JOHN SAYLES - LONE STAR (1996)

 

Y'a des fois, faut pas chercher à comprendre ...

John Sayles, c’est le réalisateur avec une grosse pancarte « film indépendant américain » dans le dos. Autant dire pas le genre de type multi-nominé et multi-oscarisé, parce que l’industrie, oui, l’industrie est bien le mot, aime bien récompenser ceux qui marchent plus ou moins droit. Tandis que pour les types comme Sayles qui empruntent les chemins de traverse pour faire des films, circulez, y’a rien à voir … Bon remarquez, l’œuvre assez obscure du bonhomme mérite pas non plus qu’on crie systématiquement au génie à tue-tête à son propos …

Chris Cooper & John Sayles

« Lone Star » est certainement son film le plus connu, il l’a réalisé et en a également écrit le scénario. Belle histoire, un peu alambiquée, on y reviendra, beau casting. Même si ceux dont le nom est écrit le plus gros sont pas les premiers rôles (Kris Kristofferson, Matthew McConaughey, … y’a même Frances McDormand qui fait un passage éclair juste dans une scène …)

« Lone Star » fait évidemment référence au Texas (Lone Star State pour ceux qui regardent « Plus belle la vie »), mais aussi à l’étoile que portent les sheriffs. Tout commence dans les années 90 (1990, « Lone Star » n’est pas un western, ou si peu …), quand deux botanistes explorant les collines autour d’une base militaire désaffectée découvrent un squelette avec à côté de lui une étoile de sheriff.

La petite ville où se situe l’action est Del Rio, ville frontière, dans laquelle les « non-blancs » (pour faire simple) représentent 90% de la population (Blacks, Chicanos, Indiens). Le sheriff de Del Rio, Sam Deeds (Chris Cooper), fraîchement élu, l’a été sur son nom de famille, il est le fils d’un sheriff légendaire (et décédé) de la ville, Buddy Deeds (Mathew McConaughey), lui-même successeur du très corrompu et disparu sans laisser de traces durant son mandat Charlie Wade (Kris Kristofferson). Comme on a trouvé à côté du macchabée des collines une étoile de sheriff, il ne fait guère de doute qu’il s’agit des restes du détesté Charlie Wade, d’autant plus que depuis sa disparition, la rumeur publique affirme que c’est le père Deeds qui en a débarrassé la ville. Et le fiston du héros se retrouve donc à enquêter sur la mort de Wade (un labo confirme qu’il s’agit bien de ses restes) à laquelle est mêlée son père …

Renouer avec une ancienne connaissance ...

Sam Deeds est un mec plutôt cool, qui avait quitté Del Rio pendant des années, et qui a très vite l’intuition que remuer ces vieilles histoires de plus de quarante ans risque de faire remonter des trucs pas folichons à la surface… il mène son enquête, en commençant par quelques protagonistes encore en vie de cette lointaine période (le maire, un patron de bar). Et évidemment, les surprises vont fleurir comme chrysanthèmes à la Toussaint.

De nombreux protagonistes vont participer à l’histoire, avec leurs embrouilles présentes ou passées. Parce que si l’essentiel du film se joue au présent, de nombreux flashbacks (souvenirs de Sam Deeds, récits de témoins) dévident petit à petit l’écheveau compliqué de l’affaire principale. La technique filmique des flashbacks est quasiment toujours la même, la caméra passe d’un personnage dans un lieu contemporain pour faire découvrir une scène qui a eu lieu à cet endroit des décennies plus tôt. Et on s’aperçoit que le sheriff actuel n’est pas le seul à vivre avec le poids des fantômes du passé…

Il retrouve (et renoue avec) un ancien amour de jeunesse, maintenant institutrice et divorcée (son gosse bricole avec des autoradios volés, ce qui l’amène évidemment chez le sheriff), dont la mère, ancienne immigrée clandestine et femme d’un passeur abattu par Wade, tient maintenant le restau huppé du bled, menant à la trique ses employés, bien qu’elle soit capable (on comprendra au final pourquoi) d’aider et de soigner des clandestins …

On apprend aussi très vite que le maire a été l’adjoint de Wade, qu’il fermait les yeux sur ses activités illégales, moyennant quelques billets que le corrompu lui glissait … Que le patron de bar est et a toujours été à la limite de plein de hors-jeux, qu’il a un fils colonel de l’armée, qui vient d’être nommé en charge de la caserne de la ville. Le bidasse, dur et rigide, a rompu depuis longtemps tous les liens avec son père, mais il a un fils qui aimerait bien rencontrer Papy. La situation se complique encore plus quand lors d’une embrouille dans le bar, un soldat se fait tirer dessus.

Wade (K Kristofferson)

Etonnamment, et c’est tout à l’honneur de Sayles, le récit reste remarquablement fluide (on n’est pas dans « Tenet » ou « Inception »), on suit toutes les intrigues qui se croisent et s’entrecroisent, et petit à petit, on découvre la zone d’ombre de tous les personnages. Les statues de Commandeur tombent une à une (on en a même érigé une pour le père Deeds), et le dénouement qui est superbe, se joue à deux niveaux. On croit que c’est fini quand l’assassinat de Wade est élucidé, sauf que le couillon de sheriff est allé fouiller dans les recoins de la vie privée de son père, ce qui vaut un ultime et inattendu twist final …

Un point fort du film : une scène fabuleuse qui voit Sam Deeds aller chercher les archives paternelles dans la maison familiale qu’il a laissée à son ex-femme (jouée par Frances McDormand), poivrote allumée, fan et supportrice ultime de foot américain. C’est la seule séquence drôle du film, mais elle vaut le détour, croyez-moi …

Un point faible : hormis Cooper, les têtes d’affiche du casting (Kristofferson, McConaughey, McDormand) sont sous-employées et on les voit juste quelques minutes à l’écran …

Au final, « Lone Star » est un film à tiroirs qui navigue entre plusieurs genres, le polar of course, mais aussi le film social (beaucoup de références à l’immigration clandestine, à la politique et aux élections locales), voire le drame familial (on essaye au maximum de laver son linge sale en famille) …

Cette histoire aux ramifications tentaculaires a valu à John Sayles une nomination à l’Oscar du meilleur scénario. Méritée. On aurait cependant aimé un peu plus d’imagination au niveau de la réalisation. « Lone Star » est un bon film, mais très académique au niveau sonore et visuel. Un peu plus de folie de ce côté-là, et ça aurait été parfait …


BIJOU - OK CAROLE (1978)

 

Nostalgia …

Les Bijou furent en 76 et 77 à l’affiche de l’improbable European Punk Rock Festival de Mont-de-Marsan, initié par Marc Zermati (mort l’année dernière) et son label Skydog. Seuls les Anglais Sean Tyla et Eddie & the Hot Rods furent également des deux éditions … oui, le festival de Mont-de-Marsan, s’il fut le premier festival punk au monde, était quand même beaucoup plus orienté pub-rock (surtout la première année) que punk …


Et Bijou ? Très peu punks et pas plus pub-rockeurs. Ils venaient d’ailleurs. Géographiquement de la banlieue parisienne (Juvisy) et musicalement de déjà vieilleries pour l’époque. Des machins 50’s et 60’s. Mais ils jouaient ces trucs vieillots avec une énergie qui faisait la farce, et les faisait respecter par toute la scène musicale française contemporaine.

Bijou était le groupe de cette époque-là qui allait devenir énorme, tout le monde en était certain. Ils sont pas passés loin (quoique, ils ont vendu que des clopinettes de leurs disques), et ce sont Téléphone (surtout) et Trust (un peu moins) qui allaient rafler la mise et rallier les suffrages populaires fin 70’s – début 80’s.

Les Bijou sont un trio … de quatre personnes. Trois sur scène (Yann Dynamite à la batterie, Philippe Dauga chant et basse, Vincent Palmer chœurs et guitare), plus leur parolier et mentor Jean-William Thoury. Les lecteurs de Rock & Folk depuis …euh longtemps auront remarqué que Palmer et Thoury ont fait (font encore ?) partie de la rédaction, causant de vieilleries qui le temps passant deviennent de plus en plus vieilles. Et puisqu’on en est à causer Rock & Folk, les jambes sur la pochette de cet « OK Carole » sont celles de Brenda Jackson, elle aussi pigiste, mais chez leurs concurrents de Best dans les années 70.

« OK Carole » est le second disque de Bijou après le sympathique « Danse avec moi » (grâce notamment à ses deux quasi-classiques « Marie-France » et la reprise de « La fille du Père Noel »). « OK Carole » est plus homogène, ce qui selon le côté par lequel on aborde la chose, peut être un atout ou un handicap. Ici, la barre est carrément mise sur le vintage et la nostalgie.


Vintage parce que tout sonne « comme avant », c’est-à-dire en gros la première moitié des années soixante. Musicalement, c’est très anglais (les influences mod, premiers Who, Small Faces, …), et les paroles très français (les textes naïfs des Chats Sauvages, de Danny Boy, ce genre …).

Nostalgie parce que forcément rien ne rattache Bijou à son époque (allez si, le court « Pic à glace » peut évoquer le punk’n’roll des Ramones, exception qui confirme la règle). Palmer, maître musicien de la bande, fronce les sourcils dès qu’il est question d’un disque paru après 1966, et tout chez le Bijou de 1978 renvoie à des temps antédiluviens, la période yé-yé française (« Décide-toi (Twist) », rien que le titre, « Ton numéro de téléphone »), d’autres sont clairement sous influence période mod anglaise circa 63-65 (« Je te tuerai », « Non pas pour moi »). Le reste est à l’avenant, petits rocks concis et énergiques, paroles désuètes (l’esprit yé-yé, encore et toujours, l’ambiance du film « American graffiti »). De ce point de vue-là, un des descendant évidents de Bijou est Didier Wampas et son groupe du même nom …


Mais « OK Carole » restera surtout dans la petite (ou la grande, d’ailleurs) histoire du rock de par ici. A cause de Gainsbourg. Le Serge, plus ou moins retiré des affaires et surtout de la scène, autorisera la reprise par Bijou d’un de ses vieux titres oubliés « Les papillons noirs » (à l’origine un duo en 1967 avec Michèle Arnaud). Gainsbourg la chantera sur le disque (mixé très en arrière, c’est Dauga qui est à la voix lead), puis ne manquera pas une occasion d’aller voir ces jeunots de Bijou de scène, où il finira toujours par les rejoindre pour chanter avec eux « Les papillons noirs ». Devant l’accueil enthousiaste qui lui est réservé par le public (plutôt jeune) de Bijou, Gainsbourg se laissera tenter par l’idée de se produire à nouveau live, chose qu’il n’avait pas faite depuis des années. Ce sera la tournée restée dans les annales pour l’émoi réactionnaire qu’elle avait soulevé (à cause de sa version reggae de « La Marseillaise »), la renaissance populaire de Gainsbourg, et la naissance (plus souvent pour le pire que le meilleur) de son double Gainsbarre.

« Les papillons noirs » est le titre atypique qui sert de locomotive à « OK Carole », très largement au-dessus du lot. Dans un registre plus propre à Bijou, il convient de citer le morceau-titre, petit rock et nerveux sans fioritures (13 titres en demi-heure, des fioritures y’en a pas de toutes façons), « Sidonie » (du Wampas avant l’heure).

Difficile cependant de ne pas se gratter la tête à l’écoute de titres qu’on qualifiera d’erreurs de jeunesse (à force de rechercher la naïveté originelle du rock, faut éviter l’écueil de l’infantilisme), la palme revenant au (heureusement très court) morceau a capella « L’amitié » (peut-être une pochade de studio, chantée faux et aux paroles simplettes).

Enfin, pour l’anecdote, en plus de s’être fait piquer la popularité par Téléphone, les Bijou se sont aussi fait piquer un nom de morceau par la bande à Aubert (« J’avais un ami », les deux titres n’ont rien à voir, celui de Téléphone est le meilleur).

Inutile de préciser qu’aujourd’hui, sous le règne du streaming et des Maître (?) Gims de tout poil, ce petit disque sympa mais pas essentiel de Bijou, est, comme le reste de sa production, plutôt difficile à trouver …


Des mêmes sur ce blog :

Danse Avec Moi



SPIKE JONZE - DANS LA PEAU DE JOHN MALKOVICH (1999)

 

Au-delà du délire ...

« Being John Malkovich » en V.O. est un film extraordinaire dans tous les sens du terme … pendant plus d’une heure. La dernière demi-heure, par contre, vient un peu tout flinguer …

Spike Jonze & John Malkovich

Alors commençons par le début. A l’origine du film, deux hommes, Spike Jonze et Charlie Kaufman. Le premier est un golden boy du spot télé et du vidéo-clip (pour ceux qui sont en haut de l’affiche à la fin des 90’s, genre Björk, Fatboy Slim, les Chemical Brothers, …). Le second est scénariste pour des séries télé. « Dans la peau … » sera leur coup d’essai dans le cinéma pour les deux, première réalisation pour Jonze, première écriture de scénario pour Kaufman … Je sais pas à quoi ils carburaient (enfin, on peut supposer qu’ils suçaient pas que des glaçons, du moins Jonze, que l’on voit descendre de sa voiture et vomir dans la rue, lors d’une courte – forcément courte – interview dans les bonus du Dvd), mais ils ont fait très fort sur ce coup …

Craig Schwartz (John Cusack) est un marionnettiste qui se trouve génial, mais ne vit que des piécettes qu’il récolte en se produisant dans les rues, quand il ne prend pas des torgnoles par les parents lorsqu’il met en scène dans son spectacle l’histoire d’Héloïse et d’Abélard (ben ouais, fallait écouter en cours de français au lycée, sinon allez sur Wikimachin, vous comprendrez que c’est pas vraiment une histoire d’amour tout public …). Craig est marié à Lotte (Cameron Diaz, loin des rôles de bimbo qui l’ont rendue célèbre), qui travaille dans une animalerie et ramène du boulot à la maison, forcément transformée en zoo, et qui s’intéresse plus à ses bestioles qu’à son mari, auquel elle suggère tout de même que les marionnettes, c’est bien joli, mais qu’il faudrait trouver un vrai job …

L'étage 7 et demi

Ça tombe bien Craig dégotte une annonce où une boîte recherche un type agile de ses doigts pour du classement et de l’archivage. Cette boîte se trouve dans un immeuble, au septième étage et demi … c’est-à-dire que tout le monde marche courbé dans des couloirs et des bureaux où le plafond est à un mètre cinquante du sol. Le personnel et le directeur sont aussi étranges que les lieux qu’ils occupent, de la secrétaire dyslexique et allumeuse (Mary Kay Place), au patron (Orson Bean, un vétéran des seconds rôles), un prétendu docteur de cent cinq ans, bien conservé grâce à une consommation effrénée de jus de carotte, et prêt à baiser tout ce qui passe à portée …

Craig utilise donc sa dextérité pour classer fiches et dossiers, tout en tombant amoureux fou d’une grande brune qui n’a pas froid aux yeux (excellente Catherine Keener). Un jour, pour récupérer un dossier qui a glissé derrière un meuble, il découvre une petite porte donnant sur une galerie souterraine. Dans laquelle il s’empresse de ramper pour se retrouver … dans la peau de John Malkovich, en tant qu’ « invité » (il est quelque part dans son cerveau, et voit à travers ses yeux). Et au bout d’un quart d’heure, l’expérience prend fin, et Craig est éjecté, tombant dans le remblai d’une rocade …

Cusack, Keener & Diaz

L’expérience pouvant se répéter à l’infini, Craig et Maxine (la grande brune qui bosse avec lui) commencent donc une lucrative vente de billets (paiement en espèces, of course) pour passer un quart d’heure dans la peau de John Malkovich. Sauf qu’avec un peu d’entrainement, on peut passer plus de temps et « diriger » Malkovich. Si l’on rajoute des tentatives de liaison amoureuse qui compliquent tout (Craig tombe amoureux de Maxine, Maxine de Lotte, le toubib de Lotte, et Malkovich de Maxine). Parce que le John, sentant qu’il se passe des trucs bizarres dans sa tête, finit par mener son enquête et découvre les étrangetés qui se trament dans le septième étage et demi, allant même jusqu’à emprunter le couloir lui-même …

C’est avec cette scène extraordinaire (John Malkovich dans un restaurant où tout le monde est John Malkovich) que prend fin la partie la plus intéressante du film. Le reste, qui consiste à trouver une fin « crédible » ou « rationnelle » à toutes ces aberrations mises en images, fait tourner les personnages et les mini-intrigues qui les lient en rond. Cette dernière partie repose beaucoup sur John Malkovich, qui trouve là les scènes de loin les plus délirantes de sa carrière, mais cabotine un max, pion central d’un jeu dont Kaufman et Jonze ont à peu près perdu toutes les règles …

Reste quand même les deux premiers tiers du film où quasiment rien n’est à jeter, trouvailles scénaristiques géniales, comique surréaliste à tous les …étages … avec mention particulière au couple Cusack – Diaz (lui, lunaire à la perfection, elle s’en allant de plus en plus dans l’irrationnel total). La scène où ils sautent tous les deux en même temps sur Maxine qu’ils ont invité à dîner et à fumer des joints mérite sa place dans une anthologie du comique de situation …

Un monde plein de Malkovich ...

Evidemment, Jonze (trente ans) a pu compter sur ses états de service dans d’autres domaines pour réunir tout ce beau monde (et si l’on compte ceux qui n’ont qu’une courte scène, ou font juste un caméo, il faut rajouter au casting des Dustin Hoffmann, Martin Sheen, Sean Penn, Michelle Pfeiffer, Brad Pitt, et quelques-un(e)s que j’ai dû louper parce que aucun ne figure au générique). Le fait qu’à cette époque il fréquente assidûment la famille Coppola, notamment la Sofia du même nom, a aussi dû aider à faire s’ouvrir quelques portes et sortir quelques carnets de chèques …

« Dans la peau de John Malkovich » est à la base une comédie totalement délirante. Dommage que viennent dans les dernières bobines se greffer « explications » métaphysico-médicales, sorte de secte recherchant la jeunesse éternelle (le polar horrifique « Get out » se serait-il inspiré de cette partie du scénario ?), qui finissent par parasiter les géniales idées originelles et une prestation épileptique d’un Malkovich en roue libre …

« Dans la peau de John Malkovich » est un peu le pendant cinématographique d’un rock indé bobo qui faisait les milliardaires musicaux de la décennie. Le film est co-produit par Michael Stipe de R.E.M., et après une partie musicale essentiellement à base de classique, c’est la très in Björk qui assure le générique avec l’aquatique, forcément aquatique « Amphibian ».