WRAYGUNN - ECCLESIASTES 1.11 (2005)

Et Dieu, dans tout ça ?

Où il va être question de blues et musiques assimilées… Question préliminaire : qu’y a t-il de plus chiant qu’un disque de blues récent ? Et le premier qui me dit un vieux disque de blues, il s’en ramasse une … Bon, je reformule : qu’est-ce qui est plus chiant qu’un disque de Joe Bonamachin, de Robert Cray, de Clapton depuis trente ans, de Stevie Ray Vaughan, et de tous leurs semblables ? Ben rien, cette bande de pénibles se contentant de remettre à la sauce électrique avec des budgets colossaux ce que des types pauvres comme Job avaient fait mieux qu’eux en deux temps trois mouvements et leur vieille gratte pourrie il y a des décennies. Et qu’on me dise pas que le blues c’est bien parce que c’est toujours pareil, un genre qui n’évolue pas est un genre mort …

Et qu’est-ce qu’il faut pour faire évoluer le blues ? Revenir aux sources, aux origines, laisser de côté toute la putain fuckin’ technique à la noix, mettre toute son âme (la soul dit-on dans une autre langue) dans la bataille, et ne pas avoir comme objectif de faire un duo avec BB King au Royal Albert Hall devant des bourgeois qui auront raqué cinq cent livres leur strapontin …
Et le type dont au sujet duquel il va être question, il a fait le meilleur disque de blues depuis … Hendrix, au hasard. Donc, le gars il s’appelle Paulo Furtado pour l’état-civil, il est Portugais, son nom de scène quand il est tout seul, c’est Legendary Tiger Man, et son groupe c’est Wraygunn, on  y arrive … Et pourquoi il a tout bon dès le départ ? Parce qu’il est allé dans sa démarche encore plus loin que le blues, il est remonté jusqu’aux églises où l’on chantait du gospel, des spirituals, il a du au moins dans ses rêves se retrouver au fameux crossroad et là, il a pas choisi entre Dieu et le Diable, il a pris les deux. Parce qu’il a bien compris qu’il y a quelque chose de diabolique dans le blues, mais qu’à la base, tous les vieux bluesmen sortent des églises. Et Furtado a recruté une bande de caralhos dans son Portugal, pays cousin des très dévotes Espagne et Italie. Des gars et une fille qui aiment peut-être Muddy Waters, mais surtout faire bouger les lignes. Et dans cette troupe, il y a … éloignez les enfants et les fans de Canned Heat ou John Mayall… un type aux synthés, scratches, platines et bruitages divers … un DJ quoi … et croyez-moi, on l’entend … Et les cinq autres, dont deux batteurs (et non, on ne dit pas comme les foutus frangins Allman, ou je vais de nouveau me fâcher), ils lâchent les chevaux, envoient le bois…
La pochette dit tout, et plus encore … on y voit Furtado prendre la pose du Christ du Corcovado, mais au lieu de surplomber Rio, il est au milieu d’une décharge publique. Et là, sous nos oreilles ébahies, ce métèque et sa bande de va-nu-pieds vont pendant trois quarts d’heure détruire, reconstruire et finalement réinventer le blues. En réinjectant dans les douze mesures les chants des églises noires d’Amérique, la soul, le rhythm’n’blues, l’électro. … avec les bouffées de violence qui renvoient le pauvre Jon Spencer à ses chères études, avec ce côté prêcheur fou sous substances partagé entre démons et rédemption que n’a fait qu’effleurer un Nick Cave. Wraygunn est toujours partagé entre appels au sexe et à la prière, c’est le mariage du mystique et du pornocrate.

On est d’entrée au cœur du sujet. « Soul city » le premier titre commence par une incantation de prêcheur habité (Martin Luther King ?), qui se transforme brutalement en un rhythm’n’soul qui arrache tout. « Drunk or stoned » qui suit est un rock’n’roll crade, moîte, sexuel, avec un super gimmick de synthés. Le troisième titre (« Keep on prayin’ ») finit de planter le décor, rhythm’n’blues torride avec ses handclaps et l’apparition pour un duo avec Furtado de la voix féminine du groupe, la troublante Raquel Ralha. Un quart du disque et les bases sont posées. Le son est unique, tentaculaire, gavé d’effets électroniques, de distorsions, de filtres, comme si Trent Reznor avait remixé Howlin’ Wolf. Le phrasé peut se rapprocher du rap (« How long, how long ? »), peut devenir syncopé et dangereux comme celui d’Alan Vega (« Sometimes I miss you »), les guitares peuvent empiler des cocottes funky (« She’s a speed freak », le meilleur titre que les Red Hot Machin ont oublié d’écrire), le boogie (« All night long ») être aussi puissant que ceux de ZZ Top dans les 70’s, l’hommage aux Stones (« Hip », démarquage du « Shake your hips » de Slim Harpo, déjà entendu sur le « Exile … » des Cailloux) est plein de cette déglingue obligatoire de l’exercice …
« Ecclesiastes 1.11 » apporte la preuve que l’on peut faire du neuf avec du très vieux. Suffit d’avoir de l’imagination et de ne rien respecter. Un disque exceptionnel passé évidemment inaperçu (ils ont beau être portugais, ils chantent – très correctement – en anglais et sont distribués par une major), et d’après le peu que je connais de Furtado et de son œuvre, très nettement au-dessus de ce qu’il a pu produire avant ou après …

8 commentaires:

  1. Deux batteurs ??? Comme dans Genesis ???
    (coupé ! On la refait...)
    Deux batteurs, comme chez les Mad Dog and Englishmen ???
    (c'est mieux...)
    Deux batteurs ??? Comme chez Zappa ???
    (c'est dans la boite)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Deux batteurs comme chez Brian Jonestown Massacre ? On la garde aussi pour la director's cut ...

      Supprimer
  2. J'ai écouté religieusement (of course). J'aime bien, mais je cherche encore où est le blues dans ce meilleur disque de blues depuis Jimi Hendrix... (tu as pris 30 ans sabbatiques, pour n'avoir entendu aucun bon disque de blues depuis Hendrix ??). Le premier titre donne plutôt dans le bon vieux heavy-rock, tendance garage. C'est assez plombé dans le genre, j'aime bien. Le second est comme tu le dis, un RHCP, le troisième est quasiment pop, avec certes quelques traits de guitares bluezy derrière. L'ambiance, le fond soul, les références au gospel, me rappelle un groupe de Los Angeles IMPERIAL CROWNES, qui ne manque pas d'énergie salvatrice non plus !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Y'a pas beaucoup d'extraits sur youtube ... la couleur générale du disque est plus blues, soul et gospel que les trois que j'ai trouvés ...
      Pourquoi, il est sorti des disques de blues intéressants depuis Hendrix ? Hendrix est pour moi le dernier qui a fait évoluer le genre, fondamentalemnt bluesy à la base, et en y intégrant plein de choses (beaucoup de jazzy sur Electric Ladyland notamment). Faut juste dépasser oublier un peu la technique à la guitare qui pour beaucoup efface tout le reste en ce qui le concerne ...
      Imperial Crownes, connais pas ... mais il doit y en avoir aussi plein d'autres, écrasés par tous les "traditionnalistes" du blues, ceux pour qui la référence ultime de l'évolution c'est le Mayall's Bluesbrakers avec Clapton. c'est tous ces centristes techniques qui sont mis en avant depuis des décennies ...

      Supprimer
    2. Les Black Keys....



      Meuh, j'déconne !!!!

      Supprimer
  3. Ah bon, c'est "gavé d'effets électroniques", ça ? Pas fait gaffe. Comme dirait Maxime Le Forestier, c'est "plutôt guitare"...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Sur six zicos, y'a qu'un joueur de disquettes. Tu voudrais pas que ces soit lui qu'on entende le plus ?
      Manquerait plus que ça ...

      Supprimer
    2. Ouais, c'est comme Aqme du Jon Spencer Blues Explosion ce truc. Trop fort les portos ! Legendary Tiger Man, Fernando Pessoa, Maria de Meideros.

      Supprimer