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LES RITA MITSOUKO - PRESENTENT THE NO COMPRENDO (1986)

 

C'était comme ça ...

Les Rita Mitsouko, c’était les années 80. Et les années 80, musicalement (mais pas que), c’était pas terrible. Sauf qu’à toute règle il y a des exceptions. Et les Rita étaient ô combien une exception. Un groupe-duo plutôt unique, des aventuriers sonores sans beaucoup d’équivalents. Dans leurs meilleurs moments au niveau de Prince pour le côté touche-à-tout imprévisible.

Les Rita, c’est en plus de vingt ans d’activité tout juste une grosse poignée de disques studio. Dont une grosse moitié est dispensable. En fait, les seuls à garder sont les trois premiers. Le premier, éponyme, contient une tuerie enjouée (qui parle de mort et de cancer, on y reviendra sur ce paradoxe) l’inoubliable au sens premier du terme « Marcia Baila »). Le troisième, marqué par une collaboration avec leurs héros (un autre duo « bizarre ») les Sparks (« Singing in the shower ») et des étrangetés sonores absolues (« Mandolino City », « Le petit train » sur les convois de déportés des années 40) sera l’album de la consécration, les adoubera définitivement parmi les gens qui comptent.


Mais le disque qui a tout fait exploser pour les Rita, c’est leur second, « The No Comprendo », dont les trois premiers titres sont dans l’ordre « Les histoires d’A », « Andy », « C’est comme ça ». Des morceaux sans aucun lien musical entre eux, très gros hits en leur temps, et qui bizarrement, ont plus que bien vieilli, en tout cas beaucoup mieux que leurs voisins du haut des charts.

Même s’il est fondamental, le pédigrée et les parcours de Fred Chichin et Catherine Ringer ne les prédisposaient pas à une carrière musicale de ce niveau. Lui végétait dans des groupes punks de seconde zone, dealait et passait par la case zonzon. Elle rêvait de théâtre, tournait des films destinés selon la formule à un public averti pour faire bouillir la marmite. Une rencontre lors d’un casting foireux de comédie musicale et l’aventure démarrait. Un nom choisi au hasard (des prénoms de stripteaseuses couplés avec des noms de parfums de Guerlain, on a évité Dita Vétiver ou Bettie Shalimar), une vie et un travail en communs, l’aventure Rita Mitsouko commençait. « Marcia Baila », titre dansant un peu perdu au milieu d’un disque sombre produit par Conny Plank (pape sonore du krautrock), accompagné d’un clip arty laissant apparaître un duo tout en contrastes (Chichin inexpressif et Ringer exubérante) lancent l’affaire auprès du très grand public. Restait quand même une question en suspens : one hit wonders ou pas ?

La réponse viendra avec « The No Comprendo » (officiellement « Les Rita Mitsouko présentent the No Comprendo », « no comprendo » étant de l’espagnol de contrebande mais surtout le nom du « groupe » ayant participé à l’enregistrement). The No Comprendo (le groupe), c’est une liste de gens qui n’interviennent le plus souvent que sur un titre (cuivres, violon(celle)s, …). A la manœuvre sur tous les titres, Chichin et Ringer. Paroles et musiques, tous les instruments (section rythmique et guitares pour lui, vocaux, claviers et instruments midi pour elle). Et un renfort de poids, le sieur Tony Visconti (un « peu » célèbre pour avoir produit une ribambelle de disques de T-Rex et de Bowie), coproducteur du disque avec les Rita et crédité à de nombreux instruments.


Musicalement, on est près de l’os. Zéro démonstration technique, tout est dans la créativité sonore. Tous les tristes poncifs de l’époque sont évités (les synthés datés, les arrangements interchangeables des rengaines pop, …). Place aux gimmicks improbables (l’énorme saturation de la guitare sur « C’est comme ça », la pachydermique basse slappée de « Andy », …), à la géniale trouvaille à deux balles. Et par-dessus tout cette technique hésitante, la voix de la Ringer. Elle « habite » tous les titres, tantôt dans les aigus hystériques, tantôt dans les basses profondes, et marque son territoire comme peu de shouteuses (noires généralement) ont réussi à le faire. Ringer sur « The No Comprendo », ça joue dans la même cour que la Joplin de « Pearl », ce qui est quand même un putain de compliment. Parenthèse. J’ai vu les Rita dans une tournée des nineties avec un backing band de Blacks funky, et Ringer chantant les Rita il y a quelques années, je peux vous assurer, brothers and sisters, que sa voix, elle est pas dopée par des effets de studio, elle a la foudre dans les cordes vocales (bon la dernière fois, à plus de soixante balais, elle n’a tenu qu’un peu moins d’une heure dans les aigus impossibles avant de « gérer » une grosse demi-heure, à coups de quasi instrumentaux, de solos des zicos, de présentation du band, … mais on en avait déjà eu pour notre fric).

Reste quasi quatre décennies plus tard, un paradoxe Rita Mitsouko. Le duo est considéré comme immensément représentatif des années 80 festives et hédonistes alors que ses titres sont souvent d’une noirceur totale. « Marcia Baila » sur le cancer qui avait emporté la chorégraphe Marcia Moretto avec laquelle avait bossé Ringer ouvrait la voie de ces joyeuses rengaines glauques. Et si l’on s’en tient aux textes de « No Comprendo », tout l’album n’est qu’une succession de lamentos parfois lugubres mis en musique. Avec une exception, la pièce rapportée et plus mauvais titre du disque, « Nuit d’ivresse », rythme festif et entraînant, bande-son du navet du même nom avec Lhermitte et Balasko. Titre de commande, foncièrement différent au niveau sonore (exceptionnellement des vrais cuivres, ça s’entend) et par son texte (sponsorisé ?), assez loin dans le délire sur le thème de l’alcoolisme que l’excellent « Commando Pernod » des non moins excellents Bérurier Noir sorti l’année précédente. Ce « Nuit d’ivresse », à part quelques considérations bassement mercantiles de la part de Virgin, distributeur des Rita, voulant surfer sur les quelques entrées du film éponyme, et qui une fois venu le succès des autres titres, s’empressera de sortir une version anglaise de « No Comprendo », avec comme objectif le mirage du marché anglo-saxon (comme avant eux les échecs dans la langue de Thatcher des Johnny, Téléphone ou Trust, sans parler des succès « achetés » de Montand ou Aznavour), ce « Nuit d’ivresse » donc, vient entacher un disque jusque là irréprochable.


L’enfilade des trois hits d’entrée nous montre que l’univers musical des Rita est plutôt polymorphe. « Les histoires d’A » c’est un funk rock lourd à guitares (Chichin, Ringer, Visconti), avec un violon lancinant au fond du mix, sur fond d’énumération de ruptures sentimentales tristes avec la Ringer qui marque vocalement son territoire. « Andy », c’est le tchac-poum disco avec une énorme base slappée, sur le racolage d’un type lambda terne et timide, assimilé au personnage de bande dessinée rosbif Andy Capp. « C’est comme ça », c’est un rock’n’roll basique et bourrin entre Who et Cochran, qui a autant marqué les esprits par son rythme trépidant que par son clip très diffusé mettant en avant l’univers kitsch et surréaliste des Rita et de Jean-Baptiste Mondino.

Les autres titres du disque, dont on ne parle pas souvent (pour être gentil) méritent pourtant le détour. Moins « faciles » peut-être, mais toujours empreints de cette noirceur désabusée due aux textes, en parfait contrepoint avec l’esthétique supposée joyeuse du duo. « Vol de nuit », c’est de la cold wave sombre (comme un prolongement de leur premier disque et une marche dans les pas des Smith les plus sombres, le Robert de Cure et le Mark E. de The Fall). « Un soir un chien », si le titre avait pas déjà été pris (par Blue Öyster Cult) aurait pu s’appeler « Dominance & submission » (voir les paroles), c’est le plus glacial de la rondelle. « Tonite » lui ressemble, malgré une tendance à loucher vers l’emphase pompière (Ringer se fait un peu trop démonstrative à mon goût au chant).


Et même si les textes ne sont pas plus enjoués, quelques décharges rock (Chichin ?) s’intercalent pour éviter toute comparaison avec Joy Division. Petits brûlots rockabilly (« Someone to love »), mid tempos guillerets (« Bad days »), ballade-comptine (« Stupid anyway ») montrant que la voix de Ringer peut aussi être extraordinaire sur des tempos lents.

Même Godard avait été impressionné par le duo (il n’y comprend rien mais est attiré par la musique des djeunes). Après les Stones enregistrant « Sympathy for the devil » dans « One + One », il avait filmé les Rita travaillant sur « No Comprendo », incluant quelques séquences dans l’oubliable « Soigne ta droite ». Pas rancunier, le duo le remercie dans les crédits du disque …

Et pour finir, respect total pour l’attitude des Rita Mitsouko qui ont su ne pas sombrer dans le music business à tout crin, rester en dehors des engagements humanitaires, caritatifs, etc … calculateurs, et éviter toute récupération (l’esquive de Ringer à la tentative de bisou de Micron Ier aurait dû en inspirer certain(e)s) …





LOU REED - NEW YORK (1989)

 

Retour aux sources ...

Conclusion : « New York » est le meilleur album de Lou Reed, et toc …

Bon, je sens qu’il va falloir argumenter, là …

Retour en arrière. Lou Reed, c’est les trois premiers disques du Velvet Underground (où il joue) et les titres du quatrième (il s’est cassé du groupe, n’a pas participé à l’enregistrement). Un premier disque solo éponyme (une des pires ventes de RCA), deux trucs majeurs ensuite (« Transformer » et « Berlin », c’est pas rien), deux disques en public provenant du même concert (« Rock’n’roll animal » et « Live »), un machin expérimental inaudible (« Metal machine music »), une litanie de disques où le bon côtoie l’anecdotique et une belle dégringolade artistique dès le premier tiers des 80’s (« Legendary hearts », « New sensations », « Mistrial » (pas gagnant), quelqu’un pour les défendre ? répondez pas tous en même temps …).


« Transformer » et « Berlin », rigoureusement indispensables sont deux disques sous influences. Le premier, sous celles du trio anglais Bowie – Ronson – Scott qui lui ont apporté une couleur glam plutôt inattendue pour un type au registre sombre et austère. Le second sous l’emprise de Bob Ezrin, producteur envahissant, façonneur d’un son en cinémascope ne rechignant pas sur les orchestrations symphoniques, « Berlin » c’est un opéra-rock glauque, dépressif … et génial. « New York », c’est Lou Reed débarrassé de tout, revenu à ses basiques, ses fondamentaux.

On trouve dans « New York » les boogies monolithiques du premier Velvet, les ballades noires et apaisées du troisième Velvet, le sens de la composition évidente et les vocaux acérés de Reed dans ses meilleurs moments en solo. Le tout servi par une mise en son et une production qui ne doivent plus rien à l’air du temps où à la surenchère orchestrale. « New York », c’est du brut, du basique, du hors du temps et des modes. Deux guitares, une basse, une batterie. Point barre. Et même si j’en sais rien, à l’oreille pas d’overdubs. Dans un son remettant à l’honneur la glorieuse stéréo des seventies, la gratte de Lou Reed est à gauche (c’est lui qui le dit dans les notes de pochette), celle de Mike Rathke à droite. Basse à six cordes (donc très basse) de Bob Wasserman, batterie (et co-production avec le Lou) de Fred Maher. Deux invités, la vieille complice Moe Tucker aux fûts sur deux titres et des backing vocaux (quasiment inaudibles) de Dion (DiMucci) sur un titre. Pas de synthés, de section de cuivres ou de cordes, de choristes ou de chorale gospel, … Du brut, du rêche, de l’austère. Du Lou Reed, quoi …


Déjà, le titre n’est pas anodin. « New York », c’est la ville de Lou Reed. Il y est né et il y a à peu près toujours vécu, n’y a pas déménagé parce que c’était cool ou à la mode (c’est pas Lennon posant en tee-shirt « I love New York », alors qu’il vivait claquemuré avec sa harpie et son fiston dans son bunker du Dakota Building dont il n’aurait pas dû sortir et surtout pas au début Décembre 80 … je sais, c’est vachard et gratuit, mais y’a des fois, peux pas m’en empêcher ...). Donc « New York » par Lou Reed, c’est un disque qui ne peut que sonner vrai. Et quand on connaît un peu le bonhomme, ses fréquentations c’est pas les beaux quartiers ou les yuppies qui se sont remplis les poches dans le trading à Wall Street (même si au détour d’un vers il allume Trump – en 1989 ! - comme quoi y’a longtemps que le type était risible et surtout dangereux pour qui avait envie de s’en rendre compte). Non, le New York de Lou Reed, il est à ras du bitume dans les rues miteuses, et la pochette du disque, si elle n’est pas un hommage aux Ramones ou au Clash (vous avez déjà vu Lou Reed faire dans l’hommage consensuel ?), nous montre un quintuple Lou Reed (merci les premières versions de Photoshop ?), posant dans une ruelle sombre et sale.

Je vais pas faire dans la psychanalyse de comptoir pour expliquer pourquoi un tel retour de flamme artistique (certains s’y sont essayés, avançant un mariage qui commence à lui peser, ou la mort d’Andy Warhol, ou que sais-je encore). J’essaye pas d’expliquer, je prends, et putain que ça fait du bien d’entendre Lou Reed à ce niveau inespéré même pour les plus optimistes de ses fans.

On the road again ?

Il y a une évidence qui coule de source dans chaque titre, et on se dit mais pourquoi des trucs aussi cons, aussi simples, personne n’avait jamais pensé à les faire. Premier titre et premier exemple « Romeo had Juliette ». Un groupe à très fort succès (Dire Straits) avait exploré le même thème et à l’écoute des deux chansons au titre (quasi) homonyme, on voit qui est le laborieux et qui est le type doué. Victoire par KO du new-yorkais … Et pourtant, c’est un rock mid tempo pépère en parlé-chanté (tout du long du disque, Reed adoptera ce phrasé cher à Gainsbourg), qui au vu de l’intro, semble joué live en studio. Et ça fonctionne, alors que le pensum du Knopfler te gave au bout de trente secondes …

Le début de « New York » semble mathématique. Une ballade, un boogie-rock. Trois fois deux titres. « Halloween parade », ballade triste, forcément triste sur le SIDA, hormis évidemment les paroles, semble issue des atmosphères musicales apaisées du 3ème Velvet. « Dirty Blvd », c’est « Walk on the wild side » revisited, mais cette fois à ras du bitume. Pas de portraits pittoresques de quelques figures de l’underground, mais juste l’histoire d’un type dans la mouise, et qui risque pas de devenir golden boy. « Endless cycle » est juste une belle ballade, mais pas un des sommets du disque. Le suivant (« There is no time ») est donc rock, et pas qu’un peu. Un des deux ou trois titres les plus rentre-dedans du disque, riffs violents et saturés. « Last great american whale » qui suit est une ballade avec la copine Moe Tucker (debout ?) à la batterie.

Et puis, parce qu’enchaîner un titre lent et un titre plus rapide, ça finirait par gonfler tout le monde et Lou Reed en premier, on bifurque avec « Beginning of a great adventure » vers un tempo jazzy. New York, c’est aussi la ville du jazz et on passe logiquement de Big Apple à Jazz sous les pommiers. Que les fans de Miles Davis et consorts ne se déplacent pas, on n’a pas besoin d’eux, on est plus dans l’hommage que dans la révolution sonore.

 On the road again !

Mine de rien, et sans s’ennuyer une seconde, on a passé la moitié de la rondelle. La seconde partie sera plus énergique que la première et va faire la part belle au boogie-blues-rock-machin, que ce soit envisagé façon pépère (« Sick of you », « Good evening Mr Waldheim » ce dernier sur un ancien nazi -  Lou Reed est juif, et come Indy Jones, il aime pas les croix gammées et ceux qui les portent – devenu fonctionnaire très haut placé à l’ONU et Président en Autriche, gros scandale de l’époque) ou beaucoup plus énergique (les guitares râpeuses de « Busload of faith » et le rockab rageur de « Hold on »). Ça déroule, mais on en prend plein les oreilles et on n’en perd pas une miette, tout çà jusqu’à une dernière ballade parlée (« XMas in February ». Reste deux titres pour boucler l’affaire. « Strawman », tous potards sur onze, grosses guitares saturées, et voix quasi hurlée de Reed. Une démarche musicale similaire avec ce que faisait le vieux hippy pour le coup très énervé Neil Young à la même époque (« Freedom », et le « Ragged glory » à venir en 1990). Et au bout de plus de cinquante minutes se pointe en conclusion le titre le plus expérimental de la rondelle (« Dime store mystery »), ambiance lente, sourde, menaçante et entrelacs de guitares dissonantes, manière de rappeler à tout le monde que s’il faut donner dans le noisy, Lou Reed sait faire, même si c’est pas « Sister Ray » ou « Metal machine music » …

« New York », c’est le genre de disque qui aurait pu paraître n’importe quand bien avant ou bien après 1989. Du classic rock intemporel comme à peu près tout le monde semble en avoir perdu la recette. A ranger à côté du second disque éponyme du Band …

Chef-d’œuvre qui ne doit rien à personne, sinon au talent retrouvé de Lou Reed. Son successeur, avec son ancien complice du Velvet John Cale pour un hommage à Andy Warhol (« Songs for Drella ») confirmera leur bonne forme …



Du même sur ce blog :

Transformer


THE WHO - WHO'S NEXT (1971)

 

Projet Lifehouse ...

S’il ne fallait garder qu’un disque des Who, pas besoin de réfléchir longtemps, c’est celui-là … Parce que c’est leur meilleur, bien loin au-dessus de tous les autres (des leurs, et aussi de pas mal de leurs concurrents). La faute aux années 60, qui privilégièrent longtemps les singles, et bien que les Who en aient sorti de fameux, comme ils ne se retrouvaient pas sur les 33 T, ceux-ci en pâtissaient … la faute à Tommy, cet opéra-rock mythique, mais boursouflé par des prétentions symphoniques et pompières (au moins une heure à jeter sur cette foutue rondelle), que le groupe s’entêtait à rejouer le plus souvent en intégralité sur scène …

La scène où pourtant ils étaient les meilleurs … mais le fulgurant « Live at Leeds », dont il existe autant de versions que de rumeurs sur ses lieux et conditions d’enregistrement a été partiellement « arrangé » en studio, et les Who ont manqué le rendez-vous avec l’Histoire à Woodstock, où se sont construites tant de légendes (« Woodstock est le pire concert que les Who ont donné de toute leur carrière » dixit Daltrey)… et tout cela, Townshend le sait et veut que son groupe frappe un grand coup. Il a un concept, un projet, une idée, celle de faire le disque de rock ultime. Qui ne serait que la partie émergée d’un iceberg où il est question de spectacle total, le groupe sur scène, une troupe de comédiens, et un film en arrière-plan centré également sur le groupe. Nom de travail du projet : Lifehouse. Qui sera a minima un double album.

Les Who à l'apéro chez Keith Moon

Dans le groupe personne moufte. Ni Daltrey, qui n’est que le chanteur des mots du Pete au grand nez, ni Entwistle, bassiste par définition taiseux, ni Keith Moon, trop occupé à bambocher pour s’occuper d’autres choses. Y’a juste un souci, enfin deux. Leur manager Kit Lambert, veut exploiter le filon « Tommy » jusqu’au trognon. Son but est d’en tirer un film, que modestement il compte réaliser. Faut juste trouver le pognon et les acteurs, pas grand-monde se bouscule, mais lui y passe tout son temps et veut que les Who s’impliquent toutes affaires cessantes dans son projet. Second problème, Townshend lui est complètement obnubilé par « Lifehouse », a la tête remplie des concepts fumeux, forcément fumeux de son précepteur-gourou indien Meher Baba, et l’estomac rempli de Rémy Martin qu’il ingurgite à doses pantagruéliques, ce qui n’aide pas à avoir les idées claires.

Contre l’avis de Kit Lambert, les Who investissent en Février 1971 un petit théâtre londonien (le Vic Theatre), où, trois soirs durant, ils vont jouer live les deux douzaines de titres de nouveau répertoire de Townshend, « Lifehouse », première approche du projet multimédia global conçu par Townshend. Lequel, détruit physiquement par la bibine, finit par sombrer psychologiquement. Lambert en profite pour reprendre la main, dresse le constat que ni « Tommy » le film, ni « Lifehouse » l’opéra-rock, n’avançant, il serait peut-être sage de revenir à quelque chose de plus simple, un disque des Who. Les meilleurs titres écrits par Townshend et déjà joués au Vic Theatre constitueront le nouveau Who. Durant le printemps 71, le groupe est envoyé au Record Plant de New York en compagnie de l’ingé-son et producteur Glyn Johns. Même si sur les crédits, il n’assure que la co-production avec les Who, Pete Townshend reconnaîtra plus tard que c’est Glyn Johns qui a fait la plus grosse partie du boulot. Et quel boulot !


S’il fallait définir comment doit sonner un groupe de rock sur disque, c’est « Who’s next » qui doit servir de référence. Une rythmique à deux têtes, la rigueur caoutchouteuse d’Entwistle vient en contrepoint du tabassage insensé de ses fûts par Moon, Townshend se multiplie aux guitares, tant électriques (Gibson Les Paul, Fender Stratocaster, Gretsch), qu’acoustiques. Car souvent perçu comme un disque violent, « Who’s next » comporte beaucoup de parties acoustiques, faisant encore plus ressortir lorsqu’ils surgissent les riffs dévastateurs. Et par-dessus tout ça, la voix de Daltrey qui n’a jamais aussi bien chanté et qui pose des parties vocales extraordinaires sur chaque titre.

La musique de « Who’s next » est en quasi-totale rupture avec ce que le groupe a enregistré jusque là. Finis les embarrassants errements opératiques de « Tommy », et au placard également tout l’attirail mod des débuts. Townshend ne se limite plus à l’Angleterre (les fringues et guitares floqués de l’Union Jack, de toutes façons sur ce segment difficile de faire plus british que les rivaux Kinks), pas plus qu’à la soul et au rhythm’n’blues américains qui avaient donné lieu sur leurs premières rondelles à quelques reprise pas toujours heureuses. Pour « Who’s next », Townshend se situe dans la lignée de ses plus grands titres (« My generation », « Substitute », « Pictures of Lily », « The kids are alright », « Happy Jack », …).

Février 71 : The Who live at Young Vic

Townshend a un vice caché. Il est estomaqué par les performances de Terry Riley, un des maîtres de la musique sérielle (ou répétitive selon l’angle selon laquelle on l’envisage). Il a tartiné à un doigt sur un synthé (l’ARP) une « pièce » de 9 minutes. Une partie de ce titre sera l’intro du disque sur le premier morceau « Baba O’Riley », référence transparente à ses deux « maîtres » Meher Baba et Terry Riley. Première minute plus qu’audacieuse pour les Who et pour l’époque, mais quand la batterie de Moon surgit suivie par une partie chantée fabuleuse de Daltrey, le tout servi par un son colossal, on sent que pendant presque trois quart d’heure il va se passer un truc … « Bargain » suit. Les Who ont enregistré 9 versions finalisées de ce titre. C’est la prise la plus électrique qui est retenue. Les gros riffs de Townshend sont joués sur une Gretsch, cadeau de Joe Walsh (du groupe proto hard James Gang, et futur Eagles). Démarche inverse pour « Love ain’t for keepin’ », où les grosses guitares hardos de la maquette sont remplacées par des parties acoustiques (comme du Led Zep celtique et lyrique, période « III »). Quatrième titre et « intermède » signé Entwistle « My wife », où le massif bassiste se taille la part du lion (piano, basse, trompette et chant). Un titre à des années-lumière du reste de l’album qui bizarrement s’y intègre parfaitement, respiration légère après un une première triplette tonitruante. La première face du vinyle original s’achève avec « The song is over », à mon sens le titre le plus ambitieux jamais écrit par Townshend (on oublie les bouses symphoniques de « Tommy »). Le groupe est renforcé par Nicky Hopkins au piano. Avec sa dizaine de « sections » tout au long de ses six minutes, c’est un titre injouable sur scène (les Who ne s’y sont jamais essayé), et c’est par sa construction le plus grand titre de prog jamais gravé, un monument dans la lignée du « 21st Century Schizoid Man » de King Crimson (ou du « Pet sounds » des Beach Boys).

Projet de pochette pour Who's Next

En retournant la galette, on débute par « Getting in tune » (avec toujours Hopkins au piano) qu’on pourrait prendre pour une gentille ballade quelconque avant que Moon défonce ses fûts et change radicalement l’optique du titre. « Going mobile » est le plus mauvais titre du disque (bon, il en faut un), il est juste excellent, avec ses airs de rave-up brouillonne. Et comme un grand disque doit tenir la route d’un bout à l’autre, les Who vont faire encore mieux. Deux de leurs quatre ou cinq meilleurs titres jamais gravés concluent « Who’s next ». « Behind blue eyes » est une balade ultime, commencée acoustique puis transfigurée par les riffs dévastateurs de Townshend. Au départ, ce titre devait être le premier single extrait. Ce single précurseur du disque sera finalement une version raccourcie de « Won’t get fooled again ». Single qui n’arrive pas à la cheville de la monstrueuse version de huit minutes et demie qui clôt « Who’s next ». « Won’t get fooled again » pour moi c’est peut-être bien le plus grand morceau de rock ever. Ecrit comme le contrepoint du mythique « My generation », c’est le dernier clou sur le cercueil des années soixante, on voulait tout changer, on s’est fait entuber, mais gaffe, vous nous baiserez plus. Une autre partie du titre sériel à l’ARP l’introduit, genre réplique-miroir de « Baba O’ Riley », avant que Moon et Townshend du haut de son meilleur riff viennent installer une puissance de feu croissante et inexorable pendant plus de six minutes. Quand les notes d’ARP reviennent, ne pas entretenir l’espoir qu’on se dirige vers un final pianissimo. La batterie herculéenne de Moon, le riff suramplifié de Townshend et un chant littéralement hurlé de Daltrey explosent à nouveau les haut-parleurs. Remarque toute perso, tant par sa durée que sa construction (même si le propos n’est pas le même), « Paradise City » des Guns N’Roses est le titre qui se rapproche le plus de « Won’t get fooled again ». Pas un hasard si ce titre est aussi de très loin le meilleur de la bande de à Axl Rose et Slash.

« Who’s next », évidemment il fallait l’avoir en vinyle. Enfin, pour ceux qui avaient la chance d’être ados dans les seventies, et donc le malheur d’avoir les cheveux blancs aujourd’hui (pour ceux à qui il en reste, des cheveux). Evidemment, outre les multiples rééditions en format d’origine (la mienne est un vinyle honteux de 78, pressage en 80 grammes), l’ère Cd a aussi pondu ses litanies de versions de « Who’s next » (bizarrement à ma connaissance, pas de « reconstitution officielle » intégrale du projet « Lifehouse », il vaut peut-être mieux, voir le cas d’école « Smile » suite mythique du « Pet sounds » de Beach Boys, qui quarante ans après sa parution initiale avortée, n’a pas bouleversé grand-monde). Une des meilleures rééditions Cd (gros son, bonus, livret instructif que j’ai pillé sans vergogne pour rédiger cette notule) est celle de 1995. Sept titres supplémentaires (du live au Vic Theatre, les premières versions de titres qu’on retrouvera sur des compilations et que les Who ont joué en public dans les seventies, des maquettes de travail) ont le mérite de prouver que le projet « Lifehouse » a bien fait d’être abandonné, un double ou un triple album à la place de « Who’s next » n’aurait pas eu le même impact …

Ethan Russell & The Who

Un mot sur la pochette. Initialement, ce devait être une photo de Keith Moon, pas à une pochade douteuse près, en travesti SM. Cette photo existe, elle a servi de support à des pubs dans la presse annonçant la sortie du disque. La photo retenue est quasiment accidentelle, et relève aussi d’un projet abandonné. Celui d’un pont devant supporter un axe routier, seules quelques bases de pilier avaient été érigées en pleine nature du côté de Durham (nord-est de l’Angleterre). Repéré lors d’un retour de concert, le groupe y est revenu avec le photographe Ethan Russell (l’auteur des quatre portraits de la pochette de « Let it be »). Beaucoup d’interprétations de cette photo ont circulé. Il semblerait in fine que personne n’ait uriné sur cette sorte de monolithe (juste de l’eau versée « artistiquement ») et que l’allusion à Kubrick et à « 2001, Odyssée de l’Espace » soit purement fortuite. L’idée de base était de retranscrire l’étrangeté de ce bloc de béton au milieu d’une cambrousse désertique … les idées venues lors de la séance de shooting ont fait le reste …

« Who’s next » sera le plus haut fait d’armes des Who. Et surtout leur dernier, les années 70 auraient pu leur appartenir, elles ne seront que le témoin de leur inexorable dégringolade artistique. Si « Who’s next » n’est pas a minima dans votre Top Ten, on risque de pas être d’accord …


Des mêmes sur ce blog :

Sings My Generation

A Quick One 





LOU REED - TRANSFORMER (1972)

 

Englishmen in New York

Cela va sans dire, mais ça va pas plus mal en le disant. Le Velvet Underground, groupe crucial s’il en fut, c’est Lou Reed et les autres. Que ces autres s’appellent Andy Warhol, John Cale, Sterling Morrison, Nico, Moe Tucker, Doug Yule ou qui on voudra, ce n’est pas leur faire injure que d’affirmer que c’est Lou Reed qui a fait le plus gros du boulot, et que tous ces titres, devenus mythiques du Velvet, c’est lui qui les a écrits.

Reed & Bowie 1972

Lou Reed a eu beau démontrer qu’il avait du talent – beaucoup – il a aussi prouvé que c’était un mec pas très sympa, voire un sale con. Après son départ du Velvet (trois disques et les compos du quatrième), il a volé de ses propres ailes, signé en solo par RCA. Un premier disque éponyme sera une des pires ventes de la vénérable firme. Faut dire que le Velvet vendait très peu, quelle que soit son influence sur ses contemporains (« le premier Velvet s’est vendu à mille exemplaires, mais tous les types qui l’ont acheté ont monté leur groupe » dixit plus tard Brian Eno), Lou Reed n’était qu’un musicien pour musiciens, selon la formule consacrée.

Parmi ses fans, l’Anglais David Jones, rebaptisé Bowie. Qui dans l’été 72, triomphe (après des années de vaches soit maigres soit faméliques), avec son double extra-terrestre Ziggy Stardust, et porte au sommet des charts le concept musical de glam rock. Et maintenant qu’il a les moyens, il se propose pour donner un coup de main à tous les gens dont il est fan. Premier servi, Ian Hunter et son groupe Mott the Hoople à qui Bowie offre ce qui sera leur seul grand hit, « All the young dudes ». Par l’intermédiaire de sa maison de disques (RCA, ça tombe bien), Bowie propose de travailler avec Lou Reed sur son prochain disque. Va savoir pourquoi, le misanthrope Lou accepte (enfin, il a dû y avoir des pressions « amicales » du management et de RCA), et Bowie s’envole pour New York avec le titre de producteur de « Transformer », le prochain Lou Reed, non sans avoir glissé dans ses bagages son guitariste Mick Ronson (crédité comme coproducteur), et Ken Scott (assistant de George Martin période Beatles, producteur de « Ziggy Stardust », il sera seulement crédité du mixage de « Transformer », mais nul doute qu’il s’est beaucoup plus impliqué que ce que disent les crédits de pochette).


Il y a du boulot. A même pas trente ans, Lou Reed est déjà un has been. Il a certes des chansons en réserve, mais voir des rosbifs débarquer et s’occuper de sa « carrière », ça le fait pas sauter de joie. On imagine l’ambiance en studio et les séances houleuses. D’ailleurs, une fois le succès de « Transformer » certifié, il ne se privera pas pour épancher son fiel sur Bowie et son équipe. La routine …

Il est peut-être sorti pour le cinquantenaire du disque une version en quinze CDs et huit Blu-ray sur les sessions de « Transformer » (quand il s’agit de vendre pour la énième fois aux fans une rondelle mythique, tous les prétextes et arguments foireux sont bons) mais il suffit de la version Cd de 2002 avec juste deux « inédits » (les démos acoustiques de « Hangin’ ‘round » et « Perfect day ») pour voir qu’on était très loin du résultat final. Incontestablement, Bowie, Ronson et Scott ont énormément apporté.

Certains titres sont stricto sensu du glam-rock (« Hangin’ ‘round », calqué sur la reprise du « Round & round » de Papy Chuck Berry par Bowie, « Make up » traité comme les ballades du même Bowie, « Satellite of love » et son crescendo à la « Rock’n’roll suicide », « I’m so free » glam-rock ou plutôt rock-glam avec la guitare de Ronson très en avant). D’autres par contre sont du pur Lou Reed, le boogie monolithique de « Vicious », « Perfect day », réminiscent des balades du 3ème Velvet, la courte rigolade (enfin, rigolade et Lou Reed, vous imaginez le tableau, c’est juste souriant) « New York telephone conversation », et Goodnight ladies », voyage au bout de la nuit newyorkaise, comme une version interlope du « Il est cinq heures Paris s’éveille » de Dutronc. Ce dernier titre comme une sorte de contrepoint à « Walk on the wild side ».

Ah, « Walk … », le genre de titres comme on en écrit pas quatre dans sa vie (quand on s’appelle Lou Reed, pour quasiment tous les autres, ça relève du rêve …). Portraits croquignolets de tous les oiseaux de nuit qui hantent les rues mal famées de New York, les transsexuels (Holly et Candy Darling), les prostitués défoncés (Joe) ou les défoncées tout court (Jackie), une ligne de basse unique de Herbie Flowers (que Bowie recrutera lors de sa carrière américaine de 75-76), les mythiques vers « but she never lost her head, even when she was givin’ head », le tout pour un des plus improbables titres à avoir jamais atteint le haut des charts.


Ronson est très présent (plus même que chez Bowie), lui et le Ziggy font les chœurs, et le grand bonhomme du disque est la révélation Herbie Flowers qui magnifie « Walk … » certes, qui dirige « Andy’s chest » (hommage du bout des lèvres à Warhol), et joue de l’improbable tuba sur « Make up ».

« Transformer » est un disque quasiment parfait (un seul titre faible, « Wagon wheel »), avec sa pochette devenue iconique tant son recto (la photo « ratée » de Mick Rock, égarée parmi toutes celles qu’il présentait pour la pochette, c’est évidemment celle que le Lou a choisie) que son verso du photographe Karl Stocker (la mannequin anglaise Gala Mitchel et le pote de Reed Ernie Thormahlen avec sa banane dans le jean).

« Transformer » boosté par « Walk … », lancera la carrière internationale de Lou Reed, fera reconnaître tardivement le Velvet (le concert français de « reformation » avec Nico et John Cale l’année suivante). En 73 paraîtra l’autre grand classique de Reed, « Berlin », beaucoup plus sombre et glauque qui assiéra définitivement son statut de figure tutélaire du rock. Dès lors à l’abri du besoin, Reed pourra laisser libre cours à sa mauvaise humeur (pour être gentil) légendaire, faire paraître une litanie de disques où le très bon côtoie le sans intérêt, avant un ultime chef d’œuvre (« New York ») à la fin des 80’s …



Du même sur ce blog : 


THE CURE - PORNOGRAPHY (1982)

 

Au fond du trou ...

« Pornography », on l’a souvent décrit comme le dernier et l’aboutissement de la trilogie « glaciale », « cold » - appelez ça comme vous voulez de Cure, après « Seventeen seconds » et « Faith ». Ce qui fait sens, d’autant plus que les trois disques se sont succédé dans la discographie de la bande à Robert Smith. Sauf que ledit Bob Smith, qui est quand même aux manettes du groupe, voire Cure à lui tout seul, et qui prend souvent un malin plaisir à contredire tout le monde, considère « Pornography » comme le premier volet d’une trilogie se poursuivant avec « Disintegration » (1989) et se concluant avec « Wild mood swings » (1996). D’ailleurs il ira jusqu’à donner une série de concerts où il enchaînera en respectant leur tracklisting ces trois disques … ce qui bien entendu ne prouve rien … Si vous voulez mon avis (et même si vous le voulez pas je vous le donne), Cure a produit quatre disques « sombres », « Seventeen seconds », « Faith », « Pornography » et « Disintegration ». Ce dernier est le meilleur, insurpassable, avec pas loin derrière « Pornography ». Et « Wild mood machin » me susurre t-on ? Oubliez-le, il est pas terrible du tout …

Smith, Gallup & Tolhurst : The Cure 1982

En tout cas, en ce début des années 80, Cure n’est pas un groupe qui compte vraiment. Il a certes des fans, vend correctement du disque, mais rares sont ceux qui miseraient sur lui pour une « grosse » carrière. D’autant que Robert Smith, leader maximo, est un jeune type instable. Qui préfère faire des piges comme guitariste chez Siouxsie and the Banshees que s’occuper de Cure. De toutes façons, le garçon est un tristos voire pire, anxieux, angoissé, en proie au doute en permanence, et chez lui, c’est pas une façade pour faire gothique. Il ne se désinhibe qu’en picolant sévère et en se défonçant aussi sévèrement. D’ailleurs, les rumeurs prétendent (ne pas se fier à ce que dit Robert Smith, spécialiste des bobards face à la presse musicale) qu’il a hésité entre mettre en chantier « Pornography » ou se suicider. Ceux qui voient en filigrane apparaître la figure de Kurt Cobain n’ont pas tort. Sauf que l’un a supporté le succès beaucoup mieux que l’autre …


Décision est donc prise de se saouler et de se défoncer copieusement et de voir ce que ça peut donner musicalement. Smith réunit un Cure en formation réduite, lui, Simon Gallup à la basse et Lol Tolhurst à la batterie, ce que les fans du groupe considèrent comme la formation « royale » de Cure. Evidemment, parce que ce n’est plus à la mode et que Smith déteste le classic rock, rien à voir avec un power trio. Les trois (à tour de rôle ou ensemble) rajoutent des couches et des couches de synthés, triturent tous les sons, et ne cherchent pas à faire étalage d’une quelconque technique virtuose (que de toutes façons ils ne possèdent pas).

Bon, des disques sous substances, c’est pas ça qui manque. Ça peut donner de grandes et belles choses, et même dans ce cas, partir un peu dans tous les sens (cas d’école : « There’s a riot coming on » de Sly & the Family Stone », ou « Station to station » de Bowie). Ce qui frappe avec « Pornography » c’est son unité. Ce disque est tout d’un bloc, d’une homogénéité redoutable.

Les titres (il est difficile de parler de chansons) sont tous construits de la même façon. Un schéma rythmique (basse et batterie mates) immuable (pas d’intro, de couplets, de refrains, de ponts, de solos), des nappes lourdes de synthés en surlignage, des guitares distordues dénuées de tout aspect mélodique. Et par-dessus tout ça, Robert Smith qui hurle de façon monocorde dans les aigus. Le résultat est un son oppressant, sans le moindre répit. Déstabilisant et diversement accueilli à sa sortie, le disque deviendra une référence incontournable du rock dit gothique, surclassant ses inspirations (si l’on en croit Robert Smith, Siouxsie of course, et les martiaux Psychedelic Furs). Aujourd’hui cette descente aux enfers sonores est devenue un des incontournables de Cure et des années 80.


« Pornography » définit une fois pour toutes le vocabulaire de Smith. Les mots, rattachés à la souffrance, à l’obscurité, au mal-être, et autres états d’esprit pas vraiment joyeux reviennent comme des mantras au long des paroles (die-death, dark, night, pain, fall, blood, rain, sick, madness, …)

Musicalement, s’il faut en extraire quelques-uns de ce pavé, on citera l’introductif « One hundred years » qui donne la couleur de l’ensemble, le seul single extrait du disque « The hanging garden », sorte de surf music jouée par des trépanés pour des trépanés, annonciateur du Cure à (gros) succès à venir, « A strange day » qui malgré (à cause ?) une intro lourde et planante offre un peu de répit, avant que le morceau-titre vienne finir d’enfoncer les clous dans le cercueil, avec ses dialogues de vieux films surimposés, et une voix de Smith qui n’est plus que cris ou borborygmes étouffés, avant un final noyé dans l’écho, genre vortex qui engloutit tout …

Dépressifs s’abstenir … Un des deux meilleurs Cure, toutes époques confondues, et un disque à ranger à côté de « La joie de vivre » de Zola …


Des mêmes sur ce blog :



THE MAMAS AND THE PAPAS - IF YOU CAN BELIEVE YOUR EYES AND EARS (1966)

 

Quand tous les rêves étaient permis ...

Les Mamas & Papas ont été précurseurs et chefs de file de ce sous-genre de la pop qu’on a appelé sunshine pop. (Epi)phénomène qui a eu son quart d’heure de gloire dans l’Amérique de la fin des 60’s, quand quelques petits malins (surtout producteurs) ont mélangé les aspects « positifs » du psychédélisme (« everybody needs somebody », ce genre de philosophie) avec la pop la plus « facile » (celle qui cartonnait dans les charts, genre Beach Boys ou Beatles). Les groupes sur lesquels tout le monde est à peu près d’accord pour les ranger sous l’étiquette « sunshine pop » s’épèlent 5th Dimension, Left Banke, Sagittarius, Turtles, Rascals, Grass Roots, Monkees, … Et les Mamas & Papas (même si c’est un peu plus compliqué, on va en causer), ne serait-ce que parce qu’ils ont écrit et chanté l’hymne définitif de la sunshine pop, « California dreamin’ ».

John & Michelle Phillips, Mama Cass Elliot & Denny Doherty

Bon, « California dreamin’ », en 2’30, c’est la plus belle et plus emblématique chanson des années 60. Et donc forcément suivantes, parce qu’on a perdu depuis la recette (dénigrés les auteurs-compositeurs parce qu’il fallait en plus être interprète, on s’est compliqué la vie avec des machins amphigouriques, on a déstructuré, on s’est focalisé sur le son et les arrangements, sans compter tous ceux qui ont pris le melon et se croyaient les Bach de la musique pour jeunes …). Enfin on a voulu faire compliqué quand par hasard on était capable de faire simple, une intro, des couplets, des refrains, un pont, et basta … « California dreamin’ » est écrite par John Phillips alors qu’il se gelait à New York et qu’il se disait que s’il arrivait à faire son trou dans le music business (il composait, chantait correctement, et gratouillait une guitare) il irait s’installer à Los Angeles. Tout ça tient en un couplet, le second fait une référence assez énigmatique à la religion. Le premier couplet est chanté par John Phillips, le second par Denny Doherty, Mama Cass Elliot et Michelle Phillips assurant les chœurs. Et au milieu du titre, une pointure du jazz, Bud Shank, vient signer le solo de flûte le plus célèbre de la pop. Ici, le lecteur fidèle se dit wtf, on y comprend rien, mais qui sont ces gens-là, pas de souci, lecteur fidèle, je te raconte tout le truc …

Au départ, le couple dans la vie John et Michelle Phillips. Lui, j’en ai causé au-dessus, rien à rajouter sinon que c’est une grande asperge ayant souvent la risible idée de se coiffer d’une toque en fourrure. Elle, c’est une des deux plus belles blondes des sixties (l’autre étant la cycliste Nico), tout juste bonne à filer un coup de main à son John pour composer un titre (elle est co-créditée pour « California dreamin’ » c’est son banquier qui est content) et assurer des chœurs feignasses (l’essentiel du boulot est fait par Mama Cass). Mais son principal intérêt ne réside pas vraiment dans ses dons musicaux, voir la vidéo plus bas lors d’un passage du groupe (en furieux play-back au Ed Sullivan show) difficile de la quitter des yeux alors que raide déf, elle oublie totalement le titre pour grignoter une banane, déplacer une phallique borne d’incendie factice, jouer avec un ballon aussi large que Mama Cass, mais qu’elle réussit à manquer quand elle veut lui donner un coup de pied. Grand moment de télévision psychédélique …


Donc le couple Phillips bricole dans le music business et accepte n’importe quelle session de studio comme choristes, et sait-on jamais, refiler à qui en voudrait bien une composition de John. Au gré de sessions, ils rencontrent un Canadien, Denny Doherty. Ce dernier appelle à la rescousse une de ses connaissances Cass Elliot, au fort tonnage et à triple menton, mais à la voix d’or. Les quatre décident de jouer ou plutôt chanter ensemble, et partent se mettre « au vert » dans les Îles Vierges américaines, d’où le gouverneur les expulsera (« pas de hippies chez moi »). Après avoir fait les chœurs d’un album oublié du non moins oublié Barry McGuirre, John (et Michelle) proposent au producteur Lou Adler la maquette de « California dreamin’ » qui tergiverse avant de signer les quatre pas vraiment fab. Comme ce couillon de John a refilé son titre à Barry McGuirre, celui-ci veut aussi l’enregistrer. Les deux versions sortiront à quelques jours d’intervalle et ce sont les tout nouveaux Mamas & Papas qui tirent les marrons du feu.

Evidemment, le malin Adler ne laisse pas retomber le soufflé et envoie sa bande des quatre en studio pour un trente-trois tours et somme John Phillips d’écrire d’autre hits. Ce sera chose faite avec « Monday Monday », et dans une bien moindre mesure « Go where you wanna go ». Une équipe de fines lames de studios est recrutée sous le commandement du batteur Hal Blaine, homme de base du Wrecking Crew, l’orchestre de Phil Spector, qui en quatre décennies de carrière aurait soi-disant battu la mesure sur plus de trente mille titres (!). Equipe réduite (pas la peine de faire du boucan, y’en a quatre au chant), avec P.F. Sloan (guitariste mais aussi compositeur, il amènera un titre), Larry Knatchel (piano) et Joe Osborn (basse). Le résultat sera ce « If you can believe your eyes and ears », dont au passage la pochette originale sera censurée. Pas à cause des quatre dans la même baignoire, mais à cause de chiottes en bas à droite, qui seront recouvertes d’une espèce de parchemin genre sticker annonçant les titres forts de la galette à mesure que ces titres grimpaient dans les charts. Par contre la mauvaise orthographe ("Mama's et Papa's") a perduré tout au long des rééditions.

Cachez cette cuvette que je ne saurai voir ...

A l’écoute des douze titres, on se rend compte qu’artistiquement, le maillon faible du quatuor est Michelle Phillips (de toute façon, elle a même pas besoin de chanter pour capter tous les regards). Son John de mari est un peu meilleur, mais moins bon chanteur que Denny Doherty, capable d’aller chercher des registres soul. Moins cependant que Mama Cass qui chante lead sur deux titres qu’elle sauve de la noyade (« Somebody groovy » et « In crowd ») et tire vers le haut « Hey girl » et son joli pont de basse.

Outre « California dreamin’ », l’autre gros succès du disque sera « Monday Monday », mélodie first class, harmonies vocales exceptionnelles, arrangements et pont mirifiques. Et pour assurer le coup, on va glisser quelques reprises. Et du lourd. « I call your name » est signée Lennon-McCartney. C’est un titre pré-Beatles de Lennon, qu’on ne trouve pas sur les albums officiels anglais, mais sur les américains et sur les compiles « Past masters ». Sous la houlette de Mama Cass, chanteuse principale sur le titre, ce morceau assez anecdotique dans sa version originale voyage du côté de la musique caraïbe et du jazz New Orleans. Au moins au niveau de l’original … « Do you wanna dance » du one-hit wonder Bobby Freeman est à la base un rhythm’n’blues sur un tempo rapide. Très souvent reprise (des Beach Boys aux Ramones en passant par Cliff Richard et Bette Midler), elle l’est quasiment toujours sur un tempo vif et entraînant. Les Mamas & Papas en donnent une version lente, genre fin de party désabusée. La meilleure version que je connais de ce classique. La troisième reprise, « Spanish Harlem » est aussi dans le trio des meilleurs titres de « If you can … » et pourtant, là aussi, c’est un classique moultes fois entendu. Dans sa version originale par Ben E. King, puis plus tard par Aretha Franklin, pas vraiment des premiers venus derrière un micro. Grâce à des arrangements de génie, là aussi, la meilleure version est celle des Mamas & Papas.

Après les sommets, la noyade ...

Qui ne se cantonnent pas à un registre qu’on pourrait qualifier de lounge si le terme avait existé à l’époque, témoin « Straight shooter » autre compo de John Phillips, sur un tempo nettement plus rock, en gros le meilleur titre que les Byrds imitant les Beatles avaient oublié de sortir. Malgré tout, il y a quand même une baisse de qualité vers le dernier tiers du disque, les morceaux sont moins marquants.

Le succès ouvrait grand les bras aux Mamas & Papas (prestation remarquée au Monterey Pop Festival l’année suivante). C’était sans compter sur le couple Phillips. Le John va se révéler incapable de composer de nouveaux grands titres. Enfin, presque. C’est le manager-producteur Lou Adler qui refusera que les Mamas & Papas enregistrent un de ses titres, préférant le refiler à un inconnu dont il voudrait lancer la carrière. L’inconnu, c’est Scott McKenzie, et le titre, évidemment, « San Francisco », hit galactique de 1967. Les Mamas & Papas, auront beau en sortir une belle version, c’est trop tard. Et l’inspiration de John Phillips va se tarir aussi soudainement qu’elle s’était révélée. Faut dire aussi que sa belle épouse va lui en faire voir de toutes les couleurs. Une première liaison avec Gene Clark (ex Byrds) va jeter un gros coup de froid pendant l’enregistrement du second album du groupe. Mise en bouche, osera-t-on. La suite va affoler les tabloïds. Elle quitte momentanément John pour Denny Doherty, ce qui entraînera de fait le split des Mamas & Papas, même si le groupe durera officiellement jusqu’en 1971. On retrouvera la belle Michelle mariée à la fin des sixties avec un autre cramé notoire, Dennis Hopper. Le mariage durera huit jours (un record qui ne sera égalé que par Axl Rose avec la fille d’un des Everly Brothers), avant que l’ex-Madame Hopper ne soit vue un temps au bras de Jack Nicholson … quand je vous disais que c’est le genre de blonde qui ne passe pas inaperçue …

« If you can believe … » est un polaroïd d’une époque, entre pop et psychédélisme. Totalement anecdotique pour une large majorité. Certes, mais rigoureusement indispensable tout de même …


KATE BUSH - HOUNDS OF LOVE (1985)

 

Le Mépris ...

« Tu les trouves jolis, mes hits ? », « Et mes ambiances celtiques ? », « Et mes titres expérimentaux, tu les trouves jolis ? » …

Oui, Kate, je les trouve jolis …

Mais comme le chef-d’œuvre de Godard, le chef-d’œuvre de Kate Bush n’est pas un truc facile. Ça peut rebuter … Parce que « Hounds of love » est un disque déstabilisant, une Œuvre, sans le côté prétentieux qu’on attribue généralement au mot.


Kate Bush est une artiste atypique. Rattachée quasi accidentellement au rock-pop-machin. Elle vient de la musique et de la danse classiques, comme toute bonne fille de famille bourgeoise anglaise qui se respecte dans les années 70. Premier choc, elle aurait (conditionnel, mais imprimons la légende) fait partie (à 15 ans) des quelques centaines de privilégiés qui assistent à la « mort » de Ziggy Stardust le 3 Juillet 1973 au Hammersmith Odeon. Quelques semaines plus tard chez ses parents, elle joue en s’accompagnant au piano des chansons qu’elle a composées, devant l’ami d’un ami de la famille. Qui s’appelle David Gilmour et promet que quand Pink Floyd lui laissera un peu de temps libre, il amènera la gamine en studio. Il faudra attendre trois ans pour les premières séances, et deux de plus pour la sortie du premier single « Wuthering Heights ». Number one dans les charts anglais, une première pour une femme auteur-compositeur-interprète. Le fait que tous les collégiens anglais aient lu « Les hauts de Hurlevent » aidera au succès du titre. Mais la mélodie difficile au piano et les trois octaves (comme Joan Baez ou Laura Nyro, liste à peu près close) tout en haut des aigus de Kate Bush n’y sont pas pour rien. Et pendant deux ans, Kate Bush va voir sa popularité croître. Elle sort des disques, assure la promo. Et donne des concerts. Au sujet desquels le mot féérique est celui qui revient le plus souvent (les fringues à base de voiles vaporeux, la chorégraphie venue de ses années de danse classique, les fumigènes, les ambiances lumineuses en clair-obscur). Dès le départ, Kate Bush contrôle tout, et forcément, les frictions avec le music busines (EMI en l’occurrence) pointeront vite le bout de leur sale museau. En 80, basta, Kate Bush fait savoir qu’on ne lui imposera rien, qu’elle fera des disques quand elle en aura envie et qu’elle ne se produira plus sur scène (elle tiendra parole plus de trente ans). Un autre gros hit (« Babooshka ») la met définitivement à l’abri du besoin. Afin d’être totalement autonome, elle se fait construire son propre studio, et hormis son bassiste-compagnon Del Palmer, n’a plus de « groupe » attitré, elle emploie des musiciens au gré des besoins de ses titres. C’est elle qui produira ses disques, remixant ou réenregistrant complètement (comme Manset) des titres lors de rééditions ou sorties de compilations … Le fameux « Complete Control » que n’a jamais eu le Clash, c’est cette petite bonne femme qui l’obtiendra …


Revers de la médaille, vers le milieu des 80’s, Kate Bush décline commercialement, l’Angleterre faisant une fixation sur les « nouveautés », encensées un jour, portées au gémonies le lendemain. Lorsque qu’elle s’attaque fin 83 à « Hounds of love », son cinquième album, Kate Bush ne peut plus tenir sur ses acquis. Elle doit convaincre. Et évidemment, elle va s’y prendre d’une façon assez singulière. « Hounds of love » est à peu près ce qu’on a l’habitude de qualifier de suicide commercial. Un concept-album pour faire simple. Comme tous ceux qui font de la musique « sérieuse », c’est-à-dire prétentieuse et insupportable. Sauf qu’avec Kate Bush ça ne se passe comme avec tous les vulgaires maltraiteurs de gamme œuvrant dans le prog, genre auquel on l’a quelquefois paresseusement rattachée. « Hounds of love » est un disque « à l’ancienne » et novateur en même temps. A l’heure où il n’est plus question que de raisonner en termes de Cd, « Hounds of love » est conçu comme un trente-trois tours. En gros, une face chanson (« Hounds of love ») et une face expérimentale (« The ninth wave »).

La face « chansons » générera quatre singles (pour cinq titres). Plus connu, le titre d’ouverture, "Running up that hill". Polyrythmies ondulantes, mélodie complexe, évolutive, mais instantanément mémorisable, voix comme d’hab très haut perchée, "Running up that hill" finira en troisième position des hits anglais. Un titre immortel, ne serait-ce que parce qu’il a eu plusieurs vies. Kate Bush le remixera en 2012 à l’occasion des J.O. de Londres. Sixième dans les charts. Et puis l’improbable total se produira. En 2022, Kate Bush est contactée par les producteurs d’une série télévisée Netflix, « Stranger things », qui veulent utiliser le titre comme générique de leur prochaine saison. Discussions, accord. Et là, en quelques semaines, le titre devient viral sur les réseaux sociaux pour « jeunes ». Records de streaming sur Spotify, heavy rotations sur les radios, et titre qui trente sept ans après sa sortie devient numéro un dans plusieurs pays dans sa version originale, du jamais envisagé, même pas en rêve par qui que ce soit … "Running up that hill" est forcément le titre classique de Kate Bush. Mais pour moi il y a encore mieux sur ce disque. C’est « Cloudbusting », chanson au thème pour le moins étrange, morceau en hommage à un inventeur malade (Peter Reich) du cloudbuster, machine censée faire pleuvoir en utilisant des particules orgasmiques présentes dans l’atmosphère. Un titre qui suit une progression d’accords inexorable, et il me semble bien assez similaire au « Boléro » de Ravel. Pour moi de loin la masterpiece de toute la carrière de Kate Bush, avec un clip « expended » scénarisé par Terry Gillian, avec Donald Sutherland dans le rôle du maboule professeur et Kate Bush dans celui de son fils. Apparemment un titre trop bon pour les charts de l’époque, où il ne fit qu’une carrière modeste.


Sont également sortis en singles le morceau-titre « Hounds of love » (grosse batterie hyper compressée, musique linéaire, tout repose sur la voix de Bush) et « The big sky », ballade emphatique, lyrique avec des schémas complexes, qui évoque fortement le son de « So » le disque de Peter Gabriel qui sortira l’année suivante (normal, les deux s’appréciaient, échangeaient beaucoup, et Kate Bush participera à plusieurs morceaux du Gab, qu’elle ne sauvera pas toujours de la médiocrité, voir ou plus tôt écouter « Don’t give up »). Dernier titre de la face « Hounds of love », la belle ballade « Mother stands for comfort » qui ne dépare en rien le niveau très élevé de cette première partie du disque.

La suite (car la plupart des titres sont enchaînés) « The ninth wave » réussit à agglomérer tout et son contraire, des épures au piano à de l’expérimental total. Surprenante au premier abord, cette « suite » se mérite. Du piano-voix inaugural (« And dream of sheep »), à la légèreté finale de « The morning fog » (on boucle la boucle, c’est très proche du son, de l’ambiance et des rythmes de la première face). En utilisant des bandes accélérées et/ou passées à l’envers, des dialogues de films, des brisures de rythmes (« Waking the witch » en est le meilleur exemple, avec en plus un sample des hélicos qu’on entend sur « The Wall » du Floyd). Autant le vague concept de la première partie a du sens avec ses ambiances ou paroles mystiques ou ésotériques (elle devait s’appeler au départ « A deal with God », l’expression n’a été conservée que comme sous-titre de la chanson « Running up that hill »), autant j’ai jamais compris cette histoire de neuvième vague tant elle rassemble des titres hétéroclites. Alors c’est expérimental (dans la mesure où c’est pas des choses qu’on entend généralement dans un disque « grand public », et surtout pas le temps d’une face vinyle entière), mais c’est facilement abordable, très écoutable (sinon, Kate Bush ou pas, j’aurais dit que c’était de la daube). Deux titres sont plus « faciles » de prime abord, le très celtique « Jig of life » (enjoué, entraînant, qui ne déparerait pas le répertoire des Chieftains et rendrait tous nos bardes chevelus bretons plus supportables), et la pièce majeure de cette face « Hello Earth ». Ce bonjour à la Terre est le morceau le plus long du disque (plus de six minutes, commencé comme une ballade, le chant grégorien d’une chorale en partie centrale, des voix murmurées et des synthés pour finir).


Lors de sa sortie, « Hounds of love » renforcera si besoin était la crédibilité et l’originalité artistique de Kate Bush. Malgré ses quatre singles, ce sera une bonne vente sans plus. Très certainement en dessous des objectifs d’EMI, qui n’attendra que quelques mois pour sortir une compilation (« The whole story », un seul inédit, pas extraordinaire), mettant un terme à la première partie de l’œuvre de Kate Bush. Qui dès lors, se fera beaucoup plus rare discographiquement (quatre albums en vingt deux ans). Bizarrement, alors que dans le « métier » on fait tout pour faire parler de soi et perdurer pour rester en haut de l’affiche, plus Kate Bush se fera discrète, plus elle sera citée comme référence (et pas seulement dans le milieu musical) …

« Hounds of love », c’est classique et novateur en même temps … comme les meilleurs Godard …



De la même sur ce blog : 

The Kick Inside