BOY GEORGE AND CULTURE CLUB - SPIN DAZZLE THE BEST OF (1992)


 Bouillon de culture ?

M’en souviens … Le dénommé George O’Dowd, plus connu sous le surnom de Boy George et à peu près Culture Club et autres avatars à lui tout seul, avait fait au temps de sa gloire la couverture de Best et Rock & Folk, avec copieux articles de fond (?) à la clef. Me souviens aussi du courrier des lecteurs avec des gens outrés que pareille chose ait place dans les colonnes de ces vénérables magazines … avec le recul, tout ça n’est pas bien grave, les gars réagissaient comme leurs parents quand ils avaient vu ou entendu Elvis, Stones et Beatles. Il y en a beaucoup qui aiment bien leurs balises, leurs repères, et leurs œillères. Le Boy George, condamné et fusillé sans même avoir été entendu … ou trop entendu … Imaginez, ce type et son pseudo-groupe ont été à la deuxième place des charts US (le premier c’était Michou Jackson avec « Thriller »).

Culture Club 1983

Ouais Boy George et Culture Club faisaient encore plus fort que T.Rex. Bolan au début des seventies recrutait l’essentiel de son public (et de son succès considérable) dans les cours de récréation des collèges (les filles entre 12 et 15 ans). Boy George, lui, faisait carrément la sortie des écoles primaires. Les gamines de 9 à 12 ans l’adoraient … et tant que j’en suis à me souvenir, les préposés aux concerts relataient la foule de parents se pressant devant les endroits où il se produisait, attendant la sortie de leurs chères têtes blondes, il y avait encore plus de monde à l’extérieur qu’à l’intérieur de salles hystériques, forcément hystériques …

On pourrait ergoter pendant des heures pour savoir comment on a bien pu en arriver là, comment on a pu passer en tout juste une décennie de « Exile on Main St » à « Colour by numbers » … On va s’en tenir à Boy George … Qui était avant même d’avoir mis les pieds en studio une figure de la nuit londonienne. Tous les témoignages de ses contemporains sont formels, avant d’être célèbre, il avait déjà ce look totalement improbable à base de pantalons et longues tuniques bouffantes, dreadlocks multicolores et chapeau de rabbin. Sans oublier les tonnes de maquillage sur le museau. Autant dire que même dans le contexte « branché » (post-punk et nouveaux romantiques, tout dans le look et pas grand-chose pour les oreilles) de l’époque il passait pas inaperçu. Il « démarre » dans le music-business sous l’égide de l’escroc en chef Malcolm McLaren (inventeur, manager et communiquant des Sex Pistols) par un rôle-éclair de choriste dans Bow Wow Wow. Pseudo groupe monté de toutes pièces par McLaren autour d’une nymphette anglo-asiatique (Annabella Lwin), vendu comme du « rock tribal » (le « groupe » essayait de refaire le gag du « I want candy » des Strangelove, pseudo-peuplade primitive enregistrant du rock, en fait une blague de requins de studio à la fin des 60’s, où l’on retrouvait Richard Gottherer, futur producteur des premiers Blondie). Les Bow Wow Wow ont fait parler d’eux avec leur premier disque, dont la pochette pastichait « Le déjeuner sur l’herbe » de Manet, avec l’Annabella à poil au milieu de ses « musiciens ». Seul problème, elle avait quatorze ou quinze ans, donc gros scandale, donc mission accomplie pour McLaren …

Boy George 1988

Boy George n’est déjà plus de ce naufrage, il a monté Culture Club avec son copain de l’époque et deux autres zozos. Signé à cause de son look par Virgin, qui balance quelques singles sans conviction. Les deux premiers sont des bides, le troisième s’appelle « Do you really want to hurt me ». C’est un truc commencé quasi a capella, sur une base bien policée de reggae et de soul. Tout ce que la planète compte de stations de radio va diffuser ce morceau en boucle, qui est, il faut le reconnaître, le genre de scie imparable qui peut plaire à un maximum de personnes. Le George a un atout maître, occulté par son androgynie et son look extravagant : il chante juste (chose pas forcément courante à l’époque), avec une voix aussi à l’aise dans des sonorités graves que très douces. Et un vibrato dont il ne se sert pas pour bêler, comme le premier Julien Clerc ou Véronique Sanson de passage … La première comparaison vocale qui me vient à l’esprit, c’est – excusez du peu – Sam Cooke. Boosté par le single, le premier 33 T (très dispensable) se vendra par camions, d’autres singles seront extraits. La suite, l’album « Colour by numbers » sera meilleur, contenant le meilleur titre de Culture Club, « Church of the poison mind » (un beat Tamla-Stax, une partie d’harmonica, des chœurs féminins très soul).

La suite sera une chute vertigineuse. Quelques rondelles de plus en plus mauvaises, des singles qui se vendent beaucoup moins, et la dissolution du groupe. Ceci pour le côté musical de l’affaire. Parce qu’en même temps, le bon George se révèlera un déglingo total, dans la lignée des Keith Richards – Johnny Thunders. Si son côté homosexuel forcené ne lui a pas causé trop de tort, de multiples descentes de flics qui repartaient de chez lui avec des quantités considérables de poudres blanches (qui ne lui servaient pas à se maquiller), lui vaudront scandales à répétition via les tabloïds anglais très friands de ce genre de faits divers. Cerise sur le space cake, les flics trouveront un jour chez lui un macchabée dans un placard, refroidi par une overdose. Case prison direct, avant qu’il soit euh … blanchi par la justice.

Jesus Loves You 1992

Entre-temps, c’est en solo qu’il continue la musique. En tant que DJ (il y a des décennies qu’il est reconnu comme une pointure du genre), et en sortant des disques solo. Sur son premier figurera ce qui est pour moi son meilleur titre, le reggae ralenti de « Everyhing I own » (ce titre est des Américains de Bread, sortes de Badfinger d’Outre-Atlantique, et la version de Boy George est calquée sur la reprise reggae qu’en avait fait le Jamaïcain Ken Boothe). Boy George nous fera ensuite sa Nina Hagen, sombrant dans le mysticisme oriental, virant bouddhiste zen, se rebaptisant Jesus Loves You (à moins que ce soit le nom de son groupe), avec le répertoire crétin qui va avec, comme tous ces types défoncés jusqu’à la moelle, qui ont vu leurs péchés et la lumière de la rédemption. Témoin sonore de cette époque « Bow down Mister », quasi-plagiat du « My sweet Lord » de George Harrison, lui-même plagiat du « He’s so fine » des oubliées Chiffons …

Ce « Spin Dazzle » de 1992 avec pochette aux motifs hindouistes de rigueur et logo Hare Krishna (il me semble qu’il est revenu de ces fadaises), relate donc en quinze morceaux le parcours du garçon George. Les quatre titres déjà cités y sont évidemment. Parmi les autres, deux ou trois sont écoutables (grâce à la voix essentiellement), comme « Miss me blind » (la ballade triste) ou « After the love » (gentille soul blanche).

Tout le reste est à jeter, ça va des follow-ups ratés de ses succès (« Time »), à des eltonjohneries bas de gamme (« To be reborn »), en passant par des comptines pour écoles maternelles (« Karma chameleon »). Et quelques-unes sont encore plus pourries par des remix d’époque (92, le règne de la house music) …

Pour desperate housewifes autour de la cinquantaine only…




CHASSOL - BIG SUN (2015)

 

Ultrascore ...

A priori, (Christophe) Chassol n’a pas grand-chose pour être my cup of tea … Le gars a passé des lustres dans des écoles de musiques, des conservatoires (en France ou aux States), a tourné avec Phoenix (bof …) ou Sébastien Tellier (re-bof …), et cite de façon ostensible Steve Reich (musique contemporaine, minimaliste et répétitive, re-re-bof …).

Le seul truc qui m’a fait jeter une oreille circonspecte sur ce « Big Sun », c’est le label. Chassol sort ses disques sur Tricatel, le label de Bertrand Burgalat, dont les productions (lui-même, mais surtout les fabuleuses rondelles d’AS Dragon ou d’April March) sont pour moi signe de qualité et d’exigence. Burgalat, malheureusement pour lui et son banquier, ne recherche pas la rentabilité par la médiocrité.


« Big Sun » est la bande-son d’un film du même nom. Que j’ai pas vu (pourquoi diable pas un package avec le Dvd et le Cd), mais c’est pas grave. Je vais essayer d’expliquer le truc. Une musique de film, ça accompagne les images, les compositeurs les plus doués étant capables de créer un thème musical qui sera le fil conducteur de la musique. Quand c’est réussi, le mélange image + son crée une ambiance, une atmosphère, et facilitent l’immersion du spectateur dans ce qu’il voit à l’écran. Et quand il y a de la musique, le son du film est relégué au second plan.

La démarche de Chassol (si j’ai bien compris à travers les notes du livret), c’est de faire de l’image et du son qui l’accompagne la matrice, la base même de la musique. En se servant de toute la technologie à disposition. Un exemple, si l’on voit et entend un oiseau en train de chanter, le chant de l’oiseau va être échantillonné, rejoué au synthé et servir de structure mélodique ou rythmique à la musique qui va accompagner l’image et le son (par exemple les titres « Birds 1 & 2 » et « Pipornithology 1 & 2 » sur ce disque). Cette façon de composer la musique d’un film, Chassol l’a baptisée ultrascore.

Burgalat et Chassol

« Big Sun » est un film documentaire tourné en Martinique, département d’origine de son père Eugène (saxophoniste, et mort avec sa femme lors d’un crash aérien en 2005). Une camerawoman (Marie-France Barrier) et un preneur de son (Johann Levasseur) se sont baladés dans l’île, ont filmé la nature et les gens. Et à partir de la bande-son, Chassol a mis en musique les images. Le disque est divisé en trois parties, une heure dix et vingt-sept titres. Parmi ces titres, nombreux sont ceux qui découlent d’une même approche, d’un même thème, d’une même phrase musicale.

Grosso modo, la première partie est « naturelle » (des oiseaux, un joueur de flûte), la seconde à base de voix (phonatoire dit Chassol), qu’il s’agisse de joueurs de dominos, de poètes, griots, chanteurs ou rappeurs locaux, et la troisième sur des traditions ou figures étonnantes locales (un carnaval, un type bizarre en treillis avec un masque de gorille, celui que l’on voit sur la pochette et porté par – je suppose – Chassol).

Chassol dans sa période Hendrix ...

Le résultat est quand même assez déroutant. Il semble évident que Chassol a atteint son objectif. L’écoute et le seul intitulé des morceaux permettent de « voir » de quoi il doit retourner sur les images. Le résultat (malgré son côté parfois « étrange »), au vu du background et des références de Chassol est plutôt accessible. Chassol fait parfois tout tout seul (il joue de la basse et des claviers), d’autres fois il accompagne les gens rencontrés seul ou avec un groupe (certains titres enregistrés en studio par de vrais gens, dont Burgalat). Assez étonnamment, des choses sans trop d’intérêt telles quelles (le joueur de flûte, ceux de domino, les artistes locaux qui peinent à se souvenir de leurs textes et sont souvent pour ne pas dire toujours à la limite de la justesse, …) se retrouvent bonifiées une fois que Chassol est passé par là. Rendre supportables les pénibles trompettes en plastoc (les « fameuses » vuvuzellas héritées de la Coupe du monde de foot 1990 de sinistre mémoire), ou les rythmes de batucada ou de samba sans que cela sonne comme l’animation de fin d’année à l’EHPAD du coin, est quasi un exploit en soi.

Parmi ceux que je qualifierai de réussis, je citerai « Birds » et « Pipornithology » évoqués plus haut, les variations de « Dominos » (la voix des joueurs sert de mélodie, le cliquetis des dominos de rythmique, le tout samplé et trituré sur quatre titres, qui s’éloignent de plus en plus du son d’origine), « Sissido » (un rap à l’envers, l’accompagnement vient se rajouter sur la voix et non pas l’inverse comme c’est toujours le cas dans le rap), « Samak » (même principe, une sorte de griot déclamant finit par ressembler à du krautrock des années 70). Pièce de choix : « Reich et Darwin » (Reich, pas le 3ème, le Steve, mais l’intitulé du morceau est ambigu, à coup sûr volontairement), titre qui part d’une structure minimale pour évoluer dans orchestrations plus alambiquées, le thème minimaliste restant toujours en filigrane. Si je voulais faire mon malin musicologue, je dirais que c’est un peu le principe du jazz modal, sauf que je sais pas ce que c’est que le jazz, qu’il soit modal ou pas …

« Big Sun », c’est moins problématique pour mes oreilles que ce à quoi je m’attendais, mais c’est pas pour autant que ça va devenir un de mes disques de chevet …


PREFAB SPROUT - FROM LANGLEY PARK TO MEMPHIS (1988)

 

Le rêve américain ...

Langley Park est un petit bled à côté de Durham, pas très loin de Newcastle, Nord de l’Angleterre. C’est dire si c’est pas vraiment un coin sexy. Les frangins McAloon y sont nés, et c’est là qu’ils y ont fondé un des groupes au nom le plus problématique qui soit, Prefab Sprout (Le Bourgeon Préfabriqué), un patronyme lui aussi pas glamour pour deux sous…

Prefab Sprout, ça fait partie des noms que se refilent en douce quelques conspirateurs, maniaques de chansons pop bien torchées. Ici, dans la riante Gaule, un seul de leurs titres a dû être diffusé trois fois à la radio. Il s’agit de « When loves break down », issu de leur précédente rondelle « Steve McQueen ». Et dans leur pays natal, on peut pas vraiment dire que ce soit des stars. Pour ne rien arranger à leur cas, ce « Steve McQueen » a dû changer de nom pour paraître aux USA, les héritiers de Josh Randall étaient prêts à dégainer les avocats, d’autant plus qu’on y voyait sur la pochette le groupe poser sur une Triumph, la même que dans « La Grande Evasion ». La Steve McQueen Family n’a pas été sympa sur le coup, parce que le disque était une déclaration d’amour à une certaine forme de way of life et de culture américaine. Démarche étonnante de la part de sujets de Sa Gracieuse (?) Majesté, généralement peu enclins à apprécier quoi que soit qui ne vienne pas de chez eux …

Paddy McAloon, Neil Conti, Wendy Smith, Martin McAloon

Pour bien se faire comprendre, les Prefab Sprout allaient remettre le couvert avec les mêmes intentions, envisageant par le disque de se transporter à Memphis, Tennessee. Pourquoi Memphis, patrie de la country et de la soul, alors que tout dans cette rondelle renvoie à la Côte Est (Brooklyn, New-York, le New Jersey) ? Seul Paddy McAloon doit connaître la réponse.

Parce que Prefab Sprout, c’est quasi une affaire familiale autour de lui (on y trouve sa fiancée, la douce et diaphane Wendy Smith à la basse, et son frangin Martin à l’autre guitare). Seul « étranger » au clan McAloon, mais là depuis les débuts, le batteur Neil Conti (qui finira une fois le groupe en stand-by très demandé, on le retrouvera à cogner derrière Mick Jagger, David Bowie, Steve Winwood, Robert Palmer, et une multitude d’autres à peine un peu moins célèbres …). Et puis, et c’est là où le bât me blesse, il y a le cinquième Prefab Sprout, leur producteur Thomas Dolby. Un sorcier des synthés et des studios, qui passe son temps à utiliser les possibilités des consoles high-tech multipistes en ce début des années 80, et est responsable sous son nom de quelques disques dont je ne dirai rien, par pure humanité …

« From Langley … » se situe chronologiquement entre « Steve McQueen » et « Jordan : The comeback » (il y en a un autre avant « Jordan … », qu’il vaut mieux passer sous silence), les deux chefs-d’œuvre du groupe. Il est aussi à mi-chemin des deux sommets au niveau sonore, entre le classicisme pop de « Steve … » et la folie baroque de « Jordan … ».

Tous les centristes de la chanson pop ouvragée vous diront donc que « From Langley … » est le meilleur des trois. Ben non … Entendons-nous bien, ce disque est excellent, mais n’atteint pas la pureté de « Steve … », ni le suicide exubérant qu’est « Jordan … ». La faute au Dolby déjà cité, responsable et coupable d’un indigeste enrobage sonore, très « moderne » peut-être en 88 (et encore …), mais irrémédiablement daté aujourd’hui avec cette énorme batterie trop en avant, ce foisonnement d’arrangements et d’effets sonores en tous genres (les horribles faux cuivres, les gargouillis de synthés, …).


Par contre, rien à dire au niveau des compositions, qui atteignent des niveaux dont seul Costello période « Imperial bedroom » et dans une moindre mesure les Pale Fountains de « Pacific Street » et les High Llamas de « Gideon Gaye » ont su s’approcher dans les 80’s. La plupart des mélodies sont écrites au piano ou au synthé, d’où leur complexité, s’inspirent des grands ancêtres de la pop certes, mais aussi du patrimoine classique européen, et évidemment vu le lièvre couru, des Gershwin, Bernstein, et autres auteurs de Tin Pan Alley ou du Brill Building (beaucoup de titres font penser à des thèmes des comédies musicales de Broadway). L’utilisation des chœurs (le frangin et la copine du Paddy) est aussi à contre-courant de ce qui s’est toujours pratiqué, ils sont ici envisagés plutôt comme répondant à la voix principale (mais pas comme dans le gospel), plutôt que venant en renfort à l’unisson sur les refrains, et sont généralement sous-mixés, leur donnant un côté lointain, vaporeux et irréel.

Assez étrangement, alors que ce disque est l’antithèse de tout ce qui se vend à l’époque en Angleterre et plus encore aux States, ce sera la plus grosse vente de Prefab Sprout de l’autre côté de l’Atlantique (sans bien entendu que ça fasse de l’ombre à Michael Jackson). L’album sera porté par le (petit) succès du single « Cars & Girls », qui comme son titre l’indique et aussi surprenant que ça puisse paraître, est un hommage à Bruce Springsteen. Et pas un hommage ironique, une déclaration de fan sincère (certainement beaucoup plus tout de même aux sujets principaux d’inspiration de ses premières années, les filles et les bagnoles, qu’à leur accompagnement musical). Ce qui confirme l’étrangeté de Paddy McAloon, on ne peut plus Anglais par sa culture et ses compositions, et qui révère les sons et genres les plus typiquement américains (Faron Young, autrement dit le Dylan style sur « Steve … », le Boss ici) qui soient. On a même droit à un titre très rock, très différent de tout le reste, qui ne dépareillerait pas dans le répertoire de Tom Petty (« The golden calf »).


Mais le cœur de « From Langley … », ça reste un hommage à la musique new-yorkaise d’avant le rock, encastrant dans les structures pop les clins d’œil à toutes ces sons qui faisaient se déplacer les foules pour voir des musicals sur Broadway, une certaine forme de divertissement qui n’existait quasiment plus lorsque Paddy McAloon est né. Tous ces « Nightingales » (avec en guest un solo d’harmonica de Stevie Wonder, pas son meilleur cependant), « Enchanted » (où il est question des Capulet et des Montaigu, revisités bien sûr façon « West Side Story »), « I remember that » ou « Manhattan » (dans laquelle est évoqué Sinatra et où il y a au fin fond du mix une partie de guitare acoustique de … Pete Townshend), poursuivent la même idée reste.

Ceux qui ont lu jusque-là sont maintenant autorisés à poser la bonne question : « et le reste de la musique américaine, il en est question ? ». Pas du tout. Le titre « Knock on wood » n’est qu’un leurre (rien à voir avec le titre homonyme de Wilson Pickett) et pas le plus mémorable du disque tout comme la bluette romantique « Nancy … », voire le dernier titre de dream pop (tant au niveau des paroles que de la musique) « The Venus of the soup kitchen ». Et l’inaugural « The king of rock’n’roll » n’est pas un hommage à Elvis, mais un regard ironique sur tous ces types qui n’ont rien compris au truc et qui s’imaginent les rois du rock’n’roll. En fait, un Paddy McAloon qui fantasme sur les Etats-Unis, il n’envisage pas de faire de la Harley dans la Vallée de la Mort, si vous voyez à qui je pense…

Paddy McAloon, il conçoit le rêve américain d’une autre façon …


Des mêmes sur ce blog :

Steve McQueen 



FRANKIE GOES TO HOLLYWOOD - WELCOME TO THE PLEASURE DOME (1984)

 

Born to fun ...

Il y a des rondelles qui, le temps passant, prennent une certaine patine. Pas celle-là …

D’abord parce qu’on se retrouve en présence d’un des sons les plus typés (et pas en bien, on en recausera) des cinquante derniers siècles, et en face d’une de ces rock’n’roll swindles que l’industrie (ou plutôt le commerce) du disque est capable d’engendrer.

« Welcome … » et Frankie Goes To Hollywood sont à replacer dans un contexte, celui de la fin de la première moitié des années 80. Le rock est rayé de la carte. Son dernier emblématique représentant, The Clash, vient de subir une fin pathétique, sur fond d’embrouilles politico-musicales. Bowie avec un disque très quelconque (« Let’s dance ») rencontre un succès considérable, U2 et sa positive attitude pompière (« War ») commencent à faire parler d’eux. Voilà pour les british. De l’autre côté de l’Atlantique, Springsteen et son disque pour stades (« Born in the USA ») va rafler une mise gigantesque (et pas imméritée). Michael Jackson vient de vendre du « Thriller » par dizaines de millions, et les provocs tous azimuts (pour l’époque) de Prince ou Madonna s’apprêtent à faire tinter les tiroir-caisse. Evidemment, des bons groupes, il y en avait, mais relégués au fin fond des statistiques de vente.

Parce qu’en même temps, le « marché » du disque était en pleine effervescence. Un média (MTV) qui déjà commençait à faire et défaire les carrières à coup de matraquage de vidéo-clips s’immisçait partout. Les vinyles se vendaient à coup de millions et un nouveau support audio (le Cd) qui allait forcer des foules à racheter leurs vieux disques sous prétexte de gain qualitatif sonore se voyait prédire une expansion fulgurante … La cash machine tournait à plein régime …
FGTH : tout le monde s'éclate à la queue leu leu ...

Des deux côtés de l’Atlantique, d’obscurs zigotos dont les poubelles de l’histoire sont pleines, sortaient un single qui cartonnait et disparaissaient. Un truc éminemment rentable. Sauf qu’à pousser la logique jusqu’au bout, si on trouvait quelques clampins qui puissent sortir plusieurs morceaux au lieu d’un seul que le bon peuple s’arracherait, ce serait le jackpot assuré (les ventes de singles d’abord, puis le Cd ou le vinyle qui les contient ensuite). Et à ce jeu-là, ce sont les Anglais qui ont gagné and the winner is … Frankie Goes To Hollywood.

Qui au début des années 80 est un vague groupe à la réputation « sulfureuse » (bâillements) de Liverpool, tirant son nom d’une couverture de magazine relatant un déplacement de Sinatra, un groupe autoproclamé porte-drapeau de la gay generation locale (ce qui ne correspondait pas exactement au crooner italo-américain) … dont personne ne veut (savent pas jouer, n’ont pas de répertoire). Par hasard, une bonne fée va se pencher sur leur berceau. Cette bonne fée s’appelle Trevor Horn, il a assuré sa fortune avec les Buggles (la prémonitoire scie « Video kill the radio stars »), il passe sa vie en studio, il vient de monter un label, dont Zang Tuum Tumb (réduit à ZTT) est l’improbable patronyme. Le Horn est dans l’air du temps, à tel point que les ringards prog de Yes l’embauchent à rien de moins que l’écriture et la production. S’ensuivra « Owner of a lonely heart », carton mondial de ces nigauds que l’on croyait disparus à jamais, balayés par la vague punk … Horn est dès lors très demandé, n’est pas pour rien dans le succès des excellents débuts d’ABC (le côté commercial), mais veut signer du « difficile », ce qu’il fera avec Art of Noise et Propaganda (re-bâillements). Dans tout cela, les Frankie seront en quelque sorte sa danseuse …

Trevor Horn : FGTH  à lui seul ?

Même aujourd’hui, presque quarante ans après les faits, la réalité n’est pas vraiment établie. La version la plus favorable au groupe le fait enregistrer « Welcome … » avec quelques aides extérieures créditées dont Steve Howe de Yes, et Anne Dudley de Art Of Noise qui commence là une brillante carrière de compositrice et d’arrangeuse toutes catégories (musique et cinéma). A l’autre extrémité des potins, tout le disque a été écrit par Horn, joué par les types de Yes, seuls quelques vocaux du chanteurs Holly Johnson constituant la participation de FGTH à « son disque ».

Quoi qu’il en soit, le succès dépassera toutes les espérances. Trois singles (et leurs vidéo-clips) jugés scandaleux (le tout savamment mis en scène, mûrement réfléchi, et accompagné d’un plan marketing minutieux) affoleront les charts européens (les Ricains n’ont pas trop suivi, il faut dire que « Welcome … » n’est pas un « produit » fait pour eux).

Plus d’un quart de siècle plus tard, il en reste quoi, de tout ce bazar ?

Les Frankie ont sorti un autre album que personne n’a acheté, entraînant la débandade du « groupe ». Le chanteur Holly Johnson a sorti un disque solo qui s’est également vautré. Des années plus tard le groupe s’est bien évidemment reformé dans l’indifférence générale.

« Welcome … » est un disque m’as-tu-vu, à la production délirante, surchargée et mégalo, reprenant et amplifiant tous les pénibles tics sonores de l’époque (les grosses batteries réverbérées et compressées, les basses slappées, les voix et les chœurs pleins d’écho, les effets stéréo tourbillonnants, …). Double trente-trois tours de 14 titres plus deux intermèdes, l’un sexuel et salace, le dernier pour dire que le disque est fini (!), composé en partie de titres « maison » et d’un gros paquet de reprises. Les singles (sortis sous de multiples versions) sont bien sûr là.

Frankie Goes To War ...

« Relax » le plus successful, et accessoirement le meilleur (le groupe se permettant même de rejeter un clip filmé par Coppola himself) est une efficace scie pseudo-disco présentant pas mal de similitudes avec le « Run like hell » du Floyd encastré dans le Mur. « Two tribes » (après le sexe de « Relax », la guerre), sur un rythme frénétique (comme un brouillon de Prodigy avant l’heure) a fait surtout beaucoup causer à cause de son clip mettant en scène des sosies de Reagan et Tchernenko se foutant sur la gueule dans une arène genre combat de coqs (on est en plein retour de la Guerre Froide et des peurs de guerre nucléaire totale ente USA et URSS). Le troisième gros succès est la ballade grandiloquente « The Power of love » qui ferait passer les pires excès sonores de Queen pour les premiers disques de Leonard Cohen, et qui marquent les premiers pas d’Ann Dudley vers la gloire en y empilant des couches et des couches de cordes. Seule autre compo signée FGTH à mentionner l’insupportable titre éponyme (quasi un quart d’heure au compteur, sorte de resucée de l’assez pénible « Alan’s psychedelic breakfast » du Floyd, dans lequel le Yesman Steve Howe tartine des parties tarabiscotées de guitare acoustique … Tout le reste ne vaut pas tripette …

Pour moi, les seuls titres à vraiment sauver en plus de « Relax » sont à chercher du côté des reprises. « Ferry cross the Mersey » l’archi-rebattu hymne de Liverpool de Gerry & the Pacemakers est ici rebaptisé « Fury » et est traité façon berceuse. Amusant, court mais dispensable. « San José » est une relecture sur un rythme de bossa nova du « Do you know the way to San José » signé Hal David et Burt Bacharach, et un des classiques du répertoire de Dionne Warwick. Bonne version cool.

« War » de Barrett Strong et Norman Whitfield (un des derniers succès de la Motown par Edwin Starr, qui faisait une fois n’est pas coutume allusion à l’actualité, ici la guerre du Vietnam). Les Frankie en livrent une version à rallonge gavée de pénibles percussions tribales. Cette chanson est une des reprises fétiches de Springsteen. Dont je mentionne le nom parce que l’autre reprise de « Welcome … » (et elle a fait jaser dans les chaumières en son temps), c’est rien de moins que l’hymne seventies du Boss « Born to run ». Ben je vais vous dire, si on part du principe que la version originale est indépassable, la reprise est excellente, et la meilleure que j’aie jamais entendue de ce titre. Rythme accéléré (mais tous les breaks y sont), voix en haut des aigus, un peu comme si elle était reprise par les Wampas avec un Didier Wampas qui pour une fois chanterait pas faux … Jubilatoire, quoi qu’en aient pensé les intégristes à l’époque …

Résultat des courses : deux grands morceaux (« Relax », « Born to run »), une petite poignée d’écoutables, une très grosse moitié à jeter … allez, suivant …