La débâcle ?
Oui, c’est facile, citer en gros le titre du bouquin le plus polémique et politique de Mimile Zola pour ouvrir cette notule. Et en plus c’est pas vrai, « La vie d’Emile Zola » n’est pas une purge. Encensé et oscarisé à sa sortie, c’est peu de dire qu’il est quelque peu oublié aujourd’hui. Et pas seulement le film lui-même, mais aussi la plupart de ceux qui y ont contribué.
William Dieterle |
« La vie d’Emile
Zola » est un film historique hollywoodien. Avec tout ce que cela suppose
comme prérequis. Les Etats-Unis dans les années 30 ont une Histoire d’un peu
plus d’un siècle et demi. Ce qui est peu par rapport à tous les autres pays où
l’industrie cinématographique est présente. Et quand les cinéastes américains
s’intéressent à l’Histoire ou du moins des éléments historiques qui ne leur
appartiennent pas, ils le font avec leur point de vue, non sans tenir compte de
l’aspect financier et du tout-puissant code Hays.
Bon, il y a bien un carton au tout début du film qui précise que tout ce qui est montré dans « La vie d’Emile Zola » n’est peut-être pas rigoureusement exact, et que certains personnages, certaines situations ont pu être « arrangées » pour coller à la dramaturgie de l’œuvre. Mais faute avouée n’est pas forcément à pardonner. D’autant que « La vie … » n’est pas un biopic « traditionnel », une heure et demie sur les deux heures du film étant consacrés à l’affaire Dreyfus. Sujet sensible et encore dans les années 30 hautement inflammable, surtout en France mais pas que …
Cézanne, Zola & "Nana" |
Mais pourquoi pas. Dieterle a
bien le droit de montrer ce qu’il veut. Dieterle … citoyen allemand de son
propre aveu exilé « économique » aux States (no comment de sa part
sur Tonton Adolf et le nazisme). Dieterle est là pour faire du cinéma, rien que
du cinéma. Mais pourquoi ne jamais évoquer dans « La vie … » que
Dreyfus était Juif, et que ce qui lui est arrivé avait (certes entre autres choses)
à voir avec l’antisémitisme de certains de ses accusateurs. Du coup l’affaire
Dreyfus traitée par Dieterle est une simagrée historique (plus grosse
bavure : faire coïncider au jour près la réintégration de Dreyfus dans
l’armée avec la mort de Zola, il y a quatre ans d’écart entre les deux événements).
On pourra toujours objecter que si on veut du fait historique indiscutable
(quoi que), au lieu de regarder des films en noir et blanc de 1937, on n’a qu’à
mater les chaînes Histoire du câble. Mais voilà, je regarde ce que je veux et
je dis ce que j’en pense.
Zola est joué par Paul Muni. Acteur star de la première décennie du parlant, révélé par des rôles de truands (le « Scarface » de Hawks, « Je suis un évadé » de Mervyn LeRoy, deux films où il est excellent), et oscarisé pour un biopic (déjà) sur Louis Pasteur réalisé par (déjà) Dieterle. Muni en Zola en fait des caisses, entend montrer à chaque plan quel grand acteur il est. Perso, je suis pas fan de ces interprétations cabotines où le jeu de l’acteur prend le pas sur tout le reste, tire en permanence la couverture à soi (sa lecture emphatique de son « J’accuse » au siège du journal l’Aurore, sa plaidoirie lors de son procès, …). Cherchait-il une nouvelle statuette ? De ce côté-là c’est raté, c’est le très oublié Joseph Schildkraut qui l’aura pour son second rôle de Dreyfus. Un des trois Oscars de « La vie … », meilleur film (?) et meilleur scénario (??).
La dégradation de Dreyfus |
Tout est caricatural dans ce
film. On commence par montrer un Zola limite SDF partageant un taudis sous les
toits avec Cézanne pour à la fin nous le montrer grand bourgeois (il n’était
certes pas très riche aux débuts, mais n’a pas fini non plus milliardaire).
Autre exemple : sa « découverte » de la prostitution lorsque par
hasard il soustrait à une rafle une fille, Nana, va lui donner le titre et le
scénario de son premier best-seller. Totalement faux, Zola préparait ses
bouquins en multipliant les fiches sur les lieux et les gens qu’il comptait
mettre en scène par écrit, et le personnage de Nana est une compilation de
plusieurs femmes « mondaines », dont aucune ne se prénommait Nana… et
on pourrait égrener jusqu’à plus soif les demi-vérités ou pire les
contre-vérités qui se succèdent dans « La vie … »
En fait, celui qui pour moi sauve le film de la débâcle, c’est Dieterle. Qu’il ne viendrait à l’idée de personne de citer comme un réalisateur majeur. La plupart du temps, il se contente du service minimum mais lors des scènes « de foule », dans la (fausse, très peu d’extérieurs) rue, dans les cours de caserne, dans les séances au tribunal, lors de la scène finale de l’hommage mortuaire à Zola rendu par son disciple-élève-ami Anatole France, ses plans larges avec beaucoup de figurants sont réussis. Rajoutez la partition lyrique de Max Steiner pour les séquences émotion, et nul doute qu’à l’époque, les spectateurs devaient faire comme les acteurs du film, essuyer la larmichette au coin de l’œil.
Le procès de Zola |
Evidemment, ce film qui
critique l’armée française, est resté interdit par ici une quinzaine d’années
(même sort que « Les sentiers de la gloire », « La bataille
d’Alger », etc …). Dans le pays des libertés, faut pas prendre celle de
critiquer nos institutions et nos faits d’armes peu glorieux, axiome qui n’a
pas oublié de traverser les décennies.
Zola et l’affaire Dreyfus sont
des personnages ou des faits plutôt franco-français. J’imagine la perplexité du
public américain (et d’ailleurs) des années 30, devant les noms de Cézanne,
Anatole France, Charpentier, Labori, Clémenceau, Dreyfus, Picquart, Esterhazy,
les hauts gradés militaires, tous partie prenante du scénario …
Pas sûr que ce film ait fait
grimper les ventes des bouquins de Zola …
Dernière remarque. Le « Napoléon »
d’Abel Gance, et « La vie d’Emile Zola », biopics sur deux figures majeures
françaises sont disponibles (en cherchant bien) en vieilles versions Dvd (ils
existent pas en Blu-ray il me semble) mais pas en version française … allez Rachida, démissionnaire chargée d'expédier les affaires courantes, au boulot, ça te changera …