Ou film
culte, comme on veut … Ou les deux … Ou pourrait aussi dire film de
blaxploitation, sauf que le héros n’est pas Black et qu’il gagne pas à la fin.
En tout cas « The King of New York » est avec son successeur « Bad
Lieutenant » ce que Ferrara a fait de mieux.
Abel Ferrara 1990
Ferrara est
un cas social hors du commun. Très marqué, pour pas dire traumatisé par
l’éducation religieuse (comme Almodovar ou Scorsese), il va s’en éloigner le
plus possible dans ses films (le premier sous pseudo est un porno), sans pour
autant en renier les fondamentaux symboliques (péché-expiation-rédemption,
cette sorte de choses). Les films de Ferrara sont là pour faire flipper le catho
de base. Dans « The King of New York » le héros est un ex-taulard,
dealer de coke qui assassine de sang-froid concurrents et flics dans une
surenchère cataclysmique.
Les histoires
de truands qui construisent un empire et finissent par crever de leur orgueil,
c’est pas ça qui manque, du « Little Caesar » de Mervyn LeRoy, au
« Scarface » de De Palma. Sauf que c’est pas ce genre de films que
cite Ferrara pour son inspiration. Il a « vu » son film en sortant
d’une projection de … « Terminator ». Même si c’est dit en termes
diplomatiques, il pense que si pareille couillonade cartonne (l’obsession
d’atteindre son but en dégommant tout ce qui s’y oppose), il peut faire aussi
bien, voire mieux. Sauf qu’avec son pote depuis le lycée, le scénariste
Nicholas St-John, il sont pas vraiment dans le trip post-apocalyptique de
Cameron (ou de George Miller). Leur monde, c’est le New York contemporain. Pas
le New York de Broadway et de Wall Street, le New York des quartiers glauques
(le Bronx), des trafiquants en tout genres, et avec son ascendance italienne,
celui du « milieu ».
Christopher Walken
Le Terminator
de Ferrara sera Blanc (à double titre, il s’appelle Jack White, inutile de
faire une disgression pour la symbolique catho liée au blanc), vient de
s’endurcir en zonzon, et entend dès sa sortie devenir le roi de la dope sur la
ville. Jack White, c’est Christopher Walken, qui deviendra après ce film un des
acteurs fétiches de Ferrara. Plus ou moins dans le trip Brando quand Ferrara le
rencontre (empâté, manteaux de fourrure, et jamais loin d’une quille de vin
rouge), Walken va perdre vingt kilos avant le tournage pour jouer cette brute
émaciée au regard fou et glaçant. Si Ferrara a son premier rôle, il a pas le
fric pour tourner, les circuits de financement « classiques »
américains lui ayant tous répondu quand il les a sollicités par un niet aussi
poli que ferme et définitif. Ce sont ses connexions italo-américaines qui le
mettront en relation avec des Italiens qui aligneront les lires pour que le
film se fasse.
Et donc une
fois considéré que Walken sera la star du générique, faut compléter avec des
seconds couteaux. Et force est de reconnaître que l’Abel a eu le nez plutôt
creux. Des seconds rôles seront notamment tenus par Wesley Snipes, Laurence
Fishburne, et ont droit à quelques scènes Steve Buscemi ou Harold Perrineau. Bon
y’a aussi eu des ratés, qui se souvient et a vu ailleurs Janet Julian (Jennifer,
l’avocate et maîtresse de White), répondez pas tous en même temps.
Weley Snipes
Le scénario
est ultra basique, ascension et chute d’un caïd de la drogue. Et Ferrara a beau
jeu de dire que rien n’est crédible dans son film, les choses ne se passent pas
comme ça dans la réalité (les « parrains » ne règlent pas leurs
comptes eux-mêmes, ne participent pas aux gunfights punitifs, et un réseau
mafieux ne s’écroule pas et ne se contrôle pas avec trois rafales de pistolet
mitrailleur).
Ce qui compte
pour Ferrara, c’est montrer « sa » ville, New York. Sous son prisme à
lui. Walken est à peu près en roue libre, esquisse même quelques pas de danse
(sa marotte dès qu’il peut glisser quelques entrechats dans ses films, il
aurait préféré être danseur professionnel plutôt qu’acteur), tout le monde en
fait des tonnes. N’empêche qu’il y a bel et bien dans « The King … »
une « patte » Ferrara. L’art de susciter la tension avant les montées
de violence froide (la scène aves Snipes et Buscemi venus conclure un deal avec
les Hispanos, le règlement de comptes chez les mafieux ritals, …). L’envie de
donner du spectacle (la baston lors de la party-partouze chez White, la course
poursuite à la « Bullit » dans les grandes artères newyorkaises, …).
La mise en scène d’une esthétique froide (tout ce bleu métallique qui domine dans
la gamme chromatique), mais avec des partis-pris visuels forts (les très gros
plans sur les visages lors des discussions). Et pourtant Ferrara n’a quasiment
pas touché à la caméra. Il « visualisait » les scènes, donnait les
ordres aux acteurs et à son caméraman, et partait surveiller tout ça dans le
studio vidéo. D’où il ne s’extirpait pas souvent, montant, assemblant,
sonorisant quasiment à la volée. D’où une séquence qui a marqué les
participants au film, lors de la fête organisée le dernier jour de tournage,
des écrans télé diffusaient quasiment dans sa version définitive « The
King of New York » dont les dernières prises avaient eu lieu quelques
heures auparavant.
Laurence Fishburne
Ferrara n’oublie
pas de développer son postulat Bien / Mal. White est totalement amoral, sans
aucune pitié ni scrupule (l’assassinat du flic lors de l’enterrement), veut
devenir le King d’un monde où règnent luxure et dope. Et en même temps il patronne
une soirée de bienfaisance pour récolter des fonds en vue de construire un hôpital
pour les enfants. Séquence qui donne l’occasion d’une chanson par le second
couteau soul Freddie Jackson. Alors que la bande-son est quasiment
exclusivement composée de titres rap ou hip hop (Ferrara est très pote avec le
rappeur Schooly D, omniprésent sur la B.O. et dont les connexions avec les
bandes des quartiers mal famés où a été tourné le film ont permis à toute l’équipe
d’évoluer sans encombre). De ce point de vue, Ferrara innove. Premier Blanc à
donner une telle place au rap dans la bande-son, « The King of New York »
est sorti moins d’un an après « Do the right thing » (Spike Lee /
Public Enemy) et un an avant « Boyz in the hood » (John Singleton / Ice
Cube).
Alors il faut voir « The King
of New York ». Au moins parce que les dernières scènes (un Walken blessé
à mort marchant tel un zombie dans les rues de « sa » ville avant d’aller
agoniser à l’arrière d’un taxi cerné par les gyrophares des voitures de police
et les flics qui le traquent), doivent rassembler toutes les chapelles de
cinéphiles …
Parce que
« Born to run » ça peut servir de résumé en trois mots du film. Et aussi
parce que la masterpiece du Boss est la chanson qui manque dans la B.O.,
notamment quand Forrest Gump fait son marathon across the U.S.A. Question,
Springsteen serait-il plus dur en affaires pour les autorisations sur ses
titres que les rescapés et ayant-droit des Doors, qu’on entend trois fois dans
« Forrest Gump », parmi les 45 titres de la B.O. ?
Zemeckis & Hanks
Tout ça pour
dire que « Forrest Gump » est aussi un film qui s’écoute, même si les
extraits musicaux sont souvent réduits à quelques secondes, et en sourdine au
fin fond du mix sonore. Je vais vous dire, le tracklisting de la B.O. aurait pu
être celui d’un film signé Scorsese. A une exception (majeure) près : dans
« Forrest Gump » rien que des titres américains des fifties au tout
début des eighties, qui illustrent chronologiquement l’histoire (à quelques
pains temporels près, par exemple quand Forrest arrive en 67 au Vietnam, on
entend « Fortunate son » de Creedence, sorti deux ans plus tard).
C’est là tout l’a priori étrange de ce film, comment a-t-il pu être un immense
succès mondial alors que plus américain tu peux pas, l’histoire d’un simplet de
l’Alabama qui par hasard se trouve dans des situations, des endroits, en face
de personnages qui ont fait l’Histoire, Histoire qu’il influence, en initiant
Elvis à sa danse pelvienne désarticulée, en soufflant les paroles de
« Imagine » à John Lennon, en téléphonant à la police pour signaler
un cambriolage au Watergate Hotel, sans parler de
ses « rencontres » avec JFK, Lyndon Johnson, Nixon ?
« Forrest
Gump » vient d’un roman « récréatif » du même nom d’un
historien, scénarisé par Eric Roth dont ce sera la première adaptation
plébiscitée (il bossera par la suite pour des « grosses machines »
réalisées par Michael Mann, Spielberg, Fincher, Villeneuve, …). Pour
« Forrest Gump », seront portés aux nues les noms de Robert Zemeckis
et Tom Hanks. Les deux ne sont pas des débutants, le premier vient de réaliser «
… Roger Rabbit » et les deux premiers volets de « Retour vers le
futur ». Hanks a déjà beaucoup tourné, et bien souvent n’importe quoi
(avec même un Oscar pour le navrant « Big »), avant de vraiment
capter l’attention avec ses deux derniers films, « Nuits blanches à
Seattle » et « Philadelphia ». Pour Zemeckis et Hanks (premier
choix de la production), « Forrest Gump » amènera la consécration
définitive.
Hanks & Wright
Hanks est
parfait dans le rôle du simplet parfois génial, comme une version exubérante de
Hoffman dans « Rain Man », avec sa vision rousseauiste (l’homme est
naturellement bon, c’est la société qui le pervertit). Je suis généralement pas
très fan de son jeu sans aspérités et des personnages qu’il a tendance à
ramollir, affadir pour qu’ils suscitent de la pitié larmoyante, mais force est
de reconnaître que dans « Forrest Gump » toutes les récompenses et
nominations prestigieuses qu’il obtiendra sont bien méritées.
Et le reste
de la distribution se hisse à son niveau de Sally Field (la mère), à Robin
Wright (l’amour de sa vie) en passant par Gary Sinise (son supérieur au
Vietnam) ou l’extraordinaire Mykelti Williamson (Bubba, son
« jumeau » noir).
Tout ceci ne
serait pas aussi fort sans la Zemeckis touch. Il a du pognon pour tourner, et
va l’utiliser. Pas pour les extérieurs, une grosse partie du film a été tourné
dans un tout petit périmètre (à Savannah en Géorgie, et le Vietnam dans une
zone marécageuse de Caroline du Sud toute proche). Mais surtout Zemeckis va
utiliser toutes les techniques numériques de pointe. Beaucoup de scènes se
feront devant un rideau vert, notamment quand intervient Sinise amputé de ses
deux guiboles, les ordinateurs tourneront plein pot pour les effets de
mouthmorphing (faire bouger les lèvres en fonction des dialogues
« revisités » des Kennedy, Johnson, Lennon et autres), pour rajouter
des balles de ping-pong (non, Hanks n’est pas devenu un des frères Lebrun, il
ne fait qu’agiter la raquette dans le vide). Les effets spéciaux dernier cri
ont simulé des balles traçantes, des lâchages de napalm, des foules dans les
stades ou au mémorial Lincoln … Deux anecdotes. Tout n’est pas retouché,
certaines scènes historiques ont été recréées avec des figurants (il n’y avait
pas de films à bricoler, juste des photos qui témoignaient de l’événement). Une
scène très longue à tourner fut la partie de ping-pong en Chine. L’adversaire
de Hanks était un Sud Coréen parmi les tout meilleurs mondiaux. Comme il n’y
avait pas de balle, les deux devaient mimer la partie. Hanks y arrivait sans
problème, mais le pro n’arrivait pas à se synchroniser avec une balle imaginaire,
c’est à cause de lui que d’innombrables prises ont dû être faites …
Zemeckis a réussi à virer Yoko Ono ...
Visuellement,
« Forrest Gump » est à la pointe de la technologie. Mais c’est surtout un
film finement drôle. Zemeckis se tient loin des gags cartoonesques de « …
Roger Rabbit » ou de ceux plutôt lourdauds de « Retour vers le
futur ». Mentions particulières au personnage de Bubba, sa lèvre pendante
et son obsession pour la pêche aux crevettes et la façon de les cuisiner, et à
la scène devenue culte où Robin Wright chante seulement « vêtue »
d’une guitare acoustique « Blowin’ in the wind » dans un bouge à strip-tease.
Les allusions sont parfois pointues, quand Hanks pousse Sinise dans son
fauteuil roulant au milieu des taxis dans une rue enneigée de New York, c’est
un hommage-pastiche d’une scène de « Macadam cowboy » similaire avec
Dustin Hoffman et John Voight, et on y entend la même chanson
(« Everybody’s talkin’ » de Harry Nilsson) que dans le film de
Schlesinger.
Pour moi,
c’est le final de « Forrest Gump » (en gros les vingt dernières minutes)
qui est le moins réussi. Le ton change, on n’est plus dans l’ironie, on touche
à des sujets graves (le Sida), et on dérive vers le pathos larmoyant, en
rupture assez (trop ?) franche avec les deux heures précédentes. Tellement
flagrant que c’est évidemment voulu, mais que les ficelles émotionnelles sont
bien grosses. Ces dernières bobines permettent d’apercevoir dans le rôle du
fils de Forrest Gump le tout jeune Haley Joel Osment, futur premier rôle des
blockbuster « Sixième sens » et « A.I. Intelligence
Artificielle » (avant qu’il aille tourner des nanars passés sous les
radars, mais c’est une autre histoire).
Sinise, Williamson & Hanks
La plus
grosse surprise étant que « Forrest Gump » reste un film accessible
(à condition d’avoir un QI supérieur à 75) alors qu’a priori cette visite
loufoque dans l’histoire politique et sociale des sixties et seventies
américaines pourrait sembler assez hermétique. Mais tout passe, surtout si l’on
fait attention aux monologues intérieurs de Gump, bien souvent aussi drôles que
les scènes qui l’encadrent …
Ce qui fait que
« Forrest Gump » me semble faire partie des rares films qui se bonifient à
chaque nouveau visionnage …
Anecdote :
« Forrest Gump » a été un succès mondial, a gagné plein d’Oscars, et forcément,
bien des gens ont attendu une suite (ils avaient pas compris que l’histoire
était terminée). Les rumeurs sur cette suite se sont soudainement amplifiées il
y a quelques mois quand on a appris que Zemeckis tournait un film avec dans les
deux rôles principaux Tom Hanks et Robin Wright. Raté, « Here » n’est
évidemment pas la suite de « Forrest Gump » …
Pulp, c’est le siècle dernier, l’Angleterre
(Sheffield, le bled à – entre autres – un autre Cocker, Joe), catégorie
britpop. Enfin, c’est à cette époque-là qu’on les a connus chez eux, avec leur
disque précédent d’abord, et ce « Different class » surtout.
Dites-le avec des fleurs : Jarvis Cocker
Chez nous, les Gaulois réfractaires, la révélation
est arrivée lorsque Jarvis Cocker (Pulp à peu près à lui tout seul), lors de la
cérémonie des Brit Awards 96, est venu foutre le souk sur scène alors que
Michou Jackson (évidemment entouré d’une chorale de gosses, les juges allaient
bientôt s’intéresser à son cas) interprétait une de ses rengaines molles de
l’époque. Crime de lèse-majesté, le trublion filiforme s’était moqué du King of
Pop … et beaucoup dans le petit monde du pop-rock-machin avaient judicieusement
(peureusement ?) botté en touche quand on leur demandait leur avis sur
l’incident.
Bon, il avait le droit de se lâcher et de tout se
permettre, le Jarvis, parce que cette fois-ci, ça y était, il était quelqu’un
de connu grâce à son groupe Pulp (au moins en Angleterre, et un peu en Europe).
Pulp, tout le monde vous dira que c’est de la britpop. Maintenant que toute
cette affaire est terminée, Pulp a bien fait partie de la britpop. Mais en
seconde division. Parce que ceux qui jouaient la Champions League, c’étaient
Blur et Oasis. Et derrière, Pulp avait fort à faire pour s’extirper d’un peloton
d’outsiders qui se nommaient Suede, Verve, Supergrass. Et d’ailleurs Pulp n’y
est pas vraiment arrivé à s’extirper du peloton, les trois autres ayant eu à un
moment ou un autre plus de succès qu’eux.
Donc Pulp c’est Jarvis Cocker avec un backing band.
La première mouture du groupe remonte au début des années 80, et les sites
dédiés qui recensent les participants de l’aventure Pulp à un moment ou à un
autre comptabilisent des dizaines de musiciens ayant participé au groupe. Lors
de la parution de « Different class », ils sont six (basse, batterie,
deux guitares, une claviériste et Cocker en multi-instrumentiste et chant
lead). Ils posent sur la photo de la pochette maritale et sont faciles à
reconnaître, ils sont en gris au milieu des endimanchés).
Pulp 1995
Jarvis Cocker cultive une sorte d’aristocratie
réformiste. So british à la Ray Davies, une jeunesse de lumpenprolétaire (il a
vécu d’allocs et habitait dans des squats) mais qui a toujours soigné son
apparence, et un militantisme (à gauche) très présent dans ses textes.
« Common people » est la pièce de choix de
« Different class ». D’une durée plutôt déraisonnable pour un single
(près de six minutes), le titre intrigue par son intro mi-parlée mi-chantée.
Par contre, quand arrive le refrain suivi par un magnifique crescendo, force
est de reconnaître que sa position vers le haut des charts est tout à fait
méritée. La chanson parle d’une fille de la haute, qui pour changer, a envie de
se faire un common people (un type ordinaire, pour ceux qui avaient pris
andorran en première langue). Depuis sa sortie, Cocker ayant avoué qu’il avait
une fille bien réelle en tête lorsqu’il a écrit le morceau, on ne compte plus
les spéculations sur cette fille de la haute société, certaines connaissances
de Cocker ayant « avoué » qu’elles étaient cette personne (manière de
faire parler d’elles), tandis que d’autres plus plausibles se taisaient ou
niaient …
Mais bon, en ces temps-là où la concurrence était
rude et de qualité, il fallait plus qu’un bon titre pour faire vendre une
rondelle argentée. Ça tombe bien, Jarvis Cocker avait un autre machin imparable
dans sa manche, « Disco 2000 ». Qui évidemment, connaissant le
facétieux personnage, n’avait rien de disco ou de futuriste. C’est le titre le
plus méchamment rock du disque, avec gros riff de guitare d’entrée, et des airs
de ce que les Cars ont fait de mieux, à savoir de la power pop de première
bourre.
Les dix titres restants (qui en général prennent le
temps de se développer, « Different class » dure pas loin d’une
heure) ne sont pas tous de ce niveau, certains sont assez dispensables
(« Something changes », un peu trop tartiné d’arrangement de cordes,
« F.E.E.L.I.N.G.C.A.L.L.E.D.L.O.V.E. », étrange quiet/loud à tendance
symphonique, la classique ballade prévisible « Pencil skirt »).
Pulp a eu du succès surtout chez les anglophones,
parce que Cocker est un bon auteur, qui a dépasse les clichés convenus des
paroles du rock au sens large, ceci expliquant sans doute que la France ne lui
ait accordé qu’une reconnaissance modeste. Niveau compositions, c’est moins
transcendant, même s’il sait habilement recycler quelques bonnes recettes,
« Underwear » recycle sur les couplets la mélodie du « Forest
fire » de Lloyd Cole & The Commotions, « Bar Italia » (rien
à voir avec le groupe actuel du même nom) rappelle un peu le « Rock’n’roll
suicide » de Bowie, « I spy » est construit comme les titres à
succès des Pet Shop Boys (« Always on my mind », ce genre …).
Les Pulp vont aussi chercher des titres plus
complexes, l’introductif « Mis shapes » enchaîne bonnes trouvailles
mélodiques et brisures de rythme tout comme « Monday morning » un des
machins les plus rock, « Sorted for E’s & Wiz », ça a dû inspirer
The Verve et c’est un peu le « Good Vibrations » de la britpop par sa
complexité.
« Different class » est bien imprégné de
son époque, ces nineties qui voyaient les Britons relever la tête après une
décennie guère glorieuse. On n’est pas face à un classique intemporel, juste un
bon disque d’un gars qui arrive à sa maturité artistique. Etat de grâce qui se
poursuivra avec le suivant « This is hardcore », avant que Pulp fasse
comme tous ses collègues-concurrents de la britpop, se dilue dans le
dispensable …
Tout commence en Nouvelle-Zélande … Le pays des rugbymen
tout en noir, des Maoris tatoués (qui jouent aussi au rugby) et des millions de
moutons (qui a priori ne jouent pas au rugby). Joli pays mais un peu rude. Tout
le contraire d’un endroit où l’on verrait se développer un groupe de sunshine
pop. Eh bien c’est ce qui est arrivé avec Split Enz, co-formé par un dénommé
Tim Finn. Succès local. L’affaire prend une dimension supérieure quand le frère
cadet Neil Finn rejoint la bande. Le succès s’amplifie et gagne l’Australie à
la fin des années septante. Puis Tim se barre, les autres continuent, émigrent
en Australie, changent plusieurs fois de nom, avant de se stabiliser sous la
forme d’un trio baptisé Crowded House.
Tim & Neil Finn
Premier album éponyme et premier (petit) succès
international grâce au titre « Don’t dream is over ». Le deuxième
disque restera beaucoup plus confidentiel. Mais les deux frangins sont restés
en contact et finalement se retrouvent pour mettre en chantier une troisième
rondelle, qui sera ce « Woodface » dont il est question.
Premier point. Ne pas se laisser rebuter par la pochette,
très moche (au moins autant que celle du « Roots » de Sepultura paru
quelques années plus tard). Ne pas non plus accorder trop d’importance à
l’atypique premier titre (« Chocolate Cake »), plutôt funky et qui par
son refrain a de faux airs du « Kinky afro » des Happy Mondays, et
donc du « Voulez-vous coucher avec moi ce soir » de Patti Labelle et
de son Lady Marmalade. De près ou de loin, Crowded House n’a rien de funky,
même si ce « Chocolate cake » est plutôt plaisant.
Non, on se refait pas, les Finn Brothers et leurs deux
potes sont irrémédiablement marqués par la pop, et tant qu’à faire celle des
plus grands, celle de ces p’tits gars de Liverpool des années 60, qui
s’appelaient, euh comment déjà, ça me reviendra …
Crowded House 1991
On est avec « Woodface » dans le classicisme
absolu, trois minutes, des mélodies, des couplets, des refrains, des ponts, et
des harmonies vocales (tous les quatre donnent de la voix, mais le chant lead
est le plus souvent assuré par les deux frangins à l’unisson, école Everly
Brothers). Il y a quatorze titres dans « Woodface » (plus un caché,
on en recausera). Deux ou trois auraient pu être zappés, parce qu’ils manquent de
punch mélodique (« Whispers and moans », « She goes on »),
ou parce qu’ils ont laissé le batteur écrire un titre (« Italian plastic »),
ce qui n’était pas une bonne idée …
Les Crowded House excellent dans un genre tout
particulier, la ballade mid-tempo. Et là, ils se contentent pas de bien faire,
ils torchent de petites merveilles. La plus connue (au moins en Gaule), elle
passait en radio, c’est « Fall at your feet », et ça ressemble à ce
qu’a fait de mieux Sir McCartney avec ses Wings, du côté de « Band on the
run ». Même similitude qualitative avec « Four seasons in a week ».
La meilleure du lot, c’est le dernier titre « How will you go »,
c’est juste parfait. A noter qu’à la fin du titre, après une minute de silence,
on a un court machin hurlant (les guitares, les voix) sur un tempo très Black Sabbath,
le genre de gag totalement inutile …
Quelques autres ballades sont dans la même veine, bien
qu’un ton en dessous (« It’s only natural », « As sure as I
am »). Bon, avant de l’oublier, il convient de citer le cinquième membre
officieux de Crowded House (il a jusque là produit tous leurs disques), le
sieur Mitchell Froom, qui sera un des tout grands rats de studio des années 90 et
qui a déjà sur son CV des gens comme Roy Orbison (pour son ultime et excellent
« Mystery girl »), ou… tiens,
comme c’est bizarre … McCartney (pour le dispensable « Flowers in the
dirt »). Froom concocte ici un son basique, « boisé », sans artifices
superflus. Et quand par hasard, il se hasarde à surcharger quelque peu, ça
passe beaucoup moins bien (« All I ask » avec ses violons too much,
comme de l’Elvis Costello des mauvais jours).
Tiens l’Elvis anglais. Quand chez Crowded House, le rythme
s’accélère (« Woodface », bien que dominé par les ballades et les
mid-tempos, n’est pas un machin soporifique), on pense au Costello des
seventies, ou à son équivalant-rival Joe Jackson (le plutôt rock « Tall
trees »). Une petite escapade sur les terres cultivées par R.E.M alors en
pleine gloire (« Weather with you ») est là pour faire un clin d’œil
aux amateurs d’indie-rock, et quelques riffs de guitare bien sentis de ci de là
entraînent quelques titres vers le rock FM, ou middle of the road, ou tout ce
que vous voulez.
Grâce à la qualité des compositions et de la production
intemporelles, « Woodface » supporte ma foi plus que bien l’épreuve
des décennies. C’est pas un chef-d’œuvre absolu, juste une belle réalisation
d’artisans de la pop à leur meilleur niveau. Parce que ce soit ensemble ou
séparément, dans Crowded House ou pas, les frangins Finn, s’ils resteront
toujours de bons trousseurs de mélodies, ne retrouveront jamais la qualité de
de « Woodface ».
Ouais, on va pas y passer la nuit. Venons-en directement
aux (mé)faits. Travis donc, groupe de quatre types écossais, débuts au milieu
des années 90. Pour situer, ceux qui comptent dans la perfide Albion s’appellent
Blur et Oasis, et ceux qui vont compter Coldplay et Radiohead. Les deux
premiers donnent dans le rock, les deux autres non.
C’est pourtant en singeant de façon éhontée les bandes à
Chris Martin et Thom Yorke que Travis va faire son beurre. « The Man Who »
s’est vendu à des millions d’exemplaires chez les rosbifs, et le groupe est
resté à peu près inconnu dans le reste du monde. Ça arrive, on a bien Johnny
Hallyday et chez les Ricains Billy Ray Cyrus (le père de la Miley du même nom),
énormes vendeurs chez eux et qui ne s’exportent pas. Essentiellement parce que
trop typiques de leur pays.
Les Travis, on peut pas dire qu’ils soient typiques de l’Ecosse
ou de l’Angleterre, c’est pas les Kinks des années nonante, on en est loin ...
Que leur disque ait pu marcher quelque part relève pour moi du prodige, tant il
est d’une fadeur affligeante. Pour faire simple, on dira que c’est du Coldplay
des débuts avec le producteur de Radiohead. Oui, le sieur Nigel Godrich himself
est aux manettes de « The Man Who ». Ils ont bien fait de l’écrire
sur les notes de pochette, parce que ça s’entend pas trop. Comme quoi, un
producteur aussi doué soit-il, s’il a pas face à lui des types qui ont des
idées, il imprime pas sa marque …
Faut dire que dans le genre, les Travis font assez fort.
Dix titres (plus un caché) construits de la même façon. De la ballade mid-tempo
sur fond d’arpèges de guitare, des constructions mélodiques rachitiques, des
refrains soporifiques, et un type au micro dont je veux même pas savoir le nom
qui chante tous les titres exactement de la même façon, voix feignasse,
linéaire et voilée.
Et quand l’inspiration manque, on va exhumer des grilles
d’accord de « Bonnie & Clyde » (Gainsbourg et Bardot) sur l’introductif
« Writing to reach you » ou de celles du Lennon de « Jealous guy »
(sur « As you are »). Quatre singles furent extraits de cette
rondelle et se comportèrent honorablement dans les charts (anglais only). Coup
de bol, il y a dans le lot les deux meilleurs titres, « Why does it always
rain on me ? », agréable mid-tempo avec une fois n’est pas coutume
une jolie mélodie, et « Driftwood », point trop moche réminiscence du
REM période « Out of time – Automatic for the people ». Les autres
morceaux, interchangeables mièvreries inconsistantes, on peut les zapper.
Ce « The Man Who » on le trouve facilement d’occase pour
le prix port compris d’un demi. Ô joie, la version que j’ai pécho comprend sur
un Cd bonus trois titres live (deux at home à Glasgow, un sur une radio ou une
télé italienne). Believe me, c’est encore plus mauvais que sur disque (on
entend pas le batteur à Glasgow, ça semble unplugged), à tel point que la meilleure
performance est d’assez loin celle du présentateur italien, qui semble
surexcité à l’idée d’annoncer Travis. Y’a vraiment pas de quoi …
Aujourd’hui le rap est mort. Comme le rock, la pop,
le blues, le funk, le reggae, l’électro … Ou tout ce que vous voulez qui sort
d’une enceinte (c’est quoi ça, une enceinte, demande le gamin du 21ème
siècle, ses airpods dans les esgourdes crachotant une saloperie sonore en
playlist sur Spotify). Aujourd’hui, on a des sortes de moines copistes sonores qui retranscrivent à grand-peine (merci Autotune) à grands coups de sons
métallisés (merci le vocoder), ce qui se faisait avant (parce que c’était mieux
avant, ou moins mauvais). Et plus t’as de disques (c’est quoi ça un disque,
demande le gamin du dessus), plus tu t’aperçois que les plus récents tu les as
déjà entendus depuis des décennies. Et je parle pas des reprises (c’est quoi ça
une reprise … ‘tain, tu vas nous lâcher toi).
Donc rap is dead … de sa belle mort il y a un quart
de siècle. L’assassin involontaire : Eminem dont deux ou trois disques
(excellents, c’est pas le propos) l’ont fait rentrer dans le mainstream grâce à
un invraisemblable paradoxe, le rap, ce genre issu des quartiers paupérisés
Noirs de New York, venait d’accoucher de sa plus grande star, un minot white
trash de Detroit. Blanc donc. La boucle était bouclée, la récupération à toutes
les sauces en marche. Sommet (en attendant mieux ?), le quinqua Snoop Dog
(celui-là même qui avait scandalisé l’Amérique du milieu des 90’s avec son
gangsta-rap jazzy et porno), supporter number one des Ricains aux J.O. de Paris
et premier MC des J.O. de Los Angeles. Le serial niqueur fumeur de ganja
applaudissant sans discontinuer des couillons de sportifs, et vantant les
immenses mérites de Trump … Comme quoi l’herbe à fortes doses peut causer des
dommages cérébraux irréparables …
Revenons-en au sieur Ice-T. Né dans le New Jersey,
orphelin très jeune, déménagé vers L.A., ado délinquant, militaire délinquant,
puis délinquant professionnel (assez malin pour éviter les flagrants délits).
Avec en fonds sonores les débuts du rap. Même s’ils sont plusieurs à
revendiquer le titre, il est à la fin des 80’s un des instigateurs majeurs du
gangsta-rap, et un des très rares à ne pas avoir eu besoin de s’inventer un
passé « glorieux ».
Alors que la plupart de ses potes finissent en
taule, il laisse tomber les braquages pour se consacrer à plein temps au rap,
rassemblant des gens autour de lui (le Rhyme $yndicate, qui deviendra le nom de
son label, distribué par le gros indé Sire Records).
Il y a deux portes d’entrée à la reconnaissance dans
le rap. Soit avoir des textes forts, soit un son qui déchire tout. Quand tu
réussis sur ces deux tableaux, soit tu t’appelles Public Enemy, soit NWA (liste
close). Ice-T il a plein de choses à dire. Mais ses disques sont chiants. Des
titres monolithiques, plutôt secs et austères, avec quelques samples discrets
de sons vaguement jazzy ou funky en constituent l’essentiel. Et puis, ça finit
jamais, rondelles témoins sonores d’une époque où le Cd régnait en maître et où
le rappeur qui sortait des disques de moins d’une heure passait pour une grosse
feignasse. Alors on a droit à des intermèdes-interludes dispensables et parmi
les « vrais » titres, on choisit le remplissage plutôt que l’élagage.
J’ai écouté une poignée de disques de l’Ice-T et ce
« Original Gangster » me semble le plus abouti du lot. Que quelqu’un
de peu accro au genre balancera par la fenêtre au bout de dix minutes, c’est
pas destiné au « grand public », c’est trop brut de décoffrage.
Quelques titres ressortent du lot, dont « New Jack Hustler » qui est
un de ses plus gros hits (une des rythmiques les plus trépidantes de la
rondelle, le plus « fini, travaillé » avec ses arrangements jazzy).
Dans le même registre (samples jazz, avant que le procédé devienne
systématique, les débuts du rap piochant essentiellement dans le funk en
général et James Brown en particulier) on peut citer « Mic
contract », « Bitches 2 » (rien que le titre montre que le rap
des débuts, voire de toujours, n’était pas vraiment inclusif). Côté funky,
mérite la citation le groovy « Pulse of the rhyme ».
Ce qui sauve artistiquement Ice-T d’une façon
générale et sur ce disque en particulier, c’est son ouverture d’esprit et/ou
musicale. Le vrai dur de dur se permet de rimer sur une thématique peu en
vogue, l’appel au calme, à l’apaisement, dans une époque où à L.A. deux
maxi-gangs rivaux les Bloods et les Crips faisaient donner l’artillerie
(souvent lourde) pour régler leurs différends (oubliez les rafales de kalach
marseillaises d’aujourd’hui, au début des 90’s dans les quartiers chauds de Los
Angeles, c’est toutes nuits qu’il y avait des morts). Le morceau manifeste
d’Ice-T sur le sujet c’est « Escape from the killing fields », appel
à ranger les flingues plutôt que de se livrer à des règlements de compte sans
fin ultramédiatisés par un système qui se fout bien que de jeunes minots y
laissent la peau, tant que ça fait vendre du papier ou que ça rapporte des
points d’audimat. Très loin des provocations et des appels aux règlements de
comptes qui feront dans la décennie momentanément la fortune de quelques-uns (2Pac,
Notorious Big) avant de faire celle des sociétés de pompes funèbres. Par cet
aspect-là, le propos d’Ice-T est assez similaire de celui d’un Bernie Bonvoisin
lors des débuts de Trust (avant qu’il devienne fan de François Bayrou). Il se
comporte en grand frère, en mec qui a donné, et qui prône la réflexion avant
l’action …
Ice-T & Body Count
Autre originalité de Ice-T, l’ouverture musicale.
Alors que le rappeur de base est généralement un égocentrique obtus (j’écoute
que du rap, et tous les autres rappeurs sont nuls), Ice-T ouvre grand ses
oreilles. Il a entendu les Beastie Boys et leurs samples de grosses guitares
zeppeliniennes. Et le coup des guitares en avant Ice-T va le tenter sur deux
titres, « Mind over matter » et « Midnight ». Rien
cependant à côté du titre « Body Count ». Derrière il y a tout un
concept, défini (lors d’une interview ?) en intro. Le rap c’est la musique
des déclassés blacks, le heavy metal hard rock celle des déclassés blancs, et
bien moi Ice T je vais jeter une passerelle entre les deux genres. « Body
Count », c’est des vrais instruments (guitares, basse, batterie) qui
envoient salement le bois. Tempo metal, solo bluesy, et l’Ice T qui rappe
par-dessus. Démarche assez rare (des Noirs qui jouent de la musique de Blancs,
c’est le contraire qui est le plus souvent de mise), esquissée par les Bad
Brains au début de la décennie, voisine de celle de Living Colour (hard
hendrixien jazzy), et beaucoup plus radicale que l’intégrale des Red Hot Chili
Peppers. Descendants directs de « Body Count », Rage Against The
Machine. A noter que Ice T poussera le bouchon encore plus loin, montant
l’année suivante le groupe de heavy rock uniquement composé de Noirs (Body
Count forcément) auteur d’un morceau à l’origine d’une des plus grosses
polémiques musicales des 90’s, le brûlot sonore « Cop Killer » (tout
est dans le titre).
Bien que ça n’ait pas grand-chose à voir avec la
musique, signalons que Ice T diversifiera très vite ses activités, multipliant
les rôles au cinéma où dans les séries TV. (bon, c’est pas des prestations à
Oscars avec des réalisateurs de premier plan, on est d’accord …).
Si vous souffrez de TOC, et que vous vouliez
absolument une rondelle de Ice T, « O.G. Original gangster » est
celle qu’il vous faut …
Les Beloved, ils ont eu leur quart d’heure de (petite)
gloire au tout début des années 90 avec ce disque. Quelques titres avant, il me
semble un Lp ensuite, et puis plus rien ou quasiment. Et pourtant, le groupe
existe toujours. Enfin je crois. Et groupe, faut le dire vite …
En fait The Beloved, ça se résume au seul John Marsh
(tout un tas de machines à base de 0 et de 1, et … hum, chanteur), c’est le
seul permanent du groupe. Pour ce « Happiness » ils sont trois au
générique, Marsh donc, Steve Waddington (guitares et claviers), plus le
producteur Martyn Phillips. Structure assez énigmatique, on sait pas trop qui
fait quoi, et faut pas compter sur le livret pour des infos. Il y en a certes
des infos, mais écrites en caractères minuscules de façon concentrique, et
finalement totalement illisibles. Faut se contenter de ce qu’on entend, vous me
direz, un disque, c’est justement fait pour ça …
Marsh & Waddington : The Beloved
Sur « Happiness », y’a beaucoup de synthés et
de programmations. Quelques guitares aussi. Comme sur l’introductif
« Hello », qui sonne comme du Madchester (Happy Mondays). Et qui cite
dans un gloubi-boulga de name dropping des références aussi étranges mises côte
à côte que Little Richard et Willy Wonka, Fred Astaire et Salman Rushdie, Mary
Wilson et Jean-Paul Sartre, j’en passe des dizaines … Ce titre donne la
tonalité générale du disque, mid tempos moroses chantés d’une voix monocorde et
voilée. Le genre de trucs que si t’en aligne une douzaine sur une rondelle,
t’endors tout le monde.
Assez bizarrement, parce qu’on est dans un machin très
connoté (une rétrospective du son des machines des années 80 en prise avec une
nouvelle décennie qui commence), ce disque est sauvé par les mélodies. Oui, le
type Marsh (responsable de quasiment tous les titres, une paire sont coécrits
avec Waddington) sait écrire des chansons, tristement joyeuses et sombrement
lumineuses. Alors que d’après les spécialistes des Beloved, les origines du
groupe étaient sous influence New Order, ici on est plutôt dans l’école Pet
Shop Boys. Mais des Pet Shop Boys sans la démesure hédoniste, des Pet shop Boys
qui la joueraient profil bas.
Exemple type, « Time after time » (rien à voir avec
Cyndi Lauper et encore moins Miles Davis) pour moi le meilleur titre de l’album,
ritournelle basique aux multiples arrangements, un classique de la musique chillout,
quand au petit matin blême on arrête de danser comme un possédé en gobant des ecstas,
et qu’on reprend contact avec la vraie vie …
En plus de regarder dans le rétro (anglais) de la
décennie, Marsh et ses acolytes ont laissé traîner les oreilles du côté de
Detroit et de la house de Chicago. Flagrant sur des titres comme « The sun
rising » (autre petit hit) avec son piano martelé et sa vois féminine très
orientale, ou encore « Don’t you worry », un peu gâché par quelques
sons de synthés bien datés. Quelques titres sonnent comme des hommages, « Your
love takes me higher » avec intro très Frankie Goes to Hollywood avant de
s’enliser dans des couches et des couches instrumentales pas forcément
bienvenues, « I love you more » fait beaucoup penser à Depeche Mode
quand il faisait de la musique pour les masses, « Wake up soon » très
Princier (et donc un peu Curtis Mayfield aussi) le plus funky du lot avec des
guitares wah-wah, « Up up and away » renvoie à du New Order quelconque
…
Point commun à la plupart des titres, une tendance à s’étirer
(même si en moyenne ils tournent à moins de cinq minutes), quand ils auraient
gagné à être plus concis, plus catchy comme on disait en ces temps-là. Le tout
est plutôt sympa, si l’on veut bien laisser de côté une paire de titres (« Scarlet
beautiful », eurodance pas très finaude, et l’ultime « Found » dont
on a l’impression qu’il n’est là que pour remplir un peu plus la galette).
On peut se demander pourquoi ce relatif anonymat à l’époque
et pourquoi cet oubli semble t-il définitif aujourd’hui. Peut-être parce que
The Beloved était purement londonien et qu’à ce moment-là nos amis (?) anglais s’extasiaient
devant les trouvailles musicales de leurs provinces (Manchester avant Bristol
au début des 90’s). Peut-être aussi parce qu’ils se contentaient de faire de la
musique, laissant de côté tout le circus sex & drugs & rock’n’roll dans
lequel se complaisait la concurrence. Pas assez scandaleux pour l’époque ?
« Heat » est
un film comme on n’en a pas fait beaucoup et comme on n’en fera plus.
Quand il est
sorti (avant les fêtes de Noel 1995, carton commercial certifié), il réunissait
les deux plus grosses stars de l’époque, Pacino et DeNiro. Une première, même
si oui, je sais, ils avaient été à l’affiche sur « Le Parrain 2 » de
Coppola, mais l’un jouant le père de l’autre grâce à un montage tout en
flashbacks, ils n’avaient aucune scène en commun. Dans « Heat », ils
en ont une (enfin deux, avec la scène finale) au milieu du film, qui a fait
couler beaucoup d’encre et entretenu les supputations les plus folles, j’en
recauserai forcément plus bas.
Mann, Pacino & DeNiro
Mais ce n’est
pas ce tête-à-tête qui a le plus marqué les esprits. Il y a dans
« Heat » une scène de braquage suivie d’une fusillade (en tout douze
minutes) qui a scotché les spectateurs sur leurs fauteuils, fusillade à faire
passer celles de Peckinpah (dans « La horde sauvage » notamment) pour
un diner aux chandelles.
Et surtout,
parce que « Heat » est, entre autres, un film à grand spectacle,
absolument toutes les scènes sont tournées en extérieurs. Enfin, toutes sauf
une, pour des raisons visuelles. C’est la scène ou DeNiro et sa copine Eady
(Amy Brenneman) sont appuyés la nuit sur la rambarde d’une terrasse qui domine
Los Angeles. Mann explique (j’ai pas tout compris) que pour des histoires
techniques (profondeur de champ, focales, nombre d’images par seconde, …), les
acteurs avaient joué devant un rideau vert, l’immense étendue illuminée de la
ville avait été filmée du même endroit, les deux images étant ensuite
superposées au montage. Inimaginable aujourd’hui après l’affaire Alec Baldwin
que des acteurs se tirent dessus pendant dix jours (durée de la mise en boîte de
la scène de la fusillade) avec de vraies armes de guerre chargées à blanc, en
centre ville avec des dizaines de figurants et des centaines de badauds hors
champ. Inimaginable après le 11 Septembre de passer des nuits à filmer la scène
finale dans un aéroport (et pas n’importe lequel, le plus grand de L.A.), avec
des types qui jouent au chat et à la souris au milieu de vrais avions qui décollent
et atterrissent.
« Heat »
vient de loin. Du début des années 60 à Chicago. Où un flic, le chef de la
brigade criminelle de la ville, y traque le gangster number one.De tentatives ratées de flagrant délit, en
rencontre autour d’un café, où les deux se promettent un take no prisoners
s’ils se retrouvent face à face, jusqu’à un affrontement final à la sortie d’un
casse. Le truand a quarante neuf ans, dont vingt cinq passés en taule. Le flic
s’appelle Charlie Adamson, c’est devenu un pote à Michael Mann. Le truand
s’appelle Neil McCauley. Neil McCauley ? Ben oui, comme le personnage joué
par DeNiro dans le film.
Les voleurs
« Heat »
est quasiment un biopic, transposé dans le Los Angeles des années nonante. Je
devine la question du type qui suit, mais alors pourquoi le flic s’appelle
Vincent Hanna et pas Charlie Adamson ? Parce que son personnage dans
« Heat » est une compilation de trois flics qu’a côtoyés Michael
Mann. « Heat », pour Mann, c’est le film d’une vie. En pré-projet
depuis des années, il reste sa masterpiece, malgré une filmo où il n’y a pas
que de furieux navets (« Le sixième sens » « Le dernier des
Mohicans », « Collatéral », « Ali », « Miami
Vice », …). Dans « Heat », Mann produit, réalise et a écrit le
scénario, rien que ça … Et on parle pas de griffonner une histoire sur un coin
de nappe de restaurant, de sortir le chéquier, et de laisser deux stars en roue
libre jouer comme elles le sentent. La pré-production et les repérages (95
endroits ont été utilisés dans Los Angeles, certains sont quasiment devenus des
lieux de pèlerinage touristique comme le diner où a lieu la discussion
Pacino-DeNiro) ont pris des mois, Mann a passé des semaines avec le chef de la
police du LAPD (qui est présent dans une scène, c’est lui le réceptionniste de
l’hôtel où McCauley vient traquer Waingro à la fin), tout le casting a été
envoyé au contact de vrais taulards (notamment à San Quentin et Folsom, la pire
de toutes les prisons californiennes, c’est là que Mann a rencontré un dur de
dur, Eddy Bunker, devenu depuis écrivain et conférencier, et à l’origine du
personnage joué dans le film par John Voight), et entraîné au tir à balles réelles
par des instructeurs militaires (anecdote, le superviseur montrait aux bidasses
d’élite en formation le passage où en pleine baston, Val Kilmer recharge son
fusil mitrailleur, manière de montrer les bons gestes et la vitesse à
acquérir). Aussi fort, l’identification criminelle et les légistes sur la scène
du braquage du fourgon blindé sont de vrais flics spécialisés, l’infirmière aux
urgences quand la belle-fille de Hanna (la toute jeune Natalie Portman) a tenté
de se suicider est la vraie chef infirmière du service des urgences … Et la
plupart des personnages du film, s’ils n’appartiennent pas à l’histoire
initiale Adamson – McCauley sont issus de gens ayant réellement existé (les
personnages de Val Kilmer, Ashley Judd, Waingro, …). Encore plus fort (ou plus
fou), Mann pour les acteurs principaux (une bonne dizaine), a rédigé leur
biographie (d’où ils viennent, leur « palmarès », combien d’années de
taule, comment ils se sont connus, combien de mariages, de divorces, d’enfants,
etc …), ce qui sera en partie l’objet du bouquin « Heat 2 » qu’il
écrira, en même temps prequel et sequel (narrant par exemple ce qu’est devenu
Chris Shiherlis, le personnage joué par Val Kilmer) de l’histoire racontée dans
le film …
Willie Nelson ? Non, John Voight
Quand sur le
générique qui défile, on entend Moby,ce qui entre parenthèses est une partie
d’un choix musical pointu à l’époque, où le technoïde chauve vegan côtoie Brian
Eno, le Kronos Quartet, Lisa Gerrard, William Orbit…, (et parmi les petits
rôles, on a le punker hardcore Henri Rollins et le rappeur Tone-Loc…), on est
devant l’écran depuis deux heures cinquante. « Heat » est un
film-somme, et surtout pas un affrontement à réduire à celui de ses deux
acteurs principaux. Tous les seconds rôles ont leur histoire, et pas pour
meubler. « Heat » est affaire de détails. La somme de tous ces
détails, tous ces grains de sable qui à un moment viennent enrayer une
mécanique imparable (un surnom lâché par le dingue Waingro lors du premier
braquage sanglant permettra à Hanna de remonter la filière, un mouvement brusque
d’un flic en planque dans un fourgon fera avorter une opération de flagrant
délit, …).
« Heat »
fonctionne à tous les niveaux. On peut se contenter du basique, le polar
énergique où le gendarme course le voleur, si on veut aller plus loin mater le
jeu en parallèle des deux stars du générique, ou encore aller au tréfonds des
personnages secondaires. Avec un personnage principal non cité au générique, la
mégalopole de Los Angeles de tous les plans, surtout de nuit, avec des moyens
conséquents pour la filmer (trois hélicos).
Les gendarmes
L’histoire
de « Heat », c’est celle d’une bande de braqueurs
« expérimentés » multirécidivistes et multi-emprisonnés aussi. Leur
cerveau, c’est Neil McCauley, maniaque de l’organisation détaillée et qui a
construit sa vie de façon quasi philosophique par rapport à son métier. Il
habite un superbe appart, mais juste meublé avec le minimum vital, un lit, une
table, une paire de chaises, une cafetière, un frigo, parce qu’il a théorisé
son métier en fonction des risques qu’il prend (aucune relation affective, aucune
liaison féminine durable, et il se fait fort en trente secondes de tout lâcher
et fuir hors de portée des flics). Le seul pour qui il témoigne un peu
d’affection, est le plus jeune de la bande (excellement joué par Val Kilmer,
plus crédible là qu’en chanteur des Doors), dont il essaye tant bien que mal de
sauver le couple (Ashley Judd joue sa femme, ils ont un bambin) plus ou moins à
la dérive (ils s’engueulent souvent, elle a des amants). Manque de bol, un de
la bande se retrouve en fauteuil roulant au moment de faire un gros coup (le
braquage de titres au porteur dans un convoi de fonds), et un fêlé impulsif
(Waingro) est recruté au pied-levé. Le nouvel arrivant de la bande ne va rien
trouver de mieux que de buter sans raison un convoyeur, entraînant un carnage
(deux autres morts). Ce sont ces trois macchabées qui vont faire que le chef de
la brigade criminelle, l’inspecteur Vincent Hanna va se retrouver sur
l’affaire. Dès lors, il va tout mettre en œuvre pour retrouver la bande de
braqueurs et la mettre hors d’état de nuire, aidé malgré eux par le
narcotrafiquant à qui on a piqué les titres au porteur et le taré suprématiste
Waingro (là, faut avoir l’œil, on l’aperçoit bedaine à l’air dans une chambre
d’hôtel, il a parmi de nombreux tatouages une croix gammée sur le nombril,
quand je vous disais que Mann est un maniaque …).
Waingro
« Heat »,
en plus de proposer une traque flic-délinquant classique, va se centrer sur les
personnalités du flic et du braqueur. Là où dans l’immense majorité des films
la vie personnelle des protagonistes ne sert qu’à remplir des bobines entre deux
scènes d’action, elle est ici le cœur de l’histoire. McCauley va tomber
amoureux d’une provinciale venue bosser dans une bibliothèque où il se rend
souvent, s’informant en permanence des dernières nouveautés en matière
d’explosifs, de métaux, etc … Dès lors, le solitaire va se retrouver
« attaché » et la rigueur de son raisonnement va s’en trouver
affecté. De son côté Hanna en est à son troisième mariage (sa femme aussi) et
il doit gérer sa belle-fille, une gamine à tendance dépressive, déboussolée par
le mode de vie du couple.
A première
vue, dans « Heat », DeNiro et Pacino, c’est le ying et le yang, l’un
est d’une austérité rigide, l’autre un excité impulsif fonctionnant à
l’instinct (l’interrogatoire des indics, l’extraordinaire scène quand rentrant
chez lui à pas d’heure il trouve l’amant de sa femme affalé sur le canapé et
matant « sa » télé). DeNiro est sobre comme rarement, ce qui en soi
est un exploit et Pacino crève par contraste l’écran. Ce n’est suggéré nulle
part dans le film, mais quand il a lu le script et « visionné » son
personnage, il est allé trouver Mann et lui a dit que Hanna serait le plus
souvent sous coke. En fait, McCauley et Hanna fonctionnent de la même façon,
avec un professionnalisme à toute épreuve et des principes stricts. Ce que l’on
voit lors de la fameuse scène où ils prennent un café ensemble. On a beaucoup
écrit sur cette scène. Invraisemblable, oui, mais elle a réellement eu lieu
dans l’histoire originelle à Chicago, à peu près dans les mêmes conditions et
les mêmes termes. Certains (qui n’ont pas compris grand-chose aux personnages)
ont même dit qu’elle avait été rajoutée in extremis, Mann voulant un dialogue
entre les deux stars, le premier de leur carrière face caméra. Ridicule, cette
scène est le cœur du film, explique ce qui précède et ce qui va suivre. Une
autre rumeur a été plus insistante et plus plausible. Durant tout le dialogue,
il y a deux caméras, une derrière chaque acteur, et on n’a que des champs –
contre-champs, beaucoup en ont déduit que pour des raisons mystérieuses, Pacino
et DeNiro n’avaient pas joué ensemble. Faux, il y avait une troisième caméra
qui les prenait ensemble de profil, mais au montage, Mann a décidé de ne pas
utiliser ces images. De nombreuses photos en témoignent, il y en avait plein le
mur du (vrai) restau où la scène a été tournée, les gens réservant la mythique
table des semaines à l’avance, et conséquence qu’ils ne prévoyaient pas,
passaient tout le repas à se faire photographier par les autres clients … A
noter que Mann, Pacino et DeNiro, d’un commun accord, ont décidé de ne pas
répéter la scène, l’essentiel de ce qui a été monté venant de la onzième prise
(selon les différents participants, treize, dix-huit ou dix-neuf prises
auraient été mises en boîte).
DeNiro & Kilmer
« Heat »
est sorti en 1995. Sacré millésime pour les polars, puisque sont sortis la même
« Usual suspects », « Casino » et « Seven ». Rien
que ça …
Je conseille
la version 2 Blu-ray du film, qui présente of course des heures de suppléments
bien utiles pour écrire cette chronique, avec notamment à l’occasion du
vingtième anniversaire de la sortie du film, une discussion réunissant Mann,
DeNiro et Pacino animée par Christopher Nolan. C’est pas la partie des bonus la
plus intéressante par les propos, mais avouez que c’est un sacré casting autour
de la table …
Une dernière
anecdote qui montre à quel point ce film est mythique et rentré dans la culture
populaire. Dans la villa sur immenses pilotis où se fait tabasser et laisser
pour mort par Waingro et les hommes de main du narcotrafiquant le chicano
chauffeur de la bande de braqueurs, McCauley-DeNiro retrouve son pote baignant
dans une mare de sang. La villa avait été mise en vente et louée pour tourner
la scène. Faut croire que les petites mains de l’équipe étaient moins
méticuleuses que Mann, quand les nouveaux propriétaires sont arrivés (l’agent
immobilier les ayant évidemment avertis qu’elle avait servi au tournage du
film, ce qui constituait un sacré argument commercial) ils ont retrouvé sur le
parquet la tache de faux sang très mal nettoyée. Cette tache est maintenant
planquée sous un tapis et conservée comme une relique …