« Fenêtre sur cour »
(« Rear window » en V.O.), c’est le genre de films dont on peut ne
pas dire de mal. Pour au moins deux raisons liées, il est signé Hitchcock et a
été tourné dans les années 50, la meilleure décennie artistique du gros
réalisateur chauve.
On peut facilement en trouver
d’autres. « Fenêtre sur cour » est aussi un exercice de style, un
film qui se passe dans un lieu clos (ici un appartement donnant dans la cour
intérieure d’un immeuble). Hitchcock avait déjà utilisé cette unité de lieu (en
allant même encore plus loin dans « La corde », suite de
plans-séquence dans une même pièce). « Fenêtre sur cour » repose
aussi sur le principe de la caméra subjective, l’essentiel de l’histoire n’est
vue que par les yeux d’un trio de protagonistes majeurs depuis un logement
exigu. Le héros du film est James Stewart, pas exactement le premier comédien
venu, et un des acteurs fétiches de Hitchcock au casting de nombre de ses
chefs-d’œuvre (« La corde », « L’homme qui en savait
trop », « Vertigo »).
Alfred Hitchcock, James Stewart, Grace Kelly |
Ce qu’il y a de bien avec
Hitchcock, c’est que ses films arrivent à intéresser voire à captiver alors
qu’on sait parfaitement ce qu’on va y trouver à l’avance. En gros du suspense,
de la caméra virtuose, un final angoissant, de l’humour à froid très
britannique, … et des actrices blondes. Ici, la blonde c’est Grace Kelly, pour
un de ses derniers films, avant qu’elle n’épouse le roitelet d’un promontoire
rocheux des bords de la Méditerranée et mette bas d’une portée de princes et
princesses bling bling à QI négatif… Dans « Fenêtre sur cour », elle
crève l’écran par sa parfaite beauté classique, rehaussée par une panoplie
vestimentaire ultra chic (due à la costumière Edith Head, sept Oscars pour les
costumes de dizaines de films qu’elle a « habillés », et au générique
de très nombreux Hitchcock, pointilleux à l’excès, et qui ne s’entourait pas de
baltringues). Grace Kelly est Lisa Fremont,
mannequin vedette amoureuse du reporter-photographe casse-cou Jeff
Jefferies (James Stewart). Ce dernier, qui a voulu filmer de trop près une
course automobile a été victime d’un accident qui lui a laissé une jambe
brisée. Il se retrouve dès lors en plein été caniculaire cloué sur un fauteuil
roulant dans son petit appartement donnant sur la cour d’un immeuble de
Manhattan. Par désœuvrement autant que par habitude professionnelle, il trompe
son ennui en observant ses voisins et leurs allées et venues, entre les visites
de son infirmière Stella (Thelma Ritter) et de sa fiancée. Le couple entretient
une relation curieuse, lui se comportant en vieux garçon ronchon peu enclin à
céder aux sirènes d’un mariage que souhaite ardemment Lisa.
Stewart & Kelly |
Lentement, l’observation par
Jefferies de son voisinage va évoluer du coup d’œil épisodique et amusé en une
véritable obsession, qui lui fera sortir d’abord des jumelles, ensuite un
téléobjectif. Il faut dire qu’il est persuadé qu’un de ses voisins a tué sa
femme malade avant de se débarrasser de son corps. Dès lors, cette traque
visuelle du présumé coupable et des indices qui pourraient le confondre va
devenir une véritable obsession pour Jefferies. Et, tout aussi insidieusement,
les deux femmes, d’abord rétives à son voyeurisme, vont devenir ses
« assistantes » et échafauder avec lui tout un tas d’improbables
théories criminelles.
Si l’histoire allait ainsi
jusqu’à son dénouement, on serait face à un « petit » Hitchcock,
d’une facture somme toute classique et assez faiblarde pour ce maître déjà
incontesté du suspense. Mais Hitchcock est aussi (surtout ?) un pervers derrière
sa caméra. A la moitié du film, le spectateur sait ce qui s’est passé dans
l’appartement surveillé par le trio d’apprentis détectives, Hitchcock nous le
montre pendant un assoupissement de Jefferies. Et là, par un jeu de miroirs, le
film bascule, faisant à son tour du spectateur un voyeur. Hitchcock nous amène
à ne plus nous intéresser au « coupable » (de toutes façons filmé de
loin à travers ses fenêtres), mais à ses « surveillants ».
Malin et retors, Hitchcock nous
force à scruter toute cette faune qui s’agite dans les appartements de
l’immeuble (reconstitué en studio), à nous occuper de toutes ces histoires
parallèles qui agitent cet écosystème. On est ainsi forcé de mater les
exercices de danse en petite tenue d’une voisine, de supporter (parce que ça
offre une digression qui laisse en suspens l’intrigue majeure) les affres de la
création du pianiste de seconde zone, les querelles de voisinage, les torrides
ébats suggérés (on est en 1954, ils tirent les stores) du couple de jeunes
mariés. Comble de la perversité, Jefferies et les deux femmes se désintéressent
cyniquement du seul drame dont ils ont la certitude (la vieille fille qu’ils
surnomment Miss Lonely Heart, qui cherche désespérément l’âme sœur et qui après
de multiples échecs sentimentaux va gober une boîte de somnifères dont ils
connaissent même le nom grâce au téléobjectif).
« Fenêtre sur cour »
n’est pas le film d’Hitchcock au final le plus haletant, personnellement je
trouve ce final assez peu crédible, et plutôt faiblard. La construction de l’intrigue
(inspiré de deux faits divers contemporains célèbres) est assez linéaire malgré
quelques intermèdes humoristiques et le Maître se montre assez avare de ses
savants mouvements géniaux de caméra habituels, se concentrant la plupart du
temps sur des gros plans de ses acteurs, usant voire abusant du champ
contre-champ. Ce qui oblige le trio des protagonistes principaux à faire passer
l’essentiel des émotions et des sentiments par les expressions de visage. Et ce
qui permet encore une fois de se rendre compte de la qualité exceptionnelle du
jeu de James Stewart qui nous fait voir tous ses états d’âme lorsque Lisa
décide de s’introduire dans l’appartement du voisin suspect, qui, évidemment,
revient plus tôt que prévu … Le rôle du voisin, énième malice d’Hitchcock, est
tenu par Raymond Burr (qui atteindra la renommée quand c’est lui qui se
retrouvera en fauteuil roulant dans l’interminable série télévisée
« L’homme de fer »). Lequel Burr n’aurait été choisi pour jouer le « méchant » que
pour sa ressemblance physique avec le
producteur David O. Selznick avec lequel Hitchcock s’était embrouillé
auparavant …
« Fenêtre sur cour »
est régulièrement positionné vers le haut de toutes les listes des meilleurs
films de tous-les-temps-du-siècle-ever. C’est indubitablement un grand, un
excellent film de Hitchcock qui n’a pas exactement tourné que des navets, si
vous voyez ce que je veux dire. Perso, je le mets un cran en dessous de mes
deux préférés, « Les Enchaînés » (la matrice de tous ses films à suivre)
et « La mort aux trousses » son grand film « à
spectacle »). Le fait qu’il y ait dans le premier Ingrid Bergman et dans
les deux cet autre fantastique acteur qu’était Cary Grant doit y être pour
quelque chose …
Ah, et puis, comme d’hab,
Hitchcock apparaît fugacement dans le film. Il remonte une pendule lors d’une
soirée chez le pianiste …
Du même sur ce blog :
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Génial.
RépondreSupprimer(je sais, je fais plus concis que quand j'aime pas.)
Peut être pas le meilleur Hitchcock ( Vertigo ?) mais assurément le plus sensuel. Et ces couleurs !
RépondreSupprimerPartiellement remis au goût du jour par Brian DePalma avec Body double, qui finalement aura plus vieilli que celui ci.
J'en profite pour rappeler à tous le monde, à quel point il faut lire le fameux Hitchcock/Truffaut.
Hugo
Raymond Burr / Selznick ??? J'ignorais, mais maintenant que tu le dis, y'a de ça !
RépondreSupprimerJe souscris à presque tout. Pourtant, plus je le vois, plus je le trouve, disons... désuet. C'est un peu exercice de style, comme "La corde" (qu'il faut d'ailleurs réévaluer au delà de la prouesse technique). La mise en scène est cérébrale à souhait, les acteurs épatant, Grace Kelly est une des rares actrices que j'avais en photo au mur même passé 20 ans (avec Gene Tierney et Ava Gardner...) les sous entendus sexuels se bousculent (le télé objectif...) et James Stewart est... James Stewart.
Mais voilà, je trouve le film psychologiquement vieillot. L'histoire entre Stewart et Kelly n'est pas passionnante, et le copain flic assez insipide. Par contre, plus je vois les "Oiseaux" plus je le trouve quasi parfait. Plus ambigu.
Sur le podium, "Le mort aux trousses" of course, et le plus beau, le plus profond, le plus sensuel, le plus pervers "Vertigo". Et "Les enchainés" qui est une merveille, et auquel je suis particulièrement attaché, un des premiers (le premier ?) découvert ado au cinéma, un des films qui m'a fait aimer le cinéma, et pour ça, je dis : merci Alfred !