Stratosphérique ...
Bon, faut essayer de pas être trop bordélique. Et commencer par le commencement. Au commencement fut donc Roger McGuinn. Leader, guitariste, chanteur et fondateur (mais pas vraiment compositeur, ça aura son importance, voir plus bas) des Byrds. C’était au mitan des années 60 aux Etats-Unis. Lesquels Etats-Unis qui avaient inventé le rock’n’roll une décennie plus tôt étaient en proie à la British Invasion. Les envahisseurs se nommaient Beatles, Rolling Stones, Who, Kinks, Animals, Pretty Things, Them, Yardbirds, pour les plus cotés. Et en face, ils avaient quoi à proposer les Ricains ? Des morts (Eddie Cochran, Buddy Holly), des qui faisaient des films (Elvis), des qui disaient la messe (Petit Richard), des qu’étaient pas au mieux (Chuck Berry, Jerry Lee Lewis, Johnny Cash, …), mais des groupes, que dalle. Enfin que dalle de connu. Il y avait dans plein de garages des minots qui copiaient les Anglais, certains arrivaient à sortir des disques, étaient parfois connus dans leur Etat, mais jamais au niveau national. Voir toutes les compiles Nuggets, Peebles, Back to the grave, … qui ont réhabilité tous ces Seeds, Sonics, Remains, 13th Floor Elevators, Count Five, … dont certains valaient bien mieux que l’anonymat qui les entourait.
![]() |
Sneeky Pete, Parsons, Etheridge, Hillman : FBB |
Connus nationalement, il n’y en avait que
deux : les Beach Boys qui à cette époque faisaient du Chuck Berry en
version Club Med, et les Byrds donc. Qui faisaient du Dylan électrique avant
que l’intéressé y pense. Les Byrds, c’est une sorte de Who’s Who du rock
américain. La plupart de ceux qui y sont passés ont été plus connus et
appréciés que McGuinn, qui a pas supporté ça, et a congédié à tour de bras ces
soi-disant accompagnateurs de son immense talent (le type avait le melon) qui
lui faisaient de l’ombre. Exit les Gene Clark, David
Crosby, Chris Hillman, Gram Parsons. Problème, la plupart des éjectés étaient de grands
compositeurs qui définissaient les Byrds, et à ce jeu de chaises musicales le
groupe partait dans toutes les directions. Virage majeur en 1968, quand Chris
Hillman prend le leadership dans l’écriture, et rameute son pote Gram Parsons.
Gram Parsons est issu d’une riche famille et vivote
dans l’oublié International Submarine Band. Dans les Byrds, lui et Hillman vont
initier le virage qu’on appellera country-rock de la musique pour jeunes, qui
se concrétisera avec l’hyper essentiel « Sweetheart of the rodeo ».
Parsons participe à l’écriture, chante, fait les chœurs. Mais le couillon a
oublié que son International Submarine Band était sous contrat avec un label
qui menace de procès. La vénérable Columbia, maison de disque des Byrds,
« suggère » que toutes les parties jouées ou chantées par Parsons
soient effacées et refaites par quelqu’un d’autre (on trouve ces versions
censurées sur les rééditions Cd du disque). Evidemment Parsons se casse des
Byrds, suivi quelques semaines plus tard par Hillman.
Les deux s’acoquinent avec quelques compères et donnent naissance aux Flying Burrito Brothers. Officiellement composé de Parsons (chant, guitare, claviers), Hillman (Chant, guitare, mandoline), Chris Etheridge (basse, piano) et Sneeky Pete (steel guitare), les FBB s’adjoignent pour « The gilded palace of sin » leur premier disque studio, quatre batteurs différents. Contrairement aux Byrds, les FBB sont une page blanche, n’ont pas d’historique. Ils peuvent donc faire ce qu’ils ont envie de faire.
![]() |
Parsons & Hillman |
« The gilded palace of sin » est un disque qui
se regarde avant de s’écouter. Pochette marquante. On y voit outre deux nanas
(devant la cabane au fond du jardin ? comme dirait Cabrel, le Dylan
d’Astaffort) les quatre FBB dans un décor rustique et champêtre. C’est pas le
décor qui compte. Les quatre sont habillés Nudies. Pour ceux qui s’habillent
Shein, un mot sur Nudies. Nudie Cohn est une couturière Ukrainienne exilée à
Los Angeles. Sa particularité, elle fait des vêtements personnalisés
(généralement des costumes veste + pantalon) avec des motifs brodés. Des
fringues plutôt voyantes, qui ont séduit les countrymen dans un premier temps
(premier célèbre « mannequin » de la marque, Porter Wagoner,
compagnon de chant de Dolly Parton), les rednecks riches (John Wayne, Elvis
Presley), avant la commande de Gram Parsons. Même si les trois autres font pas
dans la sobriété, la tenue de Parsons deviendra légendaire (elle est même
conservée comme une relique dans je ne sais plus quel musée ou espace culturel).
Sur fond blanc sont brodés pavots, pousses de marijuana, cachets multicolores
et sur le dos une grande croix rouge. Péchés opiacés et recherche de
rédemption, tout le personnage du Grievous Angel est dans ces fringues.
Euh mec, t’étais pas là pour causer du disque, tu
commences à nous gonfler avec tes fripes … Bon, bon, suffit de demander …
« The gilded palace of sin », on y revient au péché. Et le disque commence par « Christine’s tune », et jette les bases d’un country-rock pépère qui sera la marque de fabrique des FBB (et de tous ceux qui suivront leurs traces, on y reviendra si j’y pense). Question, qui est Christine ? Aucun du groupe n’a jamais donné son nom, et les supputations sont allées bon train sur ce « devil in disguise ». Deux noms reviennent avec insistance, Christine Frka (la Miss Christine des GTO’s, celle qui pose sur la pochette du « Hot rats » de Zappa), et Christine Hinton, alors petite amie de David Crosby. Qui rappelons-le a fait ses débuts dans les Byrds. Et qui viendra passer un petit coucou vocal aux FBB en faisant les chœurs (non crédités à l’époque de la sortie du disque, la leçon Parsons a été retenue) sur « Do right woman ».
Super transition Lester, ça va te permettre
d’expliquer en quoi le country-rock des Frères Burrito est différent de celui
des Oyseaux. Facile, c’est dans les reprises qu’il faut chercher les approches
différentes. Les Byrds de « Sweetheart … » reprenaient Dylan (leur
marque de fabrique) ou du Louvin Brothers (leur extraordinaire version de
« Christian life »). Du folk et de la country, de la musique plus
blanche tu peux pas. Les deux reprises de « Gilded palace … » (toutes
les deux cosignées par l’immense Dan Penn) sont « Do right woman » et
« Dark end of the street », deux hits respectivement par Aretha Franklin
et James Carr. Deux voix soul. Faut vraiment que je développe ? Ces deux
reprises sont les deux sommets du disque (parmi beaucoup d’autres, voir plus
bas). « Do right woman » évite l’écueil de la tentative d’imitation de
l’explosivité vocale de l’Aretha, ça devient un superbe tempo très ralenti.
Traitement à peu près identique pour « Dark end … » qui mue en
ballade belle à pleurer.
Comme chez les Byrds, la mise en place vocale des
FBB est impeccable. Parsons et Hillman chantent soit lead soit en duo à
l’unisson, des chœurs (overdubs ?) viennent parfois les soutenir. On passe
de la pure ballade country « Sin City » à la country plus roots (My
uncle »), toujours dans la même veine au titre éternel pour chialer dans
sa bière (« Juanita »). Et puis les Stones d’ « Exile … »
(« Sweet Virginia », ce genre de choses) sont anticipés avec « Do you
know what it feels » (rappelons que l’hédonisme forcené et les références
country de Parsons en avaient fait le compagnon de défonce préféré de Keith
Richards qu’il avait accompagné à Nellcote, ceci explique beaucoup de choses
sur la musique des Stones à l’époque).
Au rayon merveilles, ne surtout pas oublier les deux « Hot Burrito ». Le « Hot Burrito #1 », c’est chanté par Parsons seul et c’est rien de moins que le « Whiter shade of pale » américain. Frissons garantis. « Hot Burrito #2 », c’est beaucoup plus rock que country, quand Hillman vient parasiter une superbe mélodie par des accords rageurs de guitare fuzz, c’est le titre le plus bruyant du disque, une sorte de fanfare psychédélique déjantée (pléonasme ?).
Reste deux titres sur lesquels j’accroche moins.
« Wheels » est juste bon, donc un ou plusieurs tons en-dessous des
autres. Le final (et aussi le morceau le plus long, presque cinq minutes)
« Hippie boy », titre parlé façon Last Poets sur fond de piano et
d’orgue est celui qui rattache les FBB à leur époque (1968) et assez
logiquement le plus daté et forcément le moins intemporel.
« The
gilded palace of sin » est aussi crucial que « Sweetheart of the rodeo ». S’il ne faut pas
sous-estimer l’apport de leurs complices dans les deux groupes, force est de
reconnaître que Hillman et Parsons ont accouché d'un genre. Leurs disciples
(avoués ou pas) trusteront pendant des années le sommet des charts (américains
d’abord, le country-rock voyageant plutôt mal hors des States, quand il
s’aseptisera dans la seconde moitié des seventies, le succès sera mondial).
Parmi les plus connus qui doivent beaucoup sinon tout à ces deux rondelles,
Crosby, Stills, Nash & Young, Poco, America, Eagles, Doobie Brothers, et
tous leurs semblables. Le courant que l’on baptisera soft-rock n'en est pas
très loin (James Taylor, Boz Scaggs, Christopher Cross, le Fleetwood Mac
« américain », …).
Les Flying Burrito Brothers ont traversé les
décennies sous divers avatars (Burrito Brothers, Burrito Deluxe, Burrito, …),
donnent encore des concerts. Sans évidemment Gram Parsons ni Chris Hillman,
partis après le disque suivant (« Burrito Deluxe »), siamois par la
qualité de ce « Gilded palace of sin », juste l’effet précurseur en
moins …