… Ces chiens de paille ».
Ainsi hurlait notre Johnny national, dans une chanson inspirée par le film de
Peckinpah. La rage, hum … Par où ou par qui commencer ?
Peckinpah est bien sûr en
première ligne pour ce « Straw Dogs » (titre original). Peckinpah est
un type pas très net, un misanthrope aux méthodes de tournage contestées et
apparemment contestables, qui s’est fait un sacré nom avec « La Horde
sauvage », ses gunfights au ralenti et ses gerbes de sang. Peckinpah
devient (même s’il n’avait vraiment jamais donné dans la comédie romantique) le
metteur en images de la violence, crue, frontale, primaire, voire sadique. Et
comme Peckinpah est un perfectionniste et un grand réalisateur, il va dès que
l’occasion se présentera chercher à faire « mieux » que « La
Horde sauvage ». Il abandonne le projet « Délivrance » (qui sera
repris et mené à terme par Boorman), pour se lancer dans l’adaptation d’un roman anglais (« The siege of
Trencher’s farm »). Adaptation comme souvent assez libre, seuls quelques
éléments du bouquin sont retenus pour le scénario.
Dustin Hoffman & Sam Peckinpah |
Nouveauté, Peckinpah lassé de procès
d’intention, de procès tout court, de censure aux USA, décide de s’expatrier et
de tourner le film en Angleterre. Difficultés pour monter le casting,
finalement Dustin Hoffman sera la tête d’affiche. Et commence par s’opposer au
choix d’une jeune actrice anglaise peu connue, Susan George, dont les seuls
faits d’armes résident dans des seconds rôles de bimbo court-vêtue.
L’atmosphère pendant le tournage sera détestable. Hoffman affiche souvent une
attitude méprisante vis-à-vis de sa partenaire. Cerise sur le gâteau, Peckinpah
tombe malade, souffrant d’une grosse pneumonie, refuse d’ajourner ou
d’abandonner le tournage, et se soigne en buvant comme un trou. Déjà qu’à jeun
il n’avait pas la réputation d’un type facile, alors là, bourré en permanence,
il martyrise littéralement toute son équipe.
« Les chiens de
paille », c’est l’histoire d’un engrenage qui conduit à un final
hyper-violent. Toute une galerie de personnages sordides au cœur d’un village
contemporain, perdu dans une campagne anglaise qui n’a rien de glamour.
Peckinpah jongle avec la noirceur ou l’ambiguïté des personnages. Tant du point
de vue de « l’action » que de la psychologie des protagonistes, le
film n’est pas crédible. Mais Peckinpah doit s’en foutre un peu
(beaucoup ?) de cette crédibilité. Et c’est ce qui est ennuyeux
finalement, qui fait des « Chiens de paille » un film dérangeant.
Susan George & Dustin Hoffman |
Cette obsession pour
l’humiliation, pour montrer que chacun renferme sa part noire qui finalement
prend le dessus, finit par être gênante. Beaucoup plus que la violence qu’elle
finit par générer. Et au final, le film est plus dérangeant que choquant. Dans
cette longue surenchère de pacotille, biaisée dès le départ parce que seul un
carnage total peut servir la vision qu’a Peckinpah de l’histoire et des personnages.
« Les chiens de
paille » ne vaut que par son esthétique. Et de côté-là il est parfait. Dès
la toute première scène, on a droit à un gros plan sur les seins de Susan
George qui pointent sous un pull hyper moulant. Manière de capter l’attention du
spectateur (spectateur, car j’ai pas du tout l’impression que ce film puisse
s’adresser de quelque façon que ce soit à un public féminin), de jouer sur la
fibre du machisme et du voyeurisme. D’ailleurs l’autre seul rôle féminin
notable est tenu par une gamine délurée, sexy et provocante dont l’attitude
stupide va enclencher la mécanique qui conduira au cataclysme final. On a
l’impression que Peckinpah déteste ses personnages, que sa caméra n’est là que
pour les rendre encore plus vils. Susan George ? Allumeuse, qui se laisse
serrer de près par un ancien flirt, exhibe sa petite culotte ou ses seins aux
ouvriers embauchés par son mari. Dès lors le viol qui suivra ne peut entraîner
pitié ou commisération quelconque. Un personnage « sacrifié » par Peckinpah.
Dustin Hoffman qui joue son mari ? Vil, égoïste, trouillard, simplet perdu
dans son génie mathématique, incapable d’envisager, d’anticiper et de gérer le
pourrissement de la situation. Et ce type qui devient une sorte de Rambo non
pas pour préserver un blessé ou protéger sa femme, mais parce qu’on est train
de vandaliser « sa » maison (en plus, c’est pas la sienne, c’est
celle de ses beaux-parents, mais il l’accapare, c’est lui
« l’homme », c’est le possédant). Héros totalement antipathique. Les
autochtones ? Galerie d’ivrognes, brutes incultes épaisses et à peu près
consanguines, débiles légers, homme d’église puéril, représentant de l’autorité
dépassé (c’est d’ailleurs le premier à y laisser la peau, flingué à bout
portant au fusil de chasse). On cherche en vain dans ce casting le personnage
« attendrissant ».
Ce qui conduit à affirmer que
pour Peckinpah, le film en soi n’a pas grande importance, si ce n’est qu’il lui
sert à mettre en scène la violence. Et de ce côté-là, c’est un maître. Il
installe très vite un climat de tension, une atmosphère oppressante qui ne se
relâche jamais et va crescendo. Peckinpah, c’est le type qui filme en couleurs
les recoins les plus sombres et sordides de l’âme humaine. Sans pitié, en
forçant le spectateur à regarder, à devenir voyeur. Pas d’esquive possible, les
atrocités se passent pas hors-champ, c’est plein cadre. La scène du viol est
dans le tiercé de tête des plus dérangeantes mises à l’écran (avec celle
d’ « Irréversible » et celle de « Orange mécanique »,
cette dernière par un curieux hasard sortie la même année). Et ce n’est pas le
nombre de morts qui est le plus choquant (une demi-douzaine, moins que dans la
séquence inaugurale d’un quelconque Rambo), c’est la sauvagerie qui accompagne
la plupart de ces morts.
« Les chiens de
paille » a fait débat. Et suscité un procès moral envers Peckinpah.
Principaux griefs de l’accusation : fascisme-totalitarisme et
glorification de l’autodéfense. Des termes encore relayés de nos jours. Bon, je
veux bien qu’au début des années 70, ça ait traumatisé les bien-pensants de
tout bord (leur était-il seulement venu à l’idée que la seule
« idéologie » présente était celle de la violence ?), mais
aujourd’hui, les limites posées par Peckinpah ont été franchies et explosées
par des films gore sado-maso (les « Hostel », Saw », …), sans
parler des snuff movies qui fleurissent dans les recoins sombres du web … Voir
du fascisme dans « Les chiens … » est une illusion d’optique, une
commodité intellectuelle. L’apologie de l’autodéfense ne tient pas davantage,
le défense de la maison assiégée n’est qu’un prétexte scénaristique, Hoffman
est juste un lâche aux abois, il réagit comme tel, pour sauver uniquement sa
peau et pas sa bicoque envahie, une fois qu’il s’est rendu compte que son bon
sens diplomatique d’intellectuel n’est d’aucun effet sur ses assaillants avinés
… C’est à mon sens dans le personnage
de Dustin Hoffman qu’est la clé du film, montrer comment un intellectuel,
chercheur en mathématiques, peut retomber dans des pulsions barbares. La façon
dont il traite de haut sa femme rajoute un drame psychologique supplémentaire à
l’intrigue (d’après les témoignages des personnes présentes sur le tournage,
guère différentes de celle dont Peckinpah traitait Susan George).
L’occasion de dire que c’est
elle, la débutante dans un premier rôle, prise en grippe par le réalisateur et
l’acteur principal, qui signe la meilleure performance du film, tout à fait
naturelle et « juste » dans un tas de scènes pourtant très
difficiles. En comparaison, Hoffman n’est guère crédible (enfin, plutôt la
crédibilité de son personnage, ce qui a tendance à montrer les limites d’un jeu
très typé Actor’s Studio).
Hasard des sorties en salle, en
cette année 1971, arrivèrent sur les écrans trois films perçus comme des
sommets de violence, ce Peckinpah, « Orange mécanique » et
« Délivrance », suscitant vagues d’indignation, tollés des
« bien-pensants », batailles d’Hernani des critiques. Aujourd’hui,
ces trois films (pourtant très différents) sont à juste titre considérés comme
des classiques, toutes époques confondues …
Un des rares Peckinpah que je n'ai pas vu, dommage, je ne pourrais pas en parler ! Y'a quasi rien à jeter chez lui, certes du plus commun (Le convoi...) mais "Major Dundee" est une merveille, "Apportez-moi la tête" ça se pose là, "la Horde" se passe de commentaire, "Guet apens" sans doute un ton en dessous (?) "Pat Garrett" est somptueux, "Osterman Week end" bon, ben, c'est un film d'espionnage quoi... il est plutôt réussi, et de très bon passages dans "les Croix de fer" (que j'ai toujours tendance à confondre ou mélanger avec un Samuel Fuller !!).
RépondreSupprimerSurprenant que tu le connaisses pas, je crois que c'est son plus gros succès en terme de spectateurs ...
SupprimerDe ceux que j'ai vus, les chiens de paille n'est pas mon préféré, ce serait plutôt Alfredo Garcia, totalement barge (La horde sauvage est hors-concours)...
Samuel Fuller a failli le tourner...
SupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
Supprimer"Croix de fer" bien entendu...
SupprimerVu une fois en DVD. Pas un grand souvenir mais j'ai bien aimé le coup du piège à loup si ma mémoire est bonne.
RépondreSupprimer"La Horde" est celui que je préfère avec Pat Garrett grâce à la présence et la zique de Dylan ( Coburn est hors concours...).
Oui, y'a un truc avec un piège à loups ... enfin, un piège à mammouths plutôt, vu la taille du piège ...
SupprimerJe suis revenu lire ton article, avant d'écrire le mien !! Histoire de pas faire doublon...
RépondreSupprimerVais venir lire ça ...
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