TAKASHI MIIKE - AUDITION (1999)

 

Télénovela et scie à fil …

Takashi Miike, japonais de son état, fait partie de ces cinéastes culte, vénéré par les adorateurs de films de séries B à Z. Signes distinctifs de Miike : une propension pour le gore et le sexe, et bien souvent les deux ensemble ; une cadence infernale : entre trois et six films par an. Donc assez loin des thématiques et du rythme de travail d’un Terence Malick, si vous voyez ce que je veux dire.

Takashi Miike

Miike sera au sommet de sa créativité et de sa carrière au tournant des années 2000. Notamment grâce à deux films, « Itchi the killer » en 2001 et « Audition » deux ans plus tôt. En trois ans (de 1999 à 2001), Wikipedia recense 20 sorties de films signés Miike, et il a tout juste quarante ans à cette époque… tous ces chiffres définissent obligatoirement des préalables, à savoir ne pas chercher chez Miike des scénarios minutieusement ficelés, des mouvements vertigineux de caméra, et de grands acteurs dans des performances inoubliables … Même si c’est pas bâclé … on n’est pas dans le format film de 80 minutes, mauvais raccords, micros visibles à l’image … Miike, c’est mieux travaillé, mieux « fini » que Ed Wood par exemple …

« Audition » dure presque deux heures et peut être séparé en trois parties à peu près égales. Au début, une mièvrerie romantique calamiteuse, une partie centrale où malaise et tension s’installent tout doucement, avant un final d’une sauvagerie ahurissante. « Audition », c’est un peu « Love Story » dont les dernières bobines seraient filmées par le Wes Craven de « La colline a des yeux ».

Alors au début on s’emmerde ferme à suivre Aoyama à l’hôpital où sa femme est en train de claquer, à le voir seul élever son gosse de sept ou huit ans, tout en continuant de gérer avec le moral en berne sa société de production … Accélération temporelle, on retrouve le même type sept ans plus tard, le moral toujours autant dans les chaussettes, toujours avec sa boîte de prod, et son fiston ado qui est intéressé par les dinosaures et les flirts avec les petites collégiennes en jupette … Un des potes d’Aoyama directeur de casting lui suggère de se remarier pour reprendre goût à la vie en se servant de leurs métiers : suffit d’organiser un faux casting féminin pour un machin qui se tournera jamais, et là, devant ces tas de chair jeune et fraîche qui va défiler, y’aura forcément la femme idéale … Evidemment, on le voit arriver de loin le coup tordu, la jeunette choisie sera pas vraiment la femme idéale …

Un casting ...

D’autant plus qu’Aoyama aurait dû se méfier : elle a le total look de la gamine de « Ring », filiforme, toute de blanc vêtue, même longue chevelure noire (mais là coiffée au cordeau), et même mutisme. Cette fille est jouée par Eihi Shiina, top model chez Elite, qui débutera avec ce film une carrière au cinéma très oubliable … Dans « Audition », c’est une orpheline qui a dû abandonner la danse classique suite à une blessure, a tenté une carrière dans la chanson, et qui bosse de temps en temps dans un bar des quartiers mal famés de Tokyo, c’est du moins ce qu’il y a sur son CV. Coup de foudre immédiat du producteur qui se lance dès lors dans une campagne de séduction romantique (on boit un verre ensemble, puis un restau, puis un weekend au bord de la mer où là, ils finiront dans le même pieu), malgré les mises en garde de son copain directeur de casting qui a vérifié que l’école de danse a fermé, que son agent dans la maison de disques a disparu sans laisser de traces depuis des mois, et que la bar a mauvaise réputation …

Là, commence à s’installer une ambiance anxiogène. Aoyama, dingue amoureux de la midinette, mène cependant sa petite enquête, apprend et voit plein de choses qui devraient l’inciter à la prudence : son ancien prof de danse est en fauteuil roulant avec des prothèses de pieds faites maison, le bar où elle est censée bosser est fermé depuis longtemps, sa propriétaire ayant été retrouvée découpée en petits morceaux, et qu’en plus il y avait des morceaux en trop (genre langue, oreille, doigts, pieds, …). Et pendant ce temps, la brunette attend prostrée à côté du téléphone à même le plancher dans son appartement vide (y’a juste un grand sac à patates dans un coin) le coup de fil du producteur amoureux …

Pour un truc tourné à l’arrache, c’est quand même pas si mal foutu que ça : cette historiette d’amour insignifiante qui devient intrigante, puis inquiétante, puis carrément malsaine. Bon, évidemment, c’est trop long, filmé à la va-vite, le jeu des deux protagonistes principaux est hyper stéréotypé, mais Miike fait bien sentir qu’on va basculer vers autre chose. Un jumpscare assure la transition lorsque le téléphone sonne chez la belle, elle relève lentement la tête et derrière ses cheveux se dessine sur ses lèvres quelque chose qui tient plus du rictus que du sourire et … je vous dis rien, mais effet choc garanti …

... qui va mal finir

Dès lors c’est parti pour une dernière demi-heure où faut quand même s’accrocher. On a droit à tous les clichés et fantasmes de BDSM, la robe d’infirmière blanche avec tablier de boucher en cuir par-dessus, gants et bottes en latex, les petits cris de jouissance suraigus, et tout l’attirail pour jouer au Dr Mengele (les seringues, les longues aiguilles d’acupuncture, les ustensiles de bricolage divers, et scie à fil pour couper les quartiers de viande). Heureusement que c’est fauché, que les effets spéciaux ont vingt ans de retard, qu’on voit bien les trucages et le latex … mais enfin, lors de la première, étaient fourni aux spectateurs des sacs à vomi floqués avec l’affiche du film, et paraît-il que de nombreux ont été les sacs qui ne sont pas sortis vides de la salle de projection.

Y’a quand même des trous dans la raquette … à mesure que les séquences limite soutenables s’enchaînent, Miike perd les pédales de son histoire, multiplie flashbacks et fantasmes, rêves et réalité (censés « expliquer » l’histoire), comme si l’ultra violence n’était là que pour faire passer un scénario, de toutes façons de quatre lignes, au second plan. Et c’est pas le double twist final qui sauve l’affaire …

« Audition », c’est le film de genre par excellence. Avec tous les codes qui ravissent les fans, et font grincer les dents de tout le reste de l’humanité. N’étant pas spécialement porté sur ce genre de trucs, j’ai du mal à le situer dans sa catégorie. Il me semble quand même que Gaspar Noé doit le connaître. La boîte homo de « Irréversible » (Le Rectum, no comment …) est en sous-sol et toute éclairée de lumière rouge. Tout comme le bar où était censée travailler la fille de « Audition » … et ce qui s’est passé dans les deux y est assez similaire …