ALFRED HITCHCOCK - FRENZY (1972)

London calling ?
A la vue des bonus du film, paru en 1972, dans lesquels on voit un Hitchcock (plus de 70 ans au compteur, strict costard noir, bedaine proéminente), se mettre en scène dans Londres, je ne peux m’empêcher de penser qu’à la même époque la ville dansait sur les rythmes glam (avec l’accoutrement qui allait avec) de T. Rex et Bowie. Raccourci facile, quand paraît « Frenzy », Hitchcock a tout du has been … Non pas musicalement, il a jamais été très rock’n’roll, mais has been tout court.
Le coupable idéal et sa copine
L’apogée de Hitchcock, c’est les années 50 (avec quelques chefs-d’œuvre qui débordent avant ou après). Là, au début des années 70, c’est juste un dinosaure, un vestige d’un autre temps, quasiment d’un autre monde. Non pas que « Frenzy » soit une daube, loin de là, mais c’est juste un film un peu perdu dans son contexte. « Frenzy » se veut parfumé au soufre. Pour la première fois plein cadre, une scène de viol suivie d’un meurtre, quelques fesses, poils pubiens et tétons en gros plans (pas ceux des actrices, ceux de doublures « mannequins »), un ton humoristique très noir au service d’une intrigue sophistiquée (le scénario est dérivé d’un bouquin à succès adapté au théâtre).
« Frenzy » sera un des plus gros succès populaires d’Hitchcock. Soit. Avec deux scènes (seulement deux, on l’a connu plus prolifique de ce côté-là) d’anthologie. Celle qui introduit le film, la Tamise à hauteur du pont de Tower Bridge survolée en hélicoptère, et puis un travelling arrière phénoménal dans une cage d’escalier, un couloir et pour finir la rue.
L'ex qui cherche l'oxygène
Et le reste ? Ben un film à suspense sans suspense (on sait dès le premier tiers du film qui est l’assassin, et qui va ramasser à sa place) qui ne vaut que par ses à-côtés. Offrant une galerie de seconds rôles (casting fait au feeling, Hitchcock « embauchant » la plupart des acteurs sans les avoir mis en situation, juste après une discussion) jubilatoires (la femme du flic et ses recettes de cuisine « branchées », la secrétaire de l’agence matrimoniale). En fait, « Frenzy » est bien mieux si on se désintéresse de l’intrigue.
Hitchcock, après exil et gloire américains, revient à Londres. Et y fait un film so british. « Frenzy » n’est pas transposable. La plupart des scènes ont lieu dans et autour du marché de Covent Garden (retour aux sources à forts relents freudiens, le père d’Hitchcock y tenait un étal de fruits et légumes), et il n’y a pas une scène, pas un plan, qui nous fasse sentir ailleurs qu’à Londres (où ailleurs qu’à Londres, verrait-on un tueur dont l’arme du crime est une cravate ?). Mais en même temps qu’une sorte de déclaration d’amour « patriotique », la vision d’Hitchcock est également caustique. Témoin la première scène parlée du film, dans laquelle on voit un ministre promettre devant une Tamise saumâtre que bientôt on pourra s’y baigner (gag, Chirac fraîchement élu maire de Paris avait dit la même chose de la Seine), avant que l’attention de la foule ne se porte sur un cadavre dénudé y flottant (c’est cette scène qui donne lieu à l’incontournable caméo d’Hitchcock, fugacement à l’image sur deux plans). Il y a dans « Frenzy » tous les clichés d’un Londres très très britannique (le « héros » malchanceux est au départ serveur dans un pub au patron fort en gueule, il renoue avec son ex dans un club cosy, tous les personnages sont guindés juste ce qu’il faut).
Le tueur
« Frenzy », il serait pas d’Hitchcock, on dirait que c’est un film qui se cherche. Hésitant entre romance (le triangle du « héros », son ex, la serveuse), sadisme et voyeurisme bon marché (les crimes de Rusk), humour plus ou moins décalé (le cadavre dans le sac de patates et les contorsions et postures qu’il entraîne, le flic et les petits plats de sa femme). D’ailleurs Hitchcock n’a pas touché à une caméra. Il a porté une attention minutieuse au scénario, a choisi ses acteurs (aucun grand nom au casting, et la plupart avouent dans les bonus du Dvd qu’ils ont été tout surpris de se trouver là) et a supervisé le tournage. Enfin, supervisé, façon de parler. Perpétuellement assis hors champ (avec sa femme toute proche, qui a fait un infarctus ou un truc du genre, mais qui une fois rétablie, est revenue aux côtés de son Alfred), donnant l’impression d’un faux détachement, mais doté d’un sens de la prise de vue stupéfiant, n’hésitant pas à passer des jours sur une scène (celle du viol et du meurtre a pris trois jours, c’est une succession de plans de quelques secondes), ou au contraire laissant ses acteurs improviser attitudes ou dialogues. Chef d’orchestre plutôt que soliste démonstratif …
« Frenzy » est quasiment le dernier tour de piste d’Hitchcock (seul le très dispensable « Complot de famille » suivra). Qui n’a plus rien à prouver et ne prouve plus rien.

En fait le meilleur truc de « Frenzy », c’est sa bande-annonce dans laquelle Hitchcock se met en scène. Oserait-on dire qu’elle est mieux que le film ? Moi j’ose …

Du même sur ce blog :

3 commentaires:

  1. Le problème, c'est qu'un Hitchcock qualifié de mineur, reste à l'échelle de l'humanité, un très bon film ! Donc, oui, ce "Frenzy" peut paraitre fade et suranné, mais à y regarder de près, je le trouve assez réjouissant. Et d'abord parce qu'il ne se prend pas au sérieux, on sent que Hitchcock s'amuse avec les codes de thriller moderne.

    Ok avec toi sur le retour à Londres (c'est presque documentaire parfois), et ce film 100% anglais, caustique.
    Ok avec toi sur les deux plans sublimes que tu notes, j'en rajouterai tout de même une bonne poignée, comme la séquence du camion (les patates), le viol, le diner de commissaire.

    Je trouve "Complot de famille" pas si désagréable, c'est franchement une comédie, peu diffusée, mais très maline et sympa. Pour un dernier round, c'est idéal.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il s'amuse avec les codes, c'est sûr ...

      "Frenzy" est à cheval sur deux genres : est-ce in fine un thriller comique ou une comédie policière ?
      Et ne compte pas t'en sortir en disant que ben, c'est juste du Hitchcock ...

      Supprimer
  2. Ben... même s'il y a des moments plus légers (avec le commissaire) et un ton parfois caustique - comme on n'en voit chez Chabrol par exemple - l'ensemble du film tient beaucoup plus du thriller que de la comédie. Donc je répondrai... pas à la question.

    "La mort aux trousses", oui, est clairement une comédie à suspens, ou "Qui a tué Harry" une comédie noire, "La main au collet" une comédie romantique sur fond de cambriole... "Complot de famille" à la limite, le cul entre deux chaises.

    RépondreSupprimer