Nanni Moretti (surtout grâce à « Journal
intime » son gros succès qui l’a révélé) s’était créé un personnage de
barbu angoissé sur une Vespa, croisement entre Monsieur Hulot et Woody Allen.
Et comme ces deux-là, il a son nom un nombre incalculable de fois au générique
de ses films. A minima, il scénarise, co-produit, réalise et tient le rôle
principal.
Nanni Moretti & Laura Morante
Depuis quelques temps, il a envie d’incarner un
psychanalyste et de construire un film autour de ce personnage. Et le mettre
dans une situation inattendue. Et quoi de plus terrible pour celui qui écoute
les autres raconter leurs malheurs, que d’en vivre personnellement un, de
malheur, et tant qu’à faire, un de grand. C’est la genèse de ce projet
(présenté et Palme d’Or à Cannes en 2001) que tente de nous expliquer Moretti
dans une paire d’interviews en bonus. Bon, autant les films de Moretti, et plus
particulièrement celui-là se laissent regarder, Moretti en interview, c’est un
calvaire. Il débite des trucs interminables d’un ton monocorde, et même si un
journaliste tente de le titiller en évoquant le Prime Minister Berlusconi, il
esquive la question par une pirouette. Ce qu’il a à dire, Moretti le dit en
images (et au sujet de Berlusconi, il aura des choses à dire avec le pamphlet
« Le Caïman » cinq ans plus tard).
« La chambre du fils » tourne autour de la
mort accidentelle d’un ado. Un pitch assez proche de « Ordinary
people » de Robert Redford ou de « Ne vous retournez pas » de
Nicholas Roeg (les deux avec Donald Sutherland). Traité par Moretti de façon
beaucoup moins emphatique que le premier, et moins fantastique que le second.
Giovanni (Moretti) est donc psychanalyste à Ancône,
une ville moyenne portuaire. Il consulte dans un cabinet attenant à son
habitation cossue. C’est un petit bourgeois à la vie familiale sans problème.
Il est marié à une galeriste, Paola (Laura Morante), les deux vont vers la
cinquantaine, ils ont deux enfants, l’aînée (Andrea) a dix huit ans, le cadet
(Andrea) seize. Pour se nettoyer le cerveau après une semaine de rendez-vous
avec refoulés, angoissés et obsédés divers, Giovanni va faire un footing dans
la ville, parfois accompagné d’Andrea. Les deux gosses sont sportifs, la fille
joue au basket, le garçon au tennis et les parents suivent leurs matchs.
Tout baigne dans la famille, les parents ont encore
une vie de couple harmonieuse, ils sont très proches de leurs enfants dont ils
prennent systématiquement le parti (quand Andrea est accusé d’avoir volé un
fossile dans le labo de son lycée, Giovanni le soutient parce qu’il lui a dit
qu’il n’y était pour rien). Et quand la famille part en weekend en bagnole, ils
chantent tous les quatre en chœur les rengaines qui passent sur l’autoradio.
Toute cette belle vie de famille va se fracasser un
dimanche matin. Giovanni a décidé Andrea à venir courir avec lui, quand le
téléphone sonne. Un de ses patients, angoissé hypocondriaque (pléonasme),
l’appelle et veut le voir d’urgence, il est au bout du rouleau. Giovanni se
rend chez lui, le type doit passer un scanner, et donc il est certain d’avoir
un cancer et est en pleine crise d’angoisse. Pendant ce temps, Andrea privé du
footing avec son père, part faire de la plongée sous-marine. Et va se noyer.
Cataclysme. La famille va par force, faire face. Les
parents ont perdu leur fils, la sœur a perdu son frère. Passée la sidération de
la nouvelle, l’épreuve des funérailles, la vie reprend son cours. Mais tous les
ressorts sont cassés, et les scènes qui se produisent viennent en miroir de
celle du début du film (la mort d’Andrea a lieu peu ou prou au milieu du film).
Le père est « ailleurs », ses patients soit le réconfortent, soit
partent en vrille. La mère, très calme, très souriante, très posée, devient hyper
irritable. Assez rapidement, le couple ne fait plus chambre commune. Leur
gamine n’est pas en reste, intériorise beaucoup, avant un spectaculaire pétage
de plombs lors d’un match de basket. Leur rédemption viendra grâce une amie
d’Andrea dont ils ignoraient l’existence et leur reconstruction s’achèvera à
Menton après un périple autoroutier de nuit.
Moretti signe un film remarquable, très humain. Un
exercice périlleux, toujours sur la corde raide, et qu’il empêche de basculer
soit dans la mièvrerie larmoyante, soit dans le comique de situation. Le père,
qui par son travail, ne doit pas se laisser gagner par les émotions, se fissure
et se désagrège lentement mais sûrement. On sait et on voit quand même un peu
que Moretti n’est pas un acteur tragique, mais son personnage fort mentalement
n’a pas à être très expressif, et ça évite à Moretti de partir dans une
interprétation qu’il ne maîtriserait pas à la perfection. Laura Morante est une
grande et belle actrice et joue juste une partition beaucoup plus compliquée,
dommage que Moretti ait fait du personnage masculin le centre du film et ait
donné moins de scènes à celle qui joue sa femme.
A son crédit, il a trouvé une musique fabuleusement
triste, une mélodie en apesanteur de Brian Eno (« By this river » sur
l’album « Before and after science ») qui s’insère magnifiquement
dans un moment de bascule émotionnelle du film.
« La chambre du fils » est un film –
évidemment – triste mais qui évite le piège du pathos dégoulinant. Je sais pas
si comme disait Sénèque les grandes douleurs sont muettes, mais Moretti fait
preuve avec un sujet délicat d’une grande pudeur et d’une grande retenue, d’une
immense subtilité qu’il n’avait pas laissée apparaître jusque là.
« La chambre du fils » est peut-être son
meilleur film. En tout cas son plus bouleversant.
Et qui auraient mieux fait de la rester, secrètes ...
Brisseau, c’est au mieux des films d’auteur à
l’odeur de soufre. Au pire, un pervers qui finit devant les tribunaux … C’est
pas moi qui vais le juger, des gens dont c’est le métier s’en sont chargé. Mais
je n’en pense pas moins …
Jean-Claude Brisseau
Brisseau, c’est un prof de français qui s’est
défroqué et s’est emparé d’une caméra. D’ailleurs son premier (et seul) succès
public et un peu critique sera « Noce blanche » (sur lequel il n’y a
pas lieu de s’extasier) avec Bruno Cremer et Vanessa Paradis, en gros un remake
à l’envers de l’affaire Gabrielle Russier, qui avait traumatisé la France
pompidolienne (et déjà amenée sur les écrans par André Cayatte, « Mourir
d’aimer »).
« Choses secrètes », c’est une purge. Du
niveau des téléfilms érotiques de feu La 5 de Berlusconi (et de ceux de CStar
et M6 aujourd’hui). Avec comme gage de « qualité » l’interdiction aux
moins de 16 ans. Scénario : inexistant. Acteurs : pitoyables. Mise en
scène : grotesque.
Bon, reprenons dans le désordre. Brisseau, il a le
niveau d’un caméraman de France 3 Périgord. Pas de technique, zéro imagination.
Des raccords plus que problématiques. Dans une scène champ – contre-champ, ses
deux actrices boivent de temps en temps une gorgée de champ(agne), et plus
elles boivent, plus le verre est plein … Dans la scène finale, alors qu’il
pleut à verse et que les deux mêmes se font face, il y en a une qui ruisselle
et l’autre qui n’est pas mouillée. En étant très indulgent, on passera ça sur
le budget riquiqui du film …
Coralie Revel
Le casting aussi ça craint. Deux débutantes, ou pas
loin, peu frileuses devant la caméra, Coralie Revel (la brune) et Sabrina
Seyvecou (la blonde). Les deux assez vite disparues des radars et condamnées à
des troisième rôles de séries TV. Rayon mâles, Fabrice Deville (catastrophique)
et Roger Mirmont (rebaptisé Miremont dans le générique, un peu mieux que
figurant, des centaines de références à son actif, jamais un rôle majeur).
Le scénario .. pff, le scénario. Un ramassis de
clichés éculés (de ta mère). L’ascension sociale à la force des poils pubiens,
les promotions canapé, la décadence genre fin de l’Empire romain, un final
« moral ». Faut imaginer un improbable mix de «
Emmanuelle », « Histoire d’O », un pompage ( !) éhonté de
la scène de partouze de « Eyes wide shut » (un château, lumières
rouges et noires, et des dizaines de participants à l’orgie), et l’inspiration
du stakhanoviste Bénazeraf (le mélange de fesse et de marxisme, les deux nanas
du lumpenprolétariat qui détruisent le grand méchant Kapital, tiens, moi
j’aurais pris Arlette Laguillier pour jouer la brune …).
Sabrina Seyvecou
Initialement prévu pour consacrer Brisseau,
« Choses secrètes » est le film qui le fera tomber (mais pas de bien
haut). De sordides histoires de castings un peu trop explicites pour les rôles
féminins, des plaintes, des procès, et au final des condamnations pour
Brisseau.
Le problème de « Choses secrètes » c’est
pas son voyeurisme malsain, sa provocation à deux balles (Pasolini, Fassbinder,
pour les plus célèbres, Ken Scott, Kenneth Anger pour les moins connus mais pas
moins frappadingues, sont allés beaucoup plus loin dans la transgression tous
azimuts). Ce qui rend ce film insupportable c’est sa pseudo prétention
« politique », l’aura sulfureuse savamment entretenue dans sa
bande-annonce, ses personnages ultra caricaturaux et surjoués (le ci-dessus
nommé Deville en PDG amoral et incestueux), et un trop évident manque de talent
de tous les participants de cette … chose.
« The constant gardener » aurait pu être
un documentaire, un pamphlet, un film romantique, et dans tous les cas, il
n’aurait pas été réussi. C’est parce qu’il dose savamment ces trois genres
qu’il reste un grand film marquant.
Fernando Meirelles
Adapté plutôt fidèlement d’un roman de John Le Carré
(qui a publiquement reconnu qu’il s’agissait d’une des meilleures
transpositions de ses bouquins à l’écran), il raconte le combat d’un couple
(lui est diplomate, elle bosse dans une ONG) contre un puissant lobby
pharmaceutique qui teste de nouveaux produits au Kenya en pleine crise
sanitaire liée (entre autres) au SIDA.
Evacuons d’abord la thèse antivax-complotiste. Tous
les Bob Kennedy du monde pourront voir dans « The constant
gardener », sorti en salles deux décennies avant le Covid, les preuves de
tout l’obscurantisme qu’ils défendent. Sauf que le but du film n’est pas de
s’attaquer à la science, mais de montrer la cupidité mortelle des grandes
multinationales, à travers ici l’exemple d’un labo pharmaceutique. On est
beaucoup plus proche avec « The constant gardener » d’un film comme
« La firme » de Pollack que des vidéos sur YouTube de Prof Raoult …
Rachel Weisz & Ralph Fiennes
Derrière la caméra, le Brésilien Fernando Meirelles.
Révélé par un premier film au réalisme froid tourné dans les favelas de Rio
(« La cité de Dieu »), il refuse les appels du pied d’Hollywood, et
étudie la proposition d’un producteur indépendant (Simon Chinning-Williams)
d’adapter le bouquin de Le Carré. Meirelles, en réalisateur engagé (à l’époque,
il serait moins regardant depuis qu’il est en perte de vitesse artistique et
commerciale), est séduit par l’idée d’aller tourner en Afrique une histoire qui
se passe dans un pays où la vie est encore plus dure que dans les bidonvilles
brésiliens. Quelques repérages sont faits au Kenya (l’histoire s’y déroule
majoritairement), manière d’avoir des images « locales », et le film
sera tourné en Afrique du Sud, où les conditions matérielles seront meilleures
pour tous. Sauf que Meirelles et son producteur tombent sous le charme des
paysages et de la population kenyane et décident que le film y sera tourné pour
sa partie africaine. Les autres lieux seront Londres, Berlin (et Winnipeg, pour
des scènes coupées au montage, une première mouture durait trois heures, la
durée du film en salles sera raccourcie d’une heure).
Première scène. Un type accompagne sa femme à un
aéroport. Elle se dirige vers un petit avion de tourisme en compagnie d’un Noir
dont elle semble proche. Seconde scène, des militaires extraient dans un sac un
cadavre à côté d’un 4X4 renversé au bord d’un lac. Troisième scène. Au Haut
Commissariat britannique (équivalent de nos Consulats) de Nairobi, notre homme
cultive, bouture, arrose des plantes (d’où le titre du film). Un collègue lui
demande de l’accompagner à la morgue de Nairobi, pour identifier un cadavre qui
pourrait être celui de sa femme. Ce qui est le cas.
Un début de film auquel on ne comprend pas
grand-chose. En fait, ces scènes sont au milieu chronologique de l’histoire.
Une série de flashbacks vont nous montrer comment on est arrivé là. L’homme
(Ralph Fiennes) est un fonctionnaire de seconde zone. Alors qu’il remplace au
pied levé un supérieur devant la presse à Londres, il est pris à partie
verbalement à la fin de son intervention par une femme du public (Rachel
Weisz), au discours fermement altermondialiste. Ce qui a pour effet de vider la
salle de sa maigre assistance et de les laisser tous les deux face-à-face. Et
de fil en aiguille, bientôt dans le même lit. Lorsque Justin Quayle, le petit
fonctionnaire épris de botanique est nommé à Nairobi, sa maintenant femme Tessa
fait le forcing pour l’accompagner. On les retrouve quelques temps plus tard au
Kenya, lui boulotant au Haut Commissariat, elle parcourant enceinte jusqu’aux
yeux (sans avoir recours aux trucages, elle attend un gosse de son mari d’alors
Darren Aronofsky) la banlieue-ghetto-favela de Kibera (700 000 habitants)
en compagnie d’un toubib local, s’intéressant de près à l’aide médicale censée
être humanitaire qui y travaille. Toujours aussi grande gueule, elle apostrophe
au cours d’un pince-fesses le ministre de la Santé du Kenya ainsi que quelques
représentants d’une grosse firme pharmaceutique qui l’accompagnent, sous l’œil
effaré de son mari et de ses supérieurs hiérarchiques.
Théâtre dans le ghetto de Kibera
Dès lors, toutes les pièces du puzzle sont là. Le
mari effacé, sa femme militante, la diplomatie, les barbouzes du Foreign
Office, les assos humanitaires, les gros labos, … ça commence par les ragots
allusifs (dis-donc, ta femme elle se taperait pas le toubib local), les
pressions « amicales » sur les uns et les autres, les accointances
mystérieuses des uns et des autres, … Une fois Tessa morte, Justin va essayer
de comprendre, de remonter les pistes. Et à mesure qu’il dénoue l’écheveau et
que les vérités se font jour au Kenya, à Londres, à Berlin, les menaces se font
de plus en plus réelles. L’épilogue de l’histoire aura lieu au bord du lac où
Tessa est morte …
Ce genre de pitch, le pot de terre contre le pot de
fer, c’est un des thèmes les plus rebattus du cinéma. Le talent de Meirelles
(et de ses acteurs, Ralph Fiennes est comme toujours économe et juste, et
Rachel Weisz comme toujours sublime) c’est je l’ai dit quelque part plus haut
de faire trois films dans un.
« The constant gardener », c’est un film
romantique. Le coup de foudre entre le diplomate effacé et l’activiste, la dure
vie de couple quand chacun fait des efforts pour que ses occupations ne soient
pas préjudiciables à l’autre, un enfant conçu, et puis le drame. Dès lors il va
épouser la cause de sa femme, continuer son enquête et ses combats, juste par
amour pour elle, son image, ses souvenirs (de nombreux flashbacks sur les
moments, surtout les bons, passés ensemble). On se retrouve face à une version
humanitaire et engagée de Tristan et Iseut.
« The constant gardener », c’est un
documentaire. Au milieu du ghetto de Kibera, dans des missions humanitaires
perdues dans le désert, il n’y a pas de figurants. Ce sont les locaux qui
jouent. Et bizarrement, ces gens qui vivent dans le dénuement complet (pas
d’eau, d’électricité, des conditions sanitaires dantesques)
« participent » au film (on voit pas les gosses s’agglutiner devant
les caméras, ou tout le monde fixer l’objectif). Meirelles reconnaît qu’il a
été beaucoup plus facile de tourner au Kenya qu’au Brésil, où la misère est
beaucoup plus violente. On a droit à quelques scènes immersives dans la vie des
locaux, avec notamment une stupéfiante représentation théâtrale didactique par
une troupe locale pour informer sur le SIDA, où tous les personnages sont
triplés, tenues, gestes similaires, et dialogues en chœur.
« The constant gardener », c’est une
charge violente contre Big Pharma sous forme de thriller. Le tout dans un
gigantesque jeu de dupes (qui décide, qui ordonne, qui fait quoi, qui soutient
qui, …), où se mêlent labos de recherche, entreprises pharmaceutiques,
politiques locaux, associations humanitaires, personnel diplomatique, services
secrets, ONG, activistes, avocats, avec partout des électrons libres, des
traîtres, de vrais candides et de faux désabusés. Le tout sur fond d’essais
grandeur nature d’un nouveau médicament sur une population soit mourante
d’autre chose, soit trop asservie pour comprendre qu’elle sert de cobayes … Et
la conjonction de tous ces intérêts fait qu’on n’en est pas à quelques cadavres
près, qu’il s’agisse de locaux ou pas …
Meirelles réussit à imbriquer toutes ces histoires
entre elles. Et même à s’amuser avec le spectateur. Le double twist qui suit
l’accouchement de Tessa est magistral, et un hommage revendiqué est rendu à
Kubrick et « Orange mécanique » (le tabassage de Quayle à Berlin à
coups de pieds, où un couple hyper-ringard de chanteurs allemands remplace « Singing
in the rain » en fond sonore).
Seul reproche à faire au film, une grosse densité
d’informations et de personnages secondaires dans quasiment toutes les scènes,
qui rendent difficile la totale compréhension au premier visionnage. Peut-être
moins coup de poing dans la face et nihiliste que « La cité de
Dieu », mais tout aussi mordant sur le monde « merveilleux » de
la recherche médicale …
John Huston est un géant du cinéma. Avis ferme,
définitif et surtout incontestable. De son premier film (« Le faucon
maltais », rien que ça), à « L’honneur des Prizzi » son
dernier en date, il a une filmographie éloquente quand il s’attaque à
« Gens de Dublin ».
John Huston, Anjelica Huston & Donal McCann
Sauf que là, il est face à quelques problèmes. Il
sait, rongé par la maladie depuis des années, que « Gens de Dublin »
sera son dernier film. D’ailleurs, il sera mort avant que son film sorte en
salles à l’automne 1987. Et cette mort qu’il voit venir, elle est au centre du
film. D’ailleurs en V.O. il s’appelle « The dead », ce qui est assez
peu elliptique.
Le film est adapté d’une nouvelle éponyme de James
Joyce, retranscrite à quelques détails près de façon très fidèle. Comme chacun (?)
le sait Joyce était Irlandais, très attaché à son pays, et Huston a tenu à ce que
le film soit tourné en Irlande, avec une très grosse partie du casting
irlandais. Seule sa fille Anjelica et un petit second rôle anglais ne sont pas
des locaux. Sauf que tout ne se passera pas comme prévu. Huston est en fauteuil
roulant, sous oxygène, et seuls les quelques rares extérieurs seront tournés à
Dublin et sa proche campagne par son fils Danny. Son état de santé de plus en
plus en plus dégradé obligera toute l’équipe du film à tourner dans des studios
californiens. C’est à ce genre de détails qu’on reconnaît l’obstination de
Huston, parce que quasiment tout le film se passe en intérieurs, mais il aurait
voulu que cette histoire intimiste située par Joyce dans le Dublin de 1904 soit
tournée en Irlande.
« Gens de Dublin » est un film
crépusculaire. Et pas seulement parce qu’il se passe pendant une soirée et une
nuit. Même si le titre trouvera son explication rationnelle dans les dernières
scènes, tout ce qui a précédé nous montre un monde agonisant.
Le jour de l’Epiphanie 1904, comme chaque année ce
jour-là, des invités se rendent dans une maison de petites bourgeoises, chez
deux sœurs d’au moins la soixantaine et leur nièce. Soirée qui se veut
mondaine, où se presse une société qui s’est mise sur son 31 pour l’occasion.
Convives plutôt âgés, la moyenne étant un peu abaissée par la présence de
quelques jeunes (mais plutôt vieux dans leurs têtes), venus là pour tâter du
piano, chanter et danser. Evidemment, on n’est pas dans l’ambiance rave party,
la musique c’est du classique ou du religieux, idem pour les danses, chants et
poèmes qui occupent l’assistance (une quinzaine de personnes au total), le
temps que tous les convives arrivent et boivent un verre (ou plusieurs, on y
reviendra) avant de passer à table.
Très vite, hormis les trois maîtresses de maison,
quatre personnes sont mises en avant : un couple, les Conroy (Anjelica
Huston et Donal McCann), Freddy (Donal Donnelly) le fils d’une amie de la
famille, et Dan Browne (Dan O’Herlihy) un protestant, seul au milieu de tous
les cathos. On voit vite que chez les Conroy on s’épie, on se surveille et que
tout ne va pas pour le mieux dans le couple, que Freddy, ivrogne réputé est
déjà bourré en arrivant, et que le vieux Mr Browne lève facilement le coude à
l’apéro.
Quand tout ce petit monde passe à table, on pourrait
s’attendre, comme plus tard dans l’extraordinaire « Festen » de Thomas
Vintenberg, à ce que tout parte en vrille. Mais on sait se tenir chez les
petits bourgeois de Dublin en 1904. Et chacun y va de sa petite minauderie, sa
petite digression, son discours pompeux et ringard, pour maintenir toute la
bienséance qui s’impose. Ce qui scénaristiquement est fort bien vu, mais laisse
l’impression (le titre en V.O.) qu’il y a un « ancien monde »,
corseté dans ses traditions qui est en train de mourir. Une femme invitée
ancienne amante de Conroy, part avant le repas, pour aller assister à une
réunion « politique » (républicaine irlandaise ? suffragette ?).
Toute cette assemblée, percluse par ses règles d’un autre siècle, on la sent
prête à disparaître, la plupart sinon la totalité des discussions, resassent
que oui, c’était bien mieux avant (la plupart des convives sont férus de
musique et de chanteurs classiques, Caruso suscite chez eux bien d’interrogations
dubitatives, alors que les vieilles gloires chantantes locales sont évoquées
avec des trémolos dans la voix).
Il faut bien avouer qu’arrivé dans ces conditions au
bout d’une heure (c’est-à-dire aux trois quarts du film), on commence quand
même à trouver le temps un peu long. C’est finement joué (la plupart du casting
vient du théâtre), mais on voit mal ce qui pourrait raviver l’attention.
Il faut attendre le départ des convives et une
chanson traditionnelle poussée par un ténor (la star chantante de la soirée,
qui avait jusque là prétexté l’économie de sa voix pour ne pas pousser la
goualante), pour voir Mme Conroy se raidir, s’arrêter net dans l’escalier et
être fortement troublée par cette rengaine. Dès lors, dans les dernières vingt
minutes, Huston se concentrera sur le couple Conroy rentré à son hôtel et on
comprendra pourquoi une simple chanson traditionnelle peut faire ressurgir
plein de souvenirs, on s’en doute pas forcément gais …
Je connais pas suffisamment la filmo de Huston (y’a
du boulot, des dizaines de films) pour l’affirmer catégoriquement, mais « Les
gens de Dublin » a peu à voir avec les pièces majeures de son œuvre, au
moins au niveau du rythme. Il se passe pas vraiment grand-chose en une heure
vingt, et tout le casting disparaît pour laisser Anjelica Huston et Donal McCann
dans leur face-à-face. Et là on retrouve cette fascination pour les personnages
tragiques qui comptent tant chez Huston.
Renforcé par la décence qu’imposait la mort de
Huston, « Gens de Dublin » a reçu un bon accueil (critique, c’est pas
avec des films comme ça que tu remplis les salles). Alors oui, c’est un clap de
fin honnête et digne, un bon Huston mais pas un « grand » Huston …
« Les
roseaux sauvages », c’est un film un peu particulier dans l’œuvre de
Téchiné. Pour au moins deux raisons, c’est – quasiment – un film de commande et
un film (quasiment) autobiographique.
André Téchiné
Quasiment une
commande parce que le film est une extrapolation « rallongée » d’un
moyen-métrage (« Le chêne et le roseau ») pour Arte. La chaîne
franco-allemande avait demandé à une dizaine de réalisateurs connus de lui
fournir une œuvre de fiction dont le thème central serait l’adolescence.
Quelques-unes de ces fictions ont été « rallongées » pour répondre
aux canons d’exploitation en salles. « Les roseaux sauvages », joli
succès commercial et célébré par les professionnels de la profession est de
cette série celui qui est passé à la postérité, et avec « Ma saison
préférée » et « Hôtel des Amériques » fait partie pour beaucoup
du tiercé majeur de Téchiné.
Et ceux qui
connaissent bien Téchiné ont bien compris qu’il a mis beaucoup de lui dans
cette histoire. Parce que le film se passe aux alentours de Villeneuve sur Lot
(Téchiné est né et a grandi à Valence d’Agen, à quelques kilomètres), raconte
l’histoire d’un groupe d’ados en 1962 (Téchiné est né en 43), dont l’un est
plutôt attiré par les garçons que par les filles (Téchiné aussi). Téchiné n’a
jamais contesté ces éléments, a même reconnu qu’il a vécu certaines scènes ou
situations mises en images, mais réfute l’idée de biopic au sens strict du
terme, des scènes ou des personnages étant pure invention …
Gorny, Bouchez, Morel & Rideau
« Les
roseaux sauvages », c’est un film sur la France profonde, rurale, en 1962,
au moment où la guerre d’Algérie est au cœur de l’actualité du pays. Et la
guerre d’Algérie, ça n’occupait pas que les travées de l’Assemblée et les
tentations putschistes d’un quarteron de généraux comme disait l’autre.
« Les roseaux sauvages », après son générique façon lettrage de
cahier d’écolier, débute par un mariage champêtre. Un fils de paysan, beau
comme un camion de pompiers dans son uniforme militaire rutilant, convole avec
sa promise sur fond de chansons paillardes reprises en chœur par les convives,
et de valses crachotées par un petit électrophone. Très vite, la réalité
rattrape les festivités bucoliques. Le marié, passablement bourré, serre de près
une prof du village, partagé entre drague lourdingue et préoccupations beaucoup
plus graves. Il va partir le lendemain pour l’Algérie et compte sur la prof,
responsable locale du Parti Communiste, pour le faire revenir au plus vite au
pays. Malaise de la prof, qui lui assure qu’elle ne peut rien faire, se
débarrasse de ce cavalier trop entreprenant, et quitte la fête, emmenant au
passage sa fille Maïté et un copain à elle, François.
Dans ces
premières scènes, on a vu la guerre d’Algérie en filigrane, et les ados. Et ces
ados campagnards, de près ou de loin, ils vont vivre la guerre et ses
répercussions dans leur petit bled. Tout en restant des ados du début des
années 60, en proie à leurs premiers émois amoureux et confrontés à une réalité
historique qui va finir par tous les rattraper. Ces ados, ce sont donc Maïté
(Elodie Bouchez, seule comédienne « parisienne » et qui trouve dans
« Les roseaux sauvages » son premier grand rôle), François (Gael
Morel), le jeune coincé introverti qui vient de la ville (Lyon), Serge
(Stéphane Rideau), le jeune paysan frangin du marié, et Henri (Frédéric Gorny)
beau gosse aux faux airs de Gabriel Attal, le plus âgé du lot, dont on
apprendra assez vite qu’il rentre d’Algérie après un carnage familial, qui
passe son temps à écouter les nouvelles de la guerre à la radio, et qu’il
souscrit entièrement aux discours de l’OAS. Tous les quatre sont lycéens, les
garçons dans la même classe, et ils ont comme prof Mme Alvarez, la mère de
Maïté.
C’est autour
de ces quatre ados que le film va s’organiser, même si les histoires connexes
auront une grosse influence. Sur fond de premières boums (avec en fond sonore des
titres, qui cahier des charges de la série oblige, devaient être contemporains
de l’époque mise en images, on entend donc Chubby Checker, Beach Boys, Platters,
Del Shannon, …), les amour(ette)s adolescentes vont se mettre en place. Maïté
en pince pour François, qui est attiré par Serge. Le tournant du film sera la
mort en Algérie du frangin de Serge. La mère de Maïté va culpabiliser, tomber
en dépression et finir par un passage en hôpital psy. Serge veut abandonner le
lycée pour revenir sur l’exploitation agricole, envisage même d’épouser sa
veuve de belle-sœur qu’il « console » la nuit. Maïté va de plus en
plus se politiser (la tradition communiste familiale), et Henri va se
radicaliser, affichant de plus en plus ses affinités OAS.
Les scènes de
tension vont se multiplier entre les quatre ados, entrecoupées de moments de
plaisir simples, les matches de rugby, les séances ciné avec allusions aux
films de Bergman (« A travers le miroir ») ou Demy (« Lola »),
les virées alcoolisées en mob sur Toulouse, et les baignades dans la rivière
(le Lot ?) qui traverse le village. C’est d’ailleurs dans et aux abords de
cette rivière, en attendant les résultats du Bac, que se démêleront les
histoires reliant les quatre ados.
« Les
roseaux sauvages » est autant un exercice de style (la recréation
méticuleuse de la vie provinciale du Sud-Ouest pendant la guerre d’Algérie),
qu’un drame où des adolescents doivent faire face quasiment seuls aux
bouleversements de l’Histoire, et s’initier à la vie amoureuse et sexuelle. On
sait que Téchiné n’est jamais aussi bon que quand il scrute les tourments de
l’âme et les dilemmes amoureux (voir ses films cités plus haut).
Dans
« Les roseaux sauvages » il y arrive sans avoir recours à ses stars
chevronnées habituelles (Deneuve, Auteuil, Dewaere, …). « Les roseaux
sauvages » de son aveu est très écrit, minutieusement répété, et les
jeunes acteurs s’en tirent très bien. Pourtant, seule Elodie Bouchez se fera un
nom grâce à ce film. Les trois garçons tenteront aussi une carrière d’acteur,
beaucoup moins successful, disparaissant assez vite des radars …
« La nuit du
Chasseur » (idem en anglais, « Night of the Hunter »), ce serait
trop facile (mais je vais pas m’en priver) de dire que des films comme ça, on
n’en tourne qu’un dans sa vie …
Charles Laughton & Lilian Gish
Et effectivement, ce sera le
seul passage de Charles Laughton derrière la caméra. Laughton, c’est un Anglais
qui a surtout travaillé aux Etats-Unis (il sera naturalisé américain en 1950).
Et c’est surtout un acteur de théâtre. Un genre exigeant, où on peut pas
tricher, refaire la prise. Faut enchaîner et être juste. Son physique « particulier » (sur lequel il a beaucoup ironisé), lui vaudront au cinéma des rôles de
méchants (l’inoubliable Capitaine Blight dans « Les révoltés du
Bounty » de Frank Lloyd) ou de sournois (Gracchus dans
« Spartacus », où à mon sens il enterre les Kirk Douglas, Laurence
Olivier et autres Peter Ustinov, pourtant pas des débutants). Laughton est
exigeant pour lui, et va devenir un maniaque derrière la caméra.
Enfin, derrière la caméra,
c’est aller un peu vite en besogne. La technique de l’image, de l’éclairage, de
la prise de vue, il n’y comprend rien. Pour « La nuit du Chasseur »,
Laughton est au sens le plus strict du terme, un metteur en scène. La caméra,
elle est confiée à Stanley Cortez, un chef opérateur de l’A.S.C. déjà remarqué
sur « La splendeur des Amberson » d’Orson Welles. Et pendant que
Laughton peaufinera son scénario avec David Grubb (l’auteur du roman « La
nuit du Chasseur »), Cortez placera ses caméras et va concevoir un
éclairage fabuleux, un noir et blanc hyper contrasté, jeux d’ombres
gigantesques et de pénombres.
Parenthèse. En 2019 est sortie
par Wild Side une version restaurée en HD du film. Des Blu-ray de vieux films,
j’en ai. Qui au niveau du film lui-même, ne présentent généralement aucun
intérêt, la haute définition ayant même tendance à amplifier les défauts
techniques de l’image d’origine. Si vous ne devez avoir qu’un vieux film en
Blu-ray, c’est « La nuit du Chasseur » qu’il vous faut. Un travail
tout bonnement extraordinaire, qui montre que Cortez avait dépassé toutes les
contingences techniques de l’époque. Et tout ça avec des moyens certainement
pas pharaoniques.
D’ailleurs, pas de noms
flamboyants en haut de l’affiche au générique. Mitchum en est la star (mais pas
le premier choix de la production). Mitchum est en 1954 lors du tournage
(trente-six jours en tout et pour tout, quasiment tout en studio, y compris la
descente de la rivière) au mieux un bon second rôle avec deux défauts majeurs,
éthylique forcené à faire passer les soirées du Rat Pack pour des séances de
yoga, et pire, plus ou moins « socialiste », ce qui aux U.S.A. à
l’époque était comparé à de la haute trahison. En gros, Mitchum est ingérable.
Laughton l’a vite compris, il organise tous les autres personnages par rapport
au sien.
Robert Mitchum
Autre parenthèse. Dans le
Blu-ray dont au sujet duquel je causais plus haut, il y a parmi les bonus plus
de deux heures et demie (soit quasiment deux fois la durée du film) de rushes
qui montrent la répétition des scènes. Avec un Laughton (à peu près toujours hors
champ) omniprésent, qui donne la réplique à tous les acteurs, jouant tous les
personnages. On voit qu’il vient du théâtre et que c’est un maniaque. Il fait
refaire d’innombrables prises parce que l’intonation d’une seule syllabe, un
clignement de paupières, un geste esquissé, un sourire trop ou pas assez
prononcé ne lui conviennent pas. Passe encore pour quelqu’un qui a fait
l’Actor’s Studio (comme Shelley Winters) mais Laughton tyrannise tout le monde
(les deux gosses - la gamine a vraiment cinq ans et craque parfois – et le
moindre figurant ou second rôle, témoin celui qui joue le vieux pote pêcheur du
gamin, qui sera éjecté au premier jour de tournage et remplacé). N’est guère
épargnée Lilian Gish (qui fut quand même dans sa jeunesse l’égérie de Griffith
et la première star féminine mondiale, avant Louise Brooks ou Marlene
Dietrich), dont on sent que derrière sa bonhommie placide, elle n’en pense pas
moins lorsqu’elle doit multiplier les prises. Il n’y a que Mitchum qui a un
traitement de faveur. Il tient même parfois tête à Laughton parce qu’il ne joue
pas, il est le Révérend Powell et tout s’organise autour de lui …
Powell, c’est le personnage qui
a fait rentrer Mitchum dans la légende du cinéma. Parce que Mitchum en fait
tellement, que ce faux curé devient tout bonnement extraordinaire. Powell joué
par Mitchum n’est plus humain, il est inhumain. La scène où Mitchum mime le
combat du Bien et du Mal avec la bataille entre ses deux mains où sont tatouées
sur les phalanges « love » et « hate » (ça, c’est de l’idée
scénaristique géniale !) repousse les limites du raisonnable, de
l’entendement et même de la folie. Et à la fin, alors qu’il vient de se faire
plomber par Lilian Gish, sa fuite à travers l’appartement, le jardin, les clôtures,
pour aller se réfugier dans la grange se fait en poussant des cris qui n’ont
rien d’humain. Le jeu de Mitchum est totalement hanté, irréel, bestial … Pas
sûr qu’au moment du tournage il ait été au mieux physiquement et mentalement,
mais le résultat est époustouflant, une performance à la Daniel Day-Lewis, sa
seule présence aux dires des témoins électrisait le plateau de tournage avant
qu’il commence à jouer ses scènes … Il y a une anecdote avec Shelley Winters.
Mitchum, sans qu’on sache très bien pourquoi, la détestait, à la limite de la
haine. Quand le pêcheur la retrouve noyée attachée à sa voiture au fond de
l’eau, c’est une prise sous-marine avec un mannequin au visage moulé sur celui
de Winters. Mitchum a fait tout un foin, exigeant de Laughton que ce soit elle
qui soit vraiment attachée à la bagnole au fond de la rivière, sinon le film
allait perdre toute sa crédibilité … Ceci explique que des années plus tard,
lors d’une interview où il revenait sur sa carrière, Mitchum tout en faisant
son Mitchum (air goguenard, énormes lunettes fumées, cigare de la taille d’un
tronc d’arbre), ait décrété que Laughton était de loin le meilleur metteur en
scène avec qui il avait travaillé (sympa pour tous les autres, il a tourné avec
le gotha des réalisateurs américains pendant quatre décennies).
Shelley Winters & Robert Mitchum
« La nuit du Chasseur »
se passe dans l’Amérique rurale (un petit bled au bord du fleuve Ohio) post Grande
Dépression. La crise économique, le chômage, la lutte quotidienne juste pour
avoir quelque chose à mettre dans l’assiette, ont profondément transformé les
gens. Ainsi, un père de famille, Ben Harper (parenthèse, c’est le vrai nom du guitariste
baba cool soporifique, donc pas un pseudo en rapport avec le film), devient un
braqueur de banques pour faire bouillir la marmite à la maison où l’attendent sa
femme Willa (Shelley Winters) et ses deux gosses John (la douzaine), et Pearl
(cinq ans). Un jour son braquage tourne mal, il tue deux types, est serré de
près par la police, et a juste le temps de remettre le butin du casse (dix
mille dollars) à ses enfants (surtout John), exigeant d’eux qu’ils le planquent
et ne révèlent la cachette à personne, même pas à leur mère.
Parenthèse (pff, encore, tu
commences à nous gonfler avec tes parenthèses). Le Ben Harper du film, qui n’a
droit qu’à quelques scènes, est joué par un second couteau, Peter Graves, qui accèdera
à la gloire mondiale en devenant des années plus tard, Jim Phelps, le chef des
agents de la cultissime série télé « Mission Impossible ».
Avant d’être pendu, Harper se
retrouve dans le même cachot que le (faux) révérend Harry Powell et manque lui
révéler en parlant dans son sommeil (fabuleuse scène lorsque Harper marmonne
son histoire et que la tête de Powell apparaît à l’envers - il est dans le lit
au-dessus -, avant que Harper se réveille, l’aperçoive, lui colle une magistrale
torgnole, avant de se mettre un mouchoir dans la bouche pour ne plus pouvoir
parler en dormant).
Powell, on l’a déjà vu au tout
début, roulant dans une voiture, ses tatouages LOVE-HATE sur les doigts, en
train de s’adresser au Seigneur, avant de se tétaniser avec un regard d’assassin
à un spectacle de strip-tease. Powell, c’est une extrapolation de tous ces
évangélistes qui dans les années 30 parcouraient le Midwest sinistré par la
crise pour ramener les âmes dans le « bon » chemin (et qui aujourd’hui
sont les farouches partisans de Trump, la loi et l’ordre, et par-dessus tout le
Seigneur qui nous guide tous). Son truc, à Powell, c’est pas de sauver les
brebis égarées, c’est de séduire les veuves qui ont un petit magot, les buter
et partir avec l’argent.
Il va donc arriver chez Willa
Harper. Autre scène fabuleuse, le petit John raconte à sa sœur une histoire de
croquemitaine, c’est la nuit, ils sont dans leur chambre à peine éclairée par
la lumière de la rue, et se dessine sur le mur l’ombre gigantesque du chapeau
que porte Powell (ces ombres démesurés, que l’on verra souvent dans le film, me
semblent être un hommage de Laughton et plus encore de Cortez au cinéma
expressionniste allemand des années 1920-1930, genre « Le cabinet du
Docteur Caligari », « M le Maudit », etc …). Le plan suivant
nous montrera sa silhouette devant la clôture de la maison, dans la lueur
blafarde des réverbères. Ça vous dit rien cette image ? Ce sera
copié-collé par Friedkin dans « L’exorciste » quand Max Von Sydow
arrivera devant la maison de Linda Blair, elle servira d’ailleurs souvent d’affiche
au film, au Blu-ray, Dvds, etc …
L'exorciste ?
Powell va courtiser la fragile
Willa, poser son emprise sur elle (autre scène folle, celle de l’expiation, où
la pauvre veuve avoue ses péchés devant les voisins, au milieu d’un cercle de torches
enflammées, sous le regard impassible du pasteur en arrière-plan), l’épouser
(autre scène énorme, celle de la nuit de noces), avant de la tuer (encore une
scène démente ponctuée d’engueulades homériques où Powell expose sa vision du
monde et des femmes, qui ne pensent qu’à la luxure alors que le Seigneur ne les
a mises sur Terre que pour procréer, ‘tain, on croirait entendre l’agité du
bocage de Villiers). Ne lui reste dès lors plus qu’à faire avouer aux gosses où
est le magot (nous, on le sait, il est dans la poupée de chiffons que ne quitte
pas la petite fille).
La gamine se laisserait embobiner,
son frangin est beaucoup plus méfiant, et les deux s’enfuient en barque sur le
fleuve, chassés par Powell (un autre plan à montrer dans les écoles de cinéma,
les deux gosses réfugiés dans une grange, avec au loin au soleil levant, la
silhouette menaçante de Powell sur son cheval au pas qui se détache sur l’horizon).
C’est à ce moment-là, le moment de la chasse, qu’on passe du thriller haut de
gamme à autre chose. Finies pour un temps les confrontations et les dialogues
chiadés, on suit la barque qui descend le fleuve filmée depuis la rive avec au
premier plan des lapins, des toiles d’araignée, des hiboux, des tortues, des
crapauds. Comme une relaxation alanguie qui remplace la tension. Un procédé qui
sera repris et sublimé par Malick au point de devenir sa trademark (je sais pas
s’il s’est inspiré de Laughton) qui interrompt l’action pour nous montrer des
rochers moussus, un petit ruisseau, des animaux, du vent qui agite des champs
de blé ou des feuilles dans les branches, …
Le final de « La nuit du
Chasseur » n’est pas celui d’un thriller. Ou si peu. Les enfants échouent
(dans tous les sens du terme) chez une vieille dame, Mme Cooper (extraordinaire
Lilian Gish) qui recueille des enfants abandonnés. Et plutôt que l’action
(quasi inexistante), Laughton choisit de nous nous montrer le combat de deux
esprits qui se revendiquent du même Seigneur. Parce que Powell n’a pas inventé
son personnage de pasteur, il se croit réellement investi d’une mission, sauver
le monde de la perdition, même si ça doit passer par quelques meurtres et en
récupérant du fric au passage. Mme Cooper, elle, veut faire le bien de ses
prochains tout en respectant scrupuleusement les Saintes Ecritures. La scène
clé du film (et une des plus extraordinaires qu’il soit donné à voir sur un
écran), c’est ce face-à-face nocturne devant la maison de Mme Cooper où Powell
et elle se livrent un combat qui se veut définitif par chants religieux
interposés, chacun chantant le sien pour couvrir la voix de l’autre.
« La nuit du Chasseur »
est une œuvre unique, inclassable, où se mélangent poésie, mysticisme, polar,
suspense, humour (noir). En fait la vraie direction du film nous est donnée dès
la première scène, où Lilian Gish récite, façon lecture d’une page des Evangiles,
ce qu’est l’histoire que nous allons voir et sa morale. « La nuit du
Chasseur », c’est une fable biblique …
« La nuit du Chasseur »
a été un bide lors de sa sortie, et Laughton (mort en 62) n’aura plus jamais
les moyens (si tant est qu’il en ait eu l’envie) d’en tourner un autre. Chef-d’œuvre
définitif, il est aujourd’hui très justement toujours cité comme un des plus
grands films de tous les temps …
Nicolas Roeg (claqué en 2018) a
eu sa décennie de gloire dans les 70’s. Notamment en faisant tourner des stars
du rock. Mick Jagger qui faisait du Mick Jagger dans « Performance »,
et David Bowie qui faisait son Ziggy Stardust dans « L’homme qui venait
d’ailleurs ». Ces deux films, qui intrinsèquement valent pas lourd, et
doivent leur postérité et leur notoriété à leurs acteurs principaux, ne doivent
pas occulter le fait que Roeg sait concevoir un film et tenir une caméra.
Christie, Sutherland & Roeg
« Ne vous retournez
pas » (« Don’t look now » en V.O.) en est la démonstration et a
mieux traversé les décennies. Par exemple cité comme un film de premier plan par
des gens ayant pourtant peu de choses en commun, comme Danny Boyle et Justine
Triet.
Pour « Ne vous retournez
pas », Roeg a un scénario et deux stars bankables au générique. Le
scénario est dû à son complice Alan Scott, extrapolé d’après une courte
nouvelle de Daphné du Maurier. Du Maurier, son thème de prédilection, c’est le
polar, avec parfois une touche de fantastique. Pas étonnant que Hitchcock s’en
soit servi à trois reprises (l’oublié « La taverne de la Jamaïque »
et les deux beaucoup plus conséquents « Rebecca » et « Les
oiseaux »).
Les deux stars de Roeg sont le
Canadien Donald Sutherland (carrière aux States, révélé dans « Les douze
salopards », premiers rôles dans « M.A.S.H. », « De l’or
pour les braves », « Klute ») et l’Anglaise Julie Christie
(entre autres l’inoubliable Lara du « Docteur Jivago »). Le reste du
casting, au mieux présent sur quelques scènes (les deux sœurs) est composé de troisièmes
couteaux pas vraiment très aiguisés devant la caméra.
L’histoire de « Ne vous
retournez pas » est chronologique. Dans les premières scènes au montage alterné
intérieur-extérieurs, on voit une petite fille en ciré rouge et son jeune frère
jouer au bord d’un étang aux abords d’une maison cossue. Dans laquelle le père (John
Baxter / Sutherland) visionne des diapos agrandies de vitraux pendant que la
mère (Laura / Christie) lit. Quand le père a la vision d’une tache sanglante se
répandant sur la diapo, il est surpris. Quand il pense que cette vision
irréelle pourrait être une prémonition, il se rue vers l’étang, plonge et
remonte avec dans les bras le cadavre de sa fille qui vient de se noyer. La mère
qui passe derrière une fenêtre voit la scène et pousse un grand hurlement.
C’est à ce moment qu’intervient
une transition remarquable (même si elle pompée sur une similaire vue dans « Les
39 marches » de qui vous savez et si vous savez pas je vous plains) où le
hurlement devient bruit strident d’une perceuse qui fore un mur (avec un léger
décalage, on entend d’abord le son avant d’avoir l’image).
A coté du gars qui tient la
perceuse, Sutherland observe le mur dans un piètre état, le plan s’élargit, on
est dans une église en cours de restauration. Très vite, on comprend que John
est architecte, et supervise un projet de rénovation de bâtiments dans Venise,
qui se passe en hiver, pour ne pas obérer l’activité touristique. Avec Laura,
ils logent dans un hôtel à peu près vide, tandis que leur fils a été placé dans
un pensionnat anglais. Les événements ont lieu (même si aucun repère temporel n’est
précisé) peu après la noyade de leur fille dont on sent Laura beaucoup plus
affectée que son mari. La rencontre d’un couple de vieilles anglaises comme eux,
dont l’une est aveugle et médium sera un tournant dans leur séjour. Une Laura
qui participe avec elles à une séance de spiritisme, au cours de laquelle la
voyante leur recommande de quitter immédiatement Venise, en sort tout ébranlée,
et doit faire face aux remarques narquoises de John, cartésien et rationnel,
qui ne croit pas à ces balivernes.
Laisse les gondoles à Venise ...
Parce que lui est tout de même
intrigué par une petite silhouette en ciré rouge qui semble se cacher et le
fuir, et qu’il aperçoit fugacement une paire de fois aux abords des canaux. Même
si le couple Baxter reste très uni, témoin une longue scène de plumard jugée très
scandaleuse lors de la sortie du film (certains ont prétendu qu’elle n’était
pas simulée, le prétendu réalisme n’est du qu’à un montage malin alternant
plans de quelques secondes du couple en action et les mêmes se rhabillant pour
aller à un dîner), une certaine parano commence à les envahir, elle très sensible aux visions de l’aveugle ( ! ), et lui victime d’un accident de chantier
qui aurait pu lui être fatal. Ça flippe encore plus quand le pensionnat les
appelle pour leur dire que leur fils a eu un accident bénin. John entend rester
pour terminer son boulot, mais il accompagne Laura dans le vaporetto qui la
conduira à l’aéroport pour qu’elle retourne au chevet du gamin en Angleterre. Sauf
que le lendemain, il la revoit en tenue de deuil en compagnie des deux
frangines sur une gondole-corbillard.
Direction le poste de police où
dans un décor très Brazil-Gillian, il raconte tout à un flic qui ne l’écoute
que d’une oreille distraite. Il faut dire que dans cette Venise hors-saison rôde
un serial killer qui donne du couteau dans les ruelles sombres et étroites qui
bordent les canaux, alors l’Anglais avec sa femme et les mystérieuses
frangines, c’est pas une priorité. C’est quand le proprio du pensionnat lui
téléphone et lui passe Laura qui lui annonce son retour à Venise que tout
se complique et pour John et pour le spectateur. Et le dernier quart d’heure du
film va donner lieu à un twist scénaristique remarquable.
Parce que Roeg (dont tous ceux
qui le connaissent affirment qu’il avait quasiment image par image le film dans
sa tête avant d’avoir commencé à tourner) installe une atmosphère à laquelle on
ne peut guère échapper. Le cadre, c’est-à-dire Venise en hiver est glauque à
souhait. Dans ces ruelles sombres, étroites et souvent désertes, dans ces
bâtiments décrépis éclairés par une lumière d’hiver pisseuse, tout l’envers des
cartes postales d’une place Saint-Marc grouillante de vacanciers en goguette au
milieu des pigeons, il ressort des impressions mortifères et angoissantes. Les
couleurs sont mates, sombres, l’éclairage est voulu approximatif, et l’image très
granuleuse, à l’exception évidemment du rouge très vif de ce ciré que portait
la fille Baxter quand elle s’est noyée et dont est aussi vêtue cette petite
silhouette fugace aperçue plusieurs fois à Venise.
Et la parano et le malaise
induits par les images et les scènes vont crescendo à mesure que les incidents,
les accidents et surtout les visions et les prémonitions de la médium rajoutent
des éléments surnaturels à l’histoire.
Le petit chaperon rouge ?
C’est ce mélange de genres qui
fait la qualité de « Ne vous retournez pas ». Est-on devant un drame
psychologique, une histoire surnaturelle, un thriller ? Et certains
parlent du film comme un des très rares giallos non italiens, même si réduire « Ne
vous retournez pas » à ce genre typiquement transalpin de la fin des
années 60 – début des années 70 est plutôt réducteur, même si on retrouve chez
Roeg meurtres sanglants, phénomènes étranges, érotisme, autant de thèmes chers
aux Bava, Fulci, Argento et consorts …
En fait, en 1973 lors de sa
sortie, « Ne vous retournez pas » est un objet cinématographique
plutôt unique, à la marge de tous les genres évoqués. Qui n’a pas affolé le
box-office, les distributeurs américains (Paramount il me semble) ayant exigé
que Roeg en supprime une demi-heure, qui à ma connaissance est restée totalement
inédite (pas de director’s cut sur les derniers supports physiques malgré une
restauration en 4 K). A la longue, c’est devenu un film culte, des cinéastes
plutôt « décalés » le citant comme une référence.
Et il y en a même un (Shyamalan)
qui comment dire, me semble s’en être fort inspiré et qui a cartonné au
box-office, avec Bruce Willis dans le rôle principal …
« L’homme de la
plaine » (« The man from Laramie » en V.O.), c’est le cinquième
et dernier film de la collaboration Anthony Mann / James Stewart. Qui ensemble
ou séparément, n’ont plus rien à prouver. Et qui « pèsent »
suffisamment pour ne pas avoir à faire la moindre compromission. C’est
peut-être le cœur du problème. Mann et Stewart sont devenus de vrais potes, une
amitié que leurs succès communs semblaient avoir cimentée.
Stewart & Mann
Mais pour ce film, leurs
« visions » vont sinon s’affronter, du moins être parfois
contradictoires. Mann veut en foutre plein les mirettes du spectateur. La
Columbia lui assure Technicolor et Cinémascope. Visuellement, parce que Mann
sait tenir une caméra, le résultat sera grandiose. Une bonne moitié du film est
tournée en extérieurs, et les paysages du Nouveau Mexique offriront un décor
magnifique. Mann, comme tous les « amuseurs » du cinéma, a envie de
« sérieux ». L’intrigue fournie par le scénariste Philip Yordan
(est-elle de lui, rien n’est moins sûr, on est en plein Maccarthysme et Yordan
a la réputation de faire siens des scénarios écrits par des blacklistés, un
genre de gagnant-gagnant - surtout pour lui) fait entrevoir à Mann qu’on peut en
faire une version western du « Roi Lear », classique du drame
shakespearien. Cette vision shakespearienne est basée sur les dissensions qui
vont aller crescendo dans la famille Waggoman sur fond de succession du
patriarche, famille qui fait la pluie et le beau temps dans une petite bourgade
(Coronado, imaginaire, alors que Laramie, existe bel et bien, au Sud du
Wyoming) paumée aux limites du territoire apache.
Les chariots de feu ?
Face à Mann et ses envies de
« grande » tragédie en Scope, Stewart. Qui examine méticuleusement
tout ce qui le concerne dans le film. Il ne veut pas faire et dire n’importe
quoi. Il affirme de plus en plus ses penchants républicains, et ne veut pas que
les valeurs des personnages qu’il interprète soient contraires aux siennes. Et
ce d’autant plus que dans le film, son personnage, Will Lockhart, est un
capitaine de l’armée (on ne le saura qu’à la fin, et de manière fugace, au
hasard d’une réplique plutôt anodine). Or Stewart a servi dans l’armée pendant
la Seconde Guerre Mondiale. Ses valeurs morales d’ancien militaire et de
Républicain entraîneront des ratiocinations interminables avec Mann pendant le
tournage et ils finiront sinon par se brouiller, du moins par distendre les
liens d’amitié qui les unissaient.
« L’homme de la
plaine » est un western, considéré comme majeur, de cette période (le
milieu des années 50), où ce genre typiquement américain est à son apogée (les
studios en sortent une dizaine par an, la moitié des films qui paraissent sont des
westerns. « L’homme de la plaine » est aussi un polar. Lockhart s’est
« défroqué », se faisant passer pour un patron convoyeur, afin de
trouver et les causes et les responsables du massacre aux environs de Coronado
d’une patrouille de soldats, dont on apprendra au cours du film que son jeune
frère faisait partie.
Baston en vue ...
Un western, un polar, une
revisitation du Roi Lear, quelques caprices de diva de sa star, un gros budget
permettant au casting quelques personnages secondaires auxquels on ne comprend
rien (voir plus bas), c’était peut-être un chantier trop compliqué à gérer et à
mener à terme en à peine plus d’une heure et demie.
L’aspect visuel irréprochable
du film n’arrive pas à cacher les lacunes et carences d’un scénario mal foutu.
Incohérences et points d’interrogation se multiplient. Qui est le vieux
compagnon de Lockhart, qui reste dans le coin quand ça commence à mal tourner,
qui réapparaît quasi miraculeusement porteur de précieuses infos, et disparaît
totalement dans la seconde partie du film ? Quel est l’intérêt dans
l’histoire de l’épicière nièce du patriarche Waggoman, de cette romance qui
semble s’installer entre elle et Lockhart, flirt qui s’estompe pour disparaitre
sans qu’on sache pourquoi ? A quoi sert le commis indien de l’épicerie,
ses regards suspicieux sur Lockhart, sa présence lors de la tentative
d’assassinat, et que devient-il ? Idem pour le poivrot qui croise souvent
la route de Lockhart avant d’essayer de le tuer, et d’être retrouvé mort, sans
qu’on sache vraiment qui avait commandité l’assassinat (le fils, le
régisseur ?) et qui l’a dessoudé …
L’histoire est labyrinthique. On
sait, je dirais presque par définition, que le gentil c’est Lockhart. Même si
ses motivations restent floues. Veut-il juste savoir pourquoi son jeune frère
est mort et à cause de qui ou de quoi, ou vient-il pour se venger ? On pourrait
pencher pour la seconde version, sauf que « L’homme de la plaine »
est le seul film avec Mann où Stewart ne tue personne. Des gentils, on en
trouve une paire d’autres. La nièce épicière Waggoman, même si son personnage
apporte très peu au scénario. Et la vieille rivale et ex-fiancée du patriarche
dont la contribution sera de soigner les éclopés du scénario.
Crisp & Stewart
Côté méchants, on en a trois de
principaux (faut zapper l’Indien et le poivrot qui veut poignarder Lockhart,
dont les personnages sont deux points d’interrogation, voir plus haut). Le
patriarche Alec Waggoman (belle prestation du vétéran Donald Crisp, des
dizaines de seconds rôles à son actif), son fils, brutasse dégénérée au point
qu’il laisse perplexe son paternel sur la façon d’organiser la succession, et
le régisseur du domaine, qui voyant ce foutoir familial, espère tirer profit de
la situation et les marrons du feu. Le seul intérêt de l’intrigue étant de révéler
que le plus terrible des trois n’est pas celui que l’on croit au départ.
Et si Stewart ne tue finalement
personne (« il n’est pas acteur des meurtres, il en est le catalyseur »
dixit Bertrand Tavernier), « L’homme de la plaine » est le film le
plus violent de sa collaboration avec Mann. Même si elle n’est pas toujours
montrée plein cadre, la violence, à la limite du sadisme, est partout présente.
La première rencontre entre Lockhart et le fils brutal Waggoman verra ce
dernier foutre le feu aux chariots de Lockhart, le traîner attaché à un cheval,
et dézinguer les mules du convoi … pas mal pour une première approche. Après
une bagarre homérique et bestiale en ville (ça finit en corps en corps au milieu
des chevaux), la troisième rencontre verra Lockhart maintenu par les hommes de
Waggoman se faire tirer une balle dans la main à bout portant (hors champ, ce
qui nécessite du jeu d’acteur, plutôt qu’un effet spécial sanguinolent, et
comptez sur Stewart pour rendre à l’écran la douleur).
En résumé, l’immense James
Stewart peut-il à lui seul sauver une histoire bancale ? Le Scope en
technicolor de Mann peut-il faire oublier un scénario mal ficelé ? La
réponse est oui dans les deux cas (« L’homme de la plaine » est
considéré comme un grand classique de la grande époque du western).
Mais perso, je préfère nettement
« Winchester 73 » et « L’appât » (je dirai rien sur « Les
affameurs » que je crois bien ne jamais avoir vu, ni sur « Je suis un
aventurier » pas vu non plus et qui n’a pas bonne presse), même si beaucoup
auraient bouffé les varices de leur grand-mère pour être au casting d’un film de
Mann avec Stewart …