Pas laisser les braises refroidir … c’est ce qui devait
être le leitmotiv de Steven Patrick Morrissey, dont le nom de famille lui
servait de nom de scène en tant que chanteur des Smiths. Les Smiths, par ici,
c’est quelque chose de totalement incompréhensible. Un groupe hors-norme en
terme de succès entre 1984 et 1988. Un succès colossal mais qui n’a jamais
dépassé le cadre de la perfide Albion. Anecdote archi-connue : une bande
de fans révoltés par le silence et l’indifférence entourant en France leur
groupe favori, se lance dans la publication d’un fanzine étoffé pour chanter
ses louanges, et ainsi naîtront Les Inrocks …
Morrissey 1988 |
La séparation des Smiths en pleine gloire sera pour la
jeunesse anglaise un traumatisme comme
celle des Beatles l’avait été pour leurs parents. Le premier à reparaître (six
mois après la fin des Smiths) sera leur emblématique chanteur, icône plus ou
moins cryptique (bien qu’il ne mâche parfois pas ses mots, voir plus bas) et
équivoque (gay ? hétéro ? autre ? le mystère et les supputations
iront bon train pendant des années).
Evidemment, la rupture est trop fraîche pour qu’il n’en
reste pas des traces un peu partout sur ce « Viva hate ». Dans les
paroles, peut-être, mais Morrissey n’a jamais été très « lisible ».
Dans la musique aussi, il y a des traits qui ne se gomment pas facilement (particulièrement flagrant sur les très
smithiens « Bangali in platform » et « Late night, Mudlin Street »).
Et puis, il y a cette voix, entre détachement et arrogance, brumeuse et claire
à la fois, si facilement identifiable …
Pour son « émancipation », Morrissey a choisi
une configuration réduite. Il laisse une grande place (des instruments, la
co-écriture, et la production, rien que çà …) à Stephen Street, les deux hommes
se connaissent, Street a produit les trois derniers disques des Smiths (avant
d’être aux manettes de la plupart des galettes de Blur). Une collaboration qui
est aussi une façon de marquer la « continuité » de la trademark
Smiths. Mais les Smiths, c’était aussi la guitare « ligne claire » de
Johnny Marr, et là Morrissey va partir dans une direction sonore très
différente, en embauchant Viny Reilly, l’assez strident gratteux des Durutti
Column. Assumer l’héritage et marquer sa différence (les bisbilles, les rancœurs
et les haines s’avèreront multiples et tenaces entre les anciens Smiths), tel
est le challenge de Morrissey.
Stephen Street & Morrissey |
En partie réussi, parce que c’est malgré tout dans la
continuité. En partie raté pour la même raison. Malgré deux hits
(« Suedehead », qui deviendra un des surnoms de Morrissey, son plus
connu demeurant quand même Mozz, et le très kinksien « Everyday is like
Sunday »), il n’y a pas dans ce « Viva hate » de titres aussi
fulgurants que ceux que l’on trouvait chez les Smiths. Les Smiths, difficile de
faire plus anglais, et Morrissey en solo est foncièrement dans la même veine.
Alors les brouillages de cartes du début du disque laissent une impression
mitigée on n’y croit pas trop aux breaks de batterie, aux guitares plaintives
et aux ambiances hindouisantes de l’inaugural « Alsatian cousin »,
pas plus qu’à la rythmique tournoyante et très psyché de « Little mann
what now ? » qui a parfois des faux airs du « White
rabbit » de l’Airplane.
Par contre, c’est quand Morrissey fait ce qu’on l’on
attend de lui, et finalement ce qu’il sait faire le mieux, qu’il est le plus
convaincant, toutes ces ballades brumeuses et automnales qui constituent
l’ossature du disque et auxquelles son timbre vocal convient parfaitement. Et
puis, comme un signe de la direction qu’il va prendre (il va s’acoquiner avec
Mick Ronson, oui, oui, celui des Spiders de Bowie, et sortir avec lui une paire
de disques de revival glam), un morceau envoie le bois tout en guitares
rageuses et up-tempo (« I don’t mind … »). Mais c’est finalement le
dernier titre du disque qui fera couler le plus d’encre, le très direct
« Margaret on the guillotine ». Rappelons que la funeste Thatcher
était encore Premier Ministre en 1988, et que ce titre n’a rien à voir avec le
poétique « The Queen is dead » des Smiths. « Margaret … »
c’est frontal, brut et sans fioritures sur un fond très dépouillé. Morrissey
montre qu’il se souvient de ses origines populaires et que son public, cette
jeunesse qui adule le chanteur des Smiths en a aussi pris plein la gueule
pendant une décennie. Morrissey paiera cher ce titre, et quelques années plus
tard, quand il se perdra dans une syntaxe équivoque (« National Front
Disco »), la presse conservatrice le massacrera et brisera quasiment sa
carrière …
La pochette de 1988 |
Il n’empêche que pendant quelques années, Morrissey récupèrera
seul une partie de l’ancien succès des Smiths (Marr sera beaucoup plus discret
et sa médiatisée collaboration avec Sumner de New Order dans Electronic sera un
fiasco artistique et commercial, quand à Rourke et Joyce, ils seront encore
plus discrets et oubliés).
Sur la réédition de 1997 (la pochette en haut,
l’originale de 1988 est différente) huit morceaux ont été rajoutés en un vaste
foutoir (des époques différentes, à dominante de ballades pas toujours
transcendantes et malgré une paire de courts titres toutes guitares en avant
produits par Ronson) et plutôt que de bonus, on pourrait les qualifier de
titres malus …
Du même sur ce blog :
Maggi on the Guillotine a connu un regain de popularité quand la vieille à cassé sa pipe.
RépondreSupprimerFaudra que je complète ma disco des Smiths avant de voir le Moz en solo, mais il y a de belles choses sans aucun doute. (mais bon, c'est pas Momus non plus.)