Prolétaires de tous pays etc ...
Billy Bragg, c’est un peu le dernier troubadour. Un genre
en voie de disparation (disparu ?), un descendant des Jonathan Richman, du
Dylan des débuts, de tous ceux qui y ressemblent, et des vénérables ancêtres
Pete Seeger et Woody Guthrie. Parenthèse : avec les géniaux Wilco, il
mettra en musique des textes de Guthrie inédits (l’indispensable « Mermaid
Avenue » et sa suite « Mermaid Avenue 2 » moins cruciale).
Billy Bragg est apparu sur la scène musicale anglaise au début des années 80, et évidemment pas dans l’air du temps. En plus d’être un folkeux engagé, il se double d’un romantique sentimental (il est amoureux d’Ingrid Bergman, oui, celle de Casablanca et un temps Mme Rossellini, amour platonique puisqu’elle est morte alors qu’il commençait sa carrière). Comme si ça ne suffisait pas pour faire de lui un cas social assez atypique, il va faire dans la politique, au sens noble du terme. Avoir la vingtaine dans les années Thatcher, ça a quand même tendance à radicaliser le propos …
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Billy Bragg à l'ombre de Lincoln |
Avec Paul Weller (ex Jam, à ce moment-là Style Council)
et Jimmy Sommerville (ex Bronski Beat et là dans les Communards), Bragg va
fonder le Red Wedge, au départ mouvement artistique de soutien au Labour Party,
qui, plus Miss Maggie faisant des ravages sociaux, plus il attirera de monde,
culminant par des tournées sous étiquette Red Wedge de nombreux artistes ayant
rejoint le mouvement avant les législatives de 1987 qui se traduiront par … une
victoire écrasante des conservateurs thatchériens (la troisième consécutive, un
record).
Quand paraît « Talking with the taxman about poetry »,
joli titre de disque, discuter poésie avec un contrôleur des impôts, c’est pas
la première chose qui vient à l’esprit quand on est face à l’administration, et
ça le sera encore moins quand la Thatcher mettra en place à la fin de la
décennie l’ignoble poll tax (qui causera en partie sa perte). « Talking
… » dans sa pochette originale était sous-titré « le difficile
troisième album ». Bragg commençait à être sinon célèbre du moins connu et
il fallait convaincre, encore (plus) et toujours (plus). Et pas se louper …
Comme je connais pas ses deux premières rondelles, je
peux pas comparer. Dans icelle, y’a un peu de tout. A mon sens construite comme
un vinyle, une première partie plutôt dépouillée dans la grande tradition folk,
alors que le final est beaucoup moins rêche, dans une configuration
« groupe ». Je vais avancer dans le brouillard, ce qui me changera
pas trop de la météo, parce que le Cd de Billy Bragg que j’ai, c’est une
réédition avec une rondelle bonus, dont je vous dirai quelques mots si j’y
pense. Problème, si ces titres bonus sont assez documentés niveau infos sur le
livret, le « Talking … » original, que dalle. Juste les titres des
morceaux, aucune info sur ceux qui accompagnent Bragg, pas les paroles des chansons,
ce qui est très couillon quand on est face à un gars qui a « du
texte ». Un grand majeur dressé à l’attention du label Cooking Vinyl,
responsable et coupable de cette réédition. Mais que mes contempteurs se
rassurent, c’est pas parce que j’ai rien à dire que je vais fermer ma gueule …
J’ai pioché à droite à gauche (surtout à gauche, toujours à gauche) qu’il y avait sur « Talking … » la présence de Johnny Marr des Smiths, Bragg ayant dans ses débuts ouvert pour la bande à Morrissey, ceci explique cela (mais sur quels titres joue Marr ? mystère mais il y a quelques parties « tranchantes » de gratte, je suppose que c’est lui), et de Kirsty McColl (Mme Lillywhite pour l’état-civil et si vous savez pas qui est Steve Lillywhite, révisez vos années quatre vingt) que même en tendant l’oreille, j’ai pas vraiment réussi à entendre dans les chœurs …
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Johnny Marr & Billy Bragg |
Donc Billy Bragg sur disque, c’est un mix entre crooner
pop, protest singer, et déclameur de slogans marxistes hooliganesques. Ça peut
paraître indigeste, mais ça ne l’est pas. Juste parfois un peu décousu …
Le titre qui s’inscruste le plus facilement dans la
mémoire est le premier « Greetings for the new brunette », joli
single pop en forme d’hymne (ou plutôt d’ode à une certaine Shirley) malgré un
accompagnement minimaliste. Autre hommage, cette fois-ci pas à une brunette,
« Levi’s Stubbs tears », Levi Stubbs étant pour ceux qui avaient pris
musiques électroniques en première langue, le chanteur lead des Four Tops (une
vieille obsession anglaise depuis les mods des sixties pour la soul américaine).
Bien dans l’air du temps eighties, « The warmest room », avec ses couplets
vaguement reggae et les refrains braillés, fait penser à Joe Jackson ou Elvis
Costello à leurs débuts. J’aime bien aussi « There is power in the union »,
hymne-slogan juste accompagné par une guitare solo carillonnante (genre les contemporains
Alarm et Big Country) qui évoque aussi la défenestration du « Star spangled
banner » par Hendrix à Woodstock. Dans le genre slogan, on a aussi le
radical « Ideology » voix très en avant et l’ultime « The home
front », protest song linéaire et électrique.
Parfois, ce disque part un peu dans tous les sens, comme la reprise façon blues mutant du « Train train » des oubliés et oubliables Count Bishops, « The marriage » sorte de reggae au tempo mariachi qui renvoie aux brûlots sociaux des Specials. Sur un titre (« Honey I’m a big boy now »), un piano remplace la guitare acoustique ou électrique (ou acoustique électrifiée) pour assurer la mélodie lead, un autre a des relents celtiques (« Wishing the days away »), un autre (« Help save the youth of America ») fait penser aux slogans braillards de l’infect « Cut the crap », mais Bragg s’en sort mieux (c’est plus dépouillé, sur un tempo proche de celui de « Bankrobber ») que le bon vieux Joe Strummer et les bourrins qui l’accompagnaient pour ce dernier tour de piste honteusement étiqueté Clash.
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Singin' in the rain Billy Bragg live |
« Talking … » n’a rien de transcendant, n’est
nullement indispensable, c’est juste un bon disque « militant » avec
à la louche une moitié de titres plutôt pas mal, le reste relevant de l’anecdotique.
La rondelle bonus contient outre quelques démos et
versions alternatives une paire de titres basés sur un duo guitare acoustique –
mandoline (Bragg et un certain Hank Wagford) deux reprises, une de l’inévitable
Woody Guthrie (« Deportee ») et une autre assez décalée du « Sin
City » des Flying Burrito Brothers. Rien de réellement superflu, mais rien
de renversant non plus.
« Talking … » c’est le genre de disques qui traverse
mal les années. Nul doute qu’il était beaucoup plus important, voire d’une certaine
façon crucial en termes d’engagements militants au moment de sa sortie. Presque
quarante ans plus tard, il est évidemment beaucoup moins dans l’air du temps …
A ranger à côté de la VHS du Live Aid …