« Les
roseaux sauvages », c’est un film un peu particulier dans l’œuvre de
Téchiné. Pour au moins deux raisons, c’est – quasiment – un film de commande et
un film (quasiment) autobiographique.
André Téchiné
Quasiment une
commande parce que le film est une extrapolation « rallongée » d’un
moyen-métrage (« Le chêne et le roseau ») pour Arte. La chaîne
franco-allemande avait demandé à une dizaine de réalisateurs connus de lui
fournir une œuvre de fiction dont le thème central serait l’adolescence.
Quelques-unes de ces fictions ont été « rallongées » pour répondre
aux canons d’exploitation en salles. « Les roseaux sauvages », joli
succès commercial et célébré par les professionnels de la profession est de
cette série celui qui est passé à la postérité, et avec « Ma saison
préférée » et « Hôtel des Amériques » fait partie pour beaucoup
du tiercé majeur de Téchiné.
Et ceux qui
connaissent bien Téchiné ont bien compris qu’il a mis beaucoup de lui dans
cette histoire. Parce que le film se passe aux alentours de Villeneuve sur Lot
(Téchiné est né et a grandi à Valence d’Agen, à quelques kilomètres), raconte
l’histoire d’un groupe d’ados en 1962 (Téchiné est né en 43), dont l’un est
plutôt attiré par les garçons que par les filles (Téchiné aussi). Téchiné n’a
jamais contesté ces éléments, a même reconnu qu’il a vécu certaines scènes ou
situations mises en images, mais réfute l’idée de biopic au sens strict du
terme, des scènes ou des personnages étant pure invention …
Gorny, Bouchez, Morel & Rideau
« Les
roseaux sauvages », c’est un film sur la France profonde, rurale, en 1962,
au moment où la guerre d’Algérie est au cœur de l’actualité du pays. Et la
guerre d’Algérie, ça n’occupait pas que les travées de l’Assemblée et les
tentations putschistes d’un quarteron de généraux comme disait l’autre.
« Les roseaux sauvages », après son générique façon lettrage de
cahier d’écolier, débute par un mariage champêtre. Un fils de paysan, beau
comme un camion de pompiers dans son uniforme militaire rutilant, convole avec
sa promise sur fond de chansons paillardes reprises en chœur par les convives,
et de valses crachotées par un petit électrophone. Très vite, la réalité
rattrape les festivités bucoliques. Le marié, passablement bourré, serre de près
une prof du village, partagé entre drague lourdingue et préoccupations beaucoup
plus graves. Il va partir le lendemain pour l’Algérie et compte sur la prof,
responsable locale du Parti Communiste, pour le faire revenir au plus vite au
pays. Malaise de la prof, qui lui assure qu’elle ne peut rien faire, se
débarrasse de ce cavalier trop entreprenant, et quitte la fête, emmenant au
passage sa fille Maïté et un copain à elle, François.
Dans ces
premières scènes, on a vu la guerre d’Algérie en filigrane, et les ados. Et ces
ados campagnards, de près ou de loin, ils vont vivre la guerre et ses
répercussions dans leur petit bled. Tout en restant des ados du début des
années 60, en proie à leurs premiers émois amoureux et confrontés à une réalité
historique qui va finir par tous les rattraper. Ces ados, ce sont donc Maïté
(Elodie Bouchez, seule comédienne « parisienne » et qui trouve dans
« Les roseaux sauvages » son premier grand rôle), François (Gael
Morel), le jeune coincé introverti qui vient de la ville (Lyon), Serge
(Stéphane Rideau), le jeune paysan frangin du marié, et Henri (Frédéric Gorny)
beau gosse aux faux airs de Gabriel Attal, le plus âgé du lot, dont on
apprendra assez vite qu’il rentre d’Algérie après un carnage familial, qui
passe son temps à écouter les nouvelles de la guerre à la radio, et qu’il
souscrit entièrement aux discours de l’OAS. Tous les quatre sont lycéens, les
garçons dans la même classe, et ils ont comme prof Mme Alvarez, la mère de
Maïté.
C’est autour
de ces quatre ados que le film va s’organiser, même si les histoires connexes
auront une grosse influence. Sur fond de premières boums (avec en fond sonore des
titres, qui cahier des charges de la série oblige, devaient être contemporains
de l’époque mise en images, on entend donc Chubby Checker, Beach Boys, Platters,
Del Shannon, …), les amour(ette)s adolescentes vont se mettre en place. Maïté
en pince pour François, qui est attiré par Serge. Le tournant du film sera la
mort en Algérie du frangin de Serge. La mère de Maïté va culpabiliser, tomber
en dépression et finir par un passage en hôpital psy. Serge veut abandonner le
lycée pour revenir sur l’exploitation agricole, envisage même d’épouser sa
veuve de belle-sœur qu’il « console » la nuit. Maïté va de plus en
plus se politiser (la tradition communiste familiale), et Henri va se
radicaliser, affichant de plus en plus ses affinités OAS.
Les scènes de
tension vont se multiplier entre les quatre ados, entrecoupées de moments de
plaisir simples, les matches de rugby, les séances ciné avec allusions aux
films de Bergman (« A travers le miroir ») ou Demy (« Lola »),
les virées alcoolisées en mob sur Toulouse, et les baignades dans la rivière
(le Lot ?) qui traverse le village. C’est d’ailleurs dans et aux abords de
cette rivière, en attendant les résultats du Bac, que se démêleront les
histoires reliant les quatre ados.
« Les
roseaux sauvages » est autant un exercice de style (la recréation
méticuleuse de la vie provinciale du Sud-Ouest pendant la guerre d’Algérie),
qu’un drame où des adolescents doivent faire face quasiment seuls aux
bouleversements de l’Histoire, et s’initier à la vie amoureuse et sexuelle. On
sait que Téchiné n’est jamais aussi bon que quand il scrute les tourments de
l’âme et les dilemmes amoureux (voir ses films cités plus haut).
Dans
« Les roseaux sauvages » il y arrive sans avoir recours à ses stars
chevronnées habituelles (Deneuve, Auteuil, Dewaere, …). « Les roseaux
sauvages » de son aveu est très écrit, minutieusement répété, et les
jeunes acteurs s’en tirent très bien. Pourtant, seule Elodie Bouchez se fera un
nom grâce à ce film. Les trois garçons tenteront aussi une carrière d’acteur,
beaucoup moins successful, disparaissant assez vite des radars …
« Braveheart »
est devenu un classique des films populaires des 90’s. Pas vraiment lors de son
exploitation en salles, où il n’a obtenu que des résultats honorables. C’est
plus tard, lorsqu’on louait des VHS dans les vidéo-clubs, et encore plus tard,
lorsque sont arrivés les Dvds, Blurays, jusqu’à aujourd’hui, avec les
plateformes de streaming, que le vrai grand succès populaire s’est concrétisé
et jamais démenti, appuyé par une critique qui a eu tendance à le réhabiliter,
voire l’encenser.
Faut dire que
le projet « Braveheart » est plutôt audacieux. Confier à un type (Mel
Gibson) qui n’a qu’une seule réalisation à son actif (le mélo à peu près oublié
« L’homme sans visage ») un budget de plusieurs dizaines de millions
de dollars pour un film à grand spectacle, biopic médiéval d’une figure
mi-historique mi-légendaire de l’Ecosse de la fin du XIIIème siècle, ça coulait
pas de source. Même si derrière la caméra, et finalement aussi devant, il y a
un acteur bankable, starisé par les sagas « Mad Max » et « L’arme
fatale ».
Mel Gibson
« Braveheart »
met en images la vie de William Wallace, paysan écossais à l’origine et à la
tête d’une révolte contre l’occupant et oppresseur anglais. Le problème, c’est
que Wallace, on sait peu de choses de lui. Et que Mel Gibson va l’introduire
dans l’Histoire, la vraie, celle qui est documentée. Au prix de quelques
incohérences et anachronismes flagrants, voire de tentatives de réécriture. Le
scénariste (Randall Wallace, ce n’est pas simplement une coïncidence
patronymique, on y reviendra) et Gibson le reconnaissent d’une façon plutôt
badine, prétextant la beauté de l’histoire (du film), tout du long de leurs
commentaires sur l’édition Bluray de 2007.
Premier point
à évoquer, la réalité historique, les faits avérés et documentés. De Wallace,
on suppose qu’il est d’extraction très modeste (paysan ?), qu’avec
quelques comparses il a mené quelques actions de guérilla contre les troupes
« d’occupation » anglaises, avant de fédérer une petite armée de bric
et de broc (quelques nobles et leurs hommes, mais surtout des paysans) qui
défait des Anglais pourtant plus nombreux à Stirlink (1297), avant que les
Ecossais soient laminés l’année suivante à Falkirk. Wallace disparaît de la
circulation quelques années (exil en France apparemment), revient mener
quelques actions coup de poing en Ecosse, est capturé (trahison ?) avant
d’être supplicié (émasculé, écartelé, éviscéré, découpé en morceaux et ses
morceaux « exposés » dans plusieurs villes) en 1305.
La bataille de Stirlink
Robert Bruce
(avec qui Wallace a des relations plutôt compliquées dans le film) sera celui
qui par les armes obtiendra une certaine indépendance de l’Ecosse grâce à sa
victoire à Bannockburn (1314, la dernière scène de « Braveheart »)
Le Roi
d’Angleterre Edouard Ier est considéré comme un des grands souverains anglais,
très politique (plutôt machiavélique donc), et qui instaurera la première
mouture de ce qui deviendra le Parlement. Surnommé (par les Anglais) « The
Hammer of Scottish » par son intransigeance et sa cruauté face aux
tentatives d’émancipation des Ecossais. Il mourra deux ans après Wallace (et
non pas le même jour comme dans le film).
Son fils (le
futur Edouard II) sera connu pour sa bisexualité avérée (nombreux
« mignons » et favoris), et sera beaucoup plus dur et rude que la
lopette qui nous est montrée dans « Braveheart ». Il épousera
Isabelle de France, (Sophie Marceau dans le film) alors âgée d’une douzaine
d’années trois ans après la mort de Wallace. Donc elle et Wallace ne se sont
jamais rencontrés.
Quand aux
autres personnages du film (à part quelques nobles qui ont réellement existé,
mais dont les faits et gestes à l’époque ne sont généralement pas connus), ils
sont tous inventés (Murron sa femme, ses compagnons d’armes, …). Les premiers
récits des aventures de Wallace sont généralement attribués à un troubadour
plus d’un siècle après les faits. Il n’en demeure pas moins que Wallace a de
nombreuses statues un peu partout en Ecosse et qu’il est considéré comme le
premier « libérateur » de son peuple.
Edouard Ier - Patrick McGoohan
Bon, une fois
qu’on a dit ça pour démontrer que « Braveheart » est quasi
intégralement une totale fiction, il en reste quoi de ce film ? Une grande
fresque épique, romantique et violente. D’une durée conséquente. A peine un peu
moins de trois heures, il manque dix minutes de « director’s cut »
apparemment jamais vues, dont l’essentiel est composé du supplice de Wallace
(Gibson dit que c’était très réaliste, trop pour une exploitation grand public
en salles).
Le côté
fresque épique, il est dû au scénariste Randall Wallace. Américain bon teint,
et descendants d’émigrés écossais. Qui décide d’aller faire un voyage
d’agrément familial sur la terre de ses ancêtres. Et tombe sur les statues, les
musées, les lieux « saints » où son homonyme aurait écrit un pan
d’histoire écossaise. Troublé par la coïncidence, le très chrétien Wallace
(Randall) va écrire un scénario et faire de Wallace (William) un personnage
mystique et très croyant (la grande place occupée dans le film par les
funérailles, le mariage « clandestin », les prières avant la
bataille, avant le supplice qui a lieu sur une croix horizontale). Evidemment,
quand la 20th Century Fox le mettra en relation avec Gibson qui cherche un film
à réaliser, le côté grenouille de bénitier va pas laisser le Mel indifférent,
lui qui est catho intégriste (parenthèse, il appartient à un courant religieux
ultra réac, et a fort logiquement soutenu le ticket de demeurés Donald-J.D.,
fin de la parenthèse).
Côté
romantique, ça n’y va pas non plus avec le dos de la cuillère. Depuis le
chardon offert par la petite Murron au gamin William lors de l’enterrement du
père Wallace occis par les Anglais et conservé comme une relique, jusqu’au bout
de tissu qui les a liés lors de leur mariage et que Wallace serrera dans sa
main pendant son supplice, en passant par les visions de sa dulcinée, n’en
jetez plus … Et l’entrée en « guerre » de Wallace et son obstination
à lutter quoiqu’il advienne contre les « envahisseurs » aura pour
cause l’assassinat de Murron par un petit notable anglais. Sans parler du coup
de foudre réciproque entre Wallace et Isabelle de France …
Sophie Marceau & Mel Gibson
Mais ce qui a
le plus fait jaser, c’est l’ultraviolence limite gore, du film. Les scènes de
bataille sont particulièrement réalistes, ces mêlées-boucherie où tous les
coups sont permis, tuer ou être tué. Les décapitations, amputations, les corps
traversés par les épées, les lances, les haches, les flèches ou les poignards,
les chevaux empalés. Et hors batailles, on a droit aux égorgements, aux têtes
fracassées par les masses d’armes, … A côté, le supplice final de Wallace est
plutôt soft, il n’y a que de la tension liée à l’agonie du roi, aux larmes
d’Isabelle, à l’émotion des compagnons d’armes et de Bruce, grâce à un montage
malin.
« Braveheart »
a renforcé l’aura de Mel Gibson, parce qu’il joue William Wallace, ce qui
n’était pas prévu au départ. Il avoue s’être fait berner par la Fox, qui
alignait sans sourciller les millions de dollars à mesure que le scénario
avançait, mais qui insidieusement suggérait qu’en plus de réaliser il tienne le
rôle principal. Ce qu’il a fini par accepter, sans se douter de l’ampleur de la
tâche. Rétrospectivement, Gibson avoue avoir fini le tournage (sept mois, dont
plus de deux pour tourner les deux batailles, où il fallait gérer
quotidiennement jusqu’à trois mille personnes sur le plateau) à peu près fou,
les neurones cramés par la pression, le manque de sommeil, et le clap de fin
qui n’apparaissait jamais. Il se sentait capable de réaliser, ayant beaucoup
appris en tournant avec George Miller ou Peter Weir, mais il s’est fait bouffer
par son projet, virant obsessionnel pour le moindre détail.
Les anecdotes
sont légion. Pour donner un semblant d’organisation aux batailles, l’équipe a
tourné sur un camp militaire et engagé les bidasses qui y étaient. Et Gibson a
pu mesurer le fossé physique entre des pros qui s’entraînent tous les jours, et
lui, à presque quarante ans (soit dix-quinze ans de plus que son personnage),
qui devait sprinter comme un forcené pour être devant les soldats figurants
lorsque les Ecossais chargeaient l’armée anglaise. En plus, Gibson a réalisé
pratiquement toutes les cascades, sa doublure prévue passait les journées à se
tourner les pouces. Et pour le final (le supplice de Wallace), Gibson a
complètement disjoncté, et contre l’avis de tout son staff, a exigé d’être
réellement pendu (on l’a descendu quand il a perdu connaissance, il a failli y
passer, et rétrospectivement n’est pas très fier de cette décision aberrante).
A côté de ça, l’utilisation d’une énorme vraie hache pour la décapitation fait
figure de plaisanterie (pour le coup, il a quand même pris la précaution de
filmer le geste de bas en haut, et de passer les images obtenues à l’envers au
montage).
This is the end ...
Le résultat
donne un film à grand spectacle (référence de Gibson, « Spartacus »
le péplum plus ou moins réalisé par Kubrick), les plans filmés en hélicoptère
sont nombreux, notamment lors de l’ouverture, avec panoramiques gigantesques
des Highlands. Bien que sachant qu’il tournait une fiction à peu près
intégrale, Gibson a apporté un soin maniaque aux détails, avec un énorme
travail sur la création de décors en extérieur, les costumes et les
maquillages. Le vice a été poussé jusqu’à rechercher parmi les agriculteurs
écossais ceux qui pouvaient fournir des races centenaires de bovidés juste pour
une scène, lorsqu’on ramène les dépouilles du père et du frère de Wallace morts
au combat. Hormis les deux grandes batailles, tournées dans une base militaire
irlandaise, les extérieurs sont en Ecosse, sous la pluie (invisible à l’écran,
quand on la voit, c’est que de l’eau est versée à seaux sur le plateau) et le
froid la plupart du temps. Quasiment aucun effet numérique n’a été rajouté, un
encadrement médical, vétérinaire et de dresseurs était présent en nombre, aucun
cheval n’a bien évidemment été abattu ou blessé (ceux qui sont empalés sont des
chevaux mécaniques, trucage à l’ancienne), et parmi les centaines de figurants
des scènes de bataille, Gibson est fier de préciser que seuls trois blessés ont
été recensés, deux contusionnés et une fracture de la cheville en tout et pour
tout …
La musique
est dans l’air celtique du temps, et le thème principal est l’œuvre de James
Horner qui en utilisera une version dérivée pour le thème de
« Titanic » qu’il composera deux ans plus tard …
Un mot sur Sophie
Marceau, principal rôle féminin en (future) reine glamour mais déterminée, elle
entamera avec « Braveheart » un lustre de tentative de carrière
internationale, qui malgré un autre succès remarqué au box office (le rôle de
la méchante dans « Le monde ne suffit pas » de la saga James Bond),
n’ira pas plus loin que la fin des années 90.
Alors au
final, il faut en penser quoi ? « Braveheart » est un film
d’action survitaminé et palpitant, et une incontestable réussite visuelle. Le
seul reproche, les libertés prises avec la réalité historique qui enjolivent
quelque peu (pour être gentil) ce biopic de William Wallace. Les Ecossais ont
adoré le film, les Anglais moins …
Tel pourrait être son nom de code à Deee-Lite. Parce
que trois petits (33) tours et puis s’en vont …
Ils furent pourtant les rois des airplays radio de
l’année 90. Parce que ce qu’ils produisaient était ce que le public attendait
(ou on leur a fait croire, au public, que ce qu’on leur faisait écouter était
ce qu’ils avaient envie d’entendre).
A cette époque-là, la demi-décennie charnière fin
80’s – début 90’s où ce qu’on pourrait qualifier du vocable généraliste grand
public de musiques dansantes électroniques passait de l’underground (les
vinyles white labels à destination des DJ’s pressés à quelques dizaines
d’exemplaires) au succès de masse (les bien nommés Massive Attack par exemple),
ce qu’il fallait c’est se faire remarquer, sortir du troupeau d’anonymes. Et
quoi de mieux que d’avoir une chanson qui passe à la radio et un clip à la télé ?
En 1988,
ce fut Lisa Stansfield avec « All around the world ». Qu’on ne peut taxer
d’opportuniste, c’était une vraie bonne chanteuse, qui grouillotait depuis
quelques temps avec des joueurs de disquettes (Coldcut en l’occurrence). 1989
consacra Yazz, longiligne peroxydée amatrice de fringues fluo en plastoc qui
fit la farce avec « The only way is up ». Yazz et Stansfield, deux
Anglaises, et le continent apprécia.
Les Américains, jamais les derniers lorsqu’il s’agit
de faire tinter le tiroir-caisse, obtinrent leur revanche en 1990 avec
Deee-Lite et « Groove is in the heart ». Deee-Lite, c’est censé être
un groupe (ils sont plus de deux). Dont la figure de proue est Lady Miss Kier
(Kierin Magenta Kirby pour l’état-civil). Look Kate Pierson (la rousse à
choucroute des B-52’s) revisitée par un couturier psychédélique (les fringues à
motifs bucoliques). Fréquentant assidument les clubs dance newyorkais et s’acoquinant
avec des DJ’s pour essayer de se faire remarquer. Au début des 80’s, ça avait
donné Madonna. Lady Miss Kier est bien des tons en dessous, aujourd’hui on la
qualifierait d’influenceuse, avec tout le côté péjoratif accolé au vocable.
Lady Miss Kier, toute en discrétion ...
Son « groupe », c’est elle et deux DJ’s.
Exotiques. Un Russe, Dmitry et un Japonais, Towa Tei. Qui pour ne pas être en
reste avec leur chanteuse, s’habillaient bariolé et fluo, avec un mauvais goût
que les camions portugais devaient leur envier. Deee-Lite, c’est avant tout la
réunion de trois fashionistas. Bo Diddley chantait deux points ouvrez les
guillemets « don’t judge a book by its cover ». Ben y’a des fois que
si. Livrés à eux-mêmes, les trois Deee-Lite accouchent de quelques machins sans
le moindre intérêt, vaguement dans l’air du temps electro-dance-house-etc …,
qui constituent la matière première de « World Clique », leur premier
disque.
Et dans cette mélasse, on se surprend parfois à
dresser l’oreille, et clignote quelque part le nom de James Brown (oui, on
parle bien du même). Alors on feuillette le livret du Cd pour voir si le
Godfather of Soul est crédité quelque part. Que nenni. Mais par contre, dans
les intervenants de quelques titres, on voit apparaître le nom de Bootsy
Collins. Et aussi ceux de Fred Wesley et Maceo Parker. Soit un tiers des
mythiques JB’s, excusez du peu. Pourquoi traînent-ils là ? Apparemment
Bootsy Collins fréquentait beaucoup les clubs newyorkais et comme
vestimentairement (sans parler des binocles) il passe pas lui non plus vraiment
inaperçu, la Kier l’a sollicité, il a dit banco et a amené ses deux vieux
poteaux … Alors on se repasse la rondelle et bingo, c’est bien ça.
Deee-Lite, Bootsy Collins et un DJ
Les trois ex-JB’s sont pas très souvent présent,
unfortunately. Ils contribuent, et pas qu’un peu au hit « Groove is in the
heart » (pour ceux que ça intéresse, le passage en rap dans le titre est
de Q-Tip, le leader des concernés et militants A Tribe Called Quest, vous savez
ceux qui avaient samplé la ligne de basse de « Walk on the wild
side » pour leur hit « Can I kick it »). Collins, Wesley et
Parker sont aussi présents sur « Try me on », le vrai meilleur titre
du disque.
Sinon, pour être juste, faut reconnaître que les
Deee-Lite ont fait tout seuls comme des grands « Power of love », un
truc dance bêtement efficace quoiqu’un peu longuet. Et qu’ils se sont inspirés
(pour pas les accuser de plagiat) de Kid Creole & The Coconuts pour
« Smile on ». Le reste mérite pas qu’on s’y attarde …
Sur la lancée du méga-succès de « Groove is in
the heart », ce « World Clique » se vendra bien. La suite
confirmera les vides artistiques qu’il contient. Deux successeurs suivront,
dont tout le monde a oublié le titre. Avant la débandade finale (quand Kier et
Dmitry ne feront plus chambre commune disent ceux qui s’y connaissent en potins
de plumard). On ne sait ce que les DJ’s sont devenus, Kier a elle continué un
peu dans la musique (Djette), et évidemment, on l’a beaucoup aperçue dans les
gradins des défilés de mode. Mission accomplie ?
« Princesse
Mononoke » c’est le film au retentissement mondial qui révèlera et Miyazaki et
les productions de sa (co-)création, les studios Ghibli. Et plein de cinéphiles
ou au moins d’amateurs de films d’animation s’aperçurent qu’il existait autre
chose dans ce domaine que les studios Disney et ses productions. Tiens, suffit
de comparer « Princesse Mononoke » avec le winner toutes catégories
(et surtout financière) du genre, « Le Roi Lion » sorti trois ans
plus tôt. « Le Roi Lion » c’est pour les enfants ou pour ceux qui
font l’effort de rétropédaler dans le temps et retrouver des émotions de gosse,
les personnages sont peu nombreux et les « saines » valeurs sont
développées, le malheur, la souffrance, la résilience, avant le triomphe final.
« Princesse Mononoke » a de quoi faire flipper les chères têtes
blondes.
Hayao Miyazaki
L’intrigue
est complexe et protéiforme, les personnages secondaires nombreux et surtout,
c’est un film violent (voir l’affiche du film, plutôt soft par rapport à de
nombreuses scènes). Le sang gicle de partout, l’amour et le « camp du
bien » ne triomphent pas forcément. Et comme dans la plupart des films de
Miyazaki, les héros se trouvent confrontés à des forces maléfiques et des
mondes parallèles.
Point de
départ, en des temps immémoriaux, le jeune prince Ashitaka, affronte la charge
d’un monstre géant qui menace son village. Il tue le bestiau mais est blessé.
Une vieille chamane du village lui révèle que sa blessure se révèlera mortelle
(car le monstre est un sanglier « contaminé » et mutant), sauf à
gagner les bonnes grâces d’une entité, l’Esprit de la forêt, qui seule a
théoriquement le pouvoir de guérir la blessure. Voici donc notre héros
chevauchant sa monture (un élan rouge) en route pour des contrées lointaines.
Où il rencontrera un moine trop malin pour être honnête, une reine de la
sidérurgie locale, des samouraïs belliqueux, forcément belliqueux, une jeune
princesse (Mononoke) qui vit en compagnie de loups géants, une immense harde de
sangliers géants, une foule de petites entités mignonnes et gentilles (les
Sylvains, un peu le pendant des Ewoks de la saga Star Wars), et finalement
l’Esprit de la forêt (un Dieu-Cerf qui marche sur l’eau le jour, et qui la nuit
se transforme en créature immense semi gazeuse).
Mononoke & Ashikata
Le monde (ou
plutôt les mondes) décrits par Miyazaki font référence à d’obscures légendes
nippones, le Bien et le Mal s’affrontent perpétuellement et les personnages
sont complexes, ambivalents (les amitiés et alliances sont de circonstance et
ne durent pas toujours). Et puis des intrigues vont bien au-delà de l’histoire
elle-même. On finit par comprendre que l’équilibre séculaire entre les humains
et les forces naturelles (symbolisées par les bestioles géantes) a été rompu et
que les animaux doivent tuer les hommes « mauvais » pour rétablir cet
équilibre. Le principal point d’achoppement est représenté par Dame Eboshi qui
règne sur une sorte de phalanstère de parias (lépreux, anciennes prostituées),
fournit des métaux transformés (acier et ferrailles diverses) à l’Empereur, et
pour entretenir ses hauts fourneaux, déforeste à tout-va, ce qui entraîne la
révolte des entités animales. Ce qui fait de « Princesse Mononoke »
un film écolo militant avant que l’écologie militante devienne à la mode.
L’activité de Dame Eboshi étant cruciale, elle doit la défendre en mettant au
point des armes innovantes (des arquebuses hyper puissantes) et faire face à la
convoitise de ses clients (l’Empereur qui envoie ses samouraïs conquérir le
village-usine).
Mononoke
représente elle les humains qui ont choisi de prendre fait et cause pour les
animaux et l’équilibre ancestral qu’ils défendent. Pas vraiment dans l’esprit
babacool, elle mène des raids violents à la tête de ses loups géants contre
tous les agresseurs de la nature. Ces trois personnages principaux (Ashitaka,
Eboshi, Mononoke) vont passer le film à s’observer, se jauger, s’allier, se
combattre, tout en n’étant jamais ensemble dans le même « camp ». Et
quand la cupidité des hommes (l’Empereur qui veut la tête du Dieu-Cerf censée
lui conférer pouvoir suprême et immortalité) ira crescendo, la riposte de la
Nature sera proportionnelle (l’espèce de lave qui s’écoule de la divinité
décapitée va tout emporter sur son passage) … on meurt beaucoup dans « Princesse
Mononoke » et pas seulement les méchants …
Dame Eboshi
Par rapport
aux précédents succès des studios Ghibli, notamment la triplette inaugurale de
ses productions, « Le château dans le ciel », « Mon voisin
Totoro » (dont le gentil monstre sert de logo aux studios), « Le
tombeau des lucioles », « Princesse Mononoke » est beaucoup plus
sombre, plus « engagé », plus « militant ». La fin est
positive a minima, on ne peut pas parler de happy end. Et de tous ceux que je
connais de l’immense Miyazaki, « Princesse Mononoke » est de loin le
plus sanglant, le plus violent.
Esthétiquement,
on est dans la ligne du parti des studios Ghibli. Tons pastel à la limite de la
transparence, décors de fond invariables quand l’action se passe au premier
plan. Ce qui n’empêche pas les prouesses graphiques des armées d’animateurs.
Les bases scénaristiques sont aussi intangibles, de jeunes héros évoluent dans
des mondes parfois parallèles peuplés de créatures aux pouvoirs surnaturels
face auxquelles ils doivent se surpasser, sortir de leurs zones de confort …
« Princesse
Mononoke » n’est pas la porte d’entrée la plus facile de l’œuvre (qui
accumule quand même une flopée de grands films) de Miyazaki. Mais c’est
certainement son film le plus adulte, le plus dense (plus de deux heures sans
temps mort), en un mot le plus magistral. Cauchemars garantis pour petites
têtes blondes non averties …
Ou film
culte, comme on veut … Ou les deux … Ou pourrait aussi dire film de
blaxploitation, sauf que le héros n’est pas Black et qu’il gagne pas à la fin.
En tout cas « The King of New York » est avec son successeur « Bad
Lieutenant » ce que Ferrara a fait de mieux.
Abel Ferrara 1990
Ferrara est
un cas social hors du commun. Très marqué, pour pas dire traumatisé par
l’éducation religieuse (comme Almodovar ou Scorsese), il va s’en éloigner le
plus possible dans ses films (le premier sous pseudo est un porno), sans pour
autant en renier les fondamentaux symboliques (péché-expiation-rédemption,
cette sorte de choses). Les films de Ferrara sont là pour faire flipper le catho
de base. Dans « The King of New York » le héros est un ex-taulard,
dealer de coke qui assassine de sang-froid concurrents et flics dans une
surenchère cataclysmique.
Les histoires
de truands qui construisent un empire et finissent par crever de leur orgueil,
c’est pas ça qui manque, du « Little Caesar » de Mervyn LeRoy, au
« Scarface » de De Palma. Sauf que c’est pas ce genre de films que
cite Ferrara pour son inspiration. Il a « vu » son film en sortant
d’une projection de … « Terminator ». Même si c’est dit en termes
diplomatiques, il pense que si pareille couillonade cartonne (l’obsession
d’atteindre son but en dégommant tout ce qui s’y oppose), il peut faire aussi
bien, voire mieux. Sauf qu’avec son pote depuis le lycée, le scénariste
Nicholas St-John, il sont pas vraiment dans le trip post-apocalyptique de
Cameron (ou de George Miller). Leur monde, c’est le New York contemporain. Pas
le New York de Broadway et de Wall Street, le New York des quartiers glauques
(le Bronx), des trafiquants en tout genres, et avec son ascendance italienne,
celui du « milieu ».
Christopher Walken
Le Terminator
de Ferrara sera Blanc (à double titre, il s’appelle Jack White, inutile de
faire une disgression pour la symbolique catho liée au blanc), vient de
s’endurcir en zonzon, et entend dès sa sortie devenir le roi de la dope sur la
ville. Jack White, c’est Christopher Walken, qui deviendra après ce film un des
acteurs fétiches de Ferrara. Plus ou moins dans le trip Brando quand Ferrara le
rencontre (empâté, manteaux de fourrure, et jamais loin d’une quille de vin
rouge), Walken va perdre vingt kilos avant le tournage pour jouer cette brute
émaciée au regard fou et glaçant. Si Ferrara a son premier rôle, il a pas le
fric pour tourner, les circuits de financement « classiques »
américains lui ayant tous répondu quand il les a sollicités par un niet aussi
poli que ferme et définitif. Ce sont ses connexions italo-américaines qui le
mettront en relation avec des Italiens qui aligneront les lires pour que le
film se fasse.
Et donc une
fois considéré que Walken sera la star du générique, faut compléter avec des
seconds couteaux. Et force est de reconnaître que l’Abel a eu le nez plutôt
creux. Des seconds rôles seront notamment tenus par Wesley Snipes, Laurence
Fishburne, et ont droit à quelques scènes Steve Buscemi ou Harold Perrineau. Bon
y’a aussi eu des ratés, qui se souvient et a vu ailleurs Janet Julian (Jennifer,
l’avocate et maîtresse de White), répondez pas tous en même temps.
Weley Snipes
Le scénario
est ultra basique, ascension et chute d’un caïd de la drogue. Et Ferrara a beau
jeu de dire que rien n’est crédible dans son film, les choses ne se passent pas
comme ça dans la réalité (les « parrains » ne règlent pas leurs
comptes eux-mêmes, ne participent pas aux gunfights punitifs, et un réseau
mafieux ne s’écroule pas et ne se contrôle pas avec trois rafales de pistolet
mitrailleur).
Ce qui compte
pour Ferrara, c’est montrer « sa » ville, New York. Sous son prisme à
lui. Walken est à peu près en roue libre, esquisse même quelques pas de danse
(sa marotte dès qu’il peut glisser quelques entrechats dans ses films, il
aurait préféré être danseur professionnel plutôt qu’acteur), tout le monde en
fait des tonnes. N’empêche qu’il y a bel et bien dans « The King … »
une « patte » Ferrara. L’art de susciter la tension avant les montées
de violence froide (la scène aves Snipes et Buscemi venus conclure un deal avec
les Hispanos, le règlement de comptes chez les mafieux ritals, …). L’envie de
donner du spectacle (la baston lors de la party-partouze chez White, la course
poursuite à la « Bullit » dans les grandes artères newyorkaises, …).
La mise en scène d’une esthétique froide (tout ce bleu métallique qui domine dans
la gamme chromatique), mais avec des partis-pris visuels forts (les très gros
plans sur les visages lors des discussions). Et pourtant Ferrara n’a quasiment
pas touché à la caméra. Il « visualisait » les scènes, donnait les
ordres aux acteurs et à son caméraman, et partait surveiller tout ça dans le
studio vidéo. D’où il ne s’extirpait pas souvent, montant, assemblant,
sonorisant quasiment à la volée. D’où une séquence qui a marqué les
participants au film, lors de la fête organisée le dernier jour de tournage,
des écrans télé diffusaient quasiment dans sa version définitive « The
King of New York » dont les dernières prises avaient eu lieu quelques
heures auparavant.
Laurence Fishburne
Ferrara n’oublie
pas de développer son postulat Bien / Mal. White est totalement amoral, sans
aucune pitié ni scrupule (l’assassinat du flic lors de l’enterrement), veut
devenir le King d’un monde où règnent luxure et dope. Et en même temps il patronne
une soirée de bienfaisance pour récolter des fonds en vue de construire un hôpital
pour les enfants. Séquence qui donne l’occasion d’une chanson par le second
couteau soul Freddie Jackson. Alors que la bande-son est quasiment
exclusivement composée de titres rap ou hip hop (Ferrara est très pote avec le
rappeur Schooly D, omniprésent sur la B.O. et dont les connexions avec les
bandes des quartiers mal famés où a été tourné le film ont permis à toute l’équipe
d’évoluer sans encombre). De ce point de vue, Ferrara innove. Premier Blanc à
donner une telle place au rap dans la bande-son, « The King of New York »
est sorti moins d’un an après « Do the right thing » (Spike Lee /
Public Enemy) et un an avant « Boyz in the hood » (John Singleton / Ice
Cube).
Alors il faut voir « The King
of New York ». Au moins parce que les dernières scènes (un Walken blessé
à mort marchant tel un zombie dans les rues de « sa » ville avant d’aller
agoniser à l’arrière d’un taxi cerné par les gyrophares des voitures de police
et les flics qui le traquent), doivent rassembler toutes les chapelles de
cinéphiles …
Parce que
« Born to run » ça peut servir de résumé en trois mots du film. Et aussi
parce que la masterpiece du Boss est la chanson qui manque dans la B.O.,
notamment quand Forrest Gump fait son marathon across the U.S.A. Question,
Springsteen serait-il plus dur en affaires pour les autorisations sur ses
titres que les rescapés et ayant-droit des Doors, qu’on entend trois fois dans
« Forrest Gump », parmi les 45 titres de la B.O. ?
Zemeckis & Hanks
Tout ça pour
dire que « Forrest Gump » est aussi un film qui s’écoute, même si les
extraits musicaux sont souvent réduits à quelques secondes, et en sourdine au
fin fond du mix sonore. Je vais vous dire, le tracklisting de la B.O. aurait pu
être celui d’un film signé Scorsese. A une exception (majeure) près : dans
« Forrest Gump » rien que des titres américains des fifties au tout
début des eighties, qui illustrent chronologiquement l’histoire (à quelques
pains temporels près, par exemple quand Forrest arrive en 67 au Vietnam, on
entend « Fortunate son » de Creedence, sorti deux ans plus tard).
C’est là tout l’a priori étrange de ce film, comment a-t-il pu être un immense
succès mondial alors que plus américain tu peux pas, l’histoire d’un simplet de
l’Alabama qui par hasard se trouve dans des situations, des endroits, en face
de personnages qui ont fait l’Histoire, Histoire qu’il influence, en initiant
Elvis à sa danse pelvienne désarticulée, en soufflant les paroles de
« Imagine » à John Lennon, en téléphonant à la police pour signaler
un cambriolage au Watergate Hotel, sans parler de
ses « rencontres » avec JFK, Lyndon Johnson, Nixon ?
« Forrest
Gump » vient d’un roman « récréatif » du même nom d’un
historien, scénarisé par Eric Roth dont ce sera la première adaptation
plébiscitée (il bossera par la suite pour des « grosses machines »
réalisées par Michael Mann, Spielberg, Fincher, Villeneuve, …). Pour
« Forrest Gump », seront portés aux nues les noms de Robert Zemeckis
et Tom Hanks. Les deux ne sont pas des débutants, le premier vient de réaliser «
… Roger Rabbit » et les deux premiers volets de « Retour vers le
futur ». Hanks a déjà beaucoup tourné, et bien souvent n’importe quoi
(avec même un Oscar pour le navrant « Big »), avant de vraiment
capter l’attention avec ses deux derniers films, « Nuits blanches à
Seattle » et « Philadelphia ». Pour Zemeckis et Hanks (premier
choix de la production), « Forrest Gump » amènera la consécration
définitive.
Hanks & Wright
Hanks est
parfait dans le rôle du simplet parfois génial, comme une version exubérante de
Hoffman dans « Rain Man », avec sa vision rousseauiste (l’homme est
naturellement bon, c’est la société qui le pervertit). Je suis généralement pas
très fan de son jeu sans aspérités et des personnages qu’il a tendance à
ramollir, affadir pour qu’ils suscitent de la pitié larmoyante, mais force est
de reconnaître que dans « Forrest Gump » toutes les récompenses et
nominations prestigieuses qu’il obtiendra sont bien méritées.
Et le reste
de la distribution se hisse à son niveau de Sally Field (la mère), à Robin
Wright (l’amour de sa vie) en passant par Gary Sinise (son supérieur au
Vietnam) ou l’extraordinaire Mykelti Williamson (Bubba, son
« jumeau » noir).
Tout ceci ne
serait pas aussi fort sans la Zemeckis touch. Il a du pognon pour tourner, et
va l’utiliser. Pas pour les extérieurs, une grosse partie du film a été tourné
dans un tout petit périmètre (à Savannah en Géorgie, et le Vietnam dans une
zone marécageuse de Caroline du Sud toute proche). Mais surtout Zemeckis va
utiliser toutes les techniques numériques de pointe. Beaucoup de scènes se
feront devant un rideau vert, notamment quand intervient Sinise amputé de ses
deux guiboles, les ordinateurs tourneront plein pot pour les effets de
mouthmorphing (faire bouger les lèvres en fonction des dialogues
« revisités » des Kennedy, Johnson, Lennon et autres), pour rajouter
des balles de ping-pong (non, Hanks n’est pas devenu un des frères Lebrun, il
ne fait qu’agiter la raquette dans le vide). Les effets spéciaux dernier cri
ont simulé des balles traçantes, des lâchages de napalm, des foules dans les
stades ou au mémorial Lincoln … Deux anecdotes. Tout n’est pas retouché,
certaines scènes historiques ont été recréées avec des figurants (il n’y avait
pas de films à bricoler, juste des photos qui témoignaient de l’événement). Une
scène très longue à tourner fut la partie de ping-pong en Chine. L’adversaire
de Hanks était un Sud Coréen parmi les tout meilleurs mondiaux. Comme il n’y
avait pas de balle, les deux devaient mimer la partie. Hanks y arrivait sans
problème, mais le pro n’arrivait pas à se synchroniser avec une balle imaginaire,
c’est à cause de lui que d’innombrables prises ont dû être faites …
Zemeckis a réussi à virer Yoko Ono ...
Visuellement,
« Forrest Gump » est à la pointe de la technologie. Mais c’est surtout un
film finement drôle. Zemeckis se tient loin des gags cartoonesques de « …
Roger Rabbit » ou de ceux plutôt lourdauds de « Retour vers le
futur ». Mentions particulières au personnage de Bubba, sa lèvre pendante
et son obsession pour la pêche aux crevettes et la façon de les cuisiner, et à
la scène devenue culte où Robin Wright chante seulement « vêtue »
d’une guitare acoustique « Blowin’ in the wind » dans un bouge à strip-tease.
Les allusions sont parfois pointues, quand Hanks pousse Sinise dans son
fauteuil roulant au milieu des taxis dans une rue enneigée de New York, c’est
un hommage-pastiche d’une scène de « Macadam cowboy » similaire avec
Dustin Hoffman et John Voight, et on y entend la même chanson
(« Everybody’s talkin’ » de Harry Nilsson) que dans le film de
Schlesinger.
Pour moi,
c’est le final de « Forrest Gump » (en gros les vingt dernières minutes)
qui est le moins réussi. Le ton change, on n’est plus dans l’ironie, on touche
à des sujets graves (le Sida), et on dérive vers le pathos larmoyant, en
rupture assez (trop ?) franche avec les deux heures précédentes. Tellement
flagrant que c’est évidemment voulu, mais que les ficelles émotionnelles sont
bien grosses. Ces dernières bobines permettent d’apercevoir dans le rôle du
fils de Forrest Gump le tout jeune Haley Joel Osment, futur premier rôle des
blockbuster « Sixième sens » et « A.I. Intelligence
Artificielle » (avant qu’il aille tourner des nanars passés sous les
radars, mais c’est une autre histoire).
Sinise, Williamson & Hanks
La plus
grosse surprise étant que « Forrest Gump » reste un film accessible
(à condition d’avoir un QI supérieur à 75) alors qu’a priori cette visite
loufoque dans l’histoire politique et sociale des sixties et seventies
américaines pourrait sembler assez hermétique. Mais tout passe, surtout si l’on
fait attention aux monologues intérieurs de Gump, bien souvent aussi drôles que
les scènes qui l’encadrent …
Ce qui fait que
« Forrest Gump » me semble faire partie des rares films qui se bonifient à
chaque nouveau visionnage …
Anecdote :
« Forrest Gump » a été un succès mondial, a gagné plein d’Oscars, et forcément,
bien des gens ont attendu une suite (ils avaient pas compris que l’histoire
était terminée). Les rumeurs sur cette suite se sont soudainement amplifiées il
y a quelques mois quand on a appris que Zemeckis tournait un film avec dans les
deux rôles principaux Tom Hanks et Robin Wright. Raté, « Here » n’est
évidemment pas la suite de « Forrest Gump » …
Pulp, c’est le siècle dernier, l’Angleterre
(Sheffield, le bled à – entre autres – un autre Cocker, Joe), catégorie
britpop. Enfin, c’est à cette époque-là qu’on les a connus chez eux, avec leur
disque précédent d’abord, et ce « Different class » surtout.
Dites-le avec des fleurs : Jarvis Cocker
Chez nous, les Gaulois réfractaires, la révélation
est arrivée lorsque Jarvis Cocker (Pulp à peu près à lui tout seul), lors de la
cérémonie des Brit Awards 96, est venu foutre le souk sur scène alors que
Michou Jackson (évidemment entouré d’une chorale de gosses, les juges allaient
bientôt s’intéresser à son cas) interprétait une de ses rengaines molles de
l’époque. Crime de lèse-majesté, le trublion filiforme s’était moqué du King of
Pop … et beaucoup dans le petit monde du pop-rock-machin avaient judicieusement
(peureusement ?) botté en touche quand on leur demandait leur avis sur
l’incident.
Bon, il avait le droit de se lâcher et de tout se
permettre, le Jarvis, parce que cette fois-ci, ça y était, il était quelqu’un
de connu grâce à son groupe Pulp (au moins en Angleterre, et un peu en Europe).
Pulp, tout le monde vous dira que c’est de la britpop. Maintenant que toute
cette affaire est terminée, Pulp a bien fait partie de la britpop. Mais en
seconde division. Parce que ceux qui jouaient la Champions League, c’étaient
Blur et Oasis. Et derrière, Pulp avait fort à faire pour s’extirper d’un peloton
d’outsiders qui se nommaient Suede, Verve, Supergrass. Et d’ailleurs Pulp n’y
est pas vraiment arrivé à s’extirper du peloton, les trois autres ayant eu à un
moment ou un autre plus de succès qu’eux.
Donc Pulp c’est Jarvis Cocker avec un backing band.
La première mouture du groupe remonte au début des années 80, et les sites
dédiés qui recensent les participants de l’aventure Pulp à un moment ou à un
autre comptabilisent des dizaines de musiciens ayant participé au groupe. Lors
de la parution de « Different class », ils sont six (basse, batterie,
deux guitares, une claviériste et Cocker en multi-instrumentiste et chant
lead). Ils posent sur la photo de la pochette maritale et sont faciles à
reconnaître, ils sont en gris au milieu des endimanchés).
Pulp 1995
Jarvis Cocker cultive une sorte d’aristocratie
réformiste. So british à la Ray Davies, une jeunesse de lumpenprolétaire (il a
vécu d’allocs et habitait dans des squats) mais qui a toujours soigné son
apparence, et un militantisme (à gauche) très présent dans ses textes.
« Common people » est la pièce de choix de
« Different class ». D’une durée plutôt déraisonnable pour un single
(près de six minutes), le titre intrigue par son intro mi-parlée mi-chantée.
Par contre, quand arrive le refrain suivi par un magnifique crescendo, force
est de reconnaître que sa position vers le haut des charts est tout à fait
méritée. La chanson parle d’une fille de la haute, qui pour changer, a envie de
se faire un common people (un type ordinaire, pour ceux qui avaient pris
andorran en première langue). Depuis sa sortie, Cocker ayant avoué qu’il avait
une fille bien réelle en tête lorsqu’il a écrit le morceau, on ne compte plus
les spéculations sur cette fille de la haute société, certaines connaissances
de Cocker ayant « avoué » qu’elles étaient cette personne (manière de
faire parler d’elles), tandis que d’autres plus plausibles se taisaient ou
niaient …
Mais bon, en ces temps-là où la concurrence était
rude et de qualité, il fallait plus qu’un bon titre pour faire vendre une
rondelle argentée. Ça tombe bien, Jarvis Cocker avait un autre machin imparable
dans sa manche, « Disco 2000 ». Qui évidemment, connaissant le
facétieux personnage, n’avait rien de disco ou de futuriste. C’est le titre le
plus méchamment rock du disque, avec gros riff de guitare d’entrée, et des airs
de ce que les Cars ont fait de mieux, à savoir de la power pop de première
bourre.
Les dix titres restants (qui en général prennent le
temps de se développer, « Different class » dure pas loin d’une
heure) ne sont pas tous de ce niveau, certains sont assez dispensables
(« Something changes », un peu trop tartiné d’arrangement de cordes,
« F.E.E.L.I.N.G.C.A.L.L.E.D.L.O.V.E. », étrange quiet/loud à tendance
symphonique, la classique ballade prévisible « Pencil skirt »).
Pulp a eu du succès surtout chez les anglophones,
parce que Cocker est un bon auteur, qui a dépasse les clichés convenus des
paroles du rock au sens large, ceci expliquant sans doute que la France ne lui
ait accordé qu’une reconnaissance modeste. Niveau compositions, c’est moins
transcendant, même s’il sait habilement recycler quelques bonnes recettes,
« Underwear » recycle sur les couplets la mélodie du « Forest
fire » de Lloyd Cole & The Commotions, « Bar Italia » (rien
à voir avec le groupe actuel du même nom) rappelle un peu le « Rock’n’roll
suicide » de Bowie, « I spy » est construit comme les titres à
succès des Pet Shop Boys (« Always on my mind », ce genre …).
Les Pulp vont aussi chercher des titres plus
complexes, l’introductif « Mis shapes » enchaîne bonnes trouvailles
mélodiques et brisures de rythme tout comme « Monday morning » un des
machins les plus rock, « Sorted for E’s & Wiz », ça a dû inspirer
The Verve et c’est un peu le « Good Vibrations » de la britpop par sa
complexité.
« Different class » est bien imprégné de
son époque, ces nineties qui voyaient les Britons relever la tête après une
décennie guère glorieuse. On n’est pas face à un classique intemporel, juste un
bon disque d’un gars qui arrive à sa maturité artistique. Etat de grâce qui se
poursuivra avec le suivant « This is hardcore », avant que Pulp fasse
comme tous ses collègues-concurrents de la britpop, se dilue dans le
dispensable …
Tout commence en Nouvelle-Zélande … Le pays des rugbymen
tout en noir, des Maoris tatoués (qui jouent aussi au rugby) et des millions de
moutons (qui a priori ne jouent pas au rugby). Joli pays mais un peu rude. Tout
le contraire d’un endroit où l’on verrait se développer un groupe de sunshine
pop. Eh bien c’est ce qui est arrivé avec Split Enz, co-formé par un dénommé
Tim Finn. Succès local. L’affaire prend une dimension supérieure quand le frère
cadet Neil Finn rejoint la bande. Le succès s’amplifie et gagne l’Australie à
la fin des années septante. Puis Tim se barre, les autres continuent, émigrent
en Australie, changent plusieurs fois de nom, avant de se stabiliser sous la
forme d’un trio baptisé Crowded House.
Tim & Neil Finn
Premier album éponyme et premier (petit) succès
international grâce au titre « Don’t dream is over ». Le deuxième
disque restera beaucoup plus confidentiel. Mais les deux frangins sont restés
en contact et finalement se retrouvent pour mettre en chantier une troisième
rondelle, qui sera ce « Woodface » dont il est question.
Premier point. Ne pas se laisser rebuter par la pochette,
très moche (au moins autant que celle du « Roots » de Sepultura paru
quelques années plus tard). Ne pas non plus accorder trop d’importance à
l’atypique premier titre (« Chocolate Cake »), plutôt funky et qui par
son refrain a de faux airs du « Kinky afro » des Happy Mondays, et
donc du « Voulez-vous coucher avec moi ce soir » de Patti Labelle et
de son Lady Marmalade. De près ou de loin, Crowded House n’a rien de funky,
même si ce « Chocolate cake » est plutôt plaisant.
Non, on se refait pas, les Finn Brothers et leurs deux
potes sont irrémédiablement marqués par la pop, et tant qu’à faire celle des
plus grands, celle de ces p’tits gars de Liverpool des années 60, qui
s’appelaient, euh comment déjà, ça me reviendra …
Crowded House 1991
On est avec « Woodface » dans le classicisme
absolu, trois minutes, des mélodies, des couplets, des refrains, des ponts, et
des harmonies vocales (tous les quatre donnent de la voix, mais le chant lead
est le plus souvent assuré par les deux frangins à l’unisson, école Everly
Brothers). Il y a quatorze titres dans « Woodface » (plus un caché,
on en recausera). Deux ou trois auraient pu être zappés, parce qu’ils manquent de
punch mélodique (« Whispers and moans », « She goes on »),
ou parce qu’ils ont laissé le batteur écrire un titre (« Italian plastic »),
ce qui n’était pas une bonne idée …
Les Crowded House excellent dans un genre tout
particulier, la ballade mid-tempo. Et là, ils se contentent pas de bien faire,
ils torchent de petites merveilles. La plus connue (au moins en Gaule), elle
passait en radio, c’est « Fall at your feet », et ça ressemble à ce
qu’a fait de mieux Sir McCartney avec ses Wings, du côté de « Band on the
run ». Même similitude qualitative avec « Four seasons in a week ».
La meilleure du lot, c’est le dernier titre « How will you go »,
c’est juste parfait. A noter qu’à la fin du titre, après une minute de silence,
on a un court machin hurlant (les guitares, les voix) sur un tempo très Black Sabbath,
le genre de gag totalement inutile …
Quelques autres ballades sont dans la même veine, bien
qu’un ton en dessous (« It’s only natural », « As sure as I
am »). Bon, avant de l’oublier, il convient de citer le cinquième membre
officieux de Crowded House (il a jusque là produit tous leurs disques), le
sieur Mitchell Froom, qui sera un des tout grands rats de studio des années 90 et
qui a déjà sur son CV des gens comme Roy Orbison (pour son ultime et excellent
« Mystery girl »), ou… tiens,
comme c’est bizarre … McCartney (pour le dispensable « Flowers in the
dirt »). Froom concocte ici un son basique, « boisé », sans artifices
superflus. Et quand par hasard, il se hasarde à surcharger quelque peu, ça
passe beaucoup moins bien (« All I ask » avec ses violons too much,
comme de l’Elvis Costello des mauvais jours).
Tiens l’Elvis anglais. Quand chez Crowded House, le rythme
s’accélère (« Woodface », bien que dominé par les ballades et les
mid-tempos, n’est pas un machin soporifique), on pense au Costello des
seventies, ou à son équivalant-rival Joe Jackson (le plutôt rock « Tall
trees »). Une petite escapade sur les terres cultivées par R.E.M alors en
pleine gloire (« Weather with you ») est là pour faire un clin d’œil
aux amateurs d’indie-rock, et quelques riffs de guitare bien sentis de ci de là
entraînent quelques titres vers le rock FM, ou middle of the road, ou tout ce
que vous voulez.
Grâce à la qualité des compositions et de la production
intemporelles, « Woodface » supporte ma foi plus que bien l’épreuve
des décennies. C’est pas un chef-d’œuvre absolu, juste une belle réalisation
d’artisans de la pop à leur meilleur niveau. Parce que ce soit ensemble ou
séparément, dans Crowded House ou pas, les frangins Finn, s’ils resteront
toujours de bons trousseurs de mélodies, ne retrouveront jamais la qualité de
de « Woodface ».