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MANO NEGRA - PUTA'S FEVER (1989)

 

MST (Musique Sans Territoire)

C’était un temps (les années 80) où, comme d’habitude la plupart de ceux qui sortaient des disques en France couraient après ce qui marchait ailleurs (chez les Grands Britons ou les Ricains). Sauf que par hasard, à force de courir, certains les avaient dépassés. Oh, pas dans tous les domaines, mais c’est en territoire mitterrandien qu’était sorti un genre inconnu ailleurs, qu’on baptisa rock alternatif. Piochant dans les tréfonds de la musique franchouillarde (les flonflons des bals musette, la chanson réaliste à texte), et passé à la sauce punk (ou bourrin, ça marche aussi).

Mano Negra 1989

Têtes de gondole du genre, les Bérurier Noir, qui faisaient ce qu’ils pouvaient pour masquer et refuser un succès populaire certain, allant jusqu’à la dissolution du groupe pour être sûrs de ne pas passer en boucle sur NRJ. Dans leur sillage, une foultitude de groupes affichant à peu près la même radicalité morale. Il y avait deux camps : les intégr(ist)es, refusant toute forme de « compromission » avec le « système », et puis ceux pour qui ce qui comptait c’était de s’éclater entre potes (ceux du groupe, ceux qui venaient les voir). Dans cette seconde catégorie, la Mano Negra.

La Mano venait de loin. De plein de groupes de « jeunesse » (Hot Pants, Carayos, Kingsnakes, …), où se sont rencontrés ceux qui allaient devenir l’ossature de la Mano Negra (les frères Chao, Santi). Le groupe n’a jamais eu de composition définie et rigide, selon les époques et les occasions (travail en studio ou prestations scéniques), mais a toujours compris au moins une demi-douzaine de personnes. Un groupe dont il n’est pas facile de dresser l’historique au niveau personnel, d’abord parce que tous avaient un (voire plusieurs pseudos), qu’il y avait beaucoup « d’invités » (dont certains de façon quasi permanente), et qu’au hasard de ses tournées dans les pays le plus improbables, des musiciens locaux se joignaient pour quelques dates (ou quelques mois) au groupe sur scène …

Leur premier album, « Patchanka » est paru chez Boucherie Productions, label de François Hadji-Lazaro (qui avait joué avec Manu Chao dans los Carayos, le monde du rock alternatif est petit …). Le morceau de latino punk endiablé « Mala vida » va devenir un hit, et les majors, sentant le potentiel commercial de la Mano, sa faculté à remplir des salles où le groupe donne des prestations explosives, se pointent avec leur chéquier. La Mano Negra va signer chez Virgin pour un nouvel album, qui sera ce « Puta’s fever » dont je m’en vas vous causer.


Parenthèse : je vais zapper tout le débat « traîtres – vendus » qui a secoué pendant des années voire plus les principaux tenants de « l’affaire », les arguments antagonistes et irréconciliables, les rancœurs étalées au grand jour par presse spécialisée ou pas interposée, les interventions par centaines de gens qui n’étaient en rien concernés mais qui prenaient position, et le plus souvent de façon pas très nuancée … Débats qui n’auraient certainement pas eu lieu si « Puta’s fever » avait fait un bide …

« Puta’s fever », il ressemble au groupe qui l’a fait. Protéiforme et bordélique, s’il fallait s’en tenir à deux mots. Il y a des effluves de rock, de rockabilly, de punk, de reggae, de chanson réaliste, de rap, de musiques latines, arabes, et j’en passe, le tout souvent mêlé dans le même titre. Idem pour les paroles, parfois politiques, parfois drolatiques, parfois nonsensiques … Paroles chantées en français, anglais, espagnol, arabe, voire entre charabia et yaourt … Et le tout défile à toute blinde (dix-huit titres en quarante minutes, les plus longs dépassent à peine les trois minutes).

S’il fallait ne citer qu’un disque similaire, celui qui s’approche le plus de « Puta’s fever », tant par « l’esprit » que par la multiplicité des genres abordés, c’est « Sandinista ! » du Clash (avec quatre faces vinyle de moins). Parallèle ni très osé ni très difficile à établir, le groupe de Jones et Strummer est le dénominateur commun d’à peu près tous ceux qui œuvrent dans la Mano …

Trente cinq ans après les faits, ce stroboscope sonore passe quand même moins bien que lors de sa sortie. Et malgré les tempos supersoniques, on trouve des redondances, de l’autocomplaisance, et on sent des passages « diplomatiques », pour faire plaisir ou mettre en avant tel ou tel de la bande. Il n’empêche que pour une rondelle aussi « typée » et datée, « Puta’s fever » tient plus que bien la route.

Pour une raison primordiale, les gens de la Mano sont vrais, ne trichent pas, ne renient rien (de leurs origines, de leurs goûts musicaux, …), ne se la racontent pas, vivent et enregistrent au jour le jour, sans plan de carrière. Pas de calcul, des tripes et la bonne humeur à faire partager.

Point musical commun de la plupart des titres, des tempos tachycardiques. D’entrée le morceau « Mano Negra », un machin speed indéfini suscite presque le doute (sur vinyle) de la bonne vitesse de rotation du disque. Et puis le Grand Huit musical se met en branle, on passe du rockabilly à gros riffs hardos au final (« Rock’n’roll band ») à un rap, « King Kong Five ». Gros succès en 45T, et fait assez rare pour un rap somme toute basique, le rythme est souligné par un bon vieil orgue Hammond (ou c’est bien imité). « Soledad », hormis son tempo hyper-rapide, pourrait passer pour le meilleur titre des Négresses Vertes, est soutenu par de gros riffs de cuivres et recrache au final la mélodie de « Je cherche après Titine » (très vieux morceau franchouillard, déjà « adapté » en yaourt avec sa chorégraphie surréaliste par Chaplin dans « Les Temps Modernes »). Suit un morceau chanté en arabe (« Sidi H Bibi »), mixant musique traditionnelle (?) nord-africaine et rock alternatif, avant un hommage sonore appuyé au Clash avec « The rebel spell » et « Peligro ». Changement de décor avec le plus gros succès du groupe, « Pas assez de toi ». Rythme apaisé mais festif, sur des paroles bien dépressives, limite suicidaires.

Manu Chao

« Pas assez de toi » est le sommet populaire du disque. La suite de la rondelle sera moins évidente. Rien d’ignoble, on reste en terrain connu, mais il y a des choses qui font redite (« Voodoo », « Magic dice », « The devil’s call »), on se laisse aller à la facilité (« Pachuco hop », matrice du punk musette qui engendrera tant de groupes dispensables), ou à la grosse blague un peu lourdingue (« Roger Cageot » le titre du guitariste Daniel Jamet, comme un crobar de Reiser mis en musique, ou « La rançon du succès » classic rock balourd qui bifurque non moins lourdement sur le « Chéri je t’aime » du très improbable Bob Azzam).

Au rythme où ça s’enchaîne, on peut pas parler de remplissage, mais quelques passages auraient mérité d’être élagués, et d’autres développés sans que ça ressemble à du prog …

Titre charnière du disque : « Guayaquil City », tempo beaucoup moins oppressant, rythme sud-américain, qui préfigure la carrière solo de Manu Chao. Parce qu’il faut bien en causer du garçon. N’allez surtout pas dire que la Mano c’est sa chose, ça lui aurait pas fait plaisir, d’autant plus que c’est pas vrai. Mais il en était la figure de proue (guitariste rythmique et principal chanteur), de très loin le plus gros contributeur en matière d’écriture. Le seul capable de faire parler de lui à la fin du groupe au début des années 90 en se lançant dans une carrière solo à l’écho mondial (par charité, on se contentera de citer sans commenter la reconversion du batteur Santi qui rejoindra le staff directionnel d’Universal Music et le jury de Popstars sur M6 …).

On ne compte plus tous les groupes et disques qui en cette fin des 80’s ont surfé sur cette vague patchwork, concrétisée par le succès de la Mano Negra et de « Puta’s fever ». Très rares ont été ceux qui sont parvenus à laisser des publications qui tiennent la route aujourd’hui, autrement que sous l’angle nostalgie … La Mano Negra, c’étaient les meilleurs et « Puta’s fever » reste d’assez loin leur sommet créatif …


CREEDENCE CLEARWATER REVIVAL - LEGEND (2002)


Essentiel ?
Il est assez étonnant de voir que Creedence, qui fut pendant quelques années (et pas n’importe lesquelles, celles de la fin des années 60 où il y avait quand même encombrement de talents) le roi incontesté des charts américains, est aujourd’hui à peu près complètement oublié. Il serait temps que le peuple se mobilise pour réhabiliter Fogerty et sa troupe. La réhabilitation de Creedence, voilà une revendication qui aurait de la gueule. N’est-ce pas les gilets jaunes, si tant est qu’il y en ait quelques-uns parmi vous qui sachent lire et formuler une doléance cohérente (le régime merguez-Heineken à fortes doses montre vite ses limites quand il faut utiliser son QI), voilà une revendication autrement plus importante que le prix du carburant, le pouvoir d’achat, ou la démission de Macron (vous voyez qui c’est lui, le quadra aux poses messianiques à la Don Camillo, et qui vous a fait croire qu’il allait mettre notre pays en marche, alors qu’il est juste encore plus nul et arrogant que Mr Gayet et Sarko réunis, ce qui n’est pas peu de chose, et qu’il est accompagné par une bande de têtes de nœuds genre Le Maire, Darmanin, Grivaux, Castaner, liste loin d'être exhaustive, qui devraient repartir au plus vite d’où ils viennent, la troisième division de la droite centriste et de la gauche molle, et arrêter de se prendre pour des hommes politiques, eux à qui on ne voulait même pas confier le nettoyage des latrines au siège de leurs anciens partis respectifs) ? … La France va mal, camarades ( ? ), raison de plus pour écouter Creedence … qui eux n’ont jamais fait de politique (quoi que, on y reviendra si j’y pense), mais qui étaient à peu près aussi mal habillés qu’un Breton mécontent et bourré (pléonasme) en bonnet rouge et / ou gilet jaune…
Remarquez, sans les chemises de bûcheron à carreaux, avec quoi auraient bien pu se fringuer Neil Young, Bruce Springsteen et Kurt Cobain ?
John Fogerty, Tom Fogerty, Doug Clifford, Stu Cook
Creedence, c’était la revanche des ploucs sur les types (et les nanas) dans l’air du temps. Ils étaient pourtant au bon endroit (la Californie, du côté de San Francisco) au bon moment (le milieu des années 60). Comme l’Airplane, Quicksilver, Grateful Dead. Sauf qu’ils n’ont pas cherché à inventer un langage musical sous LSD. Et qu’ils ont peut-être jamais foutu les pieds à Haight Ashbury, se contentant de leur morne El Cerrito (banlieue nord-est de Frisco, de l’autre côté de la Baie).
John Fogerty aime le rock’n’roll des origines, Presley et consorts. Son pote de lycée, Doug Clifford, pareil. Tous les deux rêvent de faire de la musique, sans ambition, juste un college band. L’affaire s’emmanche quand John se fait offrir par ses parents une Silvertone pourrie d’occase et que Doug se bricole une batterie à base de pots de fleurs. N’ayant pas eu l’idée de s’appeler les White Stripes ou les Black Keys, il leur faut du renfort. Ce sera Stu Cook (parce qu’il est dans la classe de Clifford, et quand on les fait s’aligner par ordre alphabétique, ils se retrouvent à côté). Cook est pianiste (enfin il sait vaguement jouer du piano). L’aventure en trio commence, sous des noms totalement improbables qui ne tiennent que le temps de dégoter un concert où ils jouent (des reprises) dans l’indifférence générale.
Version trio
Les minots sont motivés, et finissent par être reconnus (dans leur pâté de maisons et leur lycée). Entre-temps, Cook est passé à la basse. Il est temps de faire un gros coup. John propose à son frère aîné Tom de les rejoindre. Tom, c’est la star des Fogerty. Il compose, joue de la guitare en faisant des solos et chante dans un groupe « célèbre ». Quelquefois même dans des bars ou des clubs à pfff … des quinze ou vingt kilomètres d’El Cerrito. Sur la seule renommée de Tom, le quatuor « explose », sous le nom de Tommy Fogerty & The Blue Velvets. Il quitte le lycée d’El Cerrito pour jouer dans les mêmes rades que fréquentait Tom. Pour les trois pieds-nickelés originels, c’est le jackpot artistique. Ils enregistrent même une paire de 45 T sans aucun succès. Mais à force de s’acharner, les quatre zozos voient leur audience s’accroître, et finissent par décrocher des contrats pour des concerts devant des dizaines de personnes. Et là surgit l’accident industriel. Tom, incontesté chanteur guitariste et leader est bouffé par le trac dès lors que l'assistance est composée d’autres personnes que ses copains. John commence donc à chanter et à prendre les solos. Et tant qu’à faire comme c’est lui qui va les chanter, à composer les titres de leur répertoire. Une sono asthmatique l’oblige à s’égosiller au micro, ce qui donnera ce chant forcé immédiatement reconnaissable.
Tout passe, et même l’adolescence. Faut bosser, faire l’armée tout ça … Le groupe (qui a encore changé de nom après que ses 45T se soient vautrés) est mis en sourdine. John glandouille chez Fantasy Records, micro label orienté jazzy, qui récupère par hasard un hit (au niveau de la Californie) et un peu de fric. John suggère au patron de Fantasy de signer son groupe, qui, c’est pas lui qui choisit, s’appelera les Visons. Puis les Golliwogs. Des 45 T suivent avec les bides habituels. Le patron de Fantasy vend en 1967 sa boîte à un de ses employés, Saul Zaentz. Qui hérite donc des Golliwogs. Qu’il somme de se rebaptiser en optant pour un nom à la Quicksilver Messenger Service, qui commence à se faire un nom à San Francisco. Les trois mots choisis seront Revival (l’ambition de remettre le rock’n’roll au goût du jour), Clearwater (la pureté, la nature, les utopies hippies, …) et Creedence parce que Tom a un pote qui se prénomme comme ça et que ça le botte un nom de baptême pareil …
Parenthèse : John Fogerty voue depuis des décennies une haine féroce et tenace vis-à-vis de Saul Zaentz (l’humiliant même dans une chanson et son clip plein de cochons « Zanz Kant Danz » sur son disque solo « Centerfield » en 85). Il s’est peut-être (sûrement ?) fait escroquer par un contrat tordu, mais sans Zaentz, point de Creedence, parce que fallait y croire ou être un sacré visionnaire pour signer cette bande de péquenots et leur drôle de musique ringarde en 67. Fin de la parenthèse …
Creedence live
Et là, tout à coup, ça fonctionne. Le premier single (« Porterville ») est remarqué, le second (« Suzie Q ») est un succès. Creedence sera un groupe à singles. Des singles rustiques, pleins à la gueule de ce rock’n’roll fifties, avec des touches de country ou de blues. Pendant quatre ans, de 68 à 71, tous leurs singles finiront en haut des charts américains, beaucoup plus rarement ailleurs. Creedence est un groupe de pécores, de traditionalistes, qui portent haut l’étendard du « c’était mieux avant ». John Fogerty est capable en deux minutes trente de choses fulgurantes, d’une simplicité et d’une évidence bibliques (« Bad moon rising », « Fortunate son », « Travelin’ band »). Mais aussi des ballades définitives (« Who’ll stop the rain », « Have you ever seen the rain »). Sa voix forcée peut lui permettre de reprendre Little Richard sans se couvrir de ridicule (« Good Golly Miss Molly »), tout comme McCartney ou Wanda Jackson (liste close). Il sait se fendre de quelques solos de guitare « acide » dans l’air hippy du temps, sans prétention, mais sans se ridiculiser. Les albums (en gros un tous les huit mois) cartonnent …
Chaque médaille ayant son revers, CCR a sa dark side. Le Tom, de star du groupe lors de ses dures années originelles, est un faire-valoir, un comparse de John qui lui focalise regards et louanges. Le bond frisé va très mal vivre cette situation, les rapports avec les autres et surtout son frangin seront vite détestables et il quittera le navire après l’enregistrement de « Cosmo’s Factory ». Et puis, les albums de Creedence sont inégaux. Même s’ils contiennent toujours les singles. Parce que Fogerty a la fâcheuse habitude d’étirer des titres au-delà du raisonnable, dans des jams bluesy cotonneuses, à faire passer les frères Allman pour des types concis et Canned Heat pour un groupe plein d’imagination. Tous leurs meilleurs disques (les cinq premiers) comptent en leur sein ces pénibles « Suzie Q pt I & II », « Graveyard train », « Keep on chooglin’ », « Ramble tamble », « I heard it to the grapevine ». De leur discographie, « Cosmo’s factory » est toujours cité comme leur apogée. Désolé, mais avec « I heard it … » et « Ramble tamble », soit vingt minutes et donc la moitié du disque, z’êtes sûr ? « Cosmo’s … » est très daté et commence à perdre de cette dynamique, de cette fougue qui faisaient tout le succès et le son Creedence des singles. Perso, je trouve celui d’avant, « Willie & the poor boys » infiniment meilleur, c’est le plus roots, aucun titre au-dessus des six fatidiques minutes.
John Fogerty
Venons-en à « Legend » donc. Un coffret de trois rondelles sorti au milieu des années 90. Réédité par Warner Jazz ( ? ! ) France en 2002. Remastérisé pour l’occasion en 24 bits, et avec un bon livret bilingue (une page en français, en face la version anglaise), dans lequel j’ai pioché les infos biblio du dessus. Rien à dire, bel objet. D’autant plus que comme Creedence n’a sorti que sept albums studio (plus un live très dispensable), les six premiers sont dans l’ordre chronologique sur le coffret plus les trois singles (plutôt corrects) issus de leur chant du cygne, le plutôt mauvais « Mardi-Gras ». Pas une intégrale studio, mais pas loin. D’autant que (voir les rééditions avec bonus des albums pris séparément), il semble bien qu’il n’y ait que peu de matériel studio inédit chez Creedence (faut dire qu’à la vitesse où ils paraissaient, ça laissait pas trop de temps aux fioritures et aux expérimentations).
On peut donc mesurer l’évolution du Creedence sound (un peu fouillis aux débuts, genre swamp-rock), celui-ci culminant à mon sens sur « Green river » (le troisième, le plus rêche, avec Fogerty qui ne chantera plus jamais aussi sauvage). Ensuite, très discrets sur « Cosmo’s … », les instruments additionnels au strict deux guitares basse batterie des débuts viendront encombrer le paysage sonore (claviers, cuivres façon revue Stax sur « Pendulum »). C’est joli, bien fait, « surproduit » par rapport aux débuts, mais la magie et la hargne de la jeunesse sont partis …
Creedence a vécu un peu en marge de la musique dominante américaine (apparition – quelconque – du groupe à Woodstock étant l’exception qui confirme la règle), mais en sachant garder les pieds sur Terre. Trois chansons, et pas des moindres (« Fortunate son », « Who’ll stop the rain », « Have you ever seen the rain ») font référence au conflit du Vietnam et valent bien dans l’esprit les pamphlets de Country Joe ou le « Machine gun » d’Hendrix et de sa bande de gypsys.
Fogerty, s’il a pas mal visité les autres, est un grand auteur. Et une marque de fabrique américaine, purement américaine. Sans doute que sans lui, les carrières de Bob Seger ou Springsteen n’auraient pas été les mêmes, pour parler des plus évidents. Fogerty a pas mal repris, mais a laissé quelques bornes de la musique populaire américaine difficilement contournables. Deux exemples suffisent. Tina (et Ike) Turner ont boosté leur carrière lorsque Tina s’est mis à reprendre de façon fellatoire (le sort qu’elle faisait au micro, avec les Ikettes poussant à l’orgasme aux chœurs) « Proud Mary » (pourtant une histoire toute con d’un bateau avec roues à aubes qui descend un fleuve), et la seule « Run through the jungle » (déjà un titre un peu à part dans le répertoire de Creedence) reprise par le Gun Club a généré tous les les groupes de rock « torturés » des années 80 (Noir Désir par ici) … Sans parler du « Fortunate son » adapté par Labro pour feu Hallyday …
Creedence était, en dehors de son trajet interne, de toutes façon condamné. Un clone bruyant et bourrin (Grand Funk Railroad, un nom en trois mots, tiens tiens …) le remplaçait en haut des charts à grands coups d’hymnes démagos et simplets. Et de toute façon Led Zeppelin mettait aux States tout le monde d’accord …
Creedence est un groupe essentiel. Dont les albums pris un à un le sont moins …



BERURIER NOIR - CONCERTO POUR DETRAQUES (1985)

Alternatif ...

La coutume, et le raccourci facile utilisé jusqu’à plus soif, consiste à dire qu’entre le punk (1977) et le grunge (1991), la musique qui rocke et parfois rolle a traversé un désert sans rien de nouveau à se mettre sous la dent. Plus ou moins vrai si on se place du point de vue anglo-saxon. Sauf qu’il y a sur la mappemonde un petit pays, meilleur pour faire du pinard que du rock, comme l’aurait soi-disant dit perfidement Lennon, où il s’est passé un truc.
France, milieu des années 80. Pays qui commence à s’engluer dans une longue litanie de plans de rigueur (entendez par là qu’on commence à dire à ceux qui n’ont quasiment rien de se préparer à n’avoir plus rien du tout), d’autant plus mal perçus qu’ils sont mis en place par une gauche au pouvoir depuis 1981 qui avait suscité d’immenses espoirs de renouveau et de renouvellement social. Parallèlement, autant par jeu politique du machiavélique Mitterrand que par un certain désarroi social, l’extrême-droite profite électoralement de la situation. Et comme dans les années hippies post soixante-huitardes, une frange de la population choisit de se situer en-dehors du système. Contrairement aux babas qui avaient quitté les villes pour aller fabriquer du roquefort dans le Larzac, les exclus et laissés-pour-compte des années 80 restent dans le milieu urbain. Bien avant les cités des dealers de crack, ce sont les squats qui seront le dortoir de cette génération.

Il y a dans les villes toute une partie de la jeunesse mise à l’écart, ou ce qui revient  au même, ne veut pas rentrer dans le rang, qui a ses codes, ses modes de fonctionnement. En gros, les punks à chien. Sauf que musicalement, cette jeunesse-là n’en a rien cirer des punks. Rappelons que malgré le salutaire coup de pied au cul que les punks avaient donné à une industrie musicale chloroformée par des dinosaures de quasiment trente-cinq ans (Clapton, le Floyd, les Stones, Who, Zeppelin, et toute la sinistre cohorte des progueux et jazz-rockeux), tous les orchestres punk dont le nom est rentré dans les livres d’histoire ont vu leurs rondelles publiées par les majors. Record, les têtes de gondole Sex Pistols qui furent signés par trois majors (EMI, A&M, Virgin) tout en n’ayant réussi à sortir qu’un seul disque …
Tout ça pour contextualiser l’affaire Bérurier Noir. Qui peuvent pas être qualifiés de punk parce que la place a été prise par d’autres avant eux, et surtout parce qu’ils sont … autre chose. Et rarement le terme d’alternatifs qui leur sera attribué aura été aussi bien choisi. Parce que les Bérus ont tout refusé dès le départ, n’en faisant qu’à leur forte tête. Ligne de conduite : ne rien faire comme les autres, ne compter que sur soi et ne dépendre de personne. Un projet autant utopique qu’idéaliste, voire irréaliste. Les Bérus y sont parvenus un temps, à tenir en équilibre perpétuel sur tous les fils de rasoirs qui se dressaient sous leurs pas …
Les Bérus ont réussi à faire de la musique  et des disques en dehors de toutes les conventions (fuck la technique, le son, le « bon goût », le look, l’attitude, et surtout majeur gigantesque à « l’industrie » du disque). Les Bérus, on les résume à une paire de disques et à une apothéose en forme de rock’n’roll suicide lorsqu’en 1988 ils remplissent le Zénith de Paris à moins de neuf (oui, j’ai bien écrit neuf) euros l’entrée.

Les Bérus, ça reste la formation la plus à géométrie variable qui soit. L’affaire a commencé par un duo (qui n’ a rien enregistré et dont tout le monde a oublié les noms), pour devenir connue sous la forme d’un autre duo et d’une archaïque boîte à rythmes, pour finir par une raya (le collectif, c’est pour ceux qui font de la musique chiante, et le crew pour les rappeurs) d’une quinzaine de personnes dont quelques-unes juste à but décoratif ( ? ).
Le formation « officielle » à l’époque de ce « Concerto pour détraqués » c’est Loran et François aux guitares et au « chant », Pascal au sax. Plus Dédé la boîte à rythmes. Plus les potes qui passent au studio pour faire du bruit avec ce qui leur tombe sous la main ou beugler dans un micro.
Construction typique d’un titre des Bérus : des riffs de guitare tronçonnés, lointains descendant de ceux de Chuck Berry (ou de Keith Richards ce qui revient à peu près au même), des textes-slogans plus déclamés que chantés, des chœurs de hooligans pour les appuyer, et un sax corne de brume pour achever d’épaissir la sauce. Les thématiques développées dans les lyrics tournent autour de la marginalisation (on joue et chante pour les types comme nous), le rejet des systèmes et des élites politiques et sociales, la haine de la carcéralisation notamment psychiatrique. De l’engagé et du rentre-dedans à coup de slogans mitraillés sur des rythmes tachycardiques. Et puis, quelques titres « festifs », enlevés, à l’humour noir ravageur (marxistes tendance Groucho). Et c’est cette partie de leur répertoire (minoritaire) qui mènera les Bérus vers une notoriété qui dépasse largement le cadre du public a priori concerné, la « gloire » médiatique, et son corollaire inévitable pour la bande, l’inévitable implosion.

« Concerto pour détraqués » le premier 33T des Bérus, c’est aussi un quasi best-of (surtout si l’on prend en compte les bonus de la réédition Cd de 2016 incluant les deux maxis qui encadrent chronologiquement « Concerto … », à savoir « Nada 84 » et « Joyeux merdier »). Sommets de « Concerto … » rondelle sur laquelle il n’y a rien à jeter, « Conte cruel de la jeunesse » et sa sordide histoire de beauf à carabine, « Hélène et le sang » sur le viol avec la relecture du « Wop bop a loo bop a lop bom bom » de Little Richard, la marche funèbre « Les éléphants », le cantique asocial « Il tua son petit frère ». Et mention particulière aux deux titres les plus connus « Porcherie » avec son intro samplée d’un discours de Le Pen (le borgne papa de la blondasse), dont la variante du final en live sera de faire scander au public « La jeunesse emmerde le Front National ». Et puis le rigolo « Commando Pernod » qui aura pour effet involontaire et malheureux d’engendrer toute la cohorte de ces groupes alternatifs en bermudas et rangers donnant dans le ska festif crétin, et polluant plus sûrement tous les festivals d’été que les effluves des baraques à merguez …
Le succès de « Concerto … » sera bien réel. Et totalement underground, le groupe n’autorisant pas les passages radio de ses titres, fuyant toute forme de promotion et refusant de figurer dans les statistiques plus ou moins trafiquées de ventes de disques genre Top 50 …
La situation deviendra « politiquement » intenable avec le disque suivant (« Présente Abracadaboum ») qui fera de grosses ventes et dont le pognon généré révèlera et réveillera l’appât du gain de quelques-uns (surtout dans l’entourage de la bande), une guéguerre des labels indépendants (avec Boucherie Productions, la maison des « rivaux » Garçons Bouchers), et une débandade pleine de rancœurs et de rancunes tenaces vers la fin des années 80.
Depuis, tout un tas d’imposteurs (pour la plupart) essayent de renouveler  ou reproduire la déflagration sonique et sociale des Bérurier Noir. Sans comprendre que la pertinence des Bérus était le fruit d’une époque et d’un état d’esprit et n’est pas duplicable …



VINCE TAYLOR - VINCE..! (1965)

Il portait un blouson de cuir noir ...

Et je sais pas s’il y avait un aigle sur le dos… Vince Taylor, c’est le rocker tout de cuir noir vêtu, un look pompé sur Gene Vincent… Qui a dit Dick Rivers ? Tu sors, mais sache que tu n’as pas tout faux, le Niçois a souvent fait les premières parties du Vince et s’est fringué comme lui. Même si sur la pochette de ce « Vince .. ! », Taylor est plutôt en chemise à jabot de Prisunic, genre farfadet psychédélique fauché (on est en 1965, les cheveux et les fleurs commencent à pousser).
Vince Taylor
Vince Taylor est Anglais. Il fait partie de ces pionniers du wockanwoll, mais joue médiatiquement en seconde division. Son seul titre de gloire est un demi-classique « Brand new Cadillac » publié en 1959 comme face B d’un 45T dont on a oublié la face A. Vince Taylor (Brian Maurice Holden pour l’état-civil) est au moins bizarre, voire un peu cinglé. Allez savoir pourquoi, il est un des premiers à bénéficier d’un culte en France, alors qu’il est quasi inconnu dans le reste du monde (avant Johnny Thunders, Alan Vega, Pete Doherty, et autres bizarros du même acabit). Faut dire qu’il s’est fait remarquer au début des 60’s dans des « galas » (on appelait les concerts comme ça à l’époque) qui finissaient souvent en vrille (le saccage du Palais des Sports en 1961). A la rue chez lui, il sera signé en France par Eddie Barclay qui essaiera de l’imposer dans des styles assez disparates, n’ayant souvent que peu de choses à voir avec le rock’n’roll des origines.
Après avoir eu comme backing band les Play Boys, Taylor engage (merci Barclay) le Bobby Clark Noise, groupe du batteur Bobby Clark (qu’on retrouvera un peu plus tard chez Johnny). Bobby Clark s’étant fait remarquer de ses contemporains en étant soi-disant le premier dans le rock à utiliser un kit de batterie à double grosse caisse. Les types donnent de bons concerts, et Barclay voit tout l’intérêt de sortir un disque en public. Mais manière d’assurer le coup, le disque en public sera enregistré … en studio … comme tant d’autres. Bon, même en ces temps antédiluviens, les ingés son faisaient bien le boulot, et on a droit sur ce « Vince ..! » à une vraie fausse présentation d’un certain Mike « Rosco » Prescot, à des applaudissements du public qui vont croissant, et des demandes de rappel hystériques. Bref on s’y croirait …
Son nom est écrit sur la batterie ...
On s’y croirait d’autant plus que les types même en studio ont joué et chanté tous ensemble en même temps, et puis qu’ils se sont lâchés. Ce « Vince.. ! » a une grosse réputation. Et aussi une certaine valeur chez les collectionneurs, parce que peu souvent réédité (la dernière fois en 2008 en quantités limitées) et jamais en Cd. Question : faut-il lâcher une trentaine d’euros pour la demi-heure de « concert » en vinyle état mint ? Faut voir …
Déjà, il est quand même conseillé de connaître un peu Vince Taylor, qui a grosso modo alterné des bas et des moins bas (si un grabataire fan du bonhomme passe par là, qu’il économise le post d’insultes, je m’en tape et j’y répondrai pas). Vince Taylor n’est pas un grand chanteur, compose peu (ici sur neuf titres, il en cosigne un seul « The men from El Paso » avec son guitariste Ralph Danks) et passe du coq à l’âne au niveau des reprises (entre « Jezebel » d’Aznavour, « Summertime » de Gershwin, « Trouble » d’Elvis, enfin de Leiber & Stoller, on dira pour être gentil que ça ratisse large …).
En gros, la première face est dispensable, et les deux cuivres du groupe n’ont pas trop à se fouler niveau imagination, les titres sont abordés soit façon rhythm’n’blues, soit jazzy, soit (tocade toute personnelle du Vince) façon mariachi. Témoin du quasi naufrage, la reprise de « Long Tall Sally » de Little Richard. Putain, ça fait combien de fois que je l’écris que faut faire très gaffe avec Petit Richard, faut avoir le coffre et l’hystérie pour le reprendre, et c’est pas donné à grand monde …
Vince Taylor & Bobby Clark Noise
La face B de la rondelle est heureusement bien meilleure. Une version énervée (c’est bien le moins, le Vince sait de quoi il parle en terme de baston) de « Trouble » avant la masterpiece du disque. Ça s’appelle « Clank Pt 1 & 2 », et pas de bol pour Vince, c’est un solo de plus de cinq minutes de Bobby Clark, un solo et physique et technique qui met en valeur sa double grosse caisse. Ce titre a fait son petit effet chez les batteurs et les musiciens de l’époque, bien que les grincheux argueront qu’un solo de batterie, c’est généralement aussi intéressant que la lecture d’un annuaire téléphonique … Mais après ça, le Vince se lâche sur « High Heel Sneakers » et « My Baby left me » qui concluent le disque. Il rentre dans le lard des deux classiques, préfère la rage à la justesse, et entraîne le reste de sa troupe qui doit y aller à fond pour suivre la cadence infernale du leader, toute en accélération permanente. Et là, on est plus dans les fuckin’ fanfares mexicaines, on est dans le rock’n’roll brut, sauvage, et qui se pose pas de questions …
Bon, l’impact de ce « Vince .. ! » restera confidentiel. De toute façon, vu l’état assez erratique de Taylor, même un gros succès n’aurait pas changé grand-chose pour lui. Toujours proche de son armoire à pharmacie, il va aller vers des drogues de plus en plus dures qui le tiendront pendant des lustres dans un état de clochardisation quasi permanent, ses rares apparitions publiques ou discographiques à partir des années 70 ne faisant rien pour arranger sa réputation …
La légende était déjà imprimée, Vince Taylor serait l’ange noir du rock’n’roll … en France …



EDDIE COCHRAN - SOMETHIN' ELSE THE FINE LOOKIN' HITS OF EDDIE COCHRAN (1998)

Cette compilation-là, elle est terrible ...
Et c’est pas Jojo H. ou Eddy M. qui me contrediront. Eux qui ont repris (et adapté) « Somethin’ Else » de Cochran.
Eddie Cochran … Un des mythiques crucifiés du rock. Mort à vingt deux ans en Angleterre, la faute à un chauffeur de taxi qui se prenait pour Lewis Hamilton. Gene Vincent, autre passager de ce corbillard improvisé, s’en sortira vivant, mais c’est pas ce carton qui rétablira sa patte folle, ni relancera sa carrière … Comme je vois les fans de Calogero perplexes, et qui se demandent ce que Cochran foutait en Angleterre, je vous explique le truc.
Aujourd’hui, Cochran fait partie des noms qui reviennent systématiquement dès qu’on se met à causer pionniers du rock’n’roll. Pas forcément le premier cité, plutôt après les Elvis Presley, Jerry Lee Lewis, Little Richard, et autres Chuck Berry. Et ce bien qu’en termes strictement mercantiles, sa carrière n’ait rien à voir… seulement huit titres classés dans les charts US (et guère mieux chez les British), et dans le lot, un seul Top 10 (« Summertime Blues »). En clair, Cochran ramait dans son pays. Et son management l’avait envoyé en Europe malgré sa frousse de l’avion explorer de nouveaux territoires et se chercher un nouveau public. Cochran était beaucoup moins connu de son vivant qu’une fois refroidi … Injustice ? Faut voir …
Ecce Homo ...

Bon, attention, je vais pas refaire l’Histoire ou une contorsion révisionniste. Cochran était différent de la plupart de ses contemporains-concurrents. Il chantait (certes comme tous les autres), jouait de la guitare (plutôt bien et généralement sur une Gretsch), composait lui-même nombre de ses titres. Tiens, déjà à ce stade, ne reste plus en course que Chuck Berry. Et Cochran se mêlait du travail sur le son en studio. Et là, y’a plus personne en face …
Cochran fut un précurseur, un des premiers, sinon le premier à vouloir tout gérer de sa production musicale.
Et là on en revient à cette compile. Vingt titres dans un ordre chronologique, quarante minutes, tous les incontournables, avec son très correct. Un début de carrière à dix neuf ans dans le duo des Cochran Brothers (avec un homonyme, Hank Cochran, qui n’avait aucun lien de parenté avec lui). Un premier single (chez Ekko, le reste de ses productions sortiront en très grosse majorité chez Liberty), « Tired & sleepy », proto-rockabilly assez mal foutu, sans aucun succès. La suite en solo, avec l’aide de son manager et co-auteur (pour de vrai, pas seulement pour empocher sans rien faire des royalties) Jerry Capehart, débute par le titre « Skinny Jim », batterie très en avant pour l’époque, et nouveau flop. Bifurcation dès lors vers les reprises. « Long tall Sally » de Petit Richard. Mauvaise idée, on ne se frotte pas impunément à son répertoire si l’on n’a pas un gosier en acier et Cochran, bien que bon chanteur, n’est pas au niveau (de toutes façons, il n’y a que trois personnes au monde capables de reprendre Little Richard sans se couvrir de ridicule, Wanda Jackson, John Fogerty et Paul McCartney). La reprise suivante « Sittin’ in the balcony » (J.D. Loudermilk) tourne le dos au rock’n’roll pour s’engager en territoire doo-wop. Bingo, les charts frémissent comme on dit. Rebelote doo-wop avec « Drive-in show », pourtant meilleure mais qui se vautre …
Période section de cuivres ...
Et puis, alors que Cochran semble se diriger vers les poubelles de l’Histoire, un de ses titres (« Twenty flight rock ») est choisi pour figurer dans la B.O. de « La blonde et moi » (« The girl can’t help it » en V.O. »), nanar désolant mettant en scène ou en musique toute la faune du rock’n’roll de l’époque, et gros succès cinématographique. Et là, plein de gens qui vont devenir le futur du rock flashent sur ce titre. Dont McCartney et les Stones qui le reprendront des lustres plus tard en public … « Twenty flight rock » est l’arcfhétype du rock rageur, brutal et syncopé. Pas plus con qu’un autre, Cochran surfe sur ce petit buzz et va exploiter le filon, engendrant une suite de classiques.
« Jeanie Jeanie Jeanie » rockab énervé figurera en bonne place vingt ans plus tard sur le premier Stray Cats. Le duo de singles successifs « Summertime blues » et « C’mon everybody » font aujourd’hui partie du patrimoine mondial du binaire. Le premier est l’antithèse de ce qui fera le fonds de commerce des Beach Boys, l’histoire de ce mec qui malgré le soleil, les plages et les filles qui rodent, finira la journée seul. Son thème et sa violence rythmique ne laisseront pas les Who live at Leeds indifférents, et Pete Townsend se souviendra pour « Who’s next » qu’à l’instar de « C’mon everybody », on peut sortir des riffs qui déchirent leur race à la guitare acoustique …
Avec ces deux titres, Eddie Cochran se fait un (petit) nom. Il ne résistera pas à la tentation d’exploiter le filon. « Nervous breakdown » est un pâle ersatz de « Summertime blues », mais Cochran voit plus loin, plus ambitieux, plus élaboré. Il rêve en studio d’orchestrations plus fouillées, plus travaillées. Les cuivres arrivent dès « My way » (rien à voir avec the Cloclo song), sont encore plus présents avec un solo de sax sur le doo-wop énervé mais dispensable « Teenage heaven ». Les choristes féminines sont réquisitionnées pour « Weekend » (bof …), avant le « recentrage » et retour au rock de ce qui sera le dernier classique de Cochran de son vivant, l’imputrescible « Somethin’ else ». Un titre qui végète dans les charts et qui signe le début de la fin pour Cochran. Suivront une reprise façon big band du « Hallelujah I love her so » de Ray Charles, un instrumental surf tout aussi quelconque (« Guybo ») malgré un travail sur le son peu commun à l’époque, une sorte de marche militaire ( ?! ) (« Cherished memories ») d’un mauvais goût étonnant. Avant l’équipée anglaise et la D.A.O. qui suivra.
Rock star, un métier de tout repos ...
Le posthume « Three steps to heaven » assez subtil mélange de doo-wop et de Fats Domino style et sa belle mélodie viendront rappeler à ses fans éplorés que Cochran pouvait à l’occasion rivaliser avec les plus grands. Et il semble qu’il ne comptait pas s’arrêter là en matière « d’innovation », témoin l’autre titre posthume qui clôture la compilation (« Cut across Shorty »), mélange détonnant de country (les couplets) et de rockabilly (le refrain), assez proche du « I gotta know » de Wanda Jackson.
Cette notoriété qui lui avait à peu près échappé de son vivant, Cochran allait l’atteindre une fois refroidi. Aujourd’hui, Cochran symbolise le jeune rebelle (les fans de rockab, les plus exigeants des rockies le vénèrent à l’égal du Johnny Burnette Trio, tous les plus grands noms des 60’s l’ont repris), celui qui a « durci » le ton et le  son du rock’n’roll originel. Le traitement sonore de ces chansons (la mise en place de la batterie, l’utilisation jamais répétitive de la guitare) avait bien cinq ans d’avance, ce qui était énorme en ces temps-là très « codifiés ». Et puis, même si cet aspect-là était pudiquement passé sous silence, Cochran était un furieux allumé. La tournée anglaise avec Gene Vincent (autre déglingo notoire) voyait les deux hommes gavés d’amphétamines faire une bringue totale, le visage tartiné de fond de teint, parce qu’ils ne trouvaient pas le temps de se laver, et encore moins de dormir.

Rock’n’roll Eddie Cochran ? Ah que oui …



JOHNNY CASH - AT HIS MIGHTY BEST Vol. 1 (1991)

MIB ...
Johnny Cash … Le Man In Black original… Une carrière longue comme un jour sans amphétamines, et pour celui qui aura passé l’essentiel de sa vie à se comporter comme un redneck pur jus, une reconnaissance sur le final comme un type sommet de coolitude … étrange perception d’un gars qui pourtant n’aura guère perdu de temps à essayer de brouiller les cartes. Cash, c’est (forcément) du direct, sans trop de fioritures.

Cette compile light, premier volet d’un triptyque consacré à ses années Sun Records (58 à 64), est loin d’être cruciale, même si elle recouvre une de ses périodes (avec la dernière sous l’égide de Rick Rubin) où pas grand-chose n’est à jeter. Les compilateurs se sont pas foulés, vingt titres pour un peu plus de quarante minutes, loin de toute considération chronologique, livret squelettique … Parue au début des années 90, quand L’Homme en Noir (et le reste de l’écurie Sun), étaient totalement out, ringards ultimes. On en était aux types en pantacourts qui faisaient du grunge (Nirvana et ses suiveurs), une bouillasse affublée du terme de fusion (les Red Hot Machin, les Rage Against Bidule), ou à l’opposé avec des zozos en survêt orange à capuche qui poussaient des disques accompagnés de montagnes d’ordinateurs … Sun Records était un label ayant cessé toute activité depuis plus de vingt ans, élément d’un puzzle qui à coups de rachats, de reventes, de fusions d’entreprises, allait contribuer à mettre en place le monde merveilleux de la World Company musicale que l’on connaît. La FNAC, qui en plus de vendre des Cds en fabriquait, distribuait sous licence des choses dont pas grand monde voulait, le fonds de catalogue Sun entre autres … A l’époque et hormis Presley (la grosse machine RCA sortait du disque du King à la pelle) quasiment le seul moyen d’avoir sur une rondelle argentée des titres des « pionniers ».
Johnny Cash aux débuts donc. Musicalement, le plus blanc de tous (même Carl Perkins se laissait parfois tenter par des arrangements jazzy ou bluesy). Aussi le moins « and roll » du lot. Cash venait de la country roots et ne perdait pas une occasion de revenir vers son idiome d’origine. Un peu à part au milieu des gloires de Sun. A côté des bigleux (Perkins, Orbison), du grassouillet (Presley), du cinglé (Jerry Lee Lewis), Cash, lui, c’était le Dur. Austère (très vite tout fringué de noir), toujours la mine renfrognée, sa voix traînante de baryton, et son immuable rythme country ralenti et feignasse …

Il a suffi d’un seul titre (« I walk the line ») pour faire de Cash un type qui comptait, et d’un seul autre (« Folsom prison blues ») pour asseoir sa légende. Les deux sont présents ici (ce premier volet de la compile est d’assez loin le meilleur des trois). « I walk … » tout le monde connaît, le morceau qui a défini pour l’éternité le Johnny Cash style. « Folsom prison blues » a fait de Cash le gourou chantant de tous les rednecks qui jouent au dur. A cause d’une phrase : « I shot a man in Reno just for watch him die » (écoutez les acclamations qui la ponctuent sur ses live carcéraux des 60’s). Une phrase prise pour argent comptant, alors que même si Cash n’a jamais eu la réputation d’un type qui se laissait marcher sur les pieds, il semble à peu prés acquis que c’est de la pure fiction.
Cette réputation de type à la redresse, Cash saura l’entretenir et elle ne le quittera plus (son public le plus fidèle, ses « frères », ce sont les taulards Blancs).
Même s’il saura plus tard en jouer, ses débuts ne peuvent pas vraiment être affublés du sticker « explicit lyrics ». Cash fait comme tous les autres, essaye de trouver sa voie originale, son style. Il se cherche. Avant de tourner la page du rock’n’roll lorsqu’il signera chez Columbia, il s’y laisse parfois aller dans ses débuts (« Rock Island line » est un pur et strict rockabilly, « Get rhythm » un bon petit rock’n’roll. Mais on le sent plus naturellement à son aise dans la country. Et là que ce soit ses propres compos (assez rares, Cash n’est pas vraiment un auteur prolixe) ou sur ses nombreuses reprises, sa touche personnelle se remarque assez vite. Tiens, un exemple, allez écouter la scie « I forgot to remember to forget » et comparez sa version à celle du King, Cash tient la route … Il revisite même assez bien les « classiques » du répertoire, notamment ceux de Hank Williams, le premier chanteur de country « moderne » si tant est que les deux mots puissent être accolés. « You win again » ou « Cold cold heart » par Cash valent le détour …

Une compile quand même un peu beaucoup surannée, assez loin d’un vrai Best of, jamais rééditée. On trouve facilement beaucoup plus exhaustif, mieux documenté, avec un meilleur son dans la multitude qui sont dédiées à cette période-là du bonhomme …


Du même sur ce blog :


STRAY CATS - STRAY CATS (1981)

Rebirth of cool ...
Les Stray Cats, c’est la success story la plus improbable qui soit. Personne n’avait vu venir ça, personne n’y croyait. Même pas les Américains. Pourtant, plus américains que les Stray Cats et la musique qu’ils jouent, y’a pas. C’est le conte de fées de trois minots new-yorkais fans de rockabilly, qui en l’espace de quelques mois passent de l’anonymat total au statut de superstars en Europe et à la tournée des stades US en première partie des Stones.
Les Stray Cats procèdent de la même démarche que les punks. Halte à la sophistication, la surenchère technique, et aux budgets exponentiels de studio. Le truc des Stray Cats, c’est le retour-revival aux années 50 dans leur versant rock’n’roll. Ils ne proposent guère mieux que des gens comme Robert Gordon à New York (pourtant associé à l’ébouriffant guitar-hero Link Wray), ou Crazy Cavan en Angleterre, dont l’audience est confinée à une poignée de nostalgiques. Les têtes d’affiche punk elles-mêmes ont remis au goût du jour les classiques des pionniers, les Pistols reprennent Chuck Berry, Sid Vicious maltraite Eddie Cochran, le Clash revisite Vince Taylor, tout cela ne va pas plus loin que la citation, l’hommage référencé, et puis dans la plage suivante de leurs disques, ils passent à autre chose … Les Stray Cats, eux, vont sortir un disque totalement vintage dans l’esprit, entièrement dédié à la « cause » 50’s.

Les Stray Cats sont à fond dans le truc, pas un groupe formaté et préfabriqué. Leur leader évident, c’est le mignon guitariste ( il joue sur une Grestch, presque une évidence) Brian Setzer, que les plus érudits avaient remarqué sur une cassette-compilation « 5 X 2 » (allusion à un des premiers disques des Stones) publiée sur le petit label Red Star de Marty Thau (manager et patron de label de la fin de parcours des New York Dolls et du premier Suicide, on reste dans la « famille ») avec son groupe les Bloodless Pharaohs. Un groupe éphémère, mais qui sera la matrice après moult changements de noms et de line-ups des Stray Cats. Feront partie de l’aventure deux copains d’enfance de Setzer le batteur Slim Jim Phantom (kit minimaliste, il joue debout, non pas comme Moe Tucker du Velvet, mais comme le batteur des Blue Caps de Gene Vincent), et le contrebassiste (toujours le souci de l’instrumentation originelle du rock) Lee Rocker.
Chez eux à New York les Stray Cats jouent dans les bouges « historiques » du punk (CBGB, Max’s Kansas City), enchaînant les bides. Sur la foi de rumeurs (infondées) qui présentent l’Angleterre mûre pour un revival teddy boy, ils traversent l’Atlantique. Un parcours étrangement voisin de celui de Hendrix. L’homme de la situation à Londres pour le gaucher de Seatlle avait été Chas Chandler, bassiste des Animals devenu son manager et qui lui avait ouvert les portes des clubs du Swingin’ London. Pour les Cats, ce sera Dave Edmunds, guitariste des classic rockeux Rockpile. C’est lui qui produira en partie ce « Stray Cats ».
Le succès dépassera les espoirs les plus fous. Pas forcément grâce à la musique. Les Stray Cats bénéficieront essentiellement d’un look totalement inédit à cette époque où se multiplient en Europe les émissions télévisées sur le rock (par ici, Chorus présenté par Antoine de Caunes). Difficile de ne pas se faire remarquer quand on arbore bananes démesurées, Perfectos ou fringues vintage 50’s, creepers, … Toute une panoplie visuelle forte à une époque où l’image et l’apparence sont essentielles, et ce n’est pas pour rien que la mignonne frimousse de Setzer est souvent mise en avant. Les Stray Cats sont photogéniques, télégéniques. On les remarque, on parle d’eux, ils deviennent en Angleterre et en France une attraction branchée. Certains vont même écouter leur disque. Et s’apercevoir qu’il est très bon.
Savant mélange de reprises et de compositions originales qu’on a du mal à distinguer, et ça c’est déjà un exploit (mettez une reprise d’un oldies dans un skeud, il y a de bonnes chances qu’on ne retienne qu’elle). Mieux, les titres les plus connus de ce disque, ceux qui grimperont dans les hit parades européens (« Stray Cats » sera un bide colossal aux States) sont tous des originaux, qu’il s’agisse des deux locomotives du revival rockabilly (« Runaway boys » et « Rock this town ») ou de la ballade doo-wop jazzy « Stray Cat strut ». « Stray Cats » est un disque courageux, entièrement tourné vers la célébration de temps et de rythmes à la mode alors que Setzer et sa bande n’étaient pas encore ou tout juste nés. Douze titres, douze hymnes fifties. Pas de demi-mesure, aucun compromis, ça passe ou ça casse.

Setzer est un passionné de cette époque-là, un fonceur avec toute sa candeur quasi-adolescente. Il trouve en Edmunds un alter ego plus posé, plus méthodique. L’énergie débordante du groupe est superbement canalisée, le son n’est pas archaïque, ne copie pas Eddie Cochran, Carl Perkins ou le Johnny Burnette Trio. Les reprises ne sont pas des standards incontournables ( « Ubangi stomp » du second couteau de chez Sun Warren Smith doit être la plus « connue »). Mieux, les deux dernières présentes à la fin du disque ouvrent grand les portes vers d’autres espaces sonores. « My own desire » est une ballade up-tempo, qui permettra plus tard à Setzer d’exprimer ses talents de crooner. « Wild saxophone » annonce elle l’armada instrumentale swing du Brian Setzer Orchestra dans les années 90. Un Brian Setzer qui se révèle d’entrée comme un grand chanteur et qui laisse par moments filtrer tout son potentiel guitaristique dans des solos concis mais marquants.
Il y a juste dans ce disque une bêtise qu’on ne peut décemment pas passer sous silence, les paroles crétines, militaristes et réacs de « Storm the Embassy », titre inspiré à Setzer par l’affaire de la prise de l’Ambassade des Etats-Unis en Iran par une foule d’intégristes religieux (l’événement qui sert aussi de point de départ à l’excellent film « Argo » de et avec Ben Affleck).

Les Stray Cats vont très vite devenir un phénomène, entraînant dans leur sillage une multitude de groupes les copiant. Tous ces suiveurs disparaîtront aussi vite qu’ils étaient apparus. Les Stray Cats, eux, resteront. Même si l’existence du groupe sera brève (deux-trois ans), chacune de ses nombreuses reformations sera un succès populaire, preuve qu’ils avaient du talent et étaient bien plus qu’un phénomène de mode …

Des mêmes sur ce blog :


MC5 - BACK IN THE USA (1970)

Rock'n'roll never die ...
Le second disque du Five ... dès son titre, tout un programme … Jusque là, le programme du MC5, vu de loin, ça se confondait avec celui de son manager, le bien allumé John Sinclair. Le manager-gourou du groupe était aussi le fondateur du White Panther Party, version …euh … différente des Black Panthers. En gros, un gloubi-boulga anarcho-marxiste-barré articulé autour de dix points dont quelques-uns assez fumeux. Tellement fumeux que la brigade des stups de Detroit va serrer Sinclair en 1969 pour deux pauvres joints et l’envoyer au pénitencier.
Le MC5 se retrouve livré à lui-même, ce qui n’est pas une bonne chose. Et sans maison de disques. Le premier brûlot du MC5, « Kick out the jams » (à l’usage des sourds et des jeunes générations, je rappelle qu’il s’agit du meilleur disque live de tous les temps) ne s’est guère vendu. Pire, à cause de quelques « motherfuckers » bien audibles, une grande chaîne de magasins de disques l’a d’emblée retiré des rayons. Bravache et activiste, le groupe entre en résistance, à coups d’affiches, slogans et appels au boycott de l’épicier vinylique. Bataille du pot de terre contre le pot de fer. La label du Five, Elektra (entre autres celui des Doors) est menacé de voir retirer de la vente tous ses « produits ». Aussi sec, devant la pression de l’épicier, Elektra se débarrasse du MC5.

Les cinq types du Five ne sont pas vraiment des politiciens révolutionnaires. Le seul genre de révolution qui trouve grâce à leurs yeux se résume en quatre mots : meufs, dope, bagnole, rock’n’roll, les trois premiers gros consommateurs de dollars, le quatrième étant  censé les leur apporter. Atlantic consent à signer pour un disque cette bande assez ingérable, et un petit journaleux de Rolling Stone, qui n’a pas encore vu le futur du rock’n’roll décide de s’occuper d’eux, les emmène en studio et s’auto proclame leur producteur. Le groupe s’en fout un peu de ce Jon Landau, mais bon, faut bien faire rentrer du cash pour faire le plein aux Ferrari et un disque est mis en chantier.
Concept : puisque l’utopie militante ne nourrit pas son homme, on va faire simple, basique même. Foin des influences de Sun Ra (« inspirateur » du « Starship » de « Kick out de jams »), back in the USA, back to the roots. Concis, ramassés, urgents, tels seront les titres de ce disque. Onze pour vingt huit minutes, comme un majeur dressé bien haut devant tous les techniciens bluesy ou pas qui étirent un titre sur toute une face de vinyle. Et retour aux bases de la musique qui les fait vibrer, le rock’n’roll des origines remis aux goût du jour à la sauce Motor City, puisque c’est de la capitale automobile qu’ils viennent et où leur insuccès les condamne à rester.
Ils sont pas nombreux dans ce créneau à cette époque-là. Les revivalistes loufoques de Sha Na Na (leur copie conforme française s’appellera Au Bonheur Des Dames) et puis, quand même un mammouth en terme de ventes et de popularité (de qualité aussi, mais c’est pas le propos ici), le Creedence Clearwater Revival de John Fogerty. Fogerty qui bien que de la ville (celle des hippies, San Francisco), donne dans le rock’n’roll rustique et campagnard. Le Five va faire la même chose, mais dans son versant urbain, et la différence ne s’arrêtera pas au port ou non de chemises de bûcherons à carreaux.
Dans l’ancienne place forte de la Tamla Motown, le MC5 va livrer une version urbaine, violente, de la musique originelle. « Back in the USA » commence et finit par une défenestration de deux classiques : « Tutti frutti » de Little Richard et l’éponyme « Back in the USA » de Chuck Berry. Versions du Five sauvages mais assez proches et respectueuses des originales. Tout le reste est plus sournois, plus agressif aussi. Finie la rythmique char d’assaut, c’est rapide, ça pulse et ça swingue. Finis les numéros de shredders de Kramer et Smith aux guitares, ça joue carré, sérieux, et ça se paye même des solos dans les « règles de l’art ». Finis les cris et hurlements de Tyner, ça chante et plutôt très bien même. Beaucoup affirment que « Back in the USA » est un disque annonciateur du punk. Ma foi … Moi je dirais que trois ans avant le « Pin Ups » de Bowie, le disque du MC5 est avec le « Supernazz » des Flamin’ Groovies sorti quelques semaines plus tôt, une des premières œuvres strictement revivalistes du rock.

Là où se situe le talent du groupe, en plus de la Detroit touch devenue cliché et tarte à la crème d’une  certaine forme de musique dure, « pour hommes », estampillée « street credibility », c’est dans la clarté du propos et la mise en place. Respectueux des fondamentaux (il n’y a rien d’original, ça dure en moyenne moins de trois minutes par titre, personne cherche à se mettre en avant), tout en entrouvrant des lucarnes pour les générations futures. Les punks, on l’a dit et (trop) répété à mauvais escient, mais beaucoup plus la power pop (« Teenage Lust », « High school », « Shakin’ Street »), et la matrice de toutes les formations revivalistes « lettrées » (en gros tous ceux qui ont fait l’effort d’écouter des disques sortis avant le premier Ramones, et dont l’exemple typique français doit être les Dogs). Le Five casse avec « Back in the USA » sa réputation de groupe sauvage mais approximatif, Kramer y va de quelques solos qui ne feront certes pas oublier Hendrix, mais qui sont « propres ». Le rôle de Landau,  souvent tenu pour quantité négligeable, y est pour quelque chose : pour son baptême du feu aux consoles, il fait faute de pouvoir mieux dans l’ultra basique, et coup de bol, c’est ce qui convient parfaitement au disque. A peine deux concessions : une à la mode de l’époque, la ballade pour emballer la meuf  (ici « Let me try »), évite le pathos et les couches de violons dans lesquels des cohortes de groupes se livrant à cet exercice se perdront ; l’autre au son psyché du rock garage de la fin des sixties avec « The human being lawnmover ».
Personne n’attendait ce disque. Peut-être quelques amateurs des stridences rageuses de « Kick out the jams » qui ont été déçus. Et en 1970, le MC5 n’était pas encore « culte », juste à peu près inconnu (le pays où il était le plus « populaire », c’était la France …). Les deux singles extraits, « Looking at you » et « Shakin’ Street » (sans parler de « High school » tuerie totale, un des grands morceaux ignorés des seventies, même pas sorti en 45T) n’entreront pas dans les charts. Le second l’aurait mérité, bien qu’il soit atypique (chanté par Fred Smith, le futur mari de la Patti du même nom). Il ne sera pas perdu pour tout le monde, et servira de nom de baptême à une rude escouade menée par une chanteuse française (Fabienne Shine), groupe qui malgré des prédictions de succès à l’échelon international, disparaîtra rapidement dans l’anonymat.

Par bien des aspects, « Back in the USA » n’est pas ce que les musicologues qualifient de disque parfait. Heureusement, c’était pas le but recherché. C’est juste pour moi le plus grand disque de strict rock’n’roll américain …

Des mêmes sur ce blog :
High Time