Un seul être vous manque ...
Nanni Moretti (surtout grâce à « Journal intime » son gros succès qui l’a révélé) s’était créé un personnage de barbu angoissé sur une Vespa, croisement entre Monsieur Hulot et Woody Allen. Et comme ces deux-là, il a son nom un nombre incalculable de fois au générique de ses films. A minima, il scénarise, co-produit, réalise et tient le rôle principal.
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| Nanni Moretti & Laura Morante |
Depuis quelques temps, il a envie d’incarner un
psychanalyste et de construire un film autour de ce personnage. Et le mettre
dans une situation inattendue. Et quoi de plus terrible pour celui qui écoute
les autres raconter leurs malheurs, que d’en vivre personnellement un, de
malheur, et tant qu’à faire, un de grand. C’est la genèse de ce projet
(présenté et Palme d’Or à Cannes en 2001) que tente de nous expliquer Moretti
dans une paire d’interviews en bonus. Bon, autant les films de Moretti, et plus
particulièrement celui-là se laissent regarder, Moretti en interview, c’est un
calvaire. Il débite des trucs interminables d’un ton monocorde, et même si un
journaliste tente de le titiller en évoquant le Prime Minister Berlusconi, il
esquive la question par une pirouette. Ce qu’il a à dire, Moretti le dit en
images (et au sujet de Berlusconi, il aura des choses à dire avec le pamphlet
« Le Caïman » cinq ans plus tard).
« La chambre du fils » tourne autour de la mort accidentelle d’un ado. Un pitch assez proche de « Ordinary people » de Robert Redford ou de « Ne vous retournez pas » de Nicholas Roeg (les deux avec Donald Sutherland). Traité par Moretti de façon beaucoup moins emphatique que le premier, et moins fantastique que le second.
Giovanni (Moretti) est donc psychanalyste à Ancône,
une ville moyenne portuaire. Il consulte dans un cabinet attenant à son
habitation cossue. C’est un petit bourgeois à la vie familiale sans problème.
Il est marié à une galeriste, Paola (Laura Morante), les deux vont vers la
cinquantaine, ils ont deux enfants, l’aînée (Andrea) a dix huit ans, le cadet
(Andrea) seize. Pour se nettoyer le cerveau après une semaine de rendez-vous
avec refoulés, angoissés et obsédés divers, Giovanni va faire un footing dans
la ville, parfois accompagné d’Andrea. Les deux gosses sont sportifs, la fille
joue au basket, le garçon au tennis et les parents suivent leurs matchs.
Tout baigne dans la famille, les parents ont encore
une vie de couple harmonieuse, ils sont très proches de leurs enfants dont ils
prennent systématiquement le parti (quand Andrea est accusé d’avoir volé un
fossile dans le labo de son lycée, Giovanni le soutient parce qu’il lui a dit
qu’il n’y était pour rien). Et quand la famille part en weekend en bagnole, ils
chantent tous les quatre en chœur les rengaines qui passent sur l’autoradio.
Toute cette belle vie de famille va se fracasser un
dimanche matin. Giovanni a décidé Andrea à venir courir avec lui, quand le
téléphone sonne. Un de ses patients, angoissé hypocondriaque (pléonasme),
l’appelle et veut le voir d’urgence, il est au bout du rouleau. Giovanni se
rend chez lui, le type doit passer un scanner, et donc il est certain d’avoir
un cancer et est en pleine crise d’angoisse. Pendant ce temps, Andrea privé du
footing avec son père, part faire de la plongée sous-marine. Et va se noyer.
Cataclysme. La famille va par force, faire face. Les parents ont perdu leur fils, la sœur a perdu son frère. Passée la sidération de la nouvelle, l’épreuve des funérailles, la vie reprend son cours. Mais tous les ressorts sont cassés, et les scènes qui se produisent viennent en miroir de celle du début du film (la mort d’Andrea a lieu peu ou prou au milieu du film). Le père est « ailleurs », ses patients soit le réconfortent, soit partent en vrille. La mère, très calme, très souriante, très posée, devient hyper irritable. Assez rapidement, le couple ne fait plus chambre commune. Leur gamine n’est pas en reste, intériorise beaucoup, avant un spectaculaire pétage de plombs lors d’un match de basket. Leur rédemption viendra grâce une amie d’Andrea dont ils ignoraient l’existence et leur reconstruction s’achèvera à Menton après un périple autoroutier de nuit.
Moretti signe un film remarquable, très humain. Un
exercice périlleux, toujours sur la corde raide, et qu’il empêche de basculer
soit dans la mièvrerie larmoyante, soit dans le comique de situation. Le père,
qui par son travail, ne doit pas se laisser gagner par les émotions, se fissure
et se désagrège lentement mais sûrement. On sait et on voit quand même un peu
que Moretti n’est pas un acteur tragique, mais son personnage fort mentalement
n’a pas à être très expressif, et ça évite à Moretti de partir dans une
interprétation qu’il ne maîtriserait pas à la perfection. Laura Morante est une
grande et belle actrice et joue juste une partition beaucoup plus compliquée,
dommage que Moretti ait fait du personnage masculin le centre du film et ait
donné moins de scènes à celle qui joue sa femme.
A son crédit, il a trouvé une musique fabuleusement
triste, une mélodie en apesanteur de Brian Eno (« By this river » sur
l’album « Before and after science ») qui s’insère magnifiquement
dans un moment de bascule émotionnelle du film.
« La chambre du fils » est un film –
évidemment – triste mais qui évite le piège du pathos dégoulinant. Je sais pas
si comme disait Sénèque les grandes douleurs sont muettes, mais Moretti fait
preuve avec un sujet délicat d’une grande pudeur et d’une grande retenue, d’une
immense subtilité qu’il n’avait pas laissée apparaître jusque là.
« La chambre du fils » est peut-être son
meilleur film. En tout cas son plus bouleversant.




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