Petit-déjeuner chez les
pompiers …
Je vous donnerai mon avis ferme, définitif, etc.,
sur cette rondelle, promis …
Mais avant qu’Alzheimer ou une quelconque autre saloperie dégénérative m’ait bouffé la mémoire, deux machins perso sur ce disque … ben oui, je suis vieux, j’ai vécu en direct live sa sortie et tout le bazar qui s’en est suivi …
Supertramp |
Flashback Number One ... Vers la fin 1980. Devait y avoir que trois chaînes à la télé … et va savoir pourquoi, je me retrouve un dimanche soir à mater d’un œil morne Stade 2. La grande émission sportive du service public. Présentée par Robert Chapatte, dont on comprenait pas un traître mot, tellement il carburait au Ricard, qui comme chacun sait, à tendance à alourdir la langue … Donc le Bob Chapatte file la parole à un des larbins assis autour de la table, et le gars (Lionel Chamoulaud ?) présente le reportage qui va suivre. Un reportage immersif dans la vie de Thierry Tulasne. Chapatte, Chamoulaud, Tulasne, putain de qui tu causes, qui sont ces gens-là et le rapport avec Superclochard ? J’y viens, patience … Le Tulasne, post-ado boutonneux, était le meilleur junior mondial de tennis et entrait sur le circuit des grands. Modèle : Guillermo Vilas, Argentin au look Ted Nugent, bourrin terminal, joueur de fond de court et de terre battue. Arme suprême : le grand coup droit lifté. Mortellement chiant à regarder, le Vilas se faisait dégommer à chaque fois qu’il jouait contre Borg, et ridiculiser sur surface rapide par McEnroe. Donc Tulasne était un clone de Vilas qui n’obtiendra aucun résultat significatif chez les pros. Mais là, fin 80, c’était le grand espoir bleu-blanc-rouge. Et le reportage de Stade 2 nous le montrait à l’entraînement, en compétition, à l’hôtel, et dans ses centres d’intérêt. Le jeunot nous apprenait ainsi qu’il était fan de rock et la caméra le suivait dans un magasin de disques. Il fouinait dans les bacs pour nous exhiber « ce qu’il se fait de mieux maintenant », à savoir « Beakfast in America » et le « Live in Paris » de Supertramp. Vraiment pas un choix avant-gardiste : il s’en vendait des camions de ces rondelles. Conclusion : le Tulasne était aussi triste dans ses choix musicaux qu’à voir sur un court de tennis …
Rick Davies |
Flashback Number Two ... 4 ou 5 ans plus tard.
J’étais à donf dans ma période éthylique, liqueurs fortes au litre dans les
boîtes de nuit le week-end. Je sortais avec une fille qui connaissait pas
grand-chose, voire moins au rock, et qui forcément m’accompagnait (de loin,
voire de très loin) à mon abreuvoir habituel. Bizarrerie sonore : alors
qu’elle détestait religions et religieux autant que moi, elle avait des
dizaines de K7 pirates de Mahalia Jackson, dont je connaissais tout juste le
nom et qu’elle se hasardait jamais à enfourner dans l’autoradio, parce que le
gospel et les chants religieux, désolé chérie, mais je supporte pas
(réciproquement, j’avais bien du mal à la convaincre que Beatles, Rolling
Stones, Clash et AC/DC c’était vachement bien) … Et en boîte, sur les coups de
quatre-cinq heures du matin, quand le personnel et le patron nous faisaient
comprendre que bon, c’était une belle soirée, mais qu’il allait falloir songer
à quitter les lieux, elle allait toper le DJ et lui demandait de mettre
« Child of vision » de Supertramp. Pourquoi ce putain de titre de
sept ou huit minutes, j’y ai jamais demandé ou compris ses explications, ce qui
revient au même … Le DJ, comme c’était la copine d’un bon client et que de
toutes façons la piste de danse était vide, que les employés commençaient à
faire le ménage, envoyait dans la sono le foutu morceau de Supertramp. Et donc
pas mal de mes départs titubants (parce que l’inconvénient des tabourets de
bar, quand tu y as passé plusieurs heures, c’est d’en descendre) de boîte de
nuit se sont faits au son de Supertramp, ce qui il faut bien en convenir, ne
présente aucun caractère glorieux … au bout de quelques mois, avec cette fille,
on a fini par se quitter, et même pas à cause de Supertramp …
Tout ça pour dire que Supertramp, y’a eu une période, charnière entre seventies et eighties, où putain qu’est-ce qu’on en a bouffé. Honte à moi, je l’avais même acheté ce « Breakfast … ». Et pourtant à cette époque, y’avait pas le streaming et le peer to peer, je m’appelais pas Tulasne ou Rothschild, je les soupesais et les ruminais longtemps mes achats de disque. Comme plein d’autres, je m’étais fait couillonner, intoxiqué par « Logical song » et les autres singles, qu’on entendait tellement souvent matraqués à la radio, qu’on avait fini par croire que c’était bien …
Roger Hodgson |
Ben non, on s’était fait rouler. « Breakfast
… » c’est pas bien, et Supertramp c’est pas bien et ça ne l’a jamais été …
Supertramp, c’est les finauds à donf dans le prog (anglais donc), mais barrés
question notoriété mondiale par les funestes Yes et Genesis. Qui fin seventies,
grâce à leurs daubes précédentes à coups de doubles voire de triples vinyles,
remplissaient les grandes salles. Supertramp, c’était la Pro D2. Et là, alors
que la concurrence se vautrait dans les titres (inter)minables, ils allaient
donner dans le format « chanson » et surtout radiophonique. Un positionnement
stratégique comme on dit. Eux (ou leur management) vont se tourner vers la cash
machine, le marché américain. Et pas de façon subliminale. « Breakfast in
America » (rien que le titre) et sa pochette (plutôt réussie, cette
serveuse de dinner reconvertie en Statue de la Liberté devant un Manhattan
stylisé avec des couverts) montrent clairement le cœur de cible. De ce côté-là,
mission accomplie, Supertramp deviendra la grosse machine musicale de ce
tournant de décennie. Remarque amusante, les « concurrents » Genesis
(avec « Abacab ») et Yes (« 90125 ») se réorienteront eux
aussi vers la chansonnette (comme quoi tous ces types-là ne sont pas là pour
faire de la musique, juste du fric, mais c’est un autre débat).
Supertramp, c’est un groupe composé d’un duo (Rick Davies et Roger Hodgson) et de comparses. Un duo inégal. Même si tous les deux composent, sont multi-instrumentistes et chantent, celui qui prendra la lumière, c’est Hodgson. Grâce, non à cause, de son insupportable voix dans les aigus. C’est lui qu’on entend le plus dans le hit intergalactique que fut « The logical song ». Qui a mal vieilli (ce son, cet insupportable solo de sax …) même si assez bizarrement, la voix de Hodgson convient pour une fois bien au rythme et à la mélodie. Et tant qu’à parler de mélodies, il faut reconnaître que certaines sont assez imparables. Davies et Hodgson sont fans des Beatles, et ça s’entend à plusieurs reprises. Notamment sur « Goodbye stranger », autre rengaine à succès dont le final me semble découler de celui de « A day in the life » (alors que « Oh darling » un peu plus loin dans le disque n’a rien à voir avec Lennon et le Plastic Ono Band).
Quatre singles seront extraits du disque,
chronologiquement « The logical song », « Breakfast in
America », « Goodbye stranger » et « Take the long way
home ». Le plus successful sera « Logical song », le plus supportable
est pour moi « Breakfast … » (assez bonne pop tendance lyrique, et
surtout le plus court …). Par contre, dans la petite boutique des horreurs, y’a
du lourd … de façon endémique (le chevrotement aigu de Hogdson et les
interventions du sax), mais aussi ponctuelle, l’introductif « Gone
Hollywood » résumant à lui seul tout ce qui est mauvais dans le groupe et
le disque (la voix, le sax, les gros riffs putassiers, le côté pompier).
On peut jeter une oreille distraite sur « Take
the long way home », prog en cinémascope avec son harmonica western, ricaner
devant « Just another nervous wreck », le titre (de faux) rock de la
galette, zapper « Child of vision » (prog en forme de pièce montée où
on aurait remplacé la chantilly par de la mayonnaise) … Y’a un titre que je
sauve, « Casual conversation », avec son ambiance jazzy pour cocktail
cosy, très différent de la tonalité d’ensemble du reste, même si bon, je mettrais
pas ça sur la platine tous les jours, ni même tous les ans …
Le genre de disques qu’il faut écouter, pour se
convaincre, que non, c’était pas toujours mieux avant …