L'arbre qui cache la forêt ...
Cet arbre, ici il s’appelle « Come on Eileen », c’est un des titres les plus connus des peu glorieuses 80’s, et un des meilleurs de cette décennie décriée (le plus souvent à juste titre). Il suffit d’aller chez Google, taper Dexys Midnight Runners et magie culturelle pour incultes, on a une litanie de clips de « Come on Eileen » qui s’affiche. Autre test amusant (?) tapez Dexys Midnight Runners + one hit wonders et vous récupérez des milliers de pages qui vous expliquent pourquoi Dexys est un one hit wonder band. Bon, je vais laisser les grands mots genre cancel culture, erase culture, voire révisionnisme à ceux qui les utilisent sans en connaître le sens, et m’en tenir aux faits.
Famille nombreuse, famille heureuse ? |
Oui, « Come on Eileen » fut un énorme hit il y
a plus de quarante ans et pour peu qu’on ne suive pas aveuglément, forcément
aveuglément, les playlists générées par AI des racketteurs musicaux du web
genre Deezer, Spotify, Qobuz, Apple, Amazon, YouTube et autres, « Come on
Eileen » on peut encore l’entendre et l’écouter avec plaisir.
Mais non, les Dexys, outre « …Eileen », ont
placé trois autres titres fort honorablement dans les charts (surtout
européens) au début des 80’s. Tout d’abord « Geno », hommage au
soulman déjà oublié à l’époque Geno Washington (issu de leur premier Lp
« Searching for the young soul rebels », titre number one en
Angleterre), ensuite chronologiquement « Celtic Soul Brothers »,
« Come on Eileen » et « Jackie Wilson said », tous trois
issus de ce « Too-Rye-Ay ».
Dexys Midnight Runners, c’est comme Deep Purple, y’a eu plusieurs Mark. Seul point commun à toutes les formations, le dénommé Kevin Rowland, né en Angleterre mais d’origine irlandaise, ce qui comptera et pas qu’un peu pour ce « Too-Rye-Ay ». Parcours classique d’un ado british des 70’s, des college bands, un groupe punk oubliable et oublié (Killjoys), la « révélation » soul et la formation des Dexys. Premier disque et premier hit donc, puis le Kevin pas le type le plus facile à vivre du coin, prend le melon, et entend faire du groupe son faire-valoir. La Mark II sera donc baptisée Kevin Rowland & Dexys Midnight Runners. Hormis le tromboniste Big Jim Paterson, tout le monde est viré, une rythmique, un guitariste, des claviers, une section de cuivres et un duo de violonistes (The Emerald Express) est recrutée.
Kevin Rowland |
Niveau influences, ça bouge aussi. Soul et
rhythm’n’blues américains encore et toujours, mais surtout la musique
irlandaise, traditionnelle ou pas, avec en point de mire les deux figures
tutélaires de l’île, les Chieftains et plus encore Van Morrison. Hasard
(fortuit) de la chronologie musicale, les Dexys période
« Too-Rye-Ay » peuvent être considérés comme des précurseurs des
Pogues, même si hormis l’aspect famille nombreuse sur scène, les deux groupes
ont peu de choses en commun …
Résultat, DMR est un des groupes représentatifs des
80’s, et pourtant plutôt isolé et n’ayant pas généré de « disciples »
sonores. D’ailleurs leur son, mis à part quelques rares tics d’époque, est basé
sur une certaine forme de nostalgie auditive. Seul point original (et agaçant,
voire rédhibitoire pour certains), le chant de Kevin Rowland, toujours en quête
de sommets dans les aigus, démarche vocale plutôt marginale dans les genres de
musique noire dont il s’inspire (Curtis Mayfield ou Prince dans leur chant
falsetto étant les exemples de voix qui peuvent être rapprochés de celui de
Rowland). Mais qu’on aime ou pas ce style de voix, force est de reconnaître que
le gars Rowland est un chanteur qui marque son territoire, et en plus (ce qui
aide bien quand on veut être leader absolu d’un groupe) c’est quasiment
l’unique pourvoyeur des titres du groupe.
Rowland est un control freak total. Non content
d’écrire, de chanter, de gratouiller une six-cordes, de co-produire le disque
(avec le duo Langer / Wistanley, producteurs des premiers Madness, autrement
dit des types qui savent comment claquer des hits), d’être l’image du groupe
(c’est lui of course tout seul sur la pochette), il impose un code
vestimentaire à sa raya (entre les poulbots parisiens et les prolos des
« Raisins de la colère »). Mercury mise sur lui et passe toutes ses
tocades (voir la pochette, c’est Kevin Rowland & DMR), avant de clouer son
cercueil quelques années plus tard (l’insuccès du successeur de
« Too-Rye-Ay », « Don’t stand me now » en 1985, et la
débandade des DMR qui en découlera, feront de Kevin Rowland une sorte de paria,
et les multiples rééditions de « Too-Rye-Ay », si elles garderont la
pochette originale, seront créditées dans le catalogue de Mercury aux DMR, exit
Kevin Rowland …).
En résumé, y’a quoi dans « Too-Rye-Ay » ? « Come on Eileen », dernier titre du vinyle original, est plutôt atypique. C’est le morceau le plus « facile », le plus évident, le plus pop au sens noble du terme. C’est dans ce titre qu’on trouve les onomatopées « too-rye-ay » (entre autres) qui donnent le titre du disque. « Come on Eileen », c’est un titre à guitares où y’a pas de guitares, remplacées par les deux violons, et doté d’un pont mirifique à enseigner dans les écoles. Succès mérité et morceau indémodable aux paroles absconses (certains sourds ignorants ont prétendu qu’il était destiné à la violoniste, future compagne de Rowland, mais son prénom c’est Helen et pas Eileen).
Kevin Rowland & Helen O'Hara |
Poursuivons l’exploration de la rondelle par les
hits, puisqu’on a commencé … « The Celtic Soul
Brothers », on peut le trouver too much. Too much le rythme quasi tachycardique, too
much la voix suraigüe de Rowland, too much ces violons omniprésents. Reste que
c’est malgré tout une entrée en matière qui ne passe pas inaperçue, et pas la
façon la plus con de débuter un Lp. « Jackie Wilson said » est une
reprise de Van Morrison (sur l’album « St Dominic Preview » de 1972,
donc dans la « bonne » période de l’Irlandais, si tant est qu’il en a
eu de vraiment mauvaises). C’est un grand single chez les DMR, autre hommage
(après « Geno »), à un des soulmen américains plus ou moins oubliés
des 60’s. Le titre est plein de breaks, de changements de rythmes, festif et
entraînant, rien à redire sur son (trop modeste) succès. Parenthèse :
hasard ou pas, Jackie Wilson resurgira au milieu des 80’s avec une reprise de
son premier titre « Reet Petite » de 1957, boosté par un clip animé
rigolo à base de pâte à modeler, qu’on verra beaucoup sur la jeune chaîne MTV.
Et les reste de « Too-Rye-Ay » ?
C’est loin d’être du remplissage. « Let’s make this precious », c’est
de la soul épique qui évite le piège du pompier, pompiérisme dans lequel n’est
pas loin de tomber « All in all », et dans lequel finit par se
vautrer le trop démonstratif « Until I believe in my soul », gâché
par son intro à la flûte (Machucambos syndrome ?), son break jazzy, sa
partie murmurée pour un verdict sans appel : maillon faible du disque …
Dans la case titres réussis, on peut mettre « Old », la ballade tire-larmes, celle que tu te chantes dans ta tête, seul au pub, bien bourré, parce que la garce est pas venue, ou pire, s’est barrée avec un autre … « Liars A to E » vaut le détour, mid-tempo soul qui grâce à ses chœurs féminins, pourrait même plaire aux amateurs de gospel …
L’ensemble remplit bien l’espace sonore (y’a une
tripotée de musiciens, quelques machines discrètes, mais des vrais cuivres et
s’il le faut des vieux bahuts genre Hammond B3). Une réserve pour les
crincrins, même si elles sont que deux, on les entend en permanence, et si vous
voulez mon avis, et si vous le voulez pas vous l’aurez quand même, si l’une des
deux nanas (Helen O’Hara) n’avait pas été la copine du Kevin, je parie qu’on
les aurait moins entendus … Même si pour jouer des machins tendance celtique, c’est
l’instrument de base …
J’ai racheté le bestiau en Cd (réédition Mercury de
1996), qui présente plein de bonus et qui démontre deux trucs : y’avait
pas grand-chose à rajouter au vinyle d’origine, un seul inédit tient la route
(« TSOP » pour The sound of Philadelphia, hommage au Philly Sound et
donc un peu hors-sujet sur « Too-Rye-Ay »). Plusieurs titres live qui
montrent que si le groupe refait quasiment à la note près la version studio, ça
fonctionne (« Jackie Wilson said »), mais quand il essaye d’étirer,
de multiplier tempos et breaks, ça finit par lasser (« Come on
Eileen » tout juste passable, une reprise du « Respect » d’Otis
Franklin trop longue et trop brouillonne).
Malgré tout un des rares bons disques du millésime
82 qui n’a pas produit foule de grands crus …
Des mêmes sur ce blog :
Searching For The Young Soul Rebels