour ceux qui confondent cinéma et films Marvel) s’appelle Charles Crichton.


ORSON WELLES - LE CRIMINEL (1946)

 

Le glaive de la Justice ...

Le plus mauvais film d’Orson Welles. C’est pas moi qui le dit, mais Orson Welles lui-même …

Comme j’ai pas vu tous ses films, je vais pas le suivre ou dire le contraire. Même si effectivement, « Le Criminel » n’est pas son meilleur. Evidemment, quand a tourné « Citizen Kane » (à 25 ans !), tout le reste a toutes les chances de souffrir de la comparaison. « Citizen Kane » c’est le « Sgt Pepper’s » du cinéma, il y a dans le septième art un avant et un après, et quatre-vingts ans après sa sortie, le film est toujours cité comme un des meilleurs, si ce n’est le meilleur jamais tourné …

C’est un peu tout le problème de Welles, trop jeune et trop génial dans une forme d’expression (le cinéma) en pleine expansion, et que quelques studios et financeurs entendent gérer comme une affaire qui tourne et rapporte de plus en plus, l’Art devant s’accommoder des montagnes de dollars déjà en jeu. Welles en fera très rapidement les frais avec le successeur de « Citizen Kane », « La splendeur des Amberson ». Film charcuté au montage (trois quarts d’heures supprimés et détruits à jamais), final rejeté et retourné, la RKO n’y va pas avec le dos de la cuillère …

L'épilogue : Robinson, Young & Welles

Welles est un boulimique, qui a toujours plusieurs projets sur le feu, dont l’essentiel se retrouvent avec un veto hollywoodien. « Le Criminel » (« The Stranger » en VO) est un projet que Welles voulait de toute façon bâcler, sa priorité d’alors étant de tourner avec son épouse légitime Rita Hayworth.

L’histoire a pourtant de la gueule. En 1946, faire un film sur la traque des nazis enfuis à l’étranger relevait de l’actualité brûlante. C’est semble-t-il aussi la première fois que seront montrées au grand public des images (réelles) de reportages sur l’holocauste et les camps d’extermination … sauf que Welles mélange tout, réalité et cruauté historiques, et scénario en totale roue libre. Pour ne rien arranger, Welles interprète un des deux rôles principaux, cabotinant devant la caméra (on se demande s’il joue dans un film ou donne une représentation théâtrale, tant il en rajoute des tonnes). Ce n’est pas le seul problème du casting. Loretta Young, qui joue sa femme dans le film est certes une stakhanoviste des plateaux (elle a commencé à trois ans !), mais est ici totalement dénuée de charisme (de talent ?) et sa (longue) carrière n’est qu’une litanie sans fin de séries B.

Le seul rôle majeur à tirer son épingle du jeu est Edgard G. Robinson (l’inoubliable interprète de Rico « Le Petit César »), en enquêteur (l’inspecteur Wilson) traqueur de nazis (il n’a pas dû avoir besoin de trop forcer, tout dans sa biographie laisse à penser qu’il détestait Hitler, son régime et ses sbires).

« Le Criminel » commence pourtant bien. Robinson veut retrouver Franz Kindler, un des théoriciens et acteurs de la « solution finale », disparu sans laisser de traces lors de la chute du Reich. Il fait libérer un de ses lieutenants (Meinike), et le fait suivre pour qu’il le conduise à son ancien chef. C’est ainsi que nous nous retrouvons à Harper, petit bled du Connecticut, dont le seul centre d’intérêt est une église dotée d’un clocher comportant un mécanisme d’horloge sophistiqué avec procession de personnage symboliques qui marquent les heures.


Et au bout d’un quart d’heure, on a retrouvé Kindler (Orson Welles) qui est devenu enseignant sous le nom de Charles Rankin et vient d’épouser la fille du notable du coin, un juge de la Cour Suprême à la retraite. La ficelle est un peu grosse, mais pourquoi pas … Dès lors, ce coupable que l’on connaît va faire ou tenter de faire disparaître tous ceux qui le relient à son passé où l’ont découvert (Meinike, le chien de sa femme, sa femme, …).

Le film ne sera que la tentative de l’inspecteur pour le confondre. Faut dire qu’il prend son temps et ne se montre guère perspicace. Une phrase de Rankin / Kindler lors d’un dîner (« Karl Marx n’est pas un Allemand, mais un vulgaire juif ») le laisse sur le coup de marbre, il ne percutera que des heures plus tard …

L’épilogue ne fait guère de doute (sans même évoquer le code Hayes) y compris dans sa scène finale qui se veut choc, mais qui nous est amenée plutôt lourdement. Comme Louis XVI, Rankin / Kindler est passionné d’horlogerie, et passe son temps libre à retaper l’horloge récalcitrante du clocher. C’est bien évidemment dans ce clocher que se dénouera l’intrigue …

Il y a quand même des détails qui agacent, et qui montrent le je-m’en-foutisme de la réalisation. Dans le bar du patelin, tous les clients jouent aux dames avec le patron. Sauf que le jeu de dames est un jeu d’échecs (64 cases au lieu de 100), lors d’une partie ce sont les noirs qui commencent (alors que ce sont toujours les blancs), lors d’une autre partie Rankin et son adversaire avancent tous les deux le même pion … On peut aussi déduire que Welles n’est guère bricoleur, ou tout au moins guère porté sur la menuiserie. Lorsqu’il scie un barreau de l’échelle qui mène au haut du clocher, il utilise une scie à métaux et non une scie à bois …

En fait, la seule chose qui sauve (un peu) « Le Criminel » c’est le génie de Welles derrière une caméra. Des angles de vue inventifs (plongée, contre-plongée, …), des panoramiques bien choisis, des gros plans quand il faut. Et surtout un travail phénoménal sur les éclairages, ces jeux d’ombre et de lumière avec ces ombres démesurées et omniprésentes, qui renvoient bien évidemment aux films expressionnistes allemands des années 20.

Ce qui ne suffira tout de même pas pour réhabiliter « Le criminel ».





QUEEN - A NIGHT AT THE OPERA (1975)

 

Opéra comique ?

Bon, par où commencer cette affaire ?

Que d’après un sondage « Bohemian Rhapsody » est la chanson préférée des militaires anglais (oh putain, y’aurait tellement de choses à dire … la chanson d’une des plus grosses folles du rock plébiscitée par les hommes, les vrais, ceux qui défendent la Patrie …)

Que d’après un autre sondage, « Bohemian Rhapsody » est la chanson préférée des automobilistes qui roulent en Seat (ouais, je vous vois venir, en plus de rouler avec une caisse pourrie, ces gens-là écoutent de la musique de merde …)


Que d’après les plateformes de streaming (et suite au succès du très mauvais biopic sur Queen), « Bohemian Rhapsody » est la chanson la plus écoutée du vingtième siècle (et là, j’aimerais savoir quelle est la purge la plus écoutée de ce siècle actuel de malheur …). Et à l’attention de tous les Castex qui se croient mélomanes comme lui se croit Premier Ministre, rappelons que parmi les Anglais du XXème siècle, on trouve quelques noms comme Beatles, Rolling Stones, Who, Kinks, Led Zeppelin, Pink Floyd, Oasis, Blur, et autres David Bowie, Elton John, George Michael, tous ces individus ayant vendus du disque par containers entiers …

Vous l’aurez compris, beaucoup de choses tournent autour de « Bohemian Rhapsody », titre composé par Freddie Mercury et considéré comme le sommet de « A Night at the Opera ». Petite remarque, ce titre était un peu le serpent de mer du disque, toujours en « work in progress » et avait fini par foutre les nerfs aux trois autres du groupe, qui lors des séances d’enregistrement, l’avaient rebaptisé du peu amène « le machin à Freddie ». « Bohemian Rhapsody », tous les Anglais de sept à soixante-dix-sept ans et plus, connaissent les paroles (abracadabrantes) par cœur. « Bohemian Rhapsody » est l’arbre qui cache la forêt « A Night At The Opera » …

Bon, par où continuer ?

Et si on parlait de Queen, ou plutôt de l’image de Queen. Queen, c’est le groupe que tous les « connaisseurs » adorent détester. Accusés de grandiloquence, de mauvais goût (tant au niveau du look que de la musique), de faire du hard et du prog bas de gamme, d’avoir sorti des titres (« We will rock you », « We are the champions ») beuglés par des hordes avinées et basses du front dans tous les stades de la planète (ou dans les fins de banquet par les mêmes avinés bas du front). Et insulte suprême, d’avoir vendu du disque à coups de dizaines de millions …


Je vais vous dire comment je vois les choses. Vous avez déjà entendu parler de second degré ? Tous les gardiens du Temple pour qui le rock et ce qui en découle doit être régi par des règles immuables et codifiées par une bande d’idoles le plus souvent cafardeuses et sacrificielles (le Club des 27, « Hope I die before I get old », les yeux battus, la mine triste et les joues blêmes en cuir noir, la défonce, la technique du solo de guitare, ou pire de batterie, …) tous ces clichés mille fois rebattus qui te situent du bon « côté » (du sérieux, de la crédibilité, du cimetière,…). Queen, comme quelques rares autres (Zappa est le premier nom qui me vient à l’esprit) l’a très rapidement joué second degré, caricaturant tous les codes du rock-pop-machin. Et la caricature, ça fait pas rire les intégristes, c’est bien connu, ça donne des envies de décapitation … Et les Queen, plus souvent que tous les autres et qu’à leur tour, se sont retrouvés le cou sur le billot … Queen, ce serait n’importe quoi, du vulgaire et du racoleur à la tonne, les Bigard du rock … ouais, faut voir …

La parole est à la défense … Techniquement, tant au niveau individuel que collectif, des arrangements et de la production, les Queen ont placé la barre plutôt haut. Combien de groupes peuvent aligner dans leur casting quatre types qui tous peuvent composer et chanter lead, placer des chœurs à rendre jaloux Beatles, Beach Boys et Byrds, hein, dites un peu … Ok, les Eagles, … tiens encore un autre groupe détesté par les auto-proclamées élites du rock … sauf que les Eagles, ils font peu ou prou toujours le même disque, voire le même morceau… ou encore Kiss, en mode Marvel meets Kiri le Clown version hard … Queen, ils partent dans tous les sens, et de préférence, ceux qui sont interdits …

Queen & Roy Thomas Baker

Déjà, baptiser un disque « A night at the Opera » (en référence bien évidemment au film des Marx Brothers, et non pas au repaire de toutes les Castafiore), montre bien que l’absurde et le second degré sont revendiqués. Et en évitant le côté potache (il arrivera parfois plus tard, à la joie des détracteurs du groupe). Ce disque, c’est une affaire on ne peut plus sérieuse et années 70 ou pas, la vénérable maison EMI qui finance, trouve l’addition plus que salée et le fait savoir au groupe. « A night at the Opera » quand il arrive dans les bacs est le disque le plus cher jamais enregistré. Et ce bien que les Queen fassent à ce moment-là tout juste partie de la seconde division du rock, très loin en termes de notoriété et de ventes des poids lourds de l’époque … Et le disque a coûté cher parce que les séances de studio se sont éternisées sous la houlette du cinquième Queen, le producteur Roy Thomas Baker, qui a bien failli y laisser sa santé mentale. Sur certains titres, dixit Brian May, les bandes étaient à la limite de la rupture et de la transparence, tant les parties instrumentales et surtout vocales, s’y bousculaient. Sans cesse sur le métier les Queen remettaient leur ouvrage.

Ce qui frappe sur le disque, c’est l’empilement des vocaux. Des chœurs surgis de partout et démultipliés par le re-recording, ce dont beaucoup se passeraient s’ils avaient un chanteur du niveau de Freddie Mercury. Un type qu’on a réduit trop facilement au gay exubérant, à sa navrante moustache, à ses marcels surmontés de capes royales démesurées, etc … en oubliant quel putain de grand chanteur il était (écoutez-le sur « You’re my best friend » ou « Love of my life » par exemple). Et un chanteur qui se contente des backing vocaux sur les compos des autres du groupe (« I’m in love with my car » chantée par Roger Taylor, « ‘39 » chantée par Bryan May »).

Même si le studio permet de démultiplier les parties instrumentales, Queen est musicalement un power trio guitare-basse-batterie. Et pas un trio de manchots, Bryan May étant régulièrement cité comme un meilleurs guitar-heroes, ce dont il doit se foutre royalement. Son truc, c’est pas l’esbrouffe, mais plutôt la technique pure (sa guitare, la Red Special, il l’a construite à l’origine lui-même, en « compilant » des pièces d’autres guitares). Brian May se retrouve donc avec un son unique, immédiatement reconnaissable (à noter pour ceux que ça intéresse, il n’utilise que très peu et très rarement des pédales d’effets, le son énorme est dû à trois amplis branchés en série avec un delay différent sur deux d’entre eux).


« Bohemian Rhapsody » a tiré « A night at the Opera » vers les sommets de la reconnaissance commerciale. A l’issue d’un bras de fer avec EMI, qui ne voulait pas d’un single de six minutes (injouable à la radio disaient-ils), qui avec ses six parties différentes faisait le pendant seventies du « Good vibrations » des Beach Boys. C’est l’obstination de Freddie Mercury qui finira par payer, le reste du groupe restant d’une neutralité toute diplomatique face à la maison de disques. En fait, ils n’y croyaient pas du tout au succès du « machin à Freddie ». Lequel succès fut considérable, entraînant l’album et l’autre single (« You’re my best friend », très bonne ballade lyrique) vers les sommets des charts.

L'autre long titre de l’album (« The Prophet’s song ») est considéré comme la masterpiece de Brian May. Ouais … pour moi, c’est un truc qui a mal vieilli, enchevêtrant sans l’entrain et le drive de « Bohemian Rhapsody », passages a capella, hard, prog … Je suis par contre beaucoup plus preneur du « I’m in love with my car » du batteur Roger Taylor (entre Ziggy-Bowie et le Floyd crashé dans le Mur), des rigolos « vaudevilles » (ce genre typiquement british un peu beaucoup passé de mode au milieu des 70’s et dont les Kinks flânant dans « Muswell Hillbillies » avaient signé l’apogée du genre) comme « Lazing on a Sunday afternoon » ou « Seaside rendez-vous ».

En passant, les Queen règlent leurs comptes aux lourdauds du glam et du boogie simpliste (Sweet, Slade, Status Quo) avec l’épatant « Sweet Lady », s’en vont rendre visite à Lady Madonna en passant par les Strawberry Fields (« Good company »), font avec « ‘39 » un clin d’œil aux mêmes Beatles (et aussi au country-rock des Byrds).

La pochade ne serait pas complète sans l’ultime titre, une relecture (point trop extravagante cependant) du « God save the Queen », moins destroy que le titre des Pistols (ah, Freddie Mercury et les Sex Pistols dans le même studio deux ans tard, que d’anecdotes fabuleuses …) ou la pulvérisation de l’hymne américain par Jimi Hendrix.

Allez, disque incontournable des seventies …




ROBERT BENTON - KRAMER CONTRE KRAMER (1979)

 

And the winner is …

Kramer, forcément (un Oscar pour le film, un pour Hoffman, un autre pour Meryl Streep). Mais aussi le réalisateur Robert Benton (deux statuettes, meilleur film et meilleure adaptation). Et le producteur Stanley Jaffe qui a pas dû regretter d’avoir mis des dollars dans cette affaire, le film ayant cartonné en salles, et pas seulement aux Etats-Unis …

Lequel Stanley Jaffe, qui après avoir acheté les droits du bouquin d’un certain Avery Corman (aucun lien avec le Roger du même nom) dont sera tiré le film branche son pote Benton sur son adaptation au cinéma. Bon, soyons clair, on a affaire là à des seconds couteaux de l’industrie du cinéma, Benton n’ayant comme titre de gloire à son CV qu’une participation au scénario de « Bonnie & Clyde », et Jaffe rien de notable (et guère mieux par la suite, à l’exception du gentiment scandaleux « Liaison fatale »).

Hoffman, Streep & Benton


Les deux compères veulent une star pour le premier rôle, et se mettent vite d’accord sur le nom de Dustin Hoffman, qu’ils vont démarcher illico. Problème, le film est centré sur une histoire de divorce et Hoffman est justement en train de divorcer, et n’a pas spécialement envie de jouer devant une caméra ce qu’il vit au quotidien. Il finit par accepter, moyennant un droit de regard et de réaménagement du scénario, ce dont il ne se privera pas quelques fois, improvisant quelques scènes … L’autre moitié sera Meryl Streep, remarquée pour un second rôle chez Cimino (l’extraordinaire « Voyage au bout de l’enfer »). Boulimique de travail, elle joue en même temps au théâtre, tourne pour Woody Allen (« Manhattan »), et donc aux côtés de Dustin Hoffman, qui fidèle à ses habitudes, la regarde de haut, même si en l’occurrence elle est plus grande que lui. 

Scénario construit autour d’un divorce donc. Et pour que la fête soit complète, il fallait un enfant (de six ans au début du film, presque huit à la fin). Le choix se portera sur un certain Justin Henry (seul rôle majeur de sa carrière qu’il poursuivra pour quelques nanars direct to Dvd), dont Hoffman s’occupera vraiment. Un peu normal, le film tourne autour de leur relation.

Une famille en or ...


Par tradition, le cinéma américain est peu friand de mélos familiaux, Douglas Sirk et Cassavettes étant à peu près les seuls à avoir construit une filmographie sur ce genre. « Kramer vs Kramer » est à mi-chemin entre les deux, un peu de la mièvrerie de Sirk et quelques pétages de pétages de plombs hystériques à la Cassavettes, témoin la scène des « retrouvailles » entre Hoffman et Streep, conclue par un verre fracassé sur un mur de restaurant (personne à part le chef opérateur n’était au courant que la scène finirait ainsi, Hoffman l’ayant improvisée sans en avertir Benton et Streep). En fait « Kramer … » s’apparente plutôt au cinéma français, champion du monde de l’observation d’histoires d’amour intimistes qui finissent mal en général (on peut penser à toute la filmo de Claude Sautet par exemple).


Même si « Kramer … » offre une histoire un peu abrupte que l’on prend en chemin. Les trois premières scènes montrent Joanna Kramer faire ses valises et ses adieux à son fils endormi, Ted Kramer obtenir une belle promotion dans son agence de pub, et lorsqu’il rentre chez lui partager cette bonne nouvelle avec sa femme, c’est pour assister à son départ. On ne saura pas grand-chose de ce qui a pu conduire à cette désagrégation du couple. Tout juste se rendra-t-on compte que le mari ne s’est jamais occupé de tâches domestiques et paternelles (quelques scènes plutôt drôles où on le voit préparer et rater pitoyablement le petit-déjeuner, ou arriver au boulot les bras chargés de courses), et que sa femme est psychologiquement tourmentée (elle fait allusion à une thérapie qu’elle a suivie, et le twist final est certes spectaculaire mais assez incompréhensible). Et ce final laisse aussi le spectateur sur sa faim (ah bon, c’est fini, et il se passe quoi maintenant ?). Entretemps, on aura vu une mère qui a abandonné mari et enfant (se contentant pendant des mois d’envoyer de rares cartes postales à son fils), revenir demander sa garde au tribunal, ce qui revient à dire qu’on lui fait quand même jouer le sale rôle d’un scénario quelque peu macho …

L’essentiel du film nous montre cet apprentissage de paternité solitaire de Dustin Hoffman, qui doit apprendre à connaître et apprivoiser son fils. Hoffman, archétype des acteurs de l’Actors Studio, trouve là un rôle sur mesure, évolutif, celui d’un père qui doit tout gérer seul (il tente bien de draguouiller voisine ou collègues de bureau, mais ne refait pas vie avec une autre femme), et doit élever son fils (l’histoire se déroule sur un an et demi). Et le petit Justin Henry s’en sort ma foi plutôt bien, certaines scènes reposant beaucoup sur lui (celles de la crème glacée, ou de son passage aux urgences de l’hôpital). A noter une similitude physique évidente du jeune Justin Henry (les mignonnes chères têtes blondes) avec le gosse qui joue le petit Anakin Skywalker dans le premier (ou le quatrième, ça dépend comment on compte) épisode de la saga Star Wars …

Un verre ça va, deux verres bonjour les dégâts ...


Et comme toujours, Meryl Streep crève l’écran. De toutes façons, qu’est-ce qu’il y à dire sur Meryl Streep ? C’est une sinon la meilleure des actrices en activité, elle pourrait rendre intéressant un personnage dans un film Marvel … Et preuve que le Benton, c’est pas un cador, elle avoue dans les bonus, alors qu’elle n’était qu’une quasi-débutante, qu’elle l’avait poussé à lui laisser réécrire ses réponses lors de la scène du tribunal, pour qu’elles sonnent féminines …

« Kramer contre Kramer » s’apparente souvent à du théâtre filmé, l’action se déroule quasiment toute dans l’appart des Kramer, dans la boîte de pub de Ted, dans un jardin public et dans une salle d’audience de tribunal. Perso, ce que je trouve le plus intéressant, c’est pas l’histoire en elle-même, vague machin larmoyant sur une cellule familiale qui vole en éclats, mais ce qui est évoqué au second plan. A savoir le monde impitoyable de l’entreprise (« on est super-potes, vachement contents de toi, mais tu passes trop de temps à t’occuper de ton mouflet, ça gêne le bon fonctionnement de la boîte, alors t’es viré »), et celui guère plus reluisant de la justice qui se monnaye très cher aux States (les avocats, machines procédurières sans âme et leurs questions, embarrassantes même pour ceux qu’ils défendent).

« Kramer contre Kramer », bien que servi par deux énormes interprètes, se situe quand même un peu en deçà de toutes les louanges qu’on lui a tressées … juste un bon film pour soirée confinée …