Affichage des articles dont le libellé est World. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est World. Afficher tous les articles

MANO NEGRA - PUTA'S FEVER (1989)

 

MST (Musique Sans Territoire)

C’était un temps (les années 80) où, comme d’habitude la plupart de ceux qui sortaient des disques en France couraient après ce qui marchait ailleurs (chez les Grands Britons ou les Ricains). Sauf que par hasard, à force de courir, certains les avaient dépassés. Oh, pas dans tous les domaines, mais c’est en territoire mitterrandien qu’était sorti un genre inconnu ailleurs, qu’on baptisa rock alternatif. Piochant dans les tréfonds de la musique franchouillarde (les flonflons des bals musette, la chanson réaliste à texte), et passé à la sauce punk (ou bourrin, ça marche aussi).

Mano Negra 1989

Têtes de gondole du genre, les Bérurier Noir, qui faisaient ce qu’ils pouvaient pour masquer et refuser un succès populaire certain, allant jusqu’à la dissolution du groupe pour être sûrs de ne pas passer en boucle sur NRJ. Dans leur sillage, une foultitude de groupes affichant à peu près la même radicalité morale. Il y avait deux camps : les intégr(ist)es, refusant toute forme de « compromission » avec le « système », et puis ceux pour qui ce qui comptait c’était de s’éclater entre potes (ceux du groupe, ceux qui venaient les voir). Dans cette seconde catégorie, la Mano Negra.

La Mano venait de loin. De plein de groupes de « jeunesse » (Hot Pants, Carayos, Kingsnakes, …), où se sont rencontrés ceux qui allaient devenir l’ossature de la Mano Negra (les frères Chao, Santi). Le groupe n’a jamais eu de composition définie et rigide, selon les époques et les occasions (travail en studio ou prestations scéniques), mais a toujours compris au moins une demi-douzaine de personnes. Un groupe dont il n’est pas facile de dresser l’historique au niveau personnel, d’abord parce que tous avaient un (voire plusieurs pseudos), qu’il y avait beaucoup « d’invités » (dont certains de façon quasi permanente), et qu’au hasard de ses tournées dans les pays le plus improbables, des musiciens locaux se joignaient pour quelques dates (ou quelques mois) au groupe sur scène …

Leur premier album, « Patchanka » est paru chez Boucherie Productions, label de François Hadji-Lazaro (qui avait joué avec Manu Chao dans los Carayos, le monde du rock alternatif est petit …). Le morceau de latino punk endiablé « Mala vida » va devenir un hit, et les majors, sentant le potentiel commercial de la Mano, sa faculté à remplir des salles où le groupe donne des prestations explosives, se pointent avec leur chéquier. La Mano Negra va signer chez Virgin pour un nouvel album, qui sera ce « Puta’s fever » dont je m’en vas vous causer.


Parenthèse : je vais zapper tout le débat « traîtres – vendus » qui a secoué pendant des années voire plus les principaux tenants de « l’affaire », les arguments antagonistes et irréconciliables, les rancœurs étalées au grand jour par presse spécialisée ou pas interposée, les interventions par centaines de gens qui n’étaient en rien concernés mais qui prenaient position, et le plus souvent de façon pas très nuancée … Débats qui n’auraient certainement pas eu lieu si « Puta’s fever » avait fait un bide …

« Puta’s fever », il ressemble au groupe qui l’a fait. Protéiforme et bordélique, s’il fallait s’en tenir à deux mots. Il y a des effluves de rock, de rockabilly, de punk, de reggae, de chanson réaliste, de rap, de musiques latines, arabes, et j’en passe, le tout souvent mêlé dans le même titre. Idem pour les paroles, parfois politiques, parfois drolatiques, parfois nonsensiques … Paroles chantées en français, anglais, espagnol, arabe, voire entre charabia et yaourt … Et le tout défile à toute blinde (dix-huit titres en quarante minutes, les plus longs dépassent à peine les trois minutes).

S’il fallait ne citer qu’un disque similaire, celui qui s’approche le plus de « Puta’s fever », tant par « l’esprit » que par la multiplicité des genres abordés, c’est « Sandinista ! » du Clash (avec quatre faces vinyle de moins). Parallèle ni très osé ni très difficile à établir, le groupe de Jones et Strummer est le dénominateur commun d’à peu près tous ceux qui œuvrent dans la Mano …

Trente cinq ans après les faits, ce stroboscope sonore passe quand même moins bien que lors de sa sortie. Et malgré les tempos supersoniques, on trouve des redondances, de l’autocomplaisance, et on sent des passages « diplomatiques », pour faire plaisir ou mettre en avant tel ou tel de la bande. Il n’empêche que pour une rondelle aussi « typée » et datée, « Puta’s fever » tient plus que bien la route.

Pour une raison primordiale, les gens de la Mano sont vrais, ne trichent pas, ne renient rien (de leurs origines, de leurs goûts musicaux, …), ne se la racontent pas, vivent et enregistrent au jour le jour, sans plan de carrière. Pas de calcul, des tripes et la bonne humeur à faire partager.

Point musical commun de la plupart des titres, des tempos tachycardiques. D’entrée le morceau « Mano Negra », un machin speed indéfini suscite presque le doute (sur vinyle) de la bonne vitesse de rotation du disque. Et puis le Grand Huit musical se met en branle, on passe du rockabilly à gros riffs hardos au final (« Rock’n’roll band ») à un rap, « King Kong Five ». Gros succès en 45T, et fait assez rare pour un rap somme toute basique, le rythme est souligné par un bon vieil orgue Hammond (ou c’est bien imité). « Soledad », hormis son tempo hyper-rapide, pourrait passer pour le meilleur titre des Négresses Vertes, est soutenu par de gros riffs de cuivres et recrache au final la mélodie de « Je cherche après Titine » (très vieux morceau franchouillard, déjà « adapté » en yaourt avec sa chorégraphie surréaliste par Chaplin dans « Les Temps Modernes »). Suit un morceau chanté en arabe (« Sidi H Bibi »), mixant musique traditionnelle (?) nord-africaine et rock alternatif, avant un hommage sonore appuyé au Clash avec « The rebel spell » et « Peligro ». Changement de décor avec le plus gros succès du groupe, « Pas assez de toi ». Rythme apaisé mais festif, sur des paroles bien dépressives, limite suicidaires.

Manu Chao

« Pas assez de toi » est le sommet populaire du disque. La suite de la rondelle sera moins évidente. Rien d’ignoble, on reste en terrain connu, mais il y a des choses qui font redite (« Voodoo », « Magic dice », « The devil’s call »), on se laisse aller à la facilité (« Pachuco hop », matrice du punk musette qui engendrera tant de groupes dispensables), ou à la grosse blague un peu lourdingue (« Roger Cageot » le titre du guitariste Daniel Jamet, comme un crobar de Reiser mis en musique, ou « La rançon du succès » classic rock balourd qui bifurque non moins lourdement sur le « Chéri je t’aime » du très improbable Bob Azzam).

Au rythme où ça s’enchaîne, on peut pas parler de remplissage, mais quelques passages auraient mérité d’être élagués, et d’autres développés sans que ça ressemble à du prog …

Titre charnière du disque : « Guayaquil City », tempo beaucoup moins oppressant, rythme sud-américain, qui préfigure la carrière solo de Manu Chao. Parce qu’il faut bien en causer du garçon. N’allez surtout pas dire que la Mano c’est sa chose, ça lui aurait pas fait plaisir, d’autant plus que c’est pas vrai. Mais il en était la figure de proue (guitariste rythmique et principal chanteur), de très loin le plus gros contributeur en matière d’écriture. Le seul capable de faire parler de lui à la fin du groupe au début des années 90 en se lançant dans une carrière solo à l’écho mondial (par charité, on se contentera de citer sans commenter la reconversion du batteur Santi qui rejoindra le staff directionnel d’Universal Music et le jury de Popstars sur M6 …).

On ne compte plus tous les groupes et disques qui en cette fin des 80’s ont surfé sur cette vague patchwork, concrétisée par le succès de la Mano Negra et de « Puta’s fever ». Très rares ont été ceux qui sont parvenus à laisser des publications qui tiennent la route aujourd’hui, autrement que sous l’angle nostalgie … La Mano Negra, c’étaient les meilleurs et « Puta’s fever » reste d’assez loin leur sommet créatif …


TONTON DAVID - LE BLUES DES RACAILLES (1991)

 

Tonton flingueur ou Tonton flingué ?

Tonton David, son vrai blaze c’est Ray David Grammont. Ça commence mal, c’est con, je trouve que son nom est mieux que son pseudo …

Réunionnais de naissance et donc immigré en région parisienne (oui, je sais, La Réunion c’est en France, c’est la façon dont tu es perçu en métropole qui compte), une biographie (falsifiée, exagérée ?) de petit délinquant avec case zonzon, et une « expatriation » en père de famille déjà nombreuse vers la riante cité de Metz (cercle polaire septentrional) … Bon, je pourrais continuer dans cette veine là, mais c’est trop facile, malheureusement pour lui, il est plus là pour répondre, et puis, ce qui me gave chez lui, c’est pas le personnage (publiquement au demeurant assez sympathique), c’est la musique qu’il a fait.


Le Tonton, il vient du reggae. Enfin, le reggae des années 80 … Pause et petit rappel des faits. Le reggae, ça vient du ska, du rocksteady et de la Jamaïque des années 60. Bob Marley en fera un genre musical universel quand il deviendra une star planétaire au milieu des années 70. Trop tard pour les pseudo rastas de circonstance, musicalement le genre est moribond, les meilleurs titres et disques (y compris ceux de Marley) datent tous d’avant 74-75. Et quand Marley claquera en 81, personne ne reprendra l’affaire reggae en main. Les contemporains et possibles héritiers ne manquent pas, mais aucun n’atteindra l’universalité de Saint Jah Bob … Quant à la nouvelle génération, ces gamins jamaïcains nés dans les années 60, ils vont remplacer les musiciens par des machines, la structure rythmique deviendra beaucoup plus sèche et répétitive, le phrasé beaucoup plus scandé (reprenant les choses là où les avaient laissé les toasters des sound-systems jamaïcains des 60’s). On appellera ça le dancehall, avec deux courants : le slackness (ancêtre du gangsta-rap américain, le bad boy ou prétendu tel serial lover) et le raggamuffin (ceux qui causent accessoirement d’autre chose). A peu près la même chose se retrouvera aux States, où l’on parlera de rap. Quand le rap explosera commercialement au niveau mondial (Public Enemy et d’autres dans la seconde moitié des 80’s), les répliques se feront sentir partout, y compris dans notre chère Gaule. Quelques émissions de télé rétrospectivement assez risibles assureront l’implémentation du genre dans les oreilles de toute une génération issue de ce que l’on appelait les banlieues. Et quelques-uns passeront de l’écoute à la pratique sous le regard au mieux condescendant des maisons de disques. Une seule, Virgin, fondée par l’ancien hippie mais vrai affairiste Richard Branson, par le truchement du sous-label Labelle Noir, publiera en 1990 une compilation qui va se révéler fondatrice, « Rapattitude », où l’on retrouvera quelques seconds couteaux en devenir du rap, Assassin, Saï Saï, et les futures stars NTM. Parmi la dizaine de titres, une rengaine très mélodique sur fond de raggamuffin, « Peuples du monde » signée Tonton David. Premier vrai succès (radios, télés, charts) du rap français au sens large (après l’étonnant et improbable « Chacun fait ce qui lui plaît » de Chagrin d’Amour). Virgin battra le fer tant qu’il était chaud, et Tonton David se verra poussé en studio pour enregistrer un disque. Pour la petite histoire c’est Polydor qui sortira en 90 le premier album de rap à succès, « Qui sème le vent récolte le tempo » du plutôt brillant MC Solaar.


Des succès, l’Oncle David en aura, mais sous forme de singles, par contre il ne sera jamais un vendeur d’albums.  « Le blues des racailles » sera son premier 33T et un bide assez retentissant, et ce bien qu’il contienne en dernière piste « Peuples du monde » (le 45T est beaucoup plus facile à trouver aujourd’hui d’occase que l’album original).

Pourtant Tonton David se situe à la croisée des chemins rap et raggamuffin, y’avait de quoi ratisser large. Même si la bande tricolore (vert, rouge et jaune) de la pochette est le signe de ralliement de tous les reggaemen, on sent l’envie forcenée de coller à l’air du temps. Problème, à l’heure où le rap américain reposait sur un gros travail de studio, « Le blues des racailles » sonne cheap, bâclé. Des structures rythmiques maigrichonnes, des boucles minimalistes, et à contre-courant des standards internationaux, le gros des efforts est dirigé sur l’architecture mélodique et le soin apporté au refrain par le renfort d’un chœur féminin (à la I Threes de Marley) présent sur de nombreux titres. Et puis, y’a un autre souci. Le rap ou le raggamuffin sont affaire de tchatche (le flow disent les connaisseurs), et de plus en plus à l’époque, de textes. Ici, ça vire souvent à la cata. Oncle David arrive pas à coller vocalement sur des tempos qui se doivent d’être rapides, sa diction est pas bonne du tout, son accent ultramarin qu’il a pas réussi à perdre lui fait bouffer la moitié des mots et des pans entiers de phrases sont incompréhensibles. Et les thèmes abordés restent gentiment centristes, convenus. On est loin de la dentelle verbale travaillée d’un MC Solaar, et des punchlines balancées par les rappeurs américains et que sont en train de mettre en place dans leurs caves NTM ou IAM et l’émergence de ces deux-là renverra Tonton David au rang d’amuseur cool, que viendra lui contester au milieu des 90’s le risible et futur sarkozyste Doc Gyneco.

On sent dans « Le blues des racailles » que toutes les « figures imposées » du rap ou du raggamuffin sont traités de façon superficielle. Le côté bad boy sur l’introductif (bidonné ?) « Mon CV », le « sauvetage » grâce à la musique (« A qui la faute »), le machisme « gentil » (« Les jeunes filles vont nous tuer »), l’auto-glorification (« Tonto »), les flics (« Ils ont appelé la police pour moi »), la réussite financière (« CA$H »).


Deux titres posent problème (mais comme personne a dû les écouter, ça n’a pas fait de vagues, de scandales, ou de buzz). « Je parle à toi » avec au milieu d’une litanie de clichés à tendance communautariste une au moins maladroite sinon débile référence à « un accroissement inexorable de l’homosexualité ». Quant à « Pretoria » sur la situation d’apartheid en Afrique du Sud, on est loin de la qualité de « Biko » de Peter Gabriel, des albums « Graceland » de Paul Simon ou « Survival » de Marley, et à propos de Marley le citer à la fin du titre pour prédire une guerre civile, est une dénaturation et une réécriture totale des prises de position de Saint Bob …

Au final, il en reste quoi à sauver de ce disque ? Pas grand-chose. Allez, en ratissant large, j’en sauve trois (sur quinze). Le morceau-titre, plutôt basé piano et guitares (bien discrètes) que machines, « CA$H », un des plus élaborés musicalement, avec ajout de chœurs féminins et de cuivres, et le gentil hit « Peuples du monde ».

Ce hit qui suffira au Tonton pour devenir quelqu’un qui compte, d’autant plus qu’il réussira à sortir d’autres hits encore plus niais, notamment « Chacun sa route » épaulé (?) par Manu Katché et Geoffrey Oryema (la B.O. du sans intérêt « Un Indien dans la ville »), qu’on le verra dans des émissions prime time, image lisse et souriante d’une musique et d’une génération qui ne l’étaient pas vraiment par ailleurs. Ses petits succès dans les 90’s ne lui feront pas prendre la grosse tête mais plein de kilos, avant qu’il disparaisse des radars, et même tout court, victime d’un AVC il y a quelques années.

« Le blues des racailles » c’est poubelle direct. Si des trucs réussis dans ce genre quasiment disparu aujourd’hui vous intéressent, à peu près tout ce qu’a fait le Massilia Sound System dans les 90’s vaut le détour (du rap et du raggamuffin en provençal). Sinon, y’a quelques plages du grandiose « Banzaï », du groupe punk radical La Souris Déglinguée qui s’était offert une escapade fabuleuse vers des rythmes moins à ras du bitume que ceux auxquels ils nous avaient habitués depuis leurs débuts …





MANU CHAO - CLANDESTINO (1998)

 

Buena Vista Chao Club ...

Est-il utile de présenter Manu Chao ? En principe non, tout le monde le connaît. Grâce à ce disque, ou à la chanson des Wampas, méchamment drôle (« Si j’avais le portefeuille de Manu Chao, je partirais en vacances au moins jusqu’au Congo »). Des débuts à 15 ans au milieu des seventies (Joint de Culasse, le Clash meets Chuck Berry), puis Hot Pants (rockabilly), Carayos (avec François Hadji-Lazaro, RIP), et la Mano Negra. La Mano, groupe de la vague dite alternative du milieu des années 80, gros succès populaire grâce à des hits (« Mala vida », « King Kong five », « Pas assez de toi », « Santa Maradona », …) et des concerts explosifs . Manu Chao a  « réussi » ce qui lui vaudra d’être débiné par les « puristes » alternatifs (ceux qu’ont pas eu de succès, parfois les jaloux).


La dissolution de La Mano Negra laisse du temps libre à Manu Chao. Son truc à lui, de par ses origines hispaniques, c’est l’Amérique latine, du Mexique à la Terre de Feu. Et l’Amérique latine, pour Chao, elle commence à Barcelone, où il se base, avant de partir pour des voyages-périples-aventures outre-Atlantique. Et pas dans les pièges à touristes, plutôt dans les quartiers défavorisés, et dans les endroits parmi le plus dangereux de la planète. Manu Chao n’a rien d’un jet-setter qui claque ses euros dans les endroits chics. Il a toujours cultivé une attitude très à gauche, proche de tous les combats altermondialistes. A tel point que la partie visible, publique du personnage est devenue une sorte de cliché. Il suffit de le voir sur la pochette de ce « Clandestino », bonnet péruvien, chemise sans manches, pantacourt baggy, chaussures de rando, et on a la caricature du zadiste de base … sauf que chez Manu Chao, c’est pas calculé, il y a des années qu’il s’habillait déjà comme ça … Il défend souvent discrètement les « bonnes causes » anti-système, à l’opposé des m’as-tu-vu bling-bling genre Bill Gates, Bono, ou la Greta Thunberg, Manu Chao il prend pas le thé sous les dorures avec les puissants du monde, il reste un saltimbanque …

Et après la Mano, il prépare pendant des années un disque, qui sera une sorte de bilan de toutes les musiques qu’il a entendues là-bas, dans ce continent où on parle espagnol ou portugais. Et un truc qui l’a marqué, c’est la techno (rien de plus normal dans les années 90), autant que les musiciens du dimanche avec lesquels il ne rechigne pas à jammer dans les bars pourris et les bidonvilles craignos. Et niveau techno, il a été fortement impressionné au Brésil par des DJs qui envoyaient dans leur sono du hardcore. Ces rythmes trépidants, proches dans l’esprit de ce qu’il faisait subir au rock, il veut s’en servir de base pour son disque. Il passe des mois à bâtir à grands coups de logiciels adéquats les structures rythmiques des titres qu’il a composés. Et puis, le crash industriel, en l’occurrence celui de son PC qui contenait tous les morceaux en gestation. Disque dur foutu, toutes les rythmiques perdues. Coup de blues, plus envie de refaire de tout ça, et il décide de sortir ce qui lui reste, en gros des maquettes, des ébauches de titres. Crispation chez Virgin, mais comme Manu Chao est un type à fort potentiel commercial, on décide de sortir le disque. Les exemplaires promo commencent à circuler chez les gens des radios. Et là, dans une belle unanimité, la plupart des radios musicales « pour jeunes », refusent de passer quoi que soit de « Clandestino ». Arguments principaux : anti-commercial, pas dans l’air du temps, travail bâclé. On savait que ces gens n’avaient aucun goût, ils démontrent là qu’ils n’ont pas non plus le sens du commerce. « Clandestino » se vendra à un million d’exemplaires en France, et deux millions de plus dans les reste du monde … qui avant la French Touch (Daft Punk, Air, Phoenix, Justice …) vendait du disque par millions hors de l’Hexagone ? Certainement pas Hallyday ou Aznavour, censés être des stars internationales …


Il ressemble à quoi finalement ce « Clandestino » ? Ben, finalement, on reste en terrain connu. Parce que mine de rien le Manu il a imprimé un style, une patte personnelle qu’on retrouve ici. Alors certes ça sonne comme de la Mano laidback, instrumentation essentiellement acoustique. Parfois on voit bien que ce qui reste était construit autour d’autre chose (flagrant sur « Malegria » et « Luna y sol »), mais dans la plupart des cas, les chansons se suffisent à elles-mêmes. Tous les titres sont enchaînés et ça traîne pas en longueur (16 morceaux en trois-quarts d’heure), la grande majorité sont chantés en espagnol, une paire le sont en français, autant en anglais, et un en portugais. La principale évolution vient des textes, plus impliqués pourrait-on dire. Sans que ça soit un manifeste alterno-gaucho (à l’exception à la fin d’un titre d’extraits de discours du sous-commandant Marcos leader séparatiste anticapitaliste mexicain), du Karl Marx mis en musique. Mais comme Chao a vu dans ses périples la misère de près, ça a laissé des traces, on sent une certaine tristesse résignée qui émane de tout ça (le rythme, les voix).

Musicalement, une majorité de rythmes latinos, et puis les influences revendiquées depuis des lustres le Clash (« Minha galera », le titre en portugais semble échappé de « Sandinista ! »), le reggae (« Mama call », l’ultime et excellent « El viento »). En fait beaucoup de choses me font penser aux papys cubains du Buena Vista Social Club, que le fabuleux documentaire de Wim Wenders avec Ry Cooder comme chef d’orchestre, révèlera au monde l’année suivante. Rien d’étonnant, Cuba et l’Amérique latine, c’est des cousins … Manu Chao se revisite aussi, des mélodies (et des textes) qui ont comme un air de déjà-vu, entre remix et reprise (« Bongo  bong», ça a des airs de famille avec « King of Bongo » et « Je ne t’aime plus » n’est pas bien éloigné de « Pas assez de toi »). De bonnes vannes dans les paroles (« no tengo calefaccion , can’t get no satisfaction » sur « Mama call », « welcome to Tijuana, tequila, sexo y marijuana », rime riche évidente sur of course « Tijuana »), d’autres prémonitoires (« quelle heure est-il à Bamako ? » sur « La vie à 2 » qu’on retrouvera en mantra sur le refrain du hit d’Amadou et Mariam dont Manu Chao produira leur « Dimanche à Bamako » quelques années plus tard).


Pour les meilleurs morceaux, pas besoin d’aller bien loin, ce sont les deux premiers titres. Le morceau-titre, état désabusé d’un sans-papier « perdu dans le cœur de la grande Babylone » et qui à laissé (le reste de) « sa vie ente Ceuta et Gibraltar » et « Desaparecido », plus personnelle, sur sa situation de saltimbanque SDF (ou globe-trotter ce qui revient à peu près au même).

Globalement, tout n’est pas extraordinaire sur ce disque, il y a parfois comme une sensation de rabâchage mélodique, tout se ressemble, malgré parfois des arrangements discrets de cuivres, de chœurs. Plus « exotique », plus « facile » d’accès que La Mano Negra (beaucoup plus « world » que « rock’n’roll » pour simplifier). Même si ce n’était certainement pas le but recherché, « Clandestino » est consensuel, ce qui explique en partie son immense succès …

De quoi se remplir le portefeuille et partir en vacances au moins jusqu’au Congo …


PACO DE LUCIA - COSITAS BUENAS (2003)

 

Band of Gypsys ?

A lui tout seul … Y’en a qui disent que Paco De Lucia c’est le Jimi Hendrix du flamenco …

Mais je sens poindre la perfide question : de quoi il nous cause le Lester ? Mea culpa, mea culpa … c’est quand mes TOC me reprennent, j’ai lu trois lignes quelque part sur le Net d’un type qui disait que Paco Machin, c’était ‘achement bien, j’ai pas cherché à voir si le mec (ou la nana, je suis pas zemmourcompatible) était fan de Gilbert Montagné ou pire, et trois clics plus loin, j’avais acheté ce bazar d’occase pour le prix d’un demi (il faisait pas chaud ce jour-là, j’avais des excuses).


Le flamenco, à peu près tout ce que j’en connais, c’est au gré de zappings forcenés sur les chaînes de « Grande Musique » du câble (Mezzo, Classica, Djazz TV, ce genre …). Quand y’a pas des Castafiore qui s’appellent Carmen, Aïda ou Tosca, des danseuses en turlututu chapeau pointu, ou des moustachus bedonnants en chemise hawaïenne en différé depuis Antibes, La Villette, Marciac ou Juan-les-Pins qui donnent dans le solo concerné de sax alto, on peut parfois tomber sur du flamenco … à savoir des mecs basanés qui jouent de la guitare sèche, et des nanas tout aussi basanées, plus très jeunes généralement, habillées en rouge et noir, cambrées comme des hippocampes, tapant du talon sur un parquet ciré et poussant des cris comme si on venait de leur piquer le sac à main ou arracher la culotte, le tout dans une semi-obscurité… généralement, je zappe au bout de deux secondes trois dixièmes …

Tout ça pour dire que le Paco, ben, j’aurais pas dû … parce que je suis pas aussi con et inculte que j’en ai l’air, j’avais moultes fois vu son nom au gaillard. Généralement accolé à celui d’Al Di Meola, parfois à ceux de Santana, Beck, ou Clapton … Le premier donnant dans le jazz fusion à plein temps, le second à temps non complet, le troisième à temps perdu, et le quatrième passant son temps à jouer avec n’importe qui … autrement dit, quand il faisait pas du flamenco le Paco, il faisait rien de bon, et vous connaissez l’adage, mauvais un jour, mauvais toujours … Même si c’est pas aussi mauvais que prévu.

Après trois cent quatre-vingt-deux mots pour rien dire, venons-en au fait. Le flamenco, c’est la musique des gitans (les gitans, on dit comme ça quand ils vivent pas trop loin de la Méditerranée, ailleurs on dit des roms si j’ai bien compris) espagnols. Plus précisément ceux d’Andalousie, Algesiras étant la capitale mondiale du flamenco. Or Paco De Lucia il est pas gitan, mais il est né à Algésiras, ça a dû compenser pour se faire accepter dans ce milieu ultra traditionnaliste. Et en plus d’être un peu une pièce rapportée du machin, De Lucia l’a paraît-il totalement dépoussiéré, rénové, réinventé …


C’est déjà un guitariste d’exception, ça je confirme. Un peu comme Robert Johnson, on dirait qu’ils sont plusieurs à jouer. Et De Lucia joue aussi des machins à cordes ressemblant à des guitares, genre ouds, bouzoukis, mandolines … Le résultat c’est du flamenco, mais pas celui pour beaufs en goguette (Gipsy Kings, Kenji Girac, cette sorte de daubes) ou chaînes du câble. La technique du Paco lui permet de s’éloigner du convenu et amener ses titres autre part. Tout en restant dans la ligne du parti, les stars du genre (la star vocale Camaron de la Isla, le guitariste Tomatito, les autres participants jamais entendu causer, ce sont peut-être des stars aussi …) se bousculent pour jouer les guests sur quelques titres.

Ça donne l’impression d’être improvisé autour d’un thème (les jazzeux seront en terrain connu) mais c’est pas sûr, De Lucia il joue des trucs tellement stratosphériques techniquement, ça m’étonnerait que tout soit fait en une prise, les parties vocales arrivent généralement sous forme d’onomatopées et pas forcément quand on les attend …

Sur les huit titres de la rondelle, y’en a deux ou trois que je supporte, « Patio custido » (bonne entrée en matière), « Que venga el alba » (All Flamenco Stars Band ?), et l’ultime et plus accessible du lot « Casa Bernardo » …

Voilà, voilà, j’ai un disque de Paco De Lucia sur mes étagères …

Et tel le proverbial corbeau, je jure, mais un peu tard, qu’on ne m’y reprendra plus …



SANTANA - SANTANA (1969)

Chicano Revue ...
Aujourd’hui, Santana (le Carlos) est aussi chiant que les disques qu’il fait. Vous me direz , c’est pas le seul de sa génération et qu’on peut pas être et avoir été, ce genre de choses … N’empêche, voir ce pépé après des années de mutisme méprisant revenir tout sourire devant des journalistes pour faire vendre sa dernière daube jazz-rock-zen-cool-bouddhiste et les concerts qui vont avec où se rendent tous les hipsters En Marche (les mêmes qui vont voir les « performances » de Souchon et de la Dion et vont nous niquer profond pendant cinq ans avec leur autre façon de faire de la politique participative et diverses couillonnades du même genre), montre que vieillesse et dignité ne sont pas deux mots qu’on peut accoler facilement dès qu’il s’agit de rock ou de quelque chose qui est censé y ressembler.
Vérification faite, le dernier disque en date de Santana sur mes étagères, c’est le très mauvais « Amigos », plus de quarante piges au compteur. Et pourtant, ça avait plus que bien commencé … Flashback …
Santana, le groupe
Quartiers « populaires » de San Francisco, fin des années 60. Deux jeunes passionnés de musique traînent toujours ensemble. L’Américain pur jus Greg Rolie et le Mexicain de naissance Carlos Santana. Ils passent leur temps à écouter les Beatles, les Doors, Hendrix, et toute la scène psyché qui explose en Californie. Rolie a une formation de pianiste et se régale de maltraiter son orgue Hammond. Santana est guitariste. Des groupes sans lendemain sont montés sous l’égide des deux potes. A moment donné, parmi ces orchestres à géométrie variable, une tendance se dessine. Il y a beaucoup de batteurs ou de percussionnistes, beaucoup de métèques pour en jouer, le plus souvent comme Santana ayant leurs racines de l’autre côté du Rio Grande, et les rythmes latinos se mêlent aux rythmes rock.
Sentant qu’ils tiennent un truc, Rolie, Santana et leurs potes réussissent à faire venir à une répète une « star » chicano comme eux, un certain Gianquinto, dont le titre de gloire est d’accompagner parfois l’harmoniciste James Cotton. Le verdict du pro est sans appel : les titres sont trop longs, chacun y allant de son solo égomaniaque. Première baffe (ils ne lui en voudront pas, il sera recruté comme arrangeur lorsqu’ils iront pour de bon en studio). Les basanés ne se découragent pas, tournent inlassablement là où on veut bien d’eux à Frisco. Apothéose, leur réputation scénique finit par parvenir aux oreilles de Bill Graham (le patron du Fillmore et le Parrain de toute la scène musicale psyché, celui qui peut faire ou défaire les stars) qui lui aussi vient écouter les bestiaux. « C’est quoi votre bordel, vous faites que des instrumentaux, mettez des paroles si vous voulez que quelqu’un vous écoute un jour ». Deuxième baffe dans les rêves de gloire.
Santana, le Carlos
Mais les gars s’obstinent, suivent ces deux conseils, raccourcissent leurs compos et chantent (enfin, si on veut, voir plus loin) par-dessus (Rolie avec Santana aux backing vocaux). Fin 68, le groupe baptisé définitivement Santana rentre en studio pour un single qui sort début 69. « Evil ways » va scotcher tous les hippies. Et définir le Santana sound. Un rythme très chaloupé, des percus de partout, le B3 de Rolie et la Gibson SG du Carlos étant obligés de faire des prodiges pour se faire une place dans tout ce bordel tambouriné. Petit succès dans les charts, et le groupe entre-temps signé par la Columbia part en studio enregistrer son premier 33T. Bon, à cette époque-là, il sortait des singles fabuleux tous les jours et des albums de légende toutes les semaines ou quasiment. « Evil ways » et ses auteurs sont plus ou moins oubliés quand début Août paraît « Santana » le disque.
Coup de bol, Santana a été retenu pour ouvrir une journée à Woodstock. Le 16 Août en début d’après-midi, sous un soleil de plomb, les Santana prennent la scène d’assaut. Avec son guitariste qui a envie d’en découdre devant cette foule de festivaliers en train de se réveiller. Faut dire qu’on l’a vu avant le gig discuter avec Jerry Garcia, pape-gourou des hippies, et descendre une quille de Mezcal. Le groupe à l’unisson suit son leader, et le Santana band va livrer un des cinq morceaux de légende du festival, une version cataclysmique de leur pièce de bravoure « Soul sacrifice ». (Pour info, les quatre autres titres historiques de Woodstock sont le « No rain, no rain » du public, « I’m goin’ home » d’Alvin Lee et de ses Ten Years After, « I want to take you higher » de Sly et sa Famille Stone et le « Star spangled banner » concassé par Hendrix à l’aube blême du quatrième jour devant des rescapés hébétés). En tout cas, sur la foi de cette seule prestation enragée, l’histoire de Santana (le groupe et son leader) va prodigieusement s’accélérer.
« Santana » le disque est excellent, voire plus. Aurait-il permis à ses auteurs la gloire qui fut la leur sans leur prestation explosive à Woodstock, the answer my friend is blowin’ in the wind … Assez intelligemment, la réédition de 1998 a la bonne idée de rajouter au 33T studio trois titres joués à Woodstock dont évidemment « Soul sacrifice ». A noter que live, les titres durent le double que leur version studio, chassez le naturel et il revient au galop …
Aujourd’hui ce « Santana » premier du nom reste une des pierres angulaires du groupe (et de son leader), et avec son successeur « Abraxas » un des trucs à avoir absolument sur ses étagères. On y trouve, quarante siècles avant Fishbone, les Red Hot Machin et tous les autres balourds en pantacourt ce que doit être une fusion de genres musicaux réussie. A tel point que le débat fait encore rage (voir les notes de livret de la réédition) : Santana a-t-il inclus des rythmes latinos au rock ou le contraire ? Vous avez deux heures avant que je ramasse les copies, c’est coefficient 6 je vous rappelle…
Santana, Woodstock,16/08/1969
Parce que jusqu’à présent, les sonorités chicanos dans le rock, ça se limitait à « La bamba » de Ritchie Valens et au Farfisa hispanique de Sam « Wooly Bully » the Sham (qui était Texan) ou de Question Mark « 96 Tears » & the Mysterians (qui eux étaient du Michigan). « Santana » n’est pas un disque communautariste (comme en feront plus tard Los Lobos), il participe juste à faire avancer le schmilblick, à ouvrir d’autres portes, d’autres espaces au rock, pour reprendre la terminologie doorsienne de l’époque.
« Santana » est d’une redoutable cohérence. Neuf titres qui explorent ce mix entre culture latino-américaine et rock, les deux qui s’en écartent un peu (« Shades of time » plutôt soul et « Persuasion » heavy rock psyché à la Cream) semblant bien fades et convenus à côté du reste, alors qu’ils ne sont loin d’être indignes. Le reste, c’est emmené par des percussions qui sortent de partout (trois types, Carabello, « Chepito » Areas et Shrieve aux diverses batteries, percus, congas, timbales). Fidèles à leur idée de départ, les Santana couchent sur vinyle quatre instrumentaux (et les textes du restant seront très concis et d’une valeur littéraire proche du zéro absolu, mais on s’en cogne) « Waiting » en intro, le court « Savor », « Treat » comme un avant-goût du Carlos roi du sustain, et évidemment « Soul sacrifice ». On pourrait même y rajouter le single « Jingo » qui se contente de quelques onomatopées, un titre repris au percussionniste nigérian Olatunji (déjà plagié par Gainsbourg avec « Marabout »), voire la jam bordélique soul de « You just don’t care », tant les deux titres se composent du minimum syndical niveau paroles.
La mythique pochette avec sa tête de lion stylisée est signée Lee Conklin, un des illustrateurs (affiches, pochettes de disque) les plus connus du mouvement psychédéliques.
Conclusion : comme pas mal de choses, Santana, c’était vraiment mieux avant …


Des mêmes sur ce blog :
Amigos



JIMMY PAGE & ROBERT PLANT - NO QUARTER JIMMY PAGE & ROBERT PLANT UNLEDDED (1994)

Dead Zeppelin ?
Rarement disque aura été glissé aussi fébrilement dans le lecteur Cd. Putain, Jimmy Page et Robert Plant … Qui plus est ensemble … Les deux frontmen de Led Zep, paraît-il pas vraiment les meilleurs amis du monde. Mais Led Zep, enfin, Led Zep, merde quoi …
Led Zep, la plus sacrée des Vaches Sacrées, LE groupe des années 70. Celui qui les symbolise le mieux. Celui qui a poussé au paroxysme le rock’n’roll circus et tous les excès musicaux et extra-musicaux qui vont avec. Led Zep … le dernier groupe mythique de rock, tout simplement (et si quelqu’un me sort Mumuse ou Radiomachin, putain je lui arrache les yeux avec les doigts de pied …). Led Zep, disparu des écrans de contrôle à la fin des seventies, en pleine gloire et avant d’avoir été ridicule …

Alors pensez-donc tout ce qui peut passer dans la tête d’un mec dont le tout premier disque acheté est justement le 1er de Led Zep (non, pas quand il était sorti, mais trois-quatre ans plus tard, je ne suis pas aussi grabataire que çà, faut pas déconner quand même …) au moment où va commencer la lecture de la rondelle argentée …
Imaginez aussi sa tronche au bout d’une heure vingt … Putain mais c’est quoi ce bidule ? Ils se foutent de la gueule du monde les deux vieux chevelus avec leurs orchestres à cordes égyptiens, marocains, et le London Philarmonic Machin ou un truc de ce genre. Mais qu’est-ce qu’on en a à foutre, de ces métèques gardiens de troupeaux de chèvres dans le désert et de leurs ouds, bendirs et je sais plus quoi ? ou des concertistes de violoncelle pour noblesse anglaise consanguine ?
Bon, il aurait convenu de raison garder, se méfier, parce que Plant se prenait depuis quelque temps pour le sosie de Peter Gabriel  et de sa world music, et que Page, empâté et embouffi tel un Elvis à Gibson ne faisait plus rêver avec ses derniers skeuds les apprentis branleurs de manche … Mais de là à revisiter le patrimoine sacré en mode bouzouki, y’avait des limites. Ce « No quarter … », c’est un peu un « Songs remains the same » bis, un truc que t’attends comme le Messi, et puis tu te retrouves avec Gignac … « No quarter … », il a été enregistré live … enfin, j’en sais rien, on dirait, en tout cas on entend des gens applaudir et …
Bon, faut quand même préciser avant que les torgnoles tombent de tous les côtés, qu’il est pas si mauvais que ce que ma prose agile pourrait faire croire. Assez digne même, et dans l’ensemble moins risible que ceux des contemporains de Page et Plant (Paulo, Mick, Keith, Roger et Pete, pourquoi vous toussez ?). Mais de là à me joindre à la secte des adorateurs béats qui ont tressé des couronnes à cette rondelle, faut pas pousser …
Plant, il a perdu au moins cinquante octaves, incapable de monter dans les aigus. Même Mylène Farmer ou Daho n’en voudraient pas comme choriste. Et Page, il est où, le guitar hero ultime des années 70 ? Quand il est le meilleur, c’est quand il joue de la mandoline sur « The battle of evermore », comme par hasard aussi le meilleur titre du Cd. Et même s’ils ont remplacé Sandy Denny (bon, ils ont quelques excuses, vu qu’elle était morte depuis bien vingt cinq ans) par une certaine Najma Akhtar qui s’en sort pas si mal que çà, dans cette ambiance nord-africaine qui se superpose et remplace à la fois l’atmosphère celtique originale.
Page & Plant 1994 : ils ne vont même pas saccager cette chambre d'hôtel ...
Evidemment, Page et Plant, c’est que la moitié la plus voyante du Zeppelin. Ils ont oublié d’inviter John Paul Jones, qui aurait quand même pu les aider pour les arrangements (quand on lit que « No quarter … » est produit par Page et Plant, dans une formule qui sent la diplomatie juridique, tant le dernier nommé s’était toujours par le passé prudemment éloigné des consoles). Et puis, fallait pas compter sur Bonzo Bonham, toujours aussi mort, et remplacé ( ??? ) par le dénommé Michael Lee, sessionman certes connu, mais d’un académisme mortifère. Signe ultime du malaise musical, Page est secondé (comme si quand on s’appelle Jimmy Page on a besoin d’un clampin à la guitare rythmique) par le sieur Porl Thompson, dont la seule ligne de gloire sur le CV était d’avoir été un temps dans l’ombre gothique du Cure de Robert Smith … Tout ça pour dire que la moitié de Led Zep, ça peut pas faire Led Zep … alors pourquoi diable sur quatorze titres, en reprendre dix du Dirigeable ? La relecture world ? Ouais, si on veut, même s’il y a des blasphèmes qu’il ne faut pas proférer …
Quand cette pléthorique bande de zicos s’attaque à « Kashmir » (LE titre majeur du Zep, avec un Bonham stratosphérique en VO), ils ont beau l’étirer sur plus de douze minutes, multiplier les arrangements tarabiscotés, rien n’y fait, il manque le drive infernal de Bonzo, et là l’hymne himalayen accouche d’un volcan érodé auvergnat …
Les quatre inédits sont des titres à la gomme (forcément arabique) perclus de sonorités nord-africaines, comme quoi quand tu choisis un fil rouge un peu lourdingue, il te plombe tout un skeud. Parfois ça marche, notamment sur « City don’t cry », où Plant n’essaie pas d’atteindre des aigus de toutes façon maintenant inaccessibles, et où le chœur de voix arabes donne une impression de gospel musulman. Quant aux reprises de quelques classiques (ou pas) zeppeliniens, deux pistes semblent suivies. Soit on se colle au plus près de l’original avec les moyens du bord (exemple type « Since I’ve been loving you », avec un Page quelconque pour un titre totalement dénué de feeling, un comble pour l’épitomé du blues frotti-frotta 70’s), soit un déconstruit « world » (« Nobody’s fault … » avec un Plant à la ramasse vocalement).

Alors, Page et Plant, c’est pas honteux, c’est juste deux (déjà) veilles gloires qui venaient faire le buzz au milieu des mortelles années 90, avec une rondelle certes pas indigne, mais tellement loin de leurs fulgurances passées … Etre et avoir été …


ANANDA SHANKAR - ANANDA SHANKAR (1970)

Hindu loves rock ?

Tous les fans de Beatle George Harrison devaient se pâmer devaient cette rondelle. Tous ces amateurs d’effluves de patchouli, admirateurs de Ravi Shankar, avaient de quoi meubler le fond sonore de leurs soirées macramé en ce début des 70’s…

Ananda Shankar est le neveu de la « star » Ravi Shankar, « héros » exotique du festival de Woodstock. Et donc si je suis bien cette saga familiale compliquée, le cousin de Norah Jones. Le Ananda est considéré, à l’égal de son tonton, comme un sitar-hero, réputation acquise durant trois décennies d’enregistrements. Dont ce « Ananda Shankar » fut le premier. Et si ce disque est son plus connu en Occident, c’est parce qu’il contient en version « indienne » des reprises de « Jumpin’ Jack Flash » et de « Light my fire ». Les Stones et les Doors au sitar ? Ben oui, et ces deux titres par Shankar valent bien toutes les reprises faites par des visages pâles. La version de « Light my fire » est exceptionnelle, c’est le meilleur titre du disque, et ça fait pas du tout karaoké à Bombay. La reprise des Stones, avec une ligne de basse très en avant et des chœurs genre « You can’t always get what you want » sur le refrain ressemble à un remix, des années avant que le mot soit utilisé. Comme l’essentiel du disque, ces deux morceaux sont en version instrumentale, et ce sont bien évidemment ceux qui ont fait connaître Shankar.
Et le reste, s’enquiert le lecteur curieux ? Le reste, justement, est assez curieux. Y’a un mot qui existe, généralement employé à tort et à travers, celui de fusion. Je vais faire comme tout le monde et dire que ce disque est un disque de fusion. Entre deux mondes musicaux, celui du rock et celui de la musique traditionnelle indienne, a priori assez éloignés. Et par la participation de quelques zicos américains venus d’horizons assez divers. Jerry Scheff (le bassiste de Presley … et des Doors de « L.A. Woman »), Michael Bott (batteur des soft-rockeux de Bread), Mark Tulin (bassiste des fracassés au LSD Electric Prunes), Drake Levin (guitariste des garagistes Paul Revere & The Raiders), et quelques autres dont je ne sais rien. Plus évidemment des locaux, qui se taillent la part du lion, Shankar en tête.
La musique des titres restant (six) navigue entre le raga méditatif (pléonasme ?) du très long « Sagar (The ocean) », sonorités plus apaisées, plus relaxantes, plus new age en somme, et des tentatives de mix entre musique traditionnelle et variété anglo-saxonne (« Snow flower » et « Mamata » doivent beaucoup aux mélodies psychédéliques, alors que « Dance Indra » est beaucoup plus « roots », et que le seul titre chanté « Raghupati » est assez mauvais, hormis des scansions rythmiques qui font penser à Magma). En fait, à part les deux reprises, le seul autre titre qui trouve vraiment grâce à mes oreilles occidentales c’est « Metamorphosis ». Rythmique très rock, ambiances et instruments locaux, et ça ressemble finalement aux Moody Blues, c’est-à-dire que le funeste prog n’est pas loin, avant un final en tournerie hindouisante.
« Ananda Shankar » est un disque exotique, amusant, intéressant, et qui pourrait ravir tous les fans du technoïde Talvin Singh, fortement influencé (son Cd « OK ») par ces sonorités-là… ce qui à la réflexion doit pas faire grand-monde. Un disque tout de même pas crucial pour des oreilles occidentales. Mais peut-être qu’en s’asseyant en tailleur et en faisant brûler quelques bâtons d’encens …

ZEBDA - ESSENCE ORDINAIRE (1998)

Toulouse ô Toulouse ...

Zebda, c’est le groupe du coin qui s’est retrouvé célébré à l’échelle du pays. Tout çà grâce (ou à cause) d’un titre festif « Tomber la chemise », devenu point de passage obligé de toutes les soirées beauf. Assez paradoxal. Tellement même que Zebda dans cette affaire y a laissé la sienne de chemise.
Zebda, c’est le groupe formé autour de potes d’un même quartier populaire toulousain, qui vient déjà de loin quand paraît « Essence ordinaire ». Repéré en ayant détourné et brocardé une réflexion malheureuse (pléonasme) de Chirac. « Le bruit et l’odeur » avait fait un petit hit dans le milieu des années 90. Et valu à ses auteurs une réputation de groupe festif et engagé. Entretenue avec toute la faconde de l’accent du Sud-Ouest par les trois chanteurs et porte-paroles du groupe, Magyd Cherfi et les frères Amokrane.
Zebda sera musicalement classé quelque part entre IAM (pour l’accent et la dérision) et les Négresses Vertes (pour le côté melting pot festif), le groupe tissant dans ses titres tout un entrelacs de sons et de rythmes venant du rap, du reggae, du rock, de la musique « world » ou folklorique ibérique, maghrébine, d’Europe centrale ou du Proche-Orient. Une mixture sinon inédite, du moins originale, et une notoriété tout de même assez confidentielle.

Une notoriété qui va devenir quelque peu démesurée avec « Essence ordinaire » (comprendre « d’extraction populaire ») et sa locomotive « Tomber la chemise ». Dans la lignée, on entendra beaucoup aussi « Y’a pas d’arrangement » ou « Oualalaradime », construits sur les mêmes rythmes festifs, entraînants et humoristiques. Sauf que l’humour de Zebda est à prendre plutôt au second degré et a atténué l’essentiel d’un propos qui sans être sinistre, est beaucoup plus réaliste. Et que le disque se partage entre chansons « joyeuses » et ambiances beaucoup plus lentes et tristes. Des titres comme « Tombé des nues » (les rêves brisés des gosses), « Je crois que ça va pas être possible » (sur le racisme au quotidien), « Quinze ans » (l’âge ou tout peut basculer dans les cités), « Le manouche » (la solidarité entre « étrangers »), tant musicalement que par le propos, valent bien les « hits ».
Le cœur du discours de Zebda (musicalement, faut être honnête, ça casse pas vraiment des briques, et ça ressemble beaucoup aux Négresses Vertes, en forçant encore un plus sur le trait world), c’est en gros l’intégration. La plupart des textes font allusions aux problèmes et brimades subis au quotidien quand on vient d’un quartier populaire, et qu’on a le teint un peu basané. La dénonciation énervée est facile, et ça peut rapporter aussi gros, l’immense majorité des rappeurs l’a démontré, NTM en tête. Les Zebda ne vont pas aussi loin dans le discours, mais ouvrent les portes à une attitude « positive », « participative ». Motivés. Pour réussir à s’intégrer. Ou comme la bannière politico-associative dans laquelle le groupe s’impliquera lors des municipales de Toulouse en 2001 pour s’opposer à la dynastie des Baudis qui dirigent la ville depuis des décennies.
Un engagement qui coûtera cher à Zebda. Les sept membres du groupe ne s’impliqueront pas tous sur Toulouse, ou le feront à des degrés divers (Cherfi, sentant le piège de l’embrigadement et de la récup politique sera le seul sur la liste aux municipales, et pas en position éligible). On verra le groupe, profitant d’une soudaine et inattendue popularité (« Essence ordinaire » dépassera le million de ventes), s’investir dans beaucoup de causes plutôt bonnes, on les verra beaucoup aux côtés des alter mondialistes, des écolos et d’un José Bové alors en pleine croisade anti-OGM-malbouffe-MacDo … Plusieurs monteront des projets annexes.
La suite, parce qu’il faudra en donner une, viendra quatre ans plus tard (« Utopie d’occase ») et, selon la formule scélérate, « ne trouvera pas son public ». Le groupe disparaîtra de la circulation, certains membres le quitteront définitivement, avant une récente tentative de come-back elle aussi à peu près ignorée… Il faut croire que par ici, il est difficile de mélanger préoccupations sociales et succès populaires. Zebda l’a appris à ses dépens …

BEIRUT - GULAG ORKESTAR (2006)


Le temps des Gitans ?

Beirut, c’est un sacré truc zarbi. Un concept, ou au choix un faux groupe, derrière lequel se cache un ado américain, Zach Condon. Condon est un minot qui tout seul dans son coin, en utilisant une kyrielle d’instruments dont certains plutôt exotiques (accordéon, trompette, ukulelé, plus toute une panoplie de claviers et synthés), a fait le meilleur disque manouche depuis (qui a dit Thomas Dutronc ? attention, je vais me fâcher, là) … depuis, j’en sais foutre rien (ça y est, j’ai réussi à placer foutre et Condon dans le même paragraphe, j’suis content de moi, là …), parce que c’est pas le genre de trucs que j’écoute (qui a dit Kusturica ? n’aies pas peur, tu dois avoir raison …).
Bon, je reprends, et faudra que pense à arrêter de picoler avant d’écrire des coms, ça va finir par se voir que je suis pas à jeun … Donc, le gamin Condon, qui avait pourtant largement de quoi satisfaire ses goûts pour le folk antique dans son Amérique natale, est parti pendant plusieurs années tracer la route en Europe, et plus particulièrement dans cette région que l’on appelait autrefois Mitteleuropa (l’Autriche-Hongrie, la Prusse), poussant des pointes vers les Balkans et une visite en Irlande. Et c’est la vieille musique de ces endroits-là qu’il nous ressert. Qui n’a rien à voir avec les chansons populaires ( ? ) des teutons à quelque fête de la bière, mais une musique remplie des sonorités les plus plébéiennes, rurales, de ces contrées. En gros, les tziganes, roms, et autres gitans.
Evidemment, personne n’attendait ce disque. A l’origine de onze titres, très rapidement les versions Cd ont rajouté les cinq titres d’un EP (« Lon Gisland ») paru dans la foulée, et qui n’apporte pas grand-chose, si ce n’est un instru celtisant qui semble un peu perdu et hors-sujet dans le contexte.
Dès les premiers titres, on se dit que « Gulag Orkestar » est génial, avec ses ambiances tziganes, ses chœurs lancinants (« The Gulag Orkestar » le titre), ses ambiances bavaroises tristes (« Prenzlauerberg »), et ses mélodies parfois enjouées (« Brandeburg », et surtout « Postcards from Italy », pour moi d’assez loin meilleur morceau de l’album).
Au bout de quelques titres qui ont tendance à furieusement se ressembler (mêmes tempos, mêmes orchestrations, mêmes arrangements, même façon pour Condon de placer sa voix, …) on se dit que c’est quand même un peu toujours pareil, et que ça commence à devenir lassant.
On est finalement soulagé quand ça s’arrête, parce que ce bousin finit par gonfler grave, toutes ces variations infimes sur le même thème …
Un disque finalement révélateur d’une époque, où il semble que tout a déjà été dit et entendu mille fois, et où la moindre idée, la moindre trouvaille, le plus petit gimmick, sont montés en épingle pour qu’ils apparaissent au pékin d’auditeur qui ne sait plus où donner du conduit auditif, comme la trouvaille du siècle émanant d’un génie en devenir de la chose musicale. Et même si le rendu n’a pas grand-chose à voir, je trouve le résultat assez proche dans l’esprit de ce que font quelques autres hâtivement qualifiés de surdoués, comme les surfaits Sufjan Stevens ou Kevin Barnes, le type de Of Montreal … des gars qui semblent avoir tout dit après un enchaînement de quelques bons titres, et qui se répètent jusqu’à l’écœurement…


SUBA - SAO POLO CONFESSIONS (1999)


Techno Bossa

Un parcours musical peu commun. Musicien plutôt catalogué world music et issu de l’ex Yougoslavie, Suba de son surnom, s’exile en France où il se reconvertit à l’electro, puis au Brésil où il tente de dépoussiérer un genre ronronnant depuis des années, la bossa nova.
Et contre toute attente, ce choc de deux cultures musicales très éloignées et dissemblables (la brésilienne traditionnelle et la techno et ses variantes) donne un résultat le plus souvent superbe. Quand les rythmes chauds sud-américains se mêlent avec bonheur à l’ambient, au trip-hop, aux boucles techno, il en résulte une nouvelle donne musicale qui propulse tous les genres abordés vers un futur musical jusque là inexploré.
La participation au chant d’artistes du cru crée de superbes morceaux où la chaleur des vocaux atténue la froideur mécanique des rythmes électroniques.
A noter un titre essentiellement basé sur des percussions ethniques (« Antropofagos »), qui fait penser à la démarche des hardeux de Sepultura (sur leur Cd « Roots ») lorsqu’ils avaient associé des tribus indigènes à leur métal bourrin.
Il me semble que ce « Sao Paulo Confessions » est le dernier album de Suba, artiste quelque peu « confidentiel », qui a péri peu après dans l’incendie de sa maison.

LOS LOBOS - HOW WILL THE WOLF SURVIVE ? (1984)


Danse avec les Loups ...

Logiquement, personne aurait jamais du entendre parler d’eux … Quand ils sortent ce premier disque sur un label indépendant (Slash), mais avec tout de même une major pour la distribution (Warner), les Lobos sont une aberration. Ce qui marche dans leur Los Angeles, c’est le hair metal. Poison, Motley Crue et Billy Idol sont les rois de Sunset Boulevard. Et les Lobos eux, vivent dans un quartier chicano pourri de East LA. Et ils ont rien de glamour. Trentenaires, basanés, gros, et la plupart chargés de famille …
Au mieux, ils auraient dû finir avec une réputation de Gypsy Kings locaux. Seulement voilà, quelconque qui lit un peu les notes de pochettes des disques depuis trente ans, et pour peu que ces disques soient peu ou prou du classic rock, a bien vu à moment donné les noms de Steve Berlin, Cesar Rosas, ou David Hidalgo, les trois leaders des Lobos. Que ce soit chez REM, Faith No More, Sheryl Crow, John Lee Hooker, Suzanne Vega, Tom Waits, Roy Orbison, Bob Dylan, … liste à peu près infinie. Tout en continuant Los Lobos, ou leur super groupe hispanique Los Seven Seven …
En plus d’être des sessionmen plus que recherchés, ils arrivent à marquer une empreinte instantanément reconnaissable aux titres auxquels ils sont associés. Des cadors, beaucoup plus que de simples faire-valoir. Bon, évidemment entre ce « How the wolf will survive ? » et leur florissante carrière, il y a eu le phénomène « La Bamba », et leur version écoulée à des millions d’exemplaires de la reprise du hit de l’étoile filante Ritchie Valens. Et si Hollywood est allé les chercher pour la B.O. du biopic, c’est que le buzz s’était répandu comme une traînée de poudre.
Oui, il y avait dans East LA, cette bande de métèques, qui en plus d’animer les banquets de mariage et de communion pour faire bouillir la marmite, était capable de sortir d’entrée un putain de disque qui mettait tout le monde d’accord. Des fans de rock’n’roll roots y trouveraient leur compte, avec « Don’t worry baby » ou « I got loaded » (la seule reprise du disque, ode aux boissons d’homme), le classic rock très Tom Petty (« Will the wolf survive ? » ), la ballade « A matter of time », le up-tempo rhythm’n’blues de « Evangelina » … Et puis, il y avait cette touche hispanisante qui allait en faire les stars et quelques fois les porte-parole de tous ces parias laissés un peu de côté par l’Oncle Sam.
Et en attendant donc Valens, des hommages plus ou moins évidents sont rendus à ceux qui ont trouvé leur inspiration des deux côtés du Rio Grande, et à ce titre « Our last night » est un clin d’œil appuyé à Doug Sahm et son Sir Douglas Quintet ou au bondissant Joe King Carrasco. Mink DeVille n’est pas très loin (normal, il a intégré beaucoup de sons hispaniques, à travers non pas la musiquee des Mexicains, mais celle des Portoricains new-yorkais) quand arrivent les espagnolades de « The breakdown ».
Et puis, comme Los Lobos n’oublient pas d’où ils viennent (les salles de banquet), il y a toutes ces choses entraînantes, venues du fin fond de la lointaine Espagne des colonisateurs, qui font danser tout le monde au dessert. Par exemple « Corrido #1 », que les Pogues ont dû un peu écouter avant de sortir leur « Fiesta ».
Il y a aussi dans ce « How the wolf will survive » toutes ces sonorités d’accordéon, ces chants parfois en espagnol, cet entrain festif, qui en font un de ces premiers disques oubliés de ce que l’on appellera bientôt « fusion » ou « world music » …