Ce type, James Siegfried / Chance / White, il
faisait figure d’alien à une époque (la fin des 70’s) et un endroit (New York)
qui pourtant voyait surgir à tous les coins de rue des types plus bizarres les
uns que les autres. Déjà, avec sa tronche de Simpson, ce grand échalas ne
passait pas inaperçu. Son entourage non plus… Dans sa mouvance et son sillage,
on trouve quelques noms qui font grincer les dents à tout fan de Julien Doré
normalement constitué. Les deux plus célèbres potes de James White sont Lydia
Lunch (performeuse hyper féministe genre sado maso punk bondage) et Robert
Quine (guitariste chauve et grinçant des Voidods de Richard Hell et qu’on
retrouvera plus tard sur des disques de Lou Reed, John Zorn ou Tom Waits).
James White |
L’alors dénommé James Siegfried (son vrai blaze) traîne
sa jeunesse dans le Lower East Side de New York dans le milieu des seventies.
Il fréquente tous les rades minables dans lesquels des gens
« différents » se produisent. Et prend une grosse claque en voyant
(et accessoirement écoutant) les Ramones au CBGB. Problème, comment faire ce
qu’on n’appelait pas encore punk quand le seul instrument dont tu sais jouer
est un putain de sax ténor et que t’as bouffé du jazz toute ta jeunesse ?
D’autant que rayon sax, y’ a un type qui commence à faire parler de lui dans
les milieux branchés new yorkais, un certain John Lurie au sein de son groupe
les Lounge Lizards.
James Siegfried devient James Chance, et après un
bref passage dans Teenage Jesus &
The Jerks (où il croise Lydia Lunch), monte un groupe, les Contortions, et
commence à mélanger punk, funk, jazz, et d’une façon générale tout ce qui lui
passe par la tête pourvu que ça sonne comme rien de déjà entendu. Les
habituelles galères de contrats, de disques qui attendent une éternité avant de
sortir, et de toute façon mal distribués, de 45 T supposés essentiels qui font
un bide monstrueux seront le quotidien des Contortions. Même si la grande
carcasse de James Chance force le respect. D’ailleurs il n’hésite pas à
descendre dans le public pour secouer ceux qui ne semblent pas apprécier sa
musique …
Le déclic pour Chance viendra de rencontres. Celle
d’Anya Philips, qui deviendra sa muse (et manager) et celle de deux Européens
venus humer l’air sonore de New York, l’Anglais Michael Zilkha et le Français
Michel Esteban, qui viennent de fonder ZE Records, petit label qui essaye de
signer la fin de la comète punk. Ils se contenteront de Dr. Buzzard’s Savannah Band
(futurs Kid Creole & The Coconuts), de la copine d’Esteban, la frenchie
Lizzy Mercier Descloux. Et du nouveau groupe de Chance (rebaptisé White ), les
Blacks, assemblage de musiciens (mais pas toujours) croisés au gré de ses pérégrinations
…
The Blacks live |
C’est ZE records qui donnera sa meilleure chance
à Chance / White. En lui permettant de sortir un album digne de ce nom
(entendez par là qu’il a eu l’occasion de passer quelques jours en studio). Les
influences majeures de ce « Off White » s’épèlent à ce moment-là Lounge
Lizards et DNA (autre groupe inclassable mené par la figure forcément
underground Arto Lindsay), et comme le résultat est assez … déroutant, au lieu
de classer ça sous le générique new wave fort en vogue en cette fin des années
septante, on l’appellera no wave.
« Off White » part dans tous les sens et
parfois même ailleurs.
Seuls points communs à tous les titres, une basse
très en avant (George Scott) très groovy et très funk ; le sax strident de
White (influences revendiquées Albert Ayler et Lester Young) ; et quand il
se hasarde à euh … chanter la voix grave et gutturale de White. Le disque se
situe à la confluence du free jazz, du funk et de son avatar populacier le
disco, et du punk envisagé par son aspect vitesse et énergie.
Généralement, ça fait plutôt mal aux oreilles.
Volontairement, car contrairement aux punks, les types savent jouer, sont d’un
niveau technique supérieur à la norme. Parfois même, on s’approche du
radiophonique, enfin, d’un truc qui pourrait passer tard à la radio quand tout le
monde dort (« (Tropical) Heat wave »). D’autres fois, la structure
squelettique de ces funks mutants renvoie aux Talking Heads (les décharnés « Almost
black (Pt I & II) »). « Contort yourself » oscille entre
funk décapant et punk strident, alors que sa version remix (par August Darnell
futur leader maximo de Kid Creole) est beaucoup plus élastique, funky, et dotée
d’une intro techno qui annonce les joueurs de disquettes des années 90. « Stained
sheets » fait alterner beuglements de sax free jazz et gémissements (de
souffrance ? de plaisir ?) d’une femelle en rut (Lydia Lunch). « White
savages » ajoute au boucan habituel des sonorités quasi industrielles, la
guitare stridente de Bob Quine est très en avant sur le morceau-titre, « Bleached
black » conclue la rondelle avec son tempo plus lent et plus lourd…
James White et Deborah Harry, une copine new yorkaise |
La section bonus de la (belle) réédition de 2004
comprend quatre longs titres. « Christmas with Satan » passe du côté
obscur de la farce et du coq à l’âne, et fait se confronter et se succéder une
intro piano sax à la Tom Waits, des dissonances krautrock tendance Can, du jazz-funk
et du jazz de voleurs de poules façon Emir Kusturica … amusant, même si usant …
Trois titres live enregistrés en 1980 dans un club de Rotterdam font se
succéder (pas dans l’ordre indiqué sur la pochette) une reprise punk de Michael
Jackson (« Don’t stop till you get enough »), une sorte de blues
mutant (« Exorcise the funk ») et un machin rêche et rigide très
(mal) barré (« Disposable you »).
Ce « Off White » ne rencontrera pas son
public (en termes clairs, ce sera un bide commercial monumental). Il sera
cependant considéré par beaucoup comme la pièce essentielle du courant no wave.
Bizarrement, on n’a pas trouvé à ce jour d’audacieux (tant mieux ?) pour
se lancer dans un revival de ce courant éphémère dont les figures « marquantes »
furent au début des 80’s des gens comme Defunk ou les Bush Tetras …
« Off White » est étrange et ambitieux. J’écoute
pas ça tous les jours, mais une fois en passant, why not ?