« Feline » c’est une énigme musicale pas
encore résolue. En gros, le disque après lequel vont courir tous les petits
barons de la pop à synthés des années 80, sans réussir à s’en approcher. Plus
étonnant encore, le fait que ce disque soit signé par les Stranglers. La
plupart de leurs fans ne s’en sont pas encore remis.
The Stranglers |
Pensez, le disque le plus raffiné de la décennie mis
en rayon par le groupe le plus destroy de l’époque n’a pas encore fini de
susciter des controverses. Musicalement, les Stranglers ont fait avec
« Feline » de la dentelle sonore, de quoi décontenancer leurs fans
punks de base, déjà passablement interloqués à l’écoute de leur dernier single,
la comptine « Golden brown » réminiscente de la musique classique.
« Golden brown », à côté de « Feline », c’est une maquette
craspec. Les Doors du punk (c’est comme ça qu’on résumait un peu stupidement le
groupe à ses débuts) se transforment en Kraftwerk new wave. Totalement
incompréhensible. Sauf que les Stranglers, ce sont les rois de l’équivoque, du
malentendu, de la provoc, du concept (souvent fumeux, voir les « Men in
black »), mais du concept quand même.
« Feline » est un concept, poussé à
l’extrême. Un rejet d’une culture et d’une musique anglo-saxonne hégémoniques
en Europe. Les Stranglers, bien avant que la notion d’Europe (communautaire ou
pas) soit à la mode, en faisaient le cœur de leur disque. Burnel, le bassiste
du groupe, est le théoricien de cette époque. Evidemment, comme tout ce qui
touche aux Stranglers à l’époque, il faut faire le tri, laisser de côté les
provocations, les poses totalitaires qui étaient le quotidien du groupe.
« Feline » est de fait le successeur spirituel de « Euroman
cometh », le premier disque du bassiste karateka, une œuvre insécable à
donc appréhender comme un tout qui veut poser les fondations d’une musique
contemporaine européenne. Et qui passe dès lors obligatoirement par la mise à
l’écart de tout ce qui a trait au rock (par définition américain) au sens large
du terme.
Les Stranglers : Noir Mécanique ? |
Il y a dans « Feline » toutes ces guitares
acoustiques venues de la culture ibérique, toute cette langueur automnale de
l’Europe centrale (l’influence du krautrock, lui aussi rejetant en son temps le
rock (‘n’roll) est partout palpable, évidente). Difficile de savoir où les Stranglers
veulent en venir, les paroles sont comme toujours cryptiques à souhait, le
disque ne contient aucune information (sur le lieu d’enregistrement, les
techniques utilisées, la production). Et il fallait pas compter sur les quatre
de Guilford pour donner les clés de leur démarche … Tout dans
« Feline » est à prendre au énième degré (mais lequel ?),
multiplie les double-sens ou les sous-entendus. Des exemples : la
typographie du titre évoque un acronyme, mais que signifie t-il ? Mais
d’abord est-ce un acronyme ? Rien n’est moins sûr. Un titre comme
« Let’s tango in Paris », c’est une blague salace, oui, mais c’est
vraiment un tango qui sert de base musicale au morceau. « All roads lead to Rome » qui succède à
« Paradise », religion or not ? On pourrait continuer longtemps …
Mais la musique, elle a tellement surpris que
certains ont même accusé les Stranglers de ne pas jouer, d’être remplacés par
des échantillonneurs, des samplers et des claviers. Sauf que non, le groupe a
tout joué, mais tout a été repassé par des synthés pour donner cet aspect
clinique, désincarné, cette ambiance de braises qui couvent sous la glace,
cette musique qui sonne électronique sans en être. Si la partie cérébrale doit
beaucoup à Burnel, pour la partie sonore, c’est Dave Greenfield qui a pris les
commandes. Et permettez-moi de vous dire que quand un pianiste de formation (il
me semble qu’il a même tâté du Conservatoire) se met en tête de créer des
mélodies, ça place la barre haut. Trop en tout cas pour tous les new-waveux et
techno-poppeux de l’époque (« All roads lead to Rome » est en
Décembre 82 quand paraît « Feline » le meilleur titre de New Order
que les New order n’écriront jamais … les Depeche Mode, ou OMD non plus,
d’ailleurs …).
Stranglers live 1983 |
Des synthés, dans « Feline », il y en a
partout. Et en grosses quantités. Mais utilisés avec un sens de la mesure, du
discernement, dont bien peu (hors Kraftwerk) ont été capables. Des synthés qui
jouent sans arrêt les proverbiales madeleines de Proust, jonglant finement avec
musiques traditionnelles, folkloriques, baroques, classiques. Toutes les intros
sont longues, lentes, aériennes (mention particulière à celle de
« Midnight summer dream », chef-d’œuvre de finesse absolue).
Cornwell, qui n’est pas de ceux que l’on qualifie généralement de grand chanteur
trouve dans ces ambiances vaporeuses un écrin unique, oubliant parfois de
chanter pour parler (« Midnight summer dream » encore) et allant
souvent chercher un registre loureedien qui fait l’évidence. Souvent secondé
dans les chœurs par Burnel (c’est Burnel qui chante lead sur le plus gros
succès du disque « European female »), exceptionnellement par des
voix féminines forcément angéliques sur le refrain de « Paradise » …
« Feline » est un bloc, réussit l’exploit
de répéter à chaque titre les mêmes bases, les mêmes recettes, sans qu’on ait
l’impression de copier-coller (c’est la mélodie, ça change tout, une mélodie
…). Le public des premiers jours boudera le disque, mais le groupe, qui à
partir de ce moment mettra pas mal d’eau dans son vin provocateur, commencera à
« vendre du disque ». Et pas mal en France (patrie de naissance
de Burnel, mais surtout lieu du « dérapage » le plus célèbre, avec
son concert incendiaire dans tous les sens du terme à la fac de Nice, chez le
truand-maire Jacques Médecin). « Feline » est un disque de rupture,
qui restera sans suite et sans équivalent dans la discographie conséquente du
groupe qui publie et tourne encore (même s’il manque la moitié du quatuor
original).
J’adore ce « Feline », pour moi sans
conteste l’œuvre majeure du groupe. Alors quand il est sorti une version Cd
avec six inédits, pensez si je me suis précipité … Las, rien dans ces bonus ne
présente le moindre intérêt, quatre titres grossiers avec synthés et
arrangements vulgaires, un sabotage (y’a pas d’autre mot) de deux titres live
enchaînés de « Feline » (à ce niveau de nullité, soit les Stranglers
sont allés tellement loin en studio que c’est injouable sur scène, soit c’est
du total foutage de gueule ce qui n’aurait rien de surprenant quand on les
connaît un peu). Le dernier titre bonus, un machin déclamatoire prétentieux et
pédant au possible fait le lien avec le disque studio suivant, l’assez minable
« Aural scuplture ».
Des mêmes sur ce blog :
Rattus Norvegicus
Des mêmes sur ce blog :
Rattus Norvegicus
La preuve que c'est bof, t'as mis deux fois le même titre...
RépondreSupprimerManque d'idées ? Juantrip... Chemical Brothers... Stereolab... Death in Vegas... Goldie... Carl Craig... Suffit de demander :)
Je corrige ... suffit de demander ...
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