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ICE-T - O.G. ORIGINAL GANGSTER (1991)

 

Grand frère ...

Aujourd’hui le rap est mort. Comme le rock, la pop, le blues, le funk, le reggae, l’électro … Ou tout ce que vous voulez qui sort d’une enceinte (c’est quoi ça, une enceinte, demande le gamin du 21ème siècle, ses airpods dans les esgourdes crachotant une saloperie sonore en playlist sur Spotify). Aujourd’hui, on a des sortes de moines copistes sonores qui retranscrivent à grand-peine (merci Autotune) à grands coups de sons métallisés (merci le vocoder), ce qui se faisait avant (parce que c’était mieux avant, ou moins mauvais). Et plus t’as de disques (c’est quoi ça un disque, demande le gamin du dessus), plus tu t’aperçois que les plus récents tu les as déjà entendus depuis des décennies. Et je parle pas des reprises (c’est quoi ça une reprise … ‘tain, tu vas nous lâcher toi).

Donc rap is dead … de sa belle mort il y a un quart de siècle. L’assassin involontaire : Eminem dont deux ou trois disques (excellents, c’est pas le propos) l’ont fait rentrer dans le mainstream grâce à un invraisemblable paradoxe, le rap, ce genre issu des quartiers paupérisés Noirs de New York, venait d’accoucher de sa plus grande star, un minot white trash de Detroit. Blanc donc. La boucle était bouclée, la récupération à toutes les sauces en marche. Sommet (en attendant mieux ?), le quinqua Snoop Dog (celui-là même qui avait scandalisé l’Amérique du milieu des 90’s avec son gangsta-rap jazzy et porno), supporter number one des Ricains aux J.O. de Paris et premier MC des J.O. de Los Angeles. Le serial niqueur fumeur de ganja applaudissant sans discontinuer des couillons de sportifs, et vantant les immenses mérites de Trump … Comme quoi l’herbe à fortes doses peut causer des dommages cérébraux irréparables …


Revenons-en au sieur Ice-T. Né dans le New Jersey, orphelin très jeune, déménagé vers L.A., ado délinquant, militaire délinquant, puis délinquant professionnel (assez malin pour éviter les flagrants délits). Avec en fonds sonores les débuts du rap. Même s’ils sont plusieurs à revendiquer le titre, il est à la fin des 80’s un des instigateurs majeurs du gangsta-rap, et un des très rares à ne pas avoir eu besoin de s’inventer un passé « glorieux ».

Alors que la plupart de ses potes finissent en taule, il laisse tomber les braquages pour se consacrer à plein temps au rap, rassemblant des gens autour de lui (le Rhyme $yndicate, qui deviendra le nom de son label, distribué par le gros indé Sire Records).

Il y a deux portes d’entrée à la reconnaissance dans le rap. Soit avoir des textes forts, soit un son qui déchire tout. Quand tu réussis sur ces deux tableaux, soit tu t’appelles Public Enemy, soit NWA (liste close). Ice-T il a plein de choses à dire. Mais ses disques sont chiants. Des titres monolithiques, plutôt secs et austères, avec quelques samples discrets de sons vaguement jazzy ou funky en constituent l’essentiel. Et puis, ça finit jamais, rondelles témoins sonores d’une époque où le Cd régnait en maître et où le rappeur qui sortait des disques de moins d’une heure passait pour une grosse feignasse. Alors on a droit à des intermèdes-interludes dispensables et parmi les « vrais » titres, on choisit le remplissage plutôt que l’élagage.

J’ai écouté une poignée de disques de l’Ice-T et ce « Original Gangster » me semble le plus abouti du lot. Que quelqu’un de peu accro au genre balancera par la fenêtre au bout de dix minutes, c’est pas destiné au « grand public », c’est trop brut de décoffrage. Quelques titres ressortent du lot, dont « New Jack Hustler » qui est un de ses plus gros hits (une des rythmiques les plus trépidantes de la rondelle, le plus « fini, travaillé » avec ses arrangements jazzy). Dans le même registre (samples jazz, avant que le procédé devienne systématique, les débuts du rap piochant essentiellement dans le funk en général et James Brown en particulier) on peut citer « Mic contract », « Bitches 2 » (rien que le titre montre que le rap des débuts, voire de toujours, n’était pas vraiment inclusif). Côté funky, mérite la citation le groovy « Pulse of the rhyme ».


Ce qui sauve artistiquement Ice-T d’une façon générale et sur ce disque en particulier, c’est son ouverture d’esprit et/ou musicale. Le vrai dur de dur se permet de rimer sur une thématique peu en vogue, l’appel au calme, à l’apaisement, dans une époque où à L.A. deux maxi-gangs rivaux les Bloods et les Crips faisaient donner l’artillerie (souvent lourde) pour régler leurs différends (oubliez les rafales de kalach marseillaises d’aujourd’hui, au début des 90’s dans les quartiers chauds de Los Angeles, c’est toutes nuits qu’il y avait des morts). Le morceau manifeste d’Ice-T sur le sujet c’est « Escape from the killing fields », appel à ranger les flingues plutôt que de se livrer à des règlements de compte sans fin ultramédiatisés par un système qui se fout bien que de jeunes minots y laissent la peau, tant que ça fait vendre du papier ou que ça rapporte des points d’audimat. Très loin des provocations et des appels aux règlements de comptes qui feront dans la décennie momentanément la fortune de quelques-uns (2Pac, Notorious Big) avant de faire celle des sociétés de pompes funèbres. Par cet aspect-là, le propos d’Ice-T est assez similaire de celui d’un Bernie Bonvoisin lors des débuts de Trust (avant qu’il devienne fan de François Bayrou). Il se comporte en grand frère, en mec qui a donné, et qui prône la réflexion avant l’action …

Ice-T & Body Count

Autre originalité de Ice-T, l’ouverture musicale. Alors que le rappeur de base est généralement un égocentrique obtus (j’écoute que du rap, et tous les autres rappeurs sont nuls), Ice-T ouvre grand ses oreilles. Il a entendu les Beastie Boys et leurs samples de grosses guitares zeppeliniennes. Et le coup des guitares en avant Ice-T va le tenter sur deux titres, « Mind over matter » et « Midnight ». Rien cependant à côté du titre « Body Count ». Derrière il y a tout un concept, défini (lors d’une interview ?) en intro. Le rap c’est la musique des déclassés blacks, le heavy metal hard rock celle des déclassés blancs, et bien moi Ice T je vais jeter une passerelle entre les deux genres. « Body Count », c’est des vrais instruments (guitares, basse, batterie) qui envoient salement le bois. Tempo metal, solo bluesy, et l’Ice T qui rappe par-dessus. Démarche assez rare (des Noirs qui jouent de la musique de Blancs, c’est le contraire qui est le plus souvent de mise), esquissée par les Bad Brains au début de la décennie, voisine de celle de Living Colour (hard hendrixien jazzy), et beaucoup plus radicale que l’intégrale des Red Hot Chili Peppers. Descendants directs de « Body Count », Rage Against The Machine. A noter que Ice T poussera le bouchon encore plus loin, montant l’année suivante le groupe de heavy rock uniquement composé de Noirs (Body Count forcément) auteur d’un morceau à l’origine d’une des plus grosses polémiques musicales des 90’s, le brûlot sonore « Cop Killer » (tout est dans le titre).

Bien que ça n’ait pas grand-chose à voir avec la musique, signalons que Ice T diversifiera très vite ses activités, multipliant les rôles au cinéma où dans les séries TV. (bon, c’est pas des prestations à Oscars avec des réalisateurs de premier plan, on est d’accord …).

Si vous souffrez de TOC, et que vous vouliez absolument une rondelle de Ice T, « O.G. Original gangster » est celle qu’il vous faut …




MANO NEGRA - PUTA'S FEVER (1989)

 

MST (Musique Sans Territoire)

C’était un temps (les années 80) où, comme d’habitude la plupart de ceux qui sortaient des disques en France couraient après ce qui marchait ailleurs (chez les Grands Britons ou les Ricains). Sauf que par hasard, à force de courir, certains les avaient dépassés. Oh, pas dans tous les domaines, mais c’est en territoire mitterrandien qu’était sorti un genre inconnu ailleurs, qu’on baptisa rock alternatif. Piochant dans les tréfonds de la musique franchouillarde (les flonflons des bals musette, la chanson réaliste à texte), et passé à la sauce punk (ou bourrin, ça marche aussi).

Mano Negra 1989

Têtes de gondole du genre, les Bérurier Noir, qui faisaient ce qu’ils pouvaient pour masquer et refuser un succès populaire certain, allant jusqu’à la dissolution du groupe pour être sûrs de ne pas passer en boucle sur NRJ. Dans leur sillage, une foultitude de groupes affichant à peu près la même radicalité morale. Il y avait deux camps : les intégr(ist)es, refusant toute forme de « compromission » avec le « système », et puis ceux pour qui ce qui comptait c’était de s’éclater entre potes (ceux du groupe, ceux qui venaient les voir). Dans cette seconde catégorie, la Mano Negra.

La Mano venait de loin. De plein de groupes de « jeunesse » (Hot Pants, Carayos, Kingsnakes, …), où se sont rencontrés ceux qui allaient devenir l’ossature de la Mano Negra (les frères Chao, Santi). Le groupe n’a jamais eu de composition définie et rigide, selon les époques et les occasions (travail en studio ou prestations scéniques), mais a toujours compris au moins une demi-douzaine de personnes. Un groupe dont il n’est pas facile de dresser l’historique au niveau personnel, d’abord parce que tous avaient un (voire plusieurs pseudos), qu’il y avait beaucoup « d’invités » (dont certains de façon quasi permanente), et qu’au hasard de ses tournées dans les pays le plus improbables, des musiciens locaux se joignaient pour quelques dates (ou quelques mois) au groupe sur scène …

Leur premier album, « Patchanka » est paru chez Boucherie Productions, label de François Hadji-Lazaro (qui avait joué avec Manu Chao dans los Carayos, le monde du rock alternatif est petit …). Le morceau de latino punk endiablé « Mala vida » va devenir un hit, et les majors, sentant le potentiel commercial de la Mano, sa faculté à remplir des salles où le groupe donne des prestations explosives, se pointent avec leur chéquier. La Mano Negra va signer chez Virgin pour un nouvel album, qui sera ce « Puta’s fever » dont je m’en vas vous causer.


Parenthèse : je vais zapper tout le débat « traîtres – vendus » qui a secoué pendant des années voire plus les principaux tenants de « l’affaire », les arguments antagonistes et irréconciliables, les rancœurs étalées au grand jour par presse spécialisée ou pas interposée, les interventions par centaines de gens qui n’étaient en rien concernés mais qui prenaient position, et le plus souvent de façon pas très nuancée … Débats qui n’auraient certainement pas eu lieu si « Puta’s fever » avait fait un bide …

« Puta’s fever », il ressemble au groupe qui l’a fait. Protéiforme et bordélique, s’il fallait s’en tenir à deux mots. Il y a des effluves de rock, de rockabilly, de punk, de reggae, de chanson réaliste, de rap, de musiques latines, arabes, et j’en passe, le tout souvent mêlé dans le même titre. Idem pour les paroles, parfois politiques, parfois drolatiques, parfois nonsensiques … Paroles chantées en français, anglais, espagnol, arabe, voire entre charabia et yaourt … Et le tout défile à toute blinde (dix-huit titres en quarante minutes, les plus longs dépassent à peine les trois minutes).

S’il fallait ne citer qu’un disque similaire, celui qui s’approche le plus de « Puta’s fever », tant par « l’esprit » que par la multiplicité des genres abordés, c’est « Sandinista ! » du Clash (avec quatre faces vinyle de moins). Parallèle ni très osé ni très difficile à établir, le groupe de Jones et Strummer est le dénominateur commun d’à peu près tous ceux qui œuvrent dans la Mano …

Trente cinq ans après les faits, ce stroboscope sonore passe quand même moins bien que lors de sa sortie. Et malgré les tempos supersoniques, on trouve des redondances, de l’autocomplaisance, et on sent des passages « diplomatiques », pour faire plaisir ou mettre en avant tel ou tel de la bande. Il n’empêche que pour une rondelle aussi « typée » et datée, « Puta’s fever » tient plus que bien la route.

Pour une raison primordiale, les gens de la Mano sont vrais, ne trichent pas, ne renient rien (de leurs origines, de leurs goûts musicaux, …), ne se la racontent pas, vivent et enregistrent au jour le jour, sans plan de carrière. Pas de calcul, des tripes et la bonne humeur à faire partager.

Point musical commun de la plupart des titres, des tempos tachycardiques. D’entrée le morceau « Mano Negra », un machin speed indéfini suscite presque le doute (sur vinyle) de la bonne vitesse de rotation du disque. Et puis le Grand Huit musical se met en branle, on passe du rockabilly à gros riffs hardos au final (« Rock’n’roll band ») à un rap, « King Kong Five ». Gros succès en 45T, et fait assez rare pour un rap somme toute basique, le rythme est souligné par un bon vieil orgue Hammond (ou c’est bien imité). « Soledad », hormis son tempo hyper-rapide, pourrait passer pour le meilleur titre des Négresses Vertes, est soutenu par de gros riffs de cuivres et recrache au final la mélodie de « Je cherche après Titine » (très vieux morceau franchouillard, déjà « adapté » en yaourt avec sa chorégraphie surréaliste par Chaplin dans « Les Temps Modernes »). Suit un morceau chanté en arabe (« Sidi H Bibi »), mixant musique traditionnelle (?) nord-africaine et rock alternatif, avant un hommage sonore appuyé au Clash avec « The rebel spell » et « Peligro ». Changement de décor avec le plus gros succès du groupe, « Pas assez de toi ». Rythme apaisé mais festif, sur des paroles bien dépressives, limite suicidaires.

Manu Chao

« Pas assez de toi » est le sommet populaire du disque. La suite de la rondelle sera moins évidente. Rien d’ignoble, on reste en terrain connu, mais il y a des choses qui font redite (« Voodoo », « Magic dice », « The devil’s call »), on se laisse aller à la facilité (« Pachuco hop », matrice du punk musette qui engendrera tant de groupes dispensables), ou à la grosse blague un peu lourdingue (« Roger Cageot » le titre du guitariste Daniel Jamet, comme un crobar de Reiser mis en musique, ou « La rançon du succès » classic rock balourd qui bifurque non moins lourdement sur le « Chéri je t’aime » du très improbable Bob Azzam).

Au rythme où ça s’enchaîne, on peut pas parler de remplissage, mais quelques passages auraient mérité d’être élagués, et d’autres développés sans que ça ressemble à du prog …

Titre charnière du disque : « Guayaquil City », tempo beaucoup moins oppressant, rythme sud-américain, qui préfigure la carrière solo de Manu Chao. Parce qu’il faut bien en causer du garçon. N’allez surtout pas dire que la Mano c’est sa chose, ça lui aurait pas fait plaisir, d’autant plus que c’est pas vrai. Mais il en était la figure de proue (guitariste rythmique et principal chanteur), de très loin le plus gros contributeur en matière d’écriture. Le seul capable de faire parler de lui à la fin du groupe au début des années 90 en se lançant dans une carrière solo à l’écho mondial (par charité, on se contentera de citer sans commenter la reconversion du batteur Santi qui rejoindra le staff directionnel d’Universal Music et le jury de Popstars sur M6 …).

On ne compte plus tous les groupes et disques qui en cette fin des 80’s ont surfé sur cette vague patchwork, concrétisée par le succès de la Mano Negra et de « Puta’s fever ». Très rares ont été ceux qui sont parvenus à laisser des publications qui tiennent la route aujourd’hui, autrement que sous l’angle nostalgie … La Mano Negra, c’étaient les meilleurs et « Puta’s fever » reste d’assez loin leur sommet créatif …


TONTON DAVID - LE BLUES DES RACAILLES (1991)

 

Tonton flingueur ou Tonton flingué ?

Tonton David, son vrai blaze c’est Ray David Grammont. Ça commence mal, c’est con, je trouve que son nom est mieux que son pseudo …

Réunionnais de naissance et donc immigré en région parisienne (oui, je sais, La Réunion c’est en France, c’est la façon dont tu es perçu en métropole qui compte), une biographie (falsifiée, exagérée ?) de petit délinquant avec case zonzon, et une « expatriation » en père de famille déjà nombreuse vers la riante cité de Metz (cercle polaire septentrional) … Bon, je pourrais continuer dans cette veine là, mais c’est trop facile, malheureusement pour lui, il est plus là pour répondre, et puis, ce qui me gave chez lui, c’est pas le personnage (publiquement au demeurant assez sympathique), c’est la musique qu’il a fait.


Le Tonton, il vient du reggae. Enfin, le reggae des années 80 … Pause et petit rappel des faits. Le reggae, ça vient du ska, du rocksteady et de la Jamaïque des années 60. Bob Marley en fera un genre musical universel quand il deviendra une star planétaire au milieu des années 70. Trop tard pour les pseudo rastas de circonstance, musicalement le genre est moribond, les meilleurs titres et disques (y compris ceux de Marley) datent tous d’avant 74-75. Et quand Marley claquera en 81, personne ne reprendra l’affaire reggae en main. Les contemporains et possibles héritiers ne manquent pas, mais aucun n’atteindra l’universalité de Saint Jah Bob … Quant à la nouvelle génération, ces gamins jamaïcains nés dans les années 60, ils vont remplacer les musiciens par des machines, la structure rythmique deviendra beaucoup plus sèche et répétitive, le phrasé beaucoup plus scandé (reprenant les choses là où les avaient laissé les toasters des sound-systems jamaïcains des 60’s). On appellera ça le dancehall, avec deux courants : le slackness (ancêtre du gangsta-rap américain, le bad boy ou prétendu tel serial lover) et le raggamuffin (ceux qui causent accessoirement d’autre chose). A peu près la même chose se retrouvera aux States, où l’on parlera de rap. Quand le rap explosera commercialement au niveau mondial (Public Enemy et d’autres dans la seconde moitié des 80’s), les répliques se feront sentir partout, y compris dans notre chère Gaule. Quelques émissions de télé rétrospectivement assez risibles assureront l’implémentation du genre dans les oreilles de toute une génération issue de ce que l’on appelait les banlieues. Et quelques-uns passeront de l’écoute à la pratique sous le regard au mieux condescendant des maisons de disques. Une seule, Virgin, fondée par l’ancien hippie mais vrai affairiste Richard Branson, par le truchement du sous-label Labelle Noir, publiera en 1990 une compilation qui va se révéler fondatrice, « Rapattitude », où l’on retrouvera quelques seconds couteaux en devenir du rap, Assassin, Saï Saï, et les futures stars NTM. Parmi la dizaine de titres, une rengaine très mélodique sur fond de raggamuffin, « Peuples du monde » signée Tonton David. Premier vrai succès (radios, télés, charts) du rap français au sens large (après l’étonnant et improbable « Chacun fait ce qui lui plaît » de Chagrin d’Amour). Virgin battra le fer tant qu’il était chaud, et Tonton David se verra poussé en studio pour enregistrer un disque. Pour la petite histoire c’est Polydor qui sortira en 90 le premier album de rap à succès, « Qui sème le vent récolte le tempo » du plutôt brillant MC Solaar.


Des succès, l’Oncle David en aura, mais sous forme de singles, par contre il ne sera jamais un vendeur d’albums.  « Le blues des racailles » sera son premier 33T et un bide assez retentissant, et ce bien qu’il contienne en dernière piste « Peuples du monde » (le 45T est beaucoup plus facile à trouver aujourd’hui d’occase que l’album original).

Pourtant Tonton David se situe à la croisée des chemins rap et raggamuffin, y’avait de quoi ratisser large. Même si la bande tricolore (vert, rouge et jaune) de la pochette est le signe de ralliement de tous les reggaemen, on sent l’envie forcenée de coller à l’air du temps. Problème, à l’heure où le rap américain reposait sur un gros travail de studio, « Le blues des racailles » sonne cheap, bâclé. Des structures rythmiques maigrichonnes, des boucles minimalistes, et à contre-courant des standards internationaux, le gros des efforts est dirigé sur l’architecture mélodique et le soin apporté au refrain par le renfort d’un chœur féminin (à la I Threes de Marley) présent sur de nombreux titres. Et puis, y’a un autre souci. Le rap ou le raggamuffin sont affaire de tchatche (le flow disent les connaisseurs), et de plus en plus à l’époque, de textes. Ici, ça vire souvent à la cata. Oncle David arrive pas à coller vocalement sur des tempos qui se doivent d’être rapides, sa diction est pas bonne du tout, son accent ultramarin qu’il a pas réussi à perdre lui fait bouffer la moitié des mots et des pans entiers de phrases sont incompréhensibles. Et les thèmes abordés restent gentiment centristes, convenus. On est loin de la dentelle verbale travaillée d’un MC Solaar, et des punchlines balancées par les rappeurs américains et que sont en train de mettre en place dans leurs caves NTM ou IAM et l’émergence de ces deux-là renverra Tonton David au rang d’amuseur cool, que viendra lui contester au milieu des 90’s le risible et futur sarkozyste Doc Gyneco.

On sent dans « Le blues des racailles » que toutes les « figures imposées » du rap ou du raggamuffin sont traités de façon superficielle. Le côté bad boy sur l’introductif (bidonné ?) « Mon CV », le « sauvetage » grâce à la musique (« A qui la faute »), le machisme « gentil » (« Les jeunes filles vont nous tuer »), l’auto-glorification (« Tonto »), les flics (« Ils ont appelé la police pour moi »), la réussite financière (« CA$H »).


Deux titres posent problème (mais comme personne a dû les écouter, ça n’a pas fait de vagues, de scandales, ou de buzz). « Je parle à toi » avec au milieu d’une litanie de clichés à tendance communautariste une au moins maladroite sinon débile référence à « un accroissement inexorable de l’homosexualité ». Quant à « Pretoria » sur la situation d’apartheid en Afrique du Sud, on est loin de la qualité de « Biko » de Peter Gabriel, des albums « Graceland » de Paul Simon ou « Survival » de Marley, et à propos de Marley le citer à la fin du titre pour prédire une guerre civile, est une dénaturation et une réécriture totale des prises de position de Saint Bob …

Au final, il en reste quoi à sauver de ce disque ? Pas grand-chose. Allez, en ratissant large, j’en sauve trois (sur quinze). Le morceau-titre, plutôt basé piano et guitares (bien discrètes) que machines, « CA$H », un des plus élaborés musicalement, avec ajout de chœurs féminins et de cuivres, et le gentil hit « Peuples du monde ».

Ce hit qui suffira au Tonton pour devenir quelqu’un qui compte, d’autant plus qu’il réussira à sortir d’autres hits encore plus niais, notamment « Chacun sa route » épaulé (?) par Manu Katché et Geoffrey Oryema (la B.O. du sans intérêt « Un Indien dans la ville »), qu’on le verra dans des émissions prime time, image lisse et souriante d’une musique et d’une génération qui ne l’étaient pas vraiment par ailleurs. Ses petits succès dans les 90’s ne lui feront pas prendre la grosse tête mais plein de kilos, avant qu’il disparaisse des radars, et même tout court, victime d’un AVC il y a quelques années.

« Le blues des racailles » c’est poubelle direct. Si des trucs réussis dans ce genre quasiment disparu aujourd’hui vous intéressent, à peu près tout ce qu’a fait le Massilia Sound System dans les 90’s vaut le détour (du rap et du raggamuffin en provençal). Sinon, y’a quelques plages du grandiose « Banzaï », du groupe punk radical La Souris Déglinguée qui s’était offert une escapade fabuleuse vers des rythmes moins à ras du bitume que ceux auxquels ils nous avaient habitués depuis leurs débuts …





PUBLIC ENEMY - APOCALYPSE 91 ... THE ENEMY STRIKES BLACK (1991)

 

Envoyez le boucan !

S’il fallait résumer tout ce qu’a pu représenter le rap dans ses vingt premières années (y’en a eu d’autres des années, mais celles qui ont compté étaient au vingtième siècle, et qu’on vienne pas me causer du génie de Kendrick Lamar, Kanye West, … ou qui sais-je encore, sinon je vais me fâcher tout rouge …) il suffirait de dire Public Enemy. Pas les premiers, pas les plus spectaculaires, pas les plus gros vendeurs, juste les meilleurs et de très loin à mon avis …

Terminator X, Flavor Flav, Chuck D : Public Enemy 1991

Parce qu’ils étaient au bon endroit au bon moment (New York, où toute l’affaire avait commencé fin 70’s), parce qu’au-delà de l’engagement convenu de tous les rappers, ils avaient un discours politique (on y reviendra), parce qu’ils avaient avec Chuck D un frontman-leader comme on n’en reverra plus dans le genre, et parce qu’au niveau son et musique, ils enterraient tout le monde (plus pour longtemps, en 1991 un certain Dr Dre pour le moment encore anonyme au sein des encore obscurs NWA, fourbissait ses armes) …

Public Enemy a enquillé les disques majeurs entre 87 et 91 (donc jusqu’à ce « Apocalypse 91 … » en question). Ensuite, ils ont plus ou moins perdu le fil de leur truc (trop d’ingrédients humains instables dans leur affaire, et plein de concurrents qui poussaient très fort pour tenir le haut de l’affiche). Là, pendant un lustre, Public Enemy a été le groupe capable de fédérer toutes les communautés et toutes les chapelles musicales. En plus de s’adresser de manière assez radicale aux Blacks, ce sont les Whitey (comme disait Sly Stone, autre fusionneur de musiques) qui sont en ligne de mire (faut les obliger à « réfléchir » et accessoirement prendre leurs dollars). Le titre du disque renvoie à la culture blanche cinématographique (un mix entre « Apocalypse Now » et « The Empire Strikes Back » le second – ou cinquième – volet de la saga « Star Wars ») et Public Enemy va plus loin dans la drague des hardeux (genre musical éminemment blanc) que les égéries (?) d’Adidas Run DMC associés au come-back d’Aerosmith ( « Walk this way »). Ici, Public Enemy s’acoquine avec les trashers d’Anthrax pour un « Bring the noise » anthologique (le titre est paru initialement sous la forme d’un single mais est repris sur la dernière plage de l’album). Conséquence : Public Enemy se verra inviter au festival pourtant pas très funky de Reading en 1992, généralement chasse gardée des rockers à guitares …

Anthrax & Public Enemy

Public Enemy, de par son nom, vient de James Brown. Et « Apocalypse … » est leur disque le plus funk. Même si l’essentiel de la musique est à base de machines et de samples, on quitte souvent le métronomique inhérent au genre pour aller vers le lancinant et le répétitif, juste comme le faisait Jaaames dans les années septante, réduisant son funk à une pulsation rythmique obsédante (flagrant sur des titres comme « Rebirth » ou « I don’t wanna be called yo Nigga »). Et plutôt que de se faire les interprètes rigides des Tables de la Loi qu’ils ont créées, Public Enemy n’hésite pas à incorporer quelques notes de piano house (le genre électronique de base de toutes les rave parties qui commencent à se multiplier partout sur la planète) comme sur un break de « Can’t truss it » ou le « I don’t wanna be … » déjà cité. Public Enemy va encore plus loin vers le défrichage sonore avec « More news at 11 » qui tient beaucoup plus du chant que du rap, est très mélodique et précurseur de ce que feront bientôt les Arrested Development …

Public Enemy live

« Apocalypse … » n’en est pas pour autant un disque exagérément novateur. Tout ce qui fait et résume la patte Public Enemy est là. Des samples anxiogènes de Terminator D (crissements et sirènes divers et variés) aux règlements de compte perso (pas ce que je préfère chez eux, cette posture de matamores revanchards comme dans le très quelconque « A letter to the New York Post »), en passant par le ping pong verbal entre Chuck D et Flavor Flav. Et puis et surtout, Public Enemy est un groupe militant et politique. Une « organisation », pas seulement composée des deux rappers et du Dj. Parties intégrantes du groupe, le Bomb Squad (les producteurs), et le S1W (Security of the First World, ses tenues (para)militaires et ses chorégraphies violentes sur scène). Côté politique, P.E. fricote avec Farrakhan (le leader-gourou de la Nation of Islam, extrapolation souvent douteuse, équivoque et religieuse des discours de Malcolm X). On est assez loin des gentils prêches militants de la cause Noire de Martin Luther King … même si le « By the time I get to Arizona » (allusion au « By the time I get to Phoenix » de Glenn Campbell et surtout sa reprise par Isaac Hayes) est une attaque au vitriol contre un Etat qui a refusé d’instaurer la journée hommage à Martin Luther King. Une attaque accompagnée d’un clip controversé, y compris par la veuve de King, mais la polémique, souvent recherchée, ça fait aussi partie de Public Enemy …

« Apocalypse 91 … » c’est peut-être pas le meilleur de Public Enemy (pour ça voir plutôt du côté de « Fear of a Black Planet », mais les deux premiers ont aussi leurs fans). C’est peut-être leur plus varié, ou leur moins monolithique, comme on veut … La suite (à part la compile de remixes « Greatest misses ») est beaucoup plus dispensable …    


Des mêmes sur ce blog :

It Takes A Nation Of Millions To Hold Us Back                                          




DIZZEE RASCAL - BOY IN DA CORNER (2003)

Rap 2.0 ?

« Boy in da corner » a été considéré comme un disque important, voire majeur par les gens compétents en matière de rap. Soit. Du haut de mon incompétence, j’affirme que cette rondelle me gonfle …
Le rap, quand je suis de bonne humeur (si, si ça m’arrive), je supporte. Parfois même j’apprécie. Bon, le rap old school. Parce que moi aussi je suis de la old school. Même de la very old school. Pour les quelques-uns à qui les débuts de Dizzee Rascal auraient échappé, le minot a le profil type du rappeur, avec tous les malheureux clichés qui vont avec. L’enfance difficile, la petite délinquance et la rédemption par la musique, où il se fait remarquer encore tout ado en tant que Dj remixeur dans les soirées et les endroits pointus. Contrat avec XL Recordinds, (très gros label indépendant ayant signé ou distribuant Beck, Gorillaz, Moby, White Stripes, … plus tard Adele ou Vampire Weekend, …) et alors que le gamin n’a que 19 ans, parution de « Boy in da corner ».
Ou il pose, sitting on a corner, en survet bouffant et Nike rutilantes (comme quoi il a un goût de chiottes pour choisir ses fringues), et fait des mains sur sa tête un signe susceptible de rallier tous les fans d’Angus Young. Que ceux-ci passent leur chemin, ce disque n’est absolument pas pour eux …
Dizee on Dizzee. Mar Bolan faisait ça au début des 70's
D’entrée le son surprend. Tout le temps d’ailleurs. C’est d’une sécheresse brutale et lourde, une sorte d’épure rythmique balancée façon techno. Le Dizzee il rappe par-dessus. Avec son nez, d’une voix nasale qui contribue pas à flatter l’oreille. C’est pas de l’inouï total, un type comme au hasard Tricky savait parfois donner dans les très lourd martial. « Boy in da corner » donne dans le social, dans l’introspectif d’ado immature qui arrive pas à pécho de la meuf (« I luv U » t’es une gamine et t’entends ça, tu détales …), comme des thèmes de morceaux des Buzzcocks revus par le rap.
Le coup du disque à sa petite maman chérie sonne forcément cliché (tous ces bad boys ont toujours fait ça, à commencer par les plus asociaux genre 2Pac, ça leur donne peut-être bonne conscience …), et puis 4 lignes plus loin dans le livret arrive un « fuck you » pour tous les « haters & enemies », pfff, ça finit par être d’un ridicule, cette histoire…
Sinon, comme le gars est Anglais, il y a des trucs qui ressemblent à Queen (désolé, mec, mais comme tous ceux de ton île, t’as grandi avec Mercury et sa clique en heavy rotation partout et ça laisse des traces, même si ce doit être une comparaison honteuse pour toi) comme « Fix up look sharp » (l’énorme batterie de « We will rock you » a fait des petits), ou les relents opératiques de « Just a rascal », par ailleurs d’assez loin meilleur titre de la rondelle parce que très différent des autres …
Et on appelle ce sous-genre de rap le grime (désolé j’ai pas trouvé de jeux de mots con ou une contrepèterie à faire avec ça …)
Ah, et le Dizzee il a gagné le Mercury Prize (sorte de César de la musique chez les British) avec cette rondelle …
Et sinon … sinon rien, on passe au suivant et à l'année prochaine…



GNARLS BARKLEY - ST. ELSEWHERE (2006)

Does that make me crazy ?
Euh, pas vraiment … Et plus le temps passe, plus le temps passe, quoi, si vous voyez ce que je veux dire. Aujourd’hui, ce « St. Elsewhere », on le trouve à 1 centime (moins les frais de port) d’occase n’importe où sur le web. La loi de l’offre et de la demande, vous me direz. Certes, mais y’a pas trop de demandeurs dans ce cas. Ou il y en a à vendre à la pelle de ce « Rue Quelque Part » …
CeeLo green & Danger Mouse : Gnarls Barkley au complet (veston)
Pourtant Gnarls Barkley, au milieu des années 2000, c’était le truc dans l’air du temps. La réunion conjonction de deux types dont on voyait le nom partout, les dénommés Thomas DeCarlo Callaway et Brian Joseph Burton. Comme leurs vrais blazes étaient pas très sexy, ils avaient eu la bonne ( ? ) idée de se rebaptiser CeeLo Green et Danger Mouse (ce qui était pas forcément mieux). Les deux officiant avec succès, le premier dans un rap soul et cuivré, l’autre dans la production de trucs furieusement tendance, chacun récoltant de son côté de gros paquets de billets verts.
Gnarls Barkley, personne a jamais pris ça au sérieux, et certainement pas les deux principaux intéressés. Plutôt un truc du genre, quand on a bossé toute la journée dans un studio d’enregistrement, si on y revenait juste pour s’amuser ? Aussitôt dit, aussitôt fait. « St. Elsewhere » sent la récréation, on trouve une mélodie, un gimmick, quelques samples, Danger Mouse cale tout ça sur ses ordis, et le CeeLo Green chante ou rappe là-dessus. On se prend pas trop le chou, à quoi ça sert, on est connus et malins, il se trouvera toujours quelques couillons pour acheter notre rondelle.
Au bal masqué oh hé oh hé ...
Coup de bol, les deux compères ont sorti une tuerie, un single hyper malin, frais et bien foutu, qui a rythmé 2006 et 2007, ça s’appelle « Crazy », c’est bête comme chou, avec un sample d’une B.O. de western italien pour attirer l’oreille, et ça a fonctionné. Heureusement, parce que le reste, c’est soupe à la grimace. On sent les deux types qui avaient écrit sur un tableau tous les genres musicaux auxquels ils avaient d’accommoder leur electro rap de base et qui à mesure piochaient dans la liste. Tiens et si on mettait du gospel (« Go-go gadget gospel »), du rock garage (« Gone daddy gone »), un zeste de boogie (« The boogie monster »), de la soul lascive (« Online »), une mélodie pop (« Smiley faces »), … Dans tout ce bazar, qui fait penser dans l’esprit et le résultat à Moby (voir le « Natural blues » du chauve vegan qui n’avait rien de naturel ni de blues), ne surnagent, outre « Crazy », que deux morceaux qui dépassent tout le reste de la tête et des épaules, « Just a thought », et « Who cares » bonnes chansons aux arrangements originaux.
A noter qu’un titre s’appelle « Transformer » et n’a rien à voir avec Lou Reed, un autre « The last time » sans rapport avec les Stones. Ah, et pour être exhaustif et descriptif, rendons grâce à CeeLo Green et Danger Mouse de ne pas s’être éternisés et vautrés dans un double Cd indécent. « St. Elsewhere » aligne quatorze titres en moins de quarante minutes, comme quoi, quitte à faire des plaisanteries plus ou moins douteuses, autant les faire courtes.

Les deux compères ont tenté une suite deux ans plus tard qui n’a intéressé personne, le Green est revenu à son fonds de commerce rap habituel, le Danger Mouse a continué de coller son nom sur tout un tas de disques, devenant ces derniers temps l’officieux troisième Black Keys …



PUBLIC ENEMY - IT TAKES A NATION OF MILLIONS TO HOLD US BACK (1988)

Combat rap ...
Public Enemy, c’est du rap, certes. Mais aussi beaucoup plus que cela… En trois disques à la fin des années 80 ils ont placé la barre tellement haut que personne a cherché à la franchir depuis, on a vu tous les grands noms de la chose partir dans d’autres directions, esquiver le défi, ou se casser les dents à le relever. A la limite, Public Enemy, ils auraient même pas fait de musique, ils auraient fait parler d’eux.
PE presque au complet ...
Public Enemy, c’est un concept global. Deux rappeurs, un dans les graves (Chuck D.), l’autre dans les aigus (Flavor Flav). Un jongleur des platines et de bidules électroniques qui tient plus du terroriste sonore que du pousseur de disques (Terminator X). Un ministre ( ? ) de l’Information ( ?? ), Professor Griff. Une équipe d’auteurs (le Bomb Squad). Une milice à Uzi (S1W, pour Security of the First World). Une affiliation « politique » (la Nation of Islam). Un « atypique » pour la mise en sons (Rick Rubin, juif fan des deux genres musicaux alors extrémistes et a priori opposés, le rap et le trash metal). La seule chose bruyante connue qui coche autant de cases, c’était … le MC5.
Evidemment, pareil conglomérat ne pouvait pas durer sans frictions. Et si Public Enemy existe encore vaille que vaille aujourd’hui, ne restent plus de cette dream team originelle que Flav et Chuck D. Quelques uns de l’aventure « It takes a nation … » sont morts, Terminator X n’était pas là au début, le Bomb Squad s’est plus ou moins désintégré, Rubin est parti voir ailleurs et faire la carrière que l’on sait, le S1W a vu défiler un nombre conséquent de gros bras, et Griff (ministre de l’Information faut-il préciser) a multiplié les déclarations racistes, homophobes, antisémites, et on en passe …
Mais là, à l’époque de « It takes … », pièce centrale de la trilogie entamée l’année d’avant avec « Yo ! Bum rush the show » et conclue en 90 avec l’énorme et insurpassé « Fear of a black planet », Public Enemy plane très loin au-dessus de toute la meute en survet et casquettes à l’envers.
Terminator X, Flavor Flav, Chuck D.
Public Enemy, c’est au départ la rencontre de Flav et Chuck D du côté de la fac de long Island, New York City. Fans de soul, de funk, des premiers collectifs proto-rap « engagés » (Grandmaster Flash), et des « poètes de la rue » des 70’s (Last Poets, Gil Scott-Heron). Influence majeure, on s’en doute un peu rien qu’à leur nom, Jaaaames Brown, qu’ils sampleront et échantillonneront abondamment. Très vite, plus que militants (et davantage Malcolm X que Luther King), ils vont se positionner politiquement, et d’une façon plutôt radicale, citant pêle-mêle les Black Panthers, la Nation of Islam et son très controversé leader Farrakhan qui flirte avec toutes les lignes blanches xénophobes et antisémites. A quelques années près, la création et l’existence même d’un groupe comme Public Enemy aurait été impossible (Guerres du Golfe, Al Qaida, Daesh, et autres joyeusetés intégristes et radicales du même tonneau …).
Assez étrangement, les allusions à la religion si elles sont très rares dans les disques de Public Enemy, sont beaucoup plus présentes dans leurs déclarations publiques. Même si la structure bordélique du groupe fait que chacun peut s’en revendiquer porte parole. Et quand à côté d’un Chuck D. (parolier hors normes, le Woody Guthrie Noir ?) s’agite un crétin comme Griff, les dégâts peuvent être considérables dans l’opinion publique, au gré de déclarations plus imbéciles les unes que les autres. Il n’en demeure pas moins que Public Enemy est à la fin des années 80, le groupe le plus « signifiant » et engagé des States (et d’ailleurs), tous genres musicaux confondus. Ce qui au mieux le relèguerait à la confidentialité si au niveau de leurs disques, ils n’enterraient pas toute la concurrence.
Le poing levé dans un gant noir, allusion aux JO de Mexico, 1968
Musicalement, Public Enemy est un choc pour l’époque. On est très loin de l’électronique funky et des boîtes à rythme sommaires des débuts du rap. Rubin oblige, le son de Public Enemy est dense, martial (les appétences sonores du trasher Rubin qui rajoute quelquefois de gros riffs hardos au second plan), limite oppressant. Avec leur gimmick qui les distingue immédiatement, l’omniprésence des samples de sirènes de police, qui rajoute une dimension anxiogène à leur son. A l’opposé par exemple du gros son potache des Beastie Boys. Avec lesquels ils semblent régler une question de suprématie, intitulant le dernier titre de ce « It Takes … » « Party for your right to fight », réponse brutale au « Fight for your right to party » des Boys. Public Enemy se pose comme le porte parole de la multitude noire laissée pour compte et qu’on entasse dans les quartiers-ghettos de New York. Public Enemy analyse, argumente, appelle à l’insoumission ou à la révolte. Rien que les titres claquent comme des directs dans la face d’un pays où existe, comme disait l’autre par chez nous, une profonde fracture sociale. Des trucs comme « Countdown to Armageddon » (l’intro terrifiante à mon avis très inspirée par celle du live « Kick out the jams » du MC5), « Bring the noise » (gros hit sorti en éclaireur, qui sera réenregistré avec les trashers de Anthrax), « Don’t believe the hype », « Louder than a bomb », « Night on the living baseheads » (allusion au film de Romero et aux dealers de freebase qui zombifient la jeunesse black), « Rebel without a pause » (là aussi clin d’œil au cinéma et à James Dean), « Prophets of rage » (le nom qui est actuellement celui d’un conglomérat de stars des 90’s, alliage plus ou moins contre nature comprenant Chuck D., des types de RATM et de Cypress Hill).
Tous les titres sont construits selon un procédé immuable de pilonnage sonore duquel sont bannis toute forme de refrain, on se contente d’une courte phrase-slogan répétée plusieurs fois. Un truc tellement bien foutu que ça reste hors d’âge, comme du Led Zep ou du Stones early seventies. Quasiment la moitié des titres de ce « It Takes … » se retrouvent sur les compilations de Public Enemy.

Classique de chez classique … 


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LIVING COLOUR - VIVID (1988)

Du symbole au cliché ?
Living Colour, ils avaient toutes les chances de leurs côtés pour être un des groupes phares des années 90. Susceptibles de rassembler sur leur le nom le public de tous les courants, de toutes les chapelles. Avec clignotant bien fort au-dessus de leur nom, le mot qui allait devenir incontournable : fusion. Living Colour mélangeaient tout, le rock, le rap, le funk, tentaient la synthèse de ces genres bien cloisonnés … Et en plus, ils étaient Noirs.
On mit tous les atouts de leur côté, la major (Epic), le plan com (des Noirs qui rockent dur, rendez-vous compte …), des noms ronflants en guest (les leader de Public Enemy, posse majeur du rap, mais aussi un certain Mick Jagger). Et l’affaire a pourtant capoté …
Living Colour
Sans remonter jusqu’à Hendrix ou Phil Lynott, des Blacks mélangeant les genres, il y en avait déjà eu. Les Bad Brains avaient tenté l’aventure au début de la décennie avec leur punk-reggae-hardcore. Sans faire s’affoler les chiffres de vente. Les Living Colour ne réussiront guère mieux commercialement, « Vivid » marchera un peu aux States, les autres nulle part. Avec peu ou prou les mêmes recettes, Red Hot Chili Peppers ou Rage Against The Machine feront fortune. Parce qu’ils étaient meilleurs ? Bof, pas vraiment … Parce qu’ils avaient la peau plus claire ? Hum, peut-être bien …
Living Colour, ça en devenait presque embarrassant leurs symboles alignés et leur carnet d’adresses. L’affaire reposait sur Vernon Reid, guitar-hero déjà reconnu alors qu’il jouait dans les pénibles Defunkt (dispensable groupe de jazz-fusion-machin), et leader de fait de Living Colour (guitare ultra-technique en avant, pléthore de solos, seul compositeur de la moitié des titres). A la production, Ed Stasium, le spécialiste du rock pour arenas, pas mal pour un premier skeud. Ça sonne du feu de Dieu, des énormes batteries compressées au cœur de l’espace sonore, des arrangements bling-bling, le truc qui t’en fout plein les oreilles. Manque juste deux choses, un peu essentielles quand même : des titres bien construits (ça se veut compliqué, élaboré, plein de breaks et de changements de rythme, en fait c’est assez pauvre mélodiquement et déjà entendu des milliards de fois), et un bon chanteur (le préposé au micro, Corey Glover, est d’une quelconquitude assez affligeante). Last but not least, Living Colour pouvait compter sur un attaché de presse enthousiaste, le dénommé Mick Jagger. Qui, Stones moribonds oblige (Jagger et Richards étaient sérieusement fâchés, ils en venaient aux mains en studio, et les disques des Stones des années 80 sont misérables), tentait par tous les moyens de se maintenir sous les sunlights, à grands coups de disques solo risibles et de name dropping effréné, clamant à qui voulait l’entendre, que cette fois c’était sûr, il avait découvert the next big thing. Avec Living Colour, il produit même deux titres, fait les chœurs sur un (« Glamour boys »), et joue de l’harmonica sur l’autre (« Which way to America »). A peu de chose près les deux plus mauvais de « Vivid ».
Vernon Reid
Living Colour est un concept. Qui ne vole pas bien haut, mais qui à l’époque pouvait paraître quelque peu original. Du rock pour Blancs joué par des Noirs,  « militant » comme leurs voisins rappers new-yorkais (ils sont potes avec Public Enemy, d’où le petit featuring de Chuck D et Flavor Flav), une approche musicale somme toute conventionnelle et commerciale. Le titre introductif « Cult of personality » fera son petit bonhomme de chemin dans les charts et sur MTV, « Glamour boy » et « Open letter (to a Landlord) » auront moins de succès. La base du disque, c’est de passer à la sauce hardos du funk, du rap, des ballades, de la pop … Quelquefois ça fonctionne assez bien (« I want to know », « Broken hearts »), le plus souvent, ça ne ravira que les fans de solos de gratte, où là, faut le reconnaître, le Reid assure (m’étonnerait pas qu’il figure en bonne place dans ces classements stupides des best guitar heroes). A noter une reprise qui se veut déstructurée (mais pas tant que çà, on reconnaît quand même) du « Memories can’t wait » des Talking Heads.
« Vivid » n’est pas un disque abominable. Juste dans le ventre mou de ces œuvres « de fusion » qui vont se multiplier pour quelquefois le meilleur et le plus souvent le pire au tournant des années 80.

Par contre, faudrait songer à empaler le responsable de la réédition de 2002, qui ajoute une minable reprise du « Should I stay … » du Clash, une paire de remix aussi tristes qu’un réveillon sans bûche, et une paire de titres live qui n’ont pas dû donner à grand-monde l’idée d’aller voir Living Colour en concert lors des tournées de reformation … Ah ouais, je vous ai pas dit, ils ont sorti trois disques avant de se séparer, le plus connu de la bande, Vernon Reid, s’est lancé par la suite dans le jazz-metal ou une saleté de ce genre …


BEASTIE BOYS - LICENSED TO ILL (1986)

Nu-rap
Le disque qui m’a fait gratter l’occiput. Jusque là, les choses étaient simples. Les rockeux, folkeux et souleux d’un côté (le bon), tout le reste (la pop à synthés, le prog, le disco, le rap) de la daube. Tu choisissais ton camp, mettais des œillères triple épaisseur, te gavais de tes certitudes, et t’avais ta ligne de conduite musicale pour la vie …
Bon, on avait déjà entendu partout « Walk this way », le mega-hit fruit de l’improbable association Aerosmith – Run DMC. Mais ça s’expliquait, les deux faisaient partie du monde des majors de la musique, c’était un coup commercial réussi, mais un coup commercial quand même, destiné à booster la carrière des uns et relancer celle des autres.
Mais là, avec « Licensed to Ill », les Beastie Boys allaient plus loin. En gros, ils mélangeaient des guitares et des rythmiques (hard) rock avec du rap sur un disque entier. Trois gosses de Brooklyn, fils de bonnes voire de très bonnes familles blanches, punks dans l’âme, se lançaient tête baissée dans un genre jusque-là ghettoïsé et réservé aux Noirs du Queens ou du Bronx. So what ? des visages pâles dans un joyeux foutoir vocal, fait d’invectives, de chœurs débiles, de refrains hooliganesques … les niggaz criaient à l’imposture. De l’autre côté les hardeux poussaient des cris d’orfraie en voyant tous leurs gimmicks utilisés pour faire du fuckin’ rap …
Vous avez dit potaches ?
Ce sont finalement les nerds américains white trash, qui en achetant ce disque par millions, allaient mettre tout le monde d’accord et faire un triomphe à « Licensed to Ill ». Cette rondelle promise au pilori devenait la bande son de l’année. Les sceptiques ont eu beau jeu de railler les apparitions live de Beastie Boys rétamés à la Bud tiède, scandant dans un immense bordel potache leurs hymnes crétins, rien n’y ferait. Le rap naissant venait déjà de rentrer dans une autre dimension, vivant sa première mutation, brouillant toutes les cartes et idées reçues …
Les Beastie Boys, au départ, c’est l’arme secrète du label Def Jam, tout juste porté sur les fonds baptismaux par Russell Simmons (frère d’un des trois Run DMC) et le jeune producteur Rick Rubin, fan à la fois de rap et de heavy metal. Les deux étaient dans le coup « Walk this way ». « Licensed to Ill » va enfoncer le même clou. On sait aujourd’hui ce que sont devenus les protagonistes de cette affaire. D’un côté un groupe de rap qui allait devenir totalement novateur (« Paul’s Boutique », le suivant se verra attribuer l’étiquette de « Sgt Pepper’s » du rap, ce qui n’est pas rien) avec trois types impliqués dans tout un tas de causes et de combats plus ou moins humanitaires, sociaux, etc ... Quant à Rick Rubin, c’est tout simplement le Spector, Martin, Dr. Dre ou Perry de sa génération, une sommité des consoles à l’éclectisme stupéfiant …
« Licensed to Ill », pour moi il ne vaut que pour son concept. Ça suffit pour en faire un grand disque qui compte, mais faut reconnaître que malgré son aspect plombé, il fait souvent un peu léger. Ce n’est que l’esquisse assez rudimentaire de ce que feront plus tard les Beasties ou Rubin. Et ça tourne vite en rond. Trois-quatre titres déchirent leur race, la majorité des autres fait figure de copier-coller bâclés, et deux-trois pochades assez problématiques ne semblent là que pour garnir à peu de frais et d’idées les deux faces du vinyle.
Beastie Boys & Rick Rubin
Recette de base, du gros riff qui tache. Pas moins de quatre titres de Led Zeppelin sont samplés, ils y côtoient ceux de Black Sabbath, AC/DC, Creedence ou le Clash. Sur tout un titre (« No sleep till Brooklyn »), Rubin fait intervenir un dénommé Kerry King, guitariste des jusque-là obscurs trasheux de Slayer, dont il est en train de produire un certain « Reign in blood » … là aussi, on connaît la suite. L’attaque de « Licensed to Ill » (« Rhymin’ and stealin’ ») prend d’entrée à l’estomac. C’est brutal, syncopé, trash, avec ses slogans crétins braillés à trois voix. « The new style » qui suit port bien son nom et enfonce la même porte,  le braillard « She’s crafty » confirme.
Et puis, le disque semble partir en vrille, le gag ( ? ) du truc salsa-rap (« Slow ride »), la pitrerie de « Girls » et son Farfisa à un doigt. On n’en est pas à la moitié du disque, on commence déjà à regarder sa montre et à trouver la farce douteuse.
Et puis, blam, sans prévenir, deux tueries totales enchaînés, « Fight for your right » l’hymne majuscule des Beastie Boys, appel à l’hédonisme forcené (« Fight for your right … to party », vous vous attendiez à quoi, à un pensum johnlennonesque ?), et le « No sleep … » déjà évoqué. Logiquement, après ces deux déflagrations, le final du disque fait quelque peu anodin, tout juste faut-il signaler un arrangement de cuivres sur le bien ( ? ) nommé « Brass monkey » ; tout le reste reproduit des gimmicks déjà entendus auparavant, on s’en cogne un peu.
Malgré son aspect (volontairement) imbécile et enfantin, ce disque se pose là et pas qu’un peu en terme d’influence sonore pour les années suivantes.

Toute la cohorte des nu-metalleux du mitan des années 90 (tous ces Korn, Blink Truc, Sum Machin) a tout piqué à « Licensed to Ill », les marxistes d’opérette RATM aussi, du moins pour la partie musicale. En faisant ça de façon ultra-sérieuse, concernée … Alors que pour les Beastie Boys (du moins à cette époque-là), leur musique n’était qu’une vaste rigolade, une façon de boire des coups à l’œil, et de mater les nibards des gonzesses …

Des mêmes sur ce blog :

THE DISPOSABLE HEROES OF HIPHOPRISY - HYPOCRISY IS THE GREATEST LUXURY (1992)

Un gâchis ?
Les Disposable Heroes of Hiphoprisy, comme leur nom le laisse deviner font du rap. Comme beaucoup en ce début des années 90. Ils ont dès le départ une particularité géographique. Ils viennent de la Bay Area de San Francisco, plutôt un repaire de trashers (Metallica et tous leurs suiveurs), alors que le rap, né à New York, commence à peine à atteindre la Californie, mais plutôt du côté de Los Angeles (Ice T, NWA).
Mais plusieurs choses vont d’entrée les distinguer d’un troupeau de posses au sein duquel la concurrence est rude. D’abord ils ne sont que deux (et demi, le guitariste plutôt jazz Charlie Hunter, qui fera une carrière solo méconnue mais longue comme le bras les accompagne sur une grosse moitié des titres), le rappeur-auteur-programmeur-arrangeur (ça fait beaucoup, on y reviendra) Michael Franti, et le batteur-bruiteur Rono Tse. Et puis, ils se démarquent de pas mal de choses entendues jusque là.
Michael Franti & Rono Tse, héros jetables ?
Par le propos d’abord. Franti n’est pas un inquisiteur à grande gueule (le rap militant et engagé à la Public Enemy, pour situer), n’a pas non plus une mentalité de caïd de cage d’escalier (le gangsta-rap). C’est un type qui a une vision, un discours (merci aux lyrics reproduits dans le livret). Qui pose un œil intelligent et avisé sur des problèmes qui dépassent le strict cadre du pov’ neg’ méprisé auquel les plus « concernés » du rap s’en tenaient jusque-là. Franti est capable de mettre en parallèle une Europe qui semble se (re)construire en cette fin des années 80 et des Etats-Unis repliés sur eux-mêmes laissant s’exacerber déliquescence sociale et libéralisme à tout-va. Franti n’est bien sûr pas dupe du militarisme à tout crin de l’administration Bush père, et va même jusqu’à avancer un manifeste écologiste (« Everyday life has become … ») assez unique à l’époque chez les rappeurs. Franti rejette toute forme de slogan simpliste, préférant mettre des arguments en avant, expliquer, analyser, approfondir son propos. Conséquence, on se retrouve avec des titres là aussi d’une durée inédite dans le rap (« The winter of the long hot summer » taquine les huit minutes, trois autres morceaux dépassent largement les six minutes). Les « inspirateurs » et « conspirateurs » ainsi nommés et remerciés dans le livret font se voisiner les prévisibles et attendus Malcolm X, Angela Davis, Gil Scott-Heron, Public Enemy, KRS-One voire Linton Kwesi Johnson (rare malgré tout que des anglais soient cités par des rappeurs US) avec les beaucoup plus surprenants au générique d’un disque de rap Jello Biafra (leader du punk band historique de San Francisco Dead Kennedys et activiste social notoire, dont l’hymne « California über alles » est repris et samplé sur ce « Hypocrisy … »), Vernon Reid (guitariste « fusionnel » du groupe de hard-rock Living Colour, groupe présentant la particularité de n’être composé que de Noirs), le Besancenot anglais Billy Bragg, les rockers hardcore de Fugazi et les électroniciens de Meatbeat Manifesto … Un éclectisme inédit pour un rappeur …
Michael Franti
La musique (les plus rétifs au genre parleront plutôt de « fond sonore ») se démarque aussi pas mal de ce que l’on a coutume d’entendre. L’influence de Public Enemy est là aussi évidente, mais la lourdeur menaçante remplace les agressions soniques de Terminator X et du Bomb Squad. Beaucoup d’arrangements (la guitare, somme toute discrète, beaucoup plus les claviers et pianos de toutes sortes) tirent souvent vers le jazz (MC Solaar a du beaucoup écouter « Water Pistol Man », la ressemblance est troublante). Et puis les Disposable Heroes ne rechignent pas à se laisser aller à faire l’éloge de la lenteur, les rythmiques de certains titres sont même très très lentes (corollaire, le flow de Franti l’est aussi, on pense souvent à Gil Scott-Heron), on n’est guère éloigné du trip-hop, de Massive (Attack) en particulier.
« Hypocrisy … » est en tout cas un disque de rap très original, pas pour autant « facile » ou à conseiller à ceux qui n’aiment pas çà. Bien boosté par le single « Television, the drug of the nation » (un des rares titres « évidents », tant par le propos que par la musique), le disque sera un bon succès. Pas tant que cela dans la sphère strictement rap, mais les textes de Michael Franti seront entendus bien au-delà de la « communauté ». Bono engagera personnellement les Disposable Heroes pour quelques dates en ouverture d’une tournée de U2. Ce sera un peu le baiser de la mort pour le duo. Michael Franti, trop « visible », tentera l’aventure plus ou moins solitaire avec le vrai-faux groupe Spearhead, après que le Cd successeur de cet excellent « Hypocrisy … » soit passé totalement inaperçu.

Aujourd’hui, les Disposable Heroes, Franti, Tse, Spearhead semblent bien oubliés. Etre en avance sur son temps et ne pas jouer avec les grosses ficelles ne paye pas …