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THE FLYING BURRITO BROTHERS - THE GILDED PALACE OF SIN (1968)

 

Stratosphérique ...

Bon, faut essayer de pas être trop bordélique. Et commencer par le commencement. Au commencement fut donc Roger McGuinn. Leader, guitariste, chanteur et fondateur (mais pas vraiment compositeur, ça aura son importance, voir plus bas) des Byrds. C’était au mitan des années 60 aux Etats-Unis. Lesquels Etats-Unis qui avaient inventé le rock’n’roll une décennie plus tôt étaient en proie à la British Invasion. Les envahisseurs se nommaient Beatles, Rolling Stones, Who, Kinks, Animals, Pretty Things, Them, Yardbirds, pour les plus cotés. Et en face, ils avaient quoi à proposer les Ricains ? Des morts (Eddie Cochran, Buddy Holly), des qui faisaient des films (Elvis), des qui disaient la messe (Petit Richard), des qu’étaient pas au mieux (Chuck Berry, Jerry Lee Lewis, Johnny Cash, …), mais des groupes, que dalle. Enfin que dalle de connu. Il y avait dans plein de garages des minots qui copiaient les Anglais, certains arrivaient à sortir des disques, étaient parfois connus dans leur Etat, mais jamais au niveau national. Voir toutes les compiles Nuggets, Peebles, Back to the grave, … qui ont réhabilité tous ces Seeds, Sonics, Remains, 13th Floor Elevators, Count Five, … dont certains valaient bien mieux que l’anonymat qui les entourait.

Sneeky Pete, Parsons, Etheridge, Hillman : FBB

Connus nationalement, il n’y en avait que deux : les Beach Boys qui à cette époque faisaient du Chuck Berry en version Club Med, et les Byrds donc. Qui faisaient du Dylan électrique avant que l’intéressé y pense. Les Byrds, c’est une sorte de Who’s Who du rock américain. La plupart de ceux qui y sont passés ont été plus connus et appréciés que McGuinn, qui a pas supporté ça, et a congédié à tour de bras ces soi-disant accompagnateurs de son immense talent (le type avait le melon) qui lui faisaient de l’ombre. Exit les Gene Clark, David Crosby, Chris Hillman, Gram Parsons. Problème, la plupart des éjectés étaient de grands compositeurs qui définissaient les Byrds, et à ce jeu de chaises musicales le groupe partait dans toutes les directions. Virage majeur en 1968, quand Chris Hillman prend le leadership dans l’écriture, et rameute son pote Gram Parsons.

Gram Parsons est issu d’une riche famille et vivote dans l’oublié International Submarine Band. Dans les Byrds, lui et Hillman vont initier le virage qu’on appellera country-rock de la musique pour jeunes, qui se concrétisera avec l’hyper essentiel « Sweetheart of the rodeo ». Parsons participe à l’écriture, chante, fait les chœurs. Mais le couillon a oublié que son International Submarine Band était sous contrat avec un label qui menace de procès. La vénérable Columbia, maison de disque des Byrds, « suggère » que toutes les parties jouées ou chantées par Parsons soient effacées et refaites par quelqu’un d’autre (on trouve ces versions censurées sur les rééditions Cd du disque). Evidemment Parsons se casse des Byrds, suivi quelques semaines plus tard par Hillman.

Les deux s’acoquinent avec quelques compères et donnent naissance aux Flying Burrito Brothers. Officiellement composé de Parsons (chant, guitare, claviers), Hillman (Chant, guitare, mandoline), Chris Etheridge (basse, piano) et Sneeky Pete (steel guitare), les FBB s’adjoignent pour « The gilded palace of sin » leur premier disque studio, quatre batteurs différents. Contrairement aux Byrds, les FBB sont une page blanche, n’ont pas d’historique. Ils peuvent donc faire ce qu’ils ont envie de faire.

Parsons & Hillman

« The gilded palace of sin » est un disque qui se regarde avant de s’écouter. Pochette marquante. On y voit outre deux nanas (devant la cabane au fond du jardin ? comme dirait Cabrel, le Dylan d’Astaffort) les quatre FBB dans un décor rustique et champêtre. C’est pas le décor qui compte. Les quatre sont habillés Nudies. Pour ceux qui s’habillent Shein, un mot sur Nudies. Nudie Cohn est une couturière Ukrainienne exilée à Los Angeles. Sa particularité, elle fait des vêtements personnalisés (généralement des costumes veste + pantalon) avec des motifs brodés. Des fringues plutôt voyantes, qui ont séduit les countrymen dans un premier temps (premier célèbre « mannequin » de la marque, Porter Wagoner, compagnon de chant de Dolly Parton), les rednecks riches (John Wayne, Elvis Presley), avant la commande de Gram Parsons. Même si les trois autres font pas dans la sobriété, la tenue de Parsons deviendra légendaire (elle est même conservée comme une relique dans je ne sais plus quel musée ou espace culturel). Sur fond blanc sont brodés pavots, pousses de marijuana, cachets multicolores et sur le dos une grande croix rouge. Péchés opiacés et recherche de rédemption, tout le personnage du Grievous Angel est dans ces fringues.

Euh mec, t’étais pas là pour causer du disque, tu commences à nous gonfler avec tes fripes … Bon, bon, suffit de demander …

« The gilded palace of sin », on y revient au péché. Et le disque commence par « Christine’s tune », et jette les bases d’un country-rock pépère qui sera la marque de fabrique des FBB (et de tous ceux qui suivront leurs traces, on y reviendra si j’y pense). Question, qui est Christine ? Aucun du groupe n’a jamais donné son nom, et les supputations sont allées bon train sur ce « devil in disguise ». Deux noms reviennent avec insistance, Christine Frka (la Miss Christine des GTO’s, celle qui pose sur la pochette du « Hot rats » de Zappa), et Christine Hinton, alors petite amie de David Crosby. Qui rappelons-le a fait ses débuts dans les Byrds. Et qui viendra passer un petit coucou vocal aux FBB en faisant les chœurs (non crédités à l’époque de la sortie du disque, la leçon Parsons a été retenue) sur « Do right woman ».


Super transition Lester, ça va te permettre d’expliquer en quoi le country-rock des Frères Burrito est différent de celui des Oyseaux. Facile, c’est dans les reprises qu’il faut chercher les approches différentes. Les Byrds de « Sweetheart … » reprenaient Dylan (leur marque de fabrique) ou du Louvin Brothers (leur extraordinaire version de « Christian life »). Du folk et de la country, de la musique plus blanche tu peux pas. Les deux reprises de « Gilded palace … » (toutes les deux cosignées par l’immense Dan Penn) sont « Do right woman » et « Dark end of the street », deux hits respectivement par Aretha Franklin et James Carr. Deux voix soul. Faut vraiment que je développe ? Ces deux reprises sont les deux sommets du disque (parmi beaucoup d’autres, voir plus bas). « Do right woman » évite l’écueil de la tentative d’imitation de l’explosivité vocale de l’Aretha, ça devient un superbe tempo très ralenti. Traitement à peu près identique pour « Dark end … » qui mue en ballade belle à pleurer.

Comme chez les Byrds, la mise en place vocale des FBB est impeccable. Parsons et Hillman chantent soit lead soit en duo à l’unisson, des chœurs (overdubs ?) viennent parfois les soutenir. On passe de la pure ballade country « Sin City » à la country plus roots (My uncle »), toujours dans la même veine au titre éternel pour chialer dans sa bière (« Juanita »). Et puis les Stones d’ « Exile … » (« Sweet Virginia », ce genre de choses) sont anticipés avec « Do you know what it feels » (rappelons que l’hédonisme forcené et les références country de Parsons en avaient fait le compagnon de défonce préféré de Keith Richards qu’il avait accompagné à Nellcote, ceci explique beaucoup de choses sur la musique des Stones à l’époque).

Au rayon merveilles, ne surtout pas oublier les deux « Hot Burrito ». Le « Hot Burrito #1 », c’est chanté par Parsons seul et c’est rien de moins que le « Whiter shade of pale » américain. Frissons garantis. « Hot Burrito #2 », c’est beaucoup plus rock que country, quand Hillman vient parasiter une superbe mélodie par des accords rageurs de guitare fuzz, c’est le titre le plus bruyant du disque, une sorte de fanfare psychédélique déjantée (pléonasme ?).


Reste deux titres sur lesquels j’accroche moins. « Wheels » est juste bon, donc un ou plusieurs tons en-dessous des autres. Le final (et aussi le morceau le plus long, presque cinq minutes) « Hippie boy », titre parlé façon Last Poets sur fond de piano et d’orgue est celui qui rattache les FBB à leur époque (1968) et assez logiquement le plus daté et forcément le moins intemporel.

« The gilded palace of sin » est aussi crucial que « Sweetheart of the rodeo ». S’il ne faut pas sous-estimer l’apport de leurs complices dans les deux groupes, force est de reconnaître que Hillman et Parsons ont accouché d'un genre. Leurs disciples (avoués ou pas) trusteront pendant des années le sommet des charts (américains d’abord, le country-rock voyageant plutôt mal hors des States, quand il s’aseptisera dans la seconde moitié des seventies, le succès sera mondial). Parmi les plus connus qui doivent beaucoup sinon tout à ces deux rondelles, Crosby, Stills, Nash & Young, Poco, America, Eagles, Doobie Brothers, et tous leurs semblables. Le courant que l’on baptisera soft-rock n'en est pas très loin (James Taylor, Boz Scaggs, Christopher Cross, le Fleetwood Mac « américain », …).

Les Flying Burrito Brothers ont traversé les décennies sous divers avatars (Burrito Brothers, Burrito Deluxe, Burrito, …), donnent encore des concerts. Sans évidemment Gram Parsons ni Chris Hillman, partis après le disque suivant (« Burrito Deluxe »), siamois par la qualité de ce « Gilded palace of sin », juste l’effet précurseur en moins …





LES RITA MITSOUKO - PRESENTENT THE NO COMPRENDO (1986)

 

C'était comme ça ...

Les Rita Mitsouko, c’était les années 80. Et les années 80, musicalement (mais pas que), c’était pas terrible. Sauf qu’à toute règle il y a des exceptions. Et les Rita étaient ô combien une exception. Un groupe-duo plutôt unique, des aventuriers sonores sans beaucoup d’équivalents. Dans leurs meilleurs moments au niveau de Prince pour le côté touche-à-tout imprévisible.

Les Rita, c’est en plus de vingt ans d’activité tout juste une grosse poignée de disques studio. Dont une grosse moitié est dispensable. En fait, les seuls à garder sont les trois premiers. Le premier, éponyme, contient une tuerie enjouée (qui parle de mort et de cancer, on y reviendra sur ce paradoxe) l’inoubliable au sens premier du terme « Marcia Baila »). Le troisième, marqué par une collaboration avec leurs héros (un autre duo « bizarre ») les Sparks (« Singing in the shower ») et des étrangetés sonores absolues (« Mandolino City », « Le petit train » sur les convois de déportés des années 40) sera l’album de la consécration, les adoubera définitivement parmi les gens qui comptent.


Mais le disque qui a tout fait exploser pour les Rita, c’est leur second, « The No Comprendo », dont les trois premiers titres sont dans l’ordre « Les histoires d’A », « Andy », « C’est comme ça ». Des morceaux sans aucun lien musical entre eux, très gros hits en leur temps, et qui bizarrement, ont plus que bien vieilli, en tout cas beaucoup mieux que leurs voisins du haut des charts.

Même s’il est fondamental, le pédigrée et les parcours de Fred Chichin et Catherine Ringer ne les prédisposaient pas à une carrière musicale de ce niveau. Lui végétait dans des groupes punks de seconde zone, dealait et passait par la case zonzon. Elle rêvait de théâtre, tournait des films destinés selon la formule à un public averti pour faire bouillir la marmite. Une rencontre lors d’un casting foireux de comédie musicale et l’aventure démarrait. Un nom choisi au hasard (des prénoms de stripteaseuses couplés avec des noms de parfums de Guerlain, on a évité Dita Vétiver ou Bettie Shalimar), une vie et un travail en communs, l’aventure Rita Mitsouko commençait. « Marcia Baila », titre dansant un peu perdu au milieu d’un disque sombre produit par Conny Plank (pape sonore du krautrock), accompagné d’un clip arty laissant apparaître un duo tout en contrastes (Chichin inexpressif et Ringer exubérante) lancent l’affaire auprès du très grand public. Restait quand même une question en suspens : one hit wonders ou pas ?

La réponse viendra avec « The No Comprendo » (officiellement « Les Rita Mitsouko présentent the No Comprendo », « no comprendo » étant de l’espagnol de contrebande mais surtout le nom du « groupe » ayant participé à l’enregistrement). The No Comprendo (le groupe), c’est une liste de gens qui n’interviennent le plus souvent que sur un titre (cuivres, violon(celle)s, …). A la manœuvre sur tous les titres, Chichin et Ringer. Paroles et musiques, tous les instruments (section rythmique et guitares pour lui, vocaux, claviers et instruments midi pour elle). Et un renfort de poids, le sieur Tony Visconti (un « peu » célèbre pour avoir produit une ribambelle de disques de T-Rex et de Bowie), coproducteur du disque avec les Rita et crédité à de nombreux instruments.


Musicalement, on est près de l’os. Zéro démonstration technique, tout est dans la créativité sonore. Tous les tristes poncifs de l’époque sont évités (les synthés datés, les arrangements interchangeables des rengaines pop, …). Place aux gimmicks improbables (l’énorme saturation de la guitare sur « C’est comme ça », la pachydermique basse slappée de « Andy », …), à la géniale trouvaille à deux balles. Et par-dessus tout cette technique hésitante, la voix de la Ringer. Elle « habite » tous les titres, tantôt dans les aigus hystériques, tantôt dans les basses profondes, et marque son territoire comme peu de shouteuses (noires généralement) ont réussi à le faire. Ringer sur « The No Comprendo », ça joue dans la même cour que la Joplin de « Pearl », ce qui est quand même un putain de compliment. Parenthèse. J’ai vu les Rita dans une tournée des nineties avec un backing band de Blacks funky, et Ringer chantant les Rita il y a quelques années, je peux vous assurer, brothers and sisters, que sa voix, elle est pas dopée par des effets de studio, elle a la foudre dans les cordes vocales (bon la dernière fois, à plus de soixante balais, elle n’a tenu qu’un peu moins d’une heure dans les aigus impossibles avant de « gérer » une grosse demi-heure, à coups de quasi instrumentaux, de solos des zicos, de présentation du band, … mais on en avait déjà eu pour notre fric).

Reste quasi quatre décennies plus tard, un paradoxe Rita Mitsouko. Le duo est considéré comme immensément représentatif des années 80 festives et hédonistes alors que ses titres sont souvent d’une noirceur totale. « Marcia Baila » sur le cancer qui avait emporté la chorégraphe Marcia Moretto avec laquelle avait bossé Ringer ouvrait la voie de ces joyeuses rengaines glauques. Et si l’on s’en tient aux textes de « No Comprendo », tout l’album n’est qu’une succession de lamentos parfois lugubres mis en musique. Avec une exception, la pièce rapportée et plus mauvais titre du disque, « Nuit d’ivresse », rythme festif et entraînant, bande-son du navet du même nom avec Lhermitte et Balasko. Titre de commande, foncièrement différent au niveau sonore (exceptionnellement des vrais cuivres, ça s’entend) et par son texte (sponsorisé ?), assez loin dans le délire sur le thème de l’alcoolisme que l’excellent « Commando Pernod » des non moins excellents Bérurier Noir sorti l’année précédente. Ce « Nuit d’ivresse », à part quelques considérations bassement mercantiles de la part de Virgin, distributeur des Rita, voulant surfer sur les quelques entrées du film éponyme, et qui une fois venu le succès des autres titres, s’empressera de sortir une version anglaise de « No Comprendo », avec comme objectif le mirage du marché anglo-saxon (comme avant eux les échecs dans la langue de Thatcher des Johnny, Téléphone ou Trust, sans parler des succès « achetés » de Montand ou Aznavour), ce « Nuit d’ivresse » donc, vient entacher un disque jusque là irréprochable.


L’enfilade des trois hits d’entrée nous montre que l’univers musical des Rita est plutôt polymorphe. « Les histoires d’A » c’est un funk rock lourd à guitares (Chichin, Ringer, Visconti), avec un violon lancinant au fond du mix, sur fond d’énumération de ruptures sentimentales tristes avec la Ringer qui marque vocalement son territoire. « Andy », c’est le tchac-poum disco avec une énorme base slappée, sur le racolage d’un type lambda terne et timide, assimilé au personnage de bande dessinée rosbif Andy Capp. « C’est comme ça », c’est un rock’n’roll basique et bourrin entre Who et Cochran, qui a autant marqué les esprits par son rythme trépidant que par son clip très diffusé mettant en avant l’univers kitsch et surréaliste des Rita et de Jean-Baptiste Mondino.

Les autres titres du disque, dont on ne parle pas souvent (pour être gentil) méritent pourtant le détour. Moins « faciles » peut-être, mais toujours empreints de cette noirceur désabusée due aux textes, en parfait contrepoint avec l’esthétique supposée joyeuse du duo. « Vol de nuit », c’est de la cold wave sombre (comme un prolongement de leur premier disque et une marche dans les pas des Smith les plus sombres, le Robert de Cure et le Mark E. de The Fall). « Un soir un chien », si le titre avait pas déjà été pris (par Blue Öyster Cult) aurait pu s’appeler « Dominance & submission » (voir les paroles), c’est le plus glacial de la rondelle. « Tonite » lui ressemble, malgré une tendance à loucher vers l’emphase pompière (Ringer se fait un peu trop démonstrative à mon goût au chant).


Et même si les textes ne sont pas plus enjoués, quelques décharges rock (Chichin ?) s’intercalent pour éviter toute comparaison avec Joy Division. Petits brûlots rockabilly (« Someone to love »), mid tempos guillerets (« Bad days »), ballade-comptine (« Stupid anyway ») montrant que la voix de Ringer peut aussi être extraordinaire sur des tempos lents.

Même Godard avait été impressionné par le duo (il n’y comprend rien mais est attiré par la musique des djeunes). Après les Stones enregistrant « Sympathy for the devil » dans « One + One », il avait filmé les Rita travaillant sur « No Comprendo », incluant quelques séquences dans l’oubliable « Soigne ta droite ». Pas rancunier, le duo le remercie dans les crédits du disque …

Et pour finir, respect total pour l’attitude des Rita Mitsouko qui ont su ne pas sombrer dans le music business à tout crin, rester en dehors des engagements humanitaires, caritatifs, etc … calculateurs, et éviter toute récupération (l’esquive de Ringer à la tentative de bisou de Micron Ier aurait dû en inspirer certain(e)s) …





LOU REED - NEW YORK (1989)

 

Retour aux sources ...

Conclusion : « New York » est le meilleur album de Lou Reed, et toc …

Bon, je sens qu’il va falloir argumenter, là …

Retour en arrière. Lou Reed, c’est les trois premiers disques du Velvet Underground (où il joue) et les titres du quatrième (il s’est cassé du groupe, n’a pas participé à l’enregistrement). Un premier disque solo éponyme (une des pires ventes de RCA), deux trucs majeurs ensuite (« Transformer » et « Berlin », c’est pas rien), deux disques en public provenant du même concert (« Rock’n’roll animal » et « Live »), un machin expérimental inaudible (« Metal machine music »), une litanie de disques où le bon côtoie l’anecdotique et une belle dégringolade artistique dès le premier tiers des 80’s (« Legendary hearts », « New sensations », « Mistrial » (pas gagnant), quelqu’un pour les défendre ? répondez pas tous en même temps …).


« Transformer » et « Berlin », rigoureusement indispensables sont deux disques sous influences. Le premier, sous celles du trio anglais Bowie – Ronson – Scott qui lui ont apporté une couleur glam plutôt inattendue pour un type au registre sombre et austère. Le second sous l’emprise de Bob Ezrin, producteur envahissant, façonneur d’un son en cinémascope ne rechignant pas sur les orchestrations symphoniques, « Berlin » c’est un opéra-rock glauque, dépressif … et génial. « New York », c’est Lou Reed débarrassé de tout, revenu à ses basiques, ses fondamentaux.

On trouve dans « New York » les boogies monolithiques du premier Velvet, les ballades noires et apaisées du troisième Velvet, le sens de la composition évidente et les vocaux acérés de Reed dans ses meilleurs moments en solo. Le tout servi par une mise en son et une production qui ne doivent plus rien à l’air du temps où à la surenchère orchestrale. « New York », c’est du brut, du basique, du hors du temps et des modes. Deux guitares, une basse, une batterie. Point barre. Et même si j’en sais rien, à l’oreille pas d’overdubs. Dans un son remettant à l’honneur la glorieuse stéréo des seventies, la gratte de Lou Reed est à gauche (c’est lui qui le dit dans les notes de pochette), celle de Mike Rathke à droite. Basse à six cordes (donc très basse) de Bob Wasserman, batterie (et co-production avec le Lou) de Fred Maher. Deux invités, la vieille complice Moe Tucker aux fûts sur deux titres et des backing vocaux (quasiment inaudibles) de Dion (DiMucci) sur un titre. Pas de synthés, de section de cuivres ou de cordes, de choristes ou de chorale gospel, … Du brut, du rêche, de l’austère. Du Lou Reed, quoi …


Déjà, le titre n’est pas anodin. « New York », c’est la ville de Lou Reed. Il y est né et il y a à peu près toujours vécu, n’y a pas déménagé parce que c’était cool ou à la mode (c’est pas Lennon posant en tee-shirt « I love New York », alors qu’il vivait claquemuré avec sa harpie et son fiston dans son bunker du Dakota Building dont il n’aurait pas dû sortir et surtout pas au début Décembre 80 … je sais, c’est vachard et gratuit, mais y’a des fois, peux pas m’en empêcher ...). Donc « New York » par Lou Reed, c’est un disque qui ne peut que sonner vrai. Et quand on connaît un peu le bonhomme, ses fréquentations c’est pas les beaux quartiers ou les yuppies qui se sont remplis les poches dans le trading à Wall Street (même si au détour d’un vers il allume Trump – en 1989 ! - comme quoi y’a longtemps que le type était risible et surtout dangereux pour qui avait envie de s’en rendre compte). Non, le New York de Lou Reed, il est à ras du bitume dans les rues miteuses, et la pochette du disque, si elle n’est pas un hommage aux Ramones ou au Clash (vous avez déjà vu Lou Reed faire dans l’hommage consensuel ?), nous montre un quintuple Lou Reed (merci les premières versions de Photoshop ?), posant dans une ruelle sombre et sale.

Je vais pas faire dans la psychanalyse de comptoir pour expliquer pourquoi un tel retour de flamme artistique (certains s’y sont essayés, avançant un mariage qui commence à lui peser, ou la mort d’Andy Warhol, ou que sais-je encore). J’essaye pas d’expliquer, je prends, et putain que ça fait du bien d’entendre Lou Reed à ce niveau inespéré même pour les plus optimistes de ses fans.

On the road again ?

Il y a une évidence qui coule de source dans chaque titre, et on se dit mais pourquoi des trucs aussi cons, aussi simples, personne n’avait jamais pensé à les faire. Premier titre et premier exemple « Romeo had Juliette ». Un groupe à très fort succès (Dire Straits) avait exploré le même thème et à l’écoute des deux chansons au titre (quasi) homonyme, on voit qui est le laborieux et qui est le type doué. Victoire par KO du new-yorkais … Et pourtant, c’est un rock mid tempo pépère en parlé-chanté (tout du long du disque, Reed adoptera ce phrasé cher à Gainsbourg), qui au vu de l’intro, semble joué live en studio. Et ça fonctionne, alors que le pensum du Knopfler te gave au bout de trente secondes …

Le début de « New York » semble mathématique. Une ballade, un boogie-rock. Trois fois deux titres. « Halloween parade », ballade triste, forcément triste sur le SIDA, hormis évidemment les paroles, semble issue des atmosphères musicales apaisées du 3ème Velvet. « Dirty Blvd », c’est « Walk on the wild side » revisited, mais cette fois à ras du bitume. Pas de portraits pittoresques de quelques figures de l’underground, mais juste l’histoire d’un type dans la mouise, et qui risque pas de devenir golden boy. « Endless cycle » est juste une belle ballade, mais pas un des sommets du disque. Le suivant (« There is no time ») est donc rock, et pas qu’un peu. Un des deux ou trois titres les plus rentre-dedans du disque, riffs violents et saturés. « Last great american whale » qui suit est une ballade avec la copine Moe Tucker (debout ?) à la batterie.

Et puis, parce qu’enchaîner un titre lent et un titre plus rapide, ça finirait par gonfler tout le monde et Lou Reed en premier, on bifurque avec « Beginning of a great adventure » vers un tempo jazzy. New York, c’est aussi la ville du jazz et on passe logiquement de Big Apple à Jazz sous les pommiers. Que les fans de Miles Davis et consorts ne se déplacent pas, on n’a pas besoin d’eux, on est plus dans l’hommage que dans la révolution sonore.

 On the road again !

Mine de rien, et sans s’ennuyer une seconde, on a passé la moitié de la rondelle. La seconde partie sera plus énergique que la première et va faire la part belle au boogie-blues-rock-machin, que ce soit envisagé façon pépère (« Sick of you », « Good evening Mr Waldheim » ce dernier sur un ancien nazi -  Lou Reed est juif, et come Indy Jones, il aime pas les croix gammées et ceux qui les portent – devenu fonctionnaire très haut placé à l’ONU et Président en Autriche, gros scandale de l’époque) ou beaucoup plus énergique (les guitares râpeuses de « Busload of faith » et le rockab rageur de « Hold on »). Ça déroule, mais on en prend plein les oreilles et on n’en perd pas une miette, tout çà jusqu’à une dernière ballade parlée (« XMas in February ». Reste deux titres pour boucler l’affaire. « Strawman », tous potards sur onze, grosses guitares saturées, et voix quasi hurlée de Reed. Une démarche musicale similaire avec ce que faisait le vieux hippy pour le coup très énervé Neil Young à la même époque (« Freedom », et le « Ragged glory » à venir en 1990). Et au bout de plus de cinquante minutes se pointe en conclusion le titre le plus expérimental de la rondelle (« Dime store mystery »), ambiance lente, sourde, menaçante et entrelacs de guitares dissonantes, manière de rappeler à tout le monde que s’il faut donner dans le noisy, Lou Reed sait faire, même si c’est pas « Sister Ray » ou « Metal machine music » …

« New York », c’est le genre de disque qui aurait pu paraître n’importe quand bien avant ou bien après 1989. Du classic rock intemporel comme à peu près tout le monde semble en avoir perdu la recette. A ranger à côté du second disque éponyme du Band …

Chef-d’œuvre qui ne doit rien à personne, sinon au talent retrouvé de Lou Reed. Son successeur, avec son ancien complice du Velvet John Cale pour un hommage à Andy Warhol (« Songs for Drella ») confirmera leur bonne forme …



Du même sur ce blog :

Transformer


THE WHO - WHO'S NEXT (1971)

 

Projet Lifehouse ...

S’il ne fallait garder qu’un disque des Who, pas besoin de réfléchir longtemps, c’est celui-là … Parce que c’est leur meilleur, bien loin au-dessus de tous les autres (des leurs, et aussi de pas mal de leurs concurrents). La faute aux années 60, qui privilégièrent longtemps les singles, et bien que les Who en aient sorti de fameux, comme ils ne se retrouvaient pas sur les 33 T, ceux-ci en pâtissaient … la faute à Tommy, cet opéra-rock mythique, mais boursouflé par des prétentions symphoniques et pompières (au moins une heure à jeter sur cette foutue rondelle), que le groupe s’entêtait à rejouer le plus souvent en intégralité sur scène …

La scène où pourtant ils étaient les meilleurs … mais le fulgurant « Live at Leeds », dont il existe autant de versions que de rumeurs sur ses lieux et conditions d’enregistrement a été partiellement « arrangé » en studio, et les Who ont manqué le rendez-vous avec l’Histoire à Woodstock, où se sont construites tant de légendes (« Woodstock est le pire concert que les Who ont donné de toute leur carrière » dixit Daltrey)… et tout cela, Townshend le sait et veut que son groupe frappe un grand coup. Il a un concept, un projet, une idée, celle de faire le disque de rock ultime. Qui ne serait que la partie émergée d’un iceberg où il est question de spectacle total, le groupe sur scène, une troupe de comédiens, et un film en arrière-plan centré également sur le groupe. Nom de travail du projet : Lifehouse. Qui sera a minima un double album.

Les Who à l'apéro chez Keith Moon

Dans le groupe personne moufte. Ni Daltrey, qui n’est que le chanteur des mots du Pete au grand nez, ni Entwistle, bassiste par définition taiseux, ni Keith Moon, trop occupé à bambocher pour s’occuper d’autres choses. Y’a juste un souci, enfin deux. Leur manager Kit Lambert, veut exploiter le filon « Tommy » jusqu’au trognon. Son but est d’en tirer un film, que modestement il compte réaliser. Faut juste trouver le pognon et les acteurs, pas grand-monde se bouscule, mais lui y passe tout son temps et veut que les Who s’impliquent toutes affaires cessantes dans son projet. Second problème, Townshend lui est complètement obnubilé par « Lifehouse », a la tête remplie des concepts fumeux, forcément fumeux de son précepteur-gourou indien Meher Baba, et l’estomac rempli de Rémy Martin qu’il ingurgite à doses pantagruéliques, ce qui n’aide pas à avoir les idées claires.

Contre l’avis de Kit Lambert, les Who investissent en Février 1971 un petit théâtre londonien (le Vic Theatre), où, trois soirs durant, ils vont jouer live les deux douzaines de titres de nouveau répertoire de Townshend, « Lifehouse », première approche du projet multimédia global conçu par Townshend. Lequel, détruit physiquement par la bibine, finit par sombrer psychologiquement. Lambert en profite pour reprendre la main, dresse le constat que ni « Tommy » le film, ni « Lifehouse » l’opéra-rock, n’avançant, il serait peut-être sage de revenir à quelque chose de plus simple, un disque des Who. Les meilleurs titres écrits par Townshend et déjà joués au Vic Theatre constitueront le nouveau Who. Durant le printemps 71, le groupe est envoyé au Record Plant de New York en compagnie de l’ingé-son et producteur Glyn Johns. Même si sur les crédits, il n’assure que la co-production avec les Who, Pete Townshend reconnaîtra plus tard que c’est Glyn Johns qui a fait la plus grosse partie du boulot. Et quel boulot !


S’il fallait définir comment doit sonner un groupe de rock sur disque, c’est « Who’s next » qui doit servir de référence. Une rythmique à deux têtes, la rigueur caoutchouteuse d’Entwistle vient en contrepoint du tabassage insensé de ses fûts par Moon, Townshend se multiplie aux guitares, tant électriques (Gibson Les Paul, Fender Stratocaster, Gretsch), qu’acoustiques. Car souvent perçu comme un disque violent, « Who’s next » comporte beaucoup de parties acoustiques, faisant encore plus ressortir lorsqu’ils surgissent les riffs dévastateurs. Et par-dessus tout ça, la voix de Daltrey qui n’a jamais aussi bien chanté et qui pose des parties vocales extraordinaires sur chaque titre.

La musique de « Who’s next » est en quasi-totale rupture avec ce que le groupe a enregistré jusque là. Finis les embarrassants errements opératiques de « Tommy », et au placard également tout l’attirail mod des débuts. Townshend ne se limite plus à l’Angleterre (les fringues et guitares floqués de l’Union Jack, de toutes façons sur ce segment difficile de faire plus british que les rivaux Kinks), pas plus qu’à la soul et au rhythm’n’blues américains qui avaient donné lieu sur leurs premières rondelles à quelques reprise pas toujours heureuses. Pour « Who’s next », Townshend se situe dans la lignée de ses plus grands titres (« My generation », « Substitute », « Pictures of Lily », « The kids are alright », « Happy Jack », …).

Février 71 : The Who live at Young Vic

Townshend a un vice caché. Il est estomaqué par les performances de Terry Riley, un des maîtres de la musique sérielle (ou répétitive selon l’angle selon laquelle on l’envisage). Il a tartiné à un doigt sur un synthé (l’ARP) une « pièce » de 9 minutes. Une partie de ce titre sera l’intro du disque sur le premier morceau « Baba O’Riley », référence transparente à ses deux « maîtres » Meher Baba et Terry Riley. Première minute plus qu’audacieuse pour les Who et pour l’époque, mais quand la batterie de Moon surgit suivie par une partie chantée fabuleuse de Daltrey, le tout servi par un son colossal, on sent que pendant presque trois quart d’heure il va se passer un truc … « Bargain » suit. Les Who ont enregistré 9 versions finalisées de ce titre. C’est la prise la plus électrique qui est retenue. Les gros riffs de Townshend sont joués sur une Gretsch, cadeau de Joe Walsh (du groupe proto hard James Gang, et futur Eagles). Démarche inverse pour « Love ain’t for keepin’ », où les grosses guitares hardos de la maquette sont remplacées par des parties acoustiques (comme du Led Zep celtique et lyrique, période « III »). Quatrième titre et « intermède » signé Entwistle « My wife », où le massif bassiste se taille la part du lion (piano, basse, trompette et chant). Un titre à des années-lumière du reste de l’album qui bizarrement s’y intègre parfaitement, respiration légère après un une première triplette tonitruante. La première face du vinyle original s’achève avec « The song is over », à mon sens le titre le plus ambitieux jamais écrit par Townshend (on oublie les bouses symphoniques de « Tommy »). Le groupe est renforcé par Nicky Hopkins au piano. Avec sa dizaine de « sections » tout au long de ses six minutes, c’est un titre injouable sur scène (les Who ne s’y sont jamais essayé), et c’est par sa construction le plus grand titre de prog jamais gravé, un monument dans la lignée du « 21st Century Schizoid Man » de King Crimson (ou du « Pet sounds » des Beach Boys).

Projet de pochette pour Who's Next

En retournant la galette, on débute par « Getting in tune » (avec toujours Hopkins au piano) qu’on pourrait prendre pour une gentille ballade quelconque avant que Moon défonce ses fûts et change radicalement l’optique du titre. « Going mobile » est le plus mauvais titre du disque (bon, il en faut un), il est juste excellent, avec ses airs de rave-up brouillonne. Et comme un grand disque doit tenir la route d’un bout à l’autre, les Who vont faire encore mieux. Deux de leurs quatre ou cinq meilleurs titres jamais gravés concluent « Who’s next ». « Behind blue eyes » est une balade ultime, commencée acoustique puis transfigurée par les riffs dévastateurs de Townshend. Au départ, ce titre devait être le premier single extrait. Ce single précurseur du disque sera finalement une version raccourcie de « Won’t get fooled again ». Single qui n’arrive pas à la cheville de la monstrueuse version de huit minutes et demie qui clôt « Who’s next ». « Won’t get fooled again » pour moi c’est peut-être bien le plus grand morceau de rock ever. Ecrit comme le contrepoint du mythique « My generation », c’est le dernier clou sur le cercueil des années soixante, on voulait tout changer, on s’est fait entuber, mais gaffe, vous nous baiserez plus. Une autre partie du titre sériel à l’ARP l’introduit, genre réplique-miroir de « Baba O’ Riley », avant que Moon et Townshend du haut de son meilleur riff viennent installer une puissance de feu croissante et inexorable pendant plus de six minutes. Quand les notes d’ARP reviennent, ne pas entretenir l’espoir qu’on se dirige vers un final pianissimo. La batterie herculéenne de Moon, le riff suramplifié de Townshend et un chant littéralement hurlé de Daltrey explosent à nouveau les haut-parleurs. Remarque toute perso, tant par sa durée que sa construction (même si le propos n’est pas le même), « Paradise City » des Guns N’Roses est le titre qui se rapproche le plus de « Won’t get fooled again ». Pas un hasard si ce titre est aussi de très loin le meilleur de la bande de à Axl Rose et Slash.

« Who’s next », évidemment il fallait l’avoir en vinyle. Enfin, pour ceux qui avaient la chance d’être ados dans les seventies, et donc le malheur d’avoir les cheveux blancs aujourd’hui (pour ceux à qui il en reste, des cheveux). Evidemment, outre les multiples rééditions en format d’origine (la mienne est un vinyle honteux de 78, pressage en 80 grammes), l’ère Cd a aussi pondu ses litanies de versions de « Who’s next » (bizarrement à ma connaissance, pas de « reconstitution officielle » intégrale du projet « Lifehouse », il vaut peut-être mieux, voir le cas d’école « Smile » suite mythique du « Pet sounds » de Beach Boys, qui quarante ans après sa parution initiale avortée, n’a pas bouleversé grand-monde). Une des meilleures rééditions Cd (gros son, bonus, livret instructif que j’ai pillé sans vergogne pour rédiger cette notule) est celle de 1995. Sept titres supplémentaires (du live au Vic Theatre, les premières versions de titres qu’on retrouvera sur des compilations et que les Who ont joué en public dans les seventies, des maquettes de travail) ont le mérite de prouver que le projet « Lifehouse » a bien fait d’être abandonné, un double ou un triple album à la place de « Who’s next » n’aurait pas eu le même impact …

Ethan Russell & The Who

Un mot sur la pochette. Initialement, ce devait être une photo de Keith Moon, pas à une pochade douteuse près, en travesti SM. Cette photo existe, elle a servi de support à des pubs dans la presse annonçant la sortie du disque. La photo retenue est quasiment accidentelle, et relève aussi d’un projet abandonné. Celui d’un pont devant supporter un axe routier, seules quelques bases de pilier avaient été érigées en pleine nature du côté de Durham (nord-est de l’Angleterre). Repéré lors d’un retour de concert, le groupe y est revenu avec le photographe Ethan Russell (l’auteur des quatre portraits de la pochette de « Let it be »). Beaucoup d’interprétations de cette photo ont circulé. Il semblerait in fine que personne n’ait uriné sur cette sorte de monolithe (juste de l’eau versée « artistiquement ») et que l’allusion à Kubrick et à « 2001, Odyssée de l’Espace » soit purement fortuite. L’idée de base était de retranscrire l’étrangeté de ce bloc de béton au milieu d’une cambrousse désertique … les idées venues lors de la séance de shooting ont fait le reste …

« Who’s next » sera le plus haut fait d’armes des Who. Et surtout leur dernier, les années 70 auraient pu leur appartenir, elles ne seront que le témoin de leur inexorable dégringolade artistique. Si « Who’s next » n’est pas a minima dans votre Top Ten, on risque de pas être d’accord …


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Sings My Generation

A Quick One 





LOU REED - TRANSFORMER (1972)

 

Englishmen in New York

Cela va sans dire, mais ça va pas plus mal en le disant. Le Velvet Underground, groupe crucial s’il en fut, c’est Lou Reed et les autres. Que ces autres s’appellent Andy Warhol, John Cale, Sterling Morrison, Nico, Moe Tucker, Doug Yule ou qui on voudra, ce n’est pas leur faire injure que d’affirmer que c’est Lou Reed qui a fait le plus gros du boulot, et que tous ces titres, devenus mythiques du Velvet, c’est lui qui les a écrits.

Reed & Bowie 1972

Lou Reed a eu beau démontrer qu’il avait du talent – beaucoup – il a aussi prouvé que c’était un mec pas très sympa, voire un sale con. Après son départ du Velvet (trois disques et les compos du quatrième), il a volé de ses propres ailes, signé en solo par RCA. Un premier disque éponyme sera une des pires ventes de la vénérable firme. Faut dire que le Velvet vendait très peu, quelle que soit son influence sur ses contemporains (« le premier Velvet s’est vendu à mille exemplaires, mais tous les types qui l’ont acheté ont monté leur groupe » dixit plus tard Brian Eno), Lou Reed n’était qu’un musicien pour musiciens, selon la formule consacrée.

Parmi ses fans, l’Anglais David Jones, rebaptisé Bowie. Qui dans l’été 72, triomphe (après des années de vaches soit maigres soit faméliques), avec son double extra-terrestre Ziggy Stardust, et porte au sommet des charts le concept musical de glam rock. Et maintenant qu’il a les moyens, il se propose pour donner un coup de main à tous les gens dont il est fan. Premier servi, Ian Hunter et son groupe Mott the Hoople à qui Bowie offre ce qui sera leur seul grand hit, « All the young dudes ». Par l’intermédiaire de sa maison de disques (RCA, ça tombe bien), Bowie propose de travailler avec Lou Reed sur son prochain disque. Va savoir pourquoi, le misanthrope Lou accepte (enfin, il a dû y avoir des pressions « amicales » du management et de RCA), et Bowie s’envole pour New York avec le titre de producteur de « Transformer », le prochain Lou Reed, non sans avoir glissé dans ses bagages son guitariste Mick Ronson (crédité comme coproducteur), et Ken Scott (assistant de George Martin période Beatles, producteur de « Ziggy Stardust », il sera seulement crédité du mixage de « Transformer », mais nul doute qu’il s’est beaucoup plus impliqué que ce que disent les crédits de pochette).


Il y a du boulot. A même pas trente ans, Lou Reed est déjà un has been. Il a certes des chansons en réserve, mais voir des rosbifs débarquer et s’occuper de sa « carrière », ça le fait pas sauter de joie. On imagine l’ambiance en studio et les séances houleuses. D’ailleurs, une fois le succès de « Transformer » certifié, il ne se privera pas pour épancher son fiel sur Bowie et son équipe. La routine …

Il est peut-être sorti pour le cinquantenaire du disque une version en quinze CDs et huit Blu-ray sur les sessions de « Transformer » (quand il s’agit de vendre pour la énième fois aux fans une rondelle mythique, tous les prétextes et arguments foireux sont bons) mais il suffit de la version Cd de 2002 avec juste deux « inédits » (les démos acoustiques de « Hangin’ ‘round » et « Perfect day ») pour voir qu’on était très loin du résultat final. Incontestablement, Bowie, Ronson et Scott ont énormément apporté.

Certains titres sont stricto sensu du glam-rock (« Hangin’ ‘round », calqué sur la reprise du « Round & round » de Papy Chuck Berry par Bowie, « Make up » traité comme les ballades du même Bowie, « Satellite of love » et son crescendo à la « Rock’n’roll suicide », « I’m so free » glam-rock ou plutôt rock-glam avec la guitare de Ronson très en avant). D’autres par contre sont du pur Lou Reed, le boogie monolithique de « Vicious », « Perfect day », réminiscent des balades du 3ème Velvet, la courte rigolade (enfin, rigolade et Lou Reed, vous imaginez le tableau, c’est juste souriant) « New York telephone conversation », et Goodnight ladies », voyage au bout de la nuit newyorkaise, comme une version interlope du « Il est cinq heures Paris s’éveille » de Dutronc. Ce dernier titre comme une sorte de contrepoint à « Walk on the wild side ».

Ah, « Walk … », le genre de titres comme on en écrit pas quatre dans sa vie (quand on s’appelle Lou Reed, pour quasiment tous les autres, ça relève du rêve …). Portraits croquignolets de tous les oiseaux de nuit qui hantent les rues mal famées de New York, les transsexuels (Holly et Candy Darling), les prostitués défoncés (Joe) ou les défoncées tout court (Jackie), une ligne de basse unique de Herbie Flowers (que Bowie recrutera lors de sa carrière américaine de 75-76), les mythiques vers « but she never lost her head, even when she was givin’ head », le tout pour un des plus improbables titres à avoir jamais atteint le haut des charts.


Ronson est très présent (plus même que chez Bowie), lui et le Ziggy font les chœurs, et le grand bonhomme du disque est la révélation Herbie Flowers qui magnifie « Walk … » certes, qui dirige « Andy’s chest » (hommage du bout des lèvres à Warhol), et joue de l’improbable tuba sur « Make up ».

« Transformer » est un disque quasiment parfait (un seul titre faible, « Wagon wheel »), avec sa pochette devenue iconique tant son recto (la photo « ratée » de Mick Rock, égarée parmi toutes celles qu’il présentait pour la pochette, c’est évidemment celle que le Lou a choisie) que son verso du photographe Karl Stocker (la mannequin anglaise Gala Mitchel et le pote de Reed Ernie Thormahlen avec sa banane dans le jean).

« Transformer » boosté par « Walk … », lancera la carrière internationale de Lou Reed, fera reconnaître tardivement le Velvet (le concert français de « reformation » avec Nico et John Cale l’année suivante). En 73 paraîtra l’autre grand classique de Reed, « Berlin », beaucoup plus sombre et glauque qui assiéra définitivement son statut de figure tutélaire du rock. Dès lors à l’abri du besoin, Reed pourra laisser libre cours à sa mauvaise humeur (pour être gentil) légendaire, faire paraître une litanie de disques où le très bon côtoie le sans intérêt, avant un ultime chef d’œuvre (« New York ») à la fin des 80’s …



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THE CURE - PORNOGRAPHY (1982)

 

Au fond du trou ...

« Pornography », on l’a souvent décrit comme le dernier et l’aboutissement de la trilogie « glaciale », « cold » - appelez ça comme vous voulez de Cure, après « Seventeen seconds » et « Faith ». Ce qui fait sens, d’autant plus que les trois disques se sont succédé dans la discographie de la bande à Robert Smith. Sauf que ledit Bob Smith, qui est quand même aux manettes du groupe, voire Cure à lui tout seul, et qui prend souvent un malin plaisir à contredire tout le monde, considère « Pornography » comme le premier volet d’une trilogie se poursuivant avec « Disintegration » (1989) et se concluant avec « Wild mood swings » (1996). D’ailleurs il ira jusqu’à donner une série de concerts où il enchaînera en respectant leur tracklisting ces trois disques … ce qui bien entendu ne prouve rien … Si vous voulez mon avis (et même si vous le voulez pas je vous le donne), Cure a produit quatre disques « sombres », « Seventeen seconds », « Faith », « Pornography » et « Disintegration ». Ce dernier est le meilleur, insurpassable, avec pas loin derrière « Pornography ». Et « Wild mood machin » me susurre t-on ? Oubliez-le, il est pas terrible du tout …

Smith, Gallup & Tolhurst : The Cure 1982

En tout cas, en ce début des années 80, Cure n’est pas un groupe qui compte vraiment. Il a certes des fans, vend correctement du disque, mais rares sont ceux qui miseraient sur lui pour une « grosse » carrière. D’autant que Robert Smith, leader maximo, est un jeune type instable. Qui préfère faire des piges comme guitariste chez Siouxsie and the Banshees que s’occuper de Cure. De toutes façons, le garçon est un tristos voire pire, anxieux, angoissé, en proie au doute en permanence, et chez lui, c’est pas une façade pour faire gothique. Il ne se désinhibe qu’en picolant sévère et en se défonçant aussi sévèrement. D’ailleurs, les rumeurs prétendent (ne pas se fier à ce que dit Robert Smith, spécialiste des bobards face à la presse musicale) qu’il a hésité entre mettre en chantier « Pornography » ou se suicider. Ceux qui voient en filigrane apparaître la figure de Kurt Cobain n’ont pas tort. Sauf que l’un a supporté le succès beaucoup mieux que l’autre …


Décision est donc prise de se saouler et de se défoncer copieusement et de voir ce que ça peut donner musicalement. Smith réunit un Cure en formation réduite, lui, Simon Gallup à la basse et Lol Tolhurst à la batterie, ce que les fans du groupe considèrent comme la formation « royale » de Cure. Evidemment, parce que ce n’est plus à la mode et que Smith déteste le classic rock, rien à voir avec un power trio. Les trois (à tour de rôle ou ensemble) rajoutent des couches et des couches de synthés, triturent tous les sons, et ne cherchent pas à faire étalage d’une quelconque technique virtuose (que de toutes façons ils ne possèdent pas).

Bon, des disques sous substances, c’est pas ça qui manque. Ça peut donner de grandes et belles choses, et même dans ce cas, partir un peu dans tous les sens (cas d’école : « There’s a riot coming on » de Sly & the Family Stone », ou « Station to station » de Bowie). Ce qui frappe avec « Pornography » c’est son unité. Ce disque est tout d’un bloc, d’une homogénéité redoutable.

Les titres (il est difficile de parler de chansons) sont tous construits de la même façon. Un schéma rythmique (basse et batterie mates) immuable (pas d’intro, de couplets, de refrains, de ponts, de solos), des nappes lourdes de synthés en surlignage, des guitares distordues dénuées de tout aspect mélodique. Et par-dessus tout ça, Robert Smith qui hurle de façon monocorde dans les aigus. Le résultat est un son oppressant, sans le moindre répit. Déstabilisant et diversement accueilli à sa sortie, le disque deviendra une référence incontournable du rock dit gothique, surclassant ses inspirations (si l’on en croit Robert Smith, Siouxsie of course, et les martiaux Psychedelic Furs). Aujourd’hui cette descente aux enfers sonores est devenue un des incontournables de Cure et des années 80.


« Pornography » définit une fois pour toutes le vocabulaire de Smith. Les mots, rattachés à la souffrance, à l’obscurité, au mal-être, et autres états d’esprit pas vraiment joyeux reviennent comme des mantras au long des paroles (die-death, dark, night, pain, fall, blood, rain, sick, madness, …)

Musicalement, s’il faut en extraire quelques-uns de ce pavé, on citera l’introductif « One hundred years » qui donne la couleur de l’ensemble, le seul single extrait du disque « The hanging garden », sorte de surf music jouée par des trépanés pour des trépanés, annonciateur du Cure à (gros) succès à venir, « A strange day » qui malgré (à cause ?) une intro lourde et planante offre un peu de répit, avant que le morceau-titre vienne finir d’enfoncer les clous dans le cercueil, avec ses dialogues de vieux films surimposés, et une voix de Smith qui n’est plus que cris ou borborygmes étouffés, avant un final noyé dans l’écho, genre vortex qui engloutit tout …

Dépressifs s’abstenir … Un des deux meilleurs Cure, toutes époques confondues, et un disque à ranger à côté de « La joie de vivre » de Zola …


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THE MAMAS AND THE PAPAS - IF YOU CAN BELIEVE YOUR EYES AND EARS (1966)

 

Quand tous les rêves étaient permis ...

Les Mamas & Papas ont été précurseurs et chefs de file de ce sous-genre de la pop qu’on a appelé sunshine pop. (Epi)phénomène qui a eu son quart d’heure de gloire dans l’Amérique de la fin des 60’s, quand quelques petits malins (surtout producteurs) ont mélangé les aspects « positifs » du psychédélisme (« everybody needs somebody », ce genre de philosophie) avec la pop la plus « facile » (celle qui cartonnait dans les charts, genre Beach Boys ou Beatles). Les groupes sur lesquels tout le monde est à peu près d’accord pour les ranger sous l’étiquette « sunshine pop » s’épèlent 5th Dimension, Left Banke, Sagittarius, Turtles, Rascals, Grass Roots, Monkees, … Et les Mamas & Papas (même si c’est un peu plus compliqué, on va en causer), ne serait-ce que parce qu’ils ont écrit et chanté l’hymne définitif de la sunshine pop, « California dreamin’ ».

John & Michelle Phillips, Mama Cass Elliot & Denny Doherty

Bon, « California dreamin’ », en 2’30, c’est la plus belle et plus emblématique chanson des années 60. Et donc forcément suivantes, parce qu’on a perdu depuis la recette (dénigrés les auteurs-compositeurs parce qu’il fallait en plus être interprète, on s’est compliqué la vie avec des machins amphigouriques, on a déstructuré, on s’est focalisé sur le son et les arrangements, sans compter tous ceux qui ont pris le melon et se croyaient les Bach de la musique pour jeunes …). Enfin on a voulu faire compliqué quand par hasard on était capable de faire simple, une intro, des couplets, des refrains, un pont, et basta … « California dreamin’ » est écrite par John Phillips alors qu’il se gelait à New York et qu’il se disait que s’il arrivait à faire son trou dans le music business (il composait, chantait correctement, et gratouillait une guitare) il irait s’installer à Los Angeles. Tout ça tient en un couplet, le second fait une référence assez énigmatique à la religion. Le premier couplet est chanté par John Phillips, le second par Denny Doherty, Mama Cass Elliot et Michelle Phillips assurant les chœurs. Et au milieu du titre, une pointure du jazz, Bud Shank, vient signer le solo de flûte le plus célèbre de la pop. Ici, le lecteur fidèle se dit wtf, on y comprend rien, mais qui sont ces gens-là, pas de souci, lecteur fidèle, je te raconte tout le truc …

Au départ, le couple dans la vie John et Michelle Phillips. Lui, j’en ai causé au-dessus, rien à rajouter sinon que c’est une grande asperge ayant souvent la risible idée de se coiffer d’une toque en fourrure. Elle, c’est une des deux plus belles blondes des sixties (l’autre étant la cycliste Nico), tout juste bonne à filer un coup de main à son John pour composer un titre (elle est co-créditée pour « California dreamin’ » c’est son banquier qui est content) et assurer des chœurs feignasses (l’essentiel du boulot est fait par Mama Cass). Mais son principal intérêt ne réside pas vraiment dans ses dons musicaux, voir la vidéo plus bas lors d’un passage du groupe (en furieux play-back au Ed Sullivan show) difficile de la quitter des yeux alors que raide déf, elle oublie totalement le titre pour grignoter une banane, déplacer une phallique borne d’incendie factice, jouer avec un ballon aussi large que Mama Cass, mais qu’elle réussit à manquer quand elle veut lui donner un coup de pied. Grand moment de télévision psychédélique …


Donc le couple Phillips bricole dans le music business et accepte n’importe quelle session de studio comme choristes, et sait-on jamais, refiler à qui en voudrait bien une composition de John. Au gré de sessions, ils rencontrent un Canadien, Denny Doherty. Ce dernier appelle à la rescousse une de ses connaissances Cass Elliot, au fort tonnage et à triple menton, mais à la voix d’or. Les quatre décident de jouer ou plutôt chanter ensemble, et partent se mettre « au vert » dans les Îles Vierges américaines, d’où le gouverneur les expulsera (« pas de hippies chez moi »). Après avoir fait les chœurs d’un album oublié du non moins oublié Barry McGuirre, John (et Michelle) proposent au producteur Lou Adler la maquette de « California dreamin’ » qui tergiverse avant de signer les quatre pas vraiment fab. Comme ce couillon de John a refilé son titre à Barry McGuirre, celui-ci veut aussi l’enregistrer. Les deux versions sortiront à quelques jours d’intervalle et ce sont les tout nouveaux Mamas & Papas qui tirent les marrons du feu.

Evidemment, le malin Adler ne laisse pas retomber le soufflé et envoie sa bande des quatre en studio pour un trente-trois tours et somme John Phillips d’écrire d’autre hits. Ce sera chose faite avec « Monday Monday », et dans une bien moindre mesure « Go where you wanna go ». Une équipe de fines lames de studios est recrutée sous le commandement du batteur Hal Blaine, homme de base du Wrecking Crew, l’orchestre de Phil Spector, qui en quatre décennies de carrière aurait soi-disant battu la mesure sur plus de trente mille titres (!). Equipe réduite (pas la peine de faire du boucan, y’en a quatre au chant), avec P.F. Sloan (guitariste mais aussi compositeur, il amènera un titre), Larry Knatchel (piano) et Joe Osborn (basse). Le résultat sera ce « If you can believe your eyes and ears », dont au passage la pochette originale sera censurée. Pas à cause des quatre dans la même baignoire, mais à cause de chiottes en bas à droite, qui seront recouvertes d’une espèce de parchemin genre sticker annonçant les titres forts de la galette à mesure que ces titres grimpaient dans les charts. Par contre la mauvaise orthographe ("Mama's et Papa's") a perduré tout au long des rééditions.

Cachez cette cuvette que je ne saurai voir ...

A l’écoute des douze titres, on se rend compte qu’artistiquement, le maillon faible du quatuor est Michelle Phillips (de toute façon, elle a même pas besoin de chanter pour capter tous les regards). Son John de mari est un peu meilleur, mais moins bon chanteur que Denny Doherty, capable d’aller chercher des registres soul. Moins cependant que Mama Cass qui chante lead sur deux titres qu’elle sauve de la noyade (« Somebody groovy » et « In crowd ») et tire vers le haut « Hey girl » et son joli pont de basse.

Outre « California dreamin’ », l’autre gros succès du disque sera « Monday Monday », mélodie first class, harmonies vocales exceptionnelles, arrangements et pont mirifiques. Et pour assurer le coup, on va glisser quelques reprises. Et du lourd. « I call your name » est signée Lennon-McCartney. C’est un titre pré-Beatles de Lennon, qu’on ne trouve pas sur les albums officiels anglais, mais sur les américains et sur les compiles « Past masters ». Sous la houlette de Mama Cass, chanteuse principale sur le titre, ce morceau assez anecdotique dans sa version originale voyage du côté de la musique caraïbe et du jazz New Orleans. Au moins au niveau de l’original … « Do you wanna dance » du one-hit wonder Bobby Freeman est à la base un rhythm’n’blues sur un tempo rapide. Très souvent reprise (des Beach Boys aux Ramones en passant par Cliff Richard et Bette Midler), elle l’est quasiment toujours sur un tempo vif et entraînant. Les Mamas & Papas en donnent une version lente, genre fin de party désabusée. La meilleure version que je connais de ce classique. La troisième reprise, « Spanish Harlem » est aussi dans le trio des meilleurs titres de « If you can … » et pourtant, là aussi, c’est un classique moultes fois entendu. Dans sa version originale par Ben E. King, puis plus tard par Aretha Franklin, pas vraiment des premiers venus derrière un micro. Grâce à des arrangements de génie, là aussi, la meilleure version est celle des Mamas & Papas.

Après les sommets, la noyade ...

Qui ne se cantonnent pas à un registre qu’on pourrait qualifier de lounge si le terme avait existé à l’époque, témoin « Straight shooter » autre compo de John Phillips, sur un tempo nettement plus rock, en gros le meilleur titre que les Byrds imitant les Beatles avaient oublié de sortir. Malgré tout, il y a quand même une baisse de qualité vers le dernier tiers du disque, les morceaux sont moins marquants.

Le succès ouvrait grand les bras aux Mamas & Papas (prestation remarquée au Monterey Pop Festival l’année suivante). C’était sans compter sur le couple Phillips. Le John va se révéler incapable de composer de nouveaux grands titres. Enfin, presque. C’est le manager-producteur Lou Adler qui refusera que les Mamas & Papas enregistrent un de ses titres, préférant le refiler à un inconnu dont il voudrait lancer la carrière. L’inconnu, c’est Scott McKenzie, et le titre, évidemment, « San Francisco », hit galactique de 1967. Les Mamas & Papas, auront beau en sortir une belle version, c’est trop tard. Et l’inspiration de John Phillips va se tarir aussi soudainement qu’elle s’était révélée. Faut dire aussi que sa belle épouse va lui en faire voir de toutes les couleurs. Une première liaison avec Gene Clark (ex Byrds) va jeter un gros coup de froid pendant l’enregistrement du second album du groupe. Mise en bouche, osera-t-on. La suite va affoler les tabloïds. Elle quitte momentanément John pour Denny Doherty, ce qui entraînera de fait le split des Mamas & Papas, même si le groupe durera officiellement jusqu’en 1971. On retrouvera la belle Michelle mariée à la fin des sixties avec un autre cramé notoire, Dennis Hopper. Le mariage durera huit jours (un record qui ne sera égalé que par Axl Rose avec la fille d’un des Everly Brothers), avant que l’ex-Madame Hopper ne soit vue un temps au bras de Jack Nicholson … quand je vous disais que c’est le genre de blonde qui ne passe pas inaperçue …

« If you can believe … » est un polaroïd d’une époque, entre pop et psychédélisme. Totalement anecdotique pour une large majorité. Certes, mais rigoureusement indispensable tout de même …