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INGMAR BERGMAN- FANNY ET ALEXANDRE (1982)

 

Clap de fin ...

« Fanny et Alexandre », promis juré, c’était le dernier film de Bergman. Comme n’importe quelle tournée des Stones ou d’Eddy Mitchell depuis trente ans est censée être la dernière … Mais le Maître suédois a lui à peu près tenu parole. Un court-métrage, le montage du making-of de « Fanny et Alexandre », un téléfilm (« Saraband ») qui finira par sortir au cinéma, suivront « Fanny et Alexandre ».

« Fanny et Alexandre » au départ, c’est aussi un téléfilm. D’à peine un peu plus de cinq heures. La version exploitée en salles fait deux heures de moins. Soit trois plombes. Ce qui est beaucoup. Et surtout pour Bergman. « Fanny et Alexandre » conte l’histoire d’une famille pendant quelques mois. Rappelons que « Les fraises sauvages » contait la vie entière d’un octogénaire en une heure et demie.

Bergman & Nykvist

« Fanny et Alexandre », c’est le péplum revisité par Bergman. C’est aussi le film, puisque annoncé comme son dernier, qui devait servir de résumé à sa carrière et exploiter des thèmes qu’il n’avait pas encore développés. Péplum parce qu’il y a des chiffres vertigineux (pour un film suédois s’entend). Plus gros budget jamais réuni pour une production locale, une soixantaine de rôles avec au moins une réplique, plus de mille figurants utilisés, sept mois de tournage (jusqu’alors, Bergman tournait ses films en 6-7 semaines).

On peut lire partout que « Fanny et Alexandre » est un film autobiographique. Même Bergman l’a dit. En apportant quelques nuances. Oui, Alexandre, c’est Bergman pré-ado (une douzaine d’années). Oui, certaines scènes ont été vécues par Bergman. Sauf qu’en grand-maître des émois intérieurs, c’est son état d’esprit qui est recréé par le jeune acteur à un moment donné, les événements y conduisant n’étant pas forcément autobiographiques.

Deux exemples. Au début du film, on fête le Noël 1907. Bergman est né en 1918, il y a donc un différentiel de plus de vingt ans entre les deux époques où Bergman et Alexandre avaient une douzaine d’années. Le père de Bergman était un pasteur très sévère, pour ne pas dire tortionnaire vis-à-vis de ses trois enfants. Ici, le pasteur n’est que le beau-père d’Alexandre et on a beau tourner son personnage, certes belle tête à claques, dans tous les sens, on n’arrive pas vraiment à savoir ce qu’il ressent pour son beau-fils.

Alexandre et Fanny

Beaucoup considèrent que « Fanny et Alexandre » c’est l’apothéose de Bergman. Pas moi. « Fanny et Alexandre » est décousu, Bergman part dans tous les sens, oublie parfois son histoire principale, se perd dans des histoires et des personnage secondaires, et le recours au surnaturel offre bien trop souvent des portes de sortie faciles quand le Maître s’égare dans ses digressions.

Le seul qui perd pas ses repères, c’est Sven Nykvist, son directeur photo attitré (quatorze films ensemble). C’est lui qui tient la caméra et visuellement, oui, « Fanny et Alexandre » est certainement le meilleur Bergman, il y a des plans, des scènes entières époustouflants de beauté, de fluidité. Pendant que Bergman se tient au plus près de ses acteurs, toujours à la limite du cadre, Nykvist accumule les prouesses, au milieu de décors et de costumes somptueux (logiquement, la direction artistique et les costumes auront une statuette).

L’histoire autour de laquelle s’articulent toutes les autres, c’est celle de la famille Ekdahl. Il y a la grand-mère, ancienne gloire locale (le film se situe à Uppsala) de théâtre, ses trois fils, un prof marié à une Allemande qu’il déteste, un coureur de jupons frénétique (il pioche ses conquêtes parmi les employées de maison, avec la bénédiction de sa femme), et celui qui a repris le théâtre familial (Oscar, piètre acteur), aidé par sa femme (Emelie, bonne actrice). On les voit tous réunis (ils habitent à des étages différents dans la même très grande bâtisse cossue familiale) pour fêter Noel 1907. Des signes d’essoufflement d’Oscar préfigurent la crise cardiaque qui va bientôt l’emporter, laissant Emelie passer sous la coupe d’un évêque spartiate, et ses deux enfants, Fanny (la plus jeune) et Alexandre en proie à leurs solitudes et leurs imaginations. Quand leur mère épousera l’évêque (luthérien, il a le droit de convoler), les deux enfants suivront les mariés dans ses appartements austères de l’évêché, au milieu d’une belle-famille rigide et de leurs domestiques guère plus accommodants. Alexandre entrera le premier en résistance (et en conflit) avec son beau-père. Et Fanny ? Même si elle partage le titre du film, elle n’a que deux ou trois répliques (ça se comprend, elle n’a que sept ou huit ans), se contentant de suivre son frère dans ses « aventures ».

Le film est divisé en deux parties, le téléfilm en cinq, aux intitulés explicites (Un Noel chez les Ekdahl, Le Spectre, La rupture, Les événements de l’été, Les démons). Parce que l’histoire, classique pendant à peu près une heure, bascule par la suite vers « autre chose ». Le père mort revient « guider » son fils, « discuter » avec la grand-mère, de lourds secrets semblent entourer l’évêque, les enfants lui sont soustraits (scène absurde, digne des gags de Scapin chez Molière), par Jacob, un théologien Juif ami-amant de la grand-mère, qui vit dans un musée de marionnettes pas si inanimées que ça, avec ses deux neveux (l’un magicien, l’autre doté de dangereux pouvoirs paranormaux et tenu – en principe, mais Alexandre ira le voir - sous clef). Tout ça se terminant (enfin, il reste une demi-heure de film) par des auto-combustions (?) de l’évêque et de sa sœur impotente. Le tout entrecoupé des « aventures » du reste de la famille.

L'évêque ( Jan Malmsjö) et Emelie (Ewa Frolling)

Le rôle principal (Emelie) est tenu par une actrice (blonde, évidemment) venue du théâtre (Ewa Frolling), comme d’ailleurs une grande partie de la distribution. A laquelle se rajoutent quelques « historiques » de Bergman (Jarl Kulle, Erland Josephson pour des rôles majeurs, et Harriet Andersson pour un petit second rôle). Pour moi, celle qui s’en sort le mieux est l’actrice de théâtre Gunn Wallgren (la grand-mère), et ce bien que très diminuée par un cancer qui l’emportera l’année suivante.

« Fanny et Alexandre », perso, il me laisse une impression mitigée. Côté positif, c’est visuellement magnifique, toutes les thématiques chères à Bergman sont là (les relations familiales, la mort, la religion). Coté négatif, un manque évident de scénario avec notamment un point crucial « oublié » : comment cette veuve, femme forte et déterminée tombe sous le charme de cet évêque psychorigide et sous la coupe de sa famille bien tarée (avant elle aussi de se rebeller). A voir le film, on pourrait supposer que des éléments majeurs se trouvent dans la version pour la télévision. Ben que nenni …

Erland Josephson & Gunn Walgren

« Fanny et Alexandre » a été des années introuvable en France sur un support avec langue française. C’est la Gaumont, distributrice du film lors de sa sortie, qui a fait le boulot, réunissant dans un même package (5 DVDs quand même), le film, la version télé, le making-of supervisé par Bergman et autres bonus. Les deux heures supplémentaires n’apportent rien de compréhensible à la version de trois heures, certaines très longues scènes – dispensables pour la très grande majorité – sont là pour mettre en valeur quelques amis de Bergman (nombreuses scènes au théâtre, très long face-à-face à la limite de l’absurde entre les deux beaux-frères d’Emelie et l’évêque, …).

« Fanny et Alexandre » a été le plus gros succès commercial de Bergman, même si succès commercial et Bergman n’ont jamais bien rimé. Pour moi, c’est loin d’être son meilleur. Au mieux son testament artistique. Et les testaments, c’est bon pour les notaires, moins pour les (télé)spectateurs …



Du même sur ce blog :

BILLY BRAGG - TALKING WITH THE TAXMAN ABOUT POETRY (1986)

 

Prolétaires de tous pays etc ...

Billy Bragg, c’est un peu le dernier troubadour. Un genre en voie de disparation (disparu ?), un descendant des Jonathan Richman, du Dylan des débuts, de tous ceux qui y ressemblent, et des vénérables ancêtres Pete Seeger et Woody Guthrie. Parenthèse : avec les géniaux Wilco, il mettra en musique des textes de Guthrie inédits (l’indispensable « Mermaid Avenue » et sa suite « Mermaid Avenue 2 » moins cruciale).

Billy Bragg est apparu sur la scène musicale anglaise au début des années 80, et évidemment pas dans l’air du temps. En plus d’être un folkeux engagé, il se double d’un romantique sentimental (il est amoureux d’Ingrid Bergman, oui, celle de Casablanca et un temps Mme Rossellini, amour platonique puisqu’elle est morte alors qu’il commençait sa carrière). Comme si ça ne suffisait pas pour faire de lui un cas social assez atypique, il va faire dans la politique, au sens noble du terme. Avoir la vingtaine dans les années Thatcher, ça a quand même tendance à radicaliser le propos …

Billy Bragg à l'ombre de Lincoln

Avec Paul Weller (ex Jam, à ce moment-là Style Council) et Jimmy Sommerville (ex Bronski Beat et là dans les Communards), Bragg va fonder le Red Wedge, au départ mouvement artistique de soutien au Labour Party, qui, plus Miss Maggie faisant des ravages sociaux, plus il attirera de monde, culminant par des tournées sous étiquette Red Wedge de nombreux artistes ayant rejoint le mouvement avant les législatives de 1987 qui se traduiront par … une victoire écrasante des conservateurs thatchériens (la troisième consécutive, un record).

Quand paraît « Talking with the taxman about poetry », joli titre de disque, discuter poésie avec un contrôleur des impôts, c’est pas la première chose qui vient à l’esprit quand on est face à l’administration, et ça le sera encore moins quand la Thatcher mettra en place à la fin de la décennie l’ignoble poll tax (qui causera en partie sa perte). « Talking … » dans sa pochette originale était sous-titré « le difficile troisième album ». Bragg commençait à être sinon célèbre du moins connu et il fallait convaincre, encore (plus) et toujours (plus). Et pas se louper …

Comme je connais pas ses deux premières rondelles, je peux pas comparer. Dans icelle, y’a un peu de tout. A mon sens construite comme un vinyle, une première partie plutôt dépouillée dans la grande tradition folk, alors que le final est beaucoup moins rêche, dans une configuration « groupe ». Je vais avancer dans le brouillard, ce qui me changera pas trop de la météo, parce que le Cd de Billy Bragg que j’ai, c’est une réédition avec une rondelle bonus, dont je vous dirai quelques mots si j’y pense. Problème, si ces titres bonus sont assez documentés niveau infos sur le livret, le « Talking … » original, que dalle. Juste les titres des morceaux, aucune info sur ceux qui accompagnent Bragg, pas les paroles des chansons, ce qui est très couillon quand on est face à un gars qui a « du texte ». Un grand majeur dressé à l’attention du label Cooking Vinyl, responsable et coupable de cette réédition. Mais que mes contempteurs se rassurent, c’est pas parce que j’ai rien à dire que je vais fermer ma gueule …

J’ai pioché à droite à gauche (surtout à gauche, toujours à gauche) qu’il y avait sur « Talking … » la présence de Johnny Marr des Smiths, Bragg ayant dans ses débuts ouvert pour la bande à Morrissey, ceci explique cela (mais sur quels titres joue Marr ? mystère mais il y a quelques parties « tranchantes » de gratte, je suppose que c’est lui), et de Kirsty McColl (Mme Lillywhite pour l’état-civil et si vous savez pas qui est Steve Lillywhite, révisez vos années quatre vingt) que même en tendant l’oreille, j’ai pas vraiment réussi à entendre dans les chœurs …

Johnny Marr & Billy Bragg

Donc Billy Bragg sur disque, c’est un mix entre crooner pop, protest singer, et déclameur de slogans marxistes hooliganesques. Ça peut paraître indigeste, mais ça ne l’est pas. Juste parfois un peu décousu …

Le titre qui s’inscruste le plus facilement dans la mémoire est le premier « Greetings for the new brunette », joli single pop en forme d’hymne (ou plutôt d’ode à une certaine Shirley) malgré un accompagnement minimaliste. Autre hommage, cette fois-ci pas à une brunette, « Levi’s Stubbs tears », Levi Stubbs étant pour ceux qui avaient pris musiques électroniques en première langue, le chanteur lead des Four Tops (une vieille obsession anglaise depuis les mods des sixties pour la soul américaine). Bien dans l’air du temps eighties, « The warmest room », avec ses couplets vaguement reggae et les refrains braillés, fait penser à Joe Jackson ou Elvis Costello à leurs débuts. J’aime bien aussi « There is power in the union », hymne-slogan juste accompagné par une guitare solo carillonnante (genre les contemporains Alarm et Big Country) qui évoque aussi la défenestration du « Star spangled banner » par Hendrix à Woodstock. Dans le genre slogan, on a aussi le radical « Ideology » voix très en avant et l’ultime « The home front », protest song linéaire et électrique.

Parfois, ce disque part un peu dans tous les sens, comme la reprise façon blues mutant du « Train train » des oubliés et oubliables Count Bishops, « The marriage » sorte de reggae au tempo mariachi qui renvoie aux brûlots sociaux des Specials. Sur un titre (« Honey I’m a big boy now »), un piano remplace la guitare acoustique ou électrique (ou acoustique électrifiée) pour assurer la mélodie lead, un autre a des relents celtiques (« Wishing the days away »), un autre (« Help save the youth of America ») fait penser aux slogans braillards de l’infect « Cut the crap », mais Bragg s’en sort mieux (c’est plus dépouillé, sur un tempo proche de celui de « Bankrobber ») que le bon vieux Joe Strummer et les bourrins qui l’accompagnaient pour ce dernier tour de piste honteusement étiqueté Clash.

Singin' in the rain Billy Bragg live

« Talking … » n’a rien de transcendant, n’est nullement indispensable, c’est juste un bon disque « militant » avec à la louche une moitié de titres plutôt pas mal, le reste relevant de l’anecdotique.

La rondelle bonus contient outre quelques démos et versions alternatives une paire de titres basés sur un duo guitare acoustique – mandoline (Bragg et un certain Hank Wagford) deux reprises, une de l’inévitable Woody Guthrie (« Deportee ») et une autre assez décalée du « Sin City » des Flying Burrito Brothers. Rien de réellement superflu, mais rien de renversant non plus.

« Talking … » c’est le genre de disques qui traverse mal les années. Nul doute qu’il était beaucoup plus important, voire d’une certaine façon crucial en termes d’engagements militants au moment de sa sortie. Presque quarante ans plus tard, il est évidemment beaucoup moins dans l’air du temps … A ranger à côté de la VHS du Live Aid …



Du même sur ce blog :

AKI KAURISMÄKI - ARIEL (1988)


 Western sous la neige ?

Bon, y’a pas toujours de la neige, y’a pas des cow-boys ou des Indiens, y’a pas de fougueux pur-sang. En l’occurrence, le fidèle destrier il est remplacé par une vieille américaine (une Cadillac ?) décapotable.

« Ariel » est le cinquième film de Aki Kaurismäki, et le premier à être connu à l’international. Faut dire que quand on est finlandais, même si on tourne (véridique) avec une caméra ayant appartenu à Ingmar Bergman, on a pas ses œuvres attendues impatiemment par le monde cinéphile.

Aki Kaurismäki

« Ariel » est au milieu de la « Trilogie du prolétariat », ainsi que définie a posteriori par Kaurismäki lui-même (entre « Ombres au paradis » et « La fille aux allumettes », d’autres films sont intercalés dont son plus gros « succès », « Leningrad Cowboys go America »).

Même si Kaurismäki a beaucoup tourné à ses débuts (quasiment un film par an dans les années 80 et 90), il n’est pas allé à hue et à dia, il y a une certaine constance dans son boulot, une certaine façon d’aborder le cinéma. Les deux références majeures de l’Aki sont Bresson et Ozu, certes pas le cinéma le plus joyeux et expressif du monde. Bresson pour le côté désincarné et taiseux, et Ozu pour la lenteur et l’émotion. Et pour « Ariel », Kaurismäki a avoué avoir fait un film à la Melville, dont on peut considérer qu’il réunit à peu près les qualités (ou les défauts, c’est selon qu’on aime ou pas) des deux précités …

« Ariel » dure une heure dix, et est un film plutôt mutique. Ça tombe bien, je pense pas qu’il n'en existe pas de version physique en français, on le trouve qu’en finnois (no, thanks) sous-titré en anglais. Donc, droit à l’essentiel. La première scène pendant que défile le générique, nous montre des mineurs quitter leur boulot la mine triste. On comprend pourquoi, quand le dernier qui passe cadenasse l’entrée du site, il y a un panneau qui indique que la mine ferme. Seconde scène, un gars, la trentaine longiligne et efflanquée (total look Nick Cave de la même époque) sur lequel s’attardait la caméra dès le début, se retrouve dans le minable troquet du coin avec un type plus âgé que lui (son père, quelqu’un de sa famille, un collègue mineur, on sait pas), qui lui donne les clés de sa bagnole, sort un flingue de sa poche, et s’en va se foutre une balle dans le caisson  dans les chiottes.


Voici donc notre héros (Taitso, bien interprété par un certain Turo Pajala) avec sa décapotable américaine vintage qui trace la route, direction le Sud et Helsinki. Comme la capote semble pas fonctionner, il s’enturbanne la tête d’une écharpe et se lance dans son périple frisquet. Il a rompu tous ses liens, est allé à la banque se faire remettre en liquide tout le fric qu’il avait sur le compte. Pas une bonne idée, alors qu’il paye son sandwich à une station service deux loulous remarquent le tas de billets, l’assomment et se tirent avec tout son pognon.

Dès lors va s’entamer une leçon de survie en milieu urbain hostile, forcément hostile pour le plouc descendu de sa province. Kaurismäki nous offre une vision pas très glamour d’Helsinki, ses docks où l’on travaille au noir pour des exploiteurs, enfin pas longtemps, le couple d’employeurs finira assez vite dans le panier à salade, laissant toutes leurs petites mains, dont notre donquichottesque héros plutôt dépourvus alors que la bise est venue, et que le minable centre d’accueil où il passait ses nuits le vire parce qu’il ne paye plus son plumard pourri …

Alors que l’on croyait que le film était centré sur le seul personnage de Taitso, arrive une femme. Irmeli (Susanna Haavisto, c’est paraît-il une chanteuse connue au pays du Père Noel) élève seule son fils (son mec s’est cassé sans laisser de traces ou donner de nouvelles) et est obligée de cumuler plusieurs petits boulots pour joindre les deux bouts (elle fait des ménages, bosse dans une boucherie industrielle, est gardienne de nuit dans une banque, et aubergine). C’est d’ailleurs quand elle tourne autour de la décapotable de Taitso, hésitant à lui coller une prune, que celui-ci survient. Coup de foudre immédiat, ils se mettent ensemble, Taitso en voie de clochardisation se remet sur le droit chemin, cherche frénétiquement du boulot, sans succès.

Par contre un jour, il croise la route d’un des deux gars qui l’ont détroussé, le course, entreprend de le rosser copieusement, se fait prendre en flagrant délit de tabassage par les flics, passe en comparution immédiate et prend un an et demi de taule ferme (peu vraisemblable, mais on s’en fout). Adieu la vie rangée aux côtés d’Irmila et les projets de mariage.

Pellonpää, Pajala & Haavisto

C’est là, aux deux tiers du film, qu’arrive un autre personnage majeur, campé par un habitué des films de Kaurismäki, Matti Pellonpää. C’est le compagnon de cellule de Taitso, un brave gars un peu demeuré qui a pris perpette ou pas loin pour meurtre. Les deux décident de s’évader. Bon, on est pas vraiment dans « Prison break » ou « Oz », mais plutôt du côté de « Down by law » ou « O’Brother ». Les deux bras cassés vont réussir leur coup, mais le plus dur commence. Faut fuir loin (Taitso a suggéré le Mexique), trouver des faux papiers auprès de truands tordus, braquer une banque pour payer le passeur, récupérer Irmila et le mouflet, et embarquer. Ils prendront pas le bateau tous les quatre (no spoil).

Deux questions se posent. La première, pourquoi le film s’appelle « Ariel » ? On a l’explication à la toute dernière image, alors que passe en fond sonore une version de « Over the rainbow » (en finlandais, of course). La seconde, plus importante, est-ce que « Ariel » est un bon film ? Yes, Sir. Kaurismäki a le sens de l’épure, fait dans le cinéma social, rend hommage (les dernières bobines sont vraiment du pur Melville), et on sent une réelle empathie pour ses personnages de loosers (les situations comiques ou loufoques ne les ridiculisent pas, au contraire elles les rendent plus humains).

Allez, guettez les programmes du câble, « Ariel » dure pas longtemps, c’est pas un film majeur, mais c’est bien comme tout …





LES RITA MITSOUKO - PRESENTENT THE NO COMPRENDO (1986)

 

C'était comme ça ...

Les Rita Mitsouko, c’était les années 80. Et les années 80, musicalement (mais pas que), c’était pas terrible. Sauf qu’à toute règle il y a des exceptions. Et les Rita étaient ô combien une exception. Un groupe-duo plutôt unique, des aventuriers sonores sans beaucoup d’équivalents. Dans leurs meilleurs moments au niveau de Prince pour le côté touche-à-tout imprévisible.

Les Rita, c’est en plus de vingt ans d’activité tout juste une grosse poignée de disques studio. Dont une grosse moitié est dispensable. En fait, les seuls à garder sont les trois premiers. Le premier, éponyme, contient une tuerie enjouée (qui parle de mort et de cancer, on y reviendra sur ce paradoxe) l’inoubliable au sens premier du terme « Marcia Baila »). Le troisième, marqué par une collaboration avec leurs héros (un autre duo « bizarre ») les Sparks (« Singing in the shower ») et des étrangetés sonores absolues (« Mandolino City », « Le petit train » sur les convois de déportés des années 40) sera l’album de la consécration, les adoubera définitivement parmi les gens qui comptent.


Mais le disque qui a tout fait exploser pour les Rita, c’est leur second, « The No Comprendo », dont les trois premiers titres sont dans l’ordre « Les histoires d’A », « Andy », « C’est comme ça ». Des morceaux sans aucun lien musical entre eux, très gros hits en leur temps, et qui bizarrement, ont plus que bien vieilli, en tout cas beaucoup mieux que leurs voisins du haut des charts.

Même s’il est fondamental, le pédigrée et les parcours de Fred Chichin et Catherine Ringer ne les prédisposaient pas à une carrière musicale de ce niveau. Lui végétait dans des groupes punks de seconde zone, dealait et passait par la case zonzon. Elle rêvait de théâtre, tournait des films destinés selon la formule à un public averti pour faire bouillir la marmite. Une rencontre lors d’un casting foireux de comédie musicale et l’aventure démarrait. Un nom choisi au hasard (des prénoms de stripteaseuses couplés avec des noms de parfums de Guerlain, on a évité Dita Vétiver ou Bettie Shalimar), une vie et un travail en communs, l’aventure Rita Mitsouko commençait. « Marcia Baila », titre dansant un peu perdu au milieu d’un disque sombre produit par Conny Plank (pape sonore du krautrock), accompagné d’un clip arty laissant apparaître un duo tout en contrastes (Chichin inexpressif et Ringer exubérante) lancent l’affaire auprès du très grand public. Restait quand même une question en suspens : one hit wonders ou pas ?

La réponse viendra avec « The No Comprendo » (officiellement « Les Rita Mitsouko présentent the No Comprendo », « no comprendo » étant de l’espagnol de contrebande mais surtout le nom du « groupe » ayant participé à l’enregistrement). The No Comprendo (le groupe), c’est une liste de gens qui n’interviennent le plus souvent que sur un titre (cuivres, violon(celle)s, …). A la manœuvre sur tous les titres, Chichin et Ringer. Paroles et musiques, tous les instruments (section rythmique et guitares pour lui, vocaux, claviers et instruments midi pour elle). Et un renfort de poids, le sieur Tony Visconti (un « peu » célèbre pour avoir produit une ribambelle de disques de T-Rex et de Bowie), coproducteur du disque avec les Rita et crédité à de nombreux instruments.


Musicalement, on est près de l’os. Zéro démonstration technique, tout est dans la créativité sonore. Tous les tristes poncifs de l’époque sont évités (les synthés datés, les arrangements interchangeables des rengaines pop, …). Place aux gimmicks improbables (l’énorme saturation de la guitare sur « C’est comme ça », la pachydermique basse slappée de « Andy », …), à la géniale trouvaille à deux balles. Et par-dessus tout cette technique hésitante, la voix de la Ringer. Elle « habite » tous les titres, tantôt dans les aigus hystériques, tantôt dans les basses profondes, et marque son territoire comme peu de shouteuses (noires généralement) ont réussi à le faire. Ringer sur « The No Comprendo », ça joue dans la même cour que la Joplin de « Pearl », ce qui est quand même un putain de compliment. Parenthèse. J’ai vu les Rita dans une tournée des nineties avec un backing band de Blacks funky, et Ringer chantant les Rita il y a quelques années, je peux vous assurer, brothers and sisters, que sa voix, elle est pas dopée par des effets de studio, elle a la foudre dans les cordes vocales (bon la dernière fois, à plus de soixante balais, elle n’a tenu qu’un peu moins d’une heure dans les aigus impossibles avant de « gérer » une grosse demi-heure, à coups de quasi instrumentaux, de solos des zicos, de présentation du band, … mais on en avait déjà eu pour notre fric).

Reste quasi quatre décennies plus tard, un paradoxe Rita Mitsouko. Le duo est considéré comme immensément représentatif des années 80 festives et hédonistes alors que ses titres sont souvent d’une noirceur totale. « Marcia Baila » sur le cancer qui avait emporté la chorégraphe Marcia Moretto avec laquelle avait bossé Ringer ouvrait la voie de ces joyeuses rengaines glauques. Et si l’on s’en tient aux textes de « No Comprendo », tout l’album n’est qu’une succession de lamentos parfois lugubres mis en musique. Avec une exception, la pièce rapportée et plus mauvais titre du disque, « Nuit d’ivresse », rythme festif et entraînant, bande-son du navet du même nom avec Lhermitte et Balasko. Titre de commande, foncièrement différent au niveau sonore (exceptionnellement des vrais cuivres, ça s’entend) et par son texte (sponsorisé ?), assez loin dans le délire sur le thème de l’alcoolisme que l’excellent « Commando Pernod » des non moins excellents Bérurier Noir sorti l’année précédente. Ce « Nuit d’ivresse », à part quelques considérations bassement mercantiles de la part de Virgin, distributeur des Rita, voulant surfer sur les quelques entrées du film éponyme, et qui une fois venu le succès des autres titres, s’empressera de sortir une version anglaise de « No Comprendo », avec comme objectif le mirage du marché anglo-saxon (comme avant eux les échecs dans la langue de Thatcher des Johnny, Téléphone ou Trust, sans parler des succès « achetés » de Montand ou Aznavour), ce « Nuit d’ivresse » donc, vient entacher un disque jusque là irréprochable.


L’enfilade des trois hits d’entrée nous montre que l’univers musical des Rita est plutôt polymorphe. « Les histoires d’A » c’est un funk rock lourd à guitares (Chichin, Ringer, Visconti), avec un violon lancinant au fond du mix, sur fond d’énumération de ruptures sentimentales tristes avec la Ringer qui marque vocalement son territoire. « Andy », c’est le tchac-poum disco avec une énorme base slappée, sur le racolage d’un type lambda terne et timide, assimilé au personnage de bande dessinée rosbif Andy Capp. « C’est comme ça », c’est un rock’n’roll basique et bourrin entre Who et Cochran, qui a autant marqué les esprits par son rythme trépidant que par son clip très diffusé mettant en avant l’univers kitsch et surréaliste des Rita et de Jean-Baptiste Mondino.

Les autres titres du disque, dont on ne parle pas souvent (pour être gentil) méritent pourtant le détour. Moins « faciles » peut-être, mais toujours empreints de cette noirceur désabusée due aux textes, en parfait contrepoint avec l’esthétique supposée joyeuse du duo. « Vol de nuit », c’est de la cold wave sombre (comme un prolongement de leur premier disque et une marche dans les pas des Smith les plus sombres, le Robert de Cure et le Mark E. de The Fall). « Un soir un chien », si le titre avait pas déjà été pris (par Blue Öyster Cult) aurait pu s’appeler « Dominance & submission » (voir les paroles), c’est le plus glacial de la rondelle. « Tonite » lui ressemble, malgré une tendance à loucher vers l’emphase pompière (Ringer se fait un peu trop démonstrative à mon goût au chant).


Et même si les textes ne sont pas plus enjoués, quelques décharges rock (Chichin ?) s’intercalent pour éviter toute comparaison avec Joy Division. Petits brûlots rockabilly (« Someone to love »), mid tempos guillerets (« Bad days »), ballade-comptine (« Stupid anyway ») montrant que la voix de Ringer peut aussi être extraordinaire sur des tempos lents.

Même Godard avait été impressionné par le duo (il n’y comprend rien mais est attiré par la musique des djeunes). Après les Stones enregistrant « Sympathy for the devil » dans « One + One », il avait filmé les Rita travaillant sur « No Comprendo », incluant quelques séquences dans l’oubliable « Soigne ta droite ». Pas rancunier, le duo le remercie dans les crédits du disque …

Et pour finir, respect total pour l’attitude des Rita Mitsouko qui ont su ne pas sombrer dans le music business à tout crin, rester en dehors des engagements humanitaires, caritatifs, etc … calculateurs, et éviter toute récupération (l’esquive de Ringer à la tentative de bisou de Micron Ier aurait dû en inspirer certain(e)s) …





LOU REED - NEW YORK (1989)

 

Retour aux sources ...

Conclusion : « New York » est le meilleur album de Lou Reed, et toc …

Bon, je sens qu’il va falloir argumenter, là …

Retour en arrière. Lou Reed, c’est les trois premiers disques du Velvet Underground (où il joue) et les titres du quatrième (il s’est cassé du groupe, n’a pas participé à l’enregistrement). Un premier disque solo éponyme (une des pires ventes de RCA), deux trucs majeurs ensuite (« Transformer » et « Berlin », c’est pas rien), deux disques en public provenant du même concert (« Rock’n’roll animal » et « Live »), un machin expérimental inaudible (« Metal machine music »), une litanie de disques où le bon côtoie l’anecdotique et une belle dégringolade artistique dès le premier tiers des 80’s (« Legendary hearts », « New sensations », « Mistrial » (pas gagnant), quelqu’un pour les défendre ? répondez pas tous en même temps …).


« Transformer » et « Berlin », rigoureusement indispensables sont deux disques sous influences. Le premier, sous celles du trio anglais Bowie – Ronson – Scott qui lui ont apporté une couleur glam plutôt inattendue pour un type au registre sombre et austère. Le second sous l’emprise de Bob Ezrin, producteur envahissant, façonneur d’un son en cinémascope ne rechignant pas sur les orchestrations symphoniques, « Berlin » c’est un opéra-rock glauque, dépressif … et génial. « New York », c’est Lou Reed débarrassé de tout, revenu à ses basiques, ses fondamentaux.

On trouve dans « New York » les boogies monolithiques du premier Velvet, les ballades noires et apaisées du troisième Velvet, le sens de la composition évidente et les vocaux acérés de Reed dans ses meilleurs moments en solo. Le tout servi par une mise en son et une production qui ne doivent plus rien à l’air du temps où à la surenchère orchestrale. « New York », c’est du brut, du basique, du hors du temps et des modes. Deux guitares, une basse, une batterie. Point barre. Et même si j’en sais rien, à l’oreille pas d’overdubs. Dans un son remettant à l’honneur la glorieuse stéréo des seventies, la gratte de Lou Reed est à gauche (c’est lui qui le dit dans les notes de pochette), celle de Mike Rathke à droite. Basse à six cordes (donc très basse) de Bob Wasserman, batterie (et co-production avec le Lou) de Fred Maher. Deux invités, la vieille complice Moe Tucker aux fûts sur deux titres et des backing vocaux (quasiment inaudibles) de Dion (DiMucci) sur un titre. Pas de synthés, de section de cuivres ou de cordes, de choristes ou de chorale gospel, … Du brut, du rêche, de l’austère. Du Lou Reed, quoi …


Déjà, le titre n’est pas anodin. « New York », c’est la ville de Lou Reed. Il y est né et il y a à peu près toujours vécu, n’y a pas déménagé parce que c’était cool ou à la mode (c’est pas Lennon posant en tee-shirt « I love New York », alors qu’il vivait claquemuré avec sa harpie et son fiston dans son bunker du Dakota Building dont il n’aurait pas dû sortir et surtout pas au début Décembre 80 … je sais, c’est vachard et gratuit, mais y’a des fois, peux pas m’en empêcher ...). Donc « New York » par Lou Reed, c’est un disque qui ne peut que sonner vrai. Et quand on connaît un peu le bonhomme, ses fréquentations c’est pas les beaux quartiers ou les yuppies qui se sont remplis les poches dans le trading à Wall Street (même si au détour d’un vers il allume Trump – en 1989 ! - comme quoi y’a longtemps que le type était risible et surtout dangereux pour qui avait envie de s’en rendre compte). Non, le New York de Lou Reed, il est à ras du bitume dans les rues miteuses, et la pochette du disque, si elle n’est pas un hommage aux Ramones ou au Clash (vous avez déjà vu Lou Reed faire dans l’hommage consensuel ?), nous montre un quintuple Lou Reed (merci les premières versions de Photoshop ?), posant dans une ruelle sombre et sale.

Je vais pas faire dans la psychanalyse de comptoir pour expliquer pourquoi un tel retour de flamme artistique (certains s’y sont essayés, avançant un mariage qui commence à lui peser, ou la mort d’Andy Warhol, ou que sais-je encore). J’essaye pas d’expliquer, je prends, et putain que ça fait du bien d’entendre Lou Reed à ce niveau inespéré même pour les plus optimistes de ses fans.

On the road again ?

Il y a une évidence qui coule de source dans chaque titre, et on se dit mais pourquoi des trucs aussi cons, aussi simples, personne n’avait jamais pensé à les faire. Premier titre et premier exemple « Romeo had Juliette ». Un groupe à très fort succès (Dire Straits) avait exploré le même thème et à l’écoute des deux chansons au titre (quasi) homonyme, on voit qui est le laborieux et qui est le type doué. Victoire par KO du new-yorkais … Et pourtant, c’est un rock mid tempo pépère en parlé-chanté (tout du long du disque, Reed adoptera ce phrasé cher à Gainsbourg), qui au vu de l’intro, semble joué live en studio. Et ça fonctionne, alors que le pensum du Knopfler te gave au bout de trente secondes …

Le début de « New York » semble mathématique. Une ballade, un boogie-rock. Trois fois deux titres. « Halloween parade », ballade triste, forcément triste sur le SIDA, hormis évidemment les paroles, semble issue des atmosphères musicales apaisées du 3ème Velvet. « Dirty Blvd », c’est « Walk on the wild side » revisited, mais cette fois à ras du bitume. Pas de portraits pittoresques de quelques figures de l’underground, mais juste l’histoire d’un type dans la mouise, et qui risque pas de devenir golden boy. « Endless cycle » est juste une belle ballade, mais pas un des sommets du disque. Le suivant (« There is no time ») est donc rock, et pas qu’un peu. Un des deux ou trois titres les plus rentre-dedans du disque, riffs violents et saturés. « Last great american whale » qui suit est une ballade avec la copine Moe Tucker (debout ?) à la batterie.

Et puis, parce qu’enchaîner un titre lent et un titre plus rapide, ça finirait par gonfler tout le monde et Lou Reed en premier, on bifurque avec « Beginning of a great adventure » vers un tempo jazzy. New York, c’est aussi la ville du jazz et on passe logiquement de Big Apple à Jazz sous les pommiers. Que les fans de Miles Davis et consorts ne se déplacent pas, on n’a pas besoin d’eux, on est plus dans l’hommage que dans la révolution sonore.

 On the road again !

Mine de rien, et sans s’ennuyer une seconde, on a passé la moitié de la rondelle. La seconde partie sera plus énergique que la première et va faire la part belle au boogie-blues-rock-machin, que ce soit envisagé façon pépère (« Sick of you », « Good evening Mr Waldheim » ce dernier sur un ancien nazi -  Lou Reed est juif, et come Indy Jones, il aime pas les croix gammées et ceux qui les portent – devenu fonctionnaire très haut placé à l’ONU et Président en Autriche, gros scandale de l’époque) ou beaucoup plus énergique (les guitares râpeuses de « Busload of faith » et le rockab rageur de « Hold on »). Ça déroule, mais on en prend plein les oreilles et on n’en perd pas une miette, tout çà jusqu’à une dernière ballade parlée (« XMas in February ». Reste deux titres pour boucler l’affaire. « Strawman », tous potards sur onze, grosses guitares saturées, et voix quasi hurlée de Reed. Une démarche musicale similaire avec ce que faisait le vieux hippy pour le coup très énervé Neil Young à la même époque (« Freedom », et le « Ragged glory » à venir en 1990). Et au bout de plus de cinquante minutes se pointe en conclusion le titre le plus expérimental de la rondelle (« Dime store mystery »), ambiance lente, sourde, menaçante et entrelacs de guitares dissonantes, manière de rappeler à tout le monde que s’il faut donner dans le noisy, Lou Reed sait faire, même si c’est pas « Sister Ray » ou « Metal machine music » …

« New York », c’est le genre de disque qui aurait pu paraître n’importe quand bien avant ou bien après 1989. Du classic rock intemporel comme à peu près tout le monde semble en avoir perdu la recette. A ranger à côté du second disque éponyme du Band …

Chef-d’œuvre qui ne doit rien à personne, sinon au talent retrouvé de Lou Reed. Son successeur, avec son ancien complice du Velvet John Cale pour un hommage à Andy Warhol (« Songs for Drella ») confirmera leur bonne forme …



Du même sur ce blog :

Transformer


THE CURE - STARING AT THE SEA THE SINGLES (1986)

 

Le sombre héros de l'amer ...

« Staring at the sea » est la première « vraie » compilation des Cure. Quand elle sort en 86, sont déjà parus un maxi 45T 4 titres (« The singles ») réservé au marché des Antipodes (Australie et Nouvelle-Zélande), qui coûte une blinde aujourd’hui et un mini 33T (« Japanese whispers ») reprenant les 45T et leurs faces B de fin 82 à fin 83 (une année où The Cure - Robert Smith ne faisait paraître que des singles, on y reviendra). Sans oublier la vraie – fausse compile « Boys don’t cry » destinée aux retardataires qui n’auraient pas acheté le premier disque et sur laquelle on retrouve la plupart des titres de « Three Imaginary Boys » ainsi que des machins sortis en 45 T.

1978

« Staring at the sea » (17 titres) est la version Cd de la compilation, « Standing on the beach » la version vinyle (13 titres), les deux titres reprenant les premiers vers de leur désormais mythique premier single « Killing an Arab ». Pour les complétistes et pour en finir avec cette intro encyclopédique, la version de « Standing on the beach » en K7 double durée incluait une dizaine de faces B de 45T (je l’ai, faire offre).

« Staring at the sea » est donc paru en 86. Autant être clair, pas vraiment dans un but philanthropique. Contre toute attente, le groupe venait de cartonner au niveau mondial avec la rondelle « The head on the door » et Fiction (label) et Polydor (distributeur) vu l’histoire du groupe et la personnalité euh … comment dire, instable de son leader, ont jugé opportun de faire passer les fans à la caisse et de remplir les leurs, de caisses … Parenthèse, plus de quarante-cinq après sa formation Cure existe toujours (certes en pointillés) mais remplit vite fait les stades chaque fois qu’il en prend le chemin, et y reste sur scène minimum trois heures …

« Staring at the sea » est une compilation. Classique, basique. Tous les titres (sous leur forme single) par ordre chronologique de parution, zéro inédit, live, remix … Le fan de base avait déjà tout ça, par contre pour le commun des mortels, et au vu du caractère assez chaotique du groupe, c’est une bonne entrée en matière. D’autant plus qu’à l’exception de rares bons titres parus plus tard (« Why can’t I be you », « Lullaby »), on a quasiment un best-of du groupe, aujourd’hui en route pour sa cinquième décennie d’existence.

1982

Même s’il a monté ses premiers groupes quand il était ado, Robert Smith est trop jeune pour être un des gars qui comptent dans le mouvement punk. Les choses sérieuses commencent en 1978, quand à la fin de l’année Cure enregistrent leur premier single, « Killing an Arab », typique du post-punk (ou de la new wave, appelez ça comme vous voudrez). Intro arabisante, batterie syncopée, striures de guitares, chant dans les aigus, musicalement on est beaucoup plus proche de Siouxsie & the Banshees ou Wire que des Pistols et du Clash. « Killing an Arab », dès sa sortie a fait le bonheur de quelques skinheads d’extrême-droite (pléonasme). Evidemment il ne serait pas venu à l’idée de ces incultes que le titre puisse être inspiré par « L’étranger » de Camus que Robert Smith avait lu en V.O., en français donc (Fat Bob apprécie la France et sa culture, le groupe y fera de longues et nombreuses tournées, y enregistrera parfois ses disques, et y en vendra beaucoup …). Le premier 33T (« Three imaginary boys », The Cure est un trio) suivra. Album juvénile, inégal, que le Roberto n’aime pas beaucoup à l’image de la reprise déconstruite du « Foxy Lady » d’Hendrix, qu’il dit détester (peut-être parce qu’exceptionnellement dans l’histoire des Cure, ce n’est pas lui qui la chante, mais le bassiste Michael Dempsey). Par contre on trouve sur « Staring … » un des titres emblématiques du groupe « 10 : 15 Saturday night », sorte de rockabilly mutant au ralenti (genre « Fever » de Presley), avec son solo de guitare (Smith est considéré comme un guitariste original et inventif, très souvent bien classé dans les listes de guitar-heroes, alors qu’il ne s’est jamais pris pour un virtuose de la six-cordes). Un single qui ne figure pas sur l’album paraît ensuite, « Boys don’t cry ». Bide retentissant, qui n’aura du succès que lors de sa réédition en 1986, surfant sur la vague de la Curemania. Pourtant, c’est un des meilleurs sinon le meilleur titre de Smith. Grand titre pop, mélodie imparable, superbe gimmick de batterie calée sur la ligne de basse, … un morceau qui reste quand même atypique du groupe.

1983

La suite immédiate verra Robert Smith partir dans tous les sens, voire en vrille. Pour plusieurs raisons, son groupe n’a pas grand succès, le Roberto qui a toujours aimé téter les bouteilles commence à s’attaquer à des drogues moins légales et plus violentes, et puis il a envie d’aller voir ailleurs. Il va finir par faire des piges chez Siouxsie & The Banshees (il est très pote avec le bassiste Steve Severin et vénère le jeu de leur guitariste John McGeoch) pour la seconde fois (chaque fois que le guitariste se casse c’est lui qui le remplace), et pendant une paire d’années est au moins autant membre des Banshees que de Cure.

Parallèlement à ses piges guitaristiques, Cure va évoluer. La formation va se stabiliser en trio (avec Dempsey à la basse et Tolhurst à la batterie, la formation dite « royale »), le look « Robert Smith » (cheveux crêpés, fond de teint blanc, rouge à lèvres, fringues généralement noires deux tailles au-dessus, baskets délacés) va s’affiner, et un son Cure va se mettre en place (dense, bruyant, oppressant, voix hurlée dans les aigus) et des thématiques (noires, sombres, cold, glaciales, gothiques, appelez ça comme vous voulez) monopoliser les textes. Les trois albums consécutifs (Seventeen seconds » - « Faith » - « Pornography ») seront considérés par beaucoup (mais pas par Robert Smith) comme la trilogie « glaciale » du groupe. Radicalité sonore et des textes, et radicalisation des fans qui commencent à copier le look de Smith. Il y a aura bien des singles extraits de ces disques (un ou deux max pour chacun) qui auront bien du mal à trouver leur public, pour employer la gentille métaphore de rigueur.

Smith, toujours au moins bourré, est quand même tout sauf un dilettante. Il se rend compte qu’il va vers l’impasse psychologique et artistique (selon ses dires, pas forcément à prendre au sérieux, l’enregistrement de « Pornography » était une alternative à son suicide) et va faire bouger les lignes de façon une nouvelle fois radicale, au grand désespoir de ses premiers fans corbacs.

Un single, « Charlotte sometimes », enregistré avant « Pornography » remet en avant la mélodie et les notions de couplets-refrains qui avaient tendance à disparaître au profit d’un magma sonore uniforme. Cure va devenir un duo (Smith, Tolhurst) et s’engager dans des horizons sonores beaucoup plus dégagés, bien souvent à base de mélodies aux synthés.

1986

Tout devient beaucoup plus « léger » tant sur le fond que la forme, les parutions ne se font plus qu’en 45T, et de nouveaux fans aident ces titres à grimper dans les charts. Ces morceaux sans lien conducteur permettent à Smith de se « lâcher », passant de la pop bubble-gum (« Let’s go to bed »), à l’eurodance à machines (« The Walk »), à la facilité guillerette (« The Lovecats »), jusqu’à l’expérimental mélodique (« The Caterpillar » et son piano pompé sur les parties de Garson avec Bowie). Cette période « singles » occupera la fin de 82 et l’année 83.

Et puis, nouveau changement de cap avec succès cette fois mondial à la clef. Ce sera l’album « The head on the door », étonnant patchwork de tout ce qu’à fait Cure jusque là. Deux titres pour les charts noyés dans un retour aux atmosphères très dark. Le sautillant « In between days » et le minimaliste « Close to me » (malheureusement ici dans sa version la plus commerciale, c’est-à-dire avec section de cuivres festifs sur la fin), seront les locomotives du 33T. Dès lors, la Curemania version 2.0 est en marche …

Conclusion : le titre n’est pas trompeur, cependant même si elles n’ont pas été exemptes de revirements sonores, les premières années de Cure ont tout de même été plus homogènes que ce que ce disque laisse entendre …



Des mêmes sur ce blog :


MANO NEGRA - PUTA'S FEVER (1989)

 

MST (Musique Sans Territoire)

C’était un temps (les années 80) où, comme d’habitude la plupart de ceux qui sortaient des disques en France couraient après ce qui marchait ailleurs (chez les Grands Britons ou les Ricains). Sauf que par hasard, à force de courir, certains les avaient dépassés. Oh, pas dans tous les domaines, mais c’est en territoire mitterrandien qu’était sorti un genre inconnu ailleurs, qu’on baptisa rock alternatif. Piochant dans les tréfonds de la musique franchouillarde (les flonflons des bals musette, la chanson réaliste à texte), et passé à la sauce punk (ou bourrin, ça marche aussi).

Mano Negra 1989

Têtes de gondole du genre, les Bérurier Noir, qui faisaient ce qu’ils pouvaient pour masquer et refuser un succès populaire certain, allant jusqu’à la dissolution du groupe pour être sûrs de ne pas passer en boucle sur NRJ. Dans leur sillage, une foultitude de groupes affichant à peu près la même radicalité morale. Il y avait deux camps : les intégr(ist)es, refusant toute forme de « compromission » avec le « système », et puis ceux pour qui ce qui comptait c’était de s’éclater entre potes (ceux du groupe, ceux qui venaient les voir). Dans cette seconde catégorie, la Mano Negra.

La Mano venait de loin. De plein de groupes de « jeunesse » (Hot Pants, Carayos, Kingsnakes, …), où se sont rencontrés ceux qui allaient devenir l’ossature de la Mano Negra (les frères Chao, Santi). Le groupe n’a jamais eu de composition définie et rigide, selon les époques et les occasions (travail en studio ou prestations scéniques), mais a toujours compris au moins une demi-douzaine de personnes. Un groupe dont il n’est pas facile de dresser l’historique au niveau personnel, d’abord parce que tous avaient un (voire plusieurs pseudos), qu’il y avait beaucoup « d’invités » (dont certains de façon quasi permanente), et qu’au hasard de ses tournées dans les pays le plus improbables, des musiciens locaux se joignaient pour quelques dates (ou quelques mois) au groupe sur scène …

Leur premier album, « Patchanka » est paru chez Boucherie Productions, label de François Hadji-Lazaro (qui avait joué avec Manu Chao dans los Carayos, le monde du rock alternatif est petit …). Le morceau de latino punk endiablé « Mala vida » va devenir un hit, et les majors, sentant le potentiel commercial de la Mano, sa faculté à remplir des salles où le groupe donne des prestations explosives, se pointent avec leur chéquier. La Mano Negra va signer chez Virgin pour un nouvel album, qui sera ce « Puta’s fever » dont je m’en vas vous causer.


Parenthèse : je vais zapper tout le débat « traîtres – vendus » qui a secoué pendant des années voire plus les principaux tenants de « l’affaire », les arguments antagonistes et irréconciliables, les rancœurs étalées au grand jour par presse spécialisée ou pas interposée, les interventions par centaines de gens qui n’étaient en rien concernés mais qui prenaient position, et le plus souvent de façon pas très nuancée … Débats qui n’auraient certainement pas eu lieu si « Puta’s fever » avait fait un bide …

« Puta’s fever », il ressemble au groupe qui l’a fait. Protéiforme et bordélique, s’il fallait s’en tenir à deux mots. Il y a des effluves de rock, de rockabilly, de punk, de reggae, de chanson réaliste, de rap, de musiques latines, arabes, et j’en passe, le tout souvent mêlé dans le même titre. Idem pour les paroles, parfois politiques, parfois drolatiques, parfois nonsensiques … Paroles chantées en français, anglais, espagnol, arabe, voire entre charabia et yaourt … Et le tout défile à toute blinde (dix-huit titres en quarante minutes, les plus longs dépassent à peine les trois minutes).

S’il fallait ne citer qu’un disque similaire, celui qui s’approche le plus de « Puta’s fever », tant par « l’esprit » que par la multiplicité des genres abordés, c’est « Sandinista ! » du Clash (avec quatre faces vinyle de moins). Parallèle ni très osé ni très difficile à établir, le groupe de Jones et Strummer est le dénominateur commun d’à peu près tous ceux qui œuvrent dans la Mano …

Trente cinq ans après les faits, ce stroboscope sonore passe quand même moins bien que lors de sa sortie. Et malgré les tempos supersoniques, on trouve des redondances, de l’autocomplaisance, et on sent des passages « diplomatiques », pour faire plaisir ou mettre en avant tel ou tel de la bande. Il n’empêche que pour une rondelle aussi « typée » et datée, « Puta’s fever » tient plus que bien la route.

Pour une raison primordiale, les gens de la Mano sont vrais, ne trichent pas, ne renient rien (de leurs origines, de leurs goûts musicaux, …), ne se la racontent pas, vivent et enregistrent au jour le jour, sans plan de carrière. Pas de calcul, des tripes et la bonne humeur à faire partager.

Point musical commun de la plupart des titres, des tempos tachycardiques. D’entrée le morceau « Mano Negra », un machin speed indéfini suscite presque le doute (sur vinyle) de la bonne vitesse de rotation du disque. Et puis le Grand Huit musical se met en branle, on passe du rockabilly à gros riffs hardos au final (« Rock’n’roll band ») à un rap, « King Kong Five ». Gros succès en 45T, et fait assez rare pour un rap somme toute basique, le rythme est souligné par un bon vieil orgue Hammond (ou c’est bien imité). « Soledad », hormis son tempo hyper-rapide, pourrait passer pour le meilleur titre des Négresses Vertes, est soutenu par de gros riffs de cuivres et recrache au final la mélodie de « Je cherche après Titine » (très vieux morceau franchouillard, déjà « adapté » en yaourt avec sa chorégraphie surréaliste par Chaplin dans « Les Temps Modernes »). Suit un morceau chanté en arabe (« Sidi H Bibi »), mixant musique traditionnelle (?) nord-africaine et rock alternatif, avant un hommage sonore appuyé au Clash avec « The rebel spell » et « Peligro ». Changement de décor avec le plus gros succès du groupe, « Pas assez de toi ». Rythme apaisé mais festif, sur des paroles bien dépressives, limite suicidaires.

Manu Chao

« Pas assez de toi » est le sommet populaire du disque. La suite de la rondelle sera moins évidente. Rien d’ignoble, on reste en terrain connu, mais il y a des choses qui font redite (« Voodoo », « Magic dice », « The devil’s call »), on se laisse aller à la facilité (« Pachuco hop », matrice du punk musette qui engendrera tant de groupes dispensables), ou à la grosse blague un peu lourdingue (« Roger Cageot » le titre du guitariste Daniel Jamet, comme un crobar de Reiser mis en musique, ou « La rançon du succès » classic rock balourd qui bifurque non moins lourdement sur le « Chéri je t’aime » du très improbable Bob Azzam).

Au rythme où ça s’enchaîne, on peut pas parler de remplissage, mais quelques passages auraient mérité d’être élagués, et d’autres développés sans que ça ressemble à du prog …

Titre charnière du disque : « Guayaquil City », tempo beaucoup moins oppressant, rythme sud-américain, qui préfigure la carrière solo de Manu Chao. Parce qu’il faut bien en causer du garçon. N’allez surtout pas dire que la Mano c’est sa chose, ça lui aurait pas fait plaisir, d’autant plus que c’est pas vrai. Mais il en était la figure de proue (guitariste rythmique et principal chanteur), de très loin le plus gros contributeur en matière d’écriture. Le seul capable de faire parler de lui à la fin du groupe au début des années 90 en se lançant dans une carrière solo à l’écho mondial (par charité, on se contentera de citer sans commenter la reconversion du batteur Santi qui rejoindra le staff directionnel d’Universal Music et le jury de Popstars sur M6 …).

On ne compte plus tous les groupes et disques qui en cette fin des 80’s ont surfé sur cette vague patchwork, concrétisée par le succès de la Mano Negra et de « Puta’s fever ». Très rares ont été ceux qui sont parvenus à laisser des publications qui tiennent la route aujourd’hui, autrement que sous l’angle nostalgie … La Mano Negra, c’étaient les meilleurs et « Puta’s fever » reste d’assez loin leur sommet créatif …