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JASON REITMAN - IN THE AIR (2009)

 

Pas vraiment stratosphérique ...

Par le réalisateur de « Juno », c’est écrit en gros sur la jaquette du Dvd. « Juno », jamais vu mais je sais à peu près de quoi il retourne, une comédie sur une gamine en cloque. Le réalisateur, donc, c’est Jason Reitman. Un fils de. En l’occurrence Ivan Reitman, lui aussi manieur de caméras, auteur de quelques comédies plutôt neuneues mais à succès (« Ghostbusters »), et souvent avec Schwarzenegger à contre emploi (« Junior », « Jumeaux », « Un flic à la maternelle », ce genre …).

Clooney & Reitman

Ce qui est aussi écrit en gros sur la jaquette, c’est le nom de George Clooney. Et au final on se pose la question : « Mr Nespresso peut-il tenir un film à bout de bras ? » Yes, he can … Et donc « In the air » est un bon film ? Euh, comment dire, ça se discute …

Ouvrons donc la discussion.

La thématique de base du film aurait pu être mieux exploitée. Le scénario est tiré d’un bouquin de Walter Kirn (il fait une paire d’apparitions, dans les réunions de cadres, il est assis à côté de Clooney) « Up in the air » (titre du film en V.O.). Le personnage central est Ryan Bingham, cadre sup dans une entreprise (jamais nommée) spécialisée dans les licenciements expéditifs. En gros quand une boîte fait un plan « social », elle fait appel à des gens comme Bingham pour procéder aux entretiens de licenciements. Et aux States, ça rigole pas, t’as la journée pour faire tes cartons et dégager le plancher quand Bingham tout en sourire compatissant te convoque dans un bureau, te sort un baratin convenu et transposable à tous les cas, t’explique qu’on n’a plus besoin de toi, te remet un fascicule pour t’aider à « rebondir », coche ton nom sur la liste et appelle le suivant. A noter que dans « In the air », la plupart des licenciés sont des acteurs amateurs qui ont connu cette situation.

Bingham passe sa vie dans les avions, il a une carte coupe-file dans les aéroports, il a bien un appart quasi vide où il ne passe que quelques jours par an, et vit seul hormis quelques coups d’un soir au gré des escales. Il est aussi conférencier, sorte de gourou new age qui veut insuffler à ses auditeurs un mode de vie dégagé de contingences matérielles et affectives, de fait son mode de vie à lui. Son but secret, qu’on n’apprend que vers le milieu du film, est d’avoir la carte Gold personnalisée chez American Airlines, qu’on n’obtient qu’après avoir parcouru dix millions de miles sur les lignes de la compagnie. Quand il débarque dans une nouvelle ville, il descend à l’hôtel Hilton du coin où il a aussi le statut de VIP et peut profiter des cadeaux, avantages et soirées privées, destinées à des personnalités importantes comme lui.

Clooney & Farmiga

Ça coince un peu, là. Au lieu de chercher à comprendre les tenants et aboutissants de son boulot de coupeur de têtes, tout cet aspect où il y aurait quand même beaucoup à dire (et à montrer), que dalle. Par contre, on a quelquefois l’impression plutôt gênante que « In the air » est une pub (on n’est même plus dans le placement de produits) non stop pour American Airlines et Hilton, et la vie « merveilleuse » qu’ils proposent à leurs plus fidèles clients. Sans oublier leur Blackberry que les protagonistes tapotent à tout moment … Evidemment, Clooney, toujours dans des costars impeccables, donne une touche de glamour sexy à son personnage, et pour ça, force est de reconnaître qu’il sait faire, il est quasiment de toutes les scènes.

C’est là que le manque de courage (?), d’ambition (?) de Reitman devient criard. « In the air » aurait pu être une parabole sur ce capitalisme sauvage qui justifie l’existence de gens comme Bingham et les fait prospérer sur la misère qu’ils créent. Le côté professionnel n’est pas éludé, il est quand même bien biaisé quand est recrutée une jeune surdiplômée Natalie Keener (interprétée par Anna Kendrick), qui entreprend d’optimiser la rentabilité de la boutique. Exit les déplacements en avion onéreux, et place au licenciement par visio grâce à internet, ce qui évidemment ne fait pas les affaires de Bingham et de ses millions de miles. Là aussi, Reitman préfère nous montrer la gamine se frotter à la vraie vie plutôt que s’appesantir sur ce qu’elle représente.

On se retrouve pour « meubler » avec une amourette de Bingham et d’une commerciale croqueuse de miles comme lui, Alex (Vera Farmiga). Ils se rencontrent of course au bar d’un Hilton, font connaissance en étalant sur une table leur cartes de crédit, d’abonnement, master, VIP, etc … (scène la plus drôle du film), se donnent des rendez-vous au gré de leurs déplacements et escales … et contrairement à ce que professe Bingham dans ses conférences, il va s’attacher à Alex et envisager de faire sa vie avec elle. L’atterrissage sera violent. Entre-temps, elle l’aura accompagné au mariage de sa sœur avec un quidam qui hésite au dernier moment. Cadeau-gage des participants au mariage : faire comme dans « Amélie Poulain » avec le nain de jardin (le plagiat est énoncé), prendre des photos du couple de fiancés (en carton) dans le plus d’endroits possibles des States (ce qui donnera le gag navrant et ultra prévisible de Clooney qui tombe à l’eau lors d’une séance de shooting).

Keener & Clooney

« In the air » avait pourtant bien commence, avec son générique fait d’un montage de vues aériennes et en fond sonore une reprise pour le moins tonique du « This land is your land » (de Woody Guthrie) par Sharon Jones & The Dap-Kings. Mais bon, c’est une gentillette comédie douce-amère, la dureté du monde dans lequel évoluent les personnages n’est là qu’en filigrane (les plans fugaces sur des entassements de chaises et de téléphones mis au rebut après les plans sociaux, le suicide d’une femme virée sans ménagement par Natalie n’est semble t-il là que pour donner une « conclusion » à son personnage). « In the air » serait un film français, on aurait Souchon au générique, comme acteur il y a quelques années, avec ses chansons maintenant, voire les deux (double peine, c’est quand même plus marrant de voir une Natalie bourrée chanter étrangement sur un karaoké le « Time after time » de Cyndi Lauper).

On sourit quelques fois, avec l’impression du verre à moitié plein ou vide, car il y avait matière à une belle comédie, ou à un brûlot sociétal. Encore eut-il fallu faire des choix, ce que Reitman n’a pas voulu (ou pas osé). Si j’en crois son suivant (« Young adult », avec une magnifique Charlize Theron), cette « transparence » semble être sa marque de fabrique. Reitman n’imprime pas …




BLAKE EDWARDS - DIAMANTS SUR CANAPE (1961)

 

Diamonds are a girl's best friends ...

« Breakfast at Tiffany’s », titre autrement plus significatif que sa traduction française a fait d’un premier rôle féminin de comédies romantiques (Audrey Hepburn) parfois réussies (« Vacances romaines », « Sabrina », « Charade »), une icone du cinéma et de la mode. Alors qu’elle ne cochait aucune des cases requises à l’époque.

Breakfast at Tiffany's

Pas américaine (Anglaise de naissance, réfugiée aux Pays-Bas pendant la WW2, elle n’ira aux States que la vingtaine sonnée commencer sa carrière au théâtre), brune (alors que les stars de l’époque se nomment Marylin Monroe ou Kim Novak), longiligne silhouette limite anorexique (alors que les susnommées ont des formes généreuses), des grands pieds et de grands sourcils.

« Breakfast at Tiffany’s » en fera aune star, inaugurant un look androgyne mis en valeur par les grands couturiers (français, cocorico). Son « habilleur » attitré sera Hubert de Givenchy, ce chic frenchy sera plus ou moins dupliqué tout au long des sixties (Jackie Kennedy, Françoise Hardy, …). De brune mutine qui semblait promise à une carrière de faire-valoir de stars vieillissantes (exemples-type « Sabrina » avec Bogart, « Charade » avec Cary Grant), cette autre Hepburn va se muer en cover girl (le too much « My fair Lady », l’amusant « Comment voler un million de dollars ») qui fait tomber les hommes à ses pieds.

« Breakfast at Tiffany’s » est tiré d’une nouvelle de Truman Capote, adaptée d’une façon plutôt soft. Nouvelle qui narre les aventures d’une Texane montée à New York pour y vivre de ses charmes (explicite chez Truman Capote, suggéré dans la seconde scène du film, où un quidam la course jusque devant chez elle, furieux de lui avoir donné cinquante dollars pour qu’elle aille se refaire une beauté aux toilettes d’un endroit chic et qu’il n’a pas vue revenir, les cinquante dollars n’étant pas uniquement pour le pourboire de la dame pipi).

Audrey Hepburn & Blake Edwards

C’est la Paramount qui est maître d’ouvrage, qui a choisi le metteur en scène (Blake Edwards, sous contrat avec elle) et son actrice principale (Marilyn Monroe). Las, la blonde fait un de ses caprices de diva, refuse le rôle, et les producteurs, sans y croire vraiment, contactent Audrey Hepburn, qui à la surprise générale accepte sur-le-champ. Elle sera donc Holly Golightly (patronyme à multiples jeux de mots quasiment intraduisible qui pourrait donner quelque chose comme « sainte allumeuse »).

La première scène donne son titre au film. Petit matin, dans un New York désert un taxi jaune laisse devant la boutique du bijoutier Tiffany’s une jeune femme en robe de soirée, qui petit-déjeune en dévorant des yeux les pierres précieuses exposées en vitrine. Elle quitte à regret sa contemplation et rentre lentement à pied chez elle où l’attend l’éconduit furibard cité plus haut.

« Breakfast at Tiffany’s » est une des références de la comédie romantique des sixties. L’aspect romantique, c’est la liaison contrariée par de multiples rebondissements que l’on voit venir de loin entre Holly et le nouvel occupant du logement situé à l’étage au-dessus, un écrivain plus ou moins raté et fauché joué par George Peppard. La comédie, c’est la patte de Blake Edwards et son art des gags et des personnages loufoques. Intrinsèquement, sur ces deux aspects, « Breakfast at Tiffany’s » n’est pas une franche réussite.

Peppard, Hepburn & Neal

George Peppard, espoir du cinéma américain, avec son physique de beau gosse sportif, ne concrétise pas avec ce film (ni avec les suivants d’ailleurs) les espoirs que la production a placés en lui. Jeu transparent et limité, il se fera surtout remarquer en draguant (plutôt lourdement paraît-il, et sans aucun résultat) ses deux partenaires sur le film, Audrey Hepburn et Patricia Neal (joli second rôle, celle qui donnait la réplique à Paul Newman dans « Le plus sauvage d’entre tous », est ici la maîtresse décoratrice qui entretient Peppard). Mais Peppard n’est pas la seule faute de casting, il y a pire avec Mickey Rooney, qui joue un autre voisin asiatique de l’immeuble. Irascible et grimaçant, jeu très outré derrière un maquillage grossier, tous les intervenants (Edwards, les producteurs) ont reconnu qu’il n’était pas le bon choix (a-t-il d’ailleurs été un bon choix un jour, tant il en fait toujours trop dans tous ses films ?). Autant que Rooney, c’est son personnage qui pose problème, envoyant à chacune de ses apparitions en forme de running gag, la comédie sentimentale vers des contrées de grosse farce lourdingue. N’est pas Jerry Lewis qui veut …

De toutes façons, c’est Audrey Hepburn qui écrase tout, pour ce qui est sa meilleure prestation devant une caméra. Très glamour, limite sexy, elle porte le film à bout de bras, et fait de Holly Golightly un personnage de fiction devenu légendaire. Toutes les femmes ont rêvé de ses sobres robes noires, de son sac à main, de son fume-cigarettes (d’au moins cinquante centimètres). Si ses liens avec Givenchy ressemblent souvent à du placement de produit, la firme Ray Ban peut aussi lui dire un grand merci. On voit Hepburn plusieurs fois avec des Wayfarer à verres teintés de vert. Au moins autant que Bob Dylan qu’on apercevra beaucoup avec les Wayfarer dans les sixties (mais pas seulement, voir la pochette de « Infidels »), elle contribuera à la notoriété de la marque (pas assez pour éviter que la vénérable firme de binocles soit rachetée par des Ritals, no fun et no comment …). Sans parler évidemment de la bijouterie Tiffany’s (qui n’avait pas vraiment besoin de cette pub pour être connue) dont Hepburn deviendra aussi l’égérie et une sorte de porte-parole.

Dans « Breakfast at Tiffany’s », Hepburn montre qu’elle peut tout jouer (l’ingénue, la malicieuse, la séductrice, l’émotion les larmes…). Et surtout la jet-setteuse de basse extraction. Toujours clope au bec et whisky à la main, une composition magistrale de pilier de bar légèrement (ou gravement) ivre en permanence. Contre toute attente, elle refuse d’être doublée lorsqu’il s’agit de chanter l’imputrescible classique de Henry Mancini (écrit pour l’occasion) « Moon river ». Ce couplet et ce refrain chantés (en faisant semblant de s’accompagner à la guitare) récolteront l’Oscar de la meilleure chanson originale.

Face à cette prestation de Hepburn, tous les autres noms du casting font piètre figure. Outre les déjà évoqués Peppard et Rooney, d’autres auraient pu tirer leur épingle du jeu. Mais que ce soit Martin Balsam (un des « Douze hommes en colère »), Buddy Ebsen (le mari texan « oublié » de Holly), ou même Patricia Neal (décoratrice, maîtresse et carnet de chèques de Peppard), pourtant seconds rôles confirmés, ils disparaissent noyés par la tornade Hepburn.

La party

Et le réalisateur dans tout ça ? A mon humble avis, il montre ses limites. Capable de mettre en scène quelques gags, on peut pas vraiment dire que Blake Edwards impose sa marque de fabrique. A une exception près, lors de la party organisée dans l’appartement de Holly, où se succèdent personnages et situations surréalistes, avec acteurs et figurants serrés comme des anchois dans quelques mètres carrés (certainement pas un hasard si les mêmes paramètres seront repris dans ses plus grands succès, « La Panthère Rose » et of course « La Party »). Alors que le film est censé se passer entièrement à New York, quelques extérieurs ont bien été utilisés (la devanture de Tiffany’s, la Bibliothèque municipale, la maison où vit Holly), mais toutes les scènes d’intérieur ont été tournées dans les studios de la Paramount à Hollywood. Et encore, on a échappé au quasi débutant à l’époque John Frankenheimer, initialement prévu derrière la caméra et qu’au vu de sa carrière, on voit mal se dépêtrer d’une comédie glamour.

« Breakfast at Tiffany’s » c’est l’histoire du verre à moitié plein. Raté sur bien des points, il n’est sauvé que par une prestation hors normes d’Audrey Hepburn. Et rien que pour ça, il faut l’avoir vu …





ROBERT ZEMECKIS - FORREST GUMP (1994)

 

Born to run ...

Parce que « Born to run » ça peut servir de résumé en trois mots du film. Et aussi parce que la masterpiece du Boss est la chanson qui manque dans la B.O., notamment quand Forrest Gump fait son marathon across the U.S.A. Question, Springsteen serait-il plus dur en affaires pour les autorisations sur ses titres que les rescapés et ayant-droit des Doors, qu’on entend trois fois dans « Forrest Gump », parmi les 45 titres de la B.O. ?

Zemeckis & Hanks

Tout ça pour dire que « Forrest Gump » est aussi un film qui s’écoute, même si les extraits musicaux sont souvent réduits à quelques secondes, et en sourdine au fin fond du mix sonore. Je vais vous dire, le tracklisting de la B.O. aurait pu être celui d’un film signé Scorsese. A une exception (majeure) près : dans « Forrest Gump » rien que des titres américains des fifties au tout début des eighties, qui illustrent chronologiquement l’histoire (à quelques pains temporels près, par exemple quand Forrest arrive en 67 au Vietnam, on entend « Fortunate son » de Creedence, sorti deux ans plus tard). C’est là tout l’a priori étrange de ce film, comment a-t-il pu être un immense succès mondial alors que plus américain tu peux pas, l’histoire d’un simplet de l’Alabama qui par hasard se trouve dans des situations, des endroits, en face de personnages qui ont fait l’Histoire, Histoire qu’il influence, en initiant Elvis à sa danse pelvienne désarticulée, en soufflant les paroles de « Imagine » à John Lennon, en téléphonant à la police pour signaler un cambriolage au Watergate Hotel, sans parler de ses « rencontres » avec JFK, Lyndon Johnson, Nixon ?

« Forrest Gump » vient d’un roman « récréatif » du même nom d’un historien, scénarisé par Eric Roth dont ce sera la première adaptation plébiscitée (il bossera par la suite pour des « grosses machines » réalisées par Michael Mann, Spielberg, Fincher, Villeneuve, …). Pour « Forrest Gump », seront portés aux nues les noms de Robert Zemeckis et Tom Hanks. Les deux ne sont pas des débutants, le premier vient de réaliser « … Roger Rabbit » et les deux premiers volets de « Retour vers le futur ». Hanks a déjà beaucoup tourné, et bien souvent n’importe quoi (avec même un Oscar pour le navrant « Big »), avant de vraiment capter l’attention avec ses deux derniers films, « Nuits blanches à Seattle » et « Philadelphia ». Pour Zemeckis et Hanks (premier choix de la production), « Forrest Gump » amènera la consécration définitive.

Hanks & Wright

Hanks est parfait dans le rôle du simplet parfois génial, comme une version exubérante de Hoffman dans « Rain Man », avec sa vision rousseauiste (l’homme est naturellement bon, c’est la société qui le pervertit). Je suis généralement pas très fan de son jeu sans aspérités et des personnages qu’il a tendance à ramollir, affadir pour qu’ils suscitent de la pitié larmoyante, mais force est de reconnaître que dans « Forrest Gump » toutes les récompenses et nominations prestigieuses qu’il obtiendra sont bien méritées.

Et le reste de la distribution se hisse à son niveau de Sally Field (la mère), à Robin Wright (l’amour de sa vie) en passant par Gary Sinise (son supérieur au Vietnam) ou l’extraordinaire Mykelti Williamson (Bubba, son « jumeau » noir).

Tout ceci ne serait pas aussi fort sans la Zemeckis touch. Il a du pognon pour tourner, et va l’utiliser. Pas pour les extérieurs, une grosse partie du film a été tourné dans un tout petit périmètre (à Savannah en Géorgie, et le Vietnam dans une zone marécageuse de Caroline du Sud toute proche). Mais surtout Zemeckis va utiliser toutes les techniques numériques de pointe. Beaucoup de scènes se feront devant un rideau vert, notamment quand intervient Sinise amputé de ses deux guiboles, les ordinateurs tourneront plein pot pour les effets de mouthmorphing (faire bouger les lèvres en fonction des dialogues « revisités » des Kennedy, Johnson, Lennon et autres), pour rajouter des balles de ping-pong (non, Hanks n’est pas devenu un des frères Lebrun, il ne fait qu’agiter la raquette dans le vide). Les effets spéciaux dernier cri ont simulé des balles traçantes, des lâchages de napalm, des foules dans les stades ou au mémorial Lincoln … Deux anecdotes. Tout n’est pas retouché, certaines scènes historiques ont été recréées avec des figurants (il n’y avait pas de films à bricoler, juste des photos qui témoignaient de l’événement). Une scène très longue à tourner fut la partie de ping-pong en Chine. L’adversaire de Hanks était un Sud Coréen parmi les tout meilleurs mondiaux. Comme il n’y avait pas de balle, les deux devaient mimer la partie. Hanks y arrivait sans problème, mais le pro n’arrivait pas à se synchroniser avec une balle imaginaire, c’est à cause de lui que d’innombrables prises ont dû être faites …

Zemeckis a réussi à virer Yoko Ono ...

Visuellement, « Forrest Gump » est à la pointe de la technologie. Mais c’est surtout un film finement drôle. Zemeckis se tient loin des gags cartoonesques de « … Roger Rabbit » ou de ceux plutôt lourdauds de « Retour vers le futur ». Mentions particulières au personnage de Bubba, sa lèvre pendante et son obsession pour la pêche aux crevettes et la façon de les cuisiner, et à la scène devenue culte où Robin Wright chante seulement « vêtue » d’une guitare acoustique « Blowin’ in the wind » dans un bouge à strip-tease. Les allusions sont parfois pointues, quand Hanks pousse Sinise dans son fauteuil roulant au milieu des taxis dans une rue enneigée de New York, c’est un hommage-pastiche d’une scène de « Macadam cowboy » similaire avec Dustin Hoffman et John Voight, et on y entend la même chanson (« Everybody’s talkin’ » de Harry Nilsson) que dans le film de Schlesinger.

Pour moi, c’est le final de « Forrest Gump » (en gros les vingt dernières minutes) qui est le moins réussi. Le ton change, on n’est plus dans l’ironie, on touche à des sujets graves (le Sida), et on dérive vers le pathos larmoyant, en rupture assez (trop ?) franche avec les deux heures précédentes. Tellement flagrant que c’est évidemment voulu, mais que les ficelles émotionnelles sont bien grosses. Ces dernières bobines permettent d’apercevoir dans le rôle du fils de Forrest Gump le tout jeune Haley Joel Osment, futur premier rôle des blockbuster « Sixième sens » et « A.I. Intelligence Artificielle » (avant qu’il aille tourner des nanars passés sous les radars, mais c’est une autre histoire).

Sinise, Williamson & Hanks

La plus grosse surprise étant que « Forrest Gump » reste un film accessible (à condition d’avoir un QI supérieur à 75) alors qu’a priori cette visite loufoque dans l’histoire politique et sociale des sixties et seventies américaines pourrait sembler assez hermétique. Mais tout passe, surtout si l’on fait attention aux monologues intérieurs de Gump, bien souvent aussi drôles que les scènes qui l’encadrent …

Ce qui fait que « Forrest Gump » me semble faire partie des rares films qui se bonifient à chaque nouveau visionnage …

Anecdote : « Forrest Gump » a été un succès mondial, a gagné plein d’Oscars, et forcément, bien des gens ont attendu une suite (ils avaient pas compris que l’histoire était terminée). Les rumeurs sur cette suite se sont soudainement amplifiées il y a quelques mois quand on a appris que Zemeckis tournait un film avec dans les deux rôles principaux Tom Hanks et Robin Wright. Raté, « Here » n’est évidemment pas la suite de « Forrest Gump » …


AKI KAURISMÄKI - ARIEL (1988)


 Western sous la neige ?

Bon, y’a pas toujours de la neige, y’a pas des cow-boys ou des Indiens, y’a pas de fougueux pur-sang. En l’occurrence, le fidèle destrier il est remplacé par une vieille américaine (une Cadillac ?) décapotable.

« Ariel » est le cinquième film de Aki Kaurismäki, et le premier à être connu à l’international. Faut dire que quand on est finlandais, même si on tourne (véridique) avec une caméra ayant appartenu à Ingmar Bergman, on a pas ses œuvres attendues impatiemment par le monde cinéphile.

Aki Kaurismäki

« Ariel » est au milieu de la « Trilogie du prolétariat », ainsi que définie a posteriori par Kaurismäki lui-même (entre « Ombres au paradis » et « La fille aux allumettes », d’autres films sont intercalés dont son plus gros « succès », « Leningrad Cowboys go America »).

Même si Kaurismäki a beaucoup tourné à ses débuts (quasiment un film par an dans les années 80 et 90), il n’est pas allé à hue et à dia, il y a une certaine constance dans son boulot, une certaine façon d’aborder le cinéma. Les deux références majeures de l’Aki sont Bresson et Ozu, certes pas le cinéma le plus joyeux et expressif du monde. Bresson pour le côté désincarné et taiseux, et Ozu pour la lenteur et l’émotion. Et pour « Ariel », Kaurismäki a avoué avoir fait un film à la Melville, dont on peut considérer qu’il réunit à peu près les qualités (ou les défauts, c’est selon qu’on aime ou pas) des deux précités …

« Ariel » dure une heure dix, et est un film plutôt mutique. Ça tombe bien, je pense pas qu’il n'en existe pas de version physique en français, on le trouve qu’en finnois (no, thanks) sous-titré en anglais. Donc, droit à l’essentiel. La première scène pendant que défile le générique, nous montre des mineurs quitter leur boulot la mine triste. On comprend pourquoi, quand le dernier qui passe cadenasse l’entrée du site, il y a un panneau qui indique que la mine ferme. Seconde scène, un gars, la trentaine longiligne et efflanquée (total look Nick Cave de la même époque) sur lequel s’attardait la caméra dès le début, se retrouve dans le minable troquet du coin avec un type plus âgé que lui (son père, quelqu’un de sa famille, un collègue mineur, on sait pas), qui lui donne les clés de sa bagnole, sort un flingue de sa poche, et s’en va se foutre une balle dans le caisson  dans les chiottes.


Voici donc notre héros (Taitso, bien interprété par un certain Turo Pajala) avec sa décapotable américaine vintage qui trace la route, direction le Sud et Helsinki. Comme la capote semble pas fonctionner, il s’enturbanne la tête d’une écharpe et se lance dans son périple frisquet. Il a rompu tous ses liens, est allé à la banque se faire remettre en liquide tout le fric qu’il avait sur le compte. Pas une bonne idée, alors qu’il paye son sandwich à une station service deux loulous remarquent le tas de billets, l’assomment et se tirent avec tout son pognon.

Dès lors va s’entamer une leçon de survie en milieu urbain hostile, forcément hostile pour le plouc descendu de sa province. Kaurismäki nous offre une vision pas très glamour d’Helsinki, ses docks où l’on travaille au noir pour des exploiteurs, enfin pas longtemps, le couple d’employeurs finira assez vite dans le panier à salade, laissant toutes leurs petites mains, dont notre donquichottesque héros plutôt dépourvus alors que la bise est venue, et que le minable centre d’accueil où il passait ses nuits le vire parce qu’il ne paye plus son plumard pourri …

Alors que l’on croyait que le film était centré sur le seul personnage de Taitso, arrive une femme. Irmeli (Susanna Haavisto, c’est paraît-il une chanteuse connue au pays du Père Noel) élève seule son fils (son mec s’est cassé sans laisser de traces ou donner de nouvelles) et est obligée de cumuler plusieurs petits boulots pour joindre les deux bouts (elle fait des ménages, bosse dans une boucherie industrielle, est gardienne de nuit dans une banque, et aubergine). C’est d’ailleurs quand elle tourne autour de la décapotable de Taitso, hésitant à lui coller une prune, que celui-ci survient. Coup de foudre immédiat, ils se mettent ensemble, Taitso en voie de clochardisation se remet sur le droit chemin, cherche frénétiquement du boulot, sans succès.

Par contre un jour, il croise la route d’un des deux gars qui l’ont détroussé, le course, entreprend de le rosser copieusement, se fait prendre en flagrant délit de tabassage par les flics, passe en comparution immédiate et prend un an et demi de taule ferme (peu vraisemblable, mais on s’en fout). Adieu la vie rangée aux côtés d’Irmila et les projets de mariage.

Pellonpää, Pajala & Haavisto

C’est là, aux deux tiers du film, qu’arrive un autre personnage majeur, campé par un habitué des films de Kaurismäki, Matti Pellonpää. C’est le compagnon de cellule de Taitso, un brave gars un peu demeuré qui a pris perpette ou pas loin pour meurtre. Les deux décident de s’évader. Bon, on est pas vraiment dans « Prison break » ou « Oz », mais plutôt du côté de « Down by law » ou « O’Brother ». Les deux bras cassés vont réussir leur coup, mais le plus dur commence. Faut fuir loin (Taitso a suggéré le Mexique), trouver des faux papiers auprès de truands tordus, braquer une banque pour payer le passeur, récupérer Irmila et le mouflet, et embarquer. Ils prendront pas le bateau tous les quatre (no spoil).

Deux questions se posent. La première, pourquoi le film s’appelle « Ariel » ? On a l’explication à la toute dernière image, alors que passe en fond sonore une version de « Over the rainbow » (en finlandais, of course). La seconde, plus importante, est-ce que « Ariel » est un bon film ? Yes, Sir. Kaurismäki a le sens de l’épure, fait dans le cinéma social, rend hommage (les dernières bobines sont vraiment du pur Melville), et on sent une réelle empathie pour ses personnages de loosers (les situations comiques ou loufoques ne les ridiculisent pas, au contraire elles les rendent plus humains).

Allez, guettez les programmes du câble, « Ariel » dure pas longtemps, c’est pas un film majeur, mais c’est bien comme tout …





ALBERT DUPONTEL - ENFERMES DEHORS (2006)

 

Dans la peau d'un flic ...

Dupontel, on compte plus les récompenses obtenues par ses films, c’est devenu un incontournable des Césars, apprécié par le public et la critique. C’est pourtant loin d’être un acteur, un réalisateur et un scénariste mainstream. Dupontel, il a construit patiemment sa carrière, n’obtenant ses grands succès qu’à la cinquantaine. « Découvert » par Patrick Sébastien, ce qui n’est pas forcément une ligne glorieuse sur un CV (ce qui n’empêche pas Dupontel de le remercier au final du générique d’« Enfermés dehors », en compagnie entre autres de Chaplin et des Monty Python), il a beaucoup tourné (dans plein de genres, des films à gros budget, des séries B, …) avant de se lancer dans l’écriture et la réalisation, et comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, de se donner le premier rôle dans ses films.

Albert Dupontel

Son tiercé majeur c’est à ce jour « 9 mois ferme », « Au revoir là-haut » et « Adieu les cons » (chronologiquement mais aussi artistiquement). Un peu avant cette trilogie, était sorti ce « Enfermés dehors ». Qui est un film brouillon, confus, où l’on a l’impression que le scénario abracadabrant n’est là que pour assurer les liaisons entre des scènes d’un burlesque délirant. On se dit (c’est sans doute le but poursuivi) que « Enfermés dehors » n’est pas un film, mais un dessin animé joué par de vrais acteurs. Le point de départ, qui revient de temps en temps, c’est la confrontation du monde des SDF avec « l’autre monde », celui des gens plus ou moins « normaux », et du monde de la finance et du gros business. Bon, on n’est pas chez Ken Loach, ou alors chez Ken Loach revisité par Tex Avery.

Les gags sont totalement cartoonesques (les vols planés, les chutes, et d’une façon générale ceux qui les exécutent ou les subissent) sont totalement irréels et constituent le ressort comique majeur du film. D’autant que certains sont des running gags (les personnages des panneaux d’affichage qui s’animent lorsqu’on sniffe de la colle, les pans de murs qui s’effondrent sur le casting, la collision avec le motard, les vols planés qui se finissent toujours dans la boutique de l’épicier du coin, …). Rajoutez un casting de « gueules », Hélène Vincent et Roland Bertin en kidnappeurs d’enfants, une bonne partie des Deschiens en SDF (Yolande Moreau, Bruno Lochet, Philippe Duquesne), quelques apparitions fugaces de Bouli Lanners, Jackie Berroyer, Gustave Kervern, deux Monty Python (Terry Gilliam et Terry Jones).

Les beaux-parents indignes, Vincent & Bertin

Et l’histoire dans tout ça ? Ben y’en a pas, ou plutôt y’en a trois. Roland (Dupontel) est un SDF devenu flic. Il s’entiche d’une plaignante au commissariat Marie (Claude Perron, seul personnage « normal » du film, elle bosse dans un sex shop et se sert de godes pour faire du tapage nocturne …) qui vient signaler que sa fille est séquestrée par ses beaux-parents. Il veut l’aider à retrouver sa gamine mais homonymie oblige, va traquer un puissant homme d’affaires à la place des deux vieux …

Le point de départ est un classique de la comédie, le quiproquo. Roland assiste au suicide d’un type qui se pend en sautant d’un pont dans un fleuve (même si la corde est trop longue, il finit dans la flotte). Roland, SDF qui dormait sur les quais, monte sur le pont, ouvre une valise que le type avait laissé. Cette valise contient des habits de flic. On a beau être un SDF défoncé à la colle, on n’en reste pas moins un honnête homme et Roland va rendre la valise à l’hôtel de police, d’où son look et son odeur le font expulser avant qu’il ait pu en placer une. La vision par un soupirail du mess des pandores et la faim qui le tenaille lui feront endosser les habits du flic, d’abord pour aller bouffer copieusement gratos, et ensuite s’intéresser par hasard à la plainte de Marie, se servant de son bel uniforme (une chemise bleue et un béret classiques de pandore, mais une improbable salopette de conchyliculteur par-dessus …) pour entamer une enquête rocambolesque à sa façon. Avec des alliés (souvent contraints à cause des vertus de l’uniforme bleu) « recrutés » dans le milieu qu’il connaît le mieux, celui des SDF. Et évidemment avec des méthodes assez peu orthodoxes (un squat finit par devenir une sorte de ZAD gérée par des faux flics qui sert des repas aux jeunes mères démunies), et quelques visions assez particulières de faire régner l’ordre dans la société (Yolande Moreau : « il faut les lapider à coups de hache »).

Yolande Moreau

Forcément tout est bien qui finit bien, au prix d’acrobaties vertigineuses sur le rebord d’un toit de clinique privée (Roland accroché à une antenne télé pendue dans le vide rattrape Hélène Vincent en chute libre avec ses dents, les crochets de fixation de l’antenne n’arrêtent pas de céder, …), et notre héros de plastoc va réussir sa mission impossible (enterrées les cascades de Tom Cruise …).

On est avec « Enfermés dehors » dans le registre de la comédie pure, l’affrontement « social » entre les déshérités qui vivent dans la rue et les gros requins capitalistes est réduit à quelques gags ubuesques (on est loin de la finesse, des magouilles et des arnaques de « Au revoir là-haut »), il y a beaucoup de personnages « inutiles » au scénario, qui sont juste là par copinage …

Reste un univers délirant assez unique dans le cinéma actuel qui doit quand même un peu (beaucoup ?) à Caro et Jeunet (« Delicatessen » notamment) et une imagination sans limite quand il s’agit de trouver des angles de prises de vue totalement azimutés, la bizarrerie visuelle venant s’ajouter au comique de situation …

Bon point aussi, les plaisanteries les plus courtes étant les meilleures, quand avant le générique s’inscrit « Faim » (sic) sur l’écran, on n’est là que depuis une heure vingt.

Conclusion : Dupontel pouvait mieux faire … et il a fait mieux par la suite …





WILLIAM WYLER - COMMENT VOLER UN MILLION DE DOLLARS (1966)

 

French touch ...

Bon, « Comment voler un million de dollars » est rarement cité comme un film majeur. Même pas une comédie majeure. Ou un film de casse majeur. Pourtant y’a du lourd au générique …

Derrière la caméra, William Wyler pour son antépénultième film. Il n’a rien d’un grabataire (la soixantaine), et a aligné tout un tas de films dans des genres très différents, cumulant succès critiques, publics et Oscars à la pelle. La consécration étant évidemment « Ben Hur » (onze statuettes, un record inédit, parfois égalé avec « Titanic » et le dernier volet du « Seigneur des Anneaux », mais jamais dépassé). Devant la caméra, Peter O’Toole superstar depuis son rôle-titre dans le « Lawrence d’Arabie » de David Lean, et Audrey Hepburn, la fiancée so chic idéale des 60’s. Mais aussi dans les hauts parleurs, la musique d’un quasi débutant, un certain John(ny) Williams.

Wyler, O'Toole & Hepburn

« Comment voler … » est un film cosmopolite. Un Américain (naturalisé) à la réalisation, les deux acteurs principaux anglais, et une histoire qui se déroule à Paris, ce qui donnera quelques seconds rôles à des acteurs français (Jacques Marin, Moustache, Charles Boyer, Fernand Gravey, …). Wyler évite le cliché carte postale, ce qui n’est pas toujours le cas de films américains tournés à Paris (« Un Américain à Paris », « Gigi »). Il n’évite pas cependant le défilé de mode Givenchy, car Audrey Hepburn est sous contrat avec la maison de couture. Visuellement, on peut pas trop s’en plaindre, même si quelques tenues ou accessoires (d’improbables bibis ou binocles) font très datés genre sixties où tout est permis à donf … C’est pas gênant, mais bien voyant, ça donne même lieu à une joke de Peter O’Toole à l’attention d’Hepburn lorsqu’il la grime en femme de ménage pour les besoins du casse : « Dites à Givenchy qu’il peut disposer ce soir ». Aujourd’hui les distributeurs du film se verraient contraint de préciser la mention « contient du placement de produits » (l’Hôtel Ritz est aussi beaucoup cité) …


Le scénario est assez basique : la fille d’un faussaire demande à un voleur qu’elle a surpris chez elle de l’aider à dérober une statuette, évidemment fausse mais prétendue inestimable que son vieux a prêtée à un musée pour une expo où elle sera expertisée pour les besoins de l’assurance. Les deux beaux gosses finissant par tomber amoureux, cela va de soi. Cette double intrigue (le casse et la romance) avait de quoi remplir l’heure et demie syndicale. Le scénariste a cru bon de rajouter quelques personnages secondaires et des intrigues mineures pour la plupart incompréhensibles ce qui donne une demi-heure de plus assez brouillonne, ne servant que de prétexte pour introduire quelques gags plutôt lourdauds, comparés à ceux présents dans les histoires principales. C’est cette sensation de « pièces rapportées » qui plombent quand même pas mal le résultat final, parce que de toutes façons malgré les improbables rebondissements, il ne peut y avoir qu’une happy end ...

Et c’est dommage, parce qu’il y a de la fantaisie, du rythme, O’Toole et Hepburn s’en donnent à cœur-joie, elle en ingénue délurée, lui en (faux) voleur débutant, le tout en Panavision et en couleurs pétaradantes. Quelques clins d’œil sont bien vus, comme lorsque O’Toole cambriole la maison familiale, Hepburn est en train de lire un bouquin sur Hitchcock et sursaute à chaque bruit. Face au système d’alarme hyper sophistiqué du musée, le casse est réalisé avec une ficelle, un aimant et un boomerang en carton par le couple de braqueurs d’opérette qui s’est fait enfermer dans un placard à balais (petits bras, les scénaristes à venir de la série des Ocean’s, Insaisissables, ou Mission Impossible, …).


Wyler reste sobre à la caméra, on dirait du théâtre (de boulevard) filmé, on est loin des grands espaces de « Ben Hur ». C’est parfois le contraire, comme les scènes filmées dans le placard à balais, où le peu d’utilisation qui est faite du décor naturel parisien (juste une remontée au petit jour des Champs-Elysées et quelques plans de la Place Vendôme). Wyler laisse plutôt son couple d’acteurs vedette s’exprimer. O’Toole en faux niais maladroit aux yeux bleus est très bon, et Hepburn crève l’écran en écervelée longiligne, jouant parfaitement sur son registre charmeuse mutine et glamour, une performance du niveau de celles livrées dans « Diamants sur canapé », « Charade », « Vacances romaines, « Sabrina », … Et la voir en nuisette classe chausser des bottes en caoutchouc pour une sortie nocturne précipitée ou affublée des oripeaux d’une femme de ménage offre un contraste avec les créations Givenchy qui lui vont comme une seconde peau …

« Comment voler un million de dollars », c’est un peu la théorie du verre à moitié plein ou à moitié vide. Ou plutôt de la bouteille de pinard à moitié pleine à moitié vide comme celle qui viendra remplacer la contrefaçon de la statuette de Cellini sur son socle une fois le braquage accompli … C’est un bon film mais qui laisse trop souvent un goût de remplissage facile …


Du même sur ce blog :

Ben-Hur







MARK SANDRICH - LE DANSEUR DU DESSUS (1935)

 

Danse avec les stars ...

« Le chanteur de jazz » en 1927 est un film qui n’a guère d’intérêt artistique. Dans l’histoire du cinéma, c’est un film majeur. C’est la première fois que les spectateurs (américains d’abord) voient et surtout entendent des gens parler dans un film. Et accessoirement chanter. Dès lors, un monde va s’effondrer, celui du cinéma muet. Et le cinéma va exploiter toutes les possibilités offertes par le parlant. Une des premières « modes » qui déplacera les foules dans les salles sera le film musical, qui permet de diffuser dans tout le pays ce qui juste-là n’était visible que dans les salles de music-hall en général et à Broadway en particulier. Tout un pan culturel va s’inventer au début des années 30, de nouveaux métiers apparaissent.

Sandrich, Rogers, Astaire & Berlin

Le métier de scénariste se réinvente, tout comme celui de metteur en scène. Les chorégraphes, les compositeurs de musique, les chanteurs et les danseurs deviennent très demandés, de jeunes anonymes du 7ème art prennent d’assaut les majors avec leurs projets. Comme toujours, beaucoup de prétendants, peu d’élus.

Un gars va rapidement se faire un nom. Mark Sandrich il s’appelle. Employé subalterne des plateaux, il observe comment on y travaille et en 1933 remporte l’Oscar du meilleur court-métrage. Il peut dès lors se présenter aux studios avec des projets plus ambitieux. Son truc, ce sera la comédie musicale. D’autres y ont pensé avant lui, et parfois avec des gros succès (Lloyd Bacon et Mervin LeRoy, tous deux chez Warner avec « 42ème Rue », « Prologues » « Gold diggers 1933 », …).

Sandrich va faire le siège de RKO. Avec sa trouvaille, un chorégraphe metteur en scène de spectacles musicaux à Broadway, un certain Fred Astaire. L’accueil des pontes de la RKO est devenu légendaire, en gros ce type ne sait pas chanter, ne sait pas jouer la comédie, il est à moitié chauve, il danse à peu près correctement. Ce qui forcera la décision, c’est que Sandrich et Astaire ont avec eux Ginger Rogers, qui commence à être connue dans le métier.


Le premier film de Sandrich avec le duo Fred Astaire – Ginger Rogers, une reprise à l’écran d’un spectacle de Broadway dont Astaire était le personnage principal « La joyeuse divorcée » en V.F. sera un énorme succès. La formule gagnante sera reproduite à l’identique pour « Le danseur du dessus » (même réalisateur, même équipe technique, les mêmes cinq acteurs principaux reconduits). Seule la partition musicale changera de signature, on passe de Cole Porter à Irving Berlin, avec Max Steiner comme chef d’orchestre ; on reste dans le très haut niveau ce côté-là …

« Le danseur du dessus », en V.O. il s’appelle « Top Hat » (haut-de-forme en français, ce qui n’est pas exactement la même chose), même si les deux titres font sens (les personnages principaux sont coiffés de hauts-de-forme, un des morceaux chantés s’appelle « Top Hat », mais d’un autre côté, Fred Astaire et Ginger Rogers se rencontrent quand le premier fait un numéro de claquettes dans une chambre d’hôtel, empêchant la seconde de dormir dans sa chambre à l’étage au-dessous).

« Top Hat » est une comédie musicale. Dans le sens strict des deux termes accolés. Un scénario de théâtre de boulevard avec gags et quiproquos qui s’enchaînent sans temps mort, entrecoupés de chansons et de parties de danse du couple Astaire-Rogers. Force est de reconnaître que le résultat est bien foutu, avec son casting composé de « gueules » et leur jeu tout en grimaces et roulements d’yeux hérités de l’expressionnisme du muet, Astaire et Rogers s’en sortent plutôt honorablement tant par leur jeu d’acteur (même s’ils ont souvent tendance à en faire des caisses) qu’au chant. En quand ils dansent, là ils crèvent l’écran, en parfaite osmose. Et sans trop tricher, filmés de pied (donc pas de doublures), et avec très peu de raccords (on est en 1935, quand il y a des raccords, ils se voient). On voit la troupe déambuler dans un décor d’hôtels londoniens luxueux au début, et dans un gigantesque décor de Venise en carton dans la seconde partie. Une seule scène est filmée en extérieurs, dans un kiosque à musique sous la pluie (fausse, la pluie), pour la séquence certainement la plus connue du film. A noter que si le nom de Sandrich est peu souvent cité de nos jours, il n’en reste pas moins un technicien remarquable, avec des cadrages au cordeau.

« Top Hat » a été un immense succès aux Etats-Unis pour le duo Astaire-Rogers. Et pour Sandrich, qui en tournera encore deux ou trois avec son couple vedette. Le film sera exporté en Europe. D’une façon bizarre, notamment en France. La version américaine dure 92 minutes. « Le chanteur du dessus » sera réduit de vingt minutes, ce qui n’est pas rien. Des personnages secondaires, des scènes entières sont supprimées ou grandement amputées, certaines situations deviennent quasiment incompréhensibles. Seules n’ont pas été touchées les parties chantées ou dansées. C’est plus un film qu’on a vu en France, c’est un spectacle de music-hall.

Top hats ...

Aujourd’hui, la plupart des éditions Dvd françaises proposent les deux versions, l’américaine restaurée en anglais et/ou sous-titrée, et la version française d’époque, donc techniquement tout juste passable …

Fred Astaire et Ginger Rogers seront les premières superstars de la comédie musicale, avant que le genre s’essouffle, remplacé par les films d’aventures ou les westerns en décors naturels (et souvent en couleurs). Le genre renaîtra plusieurs fois. Dans les années cinquante avec un second âge d’or sous l’impulsion de Sinatra (« Un jour à New York ») et Gene Kelly (« Un américain à Paris » et le chef-d’œuvre absolu « Singin’ in the rain »), le best-seller de Wise « West Side story », en France avec Demy dans les 60’s, aux Etats-Unis dans les seventies (« Phantom of the paradise », « Rocky horror picture show », « Saturday night fever », « Grease », …). Jusqu’à nos jours avec les gros succès des « La La Land » est autres remakes de « West Side story ». La comédie musicale règne depuis des décennies en Inde où Bollywood en produit des dizaines chaque année …

Tout cela sans égaler la magique naïveté des pionniers des années 30, dont « Top Hat » constitue un excellent exemple …

JOHN HUGHES - LA FOLLE JOURNEE DE FERRIS BUELLER (1986)

 

Casa de Papel ...

Vous l’avez vue la série espagnole préférée des joueurs de foot, tellement que Neymar y avait un (minuscule) rôle ? On y suivait les pérégrinations d’une bande de braqueurs de banque cornaqués par un type, le Professeur. Et les scénaristes, pour faire durer les épisodes et les saisons, foutaient les braqueurs dans une merde noire, dont le Professeur les sortait à coups de stratagèmes totalement surréalistes (et plutôt débiles) … Ben, « La folle journée de Ferris Bueller », c’est un peu pareil. Des personnages à la hache, un scénario ahurissant d’invraisemblances à tous les étages. Et comme pour la série des espingouins, un carton monumental, le college movie le plus rentable de son temps … ce doit être ce qu’on appelle le nivellement par le bas …

Matthew Broderick & John Hughes

Les college movies (ou teen movies, c’est peu ou prou la même chose), c’est un genre à part entière chez les Ricains. Depuis des décennies, il en sort une foultitude chaque année. Et la référence du genre, c’est John Hughes, scénariste, producteur et réalisateur, qui a cartonné au début des années 80 avec son tryptique « Breakfast Club » (le meilleur), « Pretty in Pink » (bof …) et donc « … Ferris Bueller », le plus successful des trois (il y a même eu une tentative de série télé dérivée par la suite, bide retentissant).

L’intrigue est plutôt simplette : le dénommé Ferris Bueller, collégien de Chicago, se fait porter pâle pour ne pas aller en cours. Il fait « évader » du bahut sa copine, débauche également son meilleur pote dont il emprunte la Ferrari de collection de son vieux, et le trio s’offre une tournée des grands ducs dans Chicago, coursés par un directeur d’établissement aussi bête qu’obstiné, tout en prenant soin de rentrer avant que les parents s’aperçoivent des supercheries …

Mia Sara, Alan Ruck & Matthew Broderick en Ferrari

Tout est fait à l’économie, manière d’avoir le retour sur investissement le plus massif. La somptueuse villa de la famille Bueller n’est pas à Chicago, mais à Long Beach, Californie, la Ferrari n’est pas de collection,  c’est un fake en carton, le collège n’existe pas (c’est un vieux bahut désaffecté où Hughes avait déjà tourné « Breakfast Club »), il y a de grosses incohérences scénaristiques (comment le trio se retrouve t-il dans une piscine à remous qui n’appartient à aucun de leurs parents), des « oublis » (une longue scène où le pote entend pour une fois assumer face à son tyrannique père dont il vient de fracasser la Ferrari, on ne verra pas ce face-à-face).

Tous les gags à base de coups de téléphone, de messages enregistrés sur des répondeurs, de mécanismes à trois bouts de ficelle reliés à des ordinateurs ou des chaînes hi-fi se multiplient, sont totalement redondants et totalement stupides (un scénario écrit à la fin d’un apéro copieusement arrosé ?).

Pour ne rien arranger, dans le rôle principal, l’insupportable Matthew Broderick (le Brad Pitt des cours de récré) en fait des tonnes (il vient du café-théâtre, ceci explique en partie cela), impeccable raie sur le côté et sourire enjôleur. Ce type a foiré à peu près (à l’exception de « Glory ») tous les films où il était en haut de l’affiche. A ses côtés, une nunuche transparente (Mia Sara) joue sa copine et un autre abonné des nanars (Alan Ruck) est son pote hypocondriaque et un peu demeuré. C’est sur lui que repose le film, il en fait trop, multiplie les mimiques censées être de circonstance, s’adresse souvent à la caméra comme Belmondo dans « Pierrot le Fou » (la comparaison s’arrête là).

Twist & Shout ...

En fait, les seuls trucs regardables du film sont deux improvisations de Hughes. La première, pour rajouter quelques minutes de pellicule, est une visite du trio dans le musée de Chicago (vous avez déjà vu des ados sécher les cours pour aller se balader dans un musée ?), prétexte pour Hughes de nous montrer des œuvres de ses peintres préférés (Kandinsky, Picasso, Matisse). Le coup de génie de Hughes sera de pirater (ou du moins infiltrer) une parade de la communauté allemande de Chicago en y glissant ses acteurs et son équipe technique, Broderick se livrant en furieux playback à une reprise du « Twist and shout » (réellement balancée sur une sono, aucun trucage des vues de foule, et les réactions sont pour la plupart celles de vrais gens, pas d’acteurs). Ce qui vaudra aux Beatles leur premier numéro un depuis la séparation du groupe … une constante chez Hughes, grand fan de rock anglais (il avait lancé la carrière américaine des Simple Minds en incluant « Don’t you » dans « Breakfast Club » et procuré aux oubliés Psychedelic Furs leur seul hit aux States avec « Pretty in pink » dans le film éponyme).

Ce « clip » de « Twist and shout » est à mon sens une des rares séquences intéressantes du film. Avec une paire de scènes (il n’a qu’un tout petit rôle) dans laquelle Charlie Sheen, en jeune camé looké Ramones séduit dans un commissariat la coincée frangine de Broderick-Bueller …

Cinq ou six minutes sur une grosse heure et demie, ça fait pas beaucoup …