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Le rock au sens le plus large, c’est le truc le plus
basique qui soit. A prendre au premier degré. Et dans quelque genre qu’ils
œuvrent, ceux qui en font ne dérogent jamais à la règle, il faut faire ce que
le fan, le public, la maison de disques, … attendent (y compris n’importe quoi).
Les plus doués (Dylan au hasard) peuvent parfois mélanger sérieux (la musique)
et loufoque (les paroles). Ceux qui donnent dans le second degré (cas d’école
Kiss et Queen) avec des cohortes imposantes de fans, sont méprisés par tous
ceux qui considèrent que faut pas déconner, la musique c’est sérieux.
Et puis, y’a ceux qui dépassent le second degré pour
amener les gens qui se hasardent à écouter leurs disques dans des contrées
sonores incompréhensibles. Palme du point d’interrogation majuscule, les
Residents, dont personne ne sait qui se cache derrière leurs masques oculaires
et dont la musique est totalement hermétique et incompréhensible. Et puis Zappa
…Frank Zappa
Qui pour moi est une énigme. Une discographie
pharaonique, que ce soit de son vivant ou post-mortem, à coups de double ou
triple albums live ou en studio. Pour moi à peu près tous inécoutables (enfin,
la demi-douzaine que je connais), mais le type a ses fans. Et bizarrement, chaque
fan de Zappa a son propre Top 3 de ses meilleurs disques. Qu’ils ressemblent à
de la pop, du rock, du jazz, du classique, du contemporain …
Zappa, c’est un potache sérieux, un mormon festif,
il faut une litanie d’oxymores pour le définir. Son truc ultime, c’est le
doo-wop (il en possédait des milliers de 45T), il n’y a pas plus d’une poignée
de morceaux qui en soient inspirés dans son imposante production. Le doo-wop,
c’est surtout vocal, et Zappa a l’habitude de tartiner des triples vinyles
d’instrumentaux, voire de bruitages et de dialogues abscons. Comprenne qui
pourra. Zappa, c’est le type détaché de tout à grands coups de formules
décapantes, et puis capable d’aller devant les tribunaux à la rescousse des
besogneux hard-rockers de Twisted Sister pour défendre leur liberté
d’expression. Zappa, il a repris tous les codes du rock’n’roll circus, mais il
virait impitoyablement et à jamais tout musicien de son band qui n’était pas
absolument sobre (picole et drogues totalement prescrites en studio et en
tournée…). Zappa, c’est un peu la théorie des contrastes et des contraires …
« Hot Rats » c’est officiellement son
premier disque solo. Ceux d’avant, ils étaient parus sous les intitulés de
Mothers of Invention ou Frank Zappa & the Mothers (of Invention). La
différence ? En fait, y’en a pas, Zappa est la pièce centrale, le cerveau
de tout ce qu’il a fait paraître. Despote libertaire, il donne la direction,
écrit, arrange et produit, et une litanie de musiciens qui tournent dans le
band en heavy rotation viennent ajouter leur patte à l’édifice. Ces musiciens
sont soit des virtuoses reconnus priés de « déjouer », soit
d’illustres inconnus sommés « d’inventer » leur technique
instrumentale. Au milieu de tout ça, Zappa, grand adepte des contradictions
dadaïstes mène la danse à la guitare électrique (dont il est considéré comme un
des maîtres, alors qu’il ne cesse d’afficher son mépris pour les guitar
heroes).Ian Underwood
« Hot Rats », à la base, c’est le projet
d’un duo. Zappa à la baguette, assisté de Ian Underwood, complice du moustachu depuis
son album-pastiche des Beatles (entre autres) « We’re only in it for the
money ». La place importante occupée par Underwood (piano, claviers,
flûte, saxos, …), ancien élève-disciple d’Ornette Coleman (autre célèbre
déconstructeur de gammes), n’est pas tout à fait due hasard. Les deux hommes
sont à l’origine du projet « Hot Rats », entourés par une escouade de
participants (trois batteurs, deux bassistes, deux violonistes), dont sur un
titre l’ami-complice (à cette époque-là, la brouille retentissante entre les
deux approche) de Zappa en termes de dadaïsme sonore, Don Van Vliet alias
Captain Beefheart. Un des deux violonistes est un jeunot français, Jean-Luc
Ponty (lui aussi se fâchera avec Zappa dans les seventies), et l’éminence grise
du projet, qu’aurait beaucoup consulté Zappa est Johnny Otis, reconnu dans les milieux
du rhythm’n’blues et du jazz, et dont le fils Shuggy (quinze ans) jouera de la
basse sur un titre, « Peaches in Regalia ».
Pour faire simple, au vu du casting hétéroclite, on
peut subodorer que ça peut partir dans tous les sens. Et effectivement,
« Hot Rats » offre une musique inédite pour l’époque. « Hot
Rats » est un disque que beaucoup considèrent comme le premier disque de
« fusion ». Considéré par certains comme un disque pionnier du
jazz-rock, on y trouve aussi des relents de blues, de rhythm’n’blues, de rock
psychédélique, voire du funeste prog à naître sans oublier la musique
contemporaine (Zappa finira groupie de Boulez) … Bon, pareil attelage incite à
sauter au plus vite de la monture, sauf qu’avec « Hot Rats » c’est
assez souvent supportable …
Mais pas toujours. Le « Peaches in Regalia » qui ouvre la rondelle, considéré par les fans comme « fondateur », désolé mais j’y vois qu’une bouillasse tourbillonnante, instrumentale et psychédélique, pas spécialement finaude, plutôt genre boucan plus ou moins organisé. Heureusement, ça dure pas très longtemps. Arrive ensuite ce qui est moi la masterpiece du disque (et du peu que je connais de Zappa), « Willie the Pimp ». Seul titre chanté (enfin façon de parler) du disque par Beefheart, morceau généralement honni par les jazz rockeux. Parce que « Willie … » c’est du violent. Un fond de heavy blues, un couplet psalmodié par Beefheart pendant une minute, une autre minute de grognements et borborygmes divers, et sept minutes de solos saturés de Zappa. Ce seul titre suffit à assoir la réputation de guitar hero du moustachu, c’est un titre à écouter une fois dans sa vie pour pas crever idiot, et ça enterre pas mal de la concurrence à six cordes … Par contre, le « Son of Mr Green Genes » qui suit, accumule tous les clichés insupportables (pour moi en tout cas) du jazz-rock, voire du prog. Ce titre clôturait la première face du vinyle original.
La seconde partie du disque repose sur un long titre,
« The Gumbo variations » (rallongé de quelques minutes sur les
éditions remastérisées par Zappa lui-même). Comme son nom l’indique (le gumbo
est une espèce de ragoût louisianais aux multiples ingrédients), on passe du
coq à l’âne, avec comme fils rouge les saxos de Underwood entrecoupés de solos de
guitare de Zappa. Pas forcément captivant sur la durée (17 minutes quand même),
mais souvent intéressant. « Gumbo … » est encadré par deux pièces
plus courtes, « Little umbrellas » le plus jazzy du lot (bof …) et l’ultime
« It must be a camel » qui met en avant le piano, pour un titre
évoluant aux frontières du jazz, de la musique contemporaine, et du n’importe
quoi …
Force est de reconnaître que « Hot Rats »
est foncièrement différent par rapport à ce qui se faisait en son temps, en
tout cas beaucoup plus rock et électrique que les pensums de Miles Davis rangés
sous les mêmes étiquettes jazz-rock, fusion, etc …
Ce qu’on ne peut reprocher à Zappa, c’est d’être un
type borné, uniquement intéressé par le monde musical qu’il se construisait
disque après disque. Capable de financer les rondelles de ses proches (le très
décapant « Trout Mask Replica » de Beefheart, de signer sur son label
une bande de zozos dérangés et bruyants de Detroit (Alice Cooper), de faire
enregistrer un groupe plus ou moins gag entièrement féminin (les GTO’s,
entendre Girls Together Outrageous, groupe emmené par Pamela Des Barres, future
groupie number one des seventies). C’est d’ailleurs une autre fille de GTO’s,
Miss Christine, qui émerge façon inquiétant monstre aquatique d’une piscine
(vide) sur la pochette de « Hot Rats » …