KING HU - L'HIRONDELLE D'OR (1966)


 Wu Xia Pan ...

« L’Hirondelle d’Or » est sorti en 2004 en France, soit trente huit ans après sa sortie asiatique … il y aurait des feuillets entiers à écrire pour disserter sur ce décalage temporel. D’autant plus qu’on n’a pas là un quelconque film au succès confidentiel en son temps. Je vous fais grâce de son titre original, mais sous son intitulé « international » lors de sa sortie « Come drink with me », il fut le plus gros succès asiatique du box office 1966.

King Hu

Le film est sorti sous les couleurs de Hong Kong. Donc fatalement il y a du Shaw là-dessous. Et même du Run Run Shaw, le plus connu des quatre frangins qui d’abord ensemble puis chacun dans leur coin, ont monté un empire cinématographique qui a régné en maître dans les salles asiatiques pendant quatre décennies. Avec une organisation quasi militaire, une ville dans la ville. Les studios Shaw étaient un monde qui vivait en vase clos, tout le personnel qui y travaillait (du balayeur au réalisateur, en passant par les acteurs et scénaristes, plus des ateliers culturels de théâtre, de danse, d’opéra, …) était logé sur place. De la chambre de bonne (pour les anonymes) aux villas grand luxe (pour les stars), et tout ce petit monde bien tenu en laisse par des contrats léonins d’exclusivité … A Hong Kong à cette époque, si on était dans le cinéma, y’avait toutes les chances qu’on soit salarié de Run Run Shaw …

C’est dans sa société (Shaw Brothers) que grouillote King Hu. Acteur, scénariste, décorateur, etc … C’est évidemment aussi dans la même entreprise que sont employés, tout en bas de l’échelle, Cheng Pei-pei (elle vient du ballet classique, fait de la figuration au théâtre) et Yueh Hua (fait d’armes marquant : un second rôle déguisé en singe). La premier va réaliser, les deux autres auront les rôles principaux. Ah, ma bonne dame, ça rigolait pas à la Shaw Brothers, une quarantaine de films étaient produits chaque année, tout le monde pouvait avoir sa chance …

Cheng Pei-pei

Les nuls en films de baston (comme moi) vous diront que « L’Hirondelle d’Or » est un film de kung fu. Sacrilège, c’est une pièce maîtresse du genre wu xia pan (et ne me demandez pas de traduire), en gros un film de baston avec des poignards ou des sabres, dont l’histoire est inspirée par des légendes des siècles précédents. De toutes façons, la plupart des films de Hong Kong et de la Shaw Brothers sont à cette époque-là des films de baston, il a fallu catégoriser pour que les spectateurs s’y retrouvent …

« L’Hirondelle d’Or » est un film qu’on pourrait qualifier de récréatif. Pas besoin de se prendre le chou pour suivre, les gentils ils sont gentils et un peu naïfs, et les méchants ils sont méchants et un peu pervers. Un univers tolkienesque à la sauce Ming en quelque sorte puisque l’histoire est censée se passer à cette époque-là.

On voit donc un groupe de bandits, les 5 Tigres, menés par un type tout en blanc et le visage crayeux (bien nommé Tigre-à-la-face-de-jade) arrêter dans la cambrousse un convoi de prisonniers conduit par le fils du gouverneur, massacrer tout ce qui porte un uniforme, et prendre le fiston comme otage afin de faire libérer l’un des leurs embastillé à la ville.


Même en ces temps sans téléphone portable et montres connectés, les nouvelles vont vite et le gouverneur envoie son meilleur élément, l’Hirondelle d’Or (fille du gouverneur et sœur du captif) avec pleins pouvoirs pour « négocier » (en clair, dégommer tous les méchants). Fidèle à la stratégie qu’elle s’est fixée, l’Hirondelle commence à faire le ménage chez les bandits dans une auberge, baston géante à un (ou plutôt une) contre une bonne douzaine. Très vite, on se rend compte qu’elle est aidée, semble-t-il involontairement par un poivrot qui se trouve là … et qui lui sauve la vie quand elle part seule à l’assaut du repaire des truands, avant d’imposer son plan à lui ...

Comme le film s’appelle « « L’Hirondelle d’Or », on peut raisonnablement penser que l’héroïne est Cheng Pei-pei. Ouais, sauf qu’elle disparaît de l’image, saine et sauve, mission accomplie, un bon quart d’heure avant la fin du film. Et que la suite nous montre le faux poivrot, en réalité un maître en kung-fu, affronter un de ses condisciples pour un bambou sacré, héritage de leur maître commun.

En fait, comme le disait son titre original, « Come drink with me », le héros du film devait être le poivrot (assez mauvais acteur, voire pire). Sauf que le public n’a eu d’yeux que pour la belle Cheng Pei-pei (même pas vingt ans), qui a semble-t-il révolutionné les films d’arts martiaux. En tenant un rôle quasi exclusivement dévolu aux hommes, et en imposant dans les combats une esthétique très chorégraphiée (elle n’a jamais pratiqué quelque sport de combat que ce soit). Toute en souplesse, en vitesse, très féline dans ses déplacements, sa performance a redéfini toute l’esthétique des combats dans les films d’arts martiaux (le chorégraphe qui régissait les scènes de bataille a fini sur les films de Bruce Lee), à une époque où on tournait pas image par image ce genre de bagarres.

Cheng Pei-pei & Yueh Hua

Malgré le succès du film, la suite sera compliquée pour à peu près tous. King Hu, lassé d’être un larbin de la Shaw Brothers, s’exilera à Taïwan et aura son quart d’heure d’heures à Cannes au début des seventies avec « A touch of zen » qui y obtiendra un colifichet. Vénéré par une (petite) caste d’admirateurs, il est mort à la fin du siècle dernier d’une crise cardiaque dans l’indifférence à peu près générale. Yueh Hua, lancera sa carrière avec ce film, tournera comme un forcené toute sa vie, sans aucune reconnaissance internationale. Cheng Pei-pei ira vivre aux Etats-Unis après avoir (sans succès) tenté de donner suite à son personnage. Seul fait d’armes, elle réapparaitra dans un second rôle dans « Tigre et dragon » de Ang Lee, vaguement inspiré de « L’Hirondelle d’Or ». Vu une interview d’elle en bonus du film, la cinquantaine bien entamée au début des années 2000, elle faisait vingt ans de moins que son âge et était d’un dynamisme non feint qui fait plaisir à voir …

Ah, et « L’Hirondelle d’Or », qu’est-ce qu’il faut en penser globalement ? Réalisation assez intéressante (alternance de scènes en extérieur et en plateau, bien éclairées, bien cadrées), jeu des acteurs assez pitoyable, mais scènes de combats bluffantes et charisme de Cheng qui crève l’écran …


PAVEMENT - CROOKED RAIN, CROOKED RAIN (1994)


 Lo-Fi ...

Pavement est censé avoir inventé ce qu’on appelle « lo-fi » (low fidelity par opposition à high fidelity, entendre par là qu’on cherche pas la perfection à quelque niveau que ce soit, on enregistre comme ça vient, voire on fait en sorte que ça sonne tout pourri). Bon évidemment, comme tout le monde, ils ont rien inventé, ils ont juste mixé et codifié des choses qui existaient déjà. Depuis le rock garage des 60’s, en passant par le Velvet, Patti Smith, Television, les punks, le Neil Young saturé, Sonic Youth, … En rajoutant l’évidence mélodique de REM et des Pixies … et en se faisant bien sûr publier par des labels le plus indépendants possible …

Pavement 1994

Les Pavement ont fait de l’approximation un art. Et c’est pas facile d’être systématiquement approximatif. Parce que figurez-vous, je les soupçonne (enfin, Stephen Malkmus surtout, guitariste, chanteur et compositeur quasi exclusif du groupe) de faire semblant. Prenez un truc composé avec les pieds un lendemain de cuite, enregistrez-le dans un état comateux ou avoisinant, vous obtiendrez au mieux une bouillasse infame et bruyante. Chez Pavement, au contraire, tout repose sur des chansons tout ce qu’il y a de bien écrites, que l’on s’efforce de démantibuler, de désosser, pour que ça ait l’air tout foireux. A preuve le sieur Malkmus (en solo, avec les Jicks, avec Pavement reformé, ou au sein de multiples collaborations) a montré depuis des décennies que c’est un super songwriter et un grand mélodiste, un des plus doués de ce que l’on appelle désormais du classic rock …

Pavement est au départ un vrai groupe de potes, même si une fois les premiers enregistrements parus, les frictions entre membres apparaîtront vite. Leur point de départ, « Slanted & enchanted » (lui-même précédé de quelques singles et Ep’s) sera parfait. Ses deux successeurs (chronologiquement ce « Crooked … » et « Wowee Zowee ») seront un cran en dessous, sans que l’on puisse parler de déclin.

Stephen Malkmus

« Crooked rain, crooked rain » paraît presque deux après « Slanted … ». Le temps pour le groupe de mettre sur la touche leur pote batteur, rendu ingérable avec ses problèmes d’alcoolisme démesuré. Avec « Crooked … », on reste en terrain connu. A peine si globalement, c’est un peu moins bordélique que le coup précédent. Le premier titre (« Silence kid », écrit avec un lettrage genre gosse de six ans sur le verso de la pochette « Silence kit », rien que ce détail je suppose que c’est fait exprès, genre « regardez comme on s’en branle, comme on s’en fout de ce qu’on fait ») est un peu le stéréotype du Pavement sound. Une espèce d’intro toute foireuse, comme si les types avaient tout juste fini de s’accorder approximativement et commençaient à jammer sur un rock mid tempo. Puis la voix de Malkmus arrive, on dirait que le bonhomme sort du lit avec une gueule de bois en chêne massif, il expédie une paire de couplets et de refrains, avant un final de titre tout hésitant. Conclusion surtout pas définitive, les types savent pas commencer et achever un morceau, et ça chante plutôt faux … sauf que si on dissèque un peu le titre, on s’aperçoit qu’il y a une jolie mélodie et un refrain qui peut se siffloter.

C’est à peu près toujours comme ça sur la durée du disque. Enfin, une fois sur deux, parce que dans une espèce de rigueur mathématique saugrenue, après un rock feignasse mid tempo, on a droit à une ballade déglinguée. Constante, la qualité d’écriture, l’ensemble dénote quand même un sens de la composition plutôt hors du commun, assez loin de l’image de slackers que les Pavement veulent de donner … de faux dilettantes, même si instrumentalement on a l’impression que chacun joue son truc sans s’occuper de ce que jouent les autres …


Pavement a quand même réussi à proposer trois singles issus de ce « Crooked … ». Aucun n’a marché, remarquez ça les aurait certainement bien emmerdés si « Cut your hair » (hommage à David Crosby ? hum, je crois pas …), « Gold soundz » ou « Range life » avaient fini en haut des charts, ils étaient pas prêts à gérer du succès, et là on peut supposer que c’était pas bluff … D’autant que ces trois titres sont parmi les plus bancals de la rondelle, le plus « accessible » de ce tiercé dissonant était le rock pépère de « Range life » où les gars ont rajouté leurs discussions sur la fin, comme si ça avait été enregistré live en studio, ce qui ne doit bien sûr pas être le cas …

Quand on n’a pas peur du ridicule on n’a peur de rien et les Pavement font une sorte de jazz psychédélique ( ? ) incongru sur l’instrumental « 5-4 = Unity », et concluent sur un titre à tiroirs (« Fillmore jive », encore un titre qui ne veut rien dire, et n’est en aucune façon une allusion au club de Bill Graham dans le Frisco psychédélique) où sont convoqués le Velvet des deux premiers disques sur l’intro, puis un rock lent et lourd avant de finir sur une sorte de rave up toute en brisure de rythmes …

Ne pas croire que les Pavement sont hors du temps et à côté de leurs pompes. Ils sont bien ancrés dans le début des années 90, ils reprennent du R.E.M. (« Camera ») en face B du single « Cut your hair » et étrangement, malgré leur amateurisme qu’ils prétendent forcené, réussissent à faire sonner un titre (« Unfair ») comme le Nirvana de « In Utero ».

Pavement des bricolos approximatifs ? Non, juste des imposteurs qui voudraient faire croire qu’ils savent pas composer, jouer ou chanter …


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Slanted & Enchanted

FRANK BLACK - FRANK BLACK (1993)

 

Sur la lancée ...

Les Pixies furent (oui, je sais, ils se sont reformés depuis) à la fin des années 80 et au début des années 90 un groupe majeur. Et un groupe d’une influence colossale sur la scène rock des années 90, s’il ne fallait citer qu’un nom parmi ceux qui leur doivent beaucoup, allons-y pour Nirvana.

Dès le départ, on savait que les Pixies, c’était avant tout Charles Michael Kittridge Thompson IV, auto-rebaptisé Black Francis. Guitariste rythmique et compositeur quasi exclusif, gabarit de garçon boucher et voix principale assez souvent dans le registre hurlée suraiguë. Il aurait dû être de très loin le plus visible du groupe. Sauf que beaucoup de regards allaient se focaliser sur la bassiste Kim Deal, toxico hédoniste, et chœurs très présents. Qui a récupéré le qualificatif de fille la plus cool du monde. Assez rapidement, Fat Black en prit ombrage, la laissant de moins en moins intervenir vocalement sur les titres. D’où frictions et tensions entre les deux. Jusqu’à ce que début 93, Black Francis décrète tout seul la dissolution des Pixies. Les trois autres du groupe sont avertis soit par téléphone, et Kim Deal par fax (no comment …)


Exit les Pixies. Black Francis n’attend pas longtemps avant de donner des nouvelles discographiques. Il se rebaptise Frank Black et moins de deux mois après la fin officielle des Pixies, fait paraître son premier et éponyme album solo … Ou son second, ou le dernier des Pixies selon comment on envisage la chose. « Trompe le monde », le dernier Pixies c’était lui et les autres très loin derrière, un disque de Black Francis accompagné par un groupe. A bien des égards, « Frank Black » peut passer pour un disque des Pixies … avec de nouveaux membres, dont un qui est omniprésent et deviendra le compagnon attitré des jeux sonores de Frank Black pendant quelques années, Eric Drew Feldman. Lequel Feldman a commencé sa carrière avec le Captain Beefheart, puis Père Ubu, et fera plus tard partie au début des années 2000 des Residents, autrement dit pas les groupes les plus faciles musicalement à aborder.

Feldman est très présent sur ce « Frank Black ». Basse mais surtout claviers. Ce sont ses interventions qui changent la donne sonore du disque par rapport aux Pixies. Par contre, les compositions sont dans droite ligne de ce qu’on connaissait. A quelques petits changements près : finis les morceaux fourmillant d’idées et d’arrangements, les compositions sont beaucoup plus classiques, voire linéaires ; Frank Black a laissé tomber ses hurlements, il chante sur la mélodie ; et finis les chœurs additionnels. On reste quand même en terrain connu.


Et il faut bien reconnaître que les trois premiers titres de ce « Frank Black » font la farce. Tellement bons qu’ils font oublier tout le reste (voir paragraphe précédent et ce qui suit sur le disque). « Los Angeles » ouvre les hostilités. Intro acoustique, mélodie électrochoquée par la batterie, arrivée de guitares très énervées (le genre de choses qu’on devrait apprendre dans les écoles de rock, si elles existaient), une chanson haut de gamme, qui se calme peu à peu avant un final qu’on pourrait se hasarder à qualifier de planant, d’atmosphérique. Du grand art, rendre simples des choses compliquées. En parlant de choses simples, suit « I heard Ramona sing », hommage respectueux aux Ramones, dont on a souvent tendance à oublier que derrière le jemenfoutime bruyant, se cachaient des chansons bien écrites, mélodiques (enfin, au début, avant que les faux frangins virent hardos bas de gamme). L’hommage de Frank Black est un mid tempo hyper mélodique, enrobé des claviers tournoyants de Feldman. Rien à dire, parfait.

Et puis se pointe « Hang on to your ego ». Pas signé Frank Black, mais Wilson-Asher, Brian et Tony de leurs prénoms, autrement dit le duo responsable de la quasi-totalité de « Pet sounds », œuvre majeure des Beach Boys, et de la pop des années 60 et suivantes. Cherchez pas sur votre 33 T vintage de « Pet sounds », elle y est pas « Hang on to your ego ». Mais il y en a une qui lui ressemble plus qu’étrangement, en fait y’a que les paroles qui changent, elle s’appelle « I know there’s an answer ». « Hang … » était la version originale, censée vanter les vertus du voyage sous LSD. Sous la pression (de la Columbia, de cousin réac Mike Love, …) elle sera rebaptisée « I know … » et figurera sur « Pet sounds ». Au final, aucun des deux titres siamois ne traite de LSD. La version de « Hang … » par Frank Black est mirifique, et surpasse les versions originales des Boys, ce qui n’est pas à la portée du premier corniaud venu … Et cette reprise assez inattendue (peu d’atomes crochus entre Pixies et Beach Boys) figure au moins dans le tiercé majeur des titres de la galaxie Frank Black – Pixies.


Avec les dix minutes de cette triplette introductive, ce disque place la barre à des hauteurs stratosphériques. La suite est très nettement en dessous. La douzaine de titres qui suit semble dominée par une sorte de power pop, où comment l’écriture novatrice et originale de Frank Black marche maintenant sur les traces de Cheap Trick (qui était un bon groupe avec de bons titres, mais là n’est pas le problème, c’était quinze ans avant ce disque …).

Le cœur de ce « Frank Black » ronronne doucement, basé sur des midtempo interchangeables. Quelques titres restent à sauver, comme « Fu Manchu », « « Parry the wind high, low » avec ses airs de « Paint it, black » sur les couplets, et surtout l’instrumental surf « Tossed ». Globalement, le final du disque est correct, avec « Parry … », « Adda Lee » et son intro ska, la ballade glam « Every time I go around here » et la power pop musclée de « Don’t ya rile ‘em ». Et même si la durée totale n’est pas déraisonnable (trois quart d’heure ), Frank Black aurait été bien inspiré de laisser de côté quelques titres, ça aurait rendu la rondelle meilleure et plus homogène …

Malgré son tiercé de titres majeurs, ce « Frank Black » sera loin d’avoir le succès des disques des Pixies (qui n’on jamais été de très gros vendeurs, c’est dire qu’ici ça va pas faire très lourd). Les suivants de Franck Black ne feront pas mieux, leur qualité ira déclinant. A tel point que dix ans après ce disque, Fat Frank reformera (ça à dû lui coûter au niveau amour-propre) les Pixies, tout d’abord pour l’alimentaire (et pour des disques oubliables dans la foulée) dans leur formation originale, c’est-à-dire avec Kim Deal. Qui ne tardera pas à se casser, et l’histoire ne dit pas si elle en a averti Frank Black par fax.

Et pour que le calice soit bu jusqu’à la lie, quelques mois après la parution de ce « Frank Black », Kim Deal réactivera son groupe récréatif-exutoire les Breeders, et sortira un honnête « Last splash » qui sera lui un carton mondial grâce au gros hit « Cannonball » …


GEORGE A ROMERO - ZOMBIE (1978)

 

Lost in the supermarket ...

« Zombie » (« Dawn of the dead » en V.O.) est le plus gros succès commercial de George Romero, quasiment un blockbuster. Pas un mince exploit pour un film interdit aux moins de dix-huit ans dans certains pays dont la France (on y reviendra).

Romero, c’est évidemment un film culte en noir et blanc, « La nuit des morts-vivants », tourné à vingt huit ans avec un peu plus de cent mille dollars de budget. D’après Romero lui-même, un film par défaut, il aurait bien voulu faire un film « normal », mais il en avait pas les moyens. Sauf que le choc des images et le succès du film, vont engendrer un effet domino encore (et de plus en plus) présent aujourd’hui. Le zombie va devenir une des références des films d’horreur, une figure majeure de la pop culture. Même si Romero n’a pas créé le « personnage » mort-vivant (on a déjà vu depuis les années 30-40 sur grand écran Frankenstein, Dracula, et le « I walked with a zombie » de Jacques Tourneur, …)

George Romero

Mais Romero dans les seventies, s’en fout un peu des zombies. Il a été agacé par le sens caché que certains ont trouvé dans son film, la référence à la guerre du Vietnam, le machisme (la beigne foutue par un Noir à une femme blanche), le racisme (le seul survivant dans la baraque se fait dégommer quand il sort parce que c’est un Black). Autant d’allégations que Romero a toujours démenties mais les ragots ont la vie dure. De ce fait, il s’est toujours refusé à tourner une suite à « La nuit des morts-vivants », surtout quand ces propositions venaient des majors, il savait qu’il serait totalement bridé par les dollars, la bienséance, les impératifs commerciaux, … En plus Romero voulait faire « autre chose », s’attaquer à d’autres genres. Il a bien essayé, a tourné quelques films descendus unanimement par la critique et que personne n’est allé voir … Pour faire simple, vers 77, Romero est un has-been total.

Jusqu’au jour où il rencontre à New York Dario Argento. Romero adore les films d’Argento et l’Italien vénère « La nuit … ». Argento à son tour suggère à Romero de tourner une suite. Romero, qui commence à penser que cette fameuse suite sera sa seule porte de sortie s’il veut continuer à faire son métier n’est plus radicalement opposé au principe, mais il a pas une thune. Qu’à cela ne tienne, Argento, son frère et quelques amis ont une maison de production en Italie. Le temps de passer quelques coups de fil, et le deal est sur la table : Argento va amener cinq cent mille dollars, Romero se débrouillera pour en amener autant et la suite de « La nuit  … » pourra se faire. Romero gérera la distribution du film en Amérique et en Océanie, les Italiens auront la mainmise sur l’Europe et l’Asie (et l’Afrique, questionne l’expert en géographie ? Tout le monde s’en fout, y’a pas de ronds à se faire là-bas …). Ce partage du monde pour la gestion du film ne sera pas sans conséquences, on en reparlera aussi … A noter pour la petite histoire que si les Ritals ont bien amené le pognon prévu (et même un peu plus), Romero n’a pas trouvé grand-chose à mettre dans l’escarcelle. Par contre, il a un pote à Pittsburgh où il vit, qui vient de construire et gère un immense centre commercial. Chose inenvisageable de nos jours (pour des raisons de sécurité, d’assurances, …), il autorise Romero à y tourner toutes les nuits et le dimanche.

Ça tombe bien. Cette fois-ci, derrière l’histoire de zombies, Romero veut faire un film politique, engagé, et lâcher des vivants et des zombies dans un supermarché gigantesque, symbole même du consumérisme, ça coche plein de cases à la fois.

Les grandes lignes du scénario sont tracées. Une introduction dans les coulisses d’une émission de télé, foire d’empoigne face à la situation : une pandémie ressuscite les morts qui se mettent à traquer les vivants pour les bouffer. Deux personnages principaux (un type et sa femme qui bosse à la télé) sont présentés. Un assaut par des flics d’élite contre un immeuble occupé par des Porto-Ricains, dont certains sont des truands et d’autres des zombies (pas de détail, tout ce qui est dans la baraque va prendre du plomb) nous présente deux flics (ou militaires, on sait pas trop et on s’en fout) qui seront les deux autres personnages principaux. On va pas s’embarrasser de leurs noms, personne les a retenus …

La bande des quatre

Les quatre fuient la menace du centre de Pittsburgh en hélicoptère, survolent la cambrousse où s’affrontent (sur)vivants et zombies avant de se poser sur le toit d’un centre commercial qu’il va falloir conquérir aux zombies qui y traînent, y créer un « périmètre de sécurité » et attendre que les choses s’arrangent. Sauf que les choses ne s’arrangent pas vraiment, et l’arrivée d’une bande de bikers pillards va faire salement dégénérer la situation … Et pour faire simple (mais aussi à cause d’une histoire elle compliquée sur la propriété de l’expression « living dead »), le film s’appellera « Zombie » partout dans le monde (aux States on rajoutera « Dawn of the dead »)

On le voit vite, mis à part la présence des zombies, aucun point commun avec le film de 68. Les zombies sont cette fois-ci en couleur (gris de peau en fait), sont pas très vifs, mais toujours aussi affamés de chair humaine vivante, et pour s’en débarrasser faut les re-tuer (une balle dans la tête, ailleurs ça marche pas toujours …). « Zombie » est une fausse suite de « La nuit des morts-vivants ». Les zombies ne sont qu’un prétexte à une surenchère de gore et Romero va pousser le bouchon beaucoup plus loin que tous ceux qui ont voulu faire peur sur grand écran. Ne pas croire que le George est en roue libre totale. Principe de base : une scène choc toutes les six minutes, et le film durant au moins deux heures, (là aussi on reviendra sur la durée), ça va en faire des litres de faux sang utilisés.

Plus des trois-quarts du film se passe dans le centre commercial. Les zombies y traînent par habitude, par réflexe conditionné (des extraits d’une émission télé nous l’affirment), les quatre vivants après une opération survival (on récupère le vital et l’essentiel) s’y enferment, se servent dans tous les rayons de façon de plus en plus futile (coiffure, maquillage, restaus, champagne, vêtements, tennis, jeux vidéo, armes, voitures et j’en passe). Critique féroce pour l’appétence des deux mondes (zombies et vivants) obnubilés par le besoin de consommer, et de faire siennes des choses qui ne leur appartiennent pas. C’est cette notion de propriété (on défend notre chez-nous, alors que rien n’est à eux, ils se sont tout accaparé) qui poussera les quatre « héros » (enfin, les trois qui restent à ce moment-là) à affronter les pillards, avec les zombies comme arbitres …

Bon appétit ...

Ce qui a marqué voire traumatisé les spectateurs à la sortie de « Zombie », c’est son hyperviolence. Rien n’est suggéré, tout est montré plein champ. Les impacts de balle pleine tête, les giclées de sang, les décapitations, démembrements, éviscérations diverses, les scènes de cannibalisme. Malgré des trucages forcément d’époque (la couleur rouge vif du sang, les mannequins pas très humains, …) frissons garantis (les boyaux sont de vrais boyaux récupérés dans une boucherie, mais non, les figurants vont pas jusqu’à les bouffer réellement …). Les interdictions, avertissements et classements divers vont fleurir partout dans le monde lors de la sortie du film en salles. Mention particulière pour la France giscardienne où le film sera carrément interdit par la Commission de censure. Argento, distributeur de « Zombie » pour l’Europe, attendra l’élection de Mitterrand trois ans plus tard, pour le représenter et là, il pourra être diffusé sans problème, juste une interdiction au moins de seize ans (et ça fait du grain à moudre pour ceux qui pensent que la Droite et la Gauche c’est pareil) …

Il devrait pas avoir mal, il est déjà mort ...

En trois mois, de fin 77 à février 78, « Zombie » est tourné. Mais de quel « Zombie » parle-t-on ? Il y a quatre versions du film. Une dont le final n’a jamais été tournée, mais qui était écrit dans le scénario de Romero (elle prévoyait la mort des quatre réfugiés dans le supermarché). Une version genre « director’s cut » de deux heures et quart, jamais diffusée en salles. Et puis ensuite deux montages différents. Un de Romero destiné aux salles américaines (et autres, voir sa « zone » plus haut) de deux heures et demie. La version la plus radicale, la plus sauvage, la plus violente, jamais diffusée en Europe. L’autre montage est celui d’Argento pour l’Europe. Il a mis du pognon dans le film et espère bien que plein de gens iront le voir, et envisage aussi les passages télé et les ventes sur support physique. Il supprime une bonne part des scènes les plus gore, ce qui donne une idée de ce qui a été filmé, parce qu’on est pas vraiment dans la bluette sentimentale avec la version européenne.

Il y aura de la friture sur la ligne entre Romero et Argento. Rien de grave ou de définitif. Les divergences majeures ne porteront pas sur le montage, mais sur la musique du film. Romero, dans sa B.O. a quasi exclusivement utilisé des synthés anxiogènes. Argento ne va quasiment rien garder de cette B.O. et confier la bande-son au groupe italien de hard progressif Goblin, partenaire habituel de ces films à lui. A l’écoute de la version d’Argento, Romero va récupérer la partie très hard rock qui rythme les passages avec les scènes où figurent les bikers pillards et l’inclure dans sa version. Les deux ont soutenu mordicus que leur bande-son était la meilleure …

Quoi qu’il en soit, « Zombie » est un must. Le meilleur film de zombies jusqu’à la sortie de « Bienvenue à Zombieland » et un classique du cinéma d’horreur-épouvante-gore. Romero s’est même laissé aller à en tourner des « suites » (trois ou quatre), qui seront loin de renouveler le coup d’éclat du millésime 78 …

Pour terminer, une anecdote inattendue. Il y a un point commun entre « Barry Lyndon » et « Zombie ». Allez, je vous laisse deviner. La bonne réponse gagne le dernier Cd d’Aya Nakamura, ou une place pour aller voir Astérix version Canet. Voire même les deux, je sais me montrer généreux …


MEL BROOKS - FRANKENSTEIN JUNIOR (1974)


 Bienvenue à Frankensteinland ...

1974 sera une année faste pour Mel Brooks. En début d’année paraît son western parodique « Le shérif est en prison » (« Blazing saddles » en V.O.). Qui s’en tire pas trop mal chez les critiques et le public mais ne fait guère tomber de records niveau box-office. Une comédie correcte, un peu trop en roue libre par moments, et plutôt bâclée.

Et là, contre toute attente (et surtout la sienne), Mel Brooks va signer son film-référence, celui que retiendront les manuels. Contre toute attente, parce que « Frankenstein Jr » a été mis en chantier sans que Brooks soit concerné. A l’origine du projet, Gene Wilder (on est quand même dans la famille, Wilder est l’acteur fétiche du Mel) qui se met en tête d’écrire une parodie de Frankenstein, d’après le roman de Mary Shelley, mais surtout d’après les deux films référence de James Whale (« Frankenstein » en 1931 et « La fiancée de Frankenstein » quatre ans plus tard). Voyant qu’il arrive à aligner des idées et des gags, Wilder en parle à son agent. Qui ne croit que moyennement à la possibilité de transformer ça en pièce de théâtre ou en film. A tout hasard, les deux hommes conviennent que si quelque chose aboutit, ça se fera avec Wilder of course, mais également Peter Boyle et Marty Feldman. Pourquoi ces deux gars, le premier américain, l’autre anglais, peu connus dans le milieu et au mieux pour quelques seconds rôles. La réponse est simple, ils ont le même agent que Wilder, lequel agent d’emblée pousse ses poulains sur l’échiquier du casting.

Brooks, Boyle, Feldman, Wilder & Garr

A tout hasard, Wilder montre son projet de scénario à son pote Mel Brooks. Qui est dubitatif, et met ce scénario en perspective avec un travail de réalisateur. Et puis, petit à petit, il commence à remanier le scénario, retranche ou ajoute des scènes, des situations, et arrivent vite l’idée et l’envie de faire un film.

D’emblée, Brooks en arrive aux leitmotivs artistiques (le film sera en strict noir et blanc) et budgétaires (il lui faut un budget de deux millions et demi de dollars). La Columbia, avec qui il travaille habituellement, lui en donne moins de deux pour un film en couleurs. Petite visite chez les concurrents de la Fox : deux millions et en couleurs. Comme Mel Brooks est un juif (il devient pas drôle du tout lorsqu’il faut causer pognon) et un sacré bonimenteur, l’affaire est conclue non sans difficulté pour deux millions trois et du noir et blanc. Les choses sérieuses peuvent commencer, Brooks entend absolument avoir au générique Madeline Kahn dans le rôle de l’assistante du docteur Frankenstein. Elle viendra, mais préfèrera prendre le rôle, moins présent à l’écran, d’Elizabeth, la fiancée du toubib (le rôle de l’assistante sera confié à la moins connue Teri Garr). Et puis il y aura une surprise au générique. On y voit apparaître le nom de Gene Hackman, et beaucoup de spectateurs ne l’ont pas vu. Normal, grimé comme jamais il ne le sera de toute sa carrière, c’est lui qui joue le vieil ermite aveugle (petit rôle, mais peut-être l’enchaînement de gags le plus réussi du film).

Deux autres seconds rôles crèvent l’écran : la gouvernante rigide, Frau Büchler et l’inspecteur Kemp, respectivement interprétés par Cloris Leachman et Kenneth Mars. La première, très allemande autoritaire pour pas dire pire (rappelons que Brooks est juif) et le running gag qui l’accompagne chaque fois que son nom est prononcé (les chevaux se cabrent et se mettent à hennir), et le second avec ses gestes rigides et sa prothèse de bras souvent récalcitrante ne sont pas pour rien dans le délire qui monte d’un cran chaque fois qu’ils apparaissent.

Boyle & Hackman

Le point de départ n’est qu’un prétexte pour le remake loufoque de la créature de Mary Shelley. Le petit-fils du Dr Frankenstein (Gene Wilder), est prof de médecine aux Etats-Unis. Même s’il partage la même fascination que son aïeul pour la mort, il tient à s’en démarquer et insiste pour qu’on l’appelle Fronkonstine. Malheureusement pour lui, il hérite du château de son grand-père, laisse sa fiancée en pleins préparatifs de leur prochain mariage, et s’en va en Transylvanie. A noter que deux séquences (pour plus de dix minutes), ont été supprimées du montage final, on y voyait la lecture de l’héritage en présence de tous les descendants de Frankenstein et on comprenait pourquoi son petit-fils se rendait en Europe.

L’héritier, accompagné de sa gironde assistante qui l’attendait à la gare, se rend au château où il est accueilli par l’intendant, Igor. C’est Marty Feldman, anglais avec de gros yeux globuleux qui se regardent et naturellement allumé, qui tient le rôle d’Igor. Et dans le film, en plus, il est bossu (même si sa bosse a tendance à changer de côté). Pour moi, c’est lui qui crève l’écran, et qui fait basculer toutes les scènes  où il apparaît de la comédie vers le délire le plus total.

Cloris Leachman

Bon, évidemment, une fois dans l’environnement ancestral, Frankenstein Junior va reprendre les expériences de Papy (avec des décors similaires aux films de Whale recréés par l’équipe de Mel Brooks), greffer un cerveau de débile sur un frais macchabée (Peter Boyle, a la carrure aussi imposante que Boris Karloff), et les situations les plus folles vont avoir lieu (des remakes parfois aménagés de scènes culte des films de Whale), et se compliquer encore plus avec l’arrivée de la fiancée, lassée d’attendre son promis à New York. Comme elle finira avec le même look que l’oubliée Elsa Lanchester, « fiancée » du Monstre dans le film de 1935, je vous laisse imaginer ce qui va bien pouvoir lui arriver …

« Frankenstein Jr » est certainement la meilleure façon d’aborder la filmographie de Mel Brooks (qui s’est souvent perdu en route dans de nombreux films). Mis à part son premier (« Les producteurs ») qui garde ma préférence, « Frankenstein Jr » est son film le plus cohérent, comédie déjantée réussissant à travers son thème imposé à présenter toutes les thématiques chères à Brooks (des personnages lunaires, des situations « impossibles », des gags qui visent sous la ceinture, la détestation des nazis, …). Le succès du film, sorti à la toute fin 74 fut immédiat (Mel Brooks n’y était pas vraiment habitué), et relancera la carrière en salles de son précédent, « Le shérif est en prison ».

L’accroche de la jaquette du Dvd est « la meilleure comédie de tous les temps ». J’irai certes pas jusque là, mais je conseille « Frankenstein Jr » et son rythme endiablé sans aucun temps mort …


Du même sur ce blog :



ERYKAH BADU - MAMA'S GUN (2000)

 

Soul's not dead ...

Un disque de soul en l’an de grâce 2000 ? Et pourquoi pas un disque de r’n’b tant qu’on y est ? Ouais, je sais les deux termes ont été plus que galvaudés en cette fin de siècle. Et on retrouve sous ces deux vocables des choses et des gens qui n’ont rien à voir avec la soul ou le rhythm’n’blues, tels qu’on entendait ces deux termes dans les glorieuses années 60 et 70 … Pourtant, quelques-uns et unes, peu nombreux, ont tenté vaille que vaille contre les vents mauvais des diktats du music-business de perpétuer les nobles idiomes. En sachant pertinemment qu’il y avait du taf pour faire aussi bien qu’Aretha, Jaaames, Marvin, Stevie, Curtis et les autres.


A quoi on les reconnaît ces gens-là ? Pour les mecs, c’est compliqué, ils sont parfois plus sobres vestimentairement (moins de couleurs flashy, moins de bagouzes) mais pas toujours … Pour les meufs, c’est plus simple (et ça tombe bien, Erykah Badu est une vraie meuf, mère de famille, tout ça …), suffit de googleler leurs photos. Si vous voyez une pétasse à wonderbra et string apparents, maquillée comme un camion portugais, un conseil, passez votre chemin … si la nana à l’air normale, ça sent la bonne pioche.

Erykah Badu a pas un physique de top model, et pose pas façon entraîneuse de bordel mexicain. Par contre elle sait faire des disques. Celui-ci est son second, le premier (« Baduizm ») l’avait faite favorablement remarquer. Et ce « Mama’s Gun », il est très bon … même si évidemment, il arrive pas à la cheville des rondelles majeures des zozos précités deux paragraphes au-dessus. Mais la Erykah coche plein de cases. Le label, c’est Motown. La vénérable maison de Detroit avait depuis ses années soixante fini de manger son pain blanc, les mirifiques succès des artiste signés par Berry Gordy n’étaient plus qu’un très lointain souvenir. Mais y’a des étiquettes sur un disque qui restent magiques … Ensuite, la Erykah a su s’acoquiner avec les bonnes personnes, cumulant dans les crédits du disque ceux qui savaient écrire des chansons et qui faisaient des disques avec des vrais instruments. Il y avait toute une connexion où l’on trouvait les types de Outkast (un des deux, Andre 3000 est le père du mioche à Erykah), ceux des Roots (particulièrement leur batteur et tête pensante Questlove) et derrière le micro des gens comme D’Angelo ou Common qui avaient du succès avec d’honnêtes rondelles. La revanche de l’humain sur les machines, et c’est d’autant plus appréciable quand il s’agit de musiques qui se veulent vintage … Bon, au débit de ce « Mama’s Gun », la longueur. Une heure dix, c’est un peu beaucoup longuet …


Les titres up ou mid tempo sont au début, la deuxième partie du Cd fait la place aux rythmes beaucoup plus lents. Le changement intervient avec le morceau « A D 2000 », qui comme le « American skin (41 shots) » de Springsteen fait référence à la mort d’Amadou Diallo, jeune guinéen de 22 ans, dégommé par les flics new-yorkais lors d’un banal contrôle d’identité (ils lui ont tiré dessus à 41 reprises, et l’ont touché 19 fois, no comment …).

Tous les titres du disque sont enchaînés, ce qui renvoie forcément au « What’s going on » de Marvin Gaye. Mais pas seulement à cause de ça. Il y a des paroles pas très cons (« concernées » comme on disait dans les seventies), et des influences, des rythmes, des sonorités jazzy. Même si par cet aspect, on est plus proche de Sade, la belle nigériane à la musique glaciale au début des 80’s (le single « Didn’t cha now », et surtout « Time is a wastin’ »). Vocalement, Badu est assez neutre, très loin des hurleuses à la Aretha. Bon point, des saletés de machines et de plug-ins ne viennent pas y superposer leurs effets, la voix reste naturelle, et c’est du chant, pas du rap. On pense plusieurs fois au génial Stevie Wonder des 70’s (notamment sur « Bag Lady », le single qui a le mieux marché, tout en haut des charts), à d’autres moments au non moins génial Curtis Mayfield (l’introductif « Penitenciary philosophy », cocottes funky, quelques notes de guitare wah-wah, pas aussi bien que la B.O. de « Superfly », mais bien mieux foutu que la plupart des titres des Red Hot Chili Peppers dans cette veine-là). Il paraît que la dame est fan de reggae. A part avec le vert-jaune-rouge délavé de la pochette, rien dans la musique ne semble en découler …


Le disque se conclue par un long, très long (10 minutes) titre (« Green eyes ») en trois parties, qui est censé être le sommet de la rondelle. Perso, il m’a plutôt gavé, tout comme à un degré moindre « … and on », réponse au « On and on » qu’elle avait fait avec son mec (le Andre 3000 déjà cité dont elle est séparée). On en a rien à foutre, mais c’est très en vogue dans les « musiques urbaines » ces interpellations perso sur fond de règlement de comptes, même si ici ça reste très soft … Je lui préfère nettement le gentiment funky « Booty » (second degré ironique, entre le Prince de « Parade » et le Wonder de « Songs in the key of life »), « My life », très typé Philly sound, la rustique et jazzy « Orange moon », très lente, avec ses grillons en fond sonore (même si question couleur de lune, je lui préfère la bleue d’Elvis ou la jaune des Neville Brothers).

Un bon disque de soul en l’an 2000 ? Si, si, ça existait …