Affichage des articles dont le libellé est French Music. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est French Music. Afficher tous les articles

ALAIN BASHUNG - BLEU PETROLE (2008)

 

The Last Waltz ...

On le savait, il était cuit Bashung. Les poumons rongés par le crabe. Une fois ce « Bleu pétrole » paru, il a fait ce qu’il a pu pour assurer. Livide, un chapeau pour masquer les effets de la chimio, ayant du mal à se déplacer, annulant séances photo, promo, concerts, il était un sexagénaire débordé par la maladie. La « profession » (l’establishment comme diraient ceux qui se rassemblent pour être haineux) dans un grand élan d’œcuménisme quelque peu forcé, allait en faire le Victorieux de la Musique millésime 2009. Il était venu pour recevoir ses colifichets. Deux semaines plus tard, ceux qui l’avaient applaudi au Zénith y allaient à qui mieux-mieux de leur épitaphe pendant que les illustres macchabées du Père-Lachaise se serraient un peu pour lui faire une place …

De toutes façons, cette première décennie du nouveau siècle n’était pas la sienne. Il n’avait sorti qu’un seul disque sous son nom, « L’imprudence » (un machin noir et glauque devant lequel certains sourds s’étaient prosternés), une paire avec sa moitié Chloé Mons (silence gêné, personne les a écoutés), avant de mettre ce « Bleu pétrole » en chantier. Pour lequel Bashung fait avec les moyens du bord. Ses deux paroliers historiques, Bergman et Fauque ayant disparu de ses radars, c’est sur le nouveau partner in crime Gaétan Roussel que va reposer la confection du disque.


Le Roussel, je supporte pas sa voix, et son énorme succès avec Louis Attaque, ces boy-scouts des rengaines pour ados attardés, on peut pas dire que ça m’ait transporté. Sur « Bleu pétrole », thanks God, il chante pas le Roussel (mais la voix de Bashung, … bougez pas, on y reviendra), mais il signe une grosse moitié des paroles et des musiques, joue de plein d’instruments, et co-produit la rondelle. Bashung a pas mis tous ses œufs dans le même panier, il a aussi collaboré avec Manset. Monsieur Gérard Manset. Un type responsable pendant une vingtaine d’années (à partir de la fin des 60’s) d’une dizaine de disques sans rien à jeter. Un type qui ne se livre ni aux interviews, ni aux séances photo, refuse tout passage télé et n’a jamais donné le moindre concert. Et pourtant un type qui n’a rien d’un misanthrope asocial, il peut apporter son talent à d’autres qu’il choisit rigoureusement. Bashung innove donc, ne gardant que son guitariste américain « déconstructeur » Marc Ribot (longtemps complice de Tom Waits). Pour être exhaustif, quelques troisièmes couteaux (Joseph d’Anvers, Arman Meliès) co-signent une paire de titres.

Le son global du disque est assez sombre, ce qui est somme toute assez compréhensible. Des batteries mates, des mélodies linéaires, une ambiance poisseuse pour pas dire morbide, des cordes et beaucoup de machines qui moulinent des schémas rythmiques élaborés et des arrangements tarabiscotés. On sent le gros budget, sans que ça vire pour autant à la démonstration narcissique. Un son qui accompagne la noirceur devenue habituelle de Bashung, noirceur aggravée par un état de santé qui se dégrade. Il suffit d’écouter la voix (très très en avant) au fil des titres pour la voir devenir de moins en moins malléable avec un timbre de plus en plus grave. On pourrait retracer la chronologie des enregistrements rien qu’en analysant ces prises vocales.

Salut l'Artiste ...

« Bleu pétrole », ce doit être l’album le mieux vendu de Bashung. Les morts vendent bien, et c’est pas Barclay (label) et Universal (distribution) qui diront le contraire. Etonnant que cette rondelle bien sombre ait poussé autant de monde à l’achat, même si tout du long de sa carrière, Bashung n’a jamais rien eu de l’artiste festif. Pour moi, « Bleu pétrole » ne mérite pas le concert de louanges qu’il a recueillies. Trop de compositions monotones, ternes, tenant beaucoup plus de la mélopée que de la chanson (l’enchaînement « Tant de nuits » et « Hiver à Sousse », cumulent fond sonore invertébré et mélodies indigentes, je cherche encore où sont les mélodies, les couplets, les refrains, les ponts, en gros tout ce qui fait une chanson dans ces deux titres). Déception idoine pour deux titres auxquels a participé Manset, « Vénus » et « Je tuerai la pianiste ». Du Manset méconnaissable (c’est quoi ces thèmes et leurs textes, jamais rien entendu de ressemblant chez le Gégé, et il s’est pas foulé pour les grilles d’accords), le premier étant le pire (la voix agonisante de Bashung fait peine à entendre), le second étant porté par un gros riff de guitare (le seul du disque et donc fatalement plutôt incongru, que sont les rockabs rigolos du Bashung des 80’ devenus ?). Guère mieux avec « Le secret des banquises » (Bashung-Roussel) qui fait cependant l’effort de rechercher du rythme et de la mélodie.

Il y a deux reprises sur « Bleu pétrole ». Le « Suzanne » de Léonard Cohen (adapté en français par Graeme Allwright), dans une version musicalement squelettique (et pourtant la version de Cohen était loin d’être exubérante). Et puis ce que j’appellerai un outrage fait à « Il voyage en solitaire », chanson la plus connue de Manset, et pour moi un des chefs-d’œuvre ultimes de chanson française. La version originale cumulait thème triste (la solitude évidemment), mais voix chaude suivant une mélodie first class jouée par un piano légèrement désaccordé. Ne subsiste (hormis les paroles) rien de tout cela dans la version de Bashung, juste une ambiance mortifère dans un minimalisme sonore. Le plus étonnant est que Manset est ressorti de cette collaboration fasciné par Bashung, au point de lui consacrer un bouquin, essai assez court et comme toujours chez Manset parfois abscons, joliment intitulé « Visage d’un dieu Inca ». Petite remarque, Bashung avait fait par le passé de belles reprises (« Nights in white satin », « Les mots bleus »), cette fois-ci, il passe quelque peu à travers.


Cette collaboration Manset-Bashung a quand même accouché d’un bon titre, située au cœur du disque. Les plus de neuf minutes de ce « Comme un lego » sont du pur Manset (la mélodie, la poésie simple et émouvante). C’est aussi la meilleure prestation vocale de Bashung, qui retrouve même les intonations chaudes du Gérard. Rayon bonnes chansons, l’introductif « Je t’ai manqué » laissait pourtant bien augurer du reste, ambianche rêche electro acoustique, jolis arrangements de banjo signé Marc Ribot. Le hit « Résidents de la République » suivait, belle compo – une fois n’est pas coutume – de Roussel. Chanson qui a fait jaser pour son pain lexical (« je courirai », volontaire ou pas, le débat a fait rage), et ses paroles assez hermétiques. Deux versions circulent, la première arguant qu’il n’y a aucun sens particulier, la seconde y voyant une allusion aux piteux débuts (pléonasme) du mandat de Sarkozy. Qu’il me soit permis d’échafauder une autre vision, à savoir une chanson traitant de l’immigration (et pas selon les théories de Re-Taïaut-Taïaut …). Autre bon titre signé Roussel, l’agréable « Sur un trapèze », mélodie simple et efficace, et un Bashung exceptionnellement en bonne forme vocale. Autre titre sorti en single, sans atteindre la reconnaissance de « Résidents … ».

Vous avez compris, je suis pas vraiment en extase devant cette rondelle …


LES RITA MITSOUKO - PRESENTENT THE NO COMPRENDO (1986)

 

C'était comme ça ...

Les Rita Mitsouko, c’était les années 80. Et les années 80, musicalement (mais pas que), c’était pas terrible. Sauf qu’à toute règle il y a des exceptions. Et les Rita étaient ô combien une exception. Un groupe-duo plutôt unique, des aventuriers sonores sans beaucoup d’équivalents. Dans leurs meilleurs moments au niveau de Prince pour le côté touche-à-tout imprévisible.

Les Rita, c’est en plus de vingt ans d’activité tout juste une grosse poignée de disques studio. Dont une grosse moitié est dispensable. En fait, les seuls à garder sont les trois premiers. Le premier, éponyme, contient une tuerie enjouée (qui parle de mort et de cancer, on y reviendra sur ce paradoxe) l’inoubliable au sens premier du terme « Marcia Baila »). Le troisième, marqué par une collaboration avec leurs héros (un autre duo « bizarre ») les Sparks (« Singing in the shower ») et des étrangetés sonores absolues (« Mandolino City », « Le petit train » sur les convois de déportés des années 40) sera l’album de la consécration, les adoubera définitivement parmi les gens qui comptent.


Mais le disque qui a tout fait exploser pour les Rita, c’est leur second, « The No Comprendo », dont les trois premiers titres sont dans l’ordre « Les histoires d’A », « Andy », « C’est comme ça ». Des morceaux sans aucun lien musical entre eux, très gros hits en leur temps, et qui bizarrement, ont plus que bien vieilli, en tout cas beaucoup mieux que leurs voisins du haut des charts.

Même s’il est fondamental, le pédigrée et les parcours de Fred Chichin et Catherine Ringer ne les prédisposaient pas à une carrière musicale de ce niveau. Lui végétait dans des groupes punks de seconde zone, dealait et passait par la case zonzon. Elle rêvait de théâtre, tournait des films destinés selon la formule à un public averti pour faire bouillir la marmite. Une rencontre lors d’un casting foireux de comédie musicale et l’aventure démarrait. Un nom choisi au hasard (des prénoms de stripteaseuses couplés avec des noms de parfums de Guerlain, on a évité Dita Vétiver ou Bettie Shalimar), une vie et un travail en communs, l’aventure Rita Mitsouko commençait. « Marcia Baila », titre dansant un peu perdu au milieu d’un disque sombre produit par Conny Plank (pape sonore du krautrock), accompagné d’un clip arty laissant apparaître un duo tout en contrastes (Chichin inexpressif et Ringer exubérante) lancent l’affaire auprès du très grand public. Restait quand même une question en suspens : one hit wonders ou pas ?

La réponse viendra avec « The No Comprendo » (officiellement « Les Rita Mitsouko présentent the No Comprendo », « no comprendo » étant de l’espagnol de contrebande mais surtout le nom du « groupe » ayant participé à l’enregistrement). The No Comprendo (le groupe), c’est une liste de gens qui n’interviennent le plus souvent que sur un titre (cuivres, violon(celle)s, …). A la manœuvre sur tous les titres, Chichin et Ringer. Paroles et musiques, tous les instruments (section rythmique et guitares pour lui, vocaux, claviers et instruments midi pour elle). Et un renfort de poids, le sieur Tony Visconti (un « peu » célèbre pour avoir produit une ribambelle de disques de T-Rex et de Bowie), coproducteur du disque avec les Rita et crédité à de nombreux instruments.


Musicalement, on est près de l’os. Zéro démonstration technique, tout est dans la créativité sonore. Tous les tristes poncifs de l’époque sont évités (les synthés datés, les arrangements interchangeables des rengaines pop, …). Place aux gimmicks improbables (l’énorme saturation de la guitare sur « C’est comme ça », la pachydermique basse slappée de « Andy », …), à la géniale trouvaille à deux balles. Et par-dessus tout cette technique hésitante, la voix de la Ringer. Elle « habite » tous les titres, tantôt dans les aigus hystériques, tantôt dans les basses profondes, et marque son territoire comme peu de shouteuses (noires généralement) ont réussi à le faire. Ringer sur « The No Comprendo », ça joue dans la même cour que la Joplin de « Pearl », ce qui est quand même un putain de compliment. Parenthèse. J’ai vu les Rita dans une tournée des nineties avec un backing band de Blacks funky, et Ringer chantant les Rita il y a quelques années, je peux vous assurer, brothers and sisters, que sa voix, elle est pas dopée par des effets de studio, elle a la foudre dans les cordes vocales (bon la dernière fois, à plus de soixante balais, elle n’a tenu qu’un peu moins d’une heure dans les aigus impossibles avant de « gérer » une grosse demi-heure, à coups de quasi instrumentaux, de solos des zicos, de présentation du band, … mais on en avait déjà eu pour notre fric).

Reste quasi quatre décennies plus tard, un paradoxe Rita Mitsouko. Le duo est considéré comme immensément représentatif des années 80 festives et hédonistes alors que ses titres sont souvent d’une noirceur totale. « Marcia Baila » sur le cancer qui avait emporté la chorégraphe Marcia Moretto avec laquelle avait bossé Ringer ouvrait la voie de ces joyeuses rengaines glauques. Et si l’on s’en tient aux textes de « No Comprendo », tout l’album n’est qu’une succession de lamentos parfois lugubres mis en musique. Avec une exception, la pièce rapportée et plus mauvais titre du disque, « Nuit d’ivresse », rythme festif et entraînant, bande-son du navet du même nom avec Lhermitte et Balasko. Titre de commande, foncièrement différent au niveau sonore (exceptionnellement des vrais cuivres, ça s’entend) et par son texte (sponsorisé ?), assez loin dans le délire sur le thème de l’alcoolisme que l’excellent « Commando Pernod » des non moins excellents Bérurier Noir sorti l’année précédente. Ce « Nuit d’ivresse », à part quelques considérations bassement mercantiles de la part de Virgin, distributeur des Rita, voulant surfer sur les quelques entrées du film éponyme, et qui une fois venu le succès des autres titres, s’empressera de sortir une version anglaise de « No Comprendo », avec comme objectif le mirage du marché anglo-saxon (comme avant eux les échecs dans la langue de Thatcher des Johnny, Téléphone ou Trust, sans parler des succès « achetés » de Montand ou Aznavour), ce « Nuit d’ivresse » donc, vient entacher un disque jusque là irréprochable.


L’enfilade des trois hits d’entrée nous montre que l’univers musical des Rita est plutôt polymorphe. « Les histoires d’A » c’est un funk rock lourd à guitares (Chichin, Ringer, Visconti), avec un violon lancinant au fond du mix, sur fond d’énumération de ruptures sentimentales tristes avec la Ringer qui marque vocalement son territoire. « Andy », c’est le tchac-poum disco avec une énorme base slappée, sur le racolage d’un type lambda terne et timide, assimilé au personnage de bande dessinée rosbif Andy Capp. « C’est comme ça », c’est un rock’n’roll basique et bourrin entre Who et Cochran, qui a autant marqué les esprits par son rythme trépidant que par son clip très diffusé mettant en avant l’univers kitsch et surréaliste des Rita et de Jean-Baptiste Mondino.

Les autres titres du disque, dont on ne parle pas souvent (pour être gentil) méritent pourtant le détour. Moins « faciles » peut-être, mais toujours empreints de cette noirceur désabusée due aux textes, en parfait contrepoint avec l’esthétique supposée joyeuse du duo. « Vol de nuit », c’est de la cold wave sombre (comme un prolongement de leur premier disque et une marche dans les pas des Smith les plus sombres, le Robert de Cure et le Mark E. de The Fall). « Un soir un chien », si le titre avait pas déjà été pris (par Blue Öyster Cult) aurait pu s’appeler « Dominance & submission » (voir les paroles), c’est le plus glacial de la rondelle. « Tonite » lui ressemble, malgré une tendance à loucher vers l’emphase pompière (Ringer se fait un peu trop démonstrative à mon goût au chant).


Et même si les textes ne sont pas plus enjoués, quelques décharges rock (Chichin ?) s’intercalent pour éviter toute comparaison avec Joy Division. Petits brûlots rockabilly (« Someone to love »), mid tempos guillerets (« Bad days »), ballade-comptine (« Stupid anyway ») montrant que la voix de Ringer peut aussi être extraordinaire sur des tempos lents.

Même Godard avait été impressionné par le duo (il n’y comprend rien mais est attiré par la musique des djeunes). Après les Stones enregistrant « Sympathy for the devil » dans « One + One », il avait filmé les Rita travaillant sur « No Comprendo », incluant quelques séquences dans l’oubliable « Soigne ta droite ». Pas rancunier, le duo le remercie dans les crédits du disque …

Et pour finir, respect total pour l’attitude des Rita Mitsouko qui ont su ne pas sombrer dans le music business à tout crin, rester en dehors des engagements humanitaires, caritatifs, etc … calculateurs, et éviter toute récupération (l’esquive de Ringer à la tentative de bisou de Micron Ier aurait dû en inspirer certain(e)s) …





MANO NEGRA - PUTA'S FEVER (1989)

 

MST (Musique Sans Territoire)

C’était un temps (les années 80) où, comme d’habitude la plupart de ceux qui sortaient des disques en France couraient après ce qui marchait ailleurs (chez les Grands Britons ou les Ricains). Sauf que par hasard, à force de courir, certains les avaient dépassés. Oh, pas dans tous les domaines, mais c’est en territoire mitterrandien qu’était sorti un genre inconnu ailleurs, qu’on baptisa rock alternatif. Piochant dans les tréfonds de la musique franchouillarde (les flonflons des bals musette, la chanson réaliste à texte), et passé à la sauce punk (ou bourrin, ça marche aussi).

Mano Negra 1989

Têtes de gondole du genre, les Bérurier Noir, qui faisaient ce qu’ils pouvaient pour masquer et refuser un succès populaire certain, allant jusqu’à la dissolution du groupe pour être sûrs de ne pas passer en boucle sur NRJ. Dans leur sillage, une foultitude de groupes affichant à peu près la même radicalité morale. Il y avait deux camps : les intégr(ist)es, refusant toute forme de « compromission » avec le « système », et puis ceux pour qui ce qui comptait c’était de s’éclater entre potes (ceux du groupe, ceux qui venaient les voir). Dans cette seconde catégorie, la Mano Negra.

La Mano venait de loin. De plein de groupes de « jeunesse » (Hot Pants, Carayos, Kingsnakes, …), où se sont rencontrés ceux qui allaient devenir l’ossature de la Mano Negra (les frères Chao, Santi). Le groupe n’a jamais eu de composition définie et rigide, selon les époques et les occasions (travail en studio ou prestations scéniques), mais a toujours compris au moins une demi-douzaine de personnes. Un groupe dont il n’est pas facile de dresser l’historique au niveau personnel, d’abord parce que tous avaient un (voire plusieurs pseudos), qu’il y avait beaucoup « d’invités » (dont certains de façon quasi permanente), et qu’au hasard de ses tournées dans les pays le plus improbables, des musiciens locaux se joignaient pour quelques dates (ou quelques mois) au groupe sur scène …

Leur premier album, « Patchanka » est paru chez Boucherie Productions, label de François Hadji-Lazaro (qui avait joué avec Manu Chao dans los Carayos, le monde du rock alternatif est petit …). Le morceau de latino punk endiablé « Mala vida » va devenir un hit, et les majors, sentant le potentiel commercial de la Mano, sa faculté à remplir des salles où le groupe donne des prestations explosives, se pointent avec leur chéquier. La Mano Negra va signer chez Virgin pour un nouvel album, qui sera ce « Puta’s fever » dont je m’en vas vous causer.


Parenthèse : je vais zapper tout le débat « traîtres – vendus » qui a secoué pendant des années voire plus les principaux tenants de « l’affaire », les arguments antagonistes et irréconciliables, les rancœurs étalées au grand jour par presse spécialisée ou pas interposée, les interventions par centaines de gens qui n’étaient en rien concernés mais qui prenaient position, et le plus souvent de façon pas très nuancée … Débats qui n’auraient certainement pas eu lieu si « Puta’s fever » avait fait un bide …

« Puta’s fever », il ressemble au groupe qui l’a fait. Protéiforme et bordélique, s’il fallait s’en tenir à deux mots. Il y a des effluves de rock, de rockabilly, de punk, de reggae, de chanson réaliste, de rap, de musiques latines, arabes, et j’en passe, le tout souvent mêlé dans le même titre. Idem pour les paroles, parfois politiques, parfois drolatiques, parfois nonsensiques … Paroles chantées en français, anglais, espagnol, arabe, voire entre charabia et yaourt … Et le tout défile à toute blinde (dix-huit titres en quarante minutes, les plus longs dépassent à peine les trois minutes).

S’il fallait ne citer qu’un disque similaire, celui qui s’approche le plus de « Puta’s fever », tant par « l’esprit » que par la multiplicité des genres abordés, c’est « Sandinista ! » du Clash (avec quatre faces vinyle de moins). Parallèle ni très osé ni très difficile à établir, le groupe de Jones et Strummer est le dénominateur commun d’à peu près tous ceux qui œuvrent dans la Mano …

Trente cinq ans après les faits, ce stroboscope sonore passe quand même moins bien que lors de sa sortie. Et malgré les tempos supersoniques, on trouve des redondances, de l’autocomplaisance, et on sent des passages « diplomatiques », pour faire plaisir ou mettre en avant tel ou tel de la bande. Il n’empêche que pour une rondelle aussi « typée » et datée, « Puta’s fever » tient plus que bien la route.

Pour une raison primordiale, les gens de la Mano sont vrais, ne trichent pas, ne renient rien (de leurs origines, de leurs goûts musicaux, …), ne se la racontent pas, vivent et enregistrent au jour le jour, sans plan de carrière. Pas de calcul, des tripes et la bonne humeur à faire partager.

Point musical commun de la plupart des titres, des tempos tachycardiques. D’entrée le morceau « Mano Negra », un machin speed indéfini suscite presque le doute (sur vinyle) de la bonne vitesse de rotation du disque. Et puis le Grand Huit musical se met en branle, on passe du rockabilly à gros riffs hardos au final (« Rock’n’roll band ») à un rap, « King Kong Five ». Gros succès en 45T, et fait assez rare pour un rap somme toute basique, le rythme est souligné par un bon vieil orgue Hammond (ou c’est bien imité). « Soledad », hormis son tempo hyper-rapide, pourrait passer pour le meilleur titre des Négresses Vertes, est soutenu par de gros riffs de cuivres et recrache au final la mélodie de « Je cherche après Titine » (très vieux morceau franchouillard, déjà « adapté » en yaourt avec sa chorégraphie surréaliste par Chaplin dans « Les Temps Modernes »). Suit un morceau chanté en arabe (« Sidi H Bibi »), mixant musique traditionnelle (?) nord-africaine et rock alternatif, avant un hommage sonore appuyé au Clash avec « The rebel spell » et « Peligro ». Changement de décor avec le plus gros succès du groupe, « Pas assez de toi ». Rythme apaisé mais festif, sur des paroles bien dépressives, limite suicidaires.

Manu Chao

« Pas assez de toi » est le sommet populaire du disque. La suite de la rondelle sera moins évidente. Rien d’ignoble, on reste en terrain connu, mais il y a des choses qui font redite (« Voodoo », « Magic dice », « The devil’s call »), on se laisse aller à la facilité (« Pachuco hop », matrice du punk musette qui engendrera tant de groupes dispensables), ou à la grosse blague un peu lourdingue (« Roger Cageot » le titre du guitariste Daniel Jamet, comme un crobar de Reiser mis en musique, ou « La rançon du succès » classic rock balourd qui bifurque non moins lourdement sur le « Chéri je t’aime » du très improbable Bob Azzam).

Au rythme où ça s’enchaîne, on peut pas parler de remplissage, mais quelques passages auraient mérité d’être élagués, et d’autres développés sans que ça ressemble à du prog …

Titre charnière du disque : « Guayaquil City », tempo beaucoup moins oppressant, rythme sud-américain, qui préfigure la carrière solo de Manu Chao. Parce qu’il faut bien en causer du garçon. N’allez surtout pas dire que la Mano c’est sa chose, ça lui aurait pas fait plaisir, d’autant plus que c’est pas vrai. Mais il en était la figure de proue (guitariste rythmique et principal chanteur), de très loin le plus gros contributeur en matière d’écriture. Le seul capable de faire parler de lui à la fin du groupe au début des années 90 en se lançant dans une carrière solo à l’écho mondial (par charité, on se contentera de citer sans commenter la reconversion du batteur Santi qui rejoindra le staff directionnel d’Universal Music et le jury de Popstars sur M6 …).

On ne compte plus tous les groupes et disques qui en cette fin des 80’s ont surfé sur cette vague patchwork, concrétisée par le succès de la Mano Negra et de « Puta’s fever ». Très rares ont été ceux qui sont parvenus à laisser des publications qui tiennent la route aujourd’hui, autrement que sous l’angle nostalgie … La Mano Negra, c’étaient les meilleurs et « Puta’s fever » reste d’assez loin leur sommet créatif …


TONTON DAVID - LE BLUES DES RACAILLES (1991)

 

Tonton flingueur ou Tonton flingué ?

Tonton David, son vrai blaze c’est Ray David Grammont. Ça commence mal, c’est con, je trouve que son nom est mieux que son pseudo …

Réunionnais de naissance et donc immigré en région parisienne (oui, je sais, La Réunion c’est en France, c’est la façon dont tu es perçu en métropole qui compte), une biographie (falsifiée, exagérée ?) de petit délinquant avec case zonzon, et une « expatriation » en père de famille déjà nombreuse vers la riante cité de Metz (cercle polaire septentrional) … Bon, je pourrais continuer dans cette veine là, mais c’est trop facile, malheureusement pour lui, il est plus là pour répondre, et puis, ce qui me gave chez lui, c’est pas le personnage (publiquement au demeurant assez sympathique), c’est la musique qu’il a fait.


Le Tonton, il vient du reggae. Enfin, le reggae des années 80 … Pause et petit rappel des faits. Le reggae, ça vient du ska, du rocksteady et de la Jamaïque des années 60. Bob Marley en fera un genre musical universel quand il deviendra une star planétaire au milieu des années 70. Trop tard pour les pseudo rastas de circonstance, musicalement le genre est moribond, les meilleurs titres et disques (y compris ceux de Marley) datent tous d’avant 74-75. Et quand Marley claquera en 81, personne ne reprendra l’affaire reggae en main. Les contemporains et possibles héritiers ne manquent pas, mais aucun n’atteindra l’universalité de Saint Jah Bob … Quant à la nouvelle génération, ces gamins jamaïcains nés dans les années 60, ils vont remplacer les musiciens par des machines, la structure rythmique deviendra beaucoup plus sèche et répétitive, le phrasé beaucoup plus scandé (reprenant les choses là où les avaient laissé les toasters des sound-systems jamaïcains des 60’s). On appellera ça le dancehall, avec deux courants : le slackness (ancêtre du gangsta-rap américain, le bad boy ou prétendu tel serial lover) et le raggamuffin (ceux qui causent accessoirement d’autre chose). A peu près la même chose se retrouvera aux States, où l’on parlera de rap. Quand le rap explosera commercialement au niveau mondial (Public Enemy et d’autres dans la seconde moitié des 80’s), les répliques se feront sentir partout, y compris dans notre chère Gaule. Quelques émissions de télé rétrospectivement assez risibles assureront l’implémentation du genre dans les oreilles de toute une génération issue de ce que l’on appelait les banlieues. Et quelques-uns passeront de l’écoute à la pratique sous le regard au mieux condescendant des maisons de disques. Une seule, Virgin, fondée par l’ancien hippie mais vrai affairiste Richard Branson, par le truchement du sous-label Labelle Noir, publiera en 1990 une compilation qui va se révéler fondatrice, « Rapattitude », où l’on retrouvera quelques seconds couteaux en devenir du rap, Assassin, Saï Saï, et les futures stars NTM. Parmi la dizaine de titres, une rengaine très mélodique sur fond de raggamuffin, « Peuples du monde » signée Tonton David. Premier vrai succès (radios, télés, charts) du rap français au sens large (après l’étonnant et improbable « Chacun fait ce qui lui plaît » de Chagrin d’Amour). Virgin battra le fer tant qu’il était chaud, et Tonton David se verra poussé en studio pour enregistrer un disque. Pour la petite histoire c’est Polydor qui sortira en 90 le premier album de rap à succès, « Qui sème le vent récolte le tempo » du plutôt brillant MC Solaar.


Des succès, l’Oncle David en aura, mais sous forme de singles, par contre il ne sera jamais un vendeur d’albums.  « Le blues des racailles » sera son premier 33T et un bide assez retentissant, et ce bien qu’il contienne en dernière piste « Peuples du monde » (le 45T est beaucoup plus facile à trouver aujourd’hui d’occase que l’album original).

Pourtant Tonton David se situe à la croisée des chemins rap et raggamuffin, y’avait de quoi ratisser large. Même si la bande tricolore (vert, rouge et jaune) de la pochette est le signe de ralliement de tous les reggaemen, on sent l’envie forcenée de coller à l’air du temps. Problème, à l’heure où le rap américain reposait sur un gros travail de studio, « Le blues des racailles » sonne cheap, bâclé. Des structures rythmiques maigrichonnes, des boucles minimalistes, et à contre-courant des standards internationaux, le gros des efforts est dirigé sur l’architecture mélodique et le soin apporté au refrain par le renfort d’un chœur féminin (à la I Threes de Marley) présent sur de nombreux titres. Et puis, y’a un autre souci. Le rap ou le raggamuffin sont affaire de tchatche (le flow disent les connaisseurs), et de plus en plus à l’époque, de textes. Ici, ça vire souvent à la cata. Oncle David arrive pas à coller vocalement sur des tempos qui se doivent d’être rapides, sa diction est pas bonne du tout, son accent ultramarin qu’il a pas réussi à perdre lui fait bouffer la moitié des mots et des pans entiers de phrases sont incompréhensibles. Et les thèmes abordés restent gentiment centristes, convenus. On est loin de la dentelle verbale travaillée d’un MC Solaar, et des punchlines balancées par les rappeurs américains et que sont en train de mettre en place dans leurs caves NTM ou IAM et l’émergence de ces deux-là renverra Tonton David au rang d’amuseur cool, que viendra lui contester au milieu des 90’s le risible et futur sarkozyste Doc Gyneco.

On sent dans « Le blues des racailles » que toutes les « figures imposées » du rap ou du raggamuffin sont traités de façon superficielle. Le côté bad boy sur l’introductif (bidonné ?) « Mon CV », le « sauvetage » grâce à la musique (« A qui la faute »), le machisme « gentil » (« Les jeunes filles vont nous tuer »), l’auto-glorification (« Tonto »), les flics (« Ils ont appelé la police pour moi »), la réussite financière (« CA$H »).


Deux titres posent problème (mais comme personne a dû les écouter, ça n’a pas fait de vagues, de scandales, ou de buzz). « Je parle à toi » avec au milieu d’une litanie de clichés à tendance communautariste une au moins maladroite sinon débile référence à « un accroissement inexorable de l’homosexualité ». Quant à « Pretoria » sur la situation d’apartheid en Afrique du Sud, on est loin de la qualité de « Biko » de Peter Gabriel, des albums « Graceland » de Paul Simon ou « Survival » de Marley, et à propos de Marley le citer à la fin du titre pour prédire une guerre civile, est une dénaturation et une réécriture totale des prises de position de Saint Bob …

Au final, il en reste quoi à sauver de ce disque ? Pas grand-chose. Allez, en ratissant large, j’en sauve trois (sur quinze). Le morceau-titre, plutôt basé piano et guitares (bien discrètes) que machines, « CA$H », un des plus élaborés musicalement, avec ajout de chœurs féminins et de cuivres, et le gentil hit « Peuples du monde ».

Ce hit qui suffira au Tonton pour devenir quelqu’un qui compte, d’autant plus qu’il réussira à sortir d’autres hits encore plus niais, notamment « Chacun sa route » épaulé (?) par Manu Katché et Geoffrey Oryema (la B.O. du sans intérêt « Un Indien dans la ville »), qu’on le verra dans des émissions prime time, image lisse et souriante d’une musique et d’une génération qui ne l’étaient pas vraiment par ailleurs. Ses petits succès dans les 90’s ne lui feront pas prendre la grosse tête mais plein de kilos, avant qu’il disparaisse des radars, et même tout court, victime d’un AVC il y a quelques années.

« Le blues des racailles » c’est poubelle direct. Si des trucs réussis dans ce genre quasiment disparu aujourd’hui vous intéressent, à peu près tout ce qu’a fait le Massilia Sound System dans les 90’s vaut le détour (du rap et du raggamuffin en provençal). Sinon, y’a quelques plages du grandiose « Banzaï », du groupe punk radical La Souris Déglinguée qui s’était offert une escapade fabuleuse vers des rythmes moins à ras du bitume que ceux auxquels ils nous avaient habitués depuis leurs débuts …





BILL DERAIME - BILL DERAIME (1979)

 

Pionnier ?

C’est avec ce genre de disques qu’on apprécie encore mieux (enfin, façon de parler) l’ironique sentence de Lennon : « le rock français, c’est comme le vin anglais ». A peu près tristement exact, et encore il parlait d’un genre (le rock) qui vaille que vaille était joué et apprécié en France. Même si je suis pas très fan de Lennon, force est de reconnaître qu’il avait le sens de la punchline, comme on dit aujourd’hui dans les salles de réunion des chaînes info … Par contre, j’aimerais bien savoir à quoi il aurait comparé le blues français …


Réponse, il aurait eu du mal à le comparer à quoi que soit, parce que le blues français, avant que le binoclard du Dakota Building se fasse dégommer (1980), ça n’existait pas, ou si peu … Pourtant le genre, né dans les années 20, avait largement ses trimestres pour une bonne retraite, réformée par Micron ou pas … Musicalement, la France a toujours été … franchouillarde. Et rétrograde. Les seules vieilles traces de blues en français c’étaient les sinistres pastiches signés du couple de tocards prétentieux venus du jazz le plus intégriste, Vian et Salvador (genre « La blouse du dentiste »). Par souci d’économie et sur recommandation de mon docteur, je vais pas me fâcher sur ces deux pantins (surtout Salvador, Vian a écrit quelques jolis textes), mais y’en aurait des choses à dire …

Bon, le blues est pas le genre musical le plus flashy du monde, on est d’accord … les frenchies ils avaient suivi (à la sauce française) tous les genres musicaux anglo-saxons, des adaptations de Dylan par Aufray au rock stonien pour ados de Téléphone, en passant par l’inamovible Johnny, mais sans jamais se frotter vraiment à l’idiome rustique du Mississippi … et que les docteurs es musiques tristes viennent pas me bassiner avec Alan Jack (Civilization ou pas), il vendait quatre disques et jouait devant quinze types dans les MJC dans les seventies …

Il faudra attendre la toute fin des années septante pour voir arriver un tas de types étiquetés blues. Ils s’appellent Benoît Blue Boy, Patrick Verbeke, Paul Personne (le meilleur de tous, début 80’s) et … Bill Deraime, on y arrive …


Alain Deraime (son vrai nom) sort ce disque éponyme, son premier, en 1979. Avec le fort soutien de la figure tutélaire du blues français, l’harmoniciste-arrangeur-producteur Jean-Jacques Milteau. Le tout sur un minuscule label indépendant, Argile, distribué sans conviction par RCA. Et preuve que le blues tout le monde s’en tape dans ce pays, les trois premiers disques du Bill n’ont jamais été réédités en Cd. Tout juste compilés en une dizaine de titres sur galette argentée (« Mister Blues »), et pourtant ses deux plus gros succès (si, si, ils passaient souvent à la radio, je les ai de mes oreilles entendus) sont sur les disques suivant ce « Bill Deraime » (« Faut que j’me tire ailleurs » et « Babylone tu déconnes »). N’allez pas croire que je vous cause là d’un collector, un objet mirifique qu’il faudrait acquérir à tout prix (ça se trouve facilement sur les sites spécialisés à moins de vingt balles port compris en état quasi mint). Parce que le Bill, il a d’entrée réussi à imprimer, comme on dit dans les cadres de Renaissance. Look total baba, béret ou bonnet rouge à la Commandant Cousteau, barbe ou barbichette, inamovibles pendant son demi-siècle de carrière (il a paraît-il pendu définitivement sa gratte au râtelier en 2016). Et donc il a vendu un peu de disque, et on continue d’en trouver dans les greniers …

Mais je digresse, je digresse … c’est juste pour meubler, pour me faire croire que je suis payé à la ligne. Parce qu’en fait, sur cette rondelle, j’ai pas grand-chose à dire. Bill Deraime, c’est pas Bob Johnson, Muddy Waters ou John Lee Hooker, autant le préciser d’entrée. C’est sympathique, sans plus … avec un goût suranné et vieillot … Pour résumer (et tout dire ?) ce « Bill Deraime » me fait souvent penser à ce que sortait Eddy Mitchell à peu près à la même époque (« Sur la route de Memphis », « La dernière séance », ce genre …). Et on peut pas dire que le sieur Moine transpire le blues par tous ses pores…


« Bill Deraime », ça ressemble beaucoup plus à du boogie (woogie ou pas) (« Mean old blues », « Baba boogie », du rhythm’n’blues (« Rumeurs »), parfois des touches de rockabilly (« Le train roule ») ou de psychédélisme (« Sur ma chaîne bon marché »). On essaye de se raccrocher à la locomotive Higelin qui vient de virer rock (« Lundi soir », limite plagiat), on tente un risible titre funky (« Musique de fête », le plus mauvais de la galette, on croirait entendre Fugain et son fuckin’ Big Bazar). Il n’y a qu’une paire de titres acoustiques (« C’est dur » et « Impasse du Crépuscule » avec son joli texte hommage à Wilder et au cinéma noir américain) pour le côté roots de l’affaire. Toutes les compos sont originales, les textes sont tous en français, certes travaillés mais ne vaudront pas à Deraime un strapontin à l’Académie Française (c’était cependant pas le but), ça cause fumette, crise d’identité, conflits générationnels, affirmation de la personnalité, ça fait quand même un peu ado attardé (Deraime a trente balais).

Musicalement, ça casse pas des briques, même si beaucoup aimeraient avoir pour un premier enregistrement autant de monde en studio. En plus du Milteau déjà cité, on note la présence des guitaristes reconnus des 70’s Pierre Fanen (ex Zoo et Triangle, genres de Blood Sweat & Tears français) et Christian Lancry, Paganotti à la basse ... Une section de cuivres américaine (les requins de studio Muscle Shoals Horns) participent à quelques titres. Et même si ça confère à l’ensemble une sympathique patine « vite fait bien fait », on sent dans la prod et le mixage un budget qui est loin d’être no limit …

Rajoutez à tout ça la voix quelconque et limitée de Deraime, et on comprend que personne se soit hasardé à une formule du genre « j’ai vu le futur du blues, il s’appelle Bill Deraime ».

La démarche et le bonhomme sont plutôt sympas, son disque est sincère (sortir ce genre de rondelles ne risque pas de voir accoler à son nom l’épithète d’opportuniste), mais bon, pas de quoi se relever la nuit …


PHOENIX - WOLFGANG AMADEUS PHOENIX (2009)

 

Qu'en aurait pensé Carmine ?

Ou Mozart …

Phoenix, c’est un des très rares machins musicaux français exportables. Des gens qui vendent de la rondelle argentée (ou du streaming) all around the world. Qui sous leur seul nom, sont capables de remplir le Madison Square Garden (les premiers, avant le tour de piste final d’Aznavour) …


Phoenix, c’est un beau gosse qui chante, trois moches derrière, dont deux à lunettes (exactement comme Blur, musicalement la comparaison s’arrête là). Le beau gosse, Thomas Mars (un pseudo, ça claque mieux que Thomas Pablo Croquet, son état-civil officiel), est en plus le mari et le père des deux enfants de la très people Sofia Coppola, fille de Francis Ford et petite-fille du Carmine du même nom …

Phoenix, c’est la connexion versaillaise de ce qu’on a appelé la French Touch, avec Air et Daft Punk, des types qui se connaissent depuis le collège. Phoenix, c’est les plus accessibles, grand-public, du lot (même si les deux autres, c’est pas férocement expérimental). Phoenix, c’est du pop-rock pour ados, farci de machines, de programmations, de boucles, de synthés. Ils sont quatre (chant, deux guitares, basse) plus deux en studio et sur scène (un batteur, un clavier), plus leur producteur Philippe Zdar (du duo electro Cassius) devenu à l’époque de ce « Wolfgang … » à peu près le cinquième membre « officiel » du groupe.

« Wolfgang … » comme tous leurs disques, compte dix titres. Bien souvent, ça sonne comme les Strokes du début (les mid-tempo enlevés et sautillants de leur premier album), mais comme tous les sons sont repassés par des bécanes électroniques, c’est du Strokes désincarné, déshumanisé. Définitivement pas ma tasse de thé.


Ce « Wolfgang … » je l’ai acheté d’occase (pour le prix d’un demi-pression, port compris) dans une version comprenant le Cd plus un Dvd. Avantage (?) du Dvd, on peut l’écouter en 5.1 (y’a une version vidéo, enfin un gros plan sur le disque qui tourne sur une platine), on a droit à une autre version avec paroles en version karaoké. Ce qui est intéressant (enfin, intéressant, je me comprends), ce sont les trois autres versions du disque. Une présentant Phoenix « at work », une avec les commentaires de Phoenix et une avec ceux de Zdar à mesure que défile la musique.

La première, sur les moins de quarante minutes que dure « Wolfgang … », nous montre le groupe écouter le mix des morceaux, battre la mesure, jouer de la air guitar, essayer des trucs à un doigt aux claviers, commenter le poussage de boutons sur la table de mixage … ouais, super, mais ils jouent quand ? On les voit jamais jammer, répéter. Ils sont comme Chuck Berry ou Robert Johnson, ils veulent pas révéler les secrets de leur jeu ? Ah et on les voit boire des canettes de soda, parce que jamais une bouteille d’alcool ou un paquet de clopes dans le décor. Les Phoenix en studio, c’est pas exactement les Stones à Nellcote, si vous voyez ce que je veux dire. Ils sont amish ou quoi, ces types ?


Concernant les commentaires du groupe et ceux de Zdar, ce sont ces derniers les plus intéressants, il s’implique un peu à décortiquer les titres et leurs enchaînements de séquences. Par contre, les Phoenix, manifestement, ils ont pas grand-chose à dire (ou ne veulent pas dire grand-chose) sur leur disque. Mais quelques réflexions incitent à se gratter l’occiput d’un doigt dubitatif. Je cite. A propos de « Litzomania » (principal single, en tout cas titre le plus connu) : « Les Beatles transposés dans la musique classique », rien que ça (pourquoi pas mieux que « Norvegian wood », tant qu’on y est), également « (titre) beau et élégant » (hum …). A propos de « 1901 » (l’autre gros single) : « inspirée par « 1999 » de Prince » (vraiment ? y’a davantage d’idées dans le seul titre de Prince que dans tout « Wolfgang … »). Lequel « Wolfgang … » serait une « quête mystique » (non, les gars, juste de la variét’ dansante). Plus belle pour la fin : « Countdown » est inspirée par le Bryan Ferry de « Avalon » et de « Smoke gets in your eyes », sauf que cette dernière est déjà une reprise d’un traditionnel popularisé par les Platters, faudrait réviser vos classiques, les enfants … Les commentaires de Zdar sont moins prétentieux, il cite juste une fois Neil Young (?) et Prince, une autre fois une partie de banjo « à la Délivrance », le film, et un pont de (fausse ?) batterie « à la AC/DC » (en fait un pompage de la rythmique de « Thunderstruck » sur « Girlfriend »).

Au final, si on s’en tient juste à la musique, il en reste quoi, de ce « Wolfgang … » ? Des singles très « pensés », efficaces et commerciaux (« Litzomania », « 1901 »), des titres surchargés d’arrangements synthétiques (ça passe mieux sur l’instrumental « Love like a sunset Pt I »). Dans le lot, je sauve « Rome » (sauf la voix de Mars, toujours trafiquée dans les aigus, c’est un gimmick qui finit par être pénible) et sa jolie intro.

Retour à Carmine (Coppola), le grand-père de Sofia (Coppola) et compositeur de musique de films pour Francis Ford (Coppola). Qu’est-ce qu’il en aurait pensé du disque du mari de sa petite-fille ? Je vais pas faire parler les morts, mais enfin, j’ai ma petite idée …

Quant à moi, ce que j’en pense, c’est vous qui avez aussi une petite idée …


ETIENNE DAHO - POP SATORI (1986)

 

Antoine Doinel 80's ?

Daho, il sort de nulle part. De Rennes, précisément, ce qui musicalement revient à peu près au même au début des années 80. Bon, avant que les Bretons bretonnants me lancent une fatwah, je précise mon propos. Ouais, je sais, Marquis de Sade et les Transmusicales, la Rue de la Soif, et toute la mythologie provinciale du rock’n’roll… Mais c’est quoi les ventes de Marquis de Sade ? Et les Trans, c’était pas un peu surévalué par les journaleux parisiens venus là en goguette ? Non, en ce temps là comme tout le temps, ce qui comptait vraiment, ça se passait à Paris, et il a déménagé où, Daho, une fois les biftons des premiers succès en poche, hein ? pas à Morlaix que je sache … Voilà, voilà, j’ai encore rien dit que je me suis fait plein d’amis … surtout bretons …


Bon reprenons avec le jeune Etienne de Rennes. C’est un ado timide et romantique, et fan d’un monde déjà disparu. Celui des années 50 et 60, des films existentialistes de la Nouvelle Vague en noir et blanc, du premier disque du Velvet Underground avec Nico, du Pink Floyd de Syd Barrett, de Françoise Hardy ... Premier fait d’armes de Daho, il met toutes ses économies sur la table pour organiser à Rennes un concert d’Elli et Jacno, parce qu’il aime bien leur musique, mais plus encore la belle uruguayenne Elli Medeiros, qui chante (assez faux) dans le duo. Daho surmontera sa timidité et sa faiblesse vocale pour commencer à enregistrer. Deux disques, le premier « Mythomane », passe inaperçu, mais le single qui suit « Le grand sommeil » (évidemment à cause du film du même titre avec Bogart et Bacall) récolte quelques critiques favorables. Second trente trois tours « La notte, la notte » (référence au film d’Antonioni) fait frissonner les hit parades grâce au single « Week end à Rome ». Mais en tout cas rien qui ne préfigurait le succès de « Pop Satori ».

« Pop Satori » est donc le troisième disque de Daho, et qui suit un maxi 45T avec un titre bien diffusé en radio, « Tombé pour la France ». Ce maxi est vraiment le dernier de la période rennaise de Daho. Même si le titre à succès est produit comme tout ce qu’a sorti Daho depuis « Le grand sommeil » par Franck Darcel (guitariste et fondateur de Marquis de Sade puis d’Octobre, devenu maintenant écrivain et activiste breton), il est enregistré entre Paris et Bruxelles. « Tombé pour la France » figure (en fin de première face vinyle, donc au milieu du Cd) sur « Pop Satori » avec un son assez différent du reste du disque, en tout cas le meilleur titre d’électro-pop français sorti à l’époque, aussi bien foutu qu’une rengaine à succès d’Orchestral Manœuvres, Eurythmics, ou Depeche Mode.

Avec Elli Medeiros

Parce que Daho, alors que toutes ses influences sont dans le passé, va s’attacher à faire un disque de son époque, le milieu des 80’s. Alors, certes il gardera Arnold Turboust, son alter ego pour l’écriture des morceaux, mais ira chercher des Anglais peu connus mais qui selon lui, peuvent lui amener ce son contemporain et classe dont il rêve. Apparaissent donc en bonne place dans les crédits le producteur Rico Conning, et le groupe Torch Song, dont la tête pensante est un dénommé William Orbit (qui sera quelques années plus tard le pape de la techno anglaise, producteur, mixeur, remixeur et Dj mondialement reconnu – l’anti Guetta pour situer).

« Pop Satori » n’est pas aussi conceptuel que le laisse entendre son titre. Satori, en japonais, signifie en gros illumination, prise de conscience, dans la religion bouddhiste. Ce disque est plutôt un hommage au passé ou à un monde rêvé. Daho est un indécrottable romantique passéiste et il inaugure avec « Pop Satori » son culte du passé servi par des sonorités contemporaines, le « c’était mieux avant » avec des synthés. Grosso modo, il fera ça à chacun de ses disques, un son d’actualité au service de la nostalgie. Voir ici « Paris, le Flore », évidemment hommage au bistrot parisien (la photo de pochette y a été prise) haut lieu de la culture Rive Gauche. Le titre est coécrit par un Anglais, Stuart Moxham, compositeur principal de l’éphémère groupe culte Young Marble Giants (une seule rondelle à leur actif, qui sera un des disques de chevet de Kurt Cobain).

Rayon hommage et nostalgie, difficile de passer à coté de « Duel au soleil » (encore un titre de film devenu chanson) et de « Late night ». Le premier a été composé par Robert Farel (quasi clone de Daho, et dont on n’entendra parler que brièvement l’année suivante avec son titre « Les petits boudins ») et le journaliste Jérôme Soligny (depuis des années à Rock & Folk, auteur d’articles-fleuve sur Bowie, Macca et – nobody’s perfect – Coldplay), mélodie intemporelle, arrangements tantôt arabisants, tantôt hispaniques, pour moi d’assez loin le meilleur titre de la rondelle. A égalité avec « Late night » de Syd Barrett, paru sur son premier disque solo « The madcap laughs ». Dernier titre du disque, en totale rupture avec le son de ce qui précède. Ici, juste guitares et voix, dans une version assez similaire à l’original (manque juste les guitares « spatiales » caractéristiques de Gilmour).

Avec Nico

Le gros succès radiophonique de « Pop Satori » sera « Epaule Tattoo », beaucoup moins évident aujourd’hui, certainement le titre le plus daté, irrémédiablement bloqué sur ses synthés très début 80’s. A lui seul, ce morceau résume pour moi le problème Daho. Il propose des compos certes sympas écrites pour sa voix que pour être gentil on qualifiera de limitée, et les met en musique en s’inspirant de l’air (en général électronique) du temps. Parfaitement en phase avec leur époque, ses disques prennent assez vite de gros coups de vieux. Tiens à ce propos, dans les crédits de « Pop Satori », section remerciements Daho écrit en conclusion : « c’était trop bath ! ». Même dans les années 80, qui disait que c’était bath ? Léo Ferré peut-être …

Bien trente ans que je l’avais pas écouté ce « Pop Satori ». Dans mes souvenirs, il était bien, voire très bien … Ben, il a assez mal vieilli, la moitié des titres ne valent pas d’être cités … irrémédiablement d’une autre époque. Par contre quelques-uns ont plutôt pas mal traversé les décennies, et comme par hasard, ce sont les mieux écrits. Comme quoi un bon son, un gros son, un son moderne, ça peut parfois suffire, mais s’il y a une bonne chanson pour aller avec, c’est encore mieux …


CHARLOTTE GAINSBOURG - IRM (2009)

 

Fortunate son ...

Comme tout le monde, Charlotte est la fille de ses parents. Mais c’est  la seule au monde à être la fille de Serge Gainsbourg et Jane Birkin. Ce qui n’est pas forcément un handicap dans la vie. D’ailleurs, elle fait carrière sous le pseudo de son père (pour l’état-civil, elle s’appelle Charlotte Lucy Ginsburg). Son gagne-pain, à Charlotte, c’est d’être actrice. Un métier pour lequel elle est assez douée, excellant dans des rôles de pleureuse diaphane triste, mais pas que …Elle fait des disques aussi, la Charlotte … et là on peut se poser deux questions : pourquoi et comment ?


Pourquoi faire des disques quand on s’appelle Charlotte Gainsbourg ? Parce que Gainsbourg, dans le monde des maltraiteurs de gamme, c’est un nom bankable, et il n’a échappé à personne que le monde de la musique, c’est aussi une industrie qui exige des résultats, des marges, des dividendes, etc … On prend moins de risques à sortir un disque étiqueté Gainsbourg que celui de gugusses peut-être extrêmement talentueux mais inconnus. Et puis, Charlotte Gainsbourg et la chansonnette, y’a peut-être quelque chose de freudien et d’œdipien à régler. On se souvient de son père la forçant à chanter toute gamine des mélodies difficiles, sur des textes (et un clip) pour le moins équivoques (l’assez douteux « Lemon Incest ») …

Comment on fait de la musique quand on s’appelle Charlotte Gainsbourg ? Et que certains prérequis pointent aux abonnés absents. Quand on ne compose pas qu’on n’écrit pas (ou si peu) de textes, et qu’on a une voix à faire passer Maman Jane pour la Callas, on fait quoi ? A mon humble avis, on ferait mieux de rester à la maison … Pas Charlotte, à qui on donne un disque « clés en mains », sur lequel elle n’a plus qu’à poser son petit filet de voix. Bon, des gens qui ne font quasi exclusivement que chanter sur leurs disques, on en connaît et des fameux (Frank Sinatra ou Elvis Presley pour n’en citer qu’une paire). Mais ils chantent mieux que Charlotte …

Cet « IRM » est beaucoup plus un disque de Beck (Hansen) que de Charlotte (Gainsbourg). Beck, au début, c’était un mixeur de genres assez étonnant, réussissant à faire des choses pas dégueus en marchant à rebrousse-poil des conventions (de l’électro, du rap et de la country avec « Loser », fallait y penser). Son étrange mayonnaise a fini à la longue par tourner vinaigre, et encore plus quand est venu se rajouter à la musique un malvenu prosélytisme scientologue. Mais on peut toujours compter sur lui pour bricoler des trucs bizarres.

Ici, il s’en donne à cœur-joie, réunissant une multitude de zozos programmant leurs Mac, lui-même étant crédité de plein de bidules électroniques. Même s’il y a aussi de vrais instruments (noyés sous les programmations), et un casting aussi long qu’un générique de dessin animé Pixar, c’est Beck qui écrit, compose et joue quasiment tout. A part deux types dont je préfère pas citer le nom pour les paroles d’une imbécilité rare de « Le chat du Café des Artistes » qui accumulent des trucs aussi forts que « Quand on est mort c’est qu’on est mort, quand on ne vit plus c’est qu’on ne vit plus », et un poème d’Apollinaire mis en musique (la tarte à la crème de la chanson française de « qualité », aller piocher chez Verlaine, Rimbaud, Apollinaire, ça fait littéraire et romantique …).

Charlotte G. & Beck H.

Musicalement, Beck oblige (ou se sent obligé ?), on passe du coq à l’âne, pauvres mélodies interchangeables sur fond d’innombrables programmations rythmiques envahissantes, on va butiner vers plein de genres (vers l’électro, la ballade acoustique, la pop 60’s).

Quelques rares compos tiennent à peu près la route. « Le chat du Café … » s’il avait un bon texte renverrait aux meilleurs trucs que composait Gainsbourg Père pour Jane B., « Heaven can wait » est un joli exercice rétro très influencé par le Beatles sound, « Time of the assassins » c’est pour moi le meilleur titre de la rondelle, belle mélodie pop-folk à la Duncan Browne. A noter aussi, mais pour d’autres raisons « Dandelion » (étonnant que Tony Visconti ou les héritiers de Marc Bolan n’aient pas dégainé les avocats, c’est un plagiat du T-Rex sound époque « Electric warrior »). Le reste, c’est du bruit pour after de bobos, furieusement (?) novateur (?) et étrange (?), manière d’accompagner le champagne rosé quand les lumières de l’aube viennent signifier la fin d’une nuit passée dans des endroits rupins des beaux quartiers de Paris…

La Charlotte « chante » pour l’essentiel en anglais, c’est-à-dire qu’elle murmure des textes en essayant de suivre la mélodie. Dans les meilleurs moments assez proche de la tessiture de sa Jane de mère, mais sans son feeling ingénu. Ici, c’est pour le moins laborieux …

Pour paraphraser le philosophe hélicoptérisé Balavoine, qui déclarait qu’il faudrait remplacer le besoin par l’envie, Charlotte G. aurait dû se poser la question essentielle : avait-elle besoin de faire un disque ou en avait-elle juste envie ?