The final cut ...
John Huston est un géant du cinéma. Avis ferme, définitif et surtout incontestable. De son premier film (« Le faucon maltais », rien que ça), à « L’honneur des Prizzi » son dernier en date, il a une filmographie éloquente quand il s’attaque à « Gens de Dublin ».
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John Huston, Anjelica Huston & Donal McCann |
Sauf que là, il est face à quelques problèmes. Il
sait, rongé par la maladie depuis des années, que « Gens de Dublin »
sera son dernier film. D’ailleurs, il sera mort avant que son film sorte en
salles à l’automne 1987. Et cette mort qu’il voit venir, elle est au centre du
film. D’ailleurs en V.O. il s’appelle « The dead », ce qui est assez
peu elliptique.
Le film est adapté d’une nouvelle éponyme de James Joyce, retranscrite à quelques détails près de façon très fidèle. Comme chacun (?) le sait Joyce était Irlandais, très attaché à son pays, et Huston a tenu à ce que le film soit tourné en Irlande, avec une très grosse partie du casting irlandais. Seule sa fille Anjelica et un petit second rôle anglais ne sont pas des locaux. Sauf que tout ne se passera pas comme prévu. Huston est en fauteuil roulant, sous oxygène, et seuls les quelques rares extérieurs seront tournés à Dublin et sa proche campagne par son fils Danny. Son état de santé de plus en plus en plus dégradé obligera toute l’équipe du film à tourner dans des studios californiens. C’est à ce genre de détails qu’on reconnaît l’obstination de Huston, parce que quasiment tout le film se passe en intérieurs, mais il aurait voulu que cette histoire intimiste située par Joyce dans le Dublin de 1904 soit tournée en Irlande.
« Gens de Dublin » est un film
crépusculaire. Et pas seulement parce qu’il se passe pendant une soirée et une
nuit. Même si le titre trouvera son explication rationnelle dans les dernières
scènes, tout ce qui a précédé nous montre un monde agonisant.
Le jour de l’Epiphanie 1904, comme chaque année ce
jour-là, des invités se rendent dans une maison de petites bourgeoises, chez
deux sœurs d’au moins la soixantaine et leur nièce. Soirée qui se veut
mondaine, où se presse une société qui s’est mise sur son 31 pour l’occasion.
Convives plutôt âgés, la moyenne étant un peu abaissée par la présence de
quelques jeunes (mais plutôt vieux dans leurs têtes), venus là pour tâter du
piano, chanter et danser. Evidemment, on n’est pas dans l’ambiance rave party,
la musique c’est du classique ou du religieux, idem pour les danses, chants et
poèmes qui occupent l’assistance (une quinzaine de personnes au total), le
temps que tous les convives arrivent et boivent un verre (ou plusieurs, on y
reviendra) avant de passer à table.
Très vite, hormis les trois maîtresses de maison, quatre personnes sont mises en avant : un couple, les Conroy (Anjelica Huston et Donal McCann), Freddy (Donal Donnelly) le fils d’une amie de la famille, et Dan Browne (Dan O’Herlihy) un protestant, seul au milieu de tous les cathos. On voit vite que chez les Conroy on s’épie, on se surveille et que tout ne va pas pour le mieux dans le couple, que Freddy, ivrogne réputé est déjà bourré en arrivant, et que le vieux Mr Browne lève facilement le coude à l’apéro.
Quand tout ce petit monde passe à table, on pourrait
s’attendre, comme plus tard dans l’extraordinaire « Festen » de Thomas
Vintenberg, à ce que tout parte en vrille. Mais on sait se tenir chez les
petits bourgeois de Dublin en 1904. Et chacun y va de sa petite minauderie, sa
petite digression, son discours pompeux et ringard, pour maintenir toute la
bienséance qui s’impose. Ce qui scénaristiquement est fort bien vu, mais laisse
l’impression (le titre en V.O.) qu’il y a un « ancien monde »,
corseté dans ses traditions qui est en train de mourir. Une femme invitée
ancienne amante de Conroy, part avant le repas, pour aller assister à une
réunion « politique » (républicaine irlandaise ? suffragette ?).
Toute cette assemblée, percluse par ses règles d’un autre siècle, on la sent
prête à disparaître, la plupart sinon la totalité des discussions, resassent
que oui, c’était bien mieux avant (la plupart des convives sont férus de
musique et de chanteurs classiques, Caruso suscite chez eux bien d’interrogations
dubitatives, alors que les vieilles gloires chantantes locales sont évoquées
avec des trémolos dans la voix).
Il faut bien avouer qu’arrivé dans ces conditions au bout d’une heure (c’est-à-dire aux trois quarts du film), on commence quand même à trouver le temps un peu long. C’est finement joué (la plupart du casting vient du théâtre), mais on voit mal ce qui pourrait raviver l’attention.
Il faut attendre le départ des convives et une
chanson traditionnelle poussée par un ténor (la star chantante de la soirée,
qui avait jusque là prétexté l’économie de sa voix pour ne pas pousser la
goualante), pour voir Mme Conroy se raidir, s’arrêter net dans l’escalier et
être fortement troublée par cette rengaine. Dès lors, dans les dernières vingt
minutes, Huston se concentrera sur le couple Conroy rentré à son hôtel et on
comprendra pourquoi une simple chanson traditionnelle peut faire ressurgir
plein de souvenirs, on s’en doute pas forcément gais …
Je connais pas suffisamment la filmo de Huston (y’a
du boulot, des dizaines de films) pour l’affirmer catégoriquement, mais « Les
gens de Dublin » a peu à voir avec les pièces majeures de son œuvre, au
moins au niveau du rythme. Il se passe pas vraiment grand-chose en une heure
vingt, et tout le casting disparaît pour laisser Anjelica Huston et Donal McCann
dans leur face-à-face. Et là on retrouve cette fascination pour les personnages
tragiques qui comptent tant chez Huston.
Renforcé par la décence qu’imposait la mort de
Huston, « Gens de Dublin » a reçu un bon accueil (critique, c’est pas
avec des films comme ça que tu remplis les salles). Alors oui, c’est un clap de
fin honnête et digne, un bon Huston mais pas un « grand » Huston …