Affichage des articles dont le libellé est Film d'auteur. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Film d'auteur. Afficher tous les articles

JACQUES RIVETTE - CELINE ET JULIE VONT EN BATEAU (1974)

 

Deux en un ...

Bon, on rentre dans le dur là … Parce que Rivette, comment dire … il a ses fans, certes, un peu moins nombreux que ceux des Tuche, mais comment expliquer … t’images pas un dating généré par Tinder où un des deux proposerait à l’autre avant de passer aux choses sérieuses, d’aller voir un film de Rivette.

Déjà, parce que les films de Rivette, ils durent au moins trois plombes (une fois en version ciné parce que le director’s cut, il fait généralement le double), et c’est du cinéma d’auteur pour ciné-club ou pas d’heure la nuit sur Arte.

Berto, Rivette & Labourier

« Céline et Julie … » c’est la comédie de Rivette, alors qu’a priori comédie et Rivette ça rime pas du tout, mais vraiment pas du tout. « Céline et Julie … », c’est un film accidentel. Après « Out 1 » qui durait une douzaine d’heures (!), le futur film que le Jacquot met en chantier est « Phénix », relecture « à la Rivette » du mythe du Fantôme de l’Opéra, avec dans les deux rôles principaux Jeanne Moreau et Juliet Berto. Des problèmes d’agenda de Jeanne Moreau lui font abandonner le projet que Rivette ne concevait pas sans elle. Mais Juliet Berto lui annonce qu’avec une de ses connaissances, Dominique Labourier, elles écrivent des choses qui pourraient faire un scénario. C’est pas tant l’idée de ce scénario qui intéresse Rivette, mais beaucoup plus de faire se confronter devant la caméra une actrice post soixante-huitarde libérée (Berto), avec une qui vient du théâtre classique (Labourier). D’ailleurs de scénario il n’y a guère, plutôt un enchaînement de situations, de sketches …

Rivette dit banco, mais bon, on se refait pas, il faut contrebalancer l’effet potache amené par les deux actrices-scénaristes. Il fait donc appel à Eduardo de Gregorio, scénariste argentin fada de Nouvelle Vague, pour qu’il écrive « autre chose ». De Gregorio s’inspire d’une nouvelle de l’auteur anglo-américain Henry James et la retravaille avec un trio d’acteurs choisi par Rivette, sa « muse » Bulle Ogier , Marie-France Pisier, Barbet Schroeder (celui qui mettait la musique de Pink Floyd en films, « More » et « La vallée »).

Il y a juste une faille spatio-temporelle dans cet étrange attelage des deux groupes antinomiques. Berto et Labourier sont dans le contemporain, et les quatre autres adaptent une œuvre de la fin du XIXème siècle. Choc des cultures à prévoir …

Rivette réussit le tour de force d’assembler ces deux univers dans la même histoire. En reprenant le pitch de « Alice au pays des merveilles ». Et bizarrement, ça fonctionne. Pas de quoi avoir une révélation cinématographique majeure, mais « Céline et Julie … » se laisse voir.

Pisier, Shroeder, Ogier

A condition d’avoir le temps. Trois heures et quart. Ce qui fatalement ne va pas sans quelques redondances. Dont certaines sont voulues et nécessaires, mais bon, trois heures et quart …

« Céline et Julie … » commence donc comme le bouquin de Lewis Caroll. Julie (Dominique Labourier) est assise sur un banc dans un square parisien (le film est aussi une visite de Paris) et bouquine un fort imposant traité de magie. Surgit Céline (Juliet Berto), look gypsy délurée qui traverse le square. Julie la remarque, la suit du regard, voit qu’elle tombe de son sac une paire de lunettes de soleil, court les ramasser, et se lance à sa poursuite telle Alice suivant le Lapin Blanc, dans un étrange ballet où l’une ne veut pas se laisser rattraper mais s’attache à ne pas semer sa poursuivante, et où l’autre préfère suivre que rattraper. Le lendemain, les rôles s’inverseront, et c’est Céline qui attendra Julie dans l’escalier de son immeuble avant de squatter chez elle. Julie est bibliothécaire férue de magie, et Céline fait des numéros de magie dans un cabaret minable. Forcément, les deux deviennent des amies inséparables.

Un jour, Céline se rend dans une grande bâtisse bourgeoise (au 7 Bis rue du Nadir aux Pommes, cherchez pas, la rue n’existe pas) où il se passe des choses étranges. Comment se rendre à cette adresse et voir ce qui s’y passe ? En suçant des bonbons. Parenthèse. Rivette assure que toute ressemblance avec des trips après avoir gobé des acides est involontaire, certains acteurs du film des années plus tard affirment le contraire. Fin de la parenthèse. Et que se passe t-il dans cette baraque ? Un veuf (Schroeder), sa belle-sœur (Bulle Ogier), une amie de sa femme (Marie-France Pisier), organisent leur vie autour d’une gamine souffreteuse et pas très bien portante (la fille de Schroeder) aidés par une infirmière-bonne-femme de ménage. Contraste violent entre le way of life très seventies de Céline et Julie et le maniérisme très Nouvelle Vague de la grande bâtisse, où toutes les attitudes et émotions sont surjouées, et les dialogues dans un style très précieux. Un drame atroce semble s’y préparer, mais lequel ?

Céline et Julie se projettent à tour de rôle dans cet univers en prenant la place de l’infirmière, n’arrivent pas à démêler l’intrigue, puis emploient les grands moyens en s’y rendant ensemble. Je vais pas spoiler, mais la justification du titre trouve son explication dans la dernière scène où le trio fantomatique de la grande bâtisse réapparaît, genre neverending story …

Pour le peu que je connais de la filmo de Rivette, « Céline et Julie … » y tient à peu près la même place que « Ce jour-là » de son disciple Raoul Ruiz ou « Sourires d’une nuit d’été » dans celle de Bergman, la comédie vue par un austère. La partie écrite par Berto et Labourier est relativement décousue (c’est fait exprès), très Godard style (on écrit la nuit ce qu’on tourne le lendemain), et l’autre très écrite, très théâtralisée.

En route pour le trip ...

« Céline et Julie … » doit beaucoup à la Nouvelle Vague (le jeu théâtral évidemment, les extérieurs non « préparés », les gosses s’agglutinent sur les lieux de tournage, les passants se retournent, dévisagent acteurs et cameraman, …). Rivette, pourtant contemporain de Truffaut ou Godard, tournera peu dans les années 60, et comme Jean Eustache, sortira ses films les plus connus dans les seventies, alors que les « anciens » commencent à tourner en rond (pour être gentil). Les emprunts et références fourmillent (Alice au pays des Merveilles, Fritz Lang avec la trace de main ensanglantée sur l’épaule de Julie qui renvoie à « M le Maudit », Bresson par l’austérité et le côté désincarné des personnages de la bâtisse, « Rashomon » de Kurosawa par la répétition des scènes avec une vision différente, Feuillade pour les tenues très Musidora en patins à roulette (!) des deux filles…).

A l’opposé, il y en a au moins deux qui ont pioché des choses dans « Céline et Julie … ». Gus Van Sant pour « Elephant » avec les mêmes scènes vécues par des personnages différents et le grand David Lynch himself dont « Mulholland Drive » semble parfois un remake avec les deux actrices qui s’échangent les rôles et se dédoublent dans des univers parallèles. Fort à parier que le scénariste de « Un jour sans fin » a aussi vu le film …

Même s’il minimalise son importance, Rivette est évidemment crucial. Il assure la liaison entre les deux histoires, codifie chacune (exubérance vs rigueur) et derrière son approche je-m’en-foutiste, produit un vrai travail de réalisateur, avec des choix esthétiques forts.

Du côté des cinq acteurs principaux, on peut rester réservé sur les prestations de Barbet Schroeder et Dominique Labourier. Le premier fait assez piètre figure à côté de Pisier et Ogier, et Labourier fait beaucoup d’efforts trop voyants pour avoir l’air déjantée. Marie-France Pisier, hiératique et hautaine est excellente, tout comme Bulle Ogier en hémophile diaphane. C’est malgré tout Juliet Berto qui domine la distribution, parce que c’est la seule à ne pas avoir l’air de jouer, tant sa déjante paraît raccord avec son image. Après les « intouchables » Bardot et Deneuve des sixties, Berto (tout comme Bernadette Laffont) va être le prototype de l’actrice « différente », l’idéal d’un hédonisme sans limite. Celle qui vient d’inspirer un hit (mineur) à Yves Simon (« Au pays des merveilles de Juliet ») sera la première d’une liste de trop vite disparues, filles trop insouciantes pour la dureté de l’époque qu’elles traversaient façon tourbillon (comme par hasard des enfants de …, Pascale Ogier et Pauline Laffont).

Si « Céline et Julie … » accuse parfois son âge par certains tics de réalisation et de jeu des acteurs, il reste dans l’ensemble assez efficace, et en tout cas à ma connaissance sans équivalent dans la filmo ardue de Rivette. Superbe réédition en 2018 remastérisée avec plein de bonus de chez la maison Potemkine, qui donne pas dans la distribution du classique et du consensuel, mais qui fait toujours bien les choses (on est pas chez Canal ou TF1 Vidéo, si vous voyez ce que je veux dire).

Si vous avez trois heures et quart de disponibles …





AKI KAURISMÄKI - ARIEL (1988)


 Western sous la neige ?

Bon, y’a pas toujours de la neige, y’a pas des cow-boys ou des Indiens, y’a pas de fougueux pur-sang. En l’occurrence, le fidèle destrier il est remplacé par une vieille américaine (une Cadillac ?) décapotable.

« Ariel » est le cinquième film de Aki Kaurismäki, et le premier à être connu à l’international. Faut dire que quand on est finlandais, même si on tourne (véridique) avec une caméra ayant appartenu à Ingmar Bergman, on a pas ses œuvres attendues impatiemment par le monde cinéphile.

Aki Kaurismäki

« Ariel » est au milieu de la « Trilogie du prolétariat », ainsi que définie a posteriori par Kaurismäki lui-même (entre « Ombres au paradis » et « La fille aux allumettes », d’autres films sont intercalés dont son plus gros « succès », « Leningrad Cowboys go America »).

Même si Kaurismäki a beaucoup tourné à ses débuts (quasiment un film par an dans les années 80 et 90), il n’est pas allé à hue et à dia, il y a une certaine constance dans son boulot, une certaine façon d’aborder le cinéma. Les deux références majeures de l’Aki sont Bresson et Ozu, certes pas le cinéma le plus joyeux et expressif du monde. Bresson pour le côté désincarné et taiseux, et Ozu pour la lenteur et l’émotion. Et pour « Ariel », Kaurismäki a avoué avoir fait un film à la Melville, dont on peut considérer qu’il réunit à peu près les qualités (ou les défauts, c’est selon qu’on aime ou pas) des deux précités …

« Ariel » dure une heure dix, et est un film plutôt mutique. Ça tombe bien, je pense pas qu’il n'en existe pas de version physique en français, on le trouve qu’en finnois (no, thanks) sous-titré en anglais. Donc, droit à l’essentiel. La première scène pendant que défile le générique, nous montre des mineurs quitter leur boulot la mine triste. On comprend pourquoi, quand le dernier qui passe cadenasse l’entrée du site, il y a un panneau qui indique que la mine ferme. Seconde scène, un gars, la trentaine longiligne et efflanquée (total look Nick Cave de la même époque) sur lequel s’attardait la caméra dès le début, se retrouve dans le minable troquet du coin avec un type plus âgé que lui (son père, quelqu’un de sa famille, un collègue mineur, on sait pas), qui lui donne les clés de sa bagnole, sort un flingue de sa poche, et s’en va se foutre une balle dans le caisson  dans les chiottes.


Voici donc notre héros (Taitso, bien interprété par un certain Turo Pajala) avec sa décapotable américaine vintage qui trace la route, direction le Sud et Helsinki. Comme la capote semble pas fonctionner, il s’enturbanne la tête d’une écharpe et se lance dans son périple frisquet. Il a rompu tous ses liens, est allé à la banque se faire remettre en liquide tout le fric qu’il avait sur le compte. Pas une bonne idée, alors qu’il paye son sandwich à une station service deux loulous remarquent le tas de billets, l’assomment et se tirent avec tout son pognon.

Dès lors va s’entamer une leçon de survie en milieu urbain hostile, forcément hostile pour le plouc descendu de sa province. Kaurismäki nous offre une vision pas très glamour d’Helsinki, ses docks où l’on travaille au noir pour des exploiteurs, enfin pas longtemps, le couple d’employeurs finira assez vite dans le panier à salade, laissant toutes leurs petites mains, dont notre donquichottesque héros plutôt dépourvus alors que la bise est venue, et que le minable centre d’accueil où il passait ses nuits le vire parce qu’il ne paye plus son plumard pourri …

Alors que l’on croyait que le film était centré sur le seul personnage de Taitso, arrive une femme. Irmeli (Susanna Haavisto, c’est paraît-il une chanteuse connue au pays du Père Noel) élève seule son fils (son mec s’est cassé sans laisser de traces ou donner de nouvelles) et est obligée de cumuler plusieurs petits boulots pour joindre les deux bouts (elle fait des ménages, bosse dans une boucherie industrielle, est gardienne de nuit dans une banque, et aubergine). C’est d’ailleurs quand elle tourne autour de la décapotable de Taitso, hésitant à lui coller une prune, que celui-ci survient. Coup de foudre immédiat, ils se mettent ensemble, Taitso en voie de clochardisation se remet sur le droit chemin, cherche frénétiquement du boulot, sans succès.

Par contre un jour, il croise la route d’un des deux gars qui l’ont détroussé, le course, entreprend de le rosser copieusement, se fait prendre en flagrant délit de tabassage par les flics, passe en comparution immédiate et prend un an et demi de taule ferme (peu vraisemblable, mais on s’en fout). Adieu la vie rangée aux côtés d’Irmila et les projets de mariage.

Pellonpää, Pajala & Haavisto

C’est là, aux deux tiers du film, qu’arrive un autre personnage majeur, campé par un habitué des films de Kaurismäki, Matti Pellonpää. C’est le compagnon de cellule de Taitso, un brave gars un peu demeuré qui a pris perpette ou pas loin pour meurtre. Les deux décident de s’évader. Bon, on est pas vraiment dans « Prison break » ou « Oz », mais plutôt du côté de « Down by law » ou « O’Brother ». Les deux bras cassés vont réussir leur coup, mais le plus dur commence. Faut fuir loin (Taitso a suggéré le Mexique), trouver des faux papiers auprès de truands tordus, braquer une banque pour payer le passeur, récupérer Irmila et le mouflet, et embarquer. Ils prendront pas le bateau tous les quatre (no spoil).

Deux questions se posent. La première, pourquoi le film s’appelle « Ariel » ? On a l’explication à la toute dernière image, alors que passe en fond sonore une version de « Over the rainbow » (en finlandais, of course). La seconde, plus importante, est-ce que « Ariel » est un bon film ? Yes, Sir. Kaurismäki a le sens de l’épure, fait dans le cinéma social, rend hommage (les dernières bobines sont vraiment du pur Melville), et on sent une réelle empathie pour ses personnages de loosers (les situations comiques ou loufoques ne les ridiculisent pas, au contraire elles les rendent plus humains).

Allez, guettez les programmes du câble, « Ariel » dure pas longtemps, c’est pas un film majeur, mais c’est bien comme tout …





SERGUEÏ PARADJANOV - LES CHEVAUX DE FEU (1965)

 

Tristan et Iseut revisited ...

Peut-être (certainement ?) parce qu’y tourner des films était plus compliqué qu’ailleurs, l’URSS a engendré deux réalisateurs hors normes, Tarkovski et Paradjanov. Tarkovski est parti d’une certaine forme de classicisme (« L’enfance d’Ivan ») pour atteindre son apogée avec « Solaris » et « Stalker » où s’enchevêtrent réel et irréel, métaphysique et mysticisme. Des films compliqués, ardus mais qu’on peut « suivre ». Tarkovski bouscule les thématiques habituelles, mais respecte les « codes » techniques du cinéma.

Sergueï Paradjanov

Paradjanov, c’est à ma connaissance un cas unique. Au moins pour ses deux films les plus connus, chronologiquement « Les chevaux de feu » et « Sayat Nova » (« La couleur de la grenade » en français). Ces deux films, il faut les voir une fois dans sa vie, et on est sûr de ne jamais les oublier. Rien ne ressemble de près ou de loin au cinéma de Paradjanov.

Vous croyez avoir tout vu sur un écran résultant du maniage savant de caméra, ben oubliez. Oubliez Gance, Welles, Kubrick, le tout numérique de Cameron, et tous leurs semblables … Première scène des « Chevaux de feu ». Un enfant avance dans la neige. Cut. Dans une forêt de pins gigantesques, un bûcheron est en train d’abattre un arbre à la hache. Cut. Le gosse s’approche, il apporte un casse-croûte au bûcheron. Cut. L’énorme pin vacille et s’abat. Cut. L’enfant lève la tête et voit qu’il est sur la trajectoire de la chute. Cut. Le bûcheron (son frère ? son oncle ?) se précipite et projette l’enfant sur le côté. Cut. C’est lui qui se fait écraser par le pin. Cut. Cet enchaînement de séquences a duré, quoi, trente secondes. Vous vous dites, mais Lester, qu’est-ce que tu racontes, on a vu ça des centaines de fois. Ben non. Parce que quand l’arbre tombe, la caméra est en haut du branchage, y’a une image vertigineuse de la chute du pin. Et comme on est au milieu des sixties, c’est pas du numérique avec un écran vert sur le fond. Je préfère pas savoir dans quel état ils ont retrouvé la caméra … Et pendant l’heure et demie qui suit, on va avoir sur l’écran des trucs totalement fous.


Et pas parce que le type qui tient la caméra (en l’occurrence le chef-opérateur Youri Illienko) serait un épileptique qui filmerait comme s’il était dans un wagon sur un manège de montagnes russes. D’ailleurs les montagnes du film, elles sont pas russes, mais ukrainiennes. Ce qui, même à l’époque, signifiait pas mal de choses. Brejnev (pourtant natif d’Ukraine) et ses potes du Parti à chapka ont pas aimé le film, mais alors pas du tout. Pour plusieurs raisons, parce qu’il est tourné en ukrainien et pas en russe. Parce que la religion, le mysticisme, et à la fin la « sorcellerie » paganique y tiennent une immense place. Et parce que rien, même pas en filigrane, n’y exalte les glorieuses vertus du socialisme. Paradjanov le paiera cher, il fréquentera pas mal les prisons soviétiques, et quand il en sortira, ce sera généralement pour tourner un film qui le lui renverra direct, en prison, sans passer par la case départ et sans toucher vingt mille roubles …

« Les chevaux de feu » se passe dans les Carpathes ukrainiennes, on sait pas quand, en tout cas avant l’apparition des engins à moteur. Les Carpathes de Paradjanov, c’est pas celles de Dracula ou de la Hammer. Ce sont les Carpathes des immensités montagneuses perdues, où vivent des communautés villageoises hors du temps, dominées par des rituels religieux ou mystiques (une bonne moitié du film se passe lors d’enterrements, de mariages, de fêtes votives, …).

Unis pour la vie ?

Le gosse qui a failli se faire écrabouiller par le sapin, il s’appelle Ivan(ko). Lors de l’enterrement de son sauveur, il quitte la procession pour aller jouer avec une gamine, Maritchka. Sauf que leurs familles respectives se détestent depuis des générations. Et l’enterrement vire encore plus au drame quand le père de Maritchka tue le père d’Ivan à coups de hache (avec, paraît-il pour la première fois à l’écran, le sang qui ruisselle sur l’objectif de la caméra). Ce qui n’empêchera pas les enfants devenus ados, en se planquant de leurs familles, de jouer ensemble, puis de flirter, et de se promettre de se marier. Mais voilà, Ivan est pauvre, et avant d’épouser Maritchka, il doit aller gagner sa vie chez un berger. Le jour prévu de son retour, Maritchka part à sa rencontre, et en voulant sauver un agneau, glisse d’une falaise et se noie dans un torrent. On n’en est pas à la moitié du film.

Et on en a pris plein les yeux. Parce qu’il y a dans « Les chevaux de feu » un énorme travail sur l’image et les couleurs, notamment grâce aux tenues traditionnelles des paysans lors des fêtes et cérémonies, aux couleurs vives, dominées par le rouge. Et puis le montage qui va alterner gros plans sur les visages, dont les expressions en disent plus que de longs discours, et cadrages millimétrés sur des paysages immenses, dans lesquels l’homme apparaît minuscule.

En fait, dès la mort de la bien-aimée, on s’aperçoit que les couleurs vives qui tendaient même vers la saturation, vont tout à coup disparaître. Quelques scènes au milieu du film sont tournées en noir et blanc à gros grain, avec des contrastes très atténués, tout semble gris … comme l’état d’esprit d’un Ivan inconsolable. Et quand les couleurs reviennent sur l’écran, c’est parce qu’Ivan vient de rencontrer une autre fille, Palagna. Mais les couleurs ne sont pas aussi vives qu’au début, le souvenir de Maritchka est encore et toujours présent, il pense à elle, la voit dans l’encadrement d’une fenêtre … La aussi, j’ai pas le souvenir d’avoir vu un film où le traitement des couleurs est raccord avec l’état d’esprit du personnage …  Même s’ils finissent par se marier, on sent pas Ivan très concerné par la vie matrimoniale. Palagna aura beau l’aguicher, Ivan est « ailleurs ». Même  des rites païens entrepris par Palagna (dont des déambulations nocturnes dénudées suivies de prières et d’incantations) n’y changeront rien.

Pire, comme elle est jeune et belle, elle va attirer l’attention d’une sorte de sorcier du village et tomber dans ses bras. Dès lors, la tension va monter entre le mari et le mage de pacotille, pour culminer lors d’une explication finale dans une auberge. Evidemment à coups de hache, puisqu’on en région forestière. Bon, je spoile (quoiqu’ayant évoqué Tristan et Iseut au début, pas besoin d’être grand devin pour savoir qui va ramasser un coup de hache). Une fois Ivan mortellement blessé, le rouge orangé envahit l’écran (comme le sang qui ruisselle sur le visage et devant les yeux), jusqu’à la saturation complète de l’image. Quand les couleurs redeviennent vives, c’est pour assister aux préparatifs de l’enterrement d’Ivan …


On est avec « Les chevaux de feu » beaucoup plus dans l’allégorique et le symbolique (quand le sorcier besogne la femme d’Ivan, un grand arbre isolé explose et se consume, quand Ivan pense à Maritchka, une étoile se met à beaucoup briller dans le ciel) que dans le réalisme pur. Le film est un poème en images (très peu de dialogues, beaucoup de musiques traditionnelles, le film s’inspire des us et coutumes d’une petite communauté ethnique). Paradjanov jongle avec les contre-jours, multiplie les contre-plongées (y compris dans l’eau), au milieu de mouvements de caméra insensés (la procession filmée à travers les taillis par une caméra – ou un cameraman – tournant à toute vitesse autour d’un axe, c’est du psychédélisme en accéléré …), de décors naturels noyés par un brouillard très impressionniste. Quelques plans à la Terrence Malick où des lichens sur des rochers ou des écorces d’arbres sont filmés en très gros plans, font aussi des « Chevaux de feu » une ode à la nature d’autant qu’il est décomposé en douze séquences précisées par de gros intertitres, censées évoquer la succession des douze mois (l’histoire elle se déroule sur plusieurs années). Le film se conclut par un énigmatique plan fixe sur huit enfants qui regardent chacun à un carreau de fenêtre …

J’en ai dit beaucoup, mais je répondrai pas à la question ultime : pourquoi « Les chevaux de feu » ?

Un dernier conseil : j’ai écrit plus haut qu’il faut absolument voir ce film et « Sayat Nova ». Ne commencez pas par « Sayat Nova », au moins aussi beau, mais totalement déroutant, « Les chevaux de feu » sont la porte d’entrée prioritaire et la plus « simple » à l’œuvre toute particulière de Paradjanov …


LOU YE - NUITS D'IVRESSE PRINTANIERE (2009)

 

Bizarre love triangle(s)

Bon, « Nuits d’ivresse printanière » n’a rien à voir avec la chanson de New Order (ni avec le nanar franchouillard où s’agitent devant la caméra Balasko et Lhermitte). C’est un film « interdit » du Chinois Lou Ye. Qui récolta à Cannes (where else ?) la palme du meilleur scénario. Meilleur scénario ? Ouais, si on veut …

Wu Wei, Tan Zhuo, Lou Ye, Cannes 2009

« Nuits … » est un étrange mix de plein de films déjà vus. De « Jules et Jim » (influence principale selon Lou Ye), « My own private Idaho », « Macadam cowboy », « Brokeback Mountain », les œuvres de Larry Clark ou Harmony Korine. Dans « Nuits … » sur fond d’amours homosexuelles, d’improbables ménages à trois, on a un portrait de la jeunesse de la génération post Tien-An Men, dans une ville de province chinoise. Même si quand on parle d’un bled de province en Chine, c’est pas exactement Châteauroux ou Epinal. L’action se situe à Nankin (sept ou huit millions d’habitants dans les terres, à trois cent bornes de Shangaï).

Lou Ye, dont peu de choses ont été remarquées en « Occident », est un cinéaste suivi de près par la censure chinoise. Son film précédent « Une jeunesse chinoise » en 2006, lui a valu un « bannissement culturel » (la Chine est un pays de libertés, on ne censure pas … et on ne ricane pas non plus), soit une interdiction de sortir des films pendant cinq ans. Hors de question de demander donc du fric à l’Etat, Lou Ye en est réduit au do it yourself. Pour faire un film, il faut des moyens. Techniques et financiers. Pour la technique, on va faire simple, petite caméra numérique au poignet, équipe réduite au strict minimum, acteurs amateurs et/ou inconnus. Pour le pognon, un petit tour de table permet de trouver l’argent à Hong-Kong (ville certes rattachée à la Chine mais plus ou moins autonome, surtout côté business) et en France (le CNC).

Ils ont pas l'air heureux ensemble ...

Bon, un film fait à la sauvette sans moyens, a forcément peu de choses à voir avec un Marvel. Tout est filmé en extérieurs, et donc l’histoire est forcément contemporaine. L’histoire ? Ou plutôt les histoires, il y a un personnage hyper central autour duquel gravitent quatre personnages secondaires et une paire de troisièmes couteaux. Au début deux jeunes mecs sont en voiture sur une route de campagne. On comprend qu’ils sont amants, ils rejoignent une villa isolée, font l’amour (avis aux pervers qui auraient lu jusque là, on est en Chine, le mec Lou Ye est interdit de tourner, donc les scènes de baise, y’en a plein, mais elles sont soft, no boobs, ass, or dicks), se baladent dans les sous-bois, puis retournent à Nankin. Il s’est passé six minutes et pas une parole n’a été prononcée. « Nuits … » est un film plutôt taiseux, ce qui donne encore plus d’impact aux scènes dialoguées. Remarque : j’ai l’impression que son et image ont été enregistrés par la caméra numérique, quand il y a du bruit extérieur, les dialogues sont tout juste audibles, et la V.F. suit la V.O. sur ce point (je me demande si c’était nécessaire, si on entend mal en V.O., c’est pas fait exprès). Bon, et tant qu’on est dans l’aspect technique (je déteste çà) et là je pense que c’est voulu, mais j’ai pas saisi pourquoi, les scènes en intérieur ont une image à gros grain, quasi en noir et blanc. Autrement dit, pas la peine d’investir dans un home cinéma 7.2 et dans un support 4K pour regarder « Nuits … ».

Revenons à l’histoire. Un des deux gars travaille dans une bibliothèque ou une maison d’édition, l’autre est marié. Sa femme qui se pense trompée le fait suivre par un détective, et découvre assez vite la double vie de son bisexuel de mari. Excellente et terrible scène de ménage, elle envoie bouler son mec. Pas de bol pour lui, il se fait larguer par le bibliothécaire qui replonge dans son hédonisme passé (son truc, c’est se travestir en femme et faire du karaoké dans les boîtes de nuit). Fin du premier triangle amoureux, même si le mari et la femme réapparaîtront plus tard chacun leur tour. Entrent alors dans la danse le détective et sa petite amie, qui vont entamer une étrange relation de copinage-amour-haine avec le travelo bibliothécaire.

Eux non plus ...

Même si ces histoires ne sont à mon sens là que pour montrer autre chose, une jeunesse chinoise de la classe moyenne inférieure à la dérive (les protagonistes ont la vingtaine, au max trente piges), et une société chinoise qui malgré tout le flicage et la rigidité du pouvoir, tourne effrontément le dos aux valeurs « saines » du communisme. Les personnages du film évoluent à Nankin, mais ça pourrait être dans n’importe quelle autre ville du monde, l’homosexualité et les couples qui partent en quenouille sont des thèmes universels. Le mérite de Lou est de montrer que ça existe aussi en Chine.

C’est aussi le problème de « Nuits d’ivresse printanière ». On a déjà beaucoup vu ce genre d’histoires, avec des scénarios plus étoffés, de meilleurs acteurs, et un rendu esthétique beaucoup plus travaillé (au hasard et en Chine aussi « Adieu ma concubine »).

Regarder « Nuits d’ivresse printanière » tient à mon sens beaucoup plus de l’acte militant (soutien aux LGBT, aux artistes censurés, à la jeunesse brimée et muselée, … liste inépuisable, y’a tellement de cause de cause plus ou moins perdues à défendre) que d’une curiosité de cinéphile. C’est plutôt bien vu, ces histoires et ces gens qui s’imbriquent (ouais, c’est de mauvais goût, mais je m’en balance), mais c’est sûrement pas le film du siècle …



Bande annonce de qualité déplorable par le distributeur français. Si même lui fait pas le job ...

CLAUDE CHABROL - UNE AFFAIRE DE FEMMES (1988)

 

Robert et Simone ...

Badinter et Veil … tous deux ont marqué le premier trimestre 2024. L’un parce qu’il est claqué et qu’on a rappelé à l’occasion que c’est lui qui avait mené le combat législatif pour l’abolition de la peine de mort. L’autre parce qu’elle aussi a mené une bataille législative pour légaliser l’IVG, gravée maintenant dans le marbre de la Constitution.

Chabrol et Huppert

De peine de mort et d’avortement, et aussi du Vichy de Pétain, il en est question dans « Une affaire de femmes » de Claude Chabrol. Qui signe là un de ses meilleurs films, voire peut-être son meilleur. Sans rien changer à sa méthode. Au moins un film par an et « en famille ». Que ce soit la sienne propre (sa femme Aurore au script, son fils Matthieu à la musique), où celle du milieu cinématographique qui l’accompagne régulièrement sur ses tournages (Isabelle Huppert son actrice fétiche, Marin Karmitz à la production, plein de « petites mains » genre machinistes, techniciens, …). Et pourtant chez Chabrol, les mêmes causes ne produisent pas toujours les mêmes effets. Il se laisse parfois aller à de « l’alimentaire », bâcle ses prises parce qu’il lui tarde d’aller au bon restau du coin où l’attendent force victuailles et bonnes bouteilles.

Le fait que « Une affaire de femmes » ait été tourné à Dieppe (une fois que t’es à Dieppe, la préoccupation principale c’est de t’en aller au plus vite) n’est même pas un handicap. Parce que le vieux gaucho Chabrol a de la « matière » : des thématiques fortes (guillotine, avortement, Vichy, les collabos). Et ces thématiques sont (en partie) servies par un bouquin de l’avocat controversé Francis Szpiner concernant « l’affaire Marie-Louise Giraud », faiseuse d’anges et condamnée à mort (et exécutée) pour cela en 1943. La partie « faits divers tragique » du film est calquée sur la vie et l’œuvre de Marie-Louise Giraud, les éléments « matrimoniaux » ont été rajoutés par Chabrol.

Huppert et Cluzet, peu ravis au lit ...

Ce qui frappe avec « Une affaire de femmes », c’est sa simplicité, son évidence, malgré un sujet, voire des sujets éminemment casse-gueule. Chabrol évite les grandes envolées pamphlétaires, il raconte une histoire, celle de Marie Latour (Isabelle Huppert, excellente comme bien souvent). C’est une jeune femme ordinaire qui sous la France occupée élève comme elle peut ses deux gosses pendant que leur père a été réquisitionné au STO. Le quotidien est pas folichon, et les assiettes pas souvent bien garnies lors des repas. Marie, pour se changer les idées, s’en va de temps en temps boire un canon au troquet du coin avec sa copine Rachel, où elles partagent leurs rêves, Marie se verrait bien chanteuse. Et puis un jour, Rachel disparaît et Marie découvre tout à coup ce que c’est qu’une rafle de Juifs, elle qui vivait quelque peu hors-sol, en tout cas loin de ces considérations.

Marie est aussi pote avec sa voisine, qui est enceinte et veut pas garder le gosse. Les deux se lancent de manière empirique dans une tentative d’avortement qui finalement réussit. Dès lors Marie va (sous le manteau, l’avortement étant considéré comme un crime) se trouver une vocation, et par là même arrondir ses fins de mois. Hasard des rencontres, elle devient amie avec une jeune prostituée, Lucie (Marie Trintignant).

Huppert & Trintignant

Tout commence par aller mieux, jusqu’à ce que, sans prévenir, Paul son mari (François Cluzet) revienne d’Allemagne. Très vite, on comprend les fêlures du couple entre elle, exubérante refoulée, et ce glaçon humain, lavasse sans conviction. L’origine du fric facile dont il profite (les « talents » de Marie sont souvent demandés, le cash rentre, le couple et ses mouflets déménagent dans un appartement plus cossu, une chambre est même louée à Lucie qui y vient y faire ses passes) ne le dérange pas beaucoup, il plastronne parce qu’il a troqué ses fringues élimées contre une rutilante tenue chemise-cravate-veston. Le seul truc qu’il ne supportera pas, c’est que Marie trouve une alternative à sa virilité défaillante en s’amourachant d’un arrogant jeune collabo, « client » de Lucie. La découverte des deux amants enlacés sera le point de rupture dans l’histoire et dans le film.

Jusque-là, Chabrol nous montrait d’une façon sérieuse (« Une affaire de femmes », c’est pas « La traversée de Paris ») les tribulations de Marie dans sa ville portuaire moche, vivant sa vie, indifférente au contexte de l’époque. C’est au retour de son premier cours de chant, la tête pleine des compliments de sa professeur alors qu’elle se voit déjà triompher sur les planches des scènes parisiennes, que la réalité de 1943 va la rattraper, sous la forme de deux flics-miliciens qui viennent l’arrêter devant ses gosses en train de jouer dans la cour de l’immeuble. Là, dans le dernier quart du film, Chabrol va devenir enragé, peindre un portrait au vitriol de la France pétainiste à travers ses tribunaux, ses juges et procureurs retors, ses avocats sous pression, son milieu carcéral infect. Quand Marie comprend que ce n’est pas une banale punition qu’elle risque, mais sa tête, il est trop tard. Elle aura cette terrible tirade, les yeux embués de larmes, qui fera bien évidemment scandale : « Je vous salue Marie pleine de merde, et le fruit vos entrailles est pourri ». Les cathos intégristes vont multiplier les cris d’orfraie, manifester devant les cinémas, intenter des procédures … du classique, quoi … Bon, faut pas non plus culpabiliser à l’excès, y’a pas que ceux qui se croient « bon Français » qui ont vu rouge, les Américains avec à leur tête un Bush père fraîchement élu, ont refusé de distribuer le film chez eux, un film pourtant célébré dans nombre de festivals européens. Le producteur Marin Karmitz en sera réduit à monter sa propre société de distribution internationale, MK2, pour que le film soit visible aux States.


Le final, crispant, n’a rien à envier à celui de « Dancer in the dark » de Lars Von Trier. Chabrol, comme dans tous ses grands films (« Le boucher », « La cérémonie ») abandonne son côté bonhomme pour devenir l’observateur à l’œil aiguisé des pires travers de cette société bourgeoise bien-pensante qu’il déteste.

Un seul bémol, d’ordre purement technique. On le sait, Chabrol se prenait pas le chou avec des mouvements tarabiscotés de caméra, son obsession était de faire « simple ». « Une affaire de femmes » présente à l’origine une image assez terne, granuleuse, baveuse. Je croyais que j’allais arranger ça en achetant une version Blu-ray. Ben believe me, niveau image, c’est le pire Blu-ray que j’aie jamais vu, on se croirait devant une VHS des années 70. Pourtant l’édition vient de chez Carlotta-MK2, généralement plus « sérieux » sur les galettes qu’ils mettent en vente.

Chef-d’œuvre quand même…


PAUL VERHOEVEN - LE QUATRIEME HOMME (1983)

 

Veuve noire et instinct basique ...

« Le quatrième homme » est le dernier film exclusivement néerlandais de Paul Verhoeven. Le suivant (« La chair et le sang ») sera un financement européen, lui vaudra un petit succès controversé (tout est dit dans le titre) et lui ouvrira les portes d’Hollywood avec des succès souvent accompagnés d’un arrière-goût de soufre au box office.

Paul Verhoeven, Jeroen Krabbé & Renée Soutendijk

Bon, soufre et Verhoeven, c’est un classique de la rime cinématographique. Quasiment tous ses films prêtent à controverse(s). Sauf un, « Le choix du destin » en français (« Soldaat van Oranje » chez les Bataves). Souvent considéré comme le plus grand film néerlandais de tous les temps, on a au contraire plutôt reproché à cette fresque sur la Seconde Guerre Mondiale vue et vécue par un groupe de jeunes potes néerlandais, d’être trop lisse, trop convenue, trop consensuelle (ce qui ne sera pas le cas presque trente ans plus tard de son quasi jumeau – du moins par la thématique – « Black book »). Parce que Verhoeven, à ses débuts, c’était des films provos, plus ou moins drôles, en tout cas loin du consensuel. Et donc le Paulo, pour ce qui allait constituer ses adieux cinématographiques au pays qui l’avait vu naître, va pas y aller avec le dos de la cuillère … If you want blood et full frontal nudity (des mecs, des nanas, des mecs et des nanas, des mecs ensemble, …) vous allez être servis.

Si vous voulez des rapports impies avec la religion, aussi. Tiens, vous vous souvenez du clip de Madonna « Like a prayer » (gros succès et gros scandale en 89) ? On y voyait la Louise lécher les pieds d’un Christ (noir par-dessus le marché) avant de se livrer à une danse peu catholique tout nombril en avant. Si vous voulez mon avis, elle a dû voir « Le quatrième homme », où l’on voit l’acteur principal, embrasser dans une église les jambes en bois sombre du Christ crucifié, jambes qui deviennent celles d’un éphèbe en slip, slip qui va vite finir sur ses chevilles, et comme le héros est un homo, je vous raconte pas la suite (non, vous risquez d’être surpris, c’est pas ce que vous croyez …).

« Le quatrième homme » commence par un écran noir de presque une minute, sur fond de musique synthétique glaciale. Les premières images nous montrent une araignée (une veuve noire) prendre et tuer trois moucherons dans sa toile avec en surimposition le générique qui défile en lettres rouge sang. Quand le générique est terminé, la caméra va un peu plus bas sur la droite, où trône sur un meuble une petite statue de la Vierge, et poursuivant son chemin, vers un lit où se réveille un type. Qui se réveille super gueule de bois, mains tremblantes et bite pendante, descend au rez-de-chaussée où un blondinet joue du violon. Le gars étrangle le violoniste. Seconde scène, le gars est en bas de l’escalier, on comprend qu’il est en couple avec le violoniste, et il lui annonce qu’il est à la bourre pour partir donner une conférence. La première scène de l’étranglement était donc un cauchemar. Et des rêves, des cauchemars ou des visions prémonitoires, tout le film en est farci, et tout est fait pour que le spectateur ne sache pas s’il s’agit de rêves ou de réalités, c’est généralement la scène suivante qui nous l’indique. Le procédé n’est évidemment pas nouveau, c’est sa multiplication qui en fait l’originalité.

Le mec à la gueule de bois (sacré picoleur, ça lui jouera des tours) est un écrivain, Gérard Rêve (inspiré d’un vrai écrivain néerlandais controversé, forcément controversé tout comme Verhoeven qui s’appelle Gerard Reve ouais, Verhoeven a fait – volontairement - un jeu de mots sur le nom et un des axes majeurs du film que seuls les Français peuvent comprendre). Le Gérard prend un journal au kiosque de la gare, et en bon homo à la recherche d’un p’tit coup, tourne autour d’un éphèbe en train de mater un mag porno (féminin), monte dans son train, où une blonde avec un nourrisson lui inspire d’autres visions sanglantes. Pour vous dire que Verhoeven a fait profond dans la réflexion, cette blonde qui retrouvera son Jules à la descente du train, c’est la Vierge Marie (elle servira plusieurs fois de guide et/ou d’ange gardien à Gérard), son mari c’est Dieu et son bambin, of course Jésus (c’est Verhoeven qui le dit, l’ange gardien j’avais compris, la Trinité, ça m’avait échappé). Faut dire que Verhoeven multiplie plein d’allusions, souvent de l’ordre du subliminal ou de l’ésotérique (que ceux qui pigent toutes les symboliques du film au premier coup se fassent connaître, y’a rien à gagner), comme une réponse à ceux qui l’avaient accusé de faire du cinéma « léger ».

Les choses deviennent plus simples lorsque le Gerard se fait vamper à sa conférence par Christine (là encore, étymologie du prénom, alors que c’est elle le personnage diabolique – ou pas – du film) une sublime blonde androgyne en rouge (forcément en rouge, c’est la couleur dominante du film) silhouette et coiffure à la Sylvie Vartan des années 80, 90, ou plus tard, je sais pas, j’ai jamais été fan des voix bulgares, surtout chantées faux … Elle l’amène chez lui, il réussit à la sauter (difficilement, mais il est un peu bi à ses heures perdues). Elle est veuve, riche, propriétaire d’un institut de beauté (le Sphinx, doté d’une enseigne en néons, mais y’en a qui marchent pas, on lit Spin, faut avoir fait néerlandais en première langue pour savoir que spin, ça veut dire araignée). Et elle fume des Dunhill International. Et là vous vous demandez pourquoi je cause des Dunhill Inter ? Ben facile, c’est les clopes que moi je fume … A partir de cette nuit passée ensemble, whisky aidant, les rêves ou pas, cauchemardesques ou prémonitoires vont se multiplier pour le Gérard. Avec un enchaînement croquignolet de trois vaches encore saignantes pendues dans un mausolée au-dessus de jarres contenant leur sang, avec une quatrième jarre en attente. La scène suivante, Gerard se réveille, commence à caresser Christine, qui saisit une grosse paire de ciseaux et … ben oui, vous avez deviné …

Evidemment, toutes ces visions prendront sens quand Gerard découvrira que Christine a été mariée trois fois et s’est retrouvée veuve trois fois. Des bobines de Super 8 trouvées dans un secrétaire laissent à penser qu’elle est peut-être bien pour quelque chose dans la mort de ses trois époux. Dès lors, Gérard serait-il le quatrième ?

A ce stade, y’a un titre de film qui clignote, celui de « Basic instinct », de, tiens comme c’est bizarre, Paul Verhoeven. Ben oui, d’ailleurs il s’en cache pas, le personnage de Cathy Tramell est un décalque de celui de Christine dans « Le Quatrième Homme », Verhoeven a toujours eu tendance à se plagier …

« Le Quatrième Homme » plutôt concis (une centaine de minutes), n’en reste pas moins un pavé. Et comme tous les pavés, quand tu le prends dans la gueule, tu trouves que c’est lourd. Il embrasse plein de genres (le polar, le thriller, le psychologique, l’érotique) multiplie des symboliques parfois absconses et donc pas faciles à suivre. Les deux acteurs principaux (Jeroen Krabbé et Renée Soutendijk) font partie des habitués de la période européenne de Verhoeven. Ils tenteront eux aussi une carrière américaine, avec nettement moins de succès (pour être gentil) que leur metteur en scène.

« Le Quatrième Homme » au vu de ce que je connais de la filmo de Verhoeven, est certainement son plus glauque. Mais pas son meilleur, tant le hollandais violent semble se bonifier dans ses vieux jours. « Black book », « Elle » et « Benedetta » sont pas mal du tout, mais désolé Paulo, j’ai jamais été fan de tes succès intergalactiques genre « Robocop », « Total recall » ou « Basic instinct » …


ZHANG YIMOU - LE SORGHO ROUGE (1987)

 

Une couleur : rouge ...

« Le sorgho rouge » est le premier film de Zhang Yimou. Et de Gong Li. C’est le film qui les a révélés au monde dit libre (Ours d’Or au festival de Berlin en 1988, ce qui n’est pas une petite récompense). C’est aussi le film qui a annoncé le début d’un renouveau du cinéma chinois, après des décennies de mise en images de la propagande communiste.

Gong Li, Mo Yan, Jiang Wen, Zhang Yimou

« Le sorgho rouge » c’est un film qui comme son pays d’origine, la Chine, cherche « l’ouverture » vers l’Occident, mais se base sur la tradition et les traditions. La tradition historique de la Chine (communiste ou pas) et de son meilleur ennemi japonais, qui a plusieurs fois envahi le continent, d’où la haine séculaire des Chinois pour le voisin insulaire. L’invasion débutée par le Japon en 1937 sera au cœur du dernier tiers du film. Les traditions, on les retrouvera pendant des décennies dans le cinéma asiatique (au sens large, de l’Inde à la Corée, en passant par la Chine et le Japon), où une grande part des scénarios met (souvent exagérément) en avant les histoires, contes, légendes, us et coutumes locales.

Dans « Le sorgho rouge » l’histoire débute en 1929 et se termine dix ans plus tard. Elle est narrée en voix off par le petit fils de l’héroïne (dans la version sous-titrée en français, c’est « grand-mère », en V.O. elle a un nom et un prénom). On ne voit jamais le narrateur. Bon, on s’en passe, il vaut mieux voir Grand-Mère, interprétée par la sublime Gong Li, vingt-deux ans et dont c’est le premier film. Faut préciser qu’être la compagne de Zhang l’a quelque peu aidée à obtenir le premier rôle. Zhang a une quinzaine d’année de plus, et est un directeur de la photo quasiment attitré d’une gloire oubliée et oubliable, un cacique du cinéma de propagande dont j’ai la flemme de rechercher le nom. « Le sorgho rouge » est basé sur deux nouvelles d’un futur Prix Nobel de littérature (en 2012), Mo Yan. C’est au niveau de ces deux sources du scénario que le bât blesse un peu. La transition est abrupte entre les deux parties du film, une paire de personnages secondaires ayant eu des évolutions passées sous silence, quelques intrigues développées dans la première partie sont abandonnées …

Gong Li

Gong Li est la neuvième fille d’un couple de paysans pauvres (pléonasme). Elle est « échangée » contre un âne, pour devenir la femme d’un riche propriétaire d’une distillerie élaborant une sorte de gnôle à base de sorgho rouge, dont les champs entourent son domaine. Problème, l’époux a la cinquantaine et la lèpre … Gong Li est amenée à l’intérieur d’un palanquin porté par quatre types et suivi par des musiciens du coin. Ces rustiques, selon la tradition, ne doivent ni la voir, ni l’approcher. Ils commencent à se lâcher au milieu de paysages arides jaune orangé, se lancent dans des chants paillards, agitent le palanquin façon space mountain, et les plus enhardis suggèrent à la jeunette de passer un bon moment avec eux plutôt qu’avec son futur vieux lépreux. Chemin faisant, au milieu des immenses plaines de sorgho, le convoi est attaqué par un bandit armé et masqué, que tous prennent pour Sanpao, terreur légendaire locale. Sauf que ce n’est qu’un amateur qui sera tabassé à mort par les porteurs du palanquin. L’un d’eux s’enhardit, allant jusqu’à caresser le pied de la promise.

Qui finalement arrive à la ferme, bien décidée à ne pas se laisser toucher par le lépreux (elle a planqué une paire de ciseaux de taille respectable dans ses vêtements). Lequel mari fera pas de vieux os, on le trouve la nuit suivante assassiné. Les soupçons se portent sur le porteur entreprenant qui fera vite sa réapparition, d’abord éconduit, avant de finir par partager le lit de celle qui est devenue la patronne de la distillerie. Un enfant, le père du narrateur ne tardera pas à venir au monde.

Entre-temps, Gong Li a dû se faire accepter par le personnel de la ferme, en prendre la direction, et continuer la fabrication de sa liqueur de sorgho. Elle se sera aussi fait kidnapper par le vrai Sanpao, sera libérée on ne sait pas trop pourquoi ni comment par son amant, qui ira défier le bandit dans sa boucherie …

L'amant (Jiang Wen)
Dix ans plus tard, alors que les envahisseurs japonais arrivent dans leur bled, Gong Li et son mari-amant vont initier la résistance, et certains protagonistes vont réapparaître de la première partie (le bandit, le régisseur, le boucher, …) avec des fortunes diverses (no spoil) …

Contrairement à ce que pourrait penser son synopsis, « Le sorgho rouge » n’a rien d’un film léger et romantique. C’est un film âpre, violent. Voire plus, lorsque les Japs entrent en scène (exécutions sommaires, tortures à base de dépeçage de prisonniers vivants). C’est aussi un film qui fait passer des messages dans la ligne du parti. Finement, mais bon, on est deux ans avant Tien An Men, faut faire gaffe. Gong Li, à la tête de la distillerie, entend gérer différemment (« on partagera les bénéfices », argument qui fera rester les hésitants prêts à l’abandonner), elle véhicule l’image de la femme forte, décidée, chef de file de la rébellion, alors que son compagnon ne fait que la suivre … Et dépeindre les Japonais aussi cruels ne peut que plaire au Peuple et à ses dirigeants à casquette et cols Mao …

« Le sorgho rouge » par son scénario et son traitement, ne serait qu’une fresque « positive » un peu naïve et violente à la fois. La réalisation de Zhang va faire la différence. « Le sorgho rouge » est avant tout un choc visuel. Deux couleurs dominent, le jaune orangé des terres, et le vert des plants de sorgho couchés par le vent. Et tout en haut du spectre colorimétrique, le rouge écrase tout. Depuis le début (le palanquin, les habits de Gong Li), jusqu’au final en sursaturation, où tout est rouge, le sang, l’alcool de sorgho, le coucher de soleil, un rouge (c’est le but) qui fait se plisser les yeux, lorsque commence à s’inscrire le générique, on était à la limite du supportable. Pas besoin de son, de mouvement, cette explosion de rouge saturé se suffit à elle-même … la technique de Zhang ne se limite pas à une savante manipulation de filtres de couleurs. On passe de gros plans (amoureux, on pense à Godard filmant Anna Karina) de Gong Li, à des scènes méticuleusement chorégraphiées (les séquences du palanquin au début, les rituels et les chants entourant la distillation du sorgho), à des panoramiques majestueux (des paysages quasi désertiques très Utah Valley, un coucher de soleil majestueux sur les immenses plaines de sorgho). Pour son premier film, Zhang prouve qu’il a des choses à dire et à montrer, et qu’il sait comment s’y prendre caméra au poing pour les dire et les montrer, et fait preuve d’une maturité artistique certaine.

La reconnaissance critique pour « Le sorgho rouge » sera mondiale, mais le film est bien trop différent de ceux qui remplissent les salles pour avoir un quelconque succès public (en gros, le genre de machin qui sera diffusé à pas d’heure sur Arte). C’est quand il en prendra le parfait contrepied quelques années plus tard (le huis clos à la place des grands espaces campagnards), que Zhang signera son chef-d’œuvre (« Epouses et concubines » toujours avec Gong Li), avant de devenir plus ou moins le cinéaste mainstream et « officiel » de la Chine …


Du même sur ce blog :

Epouses Et Concubines



Pas de bande-annonce trouvée, juste un clip de piètre qualité sur Gong Li dans le film



JEAN-PIERRE & LUC DARDENNE - LE GAMIN AU VELO (2011)

 

En roue libre ?

Les Dardenne, on le sait, en plus d’être belges, ont une résidence secondaire à Cannes, du côté du Palais des Festivals. On ne compte plus leurs films sélectionnés, ni leurs récompenses sur la Croisette, deux Palmes d’Or (pour « Rosetta » et « L’enfant »), et une palanquée de récompenses, dont un Grand Prix du festival pour « Le gamin au vélo ».

Dardenne, Doret, de France & Dardenne Cannes 2011

Ce minot et sa bécane, on s’en doute, n’est pas une comédie ou un thriller haletant. Les Dardenne font du Dardenne, comme si t’avais refilé une caméra à Mimile Zola, ou comme une version wallonne de Ken Loach. Du cinéma social pour faire simple. Avec des constantes, des petits budgets, des tournages en extérieurs, un personnage principal de toutes les scènes, une histoire qu’on prend en route, une fin « ouverte », …

« Le gamin au vélo » présente deux particularités. Le personnage principal, Cyril, est un gosse d’une douzaine d’années joué par un débutant (Thomas Doret, qui deviendra un acteur récurent des frangins). L’autre personnage principal, Samantha, est joué par la « star » féminine du Plat Pays, Cécile de France. Pour la première fois de leur déjà longue litanie de films, les Dardenne Bros font appel à quelqu’un de connu et de reconnu, « bankable ». Pour le reste, on change pas trop le casting gagnant des films précédents (Fabrizio Rongione, Jérémie Rénier, Olivier Gourmet), même si ces trois-là sont assez incompréhensiblement sous-employés (une apparition fugace de Gourmet en patron de bar, trois scènes pour Rénier et Rongione).

La bonne rencontre ...

Bon, je suis plutôt preneur du cinéma des frangins. Mais « Le gamin … », il m’a toujours laissé une impression mitigée, bien que beaucoup le considèrent comme la masterpiece des Dardenne. Ce gamin, on a envie de le gaver de torgnoles tout du long du film, parce que c’est une sacrée tête à claques. Et par réaction, on comprend pas pourquoi la Samantha s’en entiche, alors qu’il lui balance des beignes, fout sa vie de couple en l’air, la plante avec des ciseaux, lui coûte cher parce qu’il faut payer pour les conneries qu’il fait …

Dès le départ, on voit que le Cyril, c’est pas un gosse facile. Il est dans un centre spécialisé, limite carcéral pour cas « difficiles ». Son idée fixe, c’est d’en partir pour retrouver son père et surtout le vélo (de cross ou tout-terrain, j’y connais rien en bécanes et entend bien continuer ainsi) que ce dernier lui a offert. Comme son père répond jamais au téléphone, les tentatives « d’évasion » se multiplient. On voit que le gamin est pas du genre commode, taciturne et replié sur lui, mais capable de monter très vite et très haut dans les tours … jusqu’au jour où il réussit à se faire la belle de sa taule éducative, s’en va dans une cité pas folichonne de Seraing, sinistre patelin déjà mis à l’honneur (?) dans « Rosetta », à l’appart de son paternel, mais le vieux est plus là, et le vélo non plus. Les éducateurs qui le traquent sont sur ses traces pour le ramener au centre éducatif, Cyril rentre dans un cabinet médical et s’agrippe à une nana dans la salle d’attente pour pas suivre les éducs. Peine perdue, ils l’embarquent, sauf que cette séquence va s’avérer déterminante.

La mauvaise rencontre ...

La femme à laquelle il s’est accroché, c’est of course Samantha – Cécile de France, coiffeuse à son compte de son état dans ce quartier plus ou moins difficile. Elle va lui racheter son vélo, devenir sa famille d’accueil le weekend, l’aider à retrouver son paternel, et le sortir de toutes les situations glauques où il s’enferme. Sans rien recevoir en retour, hormis insultes, beignes, coup de ciseaux façon couteau, et emmerdes à tous les étages car le Cyril il dérape. Souvent. Et finira même, sous l’influence néfaste du dealer du coin, par braquer à coups de batte de baseball un libraire et son gosse …

Moi, c’est là que ça coince … Le gamin caractériel et pas reconnaissant, je veux bien … mais la Samantha qui envers et contre tout (et tous) s’obstine à aider et pardonner à ce sale morveux, désolé, je comprends pas … J’ai bien saisi que les Dardenne ne voulaient rien dire sur elle, mais le personnage n’est pas crédible (une femme en manque d’enfant, une mère refoulée, le souvenir d’un parent, d’un ami, d’une connaissance, que sais-je …). Plus le gamin lui pourrit la vie (son mec qu’elle voyait occasionnellement, elle finit par le larguer, parce qu’il en a plein les bottes du gamin), plus la situation semble sans issue (le paternel, joué par Jérémie Renier, qu’elle finit par retrouver est cuistot d’un petit restau, ne veut pas assumer sa paternité pour plein de raisons qu’il croit bonnes, et ne veut plus revoir son fils), plus la Samantha tente de multiplier les signes d’affection au chenapan qui n’en a rien à secouer … Et quand le Cyril semble sur la voie de la rédemption et du « droit chemin », ce sont les conneries qu’il a faites auparavant qui le rattrapent …

A la recherche du père...

Pour moi, avec « Le gamin au vélo », les Dardenne ont poussé trop loin tous les curseurs qui définissent leurs films. On est en terrain connu. Il y a un style Dardenne Bros … Ils nous montrent le parcours d’un « déclassé », on est dans le milieu « populaire », il y a cette fascination pour le bitume (on marche beaucoup sur les trottoirs, on traverse beaucoup les routes ou les rues), il y a cette mise en scène caractéristique (les gros plans, les petits espaces, ces scènes très répétées en tout petit comité parce qu’il faut pas gâcher de la pellicule et mobiliser toute l’équipe technique, on ne place la caméra que quand on est sûr du coup, cinéma à « petit budget » oblige …). Sauf que l’on sent trop que ce gamin d’une douzaine d’années, il joue un truc écrit pour lui par deux types qui ont cinq fois son âge … je suis peut-être passé à côté, mais j’ai l’impression que l’empathie va aller beaucoup plus sur Samantha que sur Cyril, ce qui me semble à l’opposé du but recherché …

Bon, le film est pas ignoble, parce que les Dardenne, ils montrent des choses, et posent en filigrane les bonnes questions, beaucoup mieux qu’une litanie de discours prétendus sociaux ou résolument populistes, ils nous mettent face à la dark side du monde merveilleux dans lequel on est censé vivre.

Et puis, un film qui pastiche à une paire de reprises « Le voleur de bicyclette » (parce que dans ces quartiers-là, si tu surveilles pas ta bécane comme le lait sur le feu, tu te la fais piquer et t’es obligé de courser celui qui te la chourave) ne peut pas être foncièrement mauvais. Même si les frangins ont à mon sens fait mieux …


Des mêmes sur ce blog :

Rosetta