Grand Corps parce que Fowley mesurait une paire de
mètres, et Malade, ben, parce qu’il était … comment dire … différent ?
Affabulateur, mythomane, metteur en scène de sa propre histoire. Fowley a
toujours grouilloté dans le milieu du music business, et on retrouve son nom
associé à une multitude de plus ou moins arnaques plus ou moins foireuses. Son
plus haut fait d’armes étant sans conteste la création et le management du
groupe de gamines délurées The Runaways, ayant généré son lot de ragots
scabreux invérifiables …
A titre personnel, son premier (et plus célèbre ?)
fait d’armes est le single « The Trip », un des
« classiques » du rock garage américain des 60’s, qu’on retrouve dans
la version expended des 4 Cds « Nuggets ». Et dans sa longue litanie
de disques solo, régulièrement cité comme ses meilleurs le glam
« International Heroes » et ce « Outrageous ».
Qui ma foi porte bien son nom, tant il constitue
quasiment de bout en bout une agression auriculaire spectaculaire. Peu de
disques sonnent autant bâclés et barrés, dans une époque (la fin des sixties)
pourtant peu avare en azimutés intégraux. Mélomanes, passez votre chemin,
« Outrageous » n’est pas pour vous. Avec de l’imagination (beaucoup)
et de la mauvaise foi (beaucoup), on peut voir dans ces quarante minutes les
signes annonciateurs de la provocation et du minimalisme rentre-dedans qui
allaient faire la réputation du punk.
« Outrageous » est d’une sauvagerie troublante.
Troublante parce que jamais on n’a l’impression que c’est juste de
l’entertainment. Non, c’est toujours empreint d’une folie très sérieuse. Adossé
à un boucan que l’on sent quand même improvisé, Fowley montre qu’il est capable
de tout, sauf de chanter à peu près correctement. Il alterne déclamations,
cris, hurlements et autres borborygmes avec une obstination qui finit par
forcer le respect. Il n’est dès lors pas surprenant que les Sonic Youth des
débuts (dans leur période concerto pour scie circulaire donc) aient repris
« Bubble gum » un des titres de ce « Outrageous ».
Et encore « Bubble gum » est un des rares
titres « accessibles » du disque, bien qu’il n’ait que très peu à
voir avec le genre musical du même nom, alors en vogue à l’époque. Autres
titres que l’on peut glisser dans la playlist de l’iPod (s’il reste beaucoup de
place), l’instrumental garage « Hide and seek » et l’étonnant dans
tel contexte « Barefoot country boy ». Ce dernier morceau est un
décalque inattendu du Chuck Berry style, avec quelques sonorités qui annoncent
le glam (des similitudes certaines avec le « Round and round » de Bowie-Ziggy
un lustre plus tard), avant que ce titre s’achève dans une bouillasse sonore
bien raccord avec le reste …
Fowley a traîné un temps avec Zappa dans la période
Mothers « Freak-Out ! » du moustachu. Il a sans doute rencontré
ou au moins écouté le grand pote à Zappa Captain Beefheart parce que les
similitudes avec le concasseur de blues sont nombreuses. Tous ces titres en
roue libre, aux textes apparemment improvisés déclamés, c’est assez voisin du
« Trout Mask Replica » du Captain (sa masterpiece, qu’il convient
d’aborder avec précaution et dont on ne ressort pas indemne de l’écoute, si
tant est qu’on arrive au bout …). Du
Beefheart, on en retrouve l’ADN dans des titres comme « Inner space
discovery » ou le medley final « Up » - « Caught in the middle »
- « Down » - « California Hayride » (même si dans ce
fatras sonique apparaissent aussi allusions à James Brown (« Up »),
aux Doors dans « Down » avec ses ruminations sur les « black
niggers » (?) et l’invasion de l’Amérique par les Chinois (??).
Alors qu’au début du disque, un Fowley lubrique,
« Animal man » et ses râles d’amours bestiales comme un « Whole
lotta love » des cavernes, ou un « Wildlife » lui aussi
beefheartien, laissent transparaître des sous-entendus sexuels explicites pas
toujours du meilleur goût (voir la pochette du disque suivant (« Good
Clean Fun » avec Fowley au milieu d’enfants que les parents auraient pas
du laisser traîner, et la photo intérieure très « Ring » avant
l’heure, en tout cas un vaste chantier pour les psy …).
Mais pour tout dérangé qu’il soit, Fowley a parfois la
main heureuse. Dans le backing band de circonstance qui l’accompagne, figure en
bonne place (guitare, composition et arrangements de quelques titres) Mars
Bonfire, celui-là même qui a écrit pour Steppenwolf leur hymne définitif (et
celui de tous les motards) le légendaire « Born to be wild ».
« Outrageous » fait donc partie des disques
« difficiles », réservés à un public « averti ».
Remarquable plutôt par son extrémisme sonore que par les titres qu’on fredonne
au réveil. Un disque pour curieux, qui s’est évidemment peu vendu, n’a pas été
très souvent réédité et que l’on trouve donc au prix fort en vinyle d’occase et
pas vraiment à prix d’ami en Cd (couplé avec « Good clean fun », un
peu plus accessible et donc tout à fait quelconque).
« Outrageous » est une expérience assez
déstabilisante. Un des prototypes des milliards de disques
« sauvages » à venir …
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