Affichage des articles dont le libellé est Drame. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Drame. Afficher tous les articles

ABEL FERRARA - THE KING OF NEW YORK (1990)

 

Série B ...

Ou film culte, comme on veut … Ou les deux … Ou pourrait aussi dire film de blaxploitation, sauf que le héros n’est pas Black et qu’il gagne pas à la fin. En tout cas « The King of New York » est avec son successeur « Bad Lieutenant » ce que Ferrara a fait de mieux.

Abel Ferrara 1990

Ferrara est un cas social hors du commun. Très marqué, pour pas dire traumatisé par l’éducation religieuse (comme Almodovar ou Scorsese), il va s’en éloigner le plus possible dans ses films (le premier sous pseudo est un porno), sans pour autant en renier les fondamentaux symboliques (péché-expiation-rédemption, cette sorte de choses). Les films de Ferrara sont là pour faire flipper le catho de base. Dans « The King of New York » le héros est un ex-taulard, dealer de coke qui assassine de sang-froid concurrents et flics dans une surenchère cataclysmique.

Les histoires de truands qui construisent un empire et finissent par crever de leur orgueil, c’est pas ça qui manque, du « Little Caesar » de Mervyn LeRoy, au « Scarface » de De Palma. Sauf que c’est pas ce genre de films que cite Ferrara pour son inspiration. Il a « vu » son film en sortant d’une projection de … « Terminator ». Même si c’est dit en termes diplomatiques, il pense que si pareille couillonade cartonne (l’obsession d’atteindre son but en dégommant tout ce qui s’y oppose), il peut faire aussi bien, voire mieux. Sauf qu’avec son pote depuis le lycée, le scénariste Nicholas St-John, il sont pas vraiment dans le trip post-apocalyptique de Cameron (ou de George Miller). Leur monde, c’est le New York contemporain. Pas le New York de Broadway et de Wall Street, le New York des quartiers glauques (le Bronx), des trafiquants en tout genres, et avec son ascendance italienne, celui du « milieu ».

Christopher Walken

Le Terminator de Ferrara sera Blanc (à double titre, il s’appelle Jack White, inutile de faire une disgression pour la symbolique catho liée au blanc), vient de s’endurcir en zonzon, et entend dès sa sortie devenir le roi de la dope sur la ville. Jack White, c’est Christopher Walken, qui deviendra après ce film un des acteurs fétiches de Ferrara. Plus ou moins dans le trip Brando quand Ferrara le rencontre (empâté, manteaux de fourrure, et jamais loin d’une quille de vin rouge), Walken va perdre vingt kilos avant le tournage pour jouer cette brute émaciée au regard fou et glaçant. Si Ferrara a son premier rôle, il a pas le fric pour tourner, les circuits de financement « classiques » américains lui ayant tous répondu quand il les a sollicités par un niet aussi poli que ferme et définitif. Ce sont ses connexions italo-américaines qui le mettront en relation avec des Italiens qui aligneront les lires pour que le film se fasse.

Et donc une fois considéré que Walken sera la star du générique, faut compléter avec des seconds couteaux. Et force est de reconnaître que l’Abel a eu le nez plutôt creux. Des seconds rôles seront notamment tenus par Wesley Snipes, Laurence Fishburne, et ont droit à quelques scènes Steve Buscemi ou Harold Perrineau. Bon y’a aussi eu des ratés, qui se souvient et a vu ailleurs Janet Julian (Jennifer, l’avocate et maîtresse de White), répondez pas tous en même temps.

Weley Snipes

Le scénario est ultra basique, ascension et chute d’un caïd de la drogue. Et Ferrara a beau jeu de dire que rien n’est crédible dans son film, les choses ne se passent pas comme ça dans la réalité (les « parrains » ne règlent pas leurs comptes eux-mêmes, ne participent pas aux gunfights punitifs, et un réseau mafieux ne s’écroule pas et ne se contrôle pas avec trois rafales de pistolet mitrailleur).

Ce qui compte pour Ferrara, c’est montrer « sa » ville, New York. Sous son prisme à lui. Walken est à peu près en roue libre, esquisse même quelques pas de danse (sa marotte dès qu’il peut glisser quelques entrechats dans ses films, il aurait préféré être danseur professionnel plutôt qu’acteur), tout le monde en fait des tonnes. N’empêche qu’il y a bel et bien dans « The King … » une « patte » Ferrara. L’art de susciter la tension avant les montées de violence froide (la scène aves Snipes et Buscemi venus conclure un deal avec les Hispanos, le règlement de comptes chez les mafieux ritals, …). L’envie de donner du spectacle (la baston lors de la party-partouze chez White, la course poursuite à la « Bullit » dans les grandes artères newyorkaises, …). La mise en scène d’une esthétique froide (tout ce bleu métallique qui domine dans la gamme chromatique), mais avec des partis-pris visuels forts (les très gros plans sur les visages lors des discussions). Et pourtant Ferrara n’a quasiment pas touché à la caméra. Il « visualisait » les scènes, donnait les ordres aux acteurs et à son caméraman, et partait surveiller tout ça dans le studio vidéo. D’où il ne s’extirpait pas souvent, montant, assemblant, sonorisant quasiment à la volée. D’où une séquence qui a marqué les participants au film, lors de la fête organisée le dernier jour de tournage, des écrans télé diffusaient quasiment dans sa version définitive « The King of New York » dont les dernières prises avaient eu lieu quelques heures auparavant.

Laurence Fishburne

Ferrara n’oublie pas de développer son postulat Bien / Mal. White est totalement amoral, sans aucune pitié ni scrupule (l’assassinat du flic lors de l’enterrement), veut devenir le King d’un monde où règnent luxure et dope. Et en même temps il patronne une soirée de bienfaisance pour récolter des fonds en vue de construire un hôpital pour les enfants. Séquence qui donne l’occasion d’une chanson par le second couteau soul Freddie Jackson. Alors que la bande-son est quasiment exclusivement composée de titres rap ou hip hop (Ferrara est très pote avec le rappeur Schooly D, omniprésent sur la B.O. et dont les connexions avec les bandes des quartiers mal famés où a été tourné le film ont permis à toute l’équipe d’évoluer sans encombre). De ce point de vue, Ferrara innove. Premier Blanc à donner une telle place au rap dans la bande-son, « The King of New York » est sorti moins d’un an après « Do the right thing » (Spike Lee / Public Enemy) et un an avant « Boyz in the hood » (John Singleton / Ice Cube).

Alors il faut voir « The King of New York ». Au moins parce que les dernières scènes (un Walken blessé à mort marchant tel un zombie dans les rues de « sa » ville avant d’aller agoniser à l’arrière d’un taxi cerné par les gyrophares des voitures de police et les flics qui le traquent), doivent rassembler toutes les chapelles de cinéphiles …





GUS VAN SANT - ELEPHANT (2003)

 

Bowling for Columbine ...

20 avril 1999 à Columbine, petite ville (25 000 habitants) du Colorado. Deux lycéens de 18 ans se rendent lourdement lestés d’armes de guerre et d’explosifs dans leur école et tirent sur tout ce qui bouge. Bilan : treize morts, vingt et un blessés.

18 mai 2003. « Elephant » de Gus Van Sant, « inspiré » par la tuerie est projeté au Festival de Cannes. Quelques jours plus tard, il y recevra la Palme d’Or et le prix de la mise en scène.

Gus Van Sant Cannes 2003

Quelques mois plus tôt, un film documentaire de Michael Moore, « Bowling for Columbine », utilisait la tuerie pour un plaidoyer contre la libre circulation des armes aux USA.

Autant dire que ce massacre a bouleversé (un temps, ce genre de carnage est récurrent aux States, c’est sûr ce coup-ci on va s’attaquer au problème des ventes d’armes, vous allez voir ce que vous allez voir, et puis on passe à autre chose) la société, pour que le monde du cinéma s’en empare si vite et à deux reprises.

« Elephant » est le dixième film de Van Sant, qui a accumulé succès critiques et commerciaux (« Drugstore cowboy », « My own private Idaho », « Will Hunting », « Psycho » entre autres, je cite ceux-là parce que je les aime bien), et inaugure un dyptique avec son successeur « Last days ». A savoir que ces deux films sont très fortement inspirés par des faits réels (le suicide de Kurt Cobain pour « Last days »), mais ne sont en aucun cas des reconstitutions des faits évoqués, la licence poétique, ce genre de choses, s’est justifié Van Sant, enfin certainement pour éviter procès et procédures.


« Elephant », d’abord pourquoi ce titre ? En référence à un film anglais homonyme d’Alan Clarke (c’est là que se pointe le fan de Bowie, Alan Clarke ayant réalisé pour la télé au début des 80’s une adaptation de « Baal » de Bertold Bretch avec l’ex Ziggy dans le rôle-titre, parce que le reste de ses travaux à l’Alan Clarke, ça me dit strictement rien). Lequel film montre une série de meurtres sans motifs, et son titre fait référence à l’expression « elephant in the room », littéralement, tout le monde identifie le problème bien visible, mais personne ne cherche de solution.

Bon, c’est quoi l’éléphant dans la pièce chez Van Sant ? Ce qu’aujourd’hui on appelle harcèlement scolaire (le plus déterminé, le « cerveau » du carnage est brimé et rejeté par les autres lycéens). Le libre accès aux armes, y compris de guerre. On commande sur internet, on est livré à domicile, et c’est le jour où les deux reçoivent leur dernier fusil d’assaut maousse qu’ils passent à l’action. Malin, Van Sant ne se contente pas des faits établis qui ont généré le massacre de Columbine. On a des allusions au jeux vidéo de FPS (en gros, on flingue tout ce qui bouge, en « étant » le personnage qui tire), Van Sant avait voulu utiliser une franchise bien connue (« Doom ») qui a mis son veto. Un truc basique en noir et blanc vite créé par un informaticien de passage est montré dans le film, un des deux tueurs y joue (sans conviction, il balance assez vite son ordi portable). On a aussi en attendant le camion de livraison qui amène le dernier flingue, un reportage, un documentaire historique sur la montée du nazisme qui passe à la télé, mais les deux ados ne le regardent pas vraiment, un des deux sait même pas à quoi ressemble Hitler. On a aussi la notion de rite sacrificiel, les deux se promettent de ne pas en réchapper, et toutes leurs frustrations d’ados rejetés se traduisent par un baiser échangé sous la douche avant de s’équiper de treillis et de trimbaler leur arsenal dans des sacs. Van Sant évoque de possibles et plausibles mobiles du passage à l’acte, il n’en définit aucun comme crucial. D’ailleurs, pour brouiller les pistes, les deux tueurs semblent (sans que cela soit explicité) deux fils de bonne famille, le « leader » Alex vit (avec ses parents ?) dans une maison cossue aux grands espaces, et joue bien du piano (en l’occurrence des sonates de Beethoven qui servent de B.O. au film).


La présentation des deux tueurs (les derniers moments avant la commission de l’acte) est située vers la fin du film, et apparaît comme la litanie des causes pouvant générer un massacre de masse. Van Sant n’analyse pas, il livre des éléments.

« Elephant » ne se résume pas aux derniers préparatifs du duo d’assassins et au carnage dans le lycée, le film nous fait vivre quelques moments de différents lycéens victimes – ou pas – du gunfight. Avec un procédé original, la caméra suit souvent les protagonistes (donc filmés de dos) dans l’enfilade de couloirs du lycée et nous les présente (juste leurs prénoms) par un intertitre. Et comme certains des élèves se croisent, échangent quelques mots, on a droit à la même scène filmée sous deux angles différents (parfois trois même, on a le blond peroxydé et le photographe qui discutent quelques secondes pendant que passe en courant la moche complexée) et en faisant la plupart du temps abstraction de toute chronologie). Le contraste est saisissant entre la banalité du train-train quotidien de lycéens (les trois jeunettes amatrices de ragots, qui touchent à peine à leur plateau-repas par peur de grossir avant d’aller se faire vomir dans les chiottes, ce qui se révèlera être une bien mauvaise idée).


« Elephant », c’est aussi un casting de jeunes amateurs (de Portland, ville fétiche de Van Sant dans laquelle il a longtemps vécu et où ont été tournés nombre de ses films) dont bien peu ont continué leur carrière devant la caméra. Le seul qui a vraiment fait « carrière » (dans des rôles mineurs et souvent dans des films de seconde zone) est John Robinson (celui qui joue John, le blond peroxydé à tee-shirt jaune imprimé d’un taureau), Alex Frost (celui qui joue Alex, quasiment tous les acteurs ont gardé leurs vrais prénoms) s’étant contenté de quelques rares apparitions dans des séries B).

A noter qu’une des personnes les plus impliquées dans le projet « Elephant » est Diane Keaton, l’ex et principale égérie de Woody Allen, qui a mis des billets pour la production du film. Lequel est un peu à part dans la filmo de Van Sant, sorte de film « politique », « engagé », deux genres auxquels il ne s’est guère frotté, mis à part avec le biopic « Harvey Milk » sur l’activiste homosexuel candidat à la mairie de San Francisco.

A noter que malgré la répétition des scènes (même si elles sont filmées avec des angles différents), « Elephant » ne dure même pas une heure vingt. Comme quoi on peut être concis et dire (ou sous-entendre) beaucoup de choses.

Film crucial de Van Sant, à ranger à côté de son autre coup de poing en images « Drugstore cowboy » …


Du même sur ce blog :

Last Days



JOHN HUSTON - QUAND LA VILLE DORT (1950)

 

Le crime était presque parfait ...

Le Dvd que j’ai fait partie d’une collection Warner « L’âge d’or du cinéma américain – Les grands classiques du film noir ». J’ai aucune idée des autres titres (vu le lettrage sur la tranche et le numéro de celui-ci – 12 – il doit y en avoir une quinzaine sous cet intitulé) mais en ce qui concerne « Quand la ville dort » je valide tout à fait le titre ronflant de la série. C’est un film à voir et revoir, on ne s’en lasse pas.

A priori, rien de révolutionnaire dans « Quand la ville dort ». L’histoire d’un casse qui tourne mal. Et au cœur de l’histoire, une poignée de petits malfrats dans une petit bled du Midwest jamais nommé pendant la prohibition (Angelica Huston, dans une courte présentation du film de son père, situe l’action en 1929).

John Huston & Marilyn Monroe

A la réalisation, John Huston donc. Pas vraiment un débutant, et pas un manchot derrière une caméra, en plus d’être scénariste, producteur, et de se lancer à partir des années 50 dans une carrière d’acteur. Quand il s’attelle à « Quand la ville dort » (« The asphalt jungle » en V.O., pour une fois un titre qui claque, que ce soit en français ou en anglais), il a remporté deux ans plus tôt une statuette pour un film monumental, « Le trésor de la Sierra Madre », et il avait commencé sa carrière de réalisateur avec « Le faucon maltais », classique de chez classique, malgré une intrigue aussi claire que celle de « Mulholland Drive » du regretté David Lynch.

 « Quand la ville dort » est tiré d’une nouvelle de l’écrivain W.R. Burnett et grave dans le marbre les codes du film noir, comme « Little Caesar » du même Burnett avait « inventé » par son adaptation au cinéma le film de gangsters. « Quand la ville dort », c’est l’histoire d’une bande de petites frappes, avec cinquante nuances de loose. Tout se passe la nuit, sauf la scène finale. Le pitch est simple, un prétendu as du braquage « Doc » Riedenschneider (un immigré allemand ou autrichien, voir ou plutôt écouter son accent teuton en VO) sort de cabane et tente illico de monter « le coup » de sa vie (le braquage d’une bijouterie) grâce à des infos recueillies auprès d’un autre taulard. Il se rend chez Cobby, le gérant d’un tripot clandestin spécialisé dans les paris sur les canassons pour lui expliquer ses besoins en logistique et en personnel. Une fine équipe locale est recrutée (un chauffeur barman et bossu, une brute locale qui fera le ménage si besoin, un as du perçage de coffres), et l’avocat Emmerich (Louis Calhern), patron de fait du tripot, s’occupera du recel et de la vente du butin. Entre « imprévus » pendant le casse (une alarme qui se déclenche dans un immeuble voisin et va faire se rappliquer tous les flics du bled, et un vigile qui anticipe l’heure de sa ronde) et l’avocat véreux, forcément véreux, qui va essayer de doubler tout le monde, l’aventure se terminera mal et le plus souvent très mal pour tous les protagonistes de l’affaire. Des films avec ce genre de scénario, il doit en sortir trois douzaines par mois, aussitôt vus, aussitôt oubliés. Sauf qu’avec « Quand la ville dort », on a une œuvre majeure.

Jaffe, Hagen & Hayden

Dans le film noir, y’a toujours une ou des nanas qui entraînent les héros vers leur perte. Ici, il y en a deux. La première c’est la cocotte entretenue par Emmerich, jouée par la quasi débutante devant les caméras, une certaine Marilyn Monroe (Angela). Ecervelée pas méchante pour deux sous, mais d’une frivolité emplie de rêves qui coûtent cher (un voyage sentimental à Cuba, en ces temps-là villégiature de vacances des riches américains), elle provoquera l’irréparable chez Emmerich. Monroe n’est présente que pour deux scènes, la première vêtue d’un ensemble écossais informe à gros carreaux mais qui laisse apercevoir quand elle fait demi-tour une silhouette callipyge promise à un bel avenir. Dans la seconde scène elle minaude en longue robe bustier et laisse apercevoir son nucléaire potentiel érotique. L’autre femme « tragique », c’est une jeunette qui se trémousse sur du jazz endiablé craché par un juke-box, tout Playtex en avant devant le Doc qui ne peut s’arracher à ce spectacle, a même remis une pièce dans la machine, et les trois minutes que durent le titre lui seront fatales. Dans le casting, il y a aussi deux autres femmes. May, l’épouse d’Emmerich (malade ? infirme ?) toujours alitée, qui malgré son état de dépendance physique, garde une emprise sur son mari, démontrant que derrière le vieux beau affairiste et malhonnête, il n’y a qu’une lopette sans caractère. Doll (Jean Hagen), qui semble davantage tirer ses revenus de son corps que d’un travail « honnête », en pince pour Dix (grandiose Sterling Hayden), voit bien qu’il file un mauvais coton, et fera tout pour l’aider à s’en sortir.

Calhern & Monroe

Ce sont les hommes (ceux qui n’agissent que la nuit, quand la ville dort) et leurs interactions qui sont le cœur de l’intrigue. Huston prend du temps (indispensable, pour nous préparer à la tragédie inéluctable qui les guide) pour nous les présenter. Un peu comme dans « Seven », il nous les décrit avec en filigrane leurs péchés capitaux. Le Doc (Sam Jaffe, grand pote à Huston), c’est le besoin de luxure. Il suffit de le voir feuilleter d’un œil gourmand, un calendrier de pinups, pour comprendre que ce besoin de chair jeune et fraîche va être un sacré grain de sable dans sa trajectoire. Dix, c’est le jeu. Il est redevable à Cobby (et donc Emmerich) d’un gros paquet de dollars parce qu’il est fou de courses hippiques sur lesquelles il joue gros. Il avouera à Doll que son rêve c’est de revenir plein aux as au pays (le Kentucky) pour racheter la ferme de son paternel éleveur de chevaux. Un rêve qu’il exaucera très fugacement (magnifique dernière scène, pour une fois en plein jour, qui le verra s’effondrer au milieu de chevaux dans un enclos). Emmerich, lui, est cupide. Il a installé Angela comme une princesse, a toujours besoin de grosses sommes pour l’entretenir, se retrouve en faillite quand tout le monde le croit très riche, et en vient donc à essayer de doubler les braqueurs qu’il « sponsorise ». Cobby, c’est la lâcheté qui le perdra. Quand Dix lui demande un délai pour rembourser, il s’écrase, et quand un flic, pourtant véreux et corrompu jusqu’à la moelle lui file une paire de baffes, il se met à chialer comme un gosse et balance les braqueurs. Effet domino, tomberont avec lui le chauffeur (un barman solitaire qui préfère la compagnie des chats à celle des hommes), le perceur de coffres (rangé des voitures, mais qui fait ce dernier coup pour pouvoir soigner son gosse malade), Emmerich, Dix, le Doc, le flic ripou …

Ripoux contre ripoux ?

La présentation des personnages pourrait paraître longue (le braquage intervient peu ou prou au milieu du film) mais est essentielle pour comprendre la mécanique infernale guidée par leurs pulsions qui va s’enclencher et les perdre. Chef-d’œuvre de mise en scène d’entrée, la présentation de Dix. La pénombre, de grandes avenues miséreuses et désertes, une voiture de police qui patrouille, et Dix qui se cache dans des encoignures obscures, derrière des piliers pour ne pas se faire repérer. Sans la moindre parole prononcée, on voit tout de suite à qui l’on va voir affaire. Cette nuit, c’est le décor intangible du film. C’est le biotope des malfrats, alors que le jour appartient aux honnêtes gens.

D’une certaine façon, « Quand la ville dort » est un film moral. Les mal intentionnés finissent mal, la loi et l’ordre peuvent triompher (voir le chef de la police qui plastronne devant une meute de journalistes). « Quand la ville dort », j’en ai causé au-dessus, est un film psychologique, qui dissèque ces mécaniques de l’âme compliquées qui font dérailler les entreprises méticuleusement élaborées. Mais c’est aussi (surtout) un vrai polar tragique, avec ses scènes pleines de suspens (les braqueurs vont-ils s’en sortir quand les sirènes des alarmes mugissent ? comment va se terminer le face-à-face à quatre entre Emmerich, son homme de main d’un côté, Dix et le Doc de l’autre, et un sac plein de bijoux entre eux ? Doll réussira t-elle à sauver Dix ? le Doc échappera t-il aux flics et atteindra-t-il Cleveland ? …)

Chef-d’œuvre essentiel …





LARS VON TRIER - ANTICHRIST (2009)

 

Chemin de croix ...

« Antichrist » de Lars von Trier est un film qui suscite des réactions très variées, tant par son contenu que par sa forme. Ce long-métrage, sorti en 2009, est souvent décrit comme une œuvre provocante et dérangeante, mêlant horreur psychologique et drame existentiel.

D'un côté, certains critiques saluent la manière dont von Trier aborde des thèmes profonds tels que la douleur, la perte et la nature du mal. Les performances de Charlotte Gainsbourg et Willem Dafoe sont souvent mises en avant, leur intensité émotionnelle apportant une profondeur au récit. La cinématographie, avec ses images saisissantes et symboliques, contribue également à créer une atmosphère oppressante et troublante.

Cependant, le film a également été critiqué pour sa violence graphique et son approche parfois jugée misogyne. Les scènes explicites peuvent choquer et déranger, ce qui peut amener certains spectateurs à se sentir mal à l'aise ou à rejeter le film. De plus, la narration non linéaire et les éléments symboliques peuvent laisser certains spectateurs perplexes, rendant l'expérience cinématographique difficile d'accès.

En somme, "Antichrist" est un film qui ne laisse pas indifférent. Il peut être perçu comme une œuvre d'art audacieuse et réfléchie ou comme une provocation gratuite, selon la sensibilité de chacun. C'est un film qui invite à la réflexion et à l'interrogation, mais qui nécessite une certaine ouverture d'esprit pour en apprécier pleinement les nuances. »

Von Trier & Dafoe

Ah que voilà une analyse centriste, on sort tous les parachutes. Bon cette critique est signée Chatgpt, j’avais jamais testé l’A.I., et j’ai vite compris que n’importe qui avec trois neurones connectés sortira quelque chose de moins neuneu … Alors cher Chat etc …, voici ma contribution.

Allons droit au but comme on dit à La Jonquera. « Antichrist » est une purge, une vraie. Prétentieuse, grotesque, malsaine, et je pourrais continuer la liste. Ce qu’on voit et entend à l’écran, et pire, ce que ça sous-entend apportera une citerne d’eau au moulin de ceux qui aiment pas Lars Von Trier … moi, perso, je m’en fous de Von Trier, de ses dépressions à répétition, de ses problèmes de bibine, de ses déclarations douteuses. J’aimerais pas boire une bière avec lui, c’est un type qui m’intéresse pas.

Ses films, par contre j’en ai vu quelques-uns. De ses premiers « dogmatiques » jusqu’à ces démonstrations techniques dont « Melancholia » me semble être l’apogée.

La fille de Serge
« Antichrist » se présente sous des atours chiadés. Du gros travail sur le son, encore plus sur les images. Du noir et blanc très contrasté et hyper ralenti du « prologue », à son pendant, le ralenti en moins dans les dernières images, en passant par du traitement numérique high tech (les optiques lensbaby, genre de fish-eye à l’envers, l’insertion d’images subliminales, les bords de cadre mouvants, les rajouts ou effacements numériques, …), ça a du sens, ça voudrait prouver que le taf est pas bâclé …

J’ai poussé la conscience professionnelle (ou conscience bénévole plutôt) jusqu’à m’offrir (pour pas cher du tout d’occase) une version Dvd avec pléthore de bonus et d’extras, il faut deux disques pour tout caser. Premier truc intrigant, alors que Arte a mis des sous dans la production du film, c’est M6, pas vraiment réputée pour ses choix cinématographiques pointus, qui édite les deux rondelles. Chacun en tirera les conclusions qui s’imposent (ou pas). On a droit au commentaire audio du film par Von Trier, interviewé par un critique (et surtout fan) anglais. Le Lars a pas grand-chose à dire (peur du dérapage ?) et tape en touche genre « j’avais pas pensé à ça, là c’est juste pour plaisanter, c’est pas moi qui tenais la caméra, ça c’est juste un hommage, … ». Dans le genre langue de bois de SAV, Charlotte Gainsbourg fait dans la marqueterie d’art pendant une interview promo de trois-quarts d’heure quelques temps après avoir reçu le prix d’interprétation féminine à Cannes (pour son talent ? pour son courage ? son inconscience ? sa démarche suicidaire ?) pour son rôle dans le film, où non, franchement, elle ne pense pas du tout que le film soit choquant ou véhicule une image hyper misogyne de la femme … Bon soit. Passons et attachons-nous à ce qu’on voit à l’écran.


Première séquence (en hyper ralenti donc, genre clip « torride » de George Michael). On y voit un couple (Willem Dafoe et Charlotte G.) faire l’amour nu sous la douche. Avec pendant quelques secondes un gros plan du machin qui rentre dans le truc (effectué par des hardeurs). Arrêt sur image. C’est quoi l’utilité de ce gros plan X ? Peur que les gens comprennent pas ce qui se passait, ou première provoc totalement gratuite ? Et pendant que le couple se livre à une partie de va-et-vient comme ils disent dans « Orange mécanique » leur bambin de deux-trois ans ouvre les barrières de son lit, monte sur le rebord de la fenêtre, bascule dans le vide et va s’aplatir sur le bitume enneigé quelques étages plus bas.

Séquence suivante, image couleur classique à l’enterrement du bambin (bonne idée, procession filmée depuis l’intérieur du corbillard) et là, Charlotte (comme dans « Hiroshima mon amour », le couple n’a ni nom ni prénom) s’effondre. Des jours plus tard, elle reprend ses esprits à l’hôpital, on comprend qu’elle a complètement dévissé émotionnellement et psychologiquement. Ça tombe bien, Dafoe est thérapeute et va l’aider à remonter la pente. Pas l’idéal, c’est lui-même qui le dit, un thérapeute ne doit pas soigner un proche ni baiser avec son patient, et donc il va commettre deux fautes professionnelles.

Et avoir une très mauvaise idée. Le couple va partir se retirer au milieu des bois dans une cabane coupée du monde. Et là tout va déraper. Et pas qu’un peu ... Arrêt sur image. Ce qui va survenir dans cette cahute en rondins c’est encore plus con que ce qui arrive aux promeneurs dans « Evil dead », film qui au moins revendiquait la grosse blague gore. « Antichrist » vise plus haut que « Evil dead », c’est pas dans la cave qu’il faut pas aller, ici c’est dans le grenier, et « Antichrist » n’est évidemment pas un hommage au film qui a rendu célèbre Sam Raimi. « Antichrist » est dédié, accrochez-vous, c’est inscrit après la dernière image, à Tarkovski. Pourquoi ? Accrochez-vous bis, c’est le Lars qui le dit, parce que Tarkovski est son cinéaste préféré (soit), parce qu’il y a beaucoup de scènes en forêt (ouais, comme dans « Stalker », mais c’est pareil dans tous les Tarzan ou « Délivrance ») et parce qu’à moment donné … il pleut (parce qu’il pleut souvent dans les films de Tarkovski, mais dans « Seven » ou « Limbo » aussi, et encore plus, et c’est pas des films de Tarkovski).


Par contre ce que vous verrez pas dans la filmo de Tarkovski et que vous verrez en gros plan dans « Antichrist », c’est une espèce de torture porn à base de coups de bûche sur le gourdin, de perçage de mollet à la chignole rouillée, de fixation d’une meule au dit mollet, de plantage de ciseaux dans le dos, pour finir par une excision en très gros plan, avant strangulation définitive. Le tout entrecoupé de copulations frénétiques et d’images d’animaux sauvages en voie de putréfaction, de bras et de jambes sortant des racines d’un arbre, un renard qui parle … et pourquoi donc tout ça me direz-vous, pour démontrer quoi ?

Oh, un truc bien basique, bien vieux et bien rance. Que la femme est par nature hystérique, et peut être facilement possédée (non, pas dans ce sens, bande de pervers, dans l’autre, par le démon). Et pour que ce soit bien évident, Von Trier nous dissèque tout ça dans sa cabane dans les bois (hommage littéral de ma part à un autre nanar horrifique). Construisant pas à pas, plan par plan, sa théorie misogyne qui voit la Charlotte passer de la prostration à l’abattement, aux visions, à la perte de contrôle, à l’échafaudage secret de plans diaboliques, aux pétages de plombs hystériques du final, le tout servi par des indices grotesques (le « souffle » de Satan par la fenêtre ouverte, les manuels de sorcellerie planqués, les passages à l’acte, jusqu’à sa fin « flamboyante »). Sans oublier les théories fumeuses des « trois mendiants » (la corneille, la biche et le renard, manquait plus que la belette pour se croire dans une chanson de Manau), les pluies de glands (non, non, ceux qui tombent du chêne), et jusqu’à la dernière scène de nouveau en noir et blanc où une foule de femmes sans visage monte sur une colline dans la forêt.

« Antichrist » est un film prétentieux. Visuellement réussi. Mais c’est surtout un film très con … A fuir … J’espère au moins que ça a aidé Von Trier à sortir de sa dépression à lui …


Du même sur ce blog :

Breaking The Waves
Les Idiots


AKI KAURISMÄKI - ARIEL (1988)


 Western sous la neige ?

Bon, y’a pas toujours de la neige, y’a pas des cow-boys ou des Indiens, y’a pas de fougueux pur-sang. En l’occurrence, le fidèle destrier il est remplacé par une vieille américaine (une Cadillac ?) décapotable.

« Ariel » est le cinquième film de Aki Kaurismäki, et le premier à être connu à l’international. Faut dire que quand on est finlandais, même si on tourne (véridique) avec une caméra ayant appartenu à Ingmar Bergman, on a pas ses œuvres attendues impatiemment par le monde cinéphile.

Aki Kaurismäki

« Ariel » est au milieu de la « Trilogie du prolétariat », ainsi que définie a posteriori par Kaurismäki lui-même (entre « Ombres au paradis » et « La fille aux allumettes », d’autres films sont intercalés dont son plus gros « succès », « Leningrad Cowboys go America »).

Même si Kaurismäki a beaucoup tourné à ses débuts (quasiment un film par an dans les années 80 et 90), il n’est pas allé à hue et à dia, il y a une certaine constance dans son boulot, une certaine façon d’aborder le cinéma. Les deux références majeures de l’Aki sont Bresson et Ozu, certes pas le cinéma le plus joyeux et expressif du monde. Bresson pour le côté désincarné et taiseux, et Ozu pour la lenteur et l’émotion. Et pour « Ariel », Kaurismäki a avoué avoir fait un film à la Melville, dont on peut considérer qu’il réunit à peu près les qualités (ou les défauts, c’est selon qu’on aime ou pas) des deux précités …

« Ariel » dure une heure dix, et est un film plutôt mutique. Ça tombe bien, je pense pas qu’il n'en existe pas de version physique en français, on le trouve qu’en finnois (no, thanks) sous-titré en anglais. Donc, droit à l’essentiel. La première scène pendant que défile le générique, nous montre des mineurs quitter leur boulot la mine triste. On comprend pourquoi, quand le dernier qui passe cadenasse l’entrée du site, il y a un panneau qui indique que la mine ferme. Seconde scène, un gars, la trentaine longiligne et efflanquée (total look Nick Cave de la même époque) sur lequel s’attardait la caméra dès le début, se retrouve dans le minable troquet du coin avec un type plus âgé que lui (son père, quelqu’un de sa famille, un collègue mineur, on sait pas), qui lui donne les clés de sa bagnole, sort un flingue de sa poche, et s’en va se foutre une balle dans le caisson  dans les chiottes.


Voici donc notre héros (Taitso, bien interprété par un certain Turo Pajala) avec sa décapotable américaine vintage qui trace la route, direction le Sud et Helsinki. Comme la capote semble pas fonctionner, il s’enturbanne la tête d’une écharpe et se lance dans son périple frisquet. Il a rompu tous ses liens, est allé à la banque se faire remettre en liquide tout le fric qu’il avait sur le compte. Pas une bonne idée, alors qu’il paye son sandwich à une station service deux loulous remarquent le tas de billets, l’assomment et se tirent avec tout son pognon.

Dès lors va s’entamer une leçon de survie en milieu urbain hostile, forcément hostile pour le plouc descendu de sa province. Kaurismäki nous offre une vision pas très glamour d’Helsinki, ses docks où l’on travaille au noir pour des exploiteurs, enfin pas longtemps, le couple d’employeurs finira assez vite dans le panier à salade, laissant toutes leurs petites mains, dont notre donquichottesque héros plutôt dépourvus alors que la bise est venue, et que le minable centre d’accueil où il passait ses nuits le vire parce qu’il ne paye plus son plumard pourri …

Alors que l’on croyait que le film était centré sur le seul personnage de Taitso, arrive une femme. Irmeli (Susanna Haavisto, c’est paraît-il une chanteuse connue au pays du Père Noel) élève seule son fils (son mec s’est cassé sans laisser de traces ou donner de nouvelles) et est obligée de cumuler plusieurs petits boulots pour joindre les deux bouts (elle fait des ménages, bosse dans une boucherie industrielle, est gardienne de nuit dans une banque, et aubergine). C’est d’ailleurs quand elle tourne autour de la décapotable de Taitso, hésitant à lui coller une prune, que celui-ci survient. Coup de foudre immédiat, ils se mettent ensemble, Taitso en voie de clochardisation se remet sur le droit chemin, cherche frénétiquement du boulot, sans succès.

Par contre un jour, il croise la route d’un des deux gars qui l’ont détroussé, le course, entreprend de le rosser copieusement, se fait prendre en flagrant délit de tabassage par les flics, passe en comparution immédiate et prend un an et demi de taule ferme (peu vraisemblable, mais on s’en fout). Adieu la vie rangée aux côtés d’Irmila et les projets de mariage.

Pellonpää, Pajala & Haavisto

C’est là, aux deux tiers du film, qu’arrive un autre personnage majeur, campé par un habitué des films de Kaurismäki, Matti Pellonpää. C’est le compagnon de cellule de Taitso, un brave gars un peu demeuré qui a pris perpette ou pas loin pour meurtre. Les deux décident de s’évader. Bon, on est pas vraiment dans « Prison break » ou « Oz », mais plutôt du côté de « Down by law » ou « O’Brother ». Les deux bras cassés vont réussir leur coup, mais le plus dur commence. Faut fuir loin (Taitso a suggéré le Mexique), trouver des faux papiers auprès de truands tordus, braquer une banque pour payer le passeur, récupérer Irmila et le mouflet, et embarquer. Ils prendront pas le bateau tous les quatre (no spoil).

Deux questions se posent. La première, pourquoi le film s’appelle « Ariel » ? On a l’explication à la toute dernière image, alors que passe en fond sonore une version de « Over the rainbow » (en finlandais, of course). La seconde, plus importante, est-ce que « Ariel » est un bon film ? Yes, Sir. Kaurismäki a le sens de l’épure, fait dans le cinéma social, rend hommage (les dernières bobines sont vraiment du pur Melville), et on sent une réelle empathie pour ses personnages de loosers (les situations comiques ou loufoques ne les ridiculisent pas, au contraire elles les rendent plus humains).

Allez, guettez les programmes du câble, « Ariel » dure pas longtemps, c’est pas un film majeur, mais c’est bien comme tout …





SERGUEÏ PARADJANOV - LES CHEVAUX DE FEU (1965)

 

Tristan et Iseut revisited ...

Peut-être (certainement ?) parce qu’y tourner des films était plus compliqué qu’ailleurs, l’URSS a engendré deux réalisateurs hors normes, Tarkovski et Paradjanov. Tarkovski est parti d’une certaine forme de classicisme (« L’enfance d’Ivan ») pour atteindre son apogée avec « Solaris » et « Stalker » où s’enchevêtrent réel et irréel, métaphysique et mysticisme. Des films compliqués, ardus mais qu’on peut « suivre ». Tarkovski bouscule les thématiques habituelles, mais respecte les « codes » techniques du cinéma.

Sergueï Paradjanov

Paradjanov, c’est à ma connaissance un cas unique. Au moins pour ses deux films les plus connus, chronologiquement « Les chevaux de feu » et « Sayat Nova » (« La couleur de la grenade » en français). Ces deux films, il faut les voir une fois dans sa vie, et on est sûr de ne jamais les oublier. Rien ne ressemble de près ou de loin au cinéma de Paradjanov.

Vous croyez avoir tout vu sur un écran résultant du maniage savant de caméra, ben oubliez. Oubliez Gance, Welles, Kubrick, le tout numérique de Cameron, et tous leurs semblables … Première scène des « Chevaux de feu ». Un enfant avance dans la neige. Cut. Dans une forêt de pins gigantesques, un bûcheron est en train d’abattre un arbre à la hache. Cut. Le gosse s’approche, il apporte un casse-croûte au bûcheron. Cut. L’énorme pin vacille et s’abat. Cut. L’enfant lève la tête et voit qu’il est sur la trajectoire de la chute. Cut. Le bûcheron (son frère ? son oncle ?) se précipite et projette l’enfant sur le côté. Cut. C’est lui qui se fait écraser par le pin. Cut. Cet enchaînement de séquences a duré, quoi, trente secondes. Vous vous dites, mais Lester, qu’est-ce que tu racontes, on a vu ça des centaines de fois. Ben non. Parce que quand l’arbre tombe, la caméra est en haut du branchage, y’a une image vertigineuse de la chute du pin. Et comme on est au milieu des sixties, c’est pas du numérique avec un écran vert sur le fond. Je préfère pas savoir dans quel état ils ont retrouvé la caméra … Et pendant l’heure et demie qui suit, on va avoir sur l’écran des trucs totalement fous.


Et pas parce que le type qui tient la caméra (en l’occurrence le chef-opérateur Youri Illienko) serait un épileptique qui filmerait comme s’il était dans un wagon sur un manège de montagnes russes. D’ailleurs les montagnes du film, elles sont pas russes, mais ukrainiennes. Ce qui, même à l’époque, signifiait pas mal de choses. Brejnev (pourtant natif d’Ukraine) et ses potes du Parti à chapka ont pas aimé le film, mais alors pas du tout. Pour plusieurs raisons, parce qu’il est tourné en ukrainien et pas en russe. Parce que la religion, le mysticisme, et à la fin la « sorcellerie » paganique y tiennent une immense place. Et parce que rien, même pas en filigrane, n’y exalte les glorieuses vertus du socialisme. Paradjanov le paiera cher, il fréquentera pas mal les prisons soviétiques, et quand il en sortira, ce sera généralement pour tourner un film qui le lui renverra direct, en prison, sans passer par la case départ et sans toucher vingt mille roubles …

« Les chevaux de feu » se passe dans les Carpathes ukrainiennes, on sait pas quand, en tout cas avant l’apparition des engins à moteur. Les Carpathes de Paradjanov, c’est pas celles de Dracula ou de la Hammer. Ce sont les Carpathes des immensités montagneuses perdues, où vivent des communautés villageoises hors du temps, dominées par des rituels religieux ou mystiques (une bonne moitié du film se passe lors d’enterrements, de mariages, de fêtes votives, …).

Unis pour la vie ?

Le gosse qui a failli se faire écrabouiller par le sapin, il s’appelle Ivan(ko). Lors de l’enterrement de son sauveur, il quitte la procession pour aller jouer avec une gamine, Maritchka. Sauf que leurs familles respectives se détestent depuis des générations. Et l’enterrement vire encore plus au drame quand le père de Maritchka tue le père d’Ivan à coups de hache (avec, paraît-il pour la première fois à l’écran, le sang qui ruisselle sur l’objectif de la caméra). Ce qui n’empêchera pas les enfants devenus ados, en se planquant de leurs familles, de jouer ensemble, puis de flirter, et de se promettre de se marier. Mais voilà, Ivan est pauvre, et avant d’épouser Maritchka, il doit aller gagner sa vie chez un berger. Le jour prévu de son retour, Maritchka part à sa rencontre, et en voulant sauver un agneau, glisse d’une falaise et se noie dans un torrent. On n’en est pas à la moitié du film.

Et on en a pris plein les yeux. Parce qu’il y a dans « Les chevaux de feu » un énorme travail sur l’image et les couleurs, notamment grâce aux tenues traditionnelles des paysans lors des fêtes et cérémonies, aux couleurs vives, dominées par le rouge. Et puis le montage qui va alterner gros plans sur les visages, dont les expressions en disent plus que de longs discours, et cadrages millimétrés sur des paysages immenses, dans lesquels l’homme apparaît minuscule.

En fait, dès la mort de la bien-aimée, on s’aperçoit que les couleurs vives qui tendaient même vers la saturation, vont tout à coup disparaître. Quelques scènes au milieu du film sont tournées en noir et blanc à gros grain, avec des contrastes très atténués, tout semble gris … comme l’état d’esprit d’un Ivan inconsolable. Et quand les couleurs reviennent sur l’écran, c’est parce qu’Ivan vient de rencontrer une autre fille, Palagna. Mais les couleurs ne sont pas aussi vives qu’au début, le souvenir de Maritchka est encore et toujours présent, il pense à elle, la voit dans l’encadrement d’une fenêtre … La aussi, j’ai pas le souvenir d’avoir vu un film où le traitement des couleurs est raccord avec l’état d’esprit du personnage …  Même s’ils finissent par se marier, on sent pas Ivan très concerné par la vie matrimoniale. Palagna aura beau l’aguicher, Ivan est « ailleurs ». Même  des rites païens entrepris par Palagna (dont des déambulations nocturnes dénudées suivies de prières et d’incantations) n’y changeront rien.

Pire, comme elle est jeune et belle, elle va attirer l’attention d’une sorte de sorcier du village et tomber dans ses bras. Dès lors, la tension va monter entre le mari et le mage de pacotille, pour culminer lors d’une explication finale dans une auberge. Evidemment à coups de hache, puisqu’on en région forestière. Bon, je spoile (quoiqu’ayant évoqué Tristan et Iseut au début, pas besoin d’être grand devin pour savoir qui va ramasser un coup de hache). Une fois Ivan mortellement blessé, le rouge orangé envahit l’écran (comme le sang qui ruisselle sur le visage et devant les yeux), jusqu’à la saturation complète de l’image. Quand les couleurs redeviennent vives, c’est pour assister aux préparatifs de l’enterrement d’Ivan …


On est avec « Les chevaux de feu » beaucoup plus dans l’allégorique et le symbolique (quand le sorcier besogne la femme d’Ivan, un grand arbre isolé explose et se consume, quand Ivan pense à Maritchka, une étoile se met à beaucoup briller dans le ciel) que dans le réalisme pur. Le film est un poème en images (très peu de dialogues, beaucoup de musiques traditionnelles, le film s’inspire des us et coutumes d’une petite communauté ethnique). Paradjanov jongle avec les contre-jours, multiplie les contre-plongées (y compris dans l’eau), au milieu de mouvements de caméra insensés (la procession filmée à travers les taillis par une caméra – ou un cameraman – tournant à toute vitesse autour d’un axe, c’est du psychédélisme en accéléré …), de décors naturels noyés par un brouillard très impressionniste. Quelques plans à la Terrence Malick où des lichens sur des rochers ou des écorces d’arbres sont filmés en très gros plans, font aussi des « Chevaux de feu » une ode à la nature d’autant qu’il est décomposé en douze séquences précisées par de gros intertitres, censées évoquer la succession des douze mois (l’histoire elle se déroule sur plusieurs années). Le film se conclut par un énigmatique plan fixe sur huit enfants qui regardent chacun à un carreau de fenêtre …

J’en ai dit beaucoup, mais je répondrai pas à la question ultime : pourquoi « Les chevaux de feu » ?

Un dernier conseil : j’ai écrit plus haut qu’il faut absolument voir ce film et « Sayat Nova ». Ne commencez pas par « Sayat Nova », au moins aussi beau, mais totalement déroutant, « Les chevaux de feu » sont la porte d’entrée prioritaire et la plus « simple » à l’œuvre toute particulière de Paradjanov …


SPIKE LEE - 24 HEURES AVANT LA NUIT (2002)

 

Demain dès l'aube ...

Ce film est répertorié sous plusieurs titres. Aux USA et parfois en français c’est « The 25th Hour » (« La 25ème Heure » pour ceux qui avaient pris estonien en première langue), mais si on veut pinailler son titre original c’est « Spike Lee’s 25th Hour ».

En fait, « 24 Heures avant la nuit » (ça, faut avouer que c’est un titre qui claque et intrigue à la fois), c’est le titre du bouquin qui a été adapté. Le type qui vient de publier « 24 Heures … » (mais pas trouvé le titre, c’est son éditeur qui le lui a suggéré) est un jeune trentenaire inconnu du nom de David Benioff. Qui restera pas trentenaire et encore moins inconnu puisque c’est lui le showrunner (adaptation et production) derrière la série événement de ce premier quart de siècle, « Game of Thrones ».

Norton, Hoffman & Lee

Son bouquin est typiquement newyorkais, toute l’action s’y déroule (hormis le final du film on y reviendra), tous les personnages sont viscéralement attachés à cette ville, que pour la plupart ils n’ont jamais quittée. « 24 Heures … » raconte la dernière journée de liberté de Monty Brogan qui doit le lendemain se présenter dans la prison d’Etat d’Otisville pour y purger une peine de sept ans (vente, recel et détention de drogues et du pognon qui va avec).

Premier intéressé par l’adaptation au cinéma, Tobey Maguire qui souhaite produire et tenir le rôle principal. Sa participation dans le rôle titre de la franchise Spider-Man l’empêchera de jouer dans le film mais il restera coproducteur. Se pointe alors Spike Lee qui a lu le bouquin. Il lui a plu, et il se doit de faire avancer le projet (selon lui, seul un réalisateur newyorkais peut réaliser, c’est pas le style de Woody Allen, Scorsese est occupé ailleurs, c’est donc à lui de s’y coller). Tours de table infructueux, Lee met un peu de pognon, cherche des distributeurs et trouve un improbable partenariat avec Disney, avec qui il faudra discutailler parce que « 24 Heures … » a peu à voir avec les histoires de Mickey … Et Lee et les acteurs principaux le confirment, ils ont joué pour pas grand-chose (soi-disant 10% de leurs cachets habituels).

Brian Cox & Edward Norton

Avec Spike Lee derrière la caméra, on a affaire à un réalisateur « clivant ». Une bonne part de sa filmo est plus ou moins « communautariste » (tous ses premiers, de « Nola Darling … » à « Malcolm X », et quelques-uns ensuite), l’homme est adepte de déclarations parfois « embarrassantes », et ses clashs avec notamment Tarantino et Eastwood ont secoué le petit monde du 7ème art hollywoodien. Avec « 24 Heures … » Spike Lee va s’attacher à un nouveau genre qu’il développera par la suite, le polar (« Inside Man », « BlacKkKlansman », …). Quoiqu’on pense du type Spike Lee (je suis pas très fan), il faut reconnaître qu’il sait faire des films. Et qu’il a une « patte », ces tics qui l’identifient immédiatement. Ici, ce sont les faux raccords (genre le Godard de « Pierrot le Fou ») quand les protagonistes se donnent l’accolade (embrassades doublées avec prise de vue différente, ça dure un quart de seconde, c’est pas une erreur de montage), et les travelling « immobiles » (l’acteur statique et la caméra sur les rails, c’est le second plan qui bouge et s’éloigne).

Autant le dire, « 24 Heures … » est un des meilleurs Spike Lee. D’abord, parce que contrairement à ce que pourrait laisser penser le titre, tout se passe pas dans une journée et une nuit. Il y a beaucoup de personnages principaux (le dealer, sa copine, son paternel, son principal intermédiaire, ses deux amis d’enfance, une lycéenne) et donc nécessité de quelques flashbacks pour comprendre tout ce qui va se passer dans ces fameuses 24 heures. On est dans la tragédie, souvent cornélienne, mais pas strictement dans la règle des trois unités.

Norton & Dawson

Le personnage principal, c’est Mont(gomer)y Brogan, interprété par Edward Norton qui trouve là un rôle « fort », à l’image de ceux qui l’ont révélé dans « American History X » et « Fight Club ». Monty est un dealer « chic », bien sapé, bel appart, jolie meuf (une Portoricaine d’origine, Naturelle Riviera jouée par Rosario Dawson). Son meilleur pote dans ce business est un massif Ukrainien, Kostya (le monumental Tony Siragusa, ancien lutteur et joueur pro de foot américain, presque deux mètres et 0,15 tonne). C’est eux que l’on voit dans la première scène du film, récupérer à l’initiative de Monty un chien bâtard tabassé et abandonné au bord d’une rue, quelques mois (années ?) avant les fameuses « 24 Heures … ». Le clébard, qu’on voit parfois avec Brogan sur l’affiche du film est de plusieurs scènes, mais n’apporte rien à l’histoire. Il est là pour souligner le côté humain de son nouveau maître. Qui certes n'est pas dans les clous vis-à-vis de la loi, mais qui passe pas les « limites ». Il a pas de flingue, c’est pas un violent, il est un jeune mec smart qui « dépanne ».

Il est resté pote avec ses deux copains de lycée voire d’avant, Frank (Barry Pepper), beau gosse trader plein aux as, et Jacob (Philip Seymour Hoffman) prof dans le lycée qu’ils ont fréquenté, a des relations assez conflictuelles avec son père veuf (Brian Cox), ancien alcoolique repenti et tenancier de bar. Pour sa dernière journée (et nuit) de liberté, Monty entend renouer avec son père et souhaite que ses deux vieux potes l’accompagnent avec sa copine dans un bar chic et ensuite dans une boîte tenue par ses fournisseurs de dope (des Russes forcément mafieux) qui lui ont préparé une belle soirée …

Pepper, Hoffman & Norton

C’est pas avec ça qu’on tient plus de deux heures à l’écran. L’intrigue principale (l’angoisse de la taule, sept ans pour la première fois, ça travaille l’esprit et va forcément jouer sur sa relation avec ses proches), accessoirement le pourquoi de la taule (découvrira t-il qui l’a balancé, parce que les flics chez lui sont allés droit au canapé où étaient planqués les billets et la dope).

Ce qui rajoute de l’intérêt à ce film, ce sont les longues discussions entre les protagonistes (Frank et Jacob se donnent rendez-vous chez Frank, ils vont manger un morceau dans un restau asiatique, ils attendent avec Naturelle au bar l’arrivée de Monty, puis vont à la soirée en boîte). Norton est très bon, dans le type au bord de l’abîme. Pepper aussi, dans le rôle du beau gosse friqué sûr de son charme et de sa réussite sociale. Et Philip Seymour Hoffman, comme toujours crève l’écran. Timide et complexé maladif, on le voit en cours se faire allumer par une gamine de seize ans (belle composition d’Anna Paquin), que pas de bol pour lui, il va retrouver par hasard dans la soirée en boîte. Chaque apparition de Hoffman est un régal. Il faut le voir avec ses deux potes beaux gosses tirés à quatre épingles, lui avec sa casquette de baseball, ses binocles, ses fringues informes et son allure rondouillarde, subissant totalement toutes les situations. Effet renforcé par Spike Lee qui le filme le plus souvent en plongée alors que ses interlocuteurs sont filmés en contre-plongée.

Et puis, y’a encore autre chose. « 24 Heures … » est un des premiers films (si ce n’est le premier) sorti après le 11 Septembre et qui y fait référence à de multiples reprises. Passée la première scène avec le chien, on a le générique sur fond de rayons lumineux qui se croisent, puis des vues panoramiques de New York la nuit. Et quand les immenses rayons lumineux reviennent à l’écran, on s’aperçoit avec le zoom arrière qu’ils proviennent des gigantesques projecteurs éclairant le ciel et situés à l’emplacement des deux tours du World Trade Center dégommées par les terroristes kamikazes de Ben Laden. Et tout au long du film, on voit les drapeaux américains accrochés aux fenêtres, aux murs, sur le vieux break du paternel à Monty dont le bar est le « siège social » d’une escouade de pompiers décimée lorsque les tours se sont effondrées. Il y a une scène magnifique lorsque Jacob et Frank se retrouvent dans le très chic appartement de celui-ci. Ils discutent face à une grande baie vitrée, la caméra est dans leur dos, se rapproche, passe par-dessus leurs épaules et nous montre en plongée les gros engins de déblaiement qui travaillent sur Ground Zero. Après de longues minutes de discussion, fin de la scène avec un gros plan sur des hommes avançant en ligne et balayant le terrain dégagé à la recherche du moindre débris humain permettant grâce à l’ADN l’identification des restes de la victime. Tout cela réalisé sans trucage, la scène a été tournée dans un immeuble à proximité immédiate de Ground Zero …

Ground Zero

Une autre scène est indissociable du film. Il s’agit d’un long monologue de Norton, face à un miroir (ce sont ses pensées, grâce au numérique, il est de trois-quarts dos et parle, tandis que son reflet reste muet), qui hurle quasiment sa colère, voire son mépris et sa haine pour tous ceux qui défigurent, ont défiguré, en gros sont indignes d’habiter dans « sa » ville. C’est pas nationaliste, c’est pas raciste, mais tous ceux qui sont pas « dans l’esprit » en prennent pour leur grade (des épiciers coréens aux chauffeurs de taxis pakistanais, en passant par les jeunes Blacks qui jouent bêtement au basket, sans oublier Ben Laden, j’en passe et des furieuses répliques cinglantes, ça dure bien cinq minutes). Et le dernier tête à tête entre les trois potes à la sortie de boîte alors que le jour se lève vaut aussi le détour …

Le scénario est millimétré, ça fait pas auberge espagnole où on passe du coq à l’âne, il y a une grande fluidité, aucune histoire dans l’histoire n’est oubliée. Perso, y’a juste un truc sur lequel j’émets des doutes. Lorsque son père conduit Monty à la prison, il lui propose de tracer la route et de disparaître à l’autre bout des States au lieu d’aller en taule. Des scènes oniriques (tournées au Texas) nous montrent ce que seront les décennies suivantes si Monty choisit cette option. Je trouve ça plutôt long et maladroit, ça a surtout donné du boulot aux maquilleuses chargées de vieillir Norton. Spike Lee y tenait à ces scènes (c’était pas dans le bouquin de Benioff). Le dernier plan de quelques secondes nous indique le choix qu’a fait Monty.

Grand et beau film, un des deux ou trois meilleurs de Spike Lee, jusque dans son générique final, rythmé par une superbe version réarrangée avec grand orchestre de « The Fuse », validée par son auteur, remercié en tant que Bruce « Da Boss » Springsteen …


Du même sur ce blog :

Do The Right Thing