« Innervisions » est le troisième disque du
quintet magique consécutif de Stevie Wonder (de « Music of my mind »
à « Songs in the key of life »). Autant dire qu’on peut y
aller … à l’aveugle (sorry Stevie…).
Plus que tous les autres dinosaures des 70’s (pas de
noms, hein je suis un gentil moi, mais enfin j’ai dit tous …), Wonder est celui
qui a le plus sombré artistiquement dans les décennies suivantes. Faut dire
qu’il avait placé la barre tellement haut, pour moi c’est l’auteur black
essentiel des années 70. Un touche-à-tout de génie, et pas un hasard s’il a été
souvent comparé à un autre aveugle, Ray Charles, le Genius himself.
Stevie Wonder, sur ce « Innervisions », il
se ballade littéralement, posant à chaque coup des jalons définitifs dans les
styles qu’il aborde. Enfin, presque, il y a bien un maillon faible dans ce
disque, la lente roucoulade amoureuse baveuse et molle, un genre dont il
tartinera ses skeuds dans les décennies suivantes. Ici, c’est « Golden
lady », on passe sans en dire tout le mal qu’elle mérite …
Le reste, c’est juste parfait. On commence par « Too
high », c’est du jazz-funk qui groove mille fois plus que Herbie Hancock
(qui a dit Jamiroquai, tu te casses et vite, et pourquoi pas Gilbert Montagné
tant qu’à faire, il est aveugle lui aussi, comme quoi ça suffit pas …), et
Wonder ressort dans le final l’harmonica du Little Stevie qu’il fut chez
Motown, dressant un pont entre son passé et le futur qu’il est en train
d’écrire. Le jazz, Stevie Wonder connaît et apprécie (nobody’s perfect), mais
chez lui, ça sert de garniture, c’est pas une obsession. Et surtout grâces lui
soient rendues, il ne cherche pas à tout prix la fusion, ou pire, le fuckin’
jazz-rock. Par contre, quand ça peut apporter quelque chose à la musicalité
d’une chanson, il n’hésite pas, quitte à oser les mariages les plus
improbables, sur « Visions », où un fonds jazzy sert d’écrin à une
ballade folk très dépouillée, tout juste agrémentée de quelques notes de
guitare acoustique. L’occasion de souligner que Wonder arrive à faire des
disques fabuleux en jouant de tous les instruments (à l’exception des guitares
sous toutes leurs formes, mais il se débrouille pour s’en passer le plus
souvent), et notamment d’une panoplie de synthés pour l’époque très high-tech
(comme quoi, si dans les disques à synthé, ça déconne souvent, c’est pas la
faute à l’instrument, mais à ceux qui en jouent …).
Le premier choc musical arrive en troisième position
sur le disque, c’est « Living in the city » et ça sonne comme du …
Creedence (le jeu de batterie, la voix), c’est un immense blues-rock (sans
guitares, et non, c’est pas une hérésie …) dans lequel Stevie se fout les
cordes vocales minables, dans un style très Fogerty, jusque dans le texte (le
rêve du mirage citadin vu par les campagnards noirs). De la pulsation rock, il
y en a, et pas qu’un peu, dans « Higher ground », c’est le meilleur
titre des Red Hot Chili Peppers (alors que la bande à Kiedis était à la
maternelle), avec les fameuses cocottes funky (jouées ici au synthé) des
milliards de fois copiées. Pas un hasard si les RHCP le reprendront sur leur
premier disque à avoir un certain succès (« Mother’s milk ») dont il
sera bien évidemment le single extrait.
Sesame Street featuring Stevie Wonder, 1973 |
Et puis, il y a les choses dans l’air du temps, que
Wonder arrive à transcender. Et il faut plus que du talent pour éviter le centrisme
guimauve quand on s’attaque à des choses aussi éculées et entendues que le
groove medium funky (« Jesus children of America »), la lentissime
ballade soul (« All in love is fair »), ou le machin caraïbe chaloupé
(« Don’t you worry ‘bout a thing »). On en connaît, et pas des
foncièrement mauvais, qui se sont couverts de ridicule dans ce genre
d’exercices …
Last but not least, au final, manière de montrer que
s’il est aveugle, il n’est pas pour autant sourd à ce qui se passe dans la
société où il vit, mine de rien, en se livrant à un pastiche-hommage de l’une
de ses idoles (Beatle Paulo McCartney), il se lance dans un pamphlet vitriolé
adressé à Richard Nixon (« He’s
mistra know-it-all »), qui Watergate aidant, le méritait bien.
Au dos du disque, il y a écrit (comme sur ses autres disques
des 70’s) « written, produced & arranged by Stevie Wonder ». Ce
type, que l’on a trop facilement réduit dès les mauvais disques arrivés à un
soulman neuneu, fleur bleue et variétoche, c’est quand même et avant tout un
des plus grands artistes et génies de la musique populaire, tous genres
confondus …
Du même sur ce blog :
Talking Book
Du même sur ce blog :
Talking Book
Je connais surtout "Key of life" qui est tout de même un monument. C'est vrai que "he's misstra" fleure bon le macca !! Par contre, je ne te conseillerais pas de trainer tes basques dans un rade blues-rock avec "living for the city" sous les bras, et demander au DJ de le passer... J'admets qu'effectivement le phrasé sonne CCR, il y a une parenté, mais qualifier ça d'immense blues-rock, il y a des limites... La foi t'aveugle...
RépondreSupprimerOkay avec ta conclusion. Et pour la comparaison Wonder / Charles (forcément inévitable) cela n'avait pas échappé à Gordy, qui avait sommé le jeune Stevie de faire un album de reprises de brother Ray.
Mais je ne compte pas traîner mes basques dans un rade blues-rock, j'ai été bien élevé, moi ...
SupprimerDe toute façon, tout ce qu'a fait Wonder n'arrive pas à la cheville de "Songs in the key of life" ...
Ben tu vois que tu peux être d'accord avec Guts of Darkness.
RépondreSupprimerhttp://www.gutsofdarkness.com/god/objet.php?objet=14109