Wayne's world ...
Trois mois après « Rio Bravo » sortirait « Hiroshima mon amour ». Pile poil un an plus tard, « A bout de souffle ». Et le cinéma n’allait pas seulement changer de décennie, il allait être totalement redéfini … En 1959, on était donc à une période charnière. Les gigantesques péplums, les productions Cecil B. DeMille, remplissaient les salles, trustaient les Oscars, mais une frange du public, de la critique, et des professionnels du cinéma (scénaristes, acteurs, réalisateurs, …), souhaitaient la fin de ce cinéma hollywoodien qui ne se faisait plus qu’à coups de dollars et de bons sentiments. Mais y’avait pas que les grosses machines dans l’œil du cyclone. Même le western, ce genre ô combien typiquement américain et hollywoodien, semblait destiné au déclin. Ses metteurs en scène et ses acteurs stars n’étaient plus de la première jeunesse. Le baroud d’honneur de ce genre à peu près aussi vieux que le cinéma était en route …
Hawks, Martin, Wayne & Dickinson |
Sauf que l’art c’est pas une
science exacte … rien ne se perd, rien ne se crée. Les novateurs, les
révolutionnaires du jour sont les ringards de demain, et tout finit toujours
par renaître de ses cendres. The best western ever, c’est (peut-être) « Il
était une fois dans l’Ouest », et le plus grand péplum, c’est le « Cléopâtre »
du maniaque Mankiewicz. Deux films sortis dans les années 60, alors que ce
genre de productions était censé être définitivement ringardisé …
Fin des années cinquante, la
légende du western, c’est John Wayne. Aucun autre acteur ne symbolise le genre
autant que lui. Et encore plus quand il y a John Ford à la caméra. Mais là,
pour « Rio Bravo », il délaisse son vieux complice pour Howard Hawks.
Un boulimique de la caméra, passant d’un genre à l’autre, avec derrière lui au
moins une douzaine de classiques du cinéma. Hawks et Wayne ont déjà fait un très
bon film ensemble, « La rivière rouge ».
« Rio Bravo » sera pour John Wayne un règlement de comptes. Lui, c’est toujours le type droit dans ses bottes, le rustre qui ne fait pas concessions. Et encore moins lorsqu’il a une étoile de shérif sur le gilet. L’honneur et le devoir avant tout. Et on ne fait pas tourner n’importe quoi à John Wayne. Il refuse tout rôle qui ne convient pas à ses valeurs. Et y’a un film qui l’a fait enrager, « Le train sifflera trois fois », parce qu’à la fin, après avoir dégommé les méchants, Gary Cooper balance par terre son étoile et s’en va avec Grace Kelly. Et dans le monde de Wayne, on balance pas son étoile et on quitte pas la ville. Un avis partagé par Hawks, d’où leur collaboration pour « Rio Bravo ».
Nelson, Wayne & Martin |
« Rio Bravo » est une
sorte de remake « vertueux » du film de Zinnemann, les grandes lignes
du scénario sont identiques. Le shérif face des types qui veulent sa peau parce
qu’il a fait son job. Ça c’est le prérequis pour avoir Wayne au casting. Les discussions
ont paraît-il été serrées pour le scénario et le casting. Hawks, pas exactement
le premier venu, avait ses idées. Wayne ses certitudes. « Rio Bravo »
fait une large place à la comédie. Et aussi à la romance, avec pour le coup, une
femme qui mène la danse. Et deux chanteurs partageront l’affiche avec Wayne. En
contrepartie, Wayne sera en terrain connu. Son rôle sera le plus archétypal de
son personnage éternel, et ses potes, comme lui plus très jeunes seront de la partie.
Wayne aurait imposé à Hawks ses amis Ward Bond et Walter Brennan.
« Rio Bravo » est a priori un western improbable. Amateurs de grands espaces et de cavalcades dans la poussière du désert, vous allez être déçus. « Rio Bravo » est à peu près un huis clos. Quasiment tout se passe dans trois lieux d’un petit bled : le bureau du shérif et la prison attenante, un hôtel-bar, et la rue principale. Le shérif, c’est évidemment John Wayne. Il vient de coffrer un type qui vient d’en buter un autre de sang-froid. Et qui auparavant, chambrait méchamment l’ancien shérif adjoint, défroqué pour cause d’histoire d’amour qui a mal fini, et de bouteilles elles bien finies consciencieusement. Ce poivrot, flingueur redoutable à jeun, c’est Dean Martin. Très à l’aise pour jouer les types bourrés, Rat Pack oblige, je sais pas à quel degré il faut prendre ce choix de casting … Autres choix aventureux (quoique) du casting, c’est des premiers rôles attribués à deux quasi débutants. Ricky Nelson, le rocker (enfin, pour faire simple) pour petites filles sages, beau gosse mais piètre acteur (nombre de ses dialogues seront réduits vu les piteux résultats des essais). Et puis Angie Dickinson, jeune et belle actrice expérimentée, mais jamais vue en haut de l’affiche jusque là …
Dickinson & Wayne |
« Le train sifflera trois fois »
durait moins d’une heure et demie. « Rio Bravo » fait quasiment une
heure de plus. Pour en arriver à la même situation finale : l’affrontement
du bon (et de ses rares soutiens) et des nombreux méchants. Alors, il y a du
délayage dans « Rio Bravo », les scènes se répètent souvent, sans que
l’intrigue avance vraiment. Sauf que, en vieux renard des tournages, Hawks utilise
au maximum les possibilités de son casting hétéroclite.
On a un crooner et un rocker,
ben tant qu’à faire on leur fera une paire de chansonnettes, et même Walter
Brennan les accompagnera à l’harmonica. Mais pas John Wayne. Hawks l’a déjà
fait tomber, voire sombrer, lui le shérif solitaire et renfrogné, sous le charme
de la sorte d’aventurière en jupons jouée par Angie Dickinson, alors faut pas
lui demander en plus de chanter …
Tous les rôles principaux ont droit à de nombreuse scènes (Dean Martin face à ses démons alcoolisés, Walter Brennan en gardien de prison boiteux et sempiternel râleur, Ricky Nelson en as de la gâchette maussade et hésitant, Angie Dickinson et ses numéros de vamp puis de femme amoureuse). Et John Wayne fait évidemment du John Wayne, il dépasse déjà tout le reste du casting d’une tête, et il est le pivot de l’histoire. C’est pas un acteur qu’il viendrait à quiconque l’idée de qualifier de grand acteur, mais dans son registre limité d’honnête redresseur de torts, y’a pas foule de rivaux …
Wayne & Brennan |
Alors, même si « Rio Bravo »
tourne parfois un peu en rond, on se laisse entraîner par le rythme de ce qui est
autant une comédie qu’un western pur et dur. D’ailleurs la baston finale est un
peu traitée par-dessus la jambe, la horde de méchants sort assez vite de sa tanière
les bras levés. Parce qu’inutile de vous dire que tous les gentils finissent sans
une égratignure …
Il n’empêche qu’en mettant l’accent
sur la comédie, en faisant de malins choix « commerciaux » pour le
casting, tandis que Wayne assure la crédibilité western, « Rio Bravo »
remplit son office. Gros succès critique et commercial mérité … Pas mal pour un
baroud d’honneur. Qui n’en est pas un, Wayne et Hawks vont continuer de tourner
ensemble (des westerns, est-il utile de le préciser) dans les années 60. Sans
retrouver cette magie particulière de « Rio Bravo » …
Du même sur ce blog :
Les Hommes Préfèrent Les Blondes