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LES RITA MITSOUKO - PRESENTENT THE NO COMPRENDO (1986)

 

C'était comme ça ...

Les Rita Mitsouko, c’était les années 80. Et les années 80, musicalement (mais pas que), c’était pas terrible. Sauf qu’à toute règle il y a des exceptions. Et les Rita étaient ô combien une exception. Un groupe-duo plutôt unique, des aventuriers sonores sans beaucoup d’équivalents. Dans leurs meilleurs moments au niveau de Prince pour le côté touche-à-tout imprévisible.

Les Rita, c’est en plus de vingt ans d’activité tout juste une grosse poignée de disques studio. Dont une grosse moitié est dispensable. En fait, les seuls à garder sont les trois premiers. Le premier, éponyme, contient une tuerie enjouée (qui parle de mort et de cancer, on y reviendra sur ce paradoxe) l’inoubliable au sens premier du terme « Marcia Baila »). Le troisième, marqué par une collaboration avec leurs héros (un autre duo « bizarre ») les Sparks (« Singing in the shower ») et des étrangetés sonores absolues (« Mandolino City », « Le petit train » sur les convois de déportés des années 40) sera l’album de la consécration, les adoubera définitivement parmi les gens qui comptent.


Mais le disque qui a tout fait exploser pour les Rita, c’est leur second, « The No Comprendo », dont les trois premiers titres sont dans l’ordre « Les histoires d’A », « Andy », « C’est comme ça ». Des morceaux sans aucun lien musical entre eux, très gros hits en leur temps, et qui bizarrement, ont plus que bien vieilli, en tout cas beaucoup mieux que leurs voisins du haut des charts.

Même s’il est fondamental, le pédigrée et les parcours de Fred Chichin et Catherine Ringer ne les prédisposaient pas à une carrière musicale de ce niveau. Lui végétait dans des groupes punks de seconde zone, dealait et passait par la case zonzon. Elle rêvait de théâtre, tournait des films destinés selon la formule à un public averti pour faire bouillir la marmite. Une rencontre lors d’un casting foireux de comédie musicale et l’aventure démarrait. Un nom choisi au hasard (des prénoms de stripteaseuses couplés avec des noms de parfums de Guerlain, on a évité Dita Vétiver ou Bettie Shalimar), une vie et un travail en communs, l’aventure Rita Mitsouko commençait. « Marcia Baila », titre dansant un peu perdu au milieu d’un disque sombre produit par Conny Plank (pape sonore du krautrock), accompagné d’un clip arty laissant apparaître un duo tout en contrastes (Chichin inexpressif et Ringer exubérante) lancent l’affaire auprès du très grand public. Restait quand même une question en suspens : one hit wonders ou pas ?

La réponse viendra avec « The No Comprendo » (officiellement « Les Rita Mitsouko présentent the No Comprendo », « no comprendo » étant de l’espagnol de contrebande mais surtout le nom du « groupe » ayant participé à l’enregistrement). The No Comprendo (le groupe), c’est une liste de gens qui n’interviennent le plus souvent que sur un titre (cuivres, violon(celle)s, …). A la manœuvre sur tous les titres, Chichin et Ringer. Paroles et musiques, tous les instruments (section rythmique et guitares pour lui, vocaux, claviers et instruments midi pour elle). Et un renfort de poids, le sieur Tony Visconti (un « peu » célèbre pour avoir produit une ribambelle de disques de T-Rex et de Bowie), coproducteur du disque avec les Rita et crédité à de nombreux instruments.


Musicalement, on est près de l’os. Zéro démonstration technique, tout est dans la créativité sonore. Tous les tristes poncifs de l’époque sont évités (les synthés datés, les arrangements interchangeables des rengaines pop, …). Place aux gimmicks improbables (l’énorme saturation de la guitare sur « C’est comme ça », la pachydermique basse slappée de « Andy », …), à la géniale trouvaille à deux balles. Et par-dessus tout cette technique hésitante, la voix de la Ringer. Elle « habite » tous les titres, tantôt dans les aigus hystériques, tantôt dans les basses profondes, et marque son territoire comme peu de shouteuses (noires généralement) ont réussi à le faire. Ringer sur « The No Comprendo », ça joue dans la même cour que la Joplin de « Pearl », ce qui est quand même un putain de compliment. Parenthèse. J’ai vu les Rita dans une tournée des nineties avec un backing band de Blacks funky, et Ringer chantant les Rita il y a quelques années, je peux vous assurer, brothers and sisters, que sa voix, elle est pas dopée par des effets de studio, elle a la foudre dans les cordes vocales (bon la dernière fois, à plus de soixante balais, elle n’a tenu qu’un peu moins d’une heure dans les aigus impossibles avant de « gérer » une grosse demi-heure, à coups de quasi instrumentaux, de solos des zicos, de présentation du band, … mais on en avait déjà eu pour notre fric).

Reste quasi quatre décennies plus tard, un paradoxe Rita Mitsouko. Le duo est considéré comme immensément représentatif des années 80 festives et hédonistes alors que ses titres sont souvent d’une noirceur totale. « Marcia Baila » sur le cancer qui avait emporté la chorégraphe Marcia Moretto avec laquelle avait bossé Ringer ouvrait la voie de ces joyeuses rengaines glauques. Et si l’on s’en tient aux textes de « No Comprendo », tout l’album n’est qu’une succession de lamentos parfois lugubres mis en musique. Avec une exception, la pièce rapportée et plus mauvais titre du disque, « Nuit d’ivresse », rythme festif et entraînant, bande-son du navet du même nom avec Lhermitte et Balasko. Titre de commande, foncièrement différent au niveau sonore (exceptionnellement des vrais cuivres, ça s’entend) et par son texte (sponsorisé ?), assez loin dans le délire sur le thème de l’alcoolisme que l’excellent « Commando Pernod » des non moins excellents Bérurier Noir sorti l’année précédente. Ce « Nuit d’ivresse », à part quelques considérations bassement mercantiles de la part de Virgin, distributeur des Rita, voulant surfer sur les quelques entrées du film éponyme, et qui une fois venu le succès des autres titres, s’empressera de sortir une version anglaise de « No Comprendo », avec comme objectif le mirage du marché anglo-saxon (comme avant eux les échecs dans la langue de Thatcher des Johnny, Téléphone ou Trust, sans parler des succès « achetés » de Montand ou Aznavour), ce « Nuit d’ivresse » donc, vient entacher un disque jusque là irréprochable.


L’enfilade des trois hits d’entrée nous montre que l’univers musical des Rita est plutôt polymorphe. « Les histoires d’A » c’est un funk rock lourd à guitares (Chichin, Ringer, Visconti), avec un violon lancinant au fond du mix, sur fond d’énumération de ruptures sentimentales tristes avec la Ringer qui marque vocalement son territoire. « Andy », c’est le tchac-poum disco avec une énorme base slappée, sur le racolage d’un type lambda terne et timide, assimilé au personnage de bande dessinée rosbif Andy Capp. « C’est comme ça », c’est un rock’n’roll basique et bourrin entre Who et Cochran, qui a autant marqué les esprits par son rythme trépidant que par son clip très diffusé mettant en avant l’univers kitsch et surréaliste des Rita et de Jean-Baptiste Mondino.

Les autres titres du disque, dont on ne parle pas souvent (pour être gentil) méritent pourtant le détour. Moins « faciles » peut-être, mais toujours empreints de cette noirceur désabusée due aux textes, en parfait contrepoint avec l’esthétique supposée joyeuse du duo. « Vol de nuit », c’est de la cold wave sombre (comme un prolongement de leur premier disque et une marche dans les pas des Smith les plus sombres, le Robert de Cure et le Mark E. de The Fall). « Un soir un chien », si le titre avait pas déjà été pris (par Blue Öyster Cult) aurait pu s’appeler « Dominance & submission » (voir les paroles), c’est le plus glacial de la rondelle. « Tonite » lui ressemble, malgré une tendance à loucher vers l’emphase pompière (Ringer se fait un peu trop démonstrative à mon goût au chant).


Et même si les textes ne sont pas plus enjoués, quelques décharges rock (Chichin ?) s’intercalent pour éviter toute comparaison avec Joy Division. Petits brûlots rockabilly (« Someone to love »), mid tempos guillerets (« Bad days »), ballade-comptine (« Stupid anyway ») montrant que la voix de Ringer peut aussi être extraordinaire sur des tempos lents.

Même Godard avait été impressionné par le duo (il n’y comprend rien mais est attiré par la musique des djeunes). Après les Stones enregistrant « Sympathy for the devil » dans « One + One », il avait filmé les Rita travaillant sur « No Comprendo », incluant quelques séquences dans l’oubliable « Soigne ta droite ». Pas rancunier, le duo le remercie dans les crédits du disque …

Et pour finir, respect total pour l’attitude des Rita Mitsouko qui ont su ne pas sombrer dans le music business à tout crin, rester en dehors des engagements humanitaires, caritatifs, etc … calculateurs, et éviter toute récupération (l’esquive de Ringer à la tentative de bisou de Micron Ier aurait dû en inspirer certain(e)s) …





LOU REED - NEW YORK (1989)

 

Retour aux sources ...

Conclusion : « New York » est le meilleur album de Lou Reed, et toc …

Bon, je sens qu’il va falloir argumenter, là …

Retour en arrière. Lou Reed, c’est les trois premiers disques du Velvet Underground (où il joue) et les titres du quatrième (il s’est cassé du groupe, n’a pas participé à l’enregistrement). Un premier disque solo éponyme (une des pires ventes de RCA), deux trucs majeurs ensuite (« Transformer » et « Berlin », c’est pas rien), deux disques en public provenant du même concert (« Rock’n’roll animal » et « Live »), un machin expérimental inaudible (« Metal machine music »), une litanie de disques où le bon côtoie l’anecdotique et une belle dégringolade artistique dès le premier tiers des 80’s (« Legendary hearts », « New sensations », « Mistrial » (pas gagnant), quelqu’un pour les défendre ? répondez pas tous en même temps …).


« Transformer » et « Berlin », rigoureusement indispensables sont deux disques sous influences. Le premier, sous celles du trio anglais Bowie – Ronson – Scott qui lui ont apporté une couleur glam plutôt inattendue pour un type au registre sombre et austère. Le second sous l’emprise de Bob Ezrin, producteur envahissant, façonneur d’un son en cinémascope ne rechignant pas sur les orchestrations symphoniques, « Berlin » c’est un opéra-rock glauque, dépressif … et génial. « New York », c’est Lou Reed débarrassé de tout, revenu à ses basiques, ses fondamentaux.

On trouve dans « New York » les boogies monolithiques du premier Velvet, les ballades noires et apaisées du troisième Velvet, le sens de la composition évidente et les vocaux acérés de Reed dans ses meilleurs moments en solo. Le tout servi par une mise en son et une production qui ne doivent plus rien à l’air du temps où à la surenchère orchestrale. « New York », c’est du brut, du basique, du hors du temps et des modes. Deux guitares, une basse, une batterie. Point barre. Et même si j’en sais rien, à l’oreille pas d’overdubs. Dans un son remettant à l’honneur la glorieuse stéréo des seventies, la gratte de Lou Reed est à gauche (c’est lui qui le dit dans les notes de pochette), celle de Mike Rathke à droite. Basse à six cordes (donc très basse) de Bob Wasserman, batterie (et co-production avec le Lou) de Fred Maher. Deux invités, la vieille complice Moe Tucker aux fûts sur deux titres et des backing vocaux (quasiment inaudibles) de Dion (DiMucci) sur un titre. Pas de synthés, de section de cuivres ou de cordes, de choristes ou de chorale gospel, … Du brut, du rêche, de l’austère. Du Lou Reed, quoi …


Déjà, le titre n’est pas anodin. « New York », c’est la ville de Lou Reed. Il y est né et il y a à peu près toujours vécu, n’y a pas déménagé parce que c’était cool ou à la mode (c’est pas Lennon posant en tee-shirt « I love New York », alors qu’il vivait claquemuré avec sa harpie et son fiston dans son bunker du Dakota Building dont il n’aurait pas dû sortir et surtout pas au début Décembre 80 … je sais, c’est vachard et gratuit, mais y’a des fois, peux pas m’en empêcher ...). Donc « New York » par Lou Reed, c’est un disque qui ne peut que sonner vrai. Et quand on connaît un peu le bonhomme, ses fréquentations c’est pas les beaux quartiers ou les yuppies qui se sont remplis les poches dans le trading à Wall Street (même si au détour d’un vers il allume Trump – en 1989 ! - comme quoi y’a longtemps que le type était risible et surtout dangereux pour qui avait envie de s’en rendre compte). Non, le New York de Lou Reed, il est à ras du bitume dans les rues miteuses, et la pochette du disque, si elle n’est pas un hommage aux Ramones ou au Clash (vous avez déjà vu Lou Reed faire dans l’hommage consensuel ?), nous montre un quintuple Lou Reed (merci les premières versions de Photoshop ?), posant dans une ruelle sombre et sale.

Je vais pas faire dans la psychanalyse de comptoir pour expliquer pourquoi un tel retour de flamme artistique (certains s’y sont essayés, avançant un mariage qui commence à lui peser, ou la mort d’Andy Warhol, ou que sais-je encore). J’essaye pas d’expliquer, je prends, et putain que ça fait du bien d’entendre Lou Reed à ce niveau inespéré même pour les plus optimistes de ses fans.

On the road again ?

Il y a une évidence qui coule de source dans chaque titre, et on se dit mais pourquoi des trucs aussi cons, aussi simples, personne n’avait jamais pensé à les faire. Premier titre et premier exemple « Romeo had Juliette ». Un groupe à très fort succès (Dire Straits) avait exploré le même thème et à l’écoute des deux chansons au titre (quasi) homonyme, on voit qui est le laborieux et qui est le type doué. Victoire par KO du new-yorkais … Et pourtant, c’est un rock mid tempo pépère en parlé-chanté (tout du long du disque, Reed adoptera ce phrasé cher à Gainsbourg), qui au vu de l’intro, semble joué live en studio. Et ça fonctionne, alors que le pensum du Knopfler te gave au bout de trente secondes …

Le début de « New York » semble mathématique. Une ballade, un boogie-rock. Trois fois deux titres. « Halloween parade », ballade triste, forcément triste sur le SIDA, hormis évidemment les paroles, semble issue des atmosphères musicales apaisées du 3ème Velvet. « Dirty Blvd », c’est « Walk on the wild side » revisited, mais cette fois à ras du bitume. Pas de portraits pittoresques de quelques figures de l’underground, mais juste l’histoire d’un type dans la mouise, et qui risque pas de devenir golden boy. « Endless cycle » est juste une belle ballade, mais pas un des sommets du disque. Le suivant (« There is no time ») est donc rock, et pas qu’un peu. Un des deux ou trois titres les plus rentre-dedans du disque, riffs violents et saturés. « Last great american whale » qui suit est une ballade avec la copine Moe Tucker (debout ?) à la batterie.

Et puis, parce qu’enchaîner un titre lent et un titre plus rapide, ça finirait par gonfler tout le monde et Lou Reed en premier, on bifurque avec « Beginning of a great adventure » vers un tempo jazzy. New York, c’est aussi la ville du jazz et on passe logiquement de Big Apple à Jazz sous les pommiers. Que les fans de Miles Davis et consorts ne se déplacent pas, on n’a pas besoin d’eux, on est plus dans l’hommage que dans la révolution sonore.

 On the road again !

Mine de rien, et sans s’ennuyer une seconde, on a passé la moitié de la rondelle. La seconde partie sera plus énergique que la première et va faire la part belle au boogie-blues-rock-machin, que ce soit envisagé façon pépère (« Sick of you », « Good evening Mr Waldheim » ce dernier sur un ancien nazi -  Lou Reed est juif, et come Indy Jones, il aime pas les croix gammées et ceux qui les portent – devenu fonctionnaire très haut placé à l’ONU et Président en Autriche, gros scandale de l’époque) ou beaucoup plus énergique (les guitares râpeuses de « Busload of faith » et le rockab rageur de « Hold on »). Ça déroule, mais on en prend plein les oreilles et on n’en perd pas une miette, tout çà jusqu’à une dernière ballade parlée (« XMas in February ». Reste deux titres pour boucler l’affaire. « Strawman », tous potards sur onze, grosses guitares saturées, et voix quasi hurlée de Reed. Une démarche musicale similaire avec ce que faisait le vieux hippy pour le coup très énervé Neil Young à la même époque (« Freedom », et le « Ragged glory » à venir en 1990). Et au bout de plus de cinquante minutes se pointe en conclusion le titre le plus expérimental de la rondelle (« Dime store mystery »), ambiance lente, sourde, menaçante et entrelacs de guitares dissonantes, manière de rappeler à tout le monde que s’il faut donner dans le noisy, Lou Reed sait faire, même si c’est pas « Sister Ray » ou « Metal machine music » …

« New York », c’est le genre de disque qui aurait pu paraître n’importe quand bien avant ou bien après 1989. Du classic rock intemporel comme à peu près tout le monde semble en avoir perdu la recette. A ranger à côté du second disque éponyme du Band …

Chef-d’œuvre qui ne doit rien à personne, sinon au talent retrouvé de Lou Reed. Son successeur, avec son ancien complice du Velvet John Cale pour un hommage à Andy Warhol (« Songs for Drella ») confirmera leur bonne forme …



Du même sur ce blog :

Transformer


THE CURE - STARING AT THE SEA THE SINGLES (1986)

 

Le sombre héros de l'amer ...

« Staring at the sea » est la première « vraie » compilation des Cure. Quand elle sort en 86, sont déjà parus un maxi 45T 4 titres (« The singles ») réservé au marché des Antipodes (Australie et Nouvelle-Zélande), qui coûte une blinde aujourd’hui et un mini 33T (« Japanese whispers ») reprenant les 45T et leurs faces B de fin 82 à fin 83 (une année où The Cure - Robert Smith ne faisait paraître que des singles, on y reviendra). Sans oublier la vraie – fausse compile « Boys don’t cry » destinée aux retardataires qui n’auraient pas acheté le premier disque et sur laquelle on retrouve la plupart des titres de « Three Imaginary Boys » ainsi que des machins sortis en 45 T.

1978

« Staring at the sea » (17 titres) est la version Cd de la compilation, « Standing on the beach » la version vinyle (13 titres), les deux titres reprenant les premiers vers de leur désormais mythique premier single « Killing an Arab ». Pour les complétistes et pour en finir avec cette intro encyclopédique, la version de « Standing on the beach » en K7 double durée incluait une dizaine de faces B de 45T (je l’ai, faire offre).

« Staring at the sea » est donc paru en 86. Autant être clair, pas vraiment dans un but philanthropique. Contre toute attente, le groupe venait de cartonner au niveau mondial avec la rondelle « The head on the door » et Fiction (label) et Polydor (distributeur) vu l’histoire du groupe et la personnalité euh … comment dire, instable de son leader, ont jugé opportun de faire passer les fans à la caisse et de remplir les leurs, de caisses … Parenthèse, plus de quarante-cinq après sa formation Cure existe toujours (certes en pointillés) mais remplit vite fait les stades chaque fois qu’il en prend le chemin, et y reste sur scène minimum trois heures …

« Staring at the sea » est une compilation. Classique, basique. Tous les titres (sous leur forme single) par ordre chronologique de parution, zéro inédit, live, remix … Le fan de base avait déjà tout ça, par contre pour le commun des mortels, et au vu du caractère assez chaotique du groupe, c’est une bonne entrée en matière. D’autant plus qu’à l’exception de rares bons titres parus plus tard (« Why can’t I be you », « Lullaby »), on a quasiment un best-of du groupe, aujourd’hui en route pour sa cinquième décennie d’existence.

1982

Même s’il a monté ses premiers groupes quand il était ado, Robert Smith est trop jeune pour être un des gars qui comptent dans le mouvement punk. Les choses sérieuses commencent en 1978, quand à la fin de l’année Cure enregistrent leur premier single, « Killing an Arab », typique du post-punk (ou de la new wave, appelez ça comme vous voudrez). Intro arabisante, batterie syncopée, striures de guitares, chant dans les aigus, musicalement on est beaucoup plus proche de Siouxsie & the Banshees ou Wire que des Pistols et du Clash. « Killing an Arab », dès sa sortie a fait le bonheur de quelques skinheads d’extrême-droite (pléonasme). Evidemment il ne serait pas venu à l’idée de ces incultes que le titre puisse être inspiré par « L’étranger » de Camus que Robert Smith avait lu en V.O., en français donc (Fat Bob apprécie la France et sa culture, le groupe y fera de longues et nombreuses tournées, y enregistrera parfois ses disques, et y en vendra beaucoup …). Le premier 33T (« Three imaginary boys », The Cure est un trio) suivra. Album juvénile, inégal, que le Roberto n’aime pas beaucoup à l’image de la reprise déconstruite du « Foxy Lady » d’Hendrix, qu’il dit détester (peut-être parce qu’exceptionnellement dans l’histoire des Cure, ce n’est pas lui qui la chante, mais le bassiste Michael Dempsey). Par contre on trouve sur « Staring … » un des titres emblématiques du groupe « 10 : 15 Saturday night », sorte de rockabilly mutant au ralenti (genre « Fever » de Presley), avec son solo de guitare (Smith est considéré comme un guitariste original et inventif, très souvent bien classé dans les listes de guitar-heroes, alors qu’il ne s’est jamais pris pour un virtuose de la six-cordes). Un single qui ne figure pas sur l’album paraît ensuite, « Boys don’t cry ». Bide retentissant, qui n’aura du succès que lors de sa réédition en 1986, surfant sur la vague de la Curemania. Pourtant, c’est un des meilleurs sinon le meilleur titre de Smith. Grand titre pop, mélodie imparable, superbe gimmick de batterie calée sur la ligne de basse, … un morceau qui reste quand même atypique du groupe.

1983

La suite immédiate verra Robert Smith partir dans tous les sens, voire en vrille. Pour plusieurs raisons, son groupe n’a pas grand succès, le Roberto qui a toujours aimé téter les bouteilles commence à s’attaquer à des drogues moins légales et plus violentes, et puis il a envie d’aller voir ailleurs. Il va finir par faire des piges chez Siouxsie & The Banshees (il est très pote avec le bassiste Steve Severin et vénère le jeu de leur guitariste John McGeoch) pour la seconde fois (chaque fois que le guitariste se casse c’est lui qui le remplace), et pendant une paire d’années est au moins autant membre des Banshees que de Cure.

Parallèlement à ses piges guitaristiques, Cure va évoluer. La formation va se stabiliser en trio (avec Dempsey à la basse et Tolhurst à la batterie, la formation dite « royale »), le look « Robert Smith » (cheveux crêpés, fond de teint blanc, rouge à lèvres, fringues généralement noires deux tailles au-dessus, baskets délacés) va s’affiner, et un son Cure va se mettre en place (dense, bruyant, oppressant, voix hurlée dans les aigus) et des thématiques (noires, sombres, cold, glaciales, gothiques, appelez ça comme vous voulez) monopoliser les textes. Les trois albums consécutifs (Seventeen seconds » - « Faith » - « Pornography ») seront considérés par beaucoup (mais pas par Robert Smith) comme la trilogie « glaciale » du groupe. Radicalité sonore et des textes, et radicalisation des fans qui commencent à copier le look de Smith. Il y a aura bien des singles extraits de ces disques (un ou deux max pour chacun) qui auront bien du mal à trouver leur public, pour employer la gentille métaphore de rigueur.

Smith, toujours au moins bourré, est quand même tout sauf un dilettante. Il se rend compte qu’il va vers l’impasse psychologique et artistique (selon ses dires, pas forcément à prendre au sérieux, l’enregistrement de « Pornography » était une alternative à son suicide) et va faire bouger les lignes de façon une nouvelle fois radicale, au grand désespoir de ses premiers fans corbacs.

Un single, « Charlotte sometimes », enregistré avant « Pornography » remet en avant la mélodie et les notions de couplets-refrains qui avaient tendance à disparaître au profit d’un magma sonore uniforme. Cure va devenir un duo (Smith, Tolhurst) et s’engager dans des horizons sonores beaucoup plus dégagés, bien souvent à base de mélodies aux synthés.

1986

Tout devient beaucoup plus « léger » tant sur le fond que la forme, les parutions ne se font plus qu’en 45T, et de nouveaux fans aident ces titres à grimper dans les charts. Ces morceaux sans lien conducteur permettent à Smith de se « lâcher », passant de la pop bubble-gum (« Let’s go to bed »), à l’eurodance à machines (« The Walk »), à la facilité guillerette (« The Lovecats »), jusqu’à l’expérimental mélodique (« The Caterpillar » et son piano pompé sur les parties de Garson avec Bowie). Cette période « singles » occupera la fin de 82 et l’année 83.

Et puis, nouveau changement de cap avec succès cette fois mondial à la clef. Ce sera l’album « The head on the door », étonnant patchwork de tout ce qu’à fait Cure jusque là. Deux titres pour les charts noyés dans un retour aux atmosphères très dark. Le sautillant « In between days » et le minimaliste « Close to me » (malheureusement ici dans sa version la plus commerciale, c’est-à-dire avec section de cuivres festifs sur la fin), seront les locomotives du 33T. Dès lors, la Curemania version 2.0 est en marche …

Conclusion : le titre n’est pas trompeur, cependant même si elles n’ont pas été exemptes de revirements sonores, les premières années de Cure ont tout de même été plus homogènes que ce que ce disque laisse entendre …



Des mêmes sur ce blog :


MANO NEGRA - PUTA'S FEVER (1989)

 

MST (Musique Sans Territoire)

C’était un temps (les années 80) où, comme d’habitude la plupart de ceux qui sortaient des disques en France couraient après ce qui marchait ailleurs (chez les Grands Britons ou les Ricains). Sauf que par hasard, à force de courir, certains les avaient dépassés. Oh, pas dans tous les domaines, mais c’est en territoire mitterrandien qu’était sorti un genre inconnu ailleurs, qu’on baptisa rock alternatif. Piochant dans les tréfonds de la musique franchouillarde (les flonflons des bals musette, la chanson réaliste à texte), et passé à la sauce punk (ou bourrin, ça marche aussi).

Mano Negra 1989

Têtes de gondole du genre, les Bérurier Noir, qui faisaient ce qu’ils pouvaient pour masquer et refuser un succès populaire certain, allant jusqu’à la dissolution du groupe pour être sûrs de ne pas passer en boucle sur NRJ. Dans leur sillage, une foultitude de groupes affichant à peu près la même radicalité morale. Il y avait deux camps : les intégr(ist)es, refusant toute forme de « compromission » avec le « système », et puis ceux pour qui ce qui comptait c’était de s’éclater entre potes (ceux du groupe, ceux qui venaient les voir). Dans cette seconde catégorie, la Mano Negra.

La Mano venait de loin. De plein de groupes de « jeunesse » (Hot Pants, Carayos, Kingsnakes, …), où se sont rencontrés ceux qui allaient devenir l’ossature de la Mano Negra (les frères Chao, Santi). Le groupe n’a jamais eu de composition définie et rigide, selon les époques et les occasions (travail en studio ou prestations scéniques), mais a toujours compris au moins une demi-douzaine de personnes. Un groupe dont il n’est pas facile de dresser l’historique au niveau personnel, d’abord parce que tous avaient un (voire plusieurs pseudos), qu’il y avait beaucoup « d’invités » (dont certains de façon quasi permanente), et qu’au hasard de ses tournées dans les pays le plus improbables, des musiciens locaux se joignaient pour quelques dates (ou quelques mois) au groupe sur scène …

Leur premier album, « Patchanka » est paru chez Boucherie Productions, label de François Hadji-Lazaro (qui avait joué avec Manu Chao dans los Carayos, le monde du rock alternatif est petit …). Le morceau de latino punk endiablé « Mala vida » va devenir un hit, et les majors, sentant le potentiel commercial de la Mano, sa faculté à remplir des salles où le groupe donne des prestations explosives, se pointent avec leur chéquier. La Mano Negra va signer chez Virgin pour un nouvel album, qui sera ce « Puta’s fever » dont je m’en vas vous causer.


Parenthèse : je vais zapper tout le débat « traîtres – vendus » qui a secoué pendant des années voire plus les principaux tenants de « l’affaire », les arguments antagonistes et irréconciliables, les rancœurs étalées au grand jour par presse spécialisée ou pas interposée, les interventions par centaines de gens qui n’étaient en rien concernés mais qui prenaient position, et le plus souvent de façon pas très nuancée … Débats qui n’auraient certainement pas eu lieu si « Puta’s fever » avait fait un bide …

« Puta’s fever », il ressemble au groupe qui l’a fait. Protéiforme et bordélique, s’il fallait s’en tenir à deux mots. Il y a des effluves de rock, de rockabilly, de punk, de reggae, de chanson réaliste, de rap, de musiques latines, arabes, et j’en passe, le tout souvent mêlé dans le même titre. Idem pour les paroles, parfois politiques, parfois drolatiques, parfois nonsensiques … Paroles chantées en français, anglais, espagnol, arabe, voire entre charabia et yaourt … Et le tout défile à toute blinde (dix-huit titres en quarante minutes, les plus longs dépassent à peine les trois minutes).

S’il fallait ne citer qu’un disque similaire, celui qui s’approche le plus de « Puta’s fever », tant par « l’esprit » que par la multiplicité des genres abordés, c’est « Sandinista ! » du Clash (avec quatre faces vinyle de moins). Parallèle ni très osé ni très difficile à établir, le groupe de Jones et Strummer est le dénominateur commun d’à peu près tous ceux qui œuvrent dans la Mano …

Trente cinq ans après les faits, ce stroboscope sonore passe quand même moins bien que lors de sa sortie. Et malgré les tempos supersoniques, on trouve des redondances, de l’autocomplaisance, et on sent des passages « diplomatiques », pour faire plaisir ou mettre en avant tel ou tel de la bande. Il n’empêche que pour une rondelle aussi « typée » et datée, « Puta’s fever » tient plus que bien la route.

Pour une raison primordiale, les gens de la Mano sont vrais, ne trichent pas, ne renient rien (de leurs origines, de leurs goûts musicaux, …), ne se la racontent pas, vivent et enregistrent au jour le jour, sans plan de carrière. Pas de calcul, des tripes et la bonne humeur à faire partager.

Point musical commun de la plupart des titres, des tempos tachycardiques. D’entrée le morceau « Mano Negra », un machin speed indéfini suscite presque le doute (sur vinyle) de la bonne vitesse de rotation du disque. Et puis le Grand Huit musical se met en branle, on passe du rockabilly à gros riffs hardos au final (« Rock’n’roll band ») à un rap, « King Kong Five ». Gros succès en 45T, et fait assez rare pour un rap somme toute basique, le rythme est souligné par un bon vieil orgue Hammond (ou c’est bien imité). « Soledad », hormis son tempo hyper-rapide, pourrait passer pour le meilleur titre des Négresses Vertes, est soutenu par de gros riffs de cuivres et recrache au final la mélodie de « Je cherche après Titine » (très vieux morceau franchouillard, déjà « adapté » en yaourt avec sa chorégraphie surréaliste par Chaplin dans « Les Temps Modernes »). Suit un morceau chanté en arabe (« Sidi H Bibi »), mixant musique traditionnelle (?) nord-africaine et rock alternatif, avant un hommage sonore appuyé au Clash avec « The rebel spell » et « Peligro ». Changement de décor avec le plus gros succès du groupe, « Pas assez de toi ». Rythme apaisé mais festif, sur des paroles bien dépressives, limite suicidaires.

Manu Chao

« Pas assez de toi » est le sommet populaire du disque. La suite de la rondelle sera moins évidente. Rien d’ignoble, on reste en terrain connu, mais il y a des choses qui font redite (« Voodoo », « Magic dice », « The devil’s call »), on se laisse aller à la facilité (« Pachuco hop », matrice du punk musette qui engendrera tant de groupes dispensables), ou à la grosse blague un peu lourdingue (« Roger Cageot » le titre du guitariste Daniel Jamet, comme un crobar de Reiser mis en musique, ou « La rançon du succès » classic rock balourd qui bifurque non moins lourdement sur le « Chéri je t’aime » du très improbable Bob Azzam).

Au rythme où ça s’enchaîne, on peut pas parler de remplissage, mais quelques passages auraient mérité d’être élagués, et d’autres développés sans que ça ressemble à du prog …

Titre charnière du disque : « Guayaquil City », tempo beaucoup moins oppressant, rythme sud-américain, qui préfigure la carrière solo de Manu Chao. Parce qu’il faut bien en causer du garçon. N’allez surtout pas dire que la Mano c’est sa chose, ça lui aurait pas fait plaisir, d’autant plus que c’est pas vrai. Mais il en était la figure de proue (guitariste rythmique et principal chanteur), de très loin le plus gros contributeur en matière d’écriture. Le seul capable de faire parler de lui à la fin du groupe au début des années 90 en se lançant dans une carrière solo à l’écho mondial (par charité, on se contentera de citer sans commenter la reconversion du batteur Santi qui rejoindra le staff directionnel d’Universal Music et le jury de Popstars sur M6 …).

On ne compte plus tous les groupes et disques qui en cette fin des 80’s ont surfé sur cette vague patchwork, concrétisée par le succès de la Mano Negra et de « Puta’s fever ». Très rares ont été ceux qui sont parvenus à laisser des publications qui tiennent la route aujourd’hui, autrement que sous l’angle nostalgie … La Mano Negra, c’étaient les meilleurs et « Puta’s fever » reste d’assez loin leur sommet créatif …


KEVIN ROWLAND & DEXYS MIDNIGHT RUNNERS - TOO-RYE-AY (1982)

 

L'arbre qui cache la forêt ...

Cet arbre, ici il s’appelle « Come on Eileen », c’est un des titres les plus connus des peu glorieuses 80’s, et un des meilleurs de cette décennie décriée (le plus souvent à juste titre). Il suffit d’aller chez Google, taper Dexys Midnight Runners et magie culturelle pour incultes, on a une litanie de clips de « Come on Eileen » qui s’affiche. Autre test amusant (?) tapez Dexys Midnight Runners + one hit wonders et vous récupérez des milliers de pages qui vous expliquent pourquoi Dexys est un one hit wonder band. Bon, je vais laisser les grands mots genre cancel culture, erase culture, voire révisionnisme à ceux qui les utilisent sans en connaître le sens, et m’en tenir aux faits.

Famille nombreuse, famille heureuse ?

Oui, « Come on Eileen » fut un énorme hit il y a plus de quarante ans et pour peu qu’on ne suive pas aveuglément, forcément aveuglément, les playlists générées par AI des racketteurs musicaux du web genre Deezer, Spotify, Qobuz, Apple, Amazon, YouTube et autres, « Come on Eileen » on peut encore l’entendre et l’écouter avec plaisir.

Mais non, les Dexys, outre « …Eileen », ont placé trois autres titres fort honorablement dans les charts (surtout européens) au début des 80’s. Tout d’abord « Geno », hommage au soulman déjà oublié à l’époque Geno Washington (issu de leur premier Lp « Searching for the young soul rebels », titre number one en Angleterre), ensuite chronologiquement « Celtic Soul Brothers », « Come on Eileen » et « Jackie Wilson said », tous trois issus de ce « Too-Rye-Ay ».

Dexys Midnight Runners, c’est comme Deep Purple, y’a eu plusieurs Mark. Seul point commun à toutes les formations, le dénommé Kevin Rowland, né en Angleterre mais d’origine irlandaise, ce qui comptera et pas qu’un peu pour ce « Too-Rye-Ay ». Parcours classique d’un ado british des 70’s, des college bands, un groupe punk oubliable et oublié (Killjoys), la « révélation » soul et la formation des Dexys. Premier disque et premier hit donc, puis le Kevin pas le type le plus facile à vivre du coin, prend le melon, et entend faire du groupe son faire-valoir. La Mark II sera donc baptisée Kevin Rowland & Dexys Midnight Runners. Hormis le tromboniste Big Jim Paterson, tout le monde est viré, une rythmique, un guitariste, des claviers, une section de cuivres et un duo de violonistes (The Emerald Express) est recrutée.

Kevin Rowland

Niveau influences, ça bouge aussi. Soul et rhythm’n’blues américains encore et toujours, mais surtout la musique irlandaise, traditionnelle ou pas, avec en point de mire les deux figures tutélaires de l’île, les Chieftains et plus encore Van Morrison. Hasard (fortuit) de la chronologie musicale, les Dexys période « Too-Rye-Ay » peuvent être considérés comme des précurseurs des Pogues, même si hormis l’aspect famille nombreuse sur scène, les deux groupes ont peu de choses en commun …

Résultat, DMR est un des groupes représentatifs des 80’s, et pourtant plutôt isolé et n’ayant pas généré de « disciples » sonores. D’ailleurs leur son, mis à part quelques rares tics d’époque, est basé sur une certaine forme de nostalgie auditive. Seul point original (et agaçant, voire rédhibitoire pour certains), le chant de Kevin Rowland, toujours en quête de sommets dans les aigus, démarche vocale plutôt marginale dans les genres de musique noire dont il s’inspire (Curtis Mayfield ou Prince dans leur chant falsetto étant les exemples de voix qui peuvent être rapprochés de celui de Rowland). Mais qu’on aime ou pas ce style de voix, force est de reconnaître que le gars Rowland est un chanteur qui marque son territoire, et en plus (ce qui aide bien quand on veut être leader absolu d’un groupe) c’est quasiment l’unique pourvoyeur des titres du groupe.

Rowland est un control freak total. Non content d’écrire, de chanter, de gratouiller une six-cordes, de co-produire le disque (avec le duo Langer / Wistanley, producteurs des premiers Madness, autrement dit des types qui savent comment claquer des hits), d’être l’image du groupe (c’est lui of course tout seul sur la pochette), il impose un code vestimentaire à sa raya (entre les poulbots parisiens et les prolos des « Raisins de la colère »). Mercury mise sur lui et passe toutes ses tocades (voir la pochette, c’est Kevin Rowland & DMR), avant de clouer son cercueil quelques années plus tard (l’insuccès du successeur de « Too-Rye-Ay », « Don’t stand me now » en 1985, et la débandade des DMR qui en découlera, feront de Kevin Rowland une sorte de paria, et les multiples rééditions de « Too-Rye-Ay », si elles garderont la pochette originale, seront créditées dans le catalogue de Mercury aux DMR, exit Kevin Rowland …).

En résumé, y’a quoi dans « Too-Rye-Ay » ? « Come on Eileen », dernier titre du vinyle original, est plutôt atypique. C’est le morceau le plus « facile », le plus évident, le plus pop au sens noble du terme. C’est dans ce titre qu’on trouve les onomatopées « too-rye-ay » (entre autres) qui donnent le titre du disque. « Come on Eileen », c’est un titre à guitares où y’a pas de guitares, remplacées par les deux violons, et doté d’un pont mirifique à enseigner dans les écoles. Succès mérité et morceau indémodable aux paroles absconses (certains sourds ignorants ont prétendu qu’il était destiné à la violoniste, future compagne de Rowland, mais son prénom c’est Helen et pas Eileen).

Kevin Rowland & Helen O'Hara

Poursuivons l’exploration de la rondelle par les hits, puisqu’on a commencé … « The Celtic Soul Brothers », on peut le trouver too much. Too much le rythme quasi tachycardique, too much la voix suraigüe de Rowland, too much ces violons omniprésents. Reste que c’est malgré tout une entrée en matière qui ne passe pas inaperçue, et pas la façon la plus con de débuter un Lp. « Jackie Wilson said » est une reprise de Van Morrison (sur l’album « St Dominic Preview » de 1972, donc dans la « bonne » période de l’Irlandais, si tant est qu’il en a eu de vraiment mauvaises). C’est un grand single chez les DMR, autre hommage (après « Geno »), à un des soulmen américains plus ou moins oubliés des 60’s. Le titre est plein de breaks, de changements de rythmes, festif et entraînant, rien à redire sur son (trop modeste) succès. Parenthèse : hasard ou pas, Jackie Wilson resurgira au milieu des 80’s avec une reprise de son premier titre « Reet Petite » de 1957, boosté par un clip animé rigolo à base de pâte à modeler, qu’on verra beaucoup sur la jeune chaîne MTV.

Et les reste de « Too-Rye-Ay » ? C’est loin d’être du remplissage. « Let’s make this precious », c’est de la soul épique qui évite le piège du pompier, pompiérisme dans lequel n’est pas loin de tomber « All in all », et dans lequel finit par se vautrer le trop démonstratif « Until I believe in my soul », gâché par son intro à la flûte (Machucambos syndrome ?), son break jazzy, sa partie murmurée pour un verdict sans appel : maillon faible du disque …

Dans la case titres réussis, on peut mettre « Old », la ballade tire-larmes, celle que tu te chantes dans ta tête, seul au pub, bien bourré, parce que la garce est pas venue, ou pire, s’est barrée avec un autre … « Liars A to E » vaut le détour, mid-tempo soul qui grâce à ses chœurs féminins, pourrait même plaire aux amateurs de gospel …


L’ensemble remplit bien l’espace sonore (y’a une tripotée de musiciens, quelques machines discrètes, mais des vrais cuivres et s’il le faut des vieux bahuts genre Hammond B3). Une réserve pour les crincrins, même si elles sont que deux, on les entend en permanence, et si vous voulez mon avis, et si vous le voulez pas vous l’aurez quand même, si l’une des deux nanas (Helen O’Hara) n’avait pas été la copine du Kevin, je parie qu’on les aurait moins entendus … Même si pour jouer des machins tendance celtique, c’est l’instrument de base …

J’ai racheté le bestiau en Cd (réédition Mercury de 1996), qui présente plein de bonus et qui démontre deux trucs : y’avait pas grand-chose à rajouter au vinyle d’origine, un seul inédit tient la route (« TSOP » pour The sound of Philadelphia, hommage au Philly Sound et donc un peu hors-sujet sur « Too-Rye-Ay »). Plusieurs titres live qui montrent que si le groupe refait quasiment à la note près la version studio, ça fonctionne (« Jackie Wilson said »), mais quand il essaye d’étirer, de multiplier tempos et breaks, ça finit par lasser (« Come on Eileen » tout juste passable, une reprise du « Respect » d’Otis Franklin trop longue et trop brouillonne).

Malgré tout un des rares bons disques du millésime 82 qui n’a pas produit foule de grands crus …



Des mêmes sur ce blog : 

Searching For The Young Soul Rebels





FRANCOIS TRUFFAUT - LE DERNIER METRO (1980)

 

Le meilleur vers la fin ...

J’ai un point commun avec Depardieu … enfin, presque deux … j’aime bien le (bon) pinard, sans trop de modération, mais dans des proportions nettement moins pantagruéliques que le Gégé. Ce qui m’évite par exemple d’avoir des réflexions avinées sur la supposée humidité de l’entrejambe de cavalières nord-coréennes de dix ans … bon, je fais comme lui, je m’égare …

Revenons donc au point commun cinématographique avec le Gégé. Il avoue d’entrée, dans les bonus du Blu-ray du « Dernier métro », que quand Truffaut lui a proposé le rôle principal, il a pas sauté au plafond. Depardieu, il reconnaît du talent (et de l’importance) à Truffaut, mais toute sa filmo, qu’il s’agisse des « historiques » des débuts ou des années 60, ou des autres plus récents, ça le laissait assez froid. Perso, je pense que « Le dernier métro » est d’assez loin ce que Truffaut a fait de mieux. Pour plein de raisons, mais je vais pas comparer à ceux d’avant, je vais m’en tenir à celui-là …

Depardieu, Deneuve & Truffaut

« Le dernier métro », il fonctionne à plein de niveaux.

C’est un film sur les relations humaines, c’est un film sur les acteurs, c’est un film sur l’Occupation. Et quel que soit le côté de la lorgnette par lequel on l’appréhende, ou dans sa globalité, ça confine à la copie parfaite.

Mais avant le premier tour de manivelle (dans une usine désaffectée de la région parisienne transformée en studio), faut du boulot en amont. Un scénario dans lequel Truffaut s’est énormément impliqué, Paris occupé, il l’a connu dans son enfance (il est né en 1932). Il a mis son propre fric dans la production, il s’est entouré de proches (Delerue pour la musique, Jean-Louis Richard et Marcel Berbert, habitués de ses génériques, pour des seconds rôles). Et surtout, il a pris en tête d’affiche les deux meilleurs acteurs de l’époque, en voie d’icônisation. Deneuve est déjà la star féminine du cinéma français depuis presque deux décennies, et Depardieu depuis quelques années n’en finit plus de signer de grandes performances (dans l’année qui précède « Le dernier métro », on l’a vu dans des rôles principaux dans « Buffet froid » de Blier, « Mon oncle d’Amérique » de Resnais et « Loulou » de Pialat, rien que ça …). Le reste du casting est composé de « valeurs sûres » de l’époque (Andréa Ferréol, Jean Poiret, Paulette Dubost, Maurice Risch, et les petits « nouveaux », Sabine Haudepin, et une paire de scènes pour Richard Bohringer). J’ai pas cité (volontairement) dans la liste ci-dessus Heinz Bennent, pourtant troisième rôle majeur du film (Lucas Steiner), dont le personnage est plutôt passif et sous-employé, et pas interprété d’une façon transcendante.

Depardieu, Poiret, Deneuve & Haudepin

« Le dernier métro » c’est un film sur un triangle amoureux. Steiner et sa femme Marion (Deneuve), pourtant unis dans l’adversité, vont voir leur couple mis à mal avec l’arrivée de Bernard Granger (Depardieu). De regards fugaces en gênes réciproques, on voit les braises qui couvent se transformer en brasier, les baisers rapides, les gifles monumentales, avant l’aveu réciproque. Et un final équivoque, qui renvoie à Jules et Jim (le dernier plan), alors que Truffaut s’est déjà auto-cité (des répliques issues de « La sirène du Mississippi » sont la conclusion de la pièce de théâtre). Mais l’amour ne concerne pas que les acteurs principaux, les seconds rôles ont aussi leur vie affective (Andréa Ferréol est homosexuelle, occasionnellement en couple avec Sabine Haudepin, Jean Poiret est aussi homo, Maurice Risch aimerait se taper des gonzesses, il ne réussit qu’à se faire vamper par une voleuse qui en pince pour les beaux uniformes allemands, …).

« Le dernier métro », c’est un film sur les acteurs. Les acteurs de théâtre et leur « monde ». On ne compte plus déjà à l’époque les films sur le cinéma. Ceux sur le théâtre sont plus rares, et le parallèle (pour de multiples raisons) avec le Lubitsch de « To be or not to be » (« Jeux dangereux » en V.F.) est le plus évident. « Le dernier métro » nous montre tout le processus de création, de mise en scène, de répétitions, de gestion des espèces sonnantes et trébuchantes, … et aussi des égos qui se retrouvent et parfois s’affrontent en coulisses. Ce qui implique que les acteurs doivent jouer différemment dans le monde « réel » du film et ensuite sur les planches du théâtre, parfois à la suite dans la même scène. A ce jeu-là, Depardieu est impressionnant, et Deneuve, qui a une peur panique du théâtre et n’a jamais joué dans une seule pièce, s’en tire plus que bien. Le tout dans un contexte particulier, celui du Paris de 1942-1943, sous l’Occupation allemande.

Deneuve & Bennent

Et c’est à ce niveau-là que « Le dernier métro » est le meilleur. Les personnages principaux du film n’ont pas existé, la pièce qu’ils montent non plus, mais certaines scènes qu’ils jouent sont vraies et reposent sur des faits ou anecdotes historiques certifiées. Eléments validés (à une paire de détails mineurs près) dans les bonus par un historien (Jean-Pierre Azéma) spécialiste du Paris occupé . Le personnage historique central est Daxiat (interprété par Jean-Louis Richard), rédacteur en chef du journal pro-nazi « Je suis partout ». Ce journal (crée par Brasillach et quelques autres extême-droitards dans les années 30), a réellement existé et Daxiat est un pseudo juridique pour Alain Laubreaux (rédacteur omnipotent des pages culture, aux nombreuses accointances avec les miliciens, les gestapistes et la Wehrmacht, exilé en Espagne au moment du tournage et condamné à mort en France par contumace). Et la scène où Daxiat est pris à partie par Depardieu et finit par se faire rosser avec sa propre canne, est le copier-coller d’une vraie rouste infligée par Jean Marais à Laubreaux qui venait de dégommer dans « Je suis partout » la dernière pièce de Cocteau. Autre exemple de souci maniaque du détail, quand Marion Steiner se rend au QG des Allemands et demande à voir un officier supérieur, elle finit par apprendre qu’il vient de se suicider. L’historien, au vu des dates, a le vrai nom du type … ça, c’est pour le cours d’Histoire de haut niveau. Truffaut situe aussi tous ses personnages dans le Paris occupé des années 1942-1943, et nous montre tous les cas de figure. Ceux qui sont Résistants ou vont rejoindre la Résistance (Depardieu), les Juifs pourchassés (Lucas Steiner), et les retombées pour leur famille (Marion Steiner), les collabos (Daxiat), les débrouillards (Maurice Risch), les arrivistes (Sabine Haudepin, la copine de Risch), ceux qui ménagent la chèvre et le chou (Poiret), les miliciens (Bohringer), …

Le tout dans le contexte de l’époque (le dernier métro qui donne son titre au film, c’est la rame vers laquelle on se précipite avant minuit, heure du couvre-feu), avec le marché noir, les tickets de rationnement, les coupures d’électricité, les alertes de bombardement par les Anglais, … et puis, dans le milieu artistique bourgeois et friqué, ces virées toute la nuit (faut juste pas être dans la rue entre minuit et six heures du matin) dans les clubs chicos au milieu des denrées inaccessibles au vulgum pecus (champagne à volonté) et des gradés allemands …


Toute la réussite du « Dernier Métro », est due à son accessibilité (la lecture peut se faire à plusieurs niveaux, mais au premier degré, ça fonctionne déjà parfaitement), et Truffaut, novateur rétrograde, académiste révolutionnaire, signe ce qui est pour moi sa masterpiece. Depardieu, méfiant au début, est bluffé, se donne à fond, passe du queutard entreprenant de la première scène à l’amoureux sans espoir de sa partenaire tout en risquant gros avec ses machines infernales qu’il bricole et son engagement dans la Résistance. Truffaut décidera d’en faire son acteur fétiche, multipliera les projets pour lui, la maladie en décidera autrement, seule « La femme d’à côté » paraîtra. Deneuve, au sommet de sa beauté, trouve là un de ses meilleurs rôles, toute en incandescence glaciale, dans un personnage à la « Belle de jour ». Hormis Bennent, le reste du casting fait ce qu’il peut pour se hisser au niveau de ces deux grosses prestations.

Juste un (petit) reproche : la dernière scène (celle de l’hôpital) hésite (volontairement, on peut pas laisser passer de tels pains au montage) entre réel (quand Deneuve entre dans la salle commune, il y a un arrière plan « vivant », les gens se déplacent, fument dans le bâtiment derrière les fenêtres) et théâtre (quand elle rejoint Depardieu, l’arrière-plan est un décor), du coup le twist final perd un peu son effet …

« Le dernier métro » est le recordman absolu des César (dix). Ce qui ne veut pas forcément dire que c’est le meilleur film des quarante dernières années, mais que c’est tout de même un très grand film …


Du même sur ce blog : 

Tirez Sur Le Pianiste




CLAUDE CHABROL - UNE AFFAIRE DE FEMMES (1988)

 

Robert et Simone ...

Badinter et Veil … tous deux ont marqué le premier trimestre 2024. L’un parce qu’il est claqué et qu’on a rappelé à l’occasion que c’est lui qui avait mené le combat législatif pour l’abolition de la peine de mort. L’autre parce qu’elle aussi a mené une bataille législative pour légaliser l’IVG, gravée maintenant dans le marbre de la Constitution.

Chabrol et Huppert

De peine de mort et d’avortement, et aussi du Vichy de Pétain, il en est question dans « Une affaire de femmes » de Claude Chabrol. Qui signe là un de ses meilleurs films, voire peut-être son meilleur. Sans rien changer à sa méthode. Au moins un film par an et « en famille ». Que ce soit la sienne propre (sa femme Aurore au script, son fils Matthieu à la musique), où celle du milieu cinématographique qui l’accompagne régulièrement sur ses tournages (Isabelle Huppert son actrice fétiche, Marin Karmitz à la production, plein de « petites mains » genre machinistes, techniciens, …). Et pourtant chez Chabrol, les mêmes causes ne produisent pas toujours les mêmes effets. Il se laisse parfois aller à de « l’alimentaire », bâcle ses prises parce qu’il lui tarde d’aller au bon restau du coin où l’attendent force victuailles et bonnes bouteilles.

Le fait que « Une affaire de femmes » ait été tourné à Dieppe (une fois que t’es à Dieppe, la préoccupation principale c’est de t’en aller au plus vite) n’est même pas un handicap. Parce que le vieux gaucho Chabrol a de la « matière » : des thématiques fortes (guillotine, avortement, Vichy, les collabos). Et ces thématiques sont (en partie) servies par un bouquin de l’avocat controversé Francis Szpiner concernant « l’affaire Marie-Louise Giraud », faiseuse d’anges et condamnée à mort (et exécutée) pour cela en 1943. La partie « faits divers tragique » du film est calquée sur la vie et l’œuvre de Marie-Louise Giraud, les éléments « matrimoniaux » ont été rajoutés par Chabrol.

Huppert et Cluzet, peu ravis au lit ...

Ce qui frappe avec « Une affaire de femmes », c’est sa simplicité, son évidence, malgré un sujet, voire des sujets éminemment casse-gueule. Chabrol évite les grandes envolées pamphlétaires, il raconte une histoire, celle de Marie Latour (Isabelle Huppert, excellente comme bien souvent). C’est une jeune femme ordinaire qui sous la France occupée élève comme elle peut ses deux gosses pendant que leur père a été réquisitionné au STO. Le quotidien est pas folichon, et les assiettes pas souvent bien garnies lors des repas. Marie, pour se changer les idées, s’en va de temps en temps boire un canon au troquet du coin avec sa copine Rachel, où elles partagent leurs rêves, Marie se verrait bien chanteuse. Et puis un jour, Rachel disparaît et Marie découvre tout à coup ce que c’est qu’une rafle de Juifs, elle qui vivait quelque peu hors-sol, en tout cas loin de ces considérations.

Marie est aussi pote avec sa voisine, qui est enceinte et veut pas garder le gosse. Les deux se lancent de manière empirique dans une tentative d’avortement qui finalement réussit. Dès lors Marie va (sous le manteau, l’avortement étant considéré comme un crime) se trouver une vocation, et par là même arrondir ses fins de mois. Hasard des rencontres, elle devient amie avec une jeune prostituée, Lucie (Marie Trintignant).

Huppert & Trintignant

Tout commence par aller mieux, jusqu’à ce que, sans prévenir, Paul son mari (François Cluzet) revienne d’Allemagne. Très vite, on comprend les fêlures du couple entre elle, exubérante refoulée, et ce glaçon humain, lavasse sans conviction. L’origine du fric facile dont il profite (les « talents » de Marie sont souvent demandés, le cash rentre, le couple et ses mouflets déménagent dans un appartement plus cossu, une chambre est même louée à Lucie qui y vient y faire ses passes) ne le dérange pas beaucoup, il plastronne parce qu’il a troqué ses fringues élimées contre une rutilante tenue chemise-cravate-veston. Le seul truc qu’il ne supportera pas, c’est que Marie trouve une alternative à sa virilité défaillante en s’amourachant d’un arrogant jeune collabo, « client » de Lucie. La découverte des deux amants enlacés sera le point de rupture dans l’histoire et dans le film.

Jusque-là, Chabrol nous montrait d’une façon sérieuse (« Une affaire de femmes », c’est pas « La traversée de Paris ») les tribulations de Marie dans sa ville portuaire moche, vivant sa vie, indifférente au contexte de l’époque. C’est au retour de son premier cours de chant, la tête pleine des compliments de sa professeur alors qu’elle se voit déjà triompher sur les planches des scènes parisiennes, que la réalité de 1943 va la rattraper, sous la forme de deux flics-miliciens qui viennent l’arrêter devant ses gosses en train de jouer dans la cour de l’immeuble. Là, dans le dernier quart du film, Chabrol va devenir enragé, peindre un portrait au vitriol de la France pétainiste à travers ses tribunaux, ses juges et procureurs retors, ses avocats sous pression, son milieu carcéral infect. Quand Marie comprend que ce n’est pas une banale punition qu’elle risque, mais sa tête, il est trop tard. Elle aura cette terrible tirade, les yeux embués de larmes, qui fera bien évidemment scandale : « Je vous salue Marie pleine de merde, et le fruit vos entrailles est pourri ». Les cathos intégristes vont multiplier les cris d’orfraie, manifester devant les cinémas, intenter des procédures … du classique, quoi … Bon, faut pas non plus culpabiliser à l’excès, y’a pas que ceux qui se croient « bon Français » qui ont vu rouge, les Américains avec à leur tête un Bush père fraîchement élu, ont refusé de distribuer le film chez eux, un film pourtant célébré dans nombre de festivals européens. Le producteur Marin Karmitz en sera réduit à monter sa propre société de distribution internationale, MK2, pour que le film soit visible aux States.


Le final, crispant, n’a rien à envier à celui de « Dancer in the dark » de Lars Von Trier. Chabrol, comme dans tous ses grands films (« Le boucher », « La cérémonie ») abandonne son côté bonhomme pour devenir l’observateur à l’œil aiguisé des pires travers de cette société bourgeoise bien-pensante qu’il déteste.

Un seul bémol, d’ordre purement technique. On le sait, Chabrol se prenait pas le chou avec des mouvements tarabiscotés de caméra, son obsession était de faire « simple ». « Une affaire de femmes » présente à l’origine une image assez terne, granuleuse, baveuse. Je croyais que j’allais arranger ça en achetant une version Blu-ray. Ben believe me, niveau image, c’est le pire Blu-ray que j’aie jamais vu, on se croirait devant une VHS des années 70. Pourtant l’édition vient de chez Carlotta-MK2, généralement plus « sérieux » sur les galettes qu’ils mettent en vente.

Chef-d’œuvre quand même…