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FRANCOIS TRUFFAUT - LE DERNIER METRO (1980)

 

Le meilleur vers la fin ...

J’ai un point commun avec Depardieu … enfin, presque deux … j’aime bien le (bon) pinard, sans trop de modération, mais dans des proportions nettement moins pantagruéliques que le Gégé. Ce qui m’évite par exemple d’avoir des réflexions avinées sur la supposée humidité de l’entrejambe de cavalières nord-coréennes de dix ans … bon, je fais comme lui, je m’égare …

Revenons donc au point commun cinématographique avec le Gégé. Il avoue d’entrée, dans les bonus du Blu-ray du « Dernier métro », que quand Truffaut lui a proposé le rôle principal, il a pas sauté au plafond. Depardieu, il reconnaît du talent (et de l’importance) à Truffaut, mais toute sa filmo, qu’il s’agisse des « historiques » des débuts ou des années 60, ou des autres plus récents, ça le laissait assez froid. Perso, je pense que « Le dernier métro » est d’assez loin ce que Truffaut a fait de mieux. Pour plein de raisons, mais je vais pas comparer à ceux d’avant, je vais m’en tenir à celui-là …

Depardieu, Deneuve & Truffaut

« Le dernier métro », il fonctionne à plein de niveaux.

C’est un film sur les relations humaines, c’est un film sur les acteurs, c’est un film sur l’Occupation. Et quel que soit le côté de la lorgnette par lequel on l’appréhende, ou dans sa globalité, ça confine à la copie parfaite.

Mais avant le premier tour de manivelle (dans une usine désaffectée de la région parisienne transformée en studio), faut du boulot en amont. Un scénario dans lequel Truffaut s’est énormément impliqué, Paris occupé, il l’a connu dans son enfance (il est né en 1932). Il a mis son propre fric dans la production, il s’est entouré de proches (Delerue pour la musique, Jean-Louis Richard et Marcel Berbert, habitués de ses génériques, pour des seconds rôles). Et surtout, il a pris en tête d’affiche les deux meilleurs acteurs de l’époque, en voie d’icônisation. Deneuve est déjà la star féminine du cinéma français depuis presque deux décennies, et Depardieu depuis quelques années n’en finit plus de signer de grandes performances (dans l’année qui précède « Le dernier métro », on l’a vu dans des rôles principaux dans « Buffet froid » de Blier, « Mon oncle d’Amérique » de Resnais et « Loulou » de Pialat, rien que ça …). Le reste du casting est composé de « valeurs sûres » de l’époque (Andréa Ferréol, Jean Poiret, Paulette Dubost, Maurice Risch, et les petits « nouveaux », Sabine Haudepin, et une paire de scènes pour Richard Bohringer). J’ai pas cité (volontairement) dans la liste ci-dessus Heinz Bennent, pourtant troisième rôle majeur du film (Lucas Steiner), dont le personnage est plutôt passif et sous-employé, et pas interprété d’une façon transcendante.

Depardieu, Poiret, Deneuve & Haudepin

« Le dernier métro » c’est un film sur un triangle amoureux. Steiner et sa femme Marion (Deneuve), pourtant unis dans l’adversité, vont voir leur couple mis à mal avec l’arrivée de Bernard Granger (Depardieu). De regards fugaces en gênes réciproques, on voit les braises qui couvent se transformer en brasier, les baisers rapides, les gifles monumentales, avant l’aveu réciproque. Et un final équivoque, qui renvoie à Jules et Jim (le dernier plan), alors que Truffaut s’est déjà auto-cité (des répliques issues de « La sirène du Mississippi » sont la conclusion de la pièce de théâtre). Mais l’amour ne concerne pas que les acteurs principaux, les seconds rôles ont aussi leur vie affective (Andréa Ferréol est homosexuelle, occasionnellement en couple avec Sabine Haudepin, Jean Poiret est aussi homo, Maurice Risch aimerait se taper des gonzesses, il ne réussit qu’à se faire vamper par une voleuse qui en pince pour les beaux uniformes allemands, …).

« Le dernier métro », c’est un film sur les acteurs. Les acteurs de théâtre et leur « monde ». On ne compte plus déjà à l’époque les films sur le cinéma. Ceux sur le théâtre sont plus rares, et le parallèle (pour de multiples raisons) avec le Lubitsch de « To be or not to be » (« Jeux dangereux » en V.F.) est le plus évident. « Le dernier métro » nous montre tout le processus de création, de mise en scène, de répétitions, de gestion des espèces sonnantes et trébuchantes, … et aussi des égos qui se retrouvent et parfois s’affrontent en coulisses. Ce qui implique que les acteurs doivent jouer différemment dans le monde « réel » du film et ensuite sur les planches du théâtre, parfois à la suite dans la même scène. A ce jeu-là, Depardieu est impressionnant, et Deneuve, qui a une peur panique du théâtre et n’a jamais joué dans une seule pièce, s’en tire plus que bien. Le tout dans un contexte particulier, celui du Paris de 1942-1943, sous l’Occupation allemande.

Deneuve & Bennent

Et c’est à ce niveau-là que « Le dernier métro » est le meilleur. Les personnages principaux du film n’ont pas existé, la pièce qu’ils montent non plus, mais certaines scènes qu’ils jouent sont vraies et reposent sur des faits ou anecdotes historiques certifiées. Eléments validés (à une paire de détails mineurs près) dans les bonus par un historien (Jean-Pierre Azéma) spécialiste du Paris occupé . Le personnage historique central est Daxiat (interprété par Jean-Louis Richard), rédacteur en chef du journal pro-nazi « Je suis partout ». Ce journal (crée par Brasillach et quelques autres extême-droitards dans les années 30), a réellement existé et Daxiat est un pseudo juridique pour Alain Laubreaux (rédacteur omnipotent des pages culture, aux nombreuses accointances avec les miliciens, les gestapistes et la Wehrmacht, exilé en Espagne au moment du tournage et condamné à mort en France par contumace). Et la scène où Daxiat est pris à partie par Depardieu et finit par se faire rosser avec sa propre canne, est le copier-coller d’une vraie rouste infligée par Jean Marais à Laubreaux qui venait de dégommer dans « Je suis partout » la dernière pièce de Cocteau. Autre exemple de souci maniaque du détail, quand Marion Steiner se rend au QG des Allemands et demande à voir un officier supérieur, elle finit par apprendre qu’il vient de se suicider. L’historien, au vu des dates, a le vrai nom du type … ça, c’est pour le cours d’Histoire de haut niveau. Truffaut situe aussi tous ses personnages dans le Paris occupé des années 1942-1943, et nous montre tous les cas de figure. Ceux qui sont Résistants ou vont rejoindre la Résistance (Depardieu), les Juifs pourchassés (Lucas Steiner), et les retombées pour leur famille (Marion Steiner), les collabos (Daxiat), les débrouillards (Maurice Risch), les arrivistes (Sabine Haudepin, la copine de Risch), ceux qui ménagent la chèvre et le chou (Poiret), les miliciens (Bohringer), …

Le tout dans le contexte de l’époque (le dernier métro qui donne son titre au film, c’est la rame vers laquelle on se précipite avant minuit, heure du couvre-feu), avec le marché noir, les tickets de rationnement, les coupures d’électricité, les alertes de bombardement par les Anglais, … et puis, dans le milieu artistique bourgeois et friqué, ces virées toute la nuit (faut juste pas être dans la rue entre minuit et six heures du matin) dans les clubs chicos au milieu des denrées inaccessibles au vulgum pecus (champagne à volonté) et des gradés allemands …


Toute la réussite du « Dernier Métro », est due à son accessibilité (la lecture peut se faire à plusieurs niveaux, mais au premier degré, ça fonctionne déjà parfaitement), et Truffaut, novateur rétrograde, académiste révolutionnaire, signe ce qui est pour moi sa masterpiece. Depardieu, méfiant au début, est bluffé, se donne à fond, passe du queutard entreprenant de la première scène à l’amoureux sans espoir de sa partenaire tout en risquant gros avec ses machines infernales qu’il bricole et son engagement dans la Résistance. Truffaut décidera d’en faire son acteur fétiche, multipliera les projets pour lui, la maladie en décidera autrement, seule « La femme d’à côté » paraîtra. Deneuve, au sommet de sa beauté, trouve là un de ses meilleurs rôles, toute en incandescence glaciale, dans un personnage à la « Belle de jour ». Hormis Bennent, le reste du casting fait ce qu’il peut pour se hisser au niveau de ces deux grosses prestations.

Juste un (petit) reproche : la dernière scène (celle de l’hôpital) hésite (volontairement, on peut pas laisser passer de tels pains au montage) entre réel (quand Deneuve entre dans la salle commune, il y a un arrière plan « vivant », les gens se déplacent, fument dans le bâtiment derrière les fenêtres) et théâtre (quand elle rejoint Depardieu, l’arrière-plan est un décor), du coup le twist final perd un peu son effet …

« Le dernier métro » est le recordman absolu des César (dix). Ce qui ne veut pas forcément dire que c’est le meilleur film des quarante dernières années, mais que c’est tout de même un très grand film …


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Tirez Sur Le Pianiste




CLAUDE CHABROL - UNE AFFAIRE DE FEMMES (1988)

 

Robert et Simone ...

Badinter et Veil … tous deux ont marqué le premier trimestre 2024. L’un parce qu’il est claqué et qu’on a rappelé à l’occasion que c’est lui qui avait mené le combat législatif pour l’abolition de la peine de mort. L’autre parce qu’elle aussi a mené une bataille législative pour légaliser l’IVG, gravée maintenant dans le marbre de la Constitution.

Chabrol et Huppert

De peine de mort et d’avortement, et aussi du Vichy de Pétain, il en est question dans « Une affaire de femmes » de Claude Chabrol. Qui signe là un de ses meilleurs films, voire peut-être son meilleur. Sans rien changer à sa méthode. Au moins un film par an et « en famille ». Que ce soit la sienne propre (sa femme Aurore au script, son fils Matthieu à la musique), où celle du milieu cinématographique qui l’accompagne régulièrement sur ses tournages (Isabelle Huppert son actrice fétiche, Marin Karmitz à la production, plein de « petites mains » genre machinistes, techniciens, …). Et pourtant chez Chabrol, les mêmes causes ne produisent pas toujours les mêmes effets. Il se laisse parfois aller à de « l’alimentaire », bâcle ses prises parce qu’il lui tarde d’aller au bon restau du coin où l’attendent force victuailles et bonnes bouteilles.

Le fait que « Une affaire de femmes » ait été tourné à Dieppe (une fois que t’es à Dieppe, la préoccupation principale c’est de t’en aller au plus vite) n’est même pas un handicap. Parce que le vieux gaucho Chabrol a de la « matière » : des thématiques fortes (guillotine, avortement, Vichy, les collabos). Et ces thématiques sont (en partie) servies par un bouquin de l’avocat controversé Francis Szpiner concernant « l’affaire Marie-Louise Giraud », faiseuse d’anges et condamnée à mort (et exécutée) pour cela en 1943. La partie « faits divers tragique » du film est calquée sur la vie et l’œuvre de Marie-Louise Giraud, les éléments « matrimoniaux » ont été rajoutés par Chabrol.

Huppert et Cluzet, peu ravis au lit ...

Ce qui frappe avec « Une affaire de femmes », c’est sa simplicité, son évidence, malgré un sujet, voire des sujets éminemment casse-gueule. Chabrol évite les grandes envolées pamphlétaires, il raconte une histoire, celle de Marie Latour (Isabelle Huppert, excellente comme bien souvent). C’est une jeune femme ordinaire qui sous la France occupée élève comme elle peut ses deux gosses pendant que leur père a été réquisitionné au STO. Le quotidien est pas folichon, et les assiettes pas souvent bien garnies lors des repas. Marie, pour se changer les idées, s’en va de temps en temps boire un canon au troquet du coin avec sa copine Rachel, où elles partagent leurs rêves, Marie se verrait bien chanteuse. Et puis un jour, Rachel disparaît et Marie découvre tout à coup ce que c’est qu’une rafle de Juifs, elle qui vivait quelque peu hors-sol, en tout cas loin de ces considérations.

Marie est aussi pote avec sa voisine, qui est enceinte et veut pas garder le gosse. Les deux se lancent de manière empirique dans une tentative d’avortement qui finalement réussit. Dès lors Marie va (sous le manteau, l’avortement étant considéré comme un crime) se trouver une vocation, et par là même arrondir ses fins de mois. Hasard des rencontres, elle devient amie avec une jeune prostituée, Lucie (Marie Trintignant).

Huppert & Trintignant

Tout commence par aller mieux, jusqu’à ce que, sans prévenir, Paul son mari (François Cluzet) revienne d’Allemagne. Très vite, on comprend les fêlures du couple entre elle, exubérante refoulée, et ce glaçon humain, lavasse sans conviction. L’origine du fric facile dont il profite (les « talents » de Marie sont souvent demandés, le cash rentre, le couple et ses mouflets déménagent dans un appartement plus cossu, une chambre est même louée à Lucie qui y vient y faire ses passes) ne le dérange pas beaucoup, il plastronne parce qu’il a troqué ses fringues élimées contre une rutilante tenue chemise-cravate-veston. Le seul truc qu’il ne supportera pas, c’est que Marie trouve une alternative à sa virilité défaillante en s’amourachant d’un arrogant jeune collabo, « client » de Lucie. La découverte des deux amants enlacés sera le point de rupture dans l’histoire et dans le film.

Jusque-là, Chabrol nous montrait d’une façon sérieuse (« Une affaire de femmes », c’est pas « La traversée de Paris ») les tribulations de Marie dans sa ville portuaire moche, vivant sa vie, indifférente au contexte de l’époque. C’est au retour de son premier cours de chant, la tête pleine des compliments de sa professeur alors qu’elle se voit déjà triompher sur les planches des scènes parisiennes, que la réalité de 1943 va la rattraper, sous la forme de deux flics-miliciens qui viennent l’arrêter devant ses gosses en train de jouer dans la cour de l’immeuble. Là, dans le dernier quart du film, Chabrol va devenir enragé, peindre un portrait au vitriol de la France pétainiste à travers ses tribunaux, ses juges et procureurs retors, ses avocats sous pression, son milieu carcéral infect. Quand Marie comprend que ce n’est pas une banale punition qu’elle risque, mais sa tête, il est trop tard. Elle aura cette terrible tirade, les yeux embués de larmes, qui fera bien évidemment scandale : « Je vous salue Marie pleine de merde, et le fruit vos entrailles est pourri ». Les cathos intégristes vont multiplier les cris d’orfraie, manifester devant les cinémas, intenter des procédures … du classique, quoi … Bon, faut pas non plus culpabiliser à l’excès, y’a pas que ceux qui se croient « bon Français » qui ont vu rouge, les Américains avec à leur tête un Bush père fraîchement élu, ont refusé de distribuer le film chez eux, un film pourtant célébré dans nombre de festivals européens. Le producteur Marin Karmitz en sera réduit à monter sa propre société de distribution internationale, MK2, pour que le film soit visible aux States.


Le final, crispant, n’a rien à envier à celui de « Dancer in the dark » de Lars Von Trier. Chabrol, comme dans tous ses grands films (« Le boucher », « La cérémonie ») abandonne son côté bonhomme pour devenir l’observateur à l’œil aiguisé des pires travers de cette société bourgeoise bien-pensante qu’il déteste.

Un seul bémol, d’ordre purement technique. On le sait, Chabrol se prenait pas le chou avec des mouvements tarabiscotés de caméra, son obsession était de faire « simple ». « Une affaire de femmes » présente à l’origine une image assez terne, granuleuse, baveuse. Je croyais que j’allais arranger ça en achetant une version Blu-ray. Ben believe me, niveau image, c’est le pire Blu-ray que j’aie jamais vu, on se croirait devant une VHS des années 70. Pourtant l’édition vient de chez Carlotta-MK2, généralement plus « sérieux » sur les galettes qu’ils mettent en vente.

Chef-d’œuvre quand même…


PAUL VERHOEVEN - LE QUATRIEME HOMME (1983)

 

Veuve noire et instinct basique ...

« Le quatrième homme » est le dernier film exclusivement néerlandais de Paul Verhoeven. Le suivant (« La chair et le sang ») sera un financement européen, lui vaudra un petit succès controversé (tout est dit dans le titre) et lui ouvrira les portes d’Hollywood avec des succès souvent accompagnés d’un arrière-goût de soufre au box office.

Paul Verhoeven, Jeroen Krabbé & Renée Soutendijk

Bon, soufre et Verhoeven, c’est un classique de la rime cinématographique. Quasiment tous ses films prêtent à controverse(s). Sauf un, « Le choix du destin » en français (« Soldaat van Oranje » chez les Bataves). Souvent considéré comme le plus grand film néerlandais de tous les temps, on a au contraire plutôt reproché à cette fresque sur la Seconde Guerre Mondiale vue et vécue par un groupe de jeunes potes néerlandais, d’être trop lisse, trop convenue, trop consensuelle (ce qui ne sera pas le cas presque trente ans plus tard de son quasi jumeau – du moins par la thématique – « Black book »). Parce que Verhoeven, à ses débuts, c’était des films provos, plus ou moins drôles, en tout cas loin du consensuel. Et donc le Paulo, pour ce qui allait constituer ses adieux cinématographiques au pays qui l’avait vu naître, va pas y aller avec le dos de la cuillère … If you want blood et full frontal nudity (des mecs, des nanas, des mecs et des nanas, des mecs ensemble, …) vous allez être servis.

Si vous voulez des rapports impies avec la religion, aussi. Tiens, vous vous souvenez du clip de Madonna « Like a prayer » (gros succès et gros scandale en 89) ? On y voyait la Louise lécher les pieds d’un Christ (noir par-dessus le marché) avant de se livrer à une danse peu catholique tout nombril en avant. Si vous voulez mon avis, elle a dû voir « Le quatrième homme », où l’on voit l’acteur principal, embrasser dans une église les jambes en bois sombre du Christ crucifié, jambes qui deviennent celles d’un éphèbe en slip, slip qui va vite finir sur ses chevilles, et comme le héros est un homo, je vous raconte pas la suite (non, vous risquez d’être surpris, c’est pas ce que vous croyez …).

« Le quatrième homme » commence par un écran noir de presque une minute, sur fond de musique synthétique glaciale. Les premières images nous montrent une araignée (une veuve noire) prendre et tuer trois moucherons dans sa toile avec en surimposition le générique qui défile en lettres rouge sang. Quand le générique est terminé, la caméra va un peu plus bas sur la droite, où trône sur un meuble une petite statue de la Vierge, et poursuivant son chemin, vers un lit où se réveille un type. Qui se réveille super gueule de bois, mains tremblantes et bite pendante, descend au rez-de-chaussée où un blondinet joue du violon. Le gars étrangle le violoniste. Seconde scène, le gars est en bas de l’escalier, on comprend qu’il est en couple avec le violoniste, et il lui annonce qu’il est à la bourre pour partir donner une conférence. La première scène de l’étranglement était donc un cauchemar. Et des rêves, des cauchemars ou des visions prémonitoires, tout le film en est farci, et tout est fait pour que le spectateur ne sache pas s’il s’agit de rêves ou de réalités, c’est généralement la scène suivante qui nous l’indique. Le procédé n’est évidemment pas nouveau, c’est sa multiplication qui en fait l’originalité.

Le mec à la gueule de bois (sacré picoleur, ça lui jouera des tours) est un écrivain, Gérard Rêve (inspiré d’un vrai écrivain néerlandais controversé, forcément controversé tout comme Verhoeven qui s’appelle Gerard Reve ouais, Verhoeven a fait – volontairement - un jeu de mots sur le nom et un des axes majeurs du film que seuls les Français peuvent comprendre). Le Gérard prend un journal au kiosque de la gare, et en bon homo à la recherche d’un p’tit coup, tourne autour d’un éphèbe en train de mater un mag porno (féminin), monte dans son train, où une blonde avec un nourrisson lui inspire d’autres visions sanglantes. Pour vous dire que Verhoeven a fait profond dans la réflexion, cette blonde qui retrouvera son Jules à la descente du train, c’est la Vierge Marie (elle servira plusieurs fois de guide et/ou d’ange gardien à Gérard), son mari c’est Dieu et son bambin, of course Jésus (c’est Verhoeven qui le dit, l’ange gardien j’avais compris, la Trinité, ça m’avait échappé). Faut dire que Verhoeven multiplie plein d’allusions, souvent de l’ordre du subliminal ou de l’ésotérique (que ceux qui pigent toutes les symboliques du film au premier coup se fassent connaître, y’a rien à gagner), comme une réponse à ceux qui l’avaient accusé de faire du cinéma « léger ».

Les choses deviennent plus simples lorsque le Gerard se fait vamper à sa conférence par Christine (là encore, étymologie du prénom, alors que c’est elle le personnage diabolique – ou pas – du film) une sublime blonde androgyne en rouge (forcément en rouge, c’est la couleur dominante du film) silhouette et coiffure à la Sylvie Vartan des années 80, 90, ou plus tard, je sais pas, j’ai jamais été fan des voix bulgares, surtout chantées faux … Elle l’amène chez lui, il réussit à la sauter (difficilement, mais il est un peu bi à ses heures perdues). Elle est veuve, riche, propriétaire d’un institut de beauté (le Sphinx, doté d’une enseigne en néons, mais y’en a qui marchent pas, on lit Spin, faut avoir fait néerlandais en première langue pour savoir que spin, ça veut dire araignée). Et elle fume des Dunhill International. Et là vous vous demandez pourquoi je cause des Dunhill Inter ? Ben facile, c’est les clopes que moi je fume … A partir de cette nuit passée ensemble, whisky aidant, les rêves ou pas, cauchemardesques ou prémonitoires vont se multiplier pour le Gérard. Avec un enchaînement croquignolet de trois vaches encore saignantes pendues dans un mausolée au-dessus de jarres contenant leur sang, avec une quatrième jarre en attente. La scène suivante, Gerard se réveille, commence à caresser Christine, qui saisit une grosse paire de ciseaux et … ben oui, vous avez deviné …

Evidemment, toutes ces visions prendront sens quand Gerard découvrira que Christine a été mariée trois fois et s’est retrouvée veuve trois fois. Des bobines de Super 8 trouvées dans un secrétaire laissent à penser qu’elle est peut-être bien pour quelque chose dans la mort de ses trois époux. Dès lors, Gérard serait-il le quatrième ?

A ce stade, y’a un titre de film qui clignote, celui de « Basic instinct », de, tiens comme c’est bizarre, Paul Verhoeven. Ben oui, d’ailleurs il s’en cache pas, le personnage de Cathy Tramell est un décalque de celui de Christine dans « Le Quatrième Homme », Verhoeven a toujours eu tendance à se plagier …

« Le Quatrième Homme » plutôt concis (une centaine de minutes), n’en reste pas moins un pavé. Et comme tous les pavés, quand tu le prends dans la gueule, tu trouves que c’est lourd. Il embrasse plein de genres (le polar, le thriller, le psychologique, l’érotique) multiplie des symboliques parfois absconses et donc pas faciles à suivre. Les deux acteurs principaux (Jeroen Krabbé et Renée Soutendijk) font partie des habitués de la période européenne de Verhoeven. Ils tenteront eux aussi une carrière américaine, avec nettement moins de succès (pour être gentil) que leur metteur en scène.

« Le Quatrième Homme » au vu de ce que je connais de la filmo de Verhoeven, est certainement son plus glauque. Mais pas son meilleur, tant le hollandais violent semble se bonifier dans ses vieux jours. « Black book », « Elle » et « Benedetta » sont pas mal du tout, mais désolé Paulo, j’ai jamais été fan de tes succès intergalactiques genre « Robocop », « Total recall » ou « Basic instinct » …


ZHANG YIMOU - LE SORGHO ROUGE (1987)

 

Une couleur : rouge ...

« Le sorgho rouge » est le premier film de Zhang Yimou. Et de Gong Li. C’est le film qui les a révélés au monde dit libre (Ours d’Or au festival de Berlin en 1988, ce qui n’est pas une petite récompense). C’est aussi le film qui a annoncé le début d’un renouveau du cinéma chinois, après des décennies de mise en images de la propagande communiste.

Gong Li, Mo Yan, Jiang Wen, Zhang Yimou

« Le sorgho rouge » c’est un film qui comme son pays d’origine, la Chine, cherche « l’ouverture » vers l’Occident, mais se base sur la tradition et les traditions. La tradition historique de la Chine (communiste ou pas) et de son meilleur ennemi japonais, qui a plusieurs fois envahi le continent, d’où la haine séculaire des Chinois pour le voisin insulaire. L’invasion débutée par le Japon en 1937 sera au cœur du dernier tiers du film. Les traditions, on les retrouvera pendant des décennies dans le cinéma asiatique (au sens large, de l’Inde à la Corée, en passant par la Chine et le Japon), où une grande part des scénarios met (souvent exagérément) en avant les histoires, contes, légendes, us et coutumes locales.

Dans « Le sorgho rouge » l’histoire débute en 1929 et se termine dix ans plus tard. Elle est narrée en voix off par le petit fils de l’héroïne (dans la version sous-titrée en français, c’est « grand-mère », en V.O. elle a un nom et un prénom). On ne voit jamais le narrateur. Bon, on s’en passe, il vaut mieux voir Grand-Mère, interprétée par la sublime Gong Li, vingt-deux ans et dont c’est le premier film. Faut préciser qu’être la compagne de Zhang l’a quelque peu aidée à obtenir le premier rôle. Zhang a une quinzaine d’année de plus, et est un directeur de la photo quasiment attitré d’une gloire oubliée et oubliable, un cacique du cinéma de propagande dont j’ai la flemme de rechercher le nom. « Le sorgho rouge » est basé sur deux nouvelles d’un futur Prix Nobel de littérature (en 2012), Mo Yan. C’est au niveau de ces deux sources du scénario que le bât blesse un peu. La transition est abrupte entre les deux parties du film, une paire de personnages secondaires ayant eu des évolutions passées sous silence, quelques intrigues développées dans la première partie sont abandonnées …

Gong Li

Gong Li est la neuvième fille d’un couple de paysans pauvres (pléonasme). Elle est « échangée » contre un âne, pour devenir la femme d’un riche propriétaire d’une distillerie élaborant une sorte de gnôle à base de sorgho rouge, dont les champs entourent son domaine. Problème, l’époux a la cinquantaine et la lèpre … Gong Li est amenée à l’intérieur d’un palanquin porté par quatre types et suivi par des musiciens du coin. Ces rustiques, selon la tradition, ne doivent ni la voir, ni l’approcher. Ils commencent à se lâcher au milieu de paysages arides jaune orangé, se lancent dans des chants paillards, agitent le palanquin façon space mountain, et les plus enhardis suggèrent à la jeunette de passer un bon moment avec eux plutôt qu’avec son futur vieux lépreux. Chemin faisant, au milieu des immenses plaines de sorgho, le convoi est attaqué par un bandit armé et masqué, que tous prennent pour Sanpao, terreur légendaire locale. Sauf que ce n’est qu’un amateur qui sera tabassé à mort par les porteurs du palanquin. L’un d’eux s’enhardit, allant jusqu’à caresser le pied de la promise.

Qui finalement arrive à la ferme, bien décidée à ne pas se laisser toucher par le lépreux (elle a planqué une paire de ciseaux de taille respectable dans ses vêtements). Lequel mari fera pas de vieux os, on le trouve la nuit suivante assassiné. Les soupçons se portent sur le porteur entreprenant qui fera vite sa réapparition, d’abord éconduit, avant de finir par partager le lit de celle qui est devenue la patronne de la distillerie. Un enfant, le père du narrateur ne tardera pas à venir au monde.

Entre-temps, Gong Li a dû se faire accepter par le personnel de la ferme, en prendre la direction, et continuer la fabrication de sa liqueur de sorgho. Elle se sera aussi fait kidnapper par le vrai Sanpao, sera libérée on ne sait pas trop pourquoi ni comment par son amant, qui ira défier le bandit dans sa boucherie …

L'amant (Jiang Wen)
Dix ans plus tard, alors que les envahisseurs japonais arrivent dans leur bled, Gong Li et son mari-amant vont initier la résistance, et certains protagonistes vont réapparaître de la première partie (le bandit, le régisseur, le boucher, …) avec des fortunes diverses (no spoil) …

Contrairement à ce que pourrait penser son synopsis, « Le sorgho rouge » n’a rien d’un film léger et romantique. C’est un film âpre, violent. Voire plus, lorsque les Japs entrent en scène (exécutions sommaires, tortures à base de dépeçage de prisonniers vivants). C’est aussi un film qui fait passer des messages dans la ligne du parti. Finement, mais bon, on est deux ans avant Tien An Men, faut faire gaffe. Gong Li, à la tête de la distillerie, entend gérer différemment (« on partagera les bénéfices », argument qui fera rester les hésitants prêts à l’abandonner), elle véhicule l’image de la femme forte, décidée, chef de file de la rébellion, alors que son compagnon ne fait que la suivre … Et dépeindre les Japonais aussi cruels ne peut que plaire au Peuple et à ses dirigeants à casquette et cols Mao …

« Le sorgho rouge » par son scénario et son traitement, ne serait qu’une fresque « positive » un peu naïve et violente à la fois. La réalisation de Zhang va faire la différence. « Le sorgho rouge » est avant tout un choc visuel. Deux couleurs dominent, le jaune orangé des terres, et le vert des plants de sorgho couchés par le vent. Et tout en haut du spectre colorimétrique, le rouge écrase tout. Depuis le début (le palanquin, les habits de Gong Li), jusqu’au final en sursaturation, où tout est rouge, le sang, l’alcool de sorgho, le coucher de soleil, un rouge (c’est le but) qui fait se plisser les yeux, lorsque commence à s’inscrire le générique, on était à la limite du supportable. Pas besoin de son, de mouvement, cette explosion de rouge saturé se suffit à elle-même … la technique de Zhang ne se limite pas à une savante manipulation de filtres de couleurs. On passe de gros plans (amoureux, on pense à Godard filmant Anna Karina) de Gong Li, à des scènes méticuleusement chorégraphiées (les séquences du palanquin au début, les rituels et les chants entourant la distillation du sorgho), à des panoramiques majestueux (des paysages quasi désertiques très Utah Valley, un coucher de soleil majestueux sur les immenses plaines de sorgho). Pour son premier film, Zhang prouve qu’il a des choses à dire et à montrer, et qu’il sait comment s’y prendre caméra au poing pour les dire et les montrer, et fait preuve d’une maturité artistique certaine.

La reconnaissance critique pour « Le sorgho rouge » sera mondiale, mais le film est bien trop différent de ceux qui remplissent les salles pour avoir un quelconque succès public (en gros, le genre de machin qui sera diffusé à pas d’heure sur Arte). C’est quand il en prendra le parfait contrepied quelques années plus tard (le huis clos à la place des grands espaces campagnards), que Zhang signera son chef-d’œuvre (« Epouses et concubines » toujours avec Gong Li), avant de devenir plus ou moins le cinéaste mainstream et « officiel » de la Chine …


Du même sur ce blog :

Epouses Et Concubines



Pas de bande-annonce trouvée, juste un clip de piètre qualité sur Gong Li dans le film



JOHN HUGHES - LA FOLLE JOURNEE DE FERRIS BUELLER (1986)

 

Casa de Papel ...

Vous l’avez vue la série espagnole préférée des joueurs de foot, tellement que Neymar y avait un (minuscule) rôle ? On y suivait les pérégrinations d’une bande de braqueurs de banque cornaqués par un type, le Professeur. Et les scénaristes, pour faire durer les épisodes et les saisons, foutaient les braqueurs dans une merde noire, dont le Professeur les sortait à coups de stratagèmes totalement surréalistes (et plutôt débiles) … Ben, « La folle journée de Ferris Bueller », c’est un peu pareil. Des personnages à la hache, un scénario ahurissant d’invraisemblances à tous les étages. Et comme pour la série des espingouins, un carton monumental, le college movie le plus rentable de son temps … ce doit être ce qu’on appelle le nivellement par le bas …

Matthew Broderick & John Hughes

Les college movies (ou teen movies, c’est peu ou prou la même chose), c’est un genre à part entière chez les Ricains. Depuis des décennies, il en sort une foultitude chaque année. Et la référence du genre, c’est John Hughes, scénariste, producteur et réalisateur, qui a cartonné au début des années 80 avec son tryptique « Breakfast Club » (le meilleur), « Pretty in Pink » (bof …) et donc « … Ferris Bueller », le plus successful des trois (il y a même eu une tentative de série télé dérivée par la suite, bide retentissant).

L’intrigue est plutôt simplette : le dénommé Ferris Bueller, collégien de Chicago, se fait porter pâle pour ne pas aller en cours. Il fait « évader » du bahut sa copine, débauche également son meilleur pote dont il emprunte la Ferrari de collection de son vieux, et le trio s’offre une tournée des grands ducs dans Chicago, coursés par un directeur d’établissement aussi bête qu’obstiné, tout en prenant soin de rentrer avant que les parents s’aperçoivent des supercheries …

Mia Sara, Alan Ruck & Matthew Broderick en Ferrari

Tout est fait à l’économie, manière d’avoir le retour sur investissement le plus massif. La somptueuse villa de la famille Bueller n’est pas à Chicago, mais à Long Beach, Californie, la Ferrari n’est pas de collection,  c’est un fake en carton, le collège n’existe pas (c’est un vieux bahut désaffecté où Hughes avait déjà tourné « Breakfast Club »), il y a de grosses incohérences scénaristiques (comment le trio se retrouve t-il dans une piscine à remous qui n’appartient à aucun de leurs parents), des « oublis » (une longue scène où le pote entend pour une fois assumer face à son tyrannique père dont il vient de fracasser la Ferrari, on ne verra pas ce face-à-face).

Tous les gags à base de coups de téléphone, de messages enregistrés sur des répondeurs, de mécanismes à trois bouts de ficelle reliés à des ordinateurs ou des chaînes hi-fi se multiplient, sont totalement redondants et totalement stupides (un scénario écrit à la fin d’un apéro copieusement arrosé ?).

Pour ne rien arranger, dans le rôle principal, l’insupportable Matthew Broderick (le Brad Pitt des cours de récré) en fait des tonnes (il vient du café-théâtre, ceci explique en partie cela), impeccable raie sur le côté et sourire enjôleur. Ce type a foiré à peu près (à l’exception de « Glory ») tous les films où il était en haut de l’affiche. A ses côtés, une nunuche transparente (Mia Sara) joue sa copine et un autre abonné des nanars (Alan Ruck) est son pote hypocondriaque et un peu demeuré. C’est sur lui que repose le film, il en fait trop, multiplie les mimiques censées être de circonstance, s’adresse souvent à la caméra comme Belmondo dans « Pierrot le Fou » (la comparaison s’arrête là).

Twist & Shout ...

En fait, les seuls trucs regardables du film sont deux improvisations de Hughes. La première, pour rajouter quelques minutes de pellicule, est une visite du trio dans le musée de Chicago (vous avez déjà vu des ados sécher les cours pour aller se balader dans un musée ?), prétexte pour Hughes de nous montrer des œuvres de ses peintres préférés (Kandinsky, Picasso, Matisse). Le coup de génie de Hughes sera de pirater (ou du moins infiltrer) une parade de la communauté allemande de Chicago en y glissant ses acteurs et son équipe technique, Broderick se livrant en furieux playback à une reprise du « Twist and shout » (réellement balancée sur une sono, aucun trucage des vues de foule, et les réactions sont pour la plupart celles de vrais gens, pas d’acteurs). Ce qui vaudra aux Beatles leur premier numéro un depuis la séparation du groupe … une constante chez Hughes, grand fan de rock anglais (il avait lancé la carrière américaine des Simple Minds en incluant « Don’t you » dans « Breakfast Club » et procuré aux oubliés Psychedelic Furs leur seul hit aux States avec « Pretty in pink » dans le film éponyme).

Ce « clip » de « Twist and shout » est à mon sens une des rares séquences intéressantes du film. Avec une paire de scènes (il n’a qu’un tout petit rôle) dans laquelle Charlie Sheen, en jeune camé looké Ramones séduit dans un commissariat la coincée frangine de Broderick-Bueller …

Cinq ou six minutes sur une grosse heure et demie, ça fait pas beaucoup …


THE CURE - PORNOGRAPHY (1982)

 

Au fond du trou ...

« Pornography », on l’a souvent décrit comme le dernier et l’aboutissement de la trilogie « glaciale », « cold » - appelez ça comme vous voulez de Cure, après « Seventeen seconds » et « Faith ». Ce qui fait sens, d’autant plus que les trois disques se sont succédé dans la discographie de la bande à Robert Smith. Sauf que ledit Bob Smith, qui est quand même aux manettes du groupe, voire Cure à lui tout seul, et qui prend souvent un malin plaisir à contredire tout le monde, considère « Pornography » comme le premier volet d’une trilogie se poursuivant avec « Disintegration » (1989) et se concluant avec « Wild mood swings » (1996). D’ailleurs il ira jusqu’à donner une série de concerts où il enchaînera en respectant leur tracklisting ces trois disques … ce qui bien entendu ne prouve rien … Si vous voulez mon avis (et même si vous le voulez pas je vous le donne), Cure a produit quatre disques « sombres », « Seventeen seconds », « Faith », « Pornography » et « Disintegration ». Ce dernier est le meilleur, insurpassable, avec pas loin derrière « Pornography ». Et « Wild mood machin » me susurre t-on ? Oubliez-le, il est pas terrible du tout …

Smith, Gallup & Tolhurst : The Cure 1982

En tout cas, en ce début des années 80, Cure n’est pas un groupe qui compte vraiment. Il a certes des fans, vend correctement du disque, mais rares sont ceux qui miseraient sur lui pour une « grosse » carrière. D’autant que Robert Smith, leader maximo, est un jeune type instable. Qui préfère faire des piges comme guitariste chez Siouxsie and the Banshees que s’occuper de Cure. De toutes façons, le garçon est un tristos voire pire, anxieux, angoissé, en proie au doute en permanence, et chez lui, c’est pas une façade pour faire gothique. Il ne se désinhibe qu’en picolant sévère et en se défonçant aussi sévèrement. D’ailleurs, les rumeurs prétendent (ne pas se fier à ce que dit Robert Smith, spécialiste des bobards face à la presse musicale) qu’il a hésité entre mettre en chantier « Pornography » ou se suicider. Ceux qui voient en filigrane apparaître la figure de Kurt Cobain n’ont pas tort. Sauf que l’un a supporté le succès beaucoup mieux que l’autre …


Décision est donc prise de se saouler et de se défoncer copieusement et de voir ce que ça peut donner musicalement. Smith réunit un Cure en formation réduite, lui, Simon Gallup à la basse et Lol Tolhurst à la batterie, ce que les fans du groupe considèrent comme la formation « royale » de Cure. Evidemment, parce que ce n’est plus à la mode et que Smith déteste le classic rock, rien à voir avec un power trio. Les trois (à tour de rôle ou ensemble) rajoutent des couches et des couches de synthés, triturent tous les sons, et ne cherchent pas à faire étalage d’une quelconque technique virtuose (que de toutes façons ils ne possèdent pas).

Bon, des disques sous substances, c’est pas ça qui manque. Ça peut donner de grandes et belles choses, et même dans ce cas, partir un peu dans tous les sens (cas d’école : « There’s a riot coming on » de Sly & the Family Stone », ou « Station to station » de Bowie). Ce qui frappe avec « Pornography » c’est son unité. Ce disque est tout d’un bloc, d’une homogénéité redoutable.

Les titres (il est difficile de parler de chansons) sont tous construits de la même façon. Un schéma rythmique (basse et batterie mates) immuable (pas d’intro, de couplets, de refrains, de ponts, de solos), des nappes lourdes de synthés en surlignage, des guitares distordues dénuées de tout aspect mélodique. Et par-dessus tout ça, Robert Smith qui hurle de façon monocorde dans les aigus. Le résultat est un son oppressant, sans le moindre répit. Déstabilisant et diversement accueilli à sa sortie, le disque deviendra une référence incontournable du rock dit gothique, surclassant ses inspirations (si l’on en croit Robert Smith, Siouxsie of course, et les martiaux Psychedelic Furs). Aujourd’hui cette descente aux enfers sonores est devenue un des incontournables de Cure et des années 80.


« Pornography » définit une fois pour toutes le vocabulaire de Smith. Les mots, rattachés à la souffrance, à l’obscurité, au mal-être, et autres états d’esprit pas vraiment joyeux reviennent comme des mantras au long des paroles (die-death, dark, night, pain, fall, blood, rain, sick, madness, …)

Musicalement, s’il faut en extraire quelques-uns de ce pavé, on citera l’introductif « One hundred years » qui donne la couleur de l’ensemble, le seul single extrait du disque « The hanging garden », sorte de surf music jouée par des trépanés pour des trépanés, annonciateur du Cure à (gros) succès à venir, « A strange day » qui malgré (à cause ?) une intro lourde et planante offre un peu de répit, avant que le morceau-titre vienne finir d’enfoncer les clous dans le cercueil, avec ses dialogues de vieux films surimposés, et une voix de Smith qui n’est plus que cris ou borborygmes étouffés, avant un final noyé dans l’écho, genre vortex qui engloutit tout …

Dépressifs s’abstenir … Un des deux meilleurs Cure, toutes époques confondues, et un disque à ranger à côté de « La joie de vivre » de Zola …


Des mêmes sur ce blog :


PETER GREENAWAY - LE CUISINIER, LE VOLEUR, SA FEMME ET SON AMANT (1989)

 

La grande malbouffe ?

Bon, par où commencer ? Tiens, par la conclusion … J’aime pas ce film. Pour plein de raisons. Peut-être pas bonnes, mais je m’en fous, j’envisage pas de devenir pigiste à Télérama ou aux Cahiers du Cinéma …

« Le cuisinier … », je le mets dans le même sac que « Salo ou les 120 journées de Sodome » de Pasolini ou « La grande bouffe » de Ferreri, un film pour voyeurs malsains à tendance SM. De la première scène (une humiliation à base de tartinage de face avec de la merde de chien lavée en suite à la pisse) à la dernière (une mise en scène théâtrale et opératique de cannibalisme), cœurs sensibles s’abstenir. Pourtant, c’est pas le genre d’images qui va m’empêcher de dormir la nuit, les grosses ficelles scato ou révulsives, j’assimile, et je comprends parfaitement que ça se justifie dans un film. A condition que ça serve à quelque chose, et d’abord au film …

Greenaway & Bohringer

Mais là, sorry, ça sert à quoi ? Parce qu’entre les deux « sommets » du début et de la fin, ce qu’il y a entre est loin d’être soft (violence physique, verbale, scènes d’humiliation, de tabassage, de meurtre, du full naked, une petite pipe par ci par là, et j’en passe …). D’ailleurs les Ricains, éternellement traumatisés par le code Hayes, envisageaient le fameux Rated X pour le film, reléguant ainsi sa diffusion aux salles dédiées au porno. Finalement, « Le cuisinier … » s’en sortira avec une interdiction au moins de 16 ou 17 ans partout dans le monde (si tant est qu’il ait eu une distribution mondiale, je suppose que Greenaway et son équipe sont pas allés assurer la promo à Ryad, Manille, Islamabad ou Pékin).

Greenaway, il est responsable du scénario et de la mise en scène. C’est un British vrai de vrai, né dans un quartier populaire de Londres (le même que celui de Ian Dury, celui qui chantait en 77 « Sex & drugs & rock’n’roll », d’ailleurs les deux se connaissent, sont potes, et Ian Dury a un petit second rôle dans le film), et qui est venu au cinéma après plusieurs années passées dans une école d’art où il a appris la peinture dans l’intention d’en faire son métier. Ce qui ne se révèle pas totalement inutile quand ensuite on fait du cinéma, on sait jouer avec les couleurs. Et là, c’est un des points positifs du film (il y en a quand même quelques-uns), cette utilisation de la gamme des couleurs. « Le cuisinier… » a été entièrement tourné en studio. Chaque endroit dans lequel évoluent les personnages a sa couleur, poussée aux limites de la saturation : le bleu pour la rue extérieure, le vert pour la cuisine, le rouge pour la salle de restau, le blanc pour les toilettes, le jaune orangé pour les espaces moins utilisés (l’hôpital, la bibliothèque). L’essentiel des costumes est de la même couleur que le décor, et quand les personnages changent de lieu, la couleur de leurs habits change aussi (raccords compliqués à faire, y’avait pas le numérique à l’époque). Tous ces costumes sont signés d’un type qui commence à avoir une grosse réputation, Jean-Paul Gaultier. Pour l’anecdote, Madonna en rachètera un porté dans le film par Helen Mirren. Qui devait pas être trop usé, parce que la belle Helen passe plus de temps à poil que vêtue … Et tant qu’on est dans le rayon couleurs et peintures, dans la salle de restau trône un immense tableau, et comme j’y connais rien en taches de gouaches, je croyais que c’était un pastiche de « La ronde de nuit » de Rembrandt, en fait c’est une vraie œuvre originale d’un type dont j’ai la flemme de chercher le nom sous forte inspiration Rembrandt. Et les convives principaux sont habillés comme les miliciens du tableau.

La salle de restaurant

La base du script du film tient en trois lignes : dans un restau huppé, vient tous les soirs faire ripaille une bande de malfrats incultes et vulgaires. La femme du chef de bande quitte régulièrement ces lourdauds pour aller tirer un p’tit coup en cuisine avec un intello bcbg, jusqu’à ce que son mec en soit informé et que tout, si tant est que ce soit encore plus possible, parte en vrille … voilà, trois lignes j’avais dit … Était-ce nécessaire pour cela que chaque scène soit construite uniquement pour être choquante, dérangeante, montrer la bêtise, la cruauté, la veulerie des personnages, that is the question. Greenaway y répond dans une discussion sur son film, et de façon pas toujours convaincante. « Le cuisinier … » serait un film pour dénoncer le thatchérisme, et sa politique ultralibérale dans laquelle le fric est roi, et permet toutes les ignominies à ceux qui en ont. Soit … Le film serait un hommage aux dernières pièces de Shakespeare, paraît-il les plus sombres de son œuvre, montrant plein cadre les abominations qui au théâtre se passent hors scène. Re-soit. « Le cuisinier … » ferait implicitement référence au nazisme et à l’Holocauste (notamment quand la femme et son amant rentrent nus dans un camion frigo rempli de viande avariée lorsque le mari-voleur les recherche, les portes du camion-frigo qui sont refermées par le cuisinier assurant le parallèle avec les chambres à gaz), c’est pour cela que l’on doit montrer la nature humaine dans toute la noirceur absolue qu’elle peut atteindre. Re-re-soit … Tout ça pour finir par une dernière longue scène, figurant une sorte de Jugement dernier dans un décor évidemment rougeoyant, où l’expiation se fait sous les yeux des victimes … Que celui qui a décelé tout ça au premier visionnage me fasse signe, j’ai des équations à multiples inconnues et variables à résoudre …

Les toilettes

Pour faire un film, il faut aussi des acteurs. Selon Greenaway, celui autour duquel tout le casting a été construit, c’est Richard Bohringer. Choisi pour la démesure épique qu’il donnait à ses personnages. Bizarrement, à part un face-à-face tendu avec le chef mafieux, il est tout en retenue, passant le film à arrondir les angles lorsque les situations dégénèrent, et à favoriser les ébats puis la fuite des deux amoureux. Les amoureux, ce sont Helen Mirren, la femme du truand et l’intello placide pour qui elle a eu le coup de foudre. L’amant, inconnu depuis disparu des radars, n’a de toutes façons qu’un rôle secondaire. Helen Mirren, la quarantaine gironde, est comme souvent excellente dans les mauvais films, avant qu’on se décide à reconnaître son talent et lui en faire tourner des bons. Celui qui crève l’écran, c’est le truand. Interprété par Michael Gambon, physique à la Pavarotti, et jeu à la Falstaff, en encore plus lubrique, obscène, violent et truculent que le personnage d’opéra (opéras qui constituent l’essentiel de la bande-son). Autour de Gambon, une petite troupe de séides et de traînées, tous plus bêtes et méchants les uns que les autres. Parmi ces petits seconds rôles, le quasi-débutant et futur grand pote de Tarantino, Tim Roth (qui finira par cachetonner dans les Hulk de chez Marvel, tout comme Gambon le fera dans la série des Harry Potter) …. A noter que pour la véracité de certaines scènes en cuisine, ce sont les vrais employés du prestigieux Hotel Savoy de Londres qui sont aux fourneaux …

La cuisine

En conclusion-bis, je dirai que ce film au titre de fable de La Fontaine et sans réellement de morale (si, si, j’ai vu et à peu près compris la fin, mais je vais pas spoiler) est plutôt indigeste. Comme à peu près tous ceux de Greenaway que j’ai visionnés … Pénible et complaisant un jour, pénible et complaisant toujours ?

Conclusion-ter, une citation de Peter Greenaway : « il y a des choses particulièrement horribles dans ce film que j’ai du mal à regarder moi-même ». Pas mieux …





TOM WAITS - SWORDFISHTROMBONES (1983)

 

Rupture ...

En 1983, le cas Tom Waits semblait une affaire classée. Il a trente quatre ans, a déjà publié sept disques, s’est constitué son petit public, a tourné dans quelques films, a mis un peu de beurre dans ses épinards car certains de ses titres ont été repris (notamment « Ol’ 55 » de son premier disque par les Eagles, en attendant « Jersey Girl » par le Boss himself en 84, lors des sessions de « Born in the USA », face B du single « Cover me »).

Tom Waits, qu’on parle de lui ou de sa musique, y’a un mot incontournable : bar. A cause de son style musical, pour lequel piano-bar est le qualificatif le plus évident. Et puis bar, comme ici on dirait troquet ou bistrot, parce que c’en est un client assidu rayon boissons pour hommes (on n’obtient pas son grain de voix en carburant au Perrier-tranche), et parce que c’est dans cet univers alcoolisé de piliers de comptoir qu’il trouve l’inspiration pour ses textes, suffit d’écouter ce que racontent les compagnons de biture …

Tom Marcel Waits

Avec « Swordfishtrombones », changement de décor. Pas forcément au niveau des textes, on y retrouve pas mal de ces épopées déclamées toute langue pâteuse en avant quand il y a trois heures que promis, je bois le dernier et je me casse, allez remets la mienne et j’y vais … Par contre, question musique, changement radical.

Le genre piano-bar, on en trouve encore un (tout petit) peu. Sur quinze titres, deux peuvent être rattachés à « l’ancien » Tom Waits. « Soldier’s things » vers la fin et « Johnsburg, Illinois » (chanson sur la ville de naissance de Kathleen Brennan, il sera question d’elle un peu plus loin) vers le début. Tout le reste est, comment dire, totalement barré dans un univers jusque là inconnu. Allez faire un tour sur le net, et vous verrez les qualificatifs descriptifs les plus étranges attribués à ce disque. Celui qui revient souvent, parce que relativement neutre et vague, c’est rock expérimental, répondant à un besoin maniaque de coller une étiquette sur un disque.

Bon, je suis pas musicologue et j’ai pas assez de disques sur les étagères pour définir tous les tenants et aboutissants, mais la démarche de Tom Waits me semble assez inédite. Par sa concision (quinze titres en quarante deux minutes), et par son éclatement. Tom Waits n’a pas avec « Swordfishtrombones » défini un nouveau genre musical, il a pioché et extrapolé à partir de plusieurs. Et surtout, dans un contexte instrumental assez dépouillé (la plupart des titres ne font intervenir que deux ou trois instruments), il va chercher l’étrange, le contre-emploi. Sur quelques-uns des titres, il y a du Hammond B3. Chez l’immense majorité des types qui maltraitent cette armoire normande musicale, on essaie de sonner comme Jimmy Smith (enjoué, guide mélodique du titre). Chez Tom Waits, le B3 sonne comme un harmonium (d’ailleurs quand il y a un harmonium, on fait pas vraiment la différence), il soutient une mélopée le plus souvent triste, qu’il ne serait même pas exagéré de qualifier de funèbre. Un autre exemple, les marimbas sur le morceau-titre. Les marimbas, l’extraordinaire gimmick sonore amené par Brian Jones sur « Under my thumb » (de Led Zeppelin, faut parfois vérifier si les gens lisent). Bon, écoutez « Swordfishtrombones » le morceau, et dites-moi si ça vous fait penser à « Under my thumb ». En plus de sortir certains instruments du musée, Tom Waits a rajouté l’originalité de leur utilisation à leur rareté.

Tom Waits & Kathleen Brennan

Mais comment diable en est-on arrivé là ? J’ai ma petite idée, toute personnelle et surtout pas officielle. Tom Waits me semble victime du syndrome de Yoko Ono. Rappelez-vous, quand le chien fou binoclard des Beatles a rencontré Yoyo, il a changé son style d’écriture, est devenu plus adulte, a sorti plus de titres « marquants ». Avant de virer adorateur béat de sa muse et donner souvent dans le n’importe quoi pathétique et risible. La Yoko de Tom Waits, elle s’appelle Kahleen Brennan, il l’a rencontré sur le tournage d’un film, l’a épousée, et pas perdu une occasion de dire son influence sur sa vie et on écriture. D’ailleurs « Swordfishtrombones » lui est dédié. Alors la Kathleen, si elle est certainement pour quelque chose dans le virage musical à 180° de son mari, elle va finir par prendre une place de plus en plus croissante dans ses disques, et à partir de « Frank’s wild years » (1987) cosignera bon nombre de titres, plus souvent pour le pire que pour le meilleur …

Il y a donc de tout dans ce disque, mais pas n’importe quoi. La voix, le dépouillement, et des traces de blues au milieu de rocks concassés renvoient au Captain Beefheart (exemple le plus flagrant, « 16 shells from a 30.6 »), parfois Waits titille les ambiances jazzy (sans le verbiage instrumental et la démonstration technique) comme dans « Rainbirds » (final de disque en douceur) ou « Frank’s wild years », va piocher dans les ambiances tziganes que développera plus tard Kusturica (le titre d’ouverture « Underground »), insère des bribes celtiques (l’intro de « Town with no cheer »), plonge dans l’expérimental pur et dur (« Trouble braids »).


Waits pose aussi les jalons de ce que sera la suite, notamment son disque suivant et le meilleur de sa discographie (« Rain dogs »), à savoir des rocks plus ou moins cubistes ou déconstruits (« Down, down, down »), des ballades dévastées minimalistes (« In the neighbourhood » ou « Gin soaked boy », ce dernier est un peu son « Heartbreak Hotel »).

« Swordfishtrombones » est un foutoir sonore, une juxtaposition de pièces disparates, comme si le tracklisting avait été fait au hasard. Le genre de disques qu’on qualifie de « difficile ». Ça part dans tous les sens, il faut une grosse volonté ou un sens aigu de la compromission pour trouver tout excellent. C’est un peu le brouillon de ce que sera sa carrière par la suite, une fois qu’il aura recentré son propos autour de rocks à bout de souffle (pas un hasard si Keith Richards l’accompagnera sur trois titres de « Rain dogs ») et de ballades tristes. Il aura dès lors une nouvelle trademark Tom Waits. « Swordfishtrombones » assure seul la transition entre les deux « périodes » (comme on dit en parlant des peintres) de Tom Waits.

Alors oui, il peut parfois rebuter et ce n’est à mon avis pas la porte d’entrée idéale à sa discographie (plutôt « Blue Valentine » pour les précédents et « Rain dogs » pour les suivants), mais il montre une capacité de renouvellement et d’inventivité comme seuls les plus doués en sont capables.


Du même sur ce blog :

Closing Time
Nighthawks At The Diner
Asylum Years
Rain Dogs
Bad As Me