Veuve noire et instinct basique ...
« Le quatrième homme » est le dernier film
exclusivement néerlandais de Paul Verhoeven. Le suivant (« La chair et le
sang ») sera un financement européen, lui vaudra un petit succès
controversé (tout est dit dans le titre) et lui ouvrira les portes d’Hollywood avec
des succès souvent accompagnés d’un arrière-goût de soufre au box office.Paul Verhoeven, Jeroen Krabbé & Renée Soutendijk
Bon, soufre et Verhoeven, c’est un classique de la
rime cinématographique. Quasiment tous ses films prêtent à controverse(s). Sauf
un, « Le choix du destin » en français (« Soldaat van
Oranje » chez les Bataves). Souvent considéré comme le plus grand film
néerlandais de tous les temps, on a au contraire plutôt reproché à cette
fresque sur la Seconde Guerre Mondiale vue et vécue par un groupe de jeunes
potes néerlandais, d’être trop lisse, trop convenue, trop consensuelle (ce qui
ne sera pas le cas presque trente ans plus tard de son quasi jumeau – du moins
par la thématique – « Black book »). Parce que Verhoeven, à ses
débuts, c’était des films provos, plus ou moins drôles, en tout cas loin du
consensuel. Et donc le Paulo, pour ce qui allait constituer ses adieux
cinématographiques au pays qui l’avait vu naître, va pas y aller avec le dos de
la cuillère … If you want blood et full frontal nudity (des mecs, des nanas,
des mecs et des nanas, des mecs ensemble, …) vous allez être servis.
Si vous voulez des rapports impies avec la religion,
aussi. Tiens, vous vous souvenez du clip de Madonna « Like a prayer »
(gros succès et gros scandale en 89) ? On y voyait la Louise lécher les
pieds d’un Christ (noir par-dessus le marché) avant de se livrer à une danse
peu catholique tout nombril en avant. Si vous voulez mon avis, elle a dû voir
« Le quatrième homme », où l’on voit l’acteur principal, embrasser
dans une église les jambes en bois sombre du Christ crucifié, jambes qui
deviennent celles d’un éphèbe en slip, slip qui va vite finir sur ses
chevilles, et comme le héros est un homo, je vous raconte pas la suite (non,
vous risquez d’être surpris, c’est pas ce que vous croyez …).
« Le quatrième homme » commence par un
écran noir de presque une minute, sur fond de musique synthétique glaciale. Les
premières images nous montrent une araignée (une veuve noire) prendre et tuer
trois moucherons dans sa toile avec en surimposition le générique qui défile en
lettres rouge sang. Quand le générique est terminé, la caméra va un peu plus
bas sur la droite, où trône sur un meuble une petite statue de la Vierge, et
poursuivant son chemin, vers un lit où se réveille un type. Qui se réveille
super gueule de bois, mains tremblantes et bite pendante, descend au
rez-de-chaussée où un blondinet joue du violon. Le gars étrangle le violoniste.
Seconde scène, le gars est en bas de l’escalier, on comprend qu’il est en
couple avec le violoniste, et il lui annonce qu’il est à la bourre pour partir
donner une conférence. La première scène de l’étranglement était donc un
cauchemar. Et des rêves, des cauchemars ou des visions prémonitoires, tout le
film en est farci, et tout est fait pour que le spectateur ne sache pas s’il
s’agit de rêves ou de réalités, c’est généralement la scène suivante qui nous
l’indique. Le procédé n’est évidemment pas nouveau, c’est sa multiplication qui
en fait l’originalité.
Le mec à la gueule de bois (sacré picoleur, ça lui
jouera des tours) est un écrivain, Gérard Rêve (inspiré d’un vrai écrivain
néerlandais controversé, forcément controversé tout comme Verhoeven qui
s’appelle Gerard Reve ouais, Verhoeven a fait – volontairement - un jeu de mots
sur le nom et un des axes majeurs du film que seuls les Français peuvent
comprendre). Le Gérard prend un journal au kiosque de la gare, et en bon homo à
la recherche d’un p’tit coup, tourne autour d’un éphèbe en train de mater un
mag porno (féminin), monte dans son train, où une blonde avec un nourrisson lui
inspire d’autres visions sanglantes. Pour vous dire que Verhoeven a fait
profond dans la réflexion, cette blonde qui retrouvera son Jules à la descente
du train, c’est la Vierge Marie (elle servira plusieurs fois de guide et/ou
d’ange gardien à Gérard), son mari c’est Dieu et son bambin, of course Jésus
(c’est Verhoeven qui le dit, l’ange gardien j’avais compris, la Trinité, ça
m’avait échappé). Faut dire que Verhoeven multiplie plein d’allusions, souvent
de l’ordre du subliminal ou de l’ésotérique (que ceux qui pigent toutes les
symboliques du film au premier coup se fassent connaître, y’a rien à gagner),
comme une réponse à ceux qui l’avaient accusé de faire du cinéma
« léger ».
Les choses deviennent plus simples lorsque le Gerard
se fait vamper à sa conférence par Christine (là encore, étymologie du prénom,
alors que c’est elle le personnage diabolique – ou pas – du film) une sublime
blonde androgyne en rouge (forcément en rouge, c’est la couleur dominante du
film) silhouette et coiffure à la Sylvie Vartan des années 80, 90, ou plus
tard, je sais pas, j’ai jamais été fan des voix bulgares, surtout chantées faux
… Elle l’amène chez lui, il réussit à la sauter (difficilement, mais il est un
peu bi à ses heures perdues). Elle est veuve, riche, propriétaire d’un institut
de beauté (le Sphinx, doté d’une enseigne en néons, mais y’en a qui marchent
pas, on lit Spin, faut avoir fait néerlandais en première langue pour savoir
que spin, ça veut dire araignée). Et elle fume des Dunhill International. Et là
vous vous demandez pourquoi je cause des Dunhill Inter ? Ben facile, c’est
les clopes que moi je fume … A partir de cette nuit passée ensemble, whisky
aidant, les rêves ou pas, cauchemardesques ou prémonitoires vont se multiplier
pour le Gérard. Avec un enchaînement croquignolet de trois vaches encore
saignantes pendues dans un mausolée au-dessus de jarres contenant leur sang,
avec une quatrième jarre en attente. La scène suivante, Gerard se réveille,
commence à caresser Christine, qui saisit une grosse paire de ciseaux et … ben
oui, vous avez deviné …
Evidemment, toutes ces visions prendront sens quand
Gerard découvrira que Christine a été mariée trois fois et s’est retrouvée
veuve trois fois. Des bobines de Super 8 trouvées dans un secrétaire laissent à
penser qu’elle est peut-être bien pour quelque chose dans la mort de ses trois
époux. Dès lors, Gérard serait-il le quatrième ?
A ce stade, y’a un titre de film qui clignote, celui
de « Basic instinct », de, tiens comme c’est bizarre, Paul Verhoeven.
Ben oui, d’ailleurs il s’en cache pas, le personnage de Cathy Tramell est un
décalque de celui de Christine dans « Le Quatrième Homme », Verhoeven
a toujours eu tendance à se plagier …
« Le Quatrième Homme » plutôt concis (une
centaine de minutes), n’en reste pas moins un pavé. Et comme tous les pavés,
quand tu le prends dans la gueule, tu trouves que c’est lourd. Il embrasse
plein de genres (le polar, le thriller, le psychologique, l’érotique) multiplie
des symboliques parfois absconses et donc pas faciles à suivre. Les deux
acteurs principaux (Jeroen Krabbé et Renée Soutendijk) font partie des habitués
de la période européenne de Verhoeven. Ils tenteront eux aussi une carrière
américaine, avec nettement moins de succès (pour être gentil) que leur metteur
en scène.
« Le Quatrième Homme » au vu de ce que je
connais de la filmo de Verhoeven, est certainement son plus glauque. Mais pas
son meilleur, tant le hollandais violent semble se bonifier dans ses vieux
jours. « Black book », « Elle » et « Benedetta »
sont pas mal du tout, mais désolé Paulo, j’ai jamais été fan de tes succès intergalactiques
genre « Robocop », « Total recall » ou « Basic
instinct » …