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MICHAEL MANN - HEAT (1995)

 

Take Heat ...

… et pas leave it …

« Heat » est un film comme on n’en a pas fait beaucoup et comme on n’en fera plus.

Quand il est sorti (avant les fêtes de Noel 1995, carton commercial certifié), il réunissait les deux plus grosses stars de l’époque, Pacino et DeNiro. Une première, même si oui, je sais, ils avaient été à l’affiche sur « Le Parrain 2 » de Coppola, mais l’un jouant le père de l’autre grâce à un montage tout en flashbacks, ils n’avaient aucune scène en commun. Dans « Heat », ils en ont une (enfin deux, avec la scène finale) au milieu du film, qui a fait couler beaucoup d’encre et entretenu les supputations les plus folles, j’en recauserai forcément plus bas.

Mann, Pacino & DeNiro

Mais ce n’est pas ce tête-à-tête qui a le plus marqué les esprits. Il y a dans « Heat » une scène de braquage suivie d’une fusillade (en tout douze minutes) qui a scotché les spectateurs sur leurs fauteuils, fusillade à faire passer celles de Peckinpah (dans « La horde sauvage » notamment) pour un diner aux chandelles.

Et surtout, parce que « Heat » est, entre autres, un film à grand spectacle, absolument toutes les scènes sont tournées en extérieurs. Enfin, toutes sauf une, pour des raisons visuelles. C’est la scène ou DeNiro et sa copine Eady (Amy Brenneman) sont appuyés la nuit sur la rambarde d’une terrasse qui domine Los Angeles. Mann explique (j’ai pas tout compris) que pour des histoires techniques (profondeur de champ, focales, nombre d’images par seconde, …), les acteurs avaient joué devant un rideau vert, l’immense étendue illuminée de la ville avait été filmée du même endroit, les deux images étant ensuite superposées au montage. Inimaginable aujourd’hui après l’affaire Alec Baldwin que des acteurs se tirent dessus pendant dix jours (durée de la mise en boîte de la scène de la fusillade) avec de vraies armes de guerre chargées à blanc, en centre ville avec des dizaines de figurants et des centaines de badauds hors champ. Inimaginable après le 11 Septembre de passer des nuits à filmer la scène finale dans un aéroport (et pas n’importe lequel, le plus grand de L.A.), avec des types qui jouent au chat et à la souris au milieu de vrais avions qui décollent et atterrissent.

« Heat » vient de loin. Du début des années 60 à Chicago. Où un flic, le chef de la brigade criminelle de la ville, y traque le gangster number one.  De tentatives ratées de flagrant délit, en rencontre autour d’un café, où les deux se promettent un take no prisoners s’ils se retrouvent face à face, jusqu’à un affrontement final à la sortie d’un casse. Le truand a quarante neuf ans, dont vingt cinq passés en taule. Le flic s’appelle Charlie Adamson, c’est devenu un pote à Michael Mann. Le truand s’appelle Neil McCauley. Neil McCauley ? Ben oui, comme le personnage joué par DeNiro dans le film.

Les voleurs

« Heat » est quasiment un biopic, transposé dans le Los Angeles des années nonante. Je devine la question du type qui suit, mais alors pourquoi le flic s’appelle Vincent Hanna et pas Charlie Adamson ? Parce que son personnage dans « Heat » est une compilation de trois flics qu’a côtoyés Michael Mann. « Heat », pour Mann, c’est le film d’une vie. En pré-projet depuis des années, il reste sa masterpiece, malgré une filmo où il n’y a pas que de furieux navets (« Le sixième sens » « Le dernier des Mohicans », « Collatéral », « Ali », « Miami Vice », …). Dans « Heat », Mann produit, réalise et a écrit le scénario, rien que ça … Et on parle pas de griffonner une histoire sur un coin de nappe de restaurant, de sortir le chéquier, et de laisser deux stars en roue libre jouer comme elles le sentent. La pré-production et les repérages (95 endroits ont été utilisés dans Los Angeles, certains sont quasiment devenus des lieux de pèlerinage touristique comme le diner où a lieu la discussion Pacino-DeNiro) ont pris des mois, Mann a passé des semaines avec le chef de la police du LAPD (qui est présent dans une scène, c’est lui le réceptionniste de l’hôtel où McCauley vient traquer Waingro à la fin), tout le casting a été envoyé au contact de vrais taulards (notamment à San Quentin et Folsom, la pire de toutes les prisons californiennes, c’est là que Mann a rencontré un dur de dur, Eddy Bunker, devenu depuis écrivain et conférencier, et à l’origine du personnage joué dans le film par John Voight), et entraîné au tir à balles réelles par des instructeurs militaires (anecdote, le superviseur montrait aux bidasses d’élite en formation le passage où en pleine baston, Val Kilmer recharge son fusil mitrailleur, manière de montrer les bons gestes et la vitesse à acquérir). Aussi fort, l’identification criminelle et les légistes sur la scène du braquage du fourgon blindé sont de vrais flics spécialisés, l’infirmière aux urgences quand la belle-fille de Hanna (la toute jeune Natalie Portman) a tenté de se suicider est la vraie chef infirmière du service des urgences … Et la plupart des personnages du film, s’ils n’appartiennent pas à l’histoire initiale Adamson – McCauley sont issus de gens ayant réellement existé (les personnages de Val Kilmer, Ashley Judd, Waingro, …). Encore plus fort (ou plus fou), Mann pour les acteurs principaux (une bonne dizaine), a rédigé leur biographie (d’où ils viennent, leur « palmarès », combien d’années de taule, comment ils se sont connus, combien de mariages, de divorces, d’enfants, etc …), ce qui sera en partie l’objet du bouquin « Heat 2 » qu’il écrira, en même temps prequel et sequel (narrant par exemple ce qu’est devenu Chris Shiherlis, le personnage joué par Val Kilmer) de l’histoire racontée dans le film …

Willie Nelson ? Non, John Voight

Quand sur le générique qui défile, on entend Moby,ce qui entre parenthèses est une partie d’un choix musical pointu à l’époque, où le technoïde chauve vegan côtoie Brian Eno, le Kronos Quartet, Lisa Gerrard, William Orbit…, (et parmi les petits rôles, on a le punker hardcore Henri Rollins et le rappeur Tone-Loc…), on est devant l’écran depuis deux heures cinquante. « Heat » est un film-somme, et surtout pas un affrontement à réduire à celui de ses deux acteurs principaux. Tous les seconds rôles ont leur histoire, et pas pour meubler. « Heat » est affaire de détails. La somme de tous ces détails, tous ces grains de sable qui à un moment viennent enrayer une mécanique imparable (un surnom lâché par le dingue Waingro lors du premier braquage sanglant permettra à Hanna de remonter la filière, un mouvement brusque d’un flic en planque dans un fourgon fera avorter une opération de flagrant délit, …).

« Heat » fonctionne à tous les niveaux. On peut se contenter du basique, le polar énergique où le gendarme course le voleur, si on veut aller plus loin mater le jeu en parallèle des deux stars du générique, ou encore aller au tréfonds des personnages secondaires. Avec un personnage principal non cité au générique, la mégalopole de Los Angeles de tous les plans, surtout de nuit, avec des moyens conséquents pour la filmer (trois hélicos).

Les gendarmes

L’histoire de « Heat », c’est celle d’une bande de braqueurs « expérimentés » multirécidivistes et multi-emprisonnés aussi. Leur cerveau, c’est Neil McCauley, maniaque de l’organisation détaillée et qui a construit sa vie de façon quasi philosophique par rapport à son métier. Il habite un superbe appart, mais juste meublé avec le minimum vital, un lit, une table, une paire de chaises, une cafetière, un frigo, parce qu’il a théorisé son métier en fonction des risques qu’il prend (aucune relation affective, aucune liaison féminine durable, et il se fait fort en trente secondes de tout lâcher et fuir hors de portée des flics). Le seul pour qui il témoigne un peu d’affection, est le plus jeune de la bande (excellement joué par Val Kilmer, plus crédible là qu’en chanteur des Doors), dont il essaye tant bien que mal de sauver le couple (Ashley Judd joue sa femme, ils ont un bambin) plus ou moins à la dérive (ils s’engueulent souvent, elle a des amants). Manque de bol, un de la bande se retrouve en fauteuil roulant au moment de faire un gros coup (le braquage de titres au porteur dans un convoi de fonds), et un fêlé impulsif (Waingro) est recruté au pied-levé. Le nouvel arrivant de la bande ne va rien trouver de mieux que de buter sans raison un convoyeur, entraînant un carnage (deux autres morts). Ce sont ces trois macchabées qui vont faire que le chef de la brigade criminelle, l’inspecteur Vincent Hanna va se retrouver sur l’affaire. Dès lors, il va tout mettre en œuvre pour retrouver la bande de braqueurs et la mettre hors d’état de nuire, aidé malgré eux par le narcotrafiquant à qui on a piqué les titres au porteur et le taré suprématiste Waingro (là, faut avoir l’œil, on l’aperçoit bedaine à l’air dans une chambre d’hôtel, il a parmi de nombreux tatouages une croix gammée sur le nombril, quand je vous disais que Mann est un maniaque …).

Waingro

« Heat », en plus de proposer une traque flic-délinquant classique, va se centrer sur les personnalités du flic et du braqueur. Là où dans l’immense majorité des films la vie personnelle des protagonistes ne sert qu’à remplir des bobines entre deux scènes d’action, elle est ici le cœur de l’histoire. McCauley va tomber amoureux d’une provinciale venue bosser dans une bibliothèque où il se rend souvent, s’informant en permanence des dernières nouveautés en matière d’explosifs, de métaux, etc … Dès lors, le solitaire va se retrouver « attaché » et la rigueur de son raisonnement va s’en trouver affecté. De son côté Hanna en est à son troisième mariage (sa femme aussi) et il doit gérer sa belle-fille, une gamine à tendance dépressive, déboussolée par le mode de vie du couple.

A première vue, dans « Heat », DeNiro et Pacino, c’est le ying et le yang, l’un est d’une austérité rigide, l’autre un excité impulsif fonctionnant à l’instinct (l’interrogatoire des indics, l’extraordinaire scène quand rentrant chez lui à pas d’heure il trouve l’amant de sa femme affalé sur le canapé et matant « sa » télé). DeNiro est sobre comme rarement, ce qui en soi est un exploit et Pacino crève par contraste l’écran. Ce n’est suggéré nulle part dans le film, mais quand il a lu le script et « visionné » son personnage, il est allé trouver Mann et lui a dit que Hanna serait le plus souvent sous coke. En fait, McCauley et Hanna fonctionnent de la même façon, avec un professionnalisme à toute épreuve et des principes stricts. Ce que l’on voit lors de la fameuse scène où ils prennent un café ensemble. On a beaucoup écrit sur cette scène. Invraisemblable, oui, mais elle a réellement eu lieu dans l’histoire originelle à Chicago, à peu près dans les mêmes conditions et les mêmes termes. Certains (qui n’ont pas compris grand-chose aux personnages) ont même dit qu’elle avait été rajoutée in extremis, Mann voulant un dialogue entre les deux stars, le premier de leur carrière face caméra. Ridicule, cette scène est le cœur du film, explique ce qui précède et ce qui va suivre. Une autre rumeur a été plus insistante et plus plausible. Durant tout le dialogue, il y a deux caméras, une derrière chaque acteur, et on n’a que des champs – contre-champs, beaucoup en ont déduit que pour des raisons mystérieuses, Pacino et DeNiro n’avaient pas joué ensemble. Faux, il y avait une troisième caméra qui les prenait ensemble de profil, mais au montage, Mann a décidé de ne pas utiliser ces images. De nombreuses photos en témoignent, il y en avait plein le mur du (vrai) restau où la scène a été tournée, les gens réservant la mythique table des semaines à l’avance, et conséquence qu’ils ne prévoyaient pas, passaient tout le repas à se faire photographier par les autres clients … A noter que Mann, Pacino et DeNiro, d’un commun accord, ont décidé de ne pas répéter la scène, l’essentiel de ce qui a été monté venant de la onzième prise (selon les différents participants, treize, dix-huit ou dix-neuf prises auraient été mises en boîte).

DeNiro & Kilmer

« Heat » est sorti en 1995. Sacré millésime pour les polars, puisque sont sortis la même « Usual suspects », « Casino » et « Seven ». Rien que ça …

Je conseille la version 2 Blu-ray du film, qui présente of course des heures de suppléments bien utiles pour écrire cette chronique, avec notamment à l’occasion du vingtième anniversaire de la sortie du film, une discussion réunissant Mann, DeNiro et Pacino animée par Christopher Nolan. C’est pas la partie des bonus la plus intéressante par les propos, mais avouez que c’est un sacré casting autour de la table …

Une dernière anecdote qui montre à quel point ce film est mythique et rentré dans la culture populaire. Dans la villa sur immenses pilotis où se fait tabasser et laisser pour mort par Waingro et les hommes de main du narcotrafiquant le chicano chauffeur de la bande de braqueurs, McCauley-DeNiro retrouve son pote baignant dans une mare de sang. La villa avait été mise en vente et louée pour tourner la scène. Faut croire que les petites mains de l’équipe étaient moins méticuleuses que Mann, quand les nouveaux propriétaires sont arrivés (l’agent immobilier les ayant évidemment avertis qu’elle avait servi au tournage du film, ce qui constituait un sacré argument commercial) ils ont retrouvé sur le parquet la tache de faux sang très mal nettoyée. Cette tache est maintenant planquée sous un tapis et conservée comme une relique …

Immense film culte je vous dis …


JOHN BOORMAN - LE POINT DE NON-RETOUR (1967)

 

Tout commence et tout finit à Alcatraz ...

« Le point de non-retour » (« Point Blank » en V.O.) est le second film de John Boorman. Avec derrière la MGM. Ce qui est quand même un assez remarquable coup de bol. Parce que son premier film était plus ou moins une commande publicitaire sur l’oublié groupe anglais du Dave Clark Five (rivaux des Beatles pendant bien trois jours). Bon, les types de la MGM sont pas des misanthropes, ça se saurait. Ils ont un script, un budget (pas colossal), et l’acteur principal, Lee Marvin.

Boorman & Marvin

Lee Marvin est une « gueule » du cinéma américain, roi des seconds rôles de méchants, voire pire (la sadique défiguration au café bouillant dans « The big heat »), avant la consécration, toujours dans un registre « musclé » dans « Les douze salopards ». C’est sur le tournage de ce dernier que lui et Boorman se rencontrent, et Marvin va aider l’Anglais à peaufiner le scénario et à imposer Angie Dickinson comme premier rôle féminin.

Comme souvent (toujours ?) chez Boorman, le résultat est assez comment dire … décousu (picole ? drogues ? les deux ?). Mais force est de reconnaître que le gars qui n’a même pas trente cinq ans n’a pas froid aux yeux. Certains plans dénotent une originalité certaine (une contre-plongée à travers une grille, bien joué), le montage est vif, même si parfois brouillon (mais c’est fait exprès, témoin les deux flashbacks entremêlés du début, on change d’histoire toutes les dix secondes). Meilleure scène : une baston sauvage dans la pénombre des coulisses d’un club, pendant que sur scène un groupe balance du heavy-psyché-soul (?).Boorman l’a reconnu plus tard, il voulait filmer Lee Marvin à la manière d’un peintre filmant son modèle, ce qui fait que l’histoire est parfois confuse (dans la grande tradition des films noirs des années quarante et cinquante), et tous les autres rôles sous-employés. Même si ça fait parfois un peu trop démonstratif, genre « t’as vu les images que je peux amener sur l’écran », Boorman se montre brillant caméra au poing, et son sens de la mise en scène éclipse souvent l’histoire et ses acteurs.


Lee Marvin est Walker (pas de prénom, on sait pas si c’est son nom ou un surnom). Petit délinquant branché par un pote sur un gros coup, braquer une transaction de dope pour récupérer le pognon. Mais tout dérape. Il devait pas y avoir de violence, mais le pote allume (« neutralise » comme dirait Gégé Darmanin) deux types. Ensuite du pognon, y’en a moins que prévu. Et pour couronner le tout, le « copain » tire sur Walker, le laisse pour mort, et se casse avec le pognon et la fiancée de Walker. La meuf, Walker qui n’a rien d’un romantique, s’en fout un peu beaucoup. Par contre, son obsession sera de se venger et de récupérer quatre vingt treize mille dollars, sa part du butin.

Le braquage s’est passé dans la cour de la prison d’Alcatraz. Alcatraz (The Rock dans la langue de Dos Passos), est un mythe de la culture policière américaine. Sur ce caillou de la baie de San Francisco, a été construit et mis en service au début des années 30 un centre pénitentiaire d’où l’on ne s’évadait pas (certains ont essayé, mais les eaux glaciales de la Baie ont fait qu’ils n’ont jamais atteint la terre ferme), et qui recevait les prisonniers les plus « compliqués » (grands mafieux, serial killers, ce genre). La prison sera désaffectée en 1963, et les bâtiments laissés à l’abandon. « Point Blank » sera le premier film qui y sera (en partie) tourné avant que Clint Eastwood s’en évade et que Sean Connery y reprenne (sans le dire évidemment) son rôle de James Bond (« Rock » avec Nicolas Cage et Ed Harris). A noter que pour « Point Blank », la MGM a beaucoup communiqué, invitant des équipes de télé sur le tournage, et organisant une séance de shooting de mode pour les deux rôles féminins principaux (Dickinson et l’oubliée Sharon Acker) qui dans le film ne mettent pas les pieds sur l’île (Dickinson) ou n'y ont qu’une courte scène (Acker).

Bon, revenons à Walker-Marvin. Laissé pour mort dans une cellule, il regagne San Francisco à la nage, et quelques mois plus tard, on le retrouve sur la trace de son ex (et donc de son pote ripou) à Los Angeles. Il trouve d’abord la femme (Sharon Acker) qui se suicide illico aux barbituriques, et avec l’aide d’un mystérieux indic toujours là au bon moment, se lance à la recherche du pognon et de son ex-pote. Il sera aussi aidé par sa belle-sœur (Angie Dickinson) et s’apercevra vite que son pote n’était qu’un sous-fifre d’une vaste bande de voyous (certains en col blanc), l’Organisation. Méthodiquement, Walker remontera sa hiérarchie, entassant derrière lui les cadavres et toujours dans l’espoir que quelqu’un va lui refiler son pactole. L’épilogue, avec le chef suprême de l’Organisation, aura lieu lui aussi dans la cour de la prison d’Alcatraz.

Angie Dickinson & Lee Marvin

Walker, qui n’est pas vraiment un « bon », est confronté à une galerie de personnages plus retors ou violents les uns que les autres (gros bras, snipers, …, sans compter le triumvirat hiérarchisé des chefs), peine à se laisser séduire par Angie Dickinson (faut le faire, en plus elle est vraiment de son côté), mais est toujours prêt à l’affrontement violent. Le film est concis, ramassé (moins d’une heure et demie), on a parfois du mal à suivre, il y a quelques incohérences (plus les types sont haut placés dans l’Organisation, moins ils sont gardés et protégés, par contre son ancien pote est constamment entouré par une bonne demi-douzaine de gardes du corps – flingueurs).

« Point Blank », au final, c’est quelque part entre la série B et le classique. Lee Marvin (c’était le but du jeu) crève l’écran, et tant son personnage que le film se révèlent être cousins de « Get Carter » (avec le toujours excellent Michael Caine), de quasiment toute la filmo de Bronson, et de quelques-uns de celle de Clint Eastwood.


JEAN-FRANCOIS RICHET - MESRINE L'INSTINCT DE MORT (2008)

 

Ascenseur pour l'échafaud ...

Bon, il a pas fini sur l’échafaud, Mesrine (puisque « L’instinct de mort » est le premier d’un diptyque de films biographiques qui lui sont consacrés), mais il aurait pu, pour peu que les cowboys du commissaire Broussard aient tenté de l’arrêter au lieu de le cribler de balles Porte de Clignancourt. Mais c’est une autre histoire et un autre débat … un autre jour peut-être, si j’en viens à causer de « L’ennemi public n°1 » la suite (et fin) de « L’instinct de mort ».

Cassel, Richet & Cécile de France

Quand « L’instinct de mort » est mis en chantier vers la fin de la première décennie des années 2000, il y a presque trente ans que Mesrine est mort, et que ses (mé)faits font figure de babioles face à des pervers serial killers (les Heaulme, Fourniret, Louis, …), ou les futurs djihadistes à kalach … Il n’empêche que surtout durant les 70’s, le Jacquot Mesrine à défrayé la chronique, et pas qu’une fois … Roi du braquage, de l’évasion, de la com, mettant en scène sa propre histoire et légende …

L’histoire de Mesrine transposée sur grand écran, c’est l’affaire de deux hommes (quoique, on y reviendra), Jean-François Richet et Vincent Cassel. Le premier est un banlieusard militant, le self made man venu des cités, le second est un fils de ... venu des beaux quartiers et qui se la surjoue rebelle (sa fascination moultes fois étalée pour le gangsta-rap et les délinquants d’une façon générale). Alors quand le premier est venu trouver le second pour lui proposer le rôle de Mesrine, pensez si le fils de Jean-Pierre Cassel a été d’accord. L’occasion de jouer un dur autrement plus consistant et célèbre que le Vince de « La haine ». Et on sent le metteur en scène et l’acteur principal fascinés par le truand le plus célèbre de son époque. Et Cassel va y aller à fond, dans une performance digne de l’Actor’s Studio genre De Niro dans « Raging Bull ». Cassel prendra au long du tournage une vingtaine de kilos pour suivre les transformations physiques de son personnage.

Le scénario pour tourner un biopic de Mesrine, c’est pas mission impossible pour l’écrire. La documentation ne manque pas, que ce soit l’autobiographie de Mesrine (« L’instinct de mort »), et tous les entretiens qu’il a donnés à la presse dans les 70’s. Richet choisit la chronologie (sauf pendant le générique de début, qui en split screen, nous montre l’embuscade finale en 1979), procédant par bonds dans le temps, des incrustations sur l'image situant la date et le pays.

Depardieu, Cassel & Lellouche

Toute sa vie, Mesrine a été un solitaire, mais qui cherchait la compagnie, des femmes, mais aussi ponctuellement ou pour quelques mois d’autres truands avec lesquels il sévissait, au hasard de rencontres, notamment en prison où il a passé pas mal de temps. On commence donc avec la violence des tortures et des assassinats lors de la guerre d’Algérie où il était bidasse, avant la démobilisation et le retour chez papa-maman. La maison familiale est juste un point d’ancrage, car un de ses vieux copains (joué par Gilles Lellouche, son personnage est quasiment le seul inventé pour les besoins du film), le met en relation et l’intègre aux hommes de main et à tout-faire d’un caïd de la mafia parisienne membre de l’OAS, Guido. Ce dernier est joué par un Depardieu pour une fois tout en retenue, alors que son personnage pourrait donner lieu au jeu outré et expressif dont il est coutumier. Depardieu, Lellouche, les parents Mesrine (Michel Duchaussoy et Myriam Boyer), ses premières maîtresses, sa première femme, sa compagne braqueuse (Cécile de France à contre-emploi, brune en cuir et darkshades), ne sont là que pour quelques scènes. Cassel, lui, est quasiment toujours à l’image. Certainement le rôle de sa vie, sa fascination pour la truandaille (comme avant lui Melville et Delon) trouve un exutoire en la personne de l’exubérant Mesrine.

Cassel, que j’apprécie pas particulièrement, joue juste, rendant bien la faconde et la démesure violente et égomaniaque du personnage. Mesrine n’était pas le Robin des Bois moderne que certains ont cru (ou voulaient) voir en lui (et lui-même a toujours démenti cette image d’Epinal). Mesrine prenait du fric aux riches (les grosses entreprises, les banques, les casinos, les milliardaires qu’il kidnappait, …), mais ne le refilait pas aux pauvres, il le claquait en babioles pour ses femmes et/ou maîtresses, flambait (et perdait gros) aux tables de poker, et finançait son quotidien (vivre caché entouré d’un luxe de précautions quand toute la flicaille de France essaye de te serrer coûte cher).

Il y a quand même un problème avec « L’instinct de mort ». Pour moi, il s’appelle Richet. Le gars (qui a pourtant réussi comme d’autres expatriés européens avec de gros budgets aux States) assure tout juste. Le making-of du film est révélateur. Le metteur en scène, c’est Cassel, qui suggère, propose (ou plutôt impose), remanie parfois le script, place les caméras, les autres acteurs. Problème, Cassel n’est pas un réalisateur, et Richet, on l’aperçoit tout juste assis dans un coin, observant et écoutant son acteur principal diriger le tournage. Encore plus flagrant quand Depardieu et Cassel ont des scènes ensemble, Richet disparaît totalement de la circulation, attendant que les deux aient arrangé les scènes … Richet filme sobrement, et parfois trop sobrement. Son montage est très académique. Et quand il s’essaye à une « fantaisie » (dont il semble très fier), un effet tournoyant de caméra quand Cassel-Mesrine est enfermé au cachot dans un QHS de prison canadienne, ça dénote totalement avec le reste des prises de vue. Problématiques aussi, les scènes de gunfights. Outre une paire de ralentis accélérés sur les balles de revolver à la « Matrix » dispensables, il manque cruellement de rythme. On est loin des gunfights de Michael Mann dans « Heat » ou de la folie furieuse de Ridley Scott dans « La chute du Faucon Noir ». Flagrant notamment lors de l’attaque par Mesrine et son complice québécois de la prison où ils ont été enfermés et où ils reviennent après s’être évadés pour libérer les autres détenus. Plus gros foirage à mon sens, le face à face de Mesrine et son pote avec les gardes-chasse canadiens, qui manque singulièrement de tension, alors que c’est la dernière scène du film.

M. et Mme Mesrine

Il me semble que Richet a été dépassé par l’enjeu (et le budget conséquent de 45 millions pour le diptyque). Il a eu les moyens (tournage en France, en Espagne, au Canada, et même à Monument Valley alors que Mesrine n’a jamais foutu les pieds en Utah, il a été arrêté avant d’y arriver en Arizona). A son crédit, il a bien rendu la violence (souvent générée par lui-même) dans laquelle baignait Mesrine.

Conclusion, « L’instinct de mort » est un bon film, quand même en dessous de ce qu’aurait pu donner la démesure du personnage hors norme (quoi qu’on pense de lui) dont il raconte les premiers faits d’armes. Le second volet (« L’ennemi public n° 1 ») c’est encore plus un one-man show de Cassel … après, verre à moitié vide ou à moitié plein, chacun est libre de choisir son camp …


OTTO PREMINGER - AUTOPSIE D'UN MEURTRE (1959)


« Les dessous chics …

C’est ne rien dévoiler du tout, se dire que lorsqu’on est à bout, c’est tabou » (premier couplet de « Les dessous chics », paroles et musiques Serge Gainsbourg, sur l’album « Babe alone in Babylone » de Jane Birkin). Bon, la chanson de l’habitant de la rue de Verneuil n’avait rien à voir avec « Autopsie d’un meurtre », mais elle aurait pu …

Parce que les dessous chics de Laura Manion, lorsqu’ils vont apparaître dans le prétoire de la salle d’audience, vont avoir un rôle déterminant pour l’issue du procès.

On rembobine …

Otto Preminger

Un type à l’apparence cool, arrive de la pêche au volant d’un cabriolet un peu cabossé dans un petit bled. C’est Paul Biegler (joué par le toujours au minimum excellent James Stewart, et ici il est grandiose), ancien procureur, maintenant avocat sans conviction et sans clients. Il est célibataire, et son truc, c’est donc la pêche à la ligne (son frigo est rempli, mais vraiment rempli, de truites), jouer du piano, et boire quelques verres en compagnie de son vieux pote McCarthy (Arthur O’Connell, star des seconds rôles), avocat comme lui et n’ayant pas traité la moindre affaire depuis une éternité, ce dont il se console en étant bourré du matin au soir. Pour mettre un peu d’ordre dans le frigo, materner les deux potes alcoolisés et j’menfoutistes, et accessoirement répondre au téléphone du bureau si par hasard il venait à sonner, Maida Rutledge (Eve Arden, elle aussi des dizaines de seconds rôles à son actif).

Et justement, ce jour-là, il a sonné le téléphone. Une femme appelait l’avocat. Rendez-vous est pris immédiatement. Et là se pointe une jeune bimbo allumeuse et aguicheuse, qui trouble et met mal à l’aise Biegler. Elle a une affaire à lui proposer. Elle s’appelle Laura Banion, elle a été tabassée et violée à la sortie d’un bar, et quand son mari militaire s’en est rendu compte, il est allé vider son chargeur sur le quidam, il se retrouve forcément en taule, et de toute évidence au moins pour un bail, sinon la chaise électrique (même au pays de la NRA, faire justice soi-même est plutôt mal vu par les tribunaux). Laura Banion (Lee Remick dans ce qui est sans doute son meilleur rôle, toute en électricité sensuelle) veut que Biegler défende son mari, gagne le procès et le fasse sortir de taule, rien que ça … Comme son dernier client vient de quitter la ville en oubliant de le payer, Biegler accepte l’affaire bien qu’il la considère comme perdue d’avance.

Stewart & Remick

Les rencontres avec le mari embastillé (Ben Gazzara dans un de ses premiers rôles) ne laissent pas présager d’une excellente collaboration. Le bidasse est plutôt soupe au lait, et faut pas compter qu’il fasse profil bas. Quant à sa femme, comme si de rien n’était, elle continue d’aguicher tous les mâles dans les clubs. Biegler s’en aperçoit alors qu’il est allé taper le bœuf avec le pianiste de l’orchestre (Duke Ellington, à l’écran pour une courte scène, mais surtout compositeur de la B.O.). Mais enfin, avec l’aide de son staff (son vieux pote et sa secrétaire), Biegler va tenter le coup.

A ce moment-là, on en est à un peu moins d’une heure de film. L’heure et demie qui suit va se passer quasi exclusivement dans la salle de tribunal. Biegler devra démontrer le viol, perpétré par le gérant du bar (dont le serveur et une énigmatique gérante ne sont à priori pas là pour l’aider), et plaider le crime passionnel sous l’emprise d’une démence passagère (« impulsion irrésistible » ils disent dans le film) pour obtenir la non-culpabilité de son client. Tout en étant face à un vieux juge à qui on ne la fait pas, et à l’accusation, représentée par le procureur qui lui a succédé, assisté d’un jeune avocat déjà très renommé (un des premiers rôles de George C Scott, qui une dizaine d’années plus tard défraiera la chronique du tout-Hollywood en refusant l’Oscar qui lui a été décerné pour son rôle dans « Patton »).

« Autopsie d’un meurtre » est tiré d’un best-seller du même nom sorti l’année d’avant. Son auteur, sous le pseudo Robert Traver, est John D. Voelker, avocat passionné de pêche, et le bouquin est inspiré d’une affaire qu’il a réellement plaidée.  Etrange boucle …

Scott, le juge & Gazzara

Derrière la caméra, un atypique, Otto Preminger. Le gars a commencé comme acteur et metteur en scène de théâtre en Autriche, a fui la montée du nazisme (il considère que la mentalité viennoise en est le terreau intellectuel et idéologique), a commencé comme « employé » de Darryl Zanuck à la Fox, avant d’envoyer bouler les majors et de devenir le propre producteur de ses films. Si les thématiques de son œuvre apparaissent aujourd’hui banales, à leur sortie ses films ont divisé et souvent choqué le milieu du cinéma, « L’homme au bras d’or » sur la drogue, « Bonjour tristesse » adaptation du premier roman jugé scandaleux de Françoise Sagan, « Carmen Jones », relecture du Carmen de Bizet avec des acteurs Noirs, « Sainte Jeanne », sur la résurrection de Jeanne d’Arc, … Preminger est un directeur d’acteurs … euh, on dira très dur, sa technique de l’image est parfaite (référence majeure de Tavernier), c’est un dandy toujours tiré à quatre épingles, ne se déparant que très rarement du costard-cravate, et grand amateur d’art et de culture française (le type a plusieurs Picasso).

« Autopsie … » est un film rigoureux. Les sujets qui y sont abordés, le viol, le meurtre, la psychologie et la démence étaient jusque là bannis au cinéma (le fameux code réactionnaire Hayes), ou au mieux traités de la façon la plus elliptique possible. Dans « Autopsie … », on parle de spermatogenèse, d’acte sexuel accompli, de culottes déchirées, dans des scènes où les arguments sont développés. Preminger s’est entouré de médecins, de psychiatres, pour présenter à l’écran des discussions et interrogatoires scientifiquement crédibles. Un soin encore supérieur a été accordé à la partie purement judicaire (le procureur est un vrai juriste et le juge un vrai juge de l’Etat du Michigan, où se déroule l’action et où a été tourné le film).

Stewart, Ellington & Remick

Preminger n’ayant pas vraiment la réputation d’un joyeux boute-en-train, on pourrait s’attendre à quelque chose d’hyper pointu, hyper technique, hyper sérieux dans les thèmes abordés et le jeu des acteurs tant la trame du scénario n’incite pas à la franche rigolade. Bon, on n’est pas chez les Tuche, mais ces deux heures et demie, sans être légères, offrent des respirations bienvenues, et nombre de scènes et de situations drôles (Lee Remick est too much en allumeuse sexy, et son clébard boit de la bière avant de s’endormir), même au tribunal (le savant jeu de positionnement de Scott qui veut empêcher Gazzara et Stewart d’échanger des regards, et la désopilante gymnastique de ce dernier qui en découle).

Une fois qu’on est rodé au difficile ballet de la procédure judicaire américaine (comment, vous avez jamais vu « 12 hommes en colère » ?), on se passionne pour l’intrigue, qui est, comme le chef-d’œuvre de Lumet, un polar à l’envers, parce que l’on reconstitue l’affaire par les témoins et les propos des avocats, et petit à petit, on déroule l’écheveau de la tragique soirée. Bizarrement, et c’est assez surprenant parce qu’on n’en était pas à dix minutes près, le film fait l’impasse sur les plaidoiries de Biegler et de la partie civile, ce qui nous prive de ce qui aurait sans nul douté été un grand numéro de Stewart.

Stewart qui au titre d’acteur sera une des sept nominations du film pour les Oscars. Le film n’en obtiendra aucun, surprenant au vu de sa qualité, pas tant que ça si on repositionne ses thématiques dans la fin des années 50 américaines, trop de sujets jusque là tabous étant abordés de façon frontale. Je sais pas si dans la vénérable académie, il existe une catégorie dédiée au générique, en tout cas mention particulière à celui de « Autopsie … », signé comme souvent chez Preminger par Saul Bass, animation basée sur la déstructuration tant des formes que du lettrage, le tout accompagné par un thème de Duke Ellington.

Novateur voire avant-gardiste par ses thématiques lors de sa sortie, « Autopsie d’un meurtre » est aujourd’hui à juste titre considéré comme un immense classique …


JONATHAN DEMME - LE SILENCE DES AGNEAUX (1991)

 

Deux en un ...

Jonathan Demme avait tout pour être un réalisateur de seconde zone. Quasiment vingt ans passés derrière la caméra, une dizaine de films, au mieux sympathiques. Et puis au début des années 90, alors que pas grand monde aurait mis une piécette sur lui, il va sortir deux incontournables. En 93, le quelque peu surestimé « Philadelphia », mélo larmoyant avec le SIDA et ses conséquences comme thème. Et avant, en 91, le film dont au sujet duquel je vais causer, « Le silence des agneaux ».

Demme, Foster & Hopkins - Oscars 1992

« Le silence … » est un polar, ou un thriller psychologique, s’il faut lui coller une étiquette. En fait, « Le silence … » est beaucoup plus que ça. Comptablement, une affaire qui tourne, très gros succès commercial et critique. Et en 92, le film rafle les cinq Oscars les plus convoités (meilleur film, acteur, actrice, scénario et mise en scène). Sans qu’on puisse de quelque façon crier au scandale (c’est pas toujours le cas), même s’il y avait en lice pour ce millésime des choses pas vraiment mauvaises, genre « Thelma et Louise » ou le second « Terminator ». Remporter le colifichet devant Ridley Scott et James Cameron, Demme avait même pas dû en rêver lorsqu’il mettait « Le silence … » en chantier. Faut dire qu’il avait de la matière au niveau du scénario, copie parfaite rendue par Ted Tally (son seul vrai fait de gloire), d’après une série de bouquins de Thomas Harris, centrés sur le personnage (fictif) d’Hannibal Lecter, éminent psychiatre et serial killer cannibale.

Le film se resserre sur l’histoire qui est narrée. On n’a jamais droit, et c’est assez rare pour être souligné, à l’exposition familiale des héros. Pas de petit ami qui a des états d’âme, pas de parents larmoyants ou qui justifient les actes de leur progéniture. Les trois personnages principaux sont des solitaires, tout repose sur leur interaction dans les faits et leur déroulement, pas de digression … Clarice Starling a-t-elle un mec (ou une nana) ? Hannibal Lecter était-il battu par sa mère ? Buffalo Bill a-t-il été marié et a-t-il des gosses dépressifs ? On n’en sait rien et c’est tant mieux, les deux heures du « Silence … » racontent une histoire et pas ses à-côtés …

Et pour le même prix, on a deux thrillers pour le prix d’un … la confrontation Starling – Lecter et la traque de Buffalo Bill, Lecter étant le point d’articulation des deux histoires.

Clarice de l'autre côté du miroir ...

Jodie Foster (Clarice Starling) est la plus cotée du casting. A même pas trente ans, elle a déjà vingt ans de métier, un second rôle très remarqué dans « Taxi driver », et un Oscar pour l’oublié « Les accusés ». Anthony Hopkins est un type connu dans le monde des acteurs (surtout au théâtre), beaucoup moins du grand public. Son interprétation du terrifique Hannibal Lecter en fera une star du grand écran. Ted Levine (Buffalo Bill), Scott Glenn (le supérieur de Starling), ou Anthony Heald (le toubib responsable de l’hôpital-prison où est enfermé Lecter), n’auront pas cette chance, ils resteront à peu près confinés au seconds rôles …

Ce qui impressionne dans « Le silence … », c’est la limpidité des histoires racontées. Alors que l’analyse, la psychanalyse et la psychiatrie en sont le moteur, c’est accessible pour le blaireau lambda comme moi (ceux qui ont essayé de suivre les arcanes des « héros » de Night Shyamalan après « Sixième sens » savent de quoi je parle …). Clarice Starling, diplômée en psychologie et criminologie, est une stagiaire du FBI qui ne ménage pas sa peine (Jodie Foster n’est pas doublée dans la scène d’introduction, l’entraînement dans la forêt) et attire l’attention de son supérieur qui lui confie une mission-bizutage : aller essayer d’obtenir d’Hannibal Lecter des indices qui pourraient mener sur la piste de Buffalo Bill, sérial killer qui enlève, tue et dépèce des jeunes femmes bien en chair. Sauf que Lecter a envoyé sur les roses et ridiculisé tous les spécialistes qui ont essayé d’établir un dialogue avec lui …

La jeune stagiaire est une proie facile pour l’intelligence supérieure de Lecter. Il n’a pas besoin de la déstabiliser, elle est dans ses petits souliers lors de la première rencontre. Lecter va jouer avec elle, se servir de son « innocence », lui donner quelques indices sous forme de jeu de pistes pour trouver Buffalo Bill (il fut un de ses patients qu’il a identifié grâce à son « mode opératoire »), avoir toujours un ou plusieurs coups d’avance psychologiques avec un but : s’évader … ce qu’il réussira d’une façon aussi spectaculaire et angoissante (pour le spectateur) que morbide … Et Clarice, grâce aux indices de Lecter, va traquer seule le psychopathe, pendant que ses collègues du FBI sont sur une fausse piste …

David Lee Roth ? Non, Buffalo Bill ...

Starling, comme tous les héros sympathiques, est courageuse par défaut, donc une trouillarde refoulée. Forcément mal à l’aise devant l’esprit très supérieur de Lecter, elle n’en mène pas large lorsqu’elle doit affronter dans l’obscurité un Buffalo Bill équipé de lunettes infrarouges. Ce sont ses faiblesses et la somme de ses peurs qui en font une héroïne populaire dans le bon sens  du terme. Hopkins est magistral dans le rôle de Lecter, une des plus grandes interprétations de serial killer portées à l’écran. Il domine tout ceux qui lui sont confrontés (la rencontre de Lecter, sanglé et muselé, des dizaines de flics arme au poing autour de lui, sur le tarmac d’un aéroport avec une sénatrice, mère de la dernière fille kidnappée par Buffalo Bill, résume assez bien le personnage). Il s’amuse avec Clarice, proie trop facile pour lui, (elle essaye de le piéger en lui promettant une amélioration de ses conditions de détention, il lui fait raconter son enfance, fille d’un flic descendu par un petit braqueur et ensuite élevée chez un oncle à la campagne, qui explique ses angoisses récurrentes et le titre du film). Ajoutez quelques répliques culte (« j’ai dégusté son foie avec des fèves au beurre et un excellent chianti », « j’ai un vieil ami pour le dîner ») et pas étonnant que Hannibal Lecter se soit retrouvé au centre de suites ou de préquels de son personnage (loin cependant d’égaler la qualité du « Silence … »).

Même Jonathan Demme qu’on n’attendait pas à un tel niveau se surpasse, jouant à la perfection avec les nerfs des spectateurs, insistant sur la fausse piste du cocon de papillon trouvé dans la gorge des victimes (qui donne lieu à la seule scène légère dans le labo de deux entomologistes) et réussissant un génial montage alterné sur des troupes du FBI s’apprêtant à lancer un assaut contre la supposée maison de Buffalo Bill, pendant que celui-ci effectue un numéro de danse transsexuelle. Les robocops du FBI sonnent à la porte, Buffalo Bill va ouvrir, et là, surprise garantie …

On a rarement l’occasion de voir un film où pas une scène n’est de trop, dans lequel toutes les pièces du puzzle mis en place s’imbriquent de façon parfaite … j’envie ceux qui le visionnent pour la première fois …

SIDNEY LUMET - 12 HOMMES EN COLERE (1957)

 

Autopsie d'un meurtre ...

Y’a des façons de commencer plus mal derrière une caméra. « 12 hommes en colère » est le premier film de Sidney Lumet. Qui aura sa décennie de gloire dans les roaring seventies, avec Pacino (« Serpico », « Un après-midi de chien »), ou pas (« Network »), et qui, la chose est suffisamment rare pour être soulignée, terminera sa carrière cinquante ans après ses débuts par un autre grand film (« 7h58 ce samedi là »). Lumet, c’est en gros le type qui filme l’envers du décor, les histoires tout sauf glamour, où des héros en papier viennent se fracasser sur les murs des réalités. Les personnages de Lumet, c’est souvent des anti-héros Marvel …

Fonda, Lumet & Cobb

« 12 hommes en colère » est un chef-d’œuvre, un classique … avec plein de défauts, cependant emportés par le souffle épique et la tension du film. Bon, évacuons ce qui peut piquer aux yeux. Des raccords plus qu’approximatifs, ainsi des cendriers pleins avant d’être à moitié, des auréoles de transpiration grandes comme des ballons de foot qui ont disparu la scène suivante, …, c’est assez couillon quand on filme un huis-clos dans la continuité. Et puis, le revirement assez inattendu et plutôt irrationnel des derniers partisans de la culpabilité …

Bon, il aurait peut-être fallu que je sois moins bordélique et commencer par l’histoire. « 12 hommes … », c’est un film de tribunal, et pour être encore plus précis, un film sur la délibération d’un jury. Amené à se prononcer sur la culpabilité ou pas d’un minot basané accusé d’avoir poignardé son père. Il a tout contre lui, l’ado, des menaces publiques envers son vieux, un stiletto qu’il exhibait devant ses potes et qu’on retrouvera dans la poitrine du macchabée, des témoins visuels du meurtre et de sa fuite, pas d’alibi, un casier déjà épais comme un bottin, et j’en passe…

Tout ça, on l’apprend très vite après un plan d’exposition sur un Palais de Justice à New York (on situe), et un laïus du juge qui explique aux jurés comment ça se passe une délibération. Soit unanimité pour la culpabilité (et dans ce cas-ci, c’est chaise électrique), soit unanimité pour la non-culpabilité (on relâche le prévenu). Si les avis sont partagés, délibération du jury nulle et on rejugera avec un nouveau jury … Les jurés se lèvent (tous des hommes, en ce temps-là, aux USA comme ailleurs, les femmes faisaient le ménage et la bouffe et n’avaient pas à s’occuper de « choses sérieuses », pas un Black ni un « coloured » non plus, on est en 1957 dans une Amérique qui n’a pas encore « digéré » l’affaire Rosa Parks), et le regard perdu de l’ado les accompagne quand ils rejoignent la salle de délibérations (c’est la seule fois où on le verra, d’ailleurs il est même pas crédité au générique).

Premier vote du jury ...

Dès lors (et hormis la courte scène finale à la sortie du Palais de Justice, où les deux premiers à avoir mis en doute la culpabilité s’échangent leurs noms), tout le film va se passer dans cette salle de délibérations, quasiment en temps réel. Atmosphère suffocante, en plus de la tension qui très vite s’installera entre les douze, c’est aussi la journée la plus chaude de l’année, et c’est pas le gros orage qui surviendra qui rafraîchira l’ambiance …). Le temps que les débats commencent, les discussions entre jurés montrent clairement la tendance, le gosse est coupable sans aucun doute possible, et les personnalités en présence se dessinent. Pourtant, lors du premier vote, un juré se prononce pour la non-culpabilité. C’est un architecte, qui n’a aucune certitude, mais se pose des questions. Ce juré est interprété par le grand Henry Fonda, habitué des personnages « positifs » (même si son rôle le plus connu sera une décennie plus tard l’inoubliable salopard de « Il était une fois dans l’Ouest »). Son voisin de chaise, un retraité et le plus âgé du groupe, le rejoindra au vote suivant et tous deux devront affronter le mépris, l’incompréhension, voire la haine des plus virulents du groupe.

Le génie du film, en plus d’une analyse psychologique et sociologique des gens présents, sera aussi de refaire l’enquête (le coup du même stiletto acheté par Fonda, la reconstitution du trajet du témoin boiteux dans son appartement), de pointer du doigt les questions légitimes pesant sur les deux témoins oculaires du meurtre, et petit à petit, d’instiller le doute chez les autres jurés. Dès lors les tenants de la non-culpabilité deviennent plus nombreux au fil des votes, certains par leur vécu ou leur expérience, amenant de nouveaux éléments à décharge …

Reconstitution tendue entre Fonda & Cobb

L’issue est prévisible, l’intérêt étant de montrer quel va être l’argument qui fera basculer les votes successifs. Ça se complique scénaristiquement quand ils ne sont plus qu’une poignée (la versatilité du publiciste et du gars qui veut pas rater le match de baseball, ouais, un peu limite quand même). Le coup des lunettes avec l’assureur qui ne transpire jamais est discutable (si la femme témoin est presbyte et pas myope, l’argument de la « défense » ne tient pas), le speech du raciste se tient, sa « capitulation » morale beaucoup moins (quand on est raciste, c’est pour la vie, on devient pas un bisounours sous le simple poids du regard des autres), et l’effondrement du plus véhément partisan de la culpabilité (énorme prestation de Lee J. Cobb) qui transfère sur le basané accusé la haine que lui-même voue à son fils avec lequel il est plus qu’en froid, c’est quand même de la psychanalyse à deux balles …

Ce qui est aussi fabuleux, comme c’est souvent répété, c’est que si de nombreux éléments peuvent permettre de disculper l’accusé et d’installer un « doute raisonnable », rien n’indique cependant que le minot ne puisse pas être coupable … C’est aussi à ma connaissance le premier film « de tribunal » à se concentrer uniquement sur la délibération du juré.

Deux remarques pour finir. Il y a parmi les jurés un horloger qui intervient plusieurs fois sur la thématique de l’Amérique pays de la liberté et de la démocratie. Faut regarder le film en V.O. pour comprendre. Le type parle avec un accent étranger, c’est le plus tatillon pour défendre les valeurs du pays qui l’a accueilli. Dans la version française, il n’a pas d’accent, du coup ses sorties sont pas aussi clairement explicables … Ensuite le publicitaire, assez distant et imbu de sa personne. Il ne m’étonnerait pas que son look (costard-cravate, clope au bec, cheveux gominés et raie impeccable sur le côté) ait servi d’inspiration aux créateurs de la série « Mad Men » (pour les Hommes de Madison Avenue, lieu des agences publicitaires new-yorkaises au début des 60’s) pour leur personnage principal de Don Draper …

« 12 hommes en colère » est aujourd’hui reconnu et célébré comme un immense classique du cinéma. Un peu à l’image de toute l’œuvre de Lumet, la reconnaissance ne sera pas immédiate et malgré les merveilles qu’il a sorties, la « profession » ne le couvrira jamais de louanges, ne le récompensera pas beaucoup (juste un Oscar d’honneur tardif pour l’ensemble de sa carrière) …


Du même sur ce blog : 


NORMAN JEWISON - DANS LA CHALEUR DE LA NUIT (1967)

 

Pour la (couleur de) peau d'un flic ...

Un film qui commence par une chanson de Ray Charles (« In the heat of the night », comment, vous aviez deviné ?) pendant que défile le générique ne peut être foncièrement mauvais. Mais pendant le générique, y’a pas que du son. On voit un panneau qui indique qu’on est à Sparta (au fin fond du fond du Sud, du Mississippi en l’occurrence, assez près de la frontière de l’Arkansas). Le bled existe bel et bien, mais apparemment les scénaristes sont fâchés avec la géographie, parce qu’à moment donné y’a un type à pied qui essaye de rejoindre l’Arkansas en traversant un pont, sauf que la frontière de l’Arkansas est à au moins deux cents bornes de Sparta que le type vient de quitter avec des chiens policiers au cul … Ouais, je sais c’est mesquin … bon, on reprend au générique …

Derrière la caméra, Norman Jewison

Donc, un mec costard, souliers vernis et valise classe, cadré à partir du nombril descend du train en pleine nuit à la gare de Sparta. On voit sa main et on sait qu’il est Noir … Seconde scène. Un flic du cru, Sam Wood (joué par Warren Oates) achève de bouffer dans un diner miteux tenu par un patron qui semble un tantinet demeuré. Le flic commence ensuite sa patrouille, que l’on sent réglée comme du papier à musique. Un petit arrêt voyeur devant une maison dans laquelle une jeunette cuisine et se balade à poil … Ce qui nous vaut le même cadrage de la donzelle que celui de Faye Dunaway dans « Bonnie & Clyde », c’est le bas et le cadre de la fenêtre qui cachent ce qu’à l’époque il convenait de ne pas montrer (personne n’a copié personne, la première des deux films a eu lieu à une semaine d’intervalle). Le pandore poursuit sa patrouille et à un croisement, tombe sur un macchabée étiré au milieu du bitume …

Et pas n’importe quel macchabée, c’est le type le plus riche du bled, qui avait le projet de construire une usine. Il est mort d’un coup à la tête, et on lui a piqué le pognon qu’il avait dans son portefeuille. Branle-bas de combat au poste de police, dirigé par Bill Gillepsie (remarquable Rod Steiger, massif, bourru, bas du front, et un Oscar à la clé) qui donne l’ordre de surveiller les sorties de la ville, dont la gare. C’est là que Sam Wood arrête le type qu’on a vu descendre du train à la première scène et qui attend sa correspondance. C’est le coupable idéal, il est Noir, et a plein de fric dans son larfeuille …

Poitier & Steiger

On comprend de suite que « Dans la chaleur de la nuit » coche la case polar et la case raciale, voire raciste. Hasard heureux, le film sort à peu près en même temps qu’éclatent des émeutes raciales aux States, et notamment à Chicago. « Dans la chaleur de la nuit » n’est pas un film militant pour autant. Derrière la caméra, le Canadien Norman Jewison, honnête second couteau de la réalisation (il a déjà à son actif « Le Kid de Cincinnati », et plus tard quelques succès grand public comme « L’affaire Thomas Crown », « Rollerball » ou « Eclair de lune ») et pas vraiment « engagé » … Celui qui est engagé par contre, c’est Sidney Poitier qui joue le rôle du Noir. Déjà repéré dans des films « à message » (« La Chaîne / The Defiant Ones » avec Tony Curtis), oscarisé pour l’anodin « Le lys dans les champs » en 1964, et vu en tête de cortèges militants (Marche pour l’emploi et la liberté).

Dans « Dans la chaleur de la nuit », il est Virgil Tibbs, et une fois arrêté et confronté à Gillepsie / Steiger, il ne va pas vraiment être le suspect idéal (il est le chef et l’élément le plus brillant de la Brigade des homicides de Philadelphie), et son supérieur par téléphone va lui demander de collaborer avec la police locale et d’élucider le meurtre de Sparta.

Poitier, Oates & Steiger

Dès lors, tout le film va se consacrer à deux choses : l’élucidation du meurtre et les rapports (professionnels et humains) entre Tibbs et Gillepsie. Il y a des choses fort bien vues. La multiplication des suspects idéaux selon qu’ils sont soupçonnés soit par Tibbs soit par Gillepsie. Une scène où après avoir sauvé Tibbs du lynchage par une bande de jeunes rednecks, Gillepsie l’héberge chez lui pour la nuit et où l’on voit que ce type désagréable, hautain (l’art de toiser ses interlocuteurs derrière ses lunettes de soleil aux verres jaunes fumés) et raciste est en fait un solitaire fragile que sa solitude fait souffrir.

Et même si on comprend bien les deux moteurs du film, on a parfois l’impression que Jewison (et par extension ses acteurs principaux) en font trop. Les suspects se multiplient, et quand le véritable assassin est démasqué, c’est le moins crédible du lot avec son histoire d’avortement abracadabrante. De même les « je t’apprécie – je te déteste » qui n’en finissent plus entre les deux flics finissent aussi par lasser. Il manque de l’épaisseur au scénario et l’imbroglio final n’est pas à la hauteur de ce que le film laissait entrevoir …

« Dans la chaleur de la nuit », c’est un bon film. Manque juste quelques petites choses pour que ce soit un grand film (ce qui l’a pas empêché de rafler la statuette en 1967)


WOODY ALLEN - MATCH POINT (2005)

 

Jeu, set et match ... ou match nul ?

Woody Allen est le roi du sous-genre humour juif new-yorkais au cinéma (même si les Marx Brothers peuvent aussi être considérés comme des prétendants plus que sérieux au trône). Et Woody Allen a fait pour moi ses meilleurs films (« Manhattan » et « Annie Hall ») dans la seconde moitié des années 70. Ensuite, même si j’ai pas tout vu (le type tourne un film par an), il me donne l’impression de vivoter sur ses acquis, faisant des films pour son fan-club.

Allen & Johansson

Et puis, sentant peut-être qu’il tournait (dans tous les sens du terme) en rond, Woody Allen a fait autre chose. Là, il voulait faire un film policier. Genre peu souvent abordé par lui (la comédie policière potable « Meurtre mystérieux à Manhattan » est le seul qui me vient à l’esprit). Ses habituels producteurs ne l’entendaient pas de cette oreille, et n’ont pas mis tout le pognon qu’il voulait sur la table. La figure emblématique du cinéma new-yorkais s’est tourné vers les Anglais (la BBC a sorti le chéquier) et les banques luxembourgeoises, est parti en repérages pour Londres et a modifié son script. Dont certains esprits (forcément mauvais) ont trouvé des similitudes troublantes avec le chef-d’œuvre de Stevens, « Une place au soleil », ce qui ne me semble pas une hypothèse saugrenue.

Alors, oui, « Match Point » est un polar. Dans sa dernière partie. Parce que jusque-là, Allen prépare le spectateur à ce qui va arriver dans le dernier tiers du film. Il étudie ses personnages comme un entomologistes ses papillons, nous les montre évoluer dans leur cadre de vie. Et on se retrouve avec deux films pour le prix d’un … Mais de quelque façon qu’on l’envisage, il en manque dans chaque partie.

Bizarrement, les personnages apparaissent assez superficiels, et pas seulement à cause du milieu (la haute voire très haute société britannique) dans lequel ils évoluent. Caractères taillés à la serpe, loin des finesses auxquelles Allen nous avait habitués, et revirements et contradictions assez improbables (difficile d’imaginer un type s’improviser serial killer). Pour le côté polar, on repassera aussi. Ce film dont la conclusion (et encore, une conclusion entre chèvre et chou) qui s’appuie sur un détail (un rebond capricieux d’une bague jetée dans la Tamise, qui heurte le parapet et retombe sur la berge), laisse, c’est le moins qu’on puisse dire, des trous béants dans la raquette de l’enquête policière (le journal intime qui ne révèle pas le mobile ?, l’arme du crime ?, les coups de feu qui ne s’entendent pas ?, le témoin bousculé en sortant qui ne se manifeste pas ?, etc …).

Monsieur & Madame

On dirait avec « Match Point » que Allen marche sur les traces de Hitchcock dans un troublant jeu de miroirs. Le gros Alfred était revenu finir sur la fin de sa carrière dans son pays natal (« Frenzy »), Woody Allen a relancé la sienne en s’expatriant, c’est à partir de « Match Point » qu’il a obtenu ses meilleurs scores commerciaux, avec un film selon moi très hitchcockien. Financement oblige, le casting est essentiellement anglais, à une exception près, et pas la moindre, Scarlett Johansson. Qui a dû jongler entre plusieurs engagements, effectuant plusieurs allers-retours transatlantiques pendant le tournage, quelques fois sans trop dormir et en ayant à encaisser le jet-lag. Et tous les intervenants du film (Allen, le reste du casting) sont formels, elle a été extraordinaire, et ça se voit sur l’écran, qu’elle irradie de sa présence toute en séduction animale et magnétique. Dommage qu’elle n’ait pas le premier rôle. Qui revient à l’assez transparent Jonathan Rhys Meyers (dont Allen compare la prestation dans ce film aux meilleures de Brando, … really, Woody ? t’as pas l’impression d’exagérer un peu, là …).

Rhys Meyers, c’est dans le film un playboy sportif (tennisman proche du niveau professionnel), qui se fait engager dans un club privé de chicos londoniens comme prof de tennis (d’où le titre du film, et sa première scène, cette balle qui passe par-dessus le filet, et puis quand elle le touche, l’image s’arrête, on sait pas de quel côté elle va retomber, coup de chance ou coup du sort …) grâce à une de ses anciennes connaissances, fils d’un très riche entrepreneur. Il séduit assez facilement sa sœur, pucelle effacée, le mariage est prévu, ainsi qu’un boulot (très) bien payé chez beau-papa. Juste qu’à ce qu’il rencontre la fiancée de son beau-frère, américaine exilée qui rêve d’une carrière d’actrice et court les castings pour essayer (vainement) de décrocher quelque petit rôle dans la perfide Albion. Evidemment, comme en plus la Johansson, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, est pas mal allumeuse, le sportif en tombe amoureux.

Monsieur et sa maîtresse

Ce qui ne l’empêche pas de se marier avec la fifille à papa (et maman, qui n’est intéressante que bien bourrée, ce qui lui arrive tout le temps), et d’entamer une liaison avec celle censée devenir sa belle-sœur. Sauf que les vieux l’entendent pas de cette oreille, leur fils chéri est invité à laisser tomber cette roturière et à épouser une fille digne de son rang. Bizarrement, ce genre de problème ne se pose pas pour Rhys Meyers, le plouc sportif. Qui dès lors va se retrouver coincé entre sa nunuche chicos (qui veut de la progéniture mais n’arrive pas à tomber enceinte) et la Scarlett qui est libre (et qui va se retrouver plus ou moins malgré elle en cloque). C’est ce partage entre deux femmes qui va vers le milieu du film, lancer la partie « policière » de l’affaire. Comment concilier le pognon de beau-papa et l’amour pour l’actrice déclassée sans y laisser des plumes ?

Tout ce qui a précédé est censé nous faire cerner la psychologie des personnages, sauf que tous ces revirements à 180°, et cette double vie improbable ne sont guère crédibles. Les portraits qui se voudraient finement ciselés sont finalement taillés à la hache … on a connu Allen beaucoup plus inspiré de ce côté-là. Et quant à la tragédie meurtrière qui est le tournant du film, ces trois-quarts d’heure-là sont plus près de « Tatort » que de « The Wire », si vous voyez ce que je veux dire …

Reste de belles images (après une bonne trentaine de films, Allen sait tenir une caméra, on est loin des images et des plans foutraques du début des seventies). C’est sobre et classique dans la mise en scène, bien cadré, les décors et les lieux de tournage (le manoir des bourges, la Tate Gallery, …, Allen a eu l’autorisation de tourner partout où il en avait envie) sont somptueux, certaines scènes sont superbes (le premier baiser de Rhys Meyers et Johansson sous une pluie diluvienne), mais rien de palpitant, et suspense pas vraiment haletant …

Comme en plus le Woody a des goûts musicaux sur lesquels j’éviterais de donner un avis de peur de devenir grossier, il laisse tomber le jazz à clarinette pour de l’opéra avec disques vintages en 78 tours en fond sonore (d’où un son mono et les craquements des disques), ce qui n’est pas forcément une bonne idée, même si elle est censée être raccord avec le milieu social des protagonistes …

Le tennis étant un sport où il ne peut pas y avoir de match nul, on dira que Woody Allen a gagné … sans convaincre vraiment …