Tout commence en Nouvelle-Zélande … Le pays des rugbymen
tout en noir, des Maoris tatoués (qui jouent aussi au rugby) et des millions de
moutons (qui a priori ne jouent pas au rugby). Joli pays mais un peu rude. Tout
le contraire d’un endroit où l’on verrait se développer un groupe de sunshine
pop. Eh bien c’est ce qui est arrivé avec Split Enz, co-formé par un dénommé
Tim Finn. Succès local. L’affaire prend une dimension supérieure quand le frère
cadet Neil Finn rejoint la bande. Le succès s’amplifie et gagne l’Australie à
la fin des années septante. Puis Tim se barre, les autres continuent, émigrent
en Australie, changent plusieurs fois de nom, avant de se stabiliser sous la
forme d’un trio baptisé Crowded House.
Tim & Neil Finn
Premier album éponyme et premier (petit) succès
international grâce au titre « Don’t dream is over ». Le deuxième
disque restera beaucoup plus confidentiel. Mais les deux frangins sont restés
en contact et finalement se retrouvent pour mettre en chantier une troisième
rondelle, qui sera ce « Woodface » dont il est question.
Premier point. Ne pas se laisser rebuter par la pochette,
très moche (au moins autant que celle du « Roots » de Sepultura paru
quelques années plus tard). Ne pas non plus accorder trop d’importance à
l’atypique premier titre (« Chocolate Cake »), plutôt funky et qui par
son refrain a de faux airs du « Kinky afro » des Happy Mondays, et
donc du « Voulez-vous coucher avec moi ce soir » de Patti Labelle et
de son Lady Marmalade. De près ou de loin, Crowded House n’a rien de funky,
même si ce « Chocolate cake » est plutôt plaisant.
Non, on se refait pas, les Finn Brothers et leurs deux
potes sont irrémédiablement marqués par la pop, et tant qu’à faire celle des
plus grands, celle de ces p’tits gars de Liverpool des années 60, qui
s’appelaient, euh comment déjà, ça me reviendra …
Crowded House 1991
On est avec « Woodface » dans le classicisme
absolu, trois minutes, des mélodies, des couplets, des refrains, des ponts, et
des harmonies vocales (tous les quatre donnent de la voix, mais le chant lead
est le plus souvent assuré par les deux frangins à l’unisson, école Everly
Brothers). Il y a quatorze titres dans « Woodface » (plus un caché,
on en recausera). Deux ou trois auraient pu être zappés, parce qu’ils manquent de
punch mélodique (« Whispers and moans », « She goes on »),
ou parce qu’ils ont laissé le batteur écrire un titre (« Italian plastic »),
ce qui n’était pas une bonne idée …
Les Crowded House excellent dans un genre tout
particulier, la ballade mid-tempo. Et là, ils se contentent pas de bien faire,
ils torchent de petites merveilles. La plus connue (au moins en Gaule), elle
passait en radio, c’est « Fall at your feet », et ça ressemble à ce
qu’a fait de mieux Sir McCartney avec ses Wings, du côté de « Band on the
run ». Même similitude qualitative avec « Four seasons in a week ».
La meilleure du lot, c’est le dernier titre « How will you go »,
c’est juste parfait. A noter qu’à la fin du titre, après une minute de silence,
on a un court machin hurlant (les guitares, les voix) sur un tempo très Black Sabbath,
le genre de gag totalement inutile …
Quelques autres ballades sont dans la même veine, bien
qu’un ton en dessous (« It’s only natural », « As sure as I
am »). Bon, avant de l’oublier, il convient de citer le cinquième membre
officieux de Crowded House (il a jusque là produit tous leurs disques), le
sieur Mitchell Froom, qui sera un des tout grands rats de studio des années 90 et
qui a déjà sur son CV des gens comme Roy Orbison (pour son ultime et excellent
« Mystery girl »), ou… tiens,
comme c’est bizarre … McCartney (pour le dispensable « Flowers in the
dirt »). Froom concocte ici un son basique, « boisé », sans artifices
superflus. Et quand par hasard, il se hasarde à surcharger quelque peu, ça
passe beaucoup moins bien (« All I ask » avec ses violons too much,
comme de l’Elvis Costello des mauvais jours).
Tiens l’Elvis anglais. Quand chez Crowded House, le rythme
s’accélère (« Woodface », bien que dominé par les ballades et les
mid-tempos, n’est pas un machin soporifique), on pense au Costello des
seventies, ou à son équivalant-rival Joe Jackson (le plutôt rock « Tall
trees »). Une petite escapade sur les terres cultivées par R.E.M alors en
pleine gloire (« Weather with you ») est là pour faire un clin d’œil
aux amateurs d’indie-rock, et quelques riffs de guitare bien sentis de ci de là
entraînent quelques titres vers le rock FM, ou middle of the road, ou tout ce
que vous voulez.
Grâce à la qualité des compositions et de la production
intemporelles, « Woodface » supporte ma foi plus que bien l’épreuve
des décennies. C’est pas un chef-d’œuvre absolu, juste une belle réalisation
d’artisans de la pop à leur meilleur niveau. Parce que ce soit ensemble ou
séparément, dans Crowded House ou pas, les frangins Finn, s’ils resteront
toujours de bons trousseurs de mélodies, ne retrouveront jamais la qualité de
de « Woodface ».
Ouais, on va pas y passer la nuit. Venons-en directement
aux (mé)faits. Travis donc, groupe de quatre types écossais, débuts au milieu
des années 90. Pour situer, ceux qui comptent dans la perfide Albion s’appellent
Blur et Oasis, et ceux qui vont compter Coldplay et Radiohead. Les deux
premiers donnent dans le rock, les deux autres non.
C’est pourtant en singeant de façon éhontée les bandes à
Chris Martin et Thom Yorke que Travis va faire son beurre. « The Man Who »
s’est vendu à des millions d’exemplaires chez les rosbifs, et le groupe est
resté à peu près inconnu dans le reste du monde. Ça arrive, on a bien Johnny
Hallyday et chez les Ricains Billy Ray Cyrus (le père de la Miley du même nom),
énormes vendeurs chez eux et qui ne s’exportent pas. Essentiellement parce que
trop typiques de leur pays.
Les Travis, on peut pas dire qu’ils soient typiques de l’Ecosse
ou de l’Angleterre, c’est pas les Kinks des années nonante, on en est loin ...
Que leur disque ait pu marcher quelque part relève pour moi du prodige, tant il
est d’une fadeur affligeante. Pour faire simple, on dira que c’est du Coldplay
des débuts avec le producteur de Radiohead. Oui, le sieur Nigel Godrich himself
est aux manettes de « The Man Who ». Ils ont bien fait de l’écrire
sur les notes de pochette, parce que ça s’entend pas trop. Comme quoi, un
producteur aussi doué soit-il, s’il a pas face à lui des types qui ont des
idées, il imprime pas sa marque …
Faut dire que dans le genre, les Travis font assez fort.
Dix titres (plus un caché) construits de la même façon. De la ballade mid-tempo
sur fond d’arpèges de guitare, des constructions mélodiques rachitiques, des
refrains soporifiques, et un type au micro dont je veux même pas savoir le nom
qui chante tous les titres exactement de la même façon, voix feignasse,
linéaire et voilée.
Et quand l’inspiration manque, on va exhumer des grilles
d’accord de « Bonnie & Clyde » (Gainsbourg et Bardot) sur l’introductif
« Writing to reach you » ou de celles du Lennon de « Jealous guy »
(sur « As you are »). Quatre singles furent extraits de cette
rondelle et se comportèrent honorablement dans les charts (anglais only). Coup
de bol, il y a dans le lot les deux meilleurs titres, « Why does it always
rain on me ? », agréable mid-tempo avec une fois n’est pas coutume
une jolie mélodie, et « Driftwood », point trop moche réminiscence du
REM période « Out of time – Automatic for the people ». Les autres
morceaux, interchangeables mièvreries inconsistantes, on peut les zapper.
Ce « The Man Who » on le trouve facilement d’occase pour
le prix port compris d’un demi. Ô joie, la version que j’ai pécho comprend sur
un Cd bonus trois titres live (deux at home à Glasgow, un sur une radio ou une
télé italienne). Believe me, c’est encore plus mauvais que sur disque (on
entend pas le batteur à Glasgow, ça semble unplugged), à tel point que la meilleure
performance est d’assez loin celle du présentateur italien, qui semble
surexcité à l’idée d’annoncer Travis. Y’a vraiment pas de quoi …
Aujourd’hui le rap est mort. Comme le rock, la pop,
le blues, le funk, le reggae, l’électro … Ou tout ce que vous voulez qui sort
d’une enceinte (c’est quoi ça, une enceinte, demande le gamin du 21ème
siècle, ses airpods dans les esgourdes crachotant une saloperie sonore en
playlist sur Spotify). Aujourd’hui, on a des sortes de moines copistes sonores qui retranscrivent à grand-peine (merci Autotune) à grands coups de sons
métallisés (merci le vocoder), ce qui se faisait avant (parce que c’était mieux
avant, ou moins mauvais). Et plus t’as de disques (c’est quoi ça un disque,
demande le gamin du dessus), plus tu t’aperçois que les plus récents tu les as
déjà entendus depuis des décennies. Et je parle pas des reprises (c’est quoi ça
une reprise … ‘tain, tu vas nous lâcher toi).
Donc rap is dead … de sa belle mort il y a un quart
de siècle. L’assassin involontaire : Eminem dont deux ou trois disques
(excellents, c’est pas le propos) l’ont fait rentrer dans le mainstream grâce à
un invraisemblable paradoxe, le rap, ce genre issu des quartiers paupérisés
Noirs de New York, venait d’accoucher de sa plus grande star, un minot white
trash de Detroit. Blanc donc. La boucle était bouclée, la récupération à toutes
les sauces en marche. Sommet (en attendant mieux ?), le quinqua Snoop Dog
(celui-là même qui avait scandalisé l’Amérique du milieu des 90’s avec son
gangsta-rap jazzy et porno), supporter number one des Ricains aux J.O. de Paris
et premier MC des J.O. de Los Angeles. Le serial niqueur fumeur de ganja
applaudissant sans discontinuer des couillons de sportifs, et vantant les
immenses mérites de Trump … Comme quoi l’herbe à fortes doses peut causer des
dommages cérébraux irréparables …
Revenons-en au sieur Ice-T. Né dans le New Jersey,
orphelin très jeune, déménagé vers L.A., ado délinquant, militaire délinquant,
puis délinquant professionnel (assez malin pour éviter les flagrants délits).
Avec en fonds sonores les débuts du rap. Même s’ils sont plusieurs à
revendiquer le titre, il est à la fin des 80’s un des instigateurs majeurs du
gangsta-rap, et un des très rares à ne pas avoir eu besoin de s’inventer un
passé « glorieux ».
Alors que la plupart de ses potes finissent en
taule, il laisse tomber les braquages pour se consacrer à plein temps au rap,
rassemblant des gens autour de lui (le Rhyme $yndicate, qui deviendra le nom de
son label, distribué par le gros indé Sire Records).
Il y a deux portes d’entrée à la reconnaissance dans
le rap. Soit avoir des textes forts, soit un son qui déchire tout. Quand tu
réussis sur ces deux tableaux, soit tu t’appelles Public Enemy, soit NWA (liste
close). Ice-T il a plein de choses à dire. Mais ses disques sont chiants. Des
titres monolithiques, plutôt secs et austères, avec quelques samples discrets
de sons vaguement jazzy ou funky en constituent l’essentiel. Et puis, ça finit
jamais, rondelles témoins sonores d’une époque où le Cd régnait en maître et où
le rappeur qui sortait des disques de moins d’une heure passait pour une grosse
feignasse. Alors on a droit à des intermèdes-interludes dispensables et parmi
les « vrais » titres, on choisit le remplissage plutôt que l’élagage.
J’ai écouté une poignée de disques de l’Ice-T et ce
« Original Gangster » me semble le plus abouti du lot. Que quelqu’un
de peu accro au genre balancera par la fenêtre au bout de dix minutes, c’est
pas destiné au « grand public », c’est trop brut de décoffrage.
Quelques titres ressortent du lot, dont « New Jack Hustler » qui est
un de ses plus gros hits (une des rythmiques les plus trépidantes de la
rondelle, le plus « fini, travaillé » avec ses arrangements jazzy).
Dans le même registre (samples jazz, avant que le procédé devienne
systématique, les débuts du rap piochant essentiellement dans le funk en
général et James Brown en particulier) on peut citer « Mic
contract », « Bitches 2 » (rien que le titre montre que le rap
des débuts, voire de toujours, n’était pas vraiment inclusif). Côté funky,
mérite la citation le groovy « Pulse of the rhyme ».
Ce qui sauve artistiquement Ice-T d’une façon
générale et sur ce disque en particulier, c’est son ouverture d’esprit et/ou
musicale. Le vrai dur de dur se permet de rimer sur une thématique peu en
vogue, l’appel au calme, à l’apaisement, dans une époque où à L.A. deux
maxi-gangs rivaux les Bloods et les Crips faisaient donner l’artillerie
(souvent lourde) pour régler leurs différends (oubliez les rafales de kalach
marseillaises d’aujourd’hui, au début des 90’s dans les quartiers chauds de Los
Angeles, c’est toutes nuits qu’il y avait des morts). Le morceau manifeste
d’Ice-T sur le sujet c’est « Escape from the killing fields », appel
à ranger les flingues plutôt que de se livrer à des règlements de compte sans
fin ultramédiatisés par un système qui se fout bien que de jeunes minots y
laissent la peau, tant que ça fait vendre du papier ou que ça rapporte des
points d’audimat. Très loin des provocations et des appels aux règlements de
comptes qui feront dans la décennie momentanément la fortune de quelques-uns (2Pac,
Notorious Big) avant de faire celle des sociétés de pompes funèbres. Par cet
aspect-là, le propos d’Ice-T est assez similaire de celui d’un Bernie Bonvoisin
lors des débuts de Trust (avant qu’il devienne fan de François Bayrou). Il se
comporte en grand frère, en mec qui a donné, et qui prône la réflexion avant
l’action …
Ice-T & Body Count
Autre originalité de Ice-T, l’ouverture musicale.
Alors que le rappeur de base est généralement un égocentrique obtus (j’écoute
que du rap, et tous les autres rappeurs sont nuls), Ice-T ouvre grand ses
oreilles. Il a entendu les Beastie Boys et leurs samples de grosses guitares
zeppeliniennes. Et le coup des guitares en avant Ice-T va le tenter sur deux
titres, « Mind over matter » et « Midnight ». Rien
cependant à côté du titre « Body Count ». Derrière il y a tout un
concept, défini (lors d’une interview ?) en intro. Le rap c’est la musique
des déclassés blacks, le heavy metal hard rock celle des déclassés blancs, et
bien moi Ice T je vais jeter une passerelle entre les deux genres. « Body
Count », c’est des vrais instruments (guitares, basse, batterie) qui
envoient salement le bois. Tempo metal, solo bluesy, et l’Ice T qui rappe
par-dessus. Démarche assez rare (des Noirs qui jouent de la musique de Blancs,
c’est le contraire qui est le plus souvent de mise), esquissée par les Bad
Brains au début de la décennie, voisine de celle de Living Colour (hard
hendrixien jazzy), et beaucoup plus radicale que l’intégrale des Red Hot Chili
Peppers. Descendants directs de « Body Count », Rage Against The
Machine. A noter que Ice T poussera le bouchon encore plus loin, montant
l’année suivante le groupe de heavy rock uniquement composé de Noirs (Body
Count forcément) auteur d’un morceau à l’origine d’une des plus grosses
polémiques musicales des 90’s, le brûlot sonore « Cop Killer » (tout
est dans le titre).
Bien que ça n’ait pas grand-chose à voir avec la
musique, signalons que Ice T diversifiera très vite ses activités, multipliant
les rôles au cinéma où dans les séries TV. (bon, c’est pas des prestations à
Oscars avec des réalisateurs de premier plan, on est d’accord …).
Si vous souffrez de TOC, et que vous vouliez
absolument une rondelle de Ice T, « O.G. Original gangster » est
celle qu’il vous faut …
Les Beloved, ils ont eu leur quart d’heure de (petite)
gloire au tout début des années 90 avec ce disque. Quelques titres avant, il me
semble un Lp ensuite, et puis plus rien ou quasiment. Et pourtant, le groupe
existe toujours. Enfin je crois. Et groupe, faut le dire vite …
En fait The Beloved, ça se résume au seul John Marsh
(tout un tas de machines à base de 0 et de 1, et … hum, chanteur), c’est le
seul permanent du groupe. Pour ce « Happiness » ils sont trois au
générique, Marsh donc, Steve Waddington (guitares et claviers), plus le
producteur Martyn Phillips. Structure assez énigmatique, on sait pas trop qui
fait quoi, et faut pas compter sur le livret pour des infos. Il y en a certes
des infos, mais écrites en caractères minuscules de façon concentrique, et
finalement totalement illisibles. Faut se contenter de ce qu’on entend, vous me
direz, un disque, c’est justement fait pour ça …
Marsh & Waddington : The Beloved
Sur « Happiness », y’a beaucoup de synthés et
de programmations. Quelques guitares aussi. Comme sur l’introductif
« Hello », qui sonne comme du Madchester (Happy Mondays). Et qui cite
dans un gloubi-boulga de name dropping des références aussi étranges mises côte
à côte que Little Richard et Willy Wonka, Fred Astaire et Salman Rushdie, Mary
Wilson et Jean-Paul Sartre, j’en passe des dizaines … Ce titre donne la
tonalité générale du disque, mid tempos moroses chantés d’une voix monocorde et
voilée. Le genre de trucs que si t’en aligne une douzaine sur une rondelle,
t’endors tout le monde.
Assez bizarrement, parce qu’on est dans un machin très
connoté (une rétrospective du son des machines des années 80 en prise avec une
nouvelle décennie qui commence), ce disque est sauvé par les mélodies. Oui, le
type Marsh (responsable de quasiment tous les titres, une paire sont coécrits
avec Waddington) sait écrire des chansons, tristement joyeuses et sombrement
lumineuses. Alors que d’après les spécialistes des Beloved, les origines du
groupe étaient sous influence New Order, ici on est plutôt dans l’école Pet
Shop Boys. Mais des Pet Shop Boys sans la démesure hédoniste, des Pet shop Boys
qui la joueraient profil bas.
Exemple type, « Time after time » (rien à voir avec
Cyndi Lauper et encore moins Miles Davis) pour moi le meilleur titre de l’album,
ritournelle basique aux multiples arrangements, un classique de la musique chillout,
quand au petit matin blême on arrête de danser comme un possédé en gobant des ecstas,
et qu’on reprend contact avec la vraie vie …
En plus de regarder dans le rétro (anglais) de la
décennie, Marsh et ses acolytes ont laissé traîner les oreilles du côté de
Detroit et de la house de Chicago. Flagrant sur des titres comme « The sun
rising » (autre petit hit) avec son piano martelé et sa vois féminine très
orientale, ou encore « Don’t you worry », un peu gâché par quelques
sons de synthés bien datés. Quelques titres sonnent comme des hommages, « Your
love takes me higher » avec intro très Frankie Goes to Hollywood avant de
s’enliser dans des couches et des couches instrumentales pas forcément
bienvenues, « I love you more » fait beaucoup penser à Depeche Mode
quand il faisait de la musique pour les masses, « Wake up soon » très
Princier (et donc un peu Curtis Mayfield aussi) le plus funky du lot avec des
guitares wah-wah, « Up up and away » renvoie à du New Order quelconque
…
Point commun à la plupart des titres, une tendance à s’étirer
(même si en moyenne ils tournent à moins de cinq minutes), quand ils auraient
gagné à être plus concis, plus catchy comme on disait en ces temps-là. Le tout
est plutôt sympa, si l’on veut bien laisser de côté une paire de titres (« Scarlet
beautiful », eurodance pas très finaude, et l’ultime « Found » dont
on a l’impression qu’il n’est là que pour remplir un peu plus la galette).
On peut se demander pourquoi ce relatif anonymat à l’époque
et pourquoi cet oubli semble t-il définitif aujourd’hui. Peut-être parce que
The Beloved était purement londonien et qu’à ce moment-là nos amis (?) anglais s’extasiaient
devant les trouvailles musicales de leurs provinces (Manchester avant Bristol
au début des 90’s). Peut-être aussi parce qu’ils se contentaient de faire de la
musique, laissant de côté tout le circus sex & drugs & rock’n’roll dans
lequel se complaisait la concurrence. Pas assez scandaleux pour l’époque ?
« Heat » est
un film comme on n’en a pas fait beaucoup et comme on n’en fera plus.
Quand il est
sorti (avant les fêtes de Noel 1995, carton commercial certifié), il réunissait
les deux plus grosses stars de l’époque, Pacino et DeNiro. Une première, même
si oui, je sais, ils avaient été à l’affiche sur « Le Parrain 2 » de
Coppola, mais l’un jouant le père de l’autre grâce à un montage tout en
flashbacks, ils n’avaient aucune scène en commun. Dans « Heat », ils
en ont une (enfin deux, avec la scène finale) au milieu du film, qui a fait
couler beaucoup d’encre et entretenu les supputations les plus folles, j’en
recauserai forcément plus bas.
Mann, Pacino & DeNiro
Mais ce n’est
pas ce tête-à-tête qui a le plus marqué les esprits. Il y a dans
« Heat » une scène de braquage suivie d’une fusillade (en tout douze
minutes) qui a scotché les spectateurs sur leurs fauteuils, fusillade à faire
passer celles de Peckinpah (dans « La horde sauvage » notamment) pour
un diner aux chandelles.
Et surtout,
parce que « Heat » est, entre autres, un film à grand spectacle,
absolument toutes les scènes sont tournées en extérieurs. Enfin, toutes sauf
une, pour des raisons visuelles. C’est la scène ou DeNiro et sa copine Eady
(Amy Brenneman) sont appuyés la nuit sur la rambarde d’une terrasse qui domine
Los Angeles. Mann explique (j’ai pas tout compris) que pour des histoires
techniques (profondeur de champ, focales, nombre d’images par seconde, …), les
acteurs avaient joué devant un rideau vert, l’immense étendue illuminée de la
ville avait été filmée du même endroit, les deux images étant ensuite
superposées au montage. Inimaginable aujourd’hui après l’affaire Alec Baldwin
que des acteurs se tirent dessus pendant dix jours (durée de la mise en boîte de
la scène de la fusillade) avec de vraies armes de guerre chargées à blanc, en
centre ville avec des dizaines de figurants et des centaines de badauds hors
champ. Inimaginable après le 11 Septembre de passer des nuits à filmer la scène
finale dans un aéroport (et pas n’importe lequel, le plus grand de L.A.), avec
des types qui jouent au chat et à la souris au milieu de vrais avions qui décollent
et atterrissent.
« Heat »
vient de loin. Du début des années 60 à Chicago. Où un flic, le chef de la
brigade criminelle de la ville, y traque le gangster number one.De tentatives ratées de flagrant délit, en
rencontre autour d’un café, où les deux se promettent un take no prisoners
s’ils se retrouvent face à face, jusqu’à un affrontement final à la sortie d’un
casse. Le truand a quarante neuf ans, dont vingt cinq passés en taule. Le flic
s’appelle Charlie Adamson, c’est devenu un pote à Michael Mann. Le truand
s’appelle Neil McCauley. Neil McCauley ? Ben oui, comme le personnage joué
par DeNiro dans le film.
Les voleurs
« Heat »
est quasiment un biopic, transposé dans le Los Angeles des années nonante. Je
devine la question du type qui suit, mais alors pourquoi le flic s’appelle
Vincent Hanna et pas Charlie Adamson ? Parce que son personnage dans
« Heat » est une compilation de trois flics qu’a côtoyés Michael
Mann. « Heat », pour Mann, c’est le film d’une vie. En pré-projet
depuis des années, il reste sa masterpiece, malgré une filmo où il n’y a pas
que de furieux navets (« Le sixième sens » « Le dernier des
Mohicans », « Collatéral », « Ali », « Miami
Vice », …). Dans « Heat », Mann produit, réalise et a écrit le
scénario, rien que ça … Et on parle pas de griffonner une histoire sur un coin
de nappe de restaurant, de sortir le chéquier, et de laisser deux stars en roue
libre jouer comme elles le sentent. La pré-production et les repérages (95
endroits ont été utilisés dans Los Angeles, certains sont quasiment devenus des
lieux de pèlerinage touristique comme le diner où a lieu la discussion
Pacino-DeNiro) ont pris des mois, Mann a passé des semaines avec le chef de la
police du LAPD (qui est présent dans une scène, c’est lui le réceptionniste de
l’hôtel où McCauley vient traquer Waingro à la fin), tout le casting a été
envoyé au contact de vrais taulards (notamment à San Quentin et Folsom, la pire
de toutes les prisons californiennes, c’est là que Mann a rencontré un dur de
dur, Eddy Bunker, devenu depuis écrivain et conférencier, et à l’origine du
personnage joué dans le film par John Voight), et entraîné au tir à balles réelles
par des instructeurs militaires (anecdote, le superviseur montrait aux bidasses
d’élite en formation le passage où en pleine baston, Val Kilmer recharge son
fusil mitrailleur, manière de montrer les bons gestes et la vitesse à
acquérir). Aussi fort, l’identification criminelle et les légistes sur la scène
du braquage du fourgon blindé sont de vrais flics spécialisés, l’infirmière aux
urgences quand la belle-fille de Hanna (la toute jeune Natalie Portman) a tenté
de se suicider est la vraie chef infirmière du service des urgences … Et la
plupart des personnages du film, s’ils n’appartiennent pas à l’histoire
initiale Adamson – McCauley sont issus de gens ayant réellement existé (les
personnages de Val Kilmer, Ashley Judd, Waingro, …). Encore plus fort (ou plus
fou), Mann pour les acteurs principaux (une bonne dizaine), a rédigé leur
biographie (d’où ils viennent, leur « palmarès », combien d’années de
taule, comment ils se sont connus, combien de mariages, de divorces, d’enfants,
etc …), ce qui sera en partie l’objet du bouquin « Heat 2 » qu’il
écrira, en même temps prequel et sequel (narrant par exemple ce qu’est devenu
Chris Shiherlis, le personnage joué par Val Kilmer) de l’histoire racontée dans
le film …
Willie Nelson ? Non, John Voight
Quand sur le
générique qui défile, on entend Moby,ce qui entre parenthèses est une partie
d’un choix musical pointu à l’époque, où le technoïde chauve vegan côtoie Brian
Eno, le Kronos Quartet, Lisa Gerrard, William Orbit…, (et parmi les petits
rôles, on a le punker hardcore Henri Rollins et le rappeur Tone-Loc…), on est
devant l’écran depuis deux heures cinquante. « Heat » est un
film-somme, et surtout pas un affrontement à réduire à celui de ses deux
acteurs principaux. Tous les seconds rôles ont leur histoire, et pas pour
meubler. « Heat » est affaire de détails. La somme de tous ces
détails, tous ces grains de sable qui à un moment viennent enrayer une
mécanique imparable (un surnom lâché par le dingue Waingro lors du premier
braquage sanglant permettra à Hanna de remonter la filière, un mouvement brusque
d’un flic en planque dans un fourgon fera avorter une opération de flagrant
délit, …).
« Heat »
fonctionne à tous les niveaux. On peut se contenter du basique, le polar
énergique où le gendarme course le voleur, si on veut aller plus loin mater le
jeu en parallèle des deux stars du générique, ou encore aller au tréfonds des
personnages secondaires. Avec un personnage principal non cité au générique, la
mégalopole de Los Angeles de tous les plans, surtout de nuit, avec des moyens
conséquents pour la filmer (trois hélicos).
Les gendarmes
L’histoire
de « Heat », c’est celle d’une bande de braqueurs
« expérimentés » multirécidivistes et multi-emprisonnés aussi. Leur
cerveau, c’est Neil McCauley, maniaque de l’organisation détaillée et qui a
construit sa vie de façon quasi philosophique par rapport à son métier. Il
habite un superbe appart, mais juste meublé avec le minimum vital, un lit, une
table, une paire de chaises, une cafetière, un frigo, parce qu’il a théorisé
son métier en fonction des risques qu’il prend (aucune relation affective, aucune
liaison féminine durable, et il se fait fort en trente secondes de tout lâcher
et fuir hors de portée des flics). Le seul pour qui il témoigne un peu
d’affection, est le plus jeune de la bande (excellement joué par Val Kilmer,
plus crédible là qu’en chanteur des Doors), dont il essaye tant bien que mal de
sauver le couple (Ashley Judd joue sa femme, ils ont un bambin) plus ou moins à
la dérive (ils s’engueulent souvent, elle a des amants). Manque de bol, un de
la bande se retrouve en fauteuil roulant au moment de faire un gros coup (le
braquage de titres au porteur dans un convoi de fonds), et un fêlé impulsif
(Waingro) est recruté au pied-levé. Le nouvel arrivant de la bande ne va rien
trouver de mieux que de buter sans raison un convoyeur, entraînant un carnage
(deux autres morts). Ce sont ces trois macchabées qui vont faire que le chef de
la brigade criminelle, l’inspecteur Vincent Hanna va se retrouver sur
l’affaire. Dès lors, il va tout mettre en œuvre pour retrouver la bande de
braqueurs et la mettre hors d’état de nuire, aidé malgré eux par le
narcotrafiquant à qui on a piqué les titres au porteur et le taré suprématiste
Waingro (là, faut avoir l’œil, on l’aperçoit bedaine à l’air dans une chambre
d’hôtel, il a parmi de nombreux tatouages une croix gammée sur le nombril,
quand je vous disais que Mann est un maniaque …).
Waingro
« Heat »,
en plus de proposer une traque flic-délinquant classique, va se centrer sur les
personnalités du flic et du braqueur. Là où dans l’immense majorité des films
la vie personnelle des protagonistes ne sert qu’à remplir des bobines entre deux
scènes d’action, elle est ici le cœur de l’histoire. McCauley va tomber
amoureux d’une provinciale venue bosser dans une bibliothèque où il se rend
souvent, s’informant en permanence des dernières nouveautés en matière
d’explosifs, de métaux, etc … Dès lors, le solitaire va se retrouver
« attaché » et la rigueur de son raisonnement va s’en trouver
affecté. De son côté Hanna en est à son troisième mariage (sa femme aussi) et
il doit gérer sa belle-fille, une gamine à tendance dépressive, déboussolée par
le mode de vie du couple.
A première
vue, dans « Heat », DeNiro et Pacino, c’est le ying et le yang, l’un
est d’une austérité rigide, l’autre un excité impulsif fonctionnant à
l’instinct (l’interrogatoire des indics, l’extraordinaire scène quand rentrant
chez lui à pas d’heure il trouve l’amant de sa femme affalé sur le canapé et
matant « sa » télé). DeNiro est sobre comme rarement, ce qui en soi
est un exploit et Pacino crève par contraste l’écran. Ce n’est suggéré nulle
part dans le film, mais quand il a lu le script et « visionné » son
personnage, il est allé trouver Mann et lui a dit que Hanna serait le plus
souvent sous coke. En fait, McCauley et Hanna fonctionnent de la même façon,
avec un professionnalisme à toute épreuve et des principes stricts. Ce que l’on
voit lors de la fameuse scène où ils prennent un café ensemble. On a beaucoup
écrit sur cette scène. Invraisemblable, oui, mais elle a réellement eu lieu
dans l’histoire originelle à Chicago, à peu près dans les mêmes conditions et
les mêmes termes. Certains (qui n’ont pas compris grand-chose aux personnages)
ont même dit qu’elle avait été rajoutée in extremis, Mann voulant un dialogue
entre les deux stars, le premier de leur carrière face caméra. Ridicule, cette
scène est le cœur du film, explique ce qui précède et ce qui va suivre. Une
autre rumeur a été plus insistante et plus plausible. Durant tout le dialogue,
il y a deux caméras, une derrière chaque acteur, et on n’a que des champs –
contre-champs, beaucoup en ont déduit que pour des raisons mystérieuses, Pacino
et DeNiro n’avaient pas joué ensemble. Faux, il y avait une troisième caméra
qui les prenait ensemble de profil, mais au montage, Mann a décidé de ne pas
utiliser ces images. De nombreuses photos en témoignent, il y en avait plein le
mur du (vrai) restau où la scène a été tournée, les gens réservant la mythique
table des semaines à l’avance, et conséquence qu’ils ne prévoyaient pas,
passaient tout le repas à se faire photographier par les autres clients … A
noter que Mann, Pacino et DeNiro, d’un commun accord, ont décidé de ne pas
répéter la scène, l’essentiel de ce qui a été monté venant de la onzième prise
(selon les différents participants, treize, dix-huit ou dix-neuf prises
auraient été mises en boîte).
DeNiro & Kilmer
« Heat »
est sorti en 1995. Sacré millésime pour les polars, puisque sont sortis la même
« Usual suspects », « Casino » et « Seven ». Rien
que ça …
Je conseille
la version 2 Blu-ray du film, qui présente of course des heures de suppléments
bien utiles pour écrire cette chronique, avec notamment à l’occasion du
vingtième anniversaire de la sortie du film, une discussion réunissant Mann,
DeNiro et Pacino animée par Christopher Nolan. C’est pas la partie des bonus la
plus intéressante par les propos, mais avouez que c’est un sacré casting autour
de la table …
Une dernière
anecdote qui montre à quel point ce film est mythique et rentré dans la culture
populaire. Dans la villa sur immenses pilotis où se fait tabasser et laisser
pour mort par Waingro et les hommes de main du narcotrafiquant le chicano
chauffeur de la bande de braqueurs, McCauley-DeNiro retrouve son pote baignant
dans une mare de sang. La villa avait été mise en vente et louée pour tourner
la scène. Faut croire que les petites mains de l’équipe étaient moins
méticuleuses que Mann, quand les nouveaux propriétaires sont arrivés (l’agent
immobilier les ayant évidemment avertis qu’elle avait servi au tournage du
film, ce qui constituait un sacré argument commercial) ils ont retrouvé sur le
parquet la tache de faux sang très mal nettoyée. Cette tache est maintenant
planquée sous un tapis et conservée comme une relique …
Tonton David, son vrai blaze c’est Ray David
Grammont. Ça commence mal, c’est con, je trouve que son nom est mieux que son
pseudo …
Réunionnais de naissance et donc immigré en région
parisienne (oui, je sais, La Réunion c’est en France, c’est la façon dont tu es
perçu en métropole qui compte), une biographie (falsifiée, exagérée ?) de
petit délinquant avec case zonzon, et une « expatriation » en père de
famille déjà nombreuse vers la riante cité de Metz (cercle polaire septentrional)
… Bon, je pourrais continuer dans cette veine là, mais c’est trop facile,
malheureusement pour lui, il est plus là pour répondre, et puis, ce qui me gave
chez lui, c’est pas le personnage (publiquement au demeurant assez sympathique),
c’est la musique qu’il a fait.
Le Tonton, il vient du reggae. Enfin, le reggae des
années 80 … Pause et petit rappel des faits. Le reggae, ça vient du ska, du
rocksteady et de la Jamaïque des années 60. Bob Marley en fera un genre musical
universel quand il deviendra une star planétaire au milieu des années 70. Trop
tard pour les pseudo rastas de circonstance, musicalement le genre est
moribond, les meilleurs titres et disques (y compris ceux de Marley) datent
tous d’avant 74-75. Et quand Marley claquera en 81, personne ne reprendra
l’affaire reggae en main. Les contemporains et possibles héritiers ne manquent
pas, mais aucun n’atteindra l’universalité de Saint Jah Bob … Quant à la
nouvelle génération, ces gamins jamaïcains nés dans les années 60, ils vont
remplacer les musiciens par des machines, la structure rythmique deviendra
beaucoup plus sèche et répétitive, le phrasé beaucoup plus scandé (reprenant
les choses là où les avaient laissé les toasters des sound-systems jamaïcains
des 60’s). On appellera ça le dancehall, avec deux courants : le slackness
(ancêtre du gangsta-rap américain, le bad boy ou prétendu tel serial lover) et
le raggamuffin (ceux qui causent accessoirement d’autre chose). A peu près la
même chose se retrouvera aux States, où l’on parlera de rap. Quand le rap
explosera commercialement au niveau mondial (Public Enemy et d’autres dans la
seconde moitié des 80’s), les répliques se feront sentir partout, y compris dans
notre chère Gaule. Quelques émissions de télé rétrospectivement assez risibles assureront
l’implémentation du genre dans les oreilles de toute une génération issue de ce
que l’on appelait les banlieues. Et quelques-uns passeront de l’écoute à la
pratique sous le regard au mieux condescendant des maisons de disques. Une
seule, Virgin, fondée par l’ancien hippie mais vrai affairiste Richard Branson,
par le truchement du sous-label Labelle Noir, publiera en 1990 une compilation
qui va se révéler fondatrice, « Rapattitude », où l’on retrouvera
quelques seconds couteaux en devenir du rap, Assassin, Saï Saï, et les futures
stars NTM. Parmi la dizaine de titres, une rengaine très mélodique sur fond de
raggamuffin, « Peuples du monde » signée Tonton David. Premier vrai
succès (radios, télés, charts) du rap français au sens large (après l’étonnant
et improbable « Chacun fait ce qui lui plaît » de Chagrin d’Amour).
Virgin battra le fer tant qu’il était chaud, et Tonton David se verra poussé en
studio pour enregistrer un disque. Pour la petite histoire c’est Polydor qui
sortira en 90 le premier album de rap à succès, « Qui sème le vent récolte
le tempo » du plutôt brillant MC Solaar.
Des succès, l’Oncle David en aura, mais sous forme
de singles, par contre il ne sera jamais un vendeur d’albums.« Le blues des racailles » sera son
premier 33T et un bide assez retentissant, et ce bien qu’il contienne en
dernière piste « Peuples du monde » (le 45T est beaucoup plus facile
à trouver aujourd’hui d’occase que l’album original).
Pourtant Tonton David se situe à la croisée des
chemins rap et raggamuffin, y’avait de quoi ratisser large. Même si la bande
tricolore (vert, rouge et jaune) de la pochette est le signe de ralliement de
tous les reggaemen, on sent l’envie forcenée de coller à l’air du temps.
Problème, à l’heure où le rap américain reposait sur un gros travail de studio,
« Le blues des racailles » sonne cheap, bâclé. Des structures
rythmiques maigrichonnes, des boucles minimalistes, et à contre-courant des
standards internationaux, le gros des efforts est dirigé sur l’architecture
mélodique et le soin apporté au refrain par le renfort d’un chœur féminin (à la
I Threes de Marley) présent sur de nombreux titres. Et puis, y’a un autre
souci. Le rap ou le raggamuffin sont affaire de tchatche (le flow disent les
connaisseurs), et de plus en plus à l’époque, de textes. Ici, ça vire souvent à
la cata. Oncle David arrive pas à coller vocalement sur des tempos qui se
doivent d’être rapides, sa diction est pas bonne du tout, son accent ultramarin
qu’il a pas réussi à perdre lui fait bouffer la moitié des mots et des pans
entiers de phrases sont incompréhensibles. Et les thèmes abordés restent
gentiment centristes, convenus. On est loin de la dentelle verbale travaillée
d’un MC Solaar, et des punchlines balancées par les rappeurs américains et que
sont en train de mettre en place dans leurs caves NTM ou IAM et l’émergence de
ces deux-là renverra Tonton David au rang d’amuseur cool, que viendra lui
contester au milieu des 90’s le risible et futur sarkozyste Doc Gyneco.
On sent dans « Le blues des racailles »
que toutes les « figures imposées » du rap ou du raggamuffin sont
traités de façon superficielle. Le côté bad boy sur l’introductif
(bidonné ?) « Mon CV », le « sauvetage » grâce à la
musique (« A qui la faute »), le machisme « gentil » (« Les
jeunes filles vont nous tuer »), l’auto-glorification
(« Tonto »), les flics (« Ils ont appelé la police pour
moi »), la réussite financière (« CA$H »).
Deux titres posent problème (mais comme personne a
dû les écouter, ça n’a pas fait de vagues, de scandales, ou de buzz). « Je
parle à toi » avec au milieu d’une litanie de clichés à tendance
communautariste une au moins maladroite sinon débile référence à « un
accroissement inexorable de l’homosexualité ». Quant à « Pretoria »
sur la situation d’apartheid en Afrique du Sud, on est loin de la qualité de
« Biko » de Peter Gabriel, des albums « Graceland » de Paul
Simon ou « Survival » de Marley, et à propos de Marley le citer à la
fin du titre pour prédire une guerre civile, est une dénaturation et une
réécriture totale des prises de position de Saint Bob …
Au final, il en reste quoi à sauver de ce
disque ? Pas grand-chose. Allez, en ratissant large, j’en sauve trois (sur
quinze). Le morceau-titre, plutôt basé piano et guitares (bien discrètes) que machines,
« CA$H », un des plus élaborés musicalement, avec ajout de chœurs féminins
et de cuivres, et le gentil hit « Peuples du monde ».
Ce hit qui suffira au Tonton pour devenir quelqu’un
qui compte, d’autant plus qu’il réussira à sortir d’autres hits encore plus
niais, notamment « Chacun sa route » épaulé (?) par Manu Katché
et Geoffrey Oryema (la B.O. du sans intérêt « Un Indien dans la ville »),
qu’on le verra dans des émissions prime time, image lisse et souriante d’une
musique et d’une génération qui ne l’étaient pas vraiment par ailleurs. Ses petits
succès dans les 90’s ne lui feront pas prendre la grosse tête mais plein de
kilos, avant qu’il disparaisse des radars, et même tout court, victime d’un AVC
il y a quelques années.
« Le blues des racailles » c’est poubelle
direct. Si des trucs réussis dans ce genre quasiment disparu aujourd’hui vous
intéressent, à peu près tout ce qu’a fait le Massilia Sound System dans les 90’s
vaut le détour (du rap et du raggamuffin en provençal). Sinon, y’a quelques
plages du grandiose « Banzaï », du groupe punk radical La Souris
Déglinguée qui s’était offert une escapade fabuleuse vers des rythmes moins à
ras du bitume que ceux auxquels ils nous avaient habitués depuis leurs débuts …
Nombre de
pays du plus ou moins proche Orient, ont une vraie tradition cinématographique.
La Turquie (Güney, Akin, Ceylan), l’Inde (l’antique Satyajit Ray, un des dix
plus grands cinéastes de tous les temps, et maintenant les productions à la
chaîne de Bollywood), et l’Iran.
Abbas Kiarostami
L’Iran
présente la particularité de s’être révélé aux cinéphiles lorsque s’est mise en
place la dictature des ayatollahs et autres mollahs. C’est dans des conditions
peu favorables au développement du monde artistique que s’est révélé Abbas Kiarostami.
On imagine les difficultés à exercer son art dans le contexte. Pas question de
faire de la résistance caméra au poing, même pas de façon elliptique.
Kiarostami va s’attacher aux racines du cinéma, et faire de ses films un
manifeste artistique.
Avec
évidemment les moyens du bord. « Le vent nous emportera » est le
dernier de son quartet majeur (après « Au travers des oliviers »,
« Le ballon blanc » et « Le goût de la cerise », tournés
quasiment à la suite).
Au premier
visionnage, on se dit que « Le vent … » n’est pas un film. Difficile
de dire de quoi il est question. « Le vent … » se mérite, tous les
détails comptent, dans lequel le non-dit et le non-vu importent plus que ce
qu’on voit et entend.
Il paraît que
le scénario tenait à l’origine en deux pages. Kiarostami l’aurait réduit à
trois lignes. Six mois de préparation et de repérages et trois semaines de
tournage, avec un casting composé uniquement d’amateurs, et la plupart du cru.
C’est-à-dire d’un petit village du Kurdistan iranien.
Scène d'ouverture
C’est ce
petit village que cherchent les occupants d’un 4X4 dans la première scène. Plan
panoramique gigantesque au milieu d’un paysage magnifique. Le 4X4 est sur une
route campagnarde poussiéreuse, on entend les dialogues de ses occupants (trois
ou quatre ?) à la recherche de points de repère, dans des espaces où il ne
semble pas y avoir âme qui vive. On comprend qu’ils sont missionnés, qu’il
cherchent quelque chose ou quelqu’un. Le premier humain rencontré est un gosse
assis sur un rocher qui apparemment les attend et les guide vers le village,
son village. Il a été averti de leur venue, ils lui disent qu’ils sont
ingénieurs à la recherche d’un trésor (on sait par leur discussion que ce n’est
pas le cas), c’est un secret qu’il ne doit pas révéler. Alors qu’ils arrivent
au village (magnifique plan large et extraordinaire patelin que Kiarostami a
mis des mois à dénicher, maisons précaires qui s’imbriquent entre elles au cœur
des versants abrupts de deux collines), le 4X4 tombe en rade, et un des
occupants et le gosse finissent le chemin par un raccourci dans les rochers. On
ne le sait pas encore, mais ce type est le seul des occupants de la voiture que
l’on verra ; les deux autres seront présents dans quelques scènes, on
entendra leurs propos, on verra fugitivement des silhouettes, jamais leur
visage (c’est même Kiarostami qui « joue » l’un des deux).
On apprendra
pendant le film que ce ne sont pas des scientifiques, mais une équipe de
télévision venue là pour assister à la mort d’une très vieille femme malade et
au rite funéraire particulier qui doit suivre. Evidemment, l’insistance du
photographe ? reporter ? (on dira qu’il est journaliste pour faire
simple) à essayer d’obtenir des nouvelles de la malade fera découvrir le
pot-aux-roses par le gosse malin et l’instituteur du village.
Les personnages principaux
Ce photographe
est de toutes les scènes du film. C’est un acteur débutant (de bien quarante
piges), et on ne le reverra que dans une poignée de films dans des rôles
secondaires. Tout le reste du casting est composé d’amateurs, la plupart vrais
paysans habitant dans les deux villages filmés (l’action se passe dans un seul
village, mais deux ont servi de lieux de tournage). Ce qui ne sera pas sans
poser quelques problèmes, notamment au niveau des femmes, qui refuseront de
jouer, après quelques fois avoir participé à une scène (celle qui à le rôle de
la serveuse de la maison de thé a une longue scène, elle devait en avoir d’autres,
on ne l’apercevra que sur une paire de plans, manifestement pas de bonne
humeur), ce qui obligera Kiarostami à revoir son scénario quasiment au jour le
jour. Autre problème du « casting », le gosse d’une dizaine d’années très
présent. Choisi lors des repérages, le gamin prendra ce choix très au sérieux,
ira prendre des cours de diction en ville pour pouvoir « assurer »
lors du tournage. Problème, il perdra son accent provincial, et donc sa « couleur
locale ». Grosse colère de Kiarostami, qui lui demandera de retrouver son parler
habituel, mais revers de la médaille, le gosse aura toujours tendance à jouer
sous pression, à aller chercher un regard approbateur de Kiarostami, et il
faudra bien souvent multiplier les prises … De plus, on est dans l’Iran
profond, à 700 km de Téhéran, dans une communauté minoritaire (les Kurdes) et
donc un peu oubliée du pouvoir central. Kiarostami nous dit que ces paysans-là
vivent strictement au gré des saisons (belle saison aride, hivers très
rigoureux), il a tourné en été, donc les paysans étaient réticents pour faire
de la figuration, parce qu’il y avait énormément de taf aux champs.
Blue is the colour ...
Holà, garçon,
tu es en train de nous causer d’un film sans moyens, sans scénario, sans acteurs,
et tu vas nous dire que c’est bien, qu’il faut voir ce machin ? Affirmatif,
messires. Parce qu’il y a une histoire, à la limite du suspens (elle va
décaniller la vieille ou pas ?), du comique (enfin pas façon Tuche) de
répétition, témoin ce portable qui sonne dans le village, mais il faut courir
au 4X4, aller sur la colline où est le cimetière pour avoir du réseau et le contact
avec le monde extérieur. Evidemment, on ne verra ni n’entendra jamais ce que
disent les interlocuteurs, mais on comprend qu’il y a parmi les appels la femme
du journaliste, et puis toute sa hiérarchie à Téhéran, et à mesure que les
jours passent, les conseils ou les ordres qui viennent de « plus haut »
à chaque fois.
Et puis,
toute cette naïveté, cette spontanéité devant la caméra rendent tous ces gens « vrais »,
d’ailleurs la plupart ne jouent pas, ils sont devant l’écran ce qu’ils sont dans
la vraie vie. Et la vraie vie de ces gens-là, elle prête un peu à sourire, mais
on voit bien qu’on est en Absurdistan, témoin le gars qui creuse à la pioche une
tranchée dans le cimetière, on le voit jamais, on l’entend juste discuter avec
le journaliste, on sait pas pourquoi il est là, à quoi va servir son trou, mais
il y passe sa vie. Et d’ailleurs sa vie il manquera la laisser dans son trou
qui s’éboulera, il ne sera sauvé que parce que le « héros » traînait là
portable à l’oreille, il va donner l’alerte au village, et c’est un vieux toubib
à mobylette qui prodiguera les premiers soins et dirigera le blessé vers un hôpital
en ville … Comme il a prêté le 4X4 pour transporter le blessé, il rentrera avec
le toubib sur sa mob, ce qui donnera la meilleure scène du film. Visuellement époustouflante,
ils sont sur un sentier qui serpente au milieu d’immenses champs de blés, on dirait
qu’ils traversent dans un panoramique immense un tableau de Van Gogh
(révélation, y’a pas que Malick capable de filmer le vent dans un champ, y’a
aussi Kiarostami, et lui pour le tournage n’a qu’une seule caméra), pendant que
le vieux docteur philosophe sur la vie et la mort, dans une version pas
vraiment coranique de l’existence et de l’au-delà …
Van Gogh en mobylette ?
Ce qui permet
d’appréhender le numéro d’équilibriste que doit accomplir Kiarostami au pays des
Gardiens de la Révolution. Et quand on sait que le régime de Téhéran s’est
considérablement durci depuis des années, on comprend que maintenant les gars
filment en caméra cachée et font passer les bandes clandestinement à « l’Occident »
(« Taxi Téhéran », où le superbe « Wadja » tourné par une
femme en Arabie Saoudite). Et le titre du film est le dernier vers d’un poème
récité par le journaliste (dans une étable obscure, à une jeune fille qui trait
une vache, c’est la « copine » du fossoyeur) due à l’écrivain et
réalisatrice iranienne Forough Farrakhzad (morte en 1967, considérée comme initiatrice
de la Nouvelle vague cinématographique iranienne, et à ce titre rayée maintenant
de la culture « officielle »).
Esthétiquement
bluffant (on se demande ce que Kiarostami aurait pu mettre en images s’il en
avait eu les moyens), « Le vent nous emportera » n’est pas une œuvre à
mi-chemin entre documentaire et film comme parfois décrite, c’est pour moi de l’impressionnisme
cinématographique, on te donne des éléments, des points de repère, et toi,
spectateur, tu imagines ce que tu vois pas et n’entends pas. C’est en tout cas
le point le point de vue de Kiarostami qui veut impliquer dans l’histoire qu’il
raconte celui qui visionne son œuvre. Evidemment, il doit y avoir beaucoup plus
de choses perceptibles en filigrane pour un Iranien (trois-quatre citations par
les acteurs de poèmes persans, dont la compréhension et la symbolique m’échappent,
entre autres choses), que par un frenchie moyen qui a pas du tout les mêmes
références culturelles et historiques.
Ce qui ne m’a
pas empêché d’être pris par cette histoire qui n’en est même pas une … Dépaysement
culturel garanti …
Le shoegazing … le machin juste avant le grunge et la
britpop. Ça ne vous rajeunit pas, hein ? Si ça peut vous rassurer, moi non
plus … Le shoegazing, tout est contenu dans le terme. Des zozos qui jouaient en
regardant leurs chaussures. Enfin, plus exactement, le rack (souvent démesuré)
de pédales d’effets sur lesquelles ils s’escrimaient en triturant les cordes de
leurs guitares.
Le shoegazing, c’est avant tout une approche auditive. C’est
basé sur la guitare qui doit phagocyter l’espace sonore, et qu’on essaye de
faire sonner différemment, étrangement, comme si c’était pas une guitare. Sur
des bases pop inspirées par la léthargie mélodique du 3ème Velvet,
des Jesus & Mary Chain, et des quiet/loud somnolents. Le tout enrobé par
des couches d’innombrables parties de guitare pour un rendu tout à la fois
cotonneux et strident. Avant tout une affaire de studio et de production.
Courant musical à la mode quelques temps fin 80’s – début
90’s en Angleterre. Première (et dernière star) du genre : Ride, avec
l’assez intéressant « Nowhere » paru à l’automne 1990. Un an plus
tard sortait « Nevermind » de Nirvana et dès lors la messe shoegaze
semblait dite. Sauf que … depuis presque trois ans, une bande de forcenés multipliaient
les séances de studio pour sortir le disque référence.
My Bloody Valentine (MBV pour les amis et pour le reste
du post), c’était un quatuor : un batteur, une bassiste et un couple (à la
ville comme à la scène) de guitaristes, Kevin Shields et Bilinda Butcher. Les
deux composaient et chantaient. Et Kevin Shields, asocial monomaniaque
produisait et recherchait obsessionnellement « le son », celui qui
allait lui permettre de redistribuer toutes les cartes du pop-rock machin. MBV
avait fait paraître quelques Ep’s et un album, « Isn’t anything »
(que j’ai, et peut-être même écouté, mais si c’est le cas il m’a laissé aucun
souvenir), et surtout convaincu Alan McGee, boss du label Creation de financer
leur prochain chef-d’œuvre.
Creation (nommé à cause du groupe garage anglais garage
des 60’s du même nom), était un gros label indé, qui avait fait paraître les
premiers Jesus & Mary Chain et Primal Scream, et remplissait ses caisses
avec les shoegazing dont il avait les principaux groupes (Ride et Slowdive).
L’histoire est connue. La confiance de McGee envers MBV a failli ruiner le label
à cause du coût astronomique des trois années passées en studio par Shields et
consorts … Pour la petite histoire, c’est pas MBV qui a renfloué le navire (ils
auraient pu en vendre des dizaines de millions de leur « Loveless »,
ça aurait pas suffi à équilibrer les comptes), mais quelques années plus tard,
un groupe de frangins sourcilleux de Manchester, avec leur groupe Oasis …
Shields et Butcher devant, les autres derrière ...
« Loveless » est une expérience (et une
expérimentation) sonore. Assez unique et remarquable. Assez vaine aussi. Je m’en
vas vous expliquer tout ceci (attention, je m’attaque à un des jalons du rock,
qu’on retrouve cité dans toutes les listes ou bouquins de skeuds absolument
géniaux et rigoureusement indispensables) …
Au crédit de « Loveless », il y a plein de
choses. Tout d’abord un son que personne n’avait jamais retranscrit sur disque.
Un magma de guitares empilées sur des bases mélodiques simples (un riff,
quelques accords) avec utilisation systématique de l’effet tremolo, certaines
pistes mises en avant sur le mix, puis assourdies quelques mesures plus tard.
La batterie est tout juste audible (en totale opposition avec ces rythmiques
herculéennes à la Steve Lillywhite qui avaient dominé les 80’s), les voix sont
monocordes, farcies d’effets et mixées très bas ce qui rend les paroles totalement
incompréhensibles (d’ailleurs trois ou quatre titres sont instrumentaux sans que
ça saute vraiment aux oreilles), la structure quiet/loud des couplets/refrains
est inversée (loud pour les couplets, quiet pour les refrains). Les épithètes
pour qualifier le son de MBV se sont multipliés avec parfois beaucoup d’imagination,
on a souvent parlé à leur sujet de « guitares liquides » (suite à un
article dans un mag anglais où le journaliste décrivait la musique de MBV comme
écoutée immergé dans la baignoire quand le groupe joue dans la salle de bains).
En tout cas une expérience sonore unique et originale, et une unité de sons et
de tons constante tout du long du disque. Et en live, les MBV jouaient extrêmement
fort, à la limite du supportable, tout en contraste avec le chant juste
audible.
Il faut aussi reconnaître à MBV un talent certain pour
faire émerger les mélodies de ce magma sonore, sans que rien ne soit pourtant
fait pour les mettre en avant. On pense souvent aux Jesus & Mary Chain pour
la construction des titres, c’est simple mais évident. L’agencement du disque
est réussi, les titres les plus agressifs sont au début, et on tend vers l’apaisement
(bruyant), voire la « normalité » (le dernier titre « Soon »
propose des gimmicks quasi infantiles et une batterie pour une fois audible sur
un groove quasi hip-hop) à mesure que défilent les pistes.
Au débit de « Loveless », on peut dire que dans
le rayon guitares jouées de façon « originale », ils n’étaient pas
une sorte d’OVNI unique en son genre. Qu’il me soit permis de préférer à leur
magma sonique l’approche toute particulière del’instrument par Tom Verlaine et Richard Lloyd dans Television (le
fabuleux et inégalé « Marquee Moon »), voire d’avoir une pensée pour
ce bon vieux Neil Young qui lors de la parution de ce « Loveless »
venait de mettre sur le marché deux ou trois disques studio remplis de saturation
(dont l’extraordinaire « Ragged glory »), et de publier un live
strident (« Weld ») dont certaines versions expended contenaient un
Cd supplémentaire (« Arc ») d’une demi-heure comprenant uniquement du
feedback de guitare. Plus radical tu meurs …
L’obstination de Shields de sortir un disque « sans
concessions » rend quand même l’objet monolithique, et la plupart des
titres interchangeables. Même si deux sont parus en singles, (« Only
shallow » et « When you sleep », assez « évidents »),
et qu’également « I only said » et « Soon » méritent la
citation. Le buzz autour de « Loveless » sera phénoménal, mais comme tous
les buzz durera peu.
Les MBV vont hésiter entre intégrité et intégrisme, et
surtout se heurter au mur de la suite à « Loveless », que faire quand
on a tout donné et mis toutes ses obsessions sur un même disque ? La suite
était tellement peu évidente a priori, que fatalement de suite il n’y aura pas.
Le groupe s’est séparé de fait vers le milieu des 90’s sans avoir publié autre
chose, s’est reformé des lustres plus tard autour des inamovibles Shields et Butcher
avec une nouvelle rythmique, et a fait paraître un disque (« mbv »)
en 2013, au retentissement bien moindre (doux euphémisme) que « Loveless ».
Qui restera sa pièce maîtresse certes, mais pas au point
qu’elle me suive dans la proverbiale île déserte …