Et la lumière (bleue) fut ...
La bio de Don Covay, elle coche tellement toutes les (bonnes) cases que c’en est limite cliché … Au hasard et en vrac, énième rejeton né dans les années 30 parmi une demi-douzaine de frères et sœurs d’une famille pauvre avec paternel prêcheur, le Don a fait ses classes dans les chorales gospel de l’église à papa, a tâté du groupe doo-wop, savait jouer de plein d’instruments, composait, chantait, a commencé sur scène en première partie de Little Richard. Son premier petit succès en 1964 sera un titre qu’il a écrit (« Mercy mercy ») qui se retrouvera illico sur un disque des Stones. Trois ans plus tard, une autre de ses compositions (« Chain of fools » en haut des charts US) ouvrira le très successful « Lady Soul » d’Aretha Franklin. Don Covay est maintenant connu dans le milieu …
Mais pas pour autant reconnu de l’amateur de musique
lambda. Il a sorti sous son nom une paire de disques qui selon l’expression
consacrée, n’ont pas trouvé leur public. « The
house of the blue lights » est sa troisième livraison. Il a regroupé autour de lui
quelques fines gâchettes des studios, et baptisé son band hétéroclite (black
& white) du nom ronflant de Jefferson Lemon Blues Band (que ceux qui n’ont
pas compris la filiation se fassent connaître, il y a une bordée d’insultes à
gagner).
On trouve dans le JLBB des gens aussi divers que le guitariste Joe Richardson (a tourné avec Chuck Berry et composé avec Alan Wilder de Depeche Mode, c’est dire si le gars est éclectique) ou John Hammond Jr. à l’harmonica et la guitare rythmique (le fils de son père, qui a signé - et généralement découvert - pour Columbia Billie Holliday, Aretha Franklin, Dylan, Cohen, Springsteen, et une palanquée d’autres à peine moins connus …). Rajoutez une section rythmique, une autre guitariste (Margaret Williams), plus parfois des cuivres, un piano, un B3 (les types sont pas crédités) Covay chante, tient la guitare lead, a composé la plupart des titres et produit l’album … Et donc avant même de l’avoir écouté, on sait qu’il va y avoir de la guitare (quatre, enterrés les bouseux sudistes à venir), du blues, et de la jam …
No surprise, on a tout ça … pour un résultat ma foi,
plutôt convaincant. Bon, « The house … » n’est pas un classique du
genre (blues, rhythm’n’blues, soul, machin, truc, …), même pas un classique
oublié. Plutôt une bonne surprise tant la rondelle semble oubliée des amateurs
(qui comme leur nom l’indique, s’extasient soit pour les classiques que tout le
monde connaît et/ou d’imbitables machins obscurs). Le Don, il sait se tenir
devant un micro (voix plutôt malléable, qui ne se cantonne pas à un seul registre),
sait se servir d’une guitare, et compose des titres, qui s’ils ne lui
apporteront pas gloire et fortune, n’ont rien de honteux. Parenthèse, j’ai pas
la moindre foutue idée de comment sonnait le vinyle original, mais la réédition
Atlantic 1000 (?), remastérisée par les Japonais pour le marché japonais, sonne
du feu de Dieu, et pour le même prix (un billet bleu d’occase environ) qu’un
vinyle d’époque crachotant, ou une réédition Cd asthmatique, vous avez la
foudre dans les haut-parleurs …
Bon, un disque de black music se doit de rendre
hommage aux anciens du truc. Ici, ça ne tarde pas. Première piste, le
« Key to the highway » de Big Bill Broonzy. La version de Covay
essaie déjà d’extrapoler du pur blues c’est pas mal, même si on a forcément l’oreille
parasitée par les multiples versions (parfois excellentes) qu’en a donné
Clapton (entre autres). On peut zapper les deux titres suivants, le correct
sans plus blues-rock « Mad dog blues », et le feignasse « The
blues don’t knock » égayé par son piano.
Les choses plus sérieuses commencent avec « Blues ain’t nothin’ … », rhythm’n’blues avec harmonica, fouillis sonore, qui ravira les amateurs des premiers Rolling Stones. Suit la pièce centrale qui donne son titre au disque. Divisée en deux parties, elle clôturait chaque face du vinyle original. « The house of blue lights Pt 1 » est introduit par un orgue Hammond. Ce titre bluesy très lent est ensuite, non pas chanté, mais crié, hurlé par Don Covay, on a droit à quelques solos de guitare (Covay aussi) qui s’entrelacent avec le B3. Un peu plus de sept minutes qui ridiculisent la plupart de la concurrence, pourtant nombreuse et pas forcément manchote de l’époque. Grand classique inconnu (ou à peu près). La Pt 2 est plus courte, plus expérimentale (incantations a capella genre prêcheur fou, quelques notes de sitar) avant de revenir sur le thème du titre où en plus du Hammond B3, c’est l’harmonica qui est mis en avant.
Avant cette Pt 2, de bonnes choses. Un hendrixien « Four
women », rhythm’n’blues tout en syncopes et saturation avant une échappée dans
une faille spatio-temporelle avec « Steady roller ». Titre a priori
enregistré live en studio, c’est un duo entre Covay et Hammond, et c’est
surtout la meilleure imitation de Robert Johnson jamais entendue. Evidemment,
ils s’y mettent à deux pour recréer son jeu de guitare, le son est très approximatif,
y’a quelques pains et hésitations, on entend les deux compères taper la mesure
avec le pied, et Covay imite la voix aigue et nasillarde de l’homme qui a
pactisé avec le diable au fameux crossroads. Amusant et bluffant.
Le titre le plus dément arrive ensuite. « Homemade
love » qu’il s’appelle. Intro au piano, rythme soul alangui, avant une accélération
rhythm’n’blues ponctuée par une escouade de cuivres et un duo vocal entre Covay
et sa guitariste Margaret Williams, impressionnante avec sa voix hurlée suraiguë.
Redoutable machine à groove et mélodie qui il me semble bien cite le « Dancing
in the streets » de Martha & the Vandellas. Accalmie puis nouvelle
accélération au final du titre qui là fait penser au Joe Cocker frisant l’épilepsie
à Woodstock. Parenthèse, je suis preneur d’infos sur Miss Williams dont même
les pages Wikimachin en anglais semblent ignorer l’existence …
« But I forgive you blues » et « Shut
your mouth » marquent moins les esprits, le premier est du classic blues-rock,
le second un rhythm’n’blues au tempo enlevé comme on en entendait sur toutes
les rondelles de l’époque …
Ce « House of blue lights » restera la masterpiece de
la discographie guère pléthorique de Don Covay. Je connais pas sa bio, mais je
pense que ses activités d’auteur et de producteur suffisaient à son bonheur, il
semble pas avoir recherché fortune et gloire à tout prix …
Je conseille l’achat de ce « House of blue
light ». Ne vous trompez pas, y’a une purge de Deep Purple qui s’appelle
pareil …