Lizzy face à son destin ...
« The Queen » est centré sur la semaine du
Dimanche 31 Août 1997 au Samedi 6 Septembre de la même année. C’est-à-dire
entre l’accident parisien qui lui a coûté la vie et l’enterrement de Diana
Spencer, plus connue comme Lady Di.
Ceci étant dit, j’ai jamais été abonné ni même lu les torchons sur les people et les têtes couronnées genre « Gala », « Point de vue » et assimilés, et la saga et les frasques de la famille royale britannique, je m’en tape complètement. « The Queen », heureusement est un film qui fait intervenir les people, mais n’est pas un film sur les people royaux. C’est un film que je qualifierai de politique. Dont les premières scènes montrent l’arrivée au pouvoir de Tony Blair (une paire de mois avant que la Merco aille s’encastrer sur un poteau du souterrain du Pont de l’Alma), et les dernières une rencontre protocolaire entre le Prime Minister et la Queen Mom deux mois après les funérailles de Lady Di.
Mirren & Frears |
C’est pour moi cette entrée en matière et le final
du film qui sont les plus importants. Le reste, la semaine évoquée plus haut, a
été tellement commenté et documenté, que mis à part des immersions (réussies) au
10 Downing Street, au domaine privé écossais de Balmoral et à Buckingham Palace,
lieux de résidence de la famille royale, ça n’apporte pas grand-chose à l’histoire,
celle qu’on écrit dans les livres. « The Queen » n’est pas une
version « alternative » de l’Histoire comme peuvent l’être le « JFK »
d’Oliver Stone ou le « Farenheit 11/9 » de Michael Moore. « The
Queen » nous montre en continu, de façon chronologique (la date est
précisée chaque fois que l’on change de journée), ces jours qui ont failli faire
vaciller la monarchie britannique, et ses siècles de pouvoirs héréditaires.
Derrière la caméra, Stephen Frears, évidemment Sujet
de Sa Très Gracieuse Majesté. Quasiment une quarantaine d’années derrière la
caméra en 2006, parsemées de quelques aimables succès critiques et populaires (« My
beautiful Laundrette », « Les liaisons dangereuses », « High
fidelity », …), sans pour autant être reconnu comme un cador des plateaux
de tournage. Il signe avec « The Queen » ce qui est certainement son
meilleur film. Et pas qu’un peu aidé par une prestation époustouflante d’Helen
Mirren, qui prouve enfin, à plus de soixante balais, qu’elle peut tenir un
grand rôle dans un grand film, cantonnée qu’elle a été dans des séries B plus
ou moins navrantes (je vais pas faire la liste, y’a Wikipedia qui le fait très
bien). Un Oscar (mérité) viendra couronner (c’est bien le mot) sa performance
en Reine d’Angleterre face à une crise morale, sociale, politique et
institutionnelle.
Evidemment, et c’est précisé à la fin du générique, « The Queen » est une fiction basée sur des faits réels. Les seules versions de l’histoire ne venant que du camp de Tony Blair, campé dans le film par Michael Sheen, choisi pour une vague ressemblance. C’est lui le maillon faible du casting, alors que sa femme Cherie (Helen McCrory), ou les membres de la famille royale (eux aussi castés pour des similitudes physiques) s’en sortent mieux (le futur King Charles, son père Philip, la mère d’Elisabeth).
Tony Blair prête serment |
« The Queen » mélange scènes d’archives
télé et pour l’essentiel des reconstitutions, avec parfois les acteurs
superposés aux images d’actualités. Inutile de préciser que rien n’a été tourné
aux abords du Ritz, au Château de Balmoral, à Buckingham Palace, ou dans la
cathédrale de Westminster. Mais comme vous et moi et pas grand-monde n’a jamais
foutu les pieds dans ces endroits prestigieux, le subterfuge était facile (pour
la cathédrale de Westminster, images d’archives et plans serrés sur les acteurs
suffisent à entretenir l’illusion du réel).
« The Queen » a ceci d’efficace, qu’il nous
montre deux choses. Le chaos dans lequel s’est enfoncé des jours durant la
Reine et sa famille, et un Tony Blair qui très vite va finir beaucoup plus mal
que ce qu’il avait commencé. Est-ce en filigrane un règlement de comptes de
Frears avec celui qui a quand même bien trahi ses idéaux (et ses électeurs), il
se pourrait bien.
Dans quasiment tout le film, c’est pourtant Blair qui a la main et « sauve » la Reine. Sauf que … On débute par une Elisabeth majestueuse qui pose en tenue de grand apparat pour un portrait en pied (enfin, assise) pour le peintre (officiel ?) du régime. La scène a lieu le jour des élections qui vont voir la victoire du Labour de Blair. Dans la discussion (très protocolaire) le peintre glisse que thanks God, il n’a pas voté travailliste. Plus fine, la Reine lui fait remarquer qu’elle n’a pas le droit de vote, mais on sent bien que ... vous m’avez compris … Et déjà, on voit que « The Queen » ne sera pas un pensum historique pesant. La finesse, l’ironie, le second degré, le tongue-in-cheek sont souvent de la partie. Grand numéro d’équilibriste de Frears et de son scénariste Peter Morgan, d’autant plus que les faits évoqués ne sont pas vraiment légers et ont traumatisé toute une nation. Quelques jours après les élections, entrevue officielle et en privé de Blair et Elisabeth pour l’investiture du premier Ministre. Blair, d’apparence joviale, décontractée et souriante, est intérieurement tétanisé par la solennité du moment. Beaucoup plus que sa femme, qui le rejoint dans la foulée (dans la famille Blair, et pas seulement dans le film, c’est elle qui était à gauche). On voit déjà l’instinct politique de la Reine qui a auparavant demandé à son chef du protocole de venir l’appeler au bout d’un quart d’heure pour ne pas éterniser la rencontre avec les prolos Blair, à qui elle n’a pas manqué de rappeler que son premier Premier Ministre fut un certain Winston Churchill …
Débordée par l'actualité ... |
Ces décennies de pratique et de finesse politique vont
se fracasser deux mois plus tard lors de l’accident de Diana. Lorsque le décès
est confirmé, les certitudes et les siècles de tradition volent en éclats.
Charles, bien qu’ex-mari cocu (la réciproque est aussi vraie) sent que toute la
famille royale doit rendre hommage à celle qui fut femme de l’héritier du
trône, d’autant plus qu’elle est adorée par le pays. Il va trouver en face lui
la Reine, son époux et sa grand-mère (en gros « c’est pas une Windsor, c’est
plus ta femme, que sa famille – les Spencer – se démerdent »). Toute la
famille royale est au moment du décès en villégiature dans sa propriété privée
de Balmoral en Ecosse et il n’est pas question de retourner à Londres, de faire
quelque discours ou intervention que ce soit et d’organiser des funérailles d’apparat.
Le futur King Charles (étrangement, Frears ne fait jamais apparaître ni ne cite
la Camilla) doit s’appuyer sur Blair pour faire rapatrier le corps avec un
minimum de solennité en Angleterre.
Blair et son équipe sentent bien que la pression populaire est en train de monter contre la Reine et les coups de téléphone se multiplient entre Downing Street et Balmoral où toute la famille Windsor continue ses activités champêtres et bucoliques (la pêche, la chasse, les grillades, les ballades en Land Rover) comme si de rien n’était. Ces face à face par British Telecom interposés sont passionnants, entre un Blair qui s’affirme de plus en plus et une Queen qui s’agace de son attitude mais commence à douter. C’est la pression populaire, cumulée à des sondages (secrets) calamiteux pour la monarchie attaquée par toute la presse sans exception, qui conduira à son retour à Londres, ses déambulations devant les tonnes de fleurs entassées devant les grilles de Buckingham Palace, son message de deuil à la Nation, les obsèques nationales avec Elton venu entonner un « Candle in the wind » (on l’entend pas mais on le voit entrer dans la cathédrale), enfin tout ce que les télés du monde entier (passage de temps en temps de vrais extraits de JT d’un peu partout) ont montré non stop et en direct pendant toute la semaine.
Blair calling : Allo, non mais allo quoi ... |
La monarchie a tremblé, la popularité de la Reine s’est
effondrée, Blair triomphe (sa fameuse expression de « Princesse du peuple »
lors d’un discours d’hommage à Diana). Mais le film s’appelle « The Queen »
et pas « Tony ». Quelques semaines plus tard, lors des rencontres
hebdomadaires avec son Premier Ministre (2500 à ce moment-là, comme le lui
rappelle Blair), on voit celle à qui il est interdit de faire de la politique
avoir repris les choses en main, et humilier (toute en sourires et formules malicieuses)
un Tony Blair qui lui est déjà sur la pente descendante …
Helen Mirren est époustouflante dans son rôle, et
pas pour seulement pour son apparence similaire (l’allure, les fringues
terriblement désuètes, paraît-il sa façon de s’exprimer, mais là je peux pas
dire, j’ai pas de Cds de la Queen Elisabeth). Elle rend magnifiquement le
désarroi d’une femme devant laquelle tout le monde s’est toujours courbé, et
qui se retrouve face à une situation qui fait voler toutes ses certitudes en
éclats. Mention particulière également à James Cromwell excellent dans le rôle
de son mari, qui présente la facette la plus conservatrice de la famille, à
grand renfort de réparties cinglantes (et donc ridicules).
Deux anecdotes pour finir.
Aussi méticuleux qu’ait voulu être Frears, il a
laissé passer un pain au montage. A un moment, on voit la Reine partir se
balader en 4X4 et elle fait monter deux clébards noirs (des labradors ?)
dans la voiture. A la scène suivante, lorsqu’elle rouvre la portière, il en
descend trois. L’autre énigme du film, ce sont les deux face à face de la Reine
avec un cerf gigantesque, le premier alors qu’elle en panne avec sa vieille Land
Rover, et le second alors qu’il a été abattu par des chasseurs d’un domaine
voisin. Les spéculations les plus étranges se sont multipliées sur la
symbolique sous-entendue. Frears affirme que ça fait partie des scènes sans
aucune signification, juste là pour leur rendu visuel, et donner une durée « décente »
au film (une heure quarante) …