C’est quelquefois tout le malheur de ceux qui font de la
« petite musique » ou de la musique pour « grand public »
et que, par facilité sémantique, on qualifie trop vite de génies. Ils ont
tendance à vouloir la prouver, cette qualification de génie.
Polnareff, avec son premier prix de Conservatoire, se
balade littéralement pour écrire des chansons aux mélodies tuantes de
simplicité et d’efficacité. Ses deux plus gros succès populaires,
« Y’a qu’un cheveu » et « Tous les bateaux », il les
déteste, trop de facilité vulgaire genre comique troupier pour le premier, trop
fleur bleue pour le second. Lui veut faire mieux, marquer les esprits des
« musiciens ».
Il va faire comme tous ses plus ou moins contemporains dans
le même état d’esprit, rêver de concept albums, de couches innombrables d’instruments,
d’écriture tarabiscotée et de sur-production. Avec en point de mire les évidents
modèles américains (Chicago, Blood Sweat & Tears) ou anglais (Moody Blues,
Procol Harum) de cette démarche, et le funeste prog qui commence à pointer le
bout de son vilain museau.
Polnareff 1971 |
Direction Londres, les studios légendaires et high-tech
d’Abbey Road, quelques requins de séance cotés (non mentionnés dans les crédits,
à l’instar du disque quasi jumeau de Gainsbourg paru la même année, le plus
réussi « Melody Nelson »), et un projet de concept album instrumental
avec grand orchestre, sections de cordes et de cuivres, et armada des derniers
joujoux synthétiques et électroniques (Moog, mellotron, …). Sauf qu’à moment
donné, quelqu’un dans son entourage, son management ou sa maison de disques a
dû lui dire, que certes, c’était bien joli tout ça, mais qu’il fallait aussi
songer in fine à vendre du disque.
On se retrouve donc avec un skeud bancal, où subsistent
des bribes du grand-œuvre avorté, quelques concessions à l’air du temps et du
Polnareff que l’on aime (enfin que moi j’aime).
Trois instrumentaux chargés comme des coureurs cycliste
avant une étape de montagne constituent les reliques du projet initial avorté.
Le premier (« Voyages ») qui ouvre le disque est juste risible,
empilage à prétention « classique » m’as-tu-vu de tous les
instruments disponibles dans le studio. Les autres ne valent guère mieux, entre
bouillasse psyché-jazzy-prog (« Computer’s dream ») ou pseudo
rhythm’n’blues entre « Twist & shout » et … « La salsa du
démon » (« Mais encore »).
1971 : Polnareff et un rocker belge |
Le Polnareff des chansons et mélodies tuantes est quand
même là, heureusement. On trouve deux de ses classiques, « Né dans un
ice-cream » (pas mon préféré, avec son côté très jazzy bon marché, c’est
la matrice du très pénible Jonaz), et la nostalgique ballade « Qui a tué
Grand Maman » avec sa mélodie parfaite. Les moins connues « Nos mots
d’amour » (Obispo tuerait père et mère pour l’avoir écrite) et le
rhythm’n’blues gospélisant de « Hey you woman » sont les deux pépites
oubliées du disque.
Le reste, c’est assez anodin, ce qui est un comble pour
un disque censé en mettre plein les oreilles et dont se délectent les rockeurs
mélomanes (oxymore). Il plane sur ce « Polnareff’s » un fort parfum
des Moody Blues, le groupe tarte à la crème de l’intelligentsia musicale
française des années Pompidou (ils seront cités dans des textes de Ferré et
Gainsbourg vers cette époque-là). Moi, les Moody Blues, hormis l’extraordinaire
accident « Nights in white satin », ils m’ont toujours gavé, mais
gavé, vous pouvez pas savoir (enfin si, vous avez qu’à les écouter, et on en reparle),
alors tous ces machins où Polnareff mélange orchestrations classiques,
arrangements tarabiscotés, fait en gros de la musique « sérieuse »,
et bien ils me gavent aussi.
Et même les clins d’œil iconoclastes (les paroles sont
signées Dabadie ou Delanoë, tu parles d’iconoclastes), rêve du mariage des
prêtres (« Monsieur l’abbé », bonjour le « sujet de
société »), où Polnareff s’auto-cite (« Petite, petite »), voire
(c’est pas mieux) cite les Moody Blues et Aphrodite’s Child (« A minuit, à
midi » emprunte autant à « Nights … » qu’à « Rain &
tears », … et bien tout ça finit par lasser, fait exercice de style
prétentieux …
Le malheur pour Polnareff, ce qu’il ne sait pas, c’est
que ce « Polnareff’s » très nettement surcoté, sera quand même très
supérieur à tout ce qu’il fera par la suite… Il y en a qui appellent ça le
complexe d’Icare …
Du même sur ce blog :
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Mais c'est sérieux, la musique. Il n'y a même probablement rien de plus sérieux. Enfin, à part Michel Tocard...
RépondreSupprimerLa musique, c'est quand c'est totalement futile que ça devient rigoureusement indispensable ...
SupprimerNan, Polnareff c'était pas mieux au début. C'était pas mieux à la fin d'ailleurs. Ni au milieu.
RépondreSupprimerTu confonds avec John Zorn ...
SupprimerZorn c'était pas mieux avant ni après. C'était génial tout le temps.
SupprimerLa folie des grandeurs, cette même année... bravo!...
RépondreSupprimerMusique du film signée Polnareff ...
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