Tonton flingueur ou Tonton flingué ?
Tonton David, son vrai blaze c’est Ray David
Grammont. Ça commence mal, c’est con, je trouve que son nom est mieux que son
pseudo …
Réunionnais de naissance et donc immigré en région parisienne (oui, je sais, La Réunion c’est en France, c’est la façon dont tu es perçu en métropole qui compte), une biographie (falsifiée, exagérée ?) de petit délinquant avec case zonzon, et une « expatriation » en père de famille déjà nombreuse vers la riante cité de Metz (cercle polaire septentrional) … Bon, je pourrais continuer dans cette veine là, mais c’est trop facile, malheureusement pour lui, il est plus là pour répondre, et puis, ce qui me gave chez lui, c’est pas le personnage (publiquement au demeurant assez sympathique), c’est la musique qu’il a fait.
Le Tonton, il vient du reggae. Enfin, le reggae des années 80 … Pause et petit rappel des faits. Le reggae, ça vient du ska, du rocksteady et de la Jamaïque des années 60. Bob Marley en fera un genre musical universel quand il deviendra une star planétaire au milieu des années 70. Trop tard pour les pseudo rastas de circonstance, musicalement le genre est moribond, les meilleurs titres et disques (y compris ceux de Marley) datent tous d’avant 74-75. Et quand Marley claquera en 81, personne ne reprendra l’affaire reggae en main. Les contemporains et possibles héritiers ne manquent pas, mais aucun n’atteindra l’universalité de Saint Jah Bob … Quant à la nouvelle génération, ces gamins jamaïcains nés dans les années 60, ils vont remplacer les musiciens par des machines, la structure rythmique deviendra beaucoup plus sèche et répétitive, le phrasé beaucoup plus scandé (reprenant les choses là où les avaient laissé les toasters des sound-systems jamaïcains des 60’s). On appellera ça le dancehall, avec deux courants : le slackness (ancêtre du gangsta-rap américain, le bad boy ou prétendu tel serial lover) et le raggamuffin (ceux qui causent accessoirement d’autre chose). A peu près la même chose se retrouvera aux States, où l’on parlera de rap. Quand le rap explosera commercialement au niveau mondial (Public Enemy et d’autres dans la seconde moitié des 80’s), les répliques se feront sentir partout, y compris dans notre chère Gaule. Quelques émissions de télé rétrospectivement assez risibles assureront l’implémentation du genre dans les oreilles de toute une génération issue de ce que l’on appelait les banlieues. Et quelques-uns passeront de l’écoute à la pratique sous le regard au mieux condescendant des maisons de disques. Une seule, Virgin, fondée par l’ancien hippie mais vrai affairiste Richard Branson, par le truchement du sous-label Labelle Noir, publiera en 1990 une compilation qui va se révéler fondatrice, « Rapattitude », où l’on retrouvera quelques seconds couteaux en devenir du rap, Assassin, Saï Saï, et les futures stars NTM. Parmi la dizaine de titres, une rengaine très mélodique sur fond de raggamuffin, « Peuples du monde » signée Tonton David. Premier vrai succès (radios, télés, charts) du rap français au sens large (après l’étonnant et improbable « Chacun fait ce qui lui plaît » de Chagrin d’Amour). Virgin battra le fer tant qu’il était chaud, et Tonton David se verra poussé en studio pour enregistrer un disque. Pour la petite histoire c’est Polydor qui sortira en 90 le premier album de rap à succès, « Qui sème le vent récolte le tempo » du plutôt brillant MC Solaar.
Des succès, l’Oncle David en aura, mais sous forme
de singles, par contre il ne sera jamais un vendeur d’albums. « Le blues des racailles » sera son
premier 33T et un bide assez retentissant, et ce bien qu’il contienne en
dernière piste « Peuples du monde » (le 45T est beaucoup plus facile
à trouver aujourd’hui d’occase que l’album original).
Pourtant Tonton David se situe à la croisée des
chemins rap et raggamuffin, y’avait de quoi ratisser large. Même si la bande
tricolore (vert, rouge et jaune) de la pochette est le signe de ralliement de
tous les reggaemen, on sent l’envie forcenée de coller à l’air du temps.
Problème, à l’heure où le rap américain reposait sur un gros travail de studio,
« Le blues des racailles » sonne cheap, bâclé. Des structures
rythmiques maigrichonnes, des boucles minimalistes, et à contre-courant des
standards internationaux, le gros des efforts est dirigé sur l’architecture
mélodique et le soin apporté au refrain par le renfort d’un chœur féminin (à la
I Threes de Marley) présent sur de nombreux titres. Et puis, y’a un autre
souci. Le rap ou le raggamuffin sont affaire de tchatche (le flow disent les
connaisseurs), et de plus en plus à l’époque, de textes. Ici, ça vire souvent à
la cata. Oncle David arrive pas à coller vocalement sur des tempos qui se
doivent d’être rapides, sa diction est pas bonne du tout, son accent ultramarin
qu’il a pas réussi à perdre lui fait bouffer la moitié des mots et des pans
entiers de phrases sont incompréhensibles. Et les thèmes abordés restent
gentiment centristes, convenus. On est loin de la dentelle verbale travaillée
d’un MC Solaar, et des punchlines balancées par les rappeurs américains et que
sont en train de mettre en place dans leurs caves NTM ou IAM et l’émergence de
ces deux-là renverra Tonton David au rang d’amuseur cool, que viendra lui
contester au milieu des 90’s le risible et futur sarkozyste Doc Gyneco.
On sent dans « Le blues des racailles » que toutes les « figures imposées » du rap ou du raggamuffin sont traités de façon superficielle. Le côté bad boy sur l’introductif (bidonné ?) « Mon CV », le « sauvetage » grâce à la musique (« A qui la faute »), le machisme « gentil » (« Les jeunes filles vont nous tuer »), l’auto-glorification (« Tonto »), les flics (« Ils ont appelé la police pour moi »), la réussite financière (« CA$H »).
Deux titres posent problème (mais comme personne a
dû les écouter, ça n’a pas fait de vagues, de scandales, ou de buzz). « Je
parle à toi » avec au milieu d’une litanie de clichés à tendance
communautariste une au moins maladroite sinon débile référence à « un
accroissement inexorable de l’homosexualité ». Quant à « Pretoria »
sur la situation d’apartheid en Afrique du Sud, on est loin de la qualité de
« Biko » de Peter Gabriel, des albums « Graceland » de Paul
Simon ou « Survival » de Marley, et à propos de Marley le citer à la
fin du titre pour prédire une guerre civile, est une dénaturation et une
réécriture totale des prises de position de Saint Bob …
Au final, il en reste quoi à sauver de ce
disque ? Pas grand-chose. Allez, en ratissant large, j’en sauve trois (sur
quinze). Le morceau-titre, plutôt basé piano et guitares (bien discrètes) que machines,
« CA$H », un des plus élaborés musicalement, avec ajout de chœurs féminins
et de cuivres, et le gentil hit « Peuples du monde ».
Ce hit qui suffira au Tonton pour devenir quelqu’un
qui compte, d’autant plus qu’il réussira à sortir d’autres hits encore plus
niais, notamment « Chacun sa route » épaulé (?) par Manu Katché
et Geoffrey Oryema (la B.O. du sans intérêt « Un Indien dans la ville »),
qu’on le verra dans des émissions prime time, image lisse et souriante d’une
musique et d’une génération qui ne l’étaient pas vraiment par ailleurs. Ses petits
succès dans les 90’s ne lui feront pas prendre la grosse tête mais plein de
kilos, avant qu’il disparaisse des radars, et même tout court, victime d’un AVC
il y a quelques années.
« Le blues des racailles » c’est poubelle
direct. Si des trucs réussis dans ce genre quasiment disparu aujourd’hui vous
intéressent, à peu près tout ce qu’a fait le Massilia Sound System dans les 90’s
vaut le détour (du rap et du raggamuffin en provençal). Sinon, y’a quelques
plages du grandiose « Banzaï », du groupe punk radical La Souris
Déglinguée qui s’était offert une escapade fabuleuse vers des rythmes moins à
ras du bitume que ceux auxquels ils nous avaient habitués depuis leurs débuts …