FEDERICO FELLINI - AMARCORD (1973)

 

Auto-biopic ...

« Amarcord », ça veut dire quelque chose entre « il était une fois » et « je me souviens » dans le dialecte de la région de Rimini. Rimini étant comme par hasard la ville où est né et a grandi Fellini.

Et le Maestro déroule avec « Amarcord » le dernier volet de ce qu’on a qualifié de trilogie mémorielle. Après le faux documentaire « Les clowns » (Fellini a toujours été attiré par le cirque et les bohémiens, voir son insurpassable « La Strada »), et « Fellini Roma » sur ses années romaines (où le génial côtoie le foutraque complet), Fellini centre « Amarcord » sur son adolescence boutonneuse à Rimini.

Fellini et son harem ...

Enfin, à Rimini, façon de parler. Tout a été tourné aux studios Cinecitta à Rome. L’histoire se déroule sur une année, du printemps au printemps. Et parler d’histoire est aussi un non-sens. Comme un peintre, Fellini joue sur les impressions, les couches superposées. Il l’a dit et répété, bien peu de son film repose sur des faits réels et avérés, un souvenir fugace amène une scène. Et s’il y a une chronologie, des personnages récurrents, il n’y a pas d’histoire, au sens scénaristique du terme.

Le personnage central de « Amarcord » est Titta (un ersatz de Fellini donc), joué par le jeune débutant Bruno Zanin. Qui ne fera guère parler de lui par la suite, Fellini recherchant pour ses personnages des « gueules » plutôt que des stars. Au milieu de cette brochette d’anonymes, un second rôle qu’il a déjà fait tourner à deux reprises est attribué à Magali Noël (celle qui a chanté les joies du SM avec « Fais moi mal Johnny », paroles de Boris Vian). Elle sera la Gradisca, femme du coiffeur et pin up locale qui affole tous les mâles de la ville. Et parmi tous les personnages « felliniens » du casting, une aura son quart d’heure warholien de gloire, Maria Antonietta Beluzzi (la buraliste à la poitrine démesurée dans laquelle finira par se perdre le jeune Titta).

Repas de famille ...

Il y a dans « Amarcord » toute la démesure de Fellini qui voisine avec l’intimisme de la cellule familiale, tendrement caricaturée (le père maçon, le grand-père pétomane et lubrique, l’oncle silencieux et fourbe, un autre qu’on sortira de l’asile pour un pique-nique homérique, la mère qui essaie d’arrondir les angles, la bonne qu’à peu près tous les mâles de la maison essaient de tripoter, …).

Dans ces polaroids de la fin des années 30, Fellini nous montre avec tendresse cette sorte d’interzone (on n’est pas à la campagne, mais pas non plus dans une grande ville), en butte avec ses traditions (on commence par un feu de joie pour fêter l’arrivée du printemps, rite païen, mais les curetons veillent et font la loi dans les âmes, voir la libidineuse séquence de confessions à la chaîne), mais rattrapée par l’histoire qui s’écrit ailleurs (la montée du fascisme, ses parades grotesques, mais aussi ses arrestations arbitraires et ses interrogatoires « musclés »).

Dans cette petite ville de province, tout ce qui sort de l’ordinaire devient – lapalissade – extraordinaire. On voit tout le village s’embarquer sur de frêles rafiots pour attendre au large le passage du Rex (paquebot gigantesque mis en chantier et symbole de la puissance économique de Benito et ses sbires, Fellini a fait construire pour cette seule scène une maquette de cent mètres, on est pas loin de Cameron et « Titanic »), on voit tous les hommes du village suivre avec des yeux gourmands, forcément gourmands, le dernier arrivage de « beautés » à destination du bordel de la ville.

Magali Noel, la Gradisca

On sent toute la tendresse de Fellini pour cette Italie « d’en bas ». Le sourire est bonhomme. Que ce soit pour décrire la misère sexuelle des collégiens et leurs concours de branlette, leur fascination pour le derrière moulant et rebondi de la Gradisca ou l’hypertrophie mammaire de la buraliste. Que ce soit pour les fantasmes de la Gradisca, férue de cinéma et qui rêve de donner la réplique à Gary Cooper. Que ce soit le narrateur du film, bourgeois distingué et précieux qui n’est en fait qu’un mytho affabulateur. Que ce soit les dimensions imposantes du Grand Hotel, fierté touristique de la ville, et les évènements fantasmatiques qui y ont eu lieu (la Gradisca y aurait été la maîtresse d’une nuit d’un prince de passage, le simplet du village y aurait honoré tout le harem d’un sultan, qui donne lieu à une scène pastiche des ballets aquatiques des Ziegfield Folies). Les simplets sont montrés avec compassion (la souillonne prostituée, le tonton aliéné qui monte tout en haut d’un arbre immense et réclame une femme, …).

Par contre, comme Indiana Jones qui n’aime pas les nazis, on peut pas dire que Fellini porte les fascistes dans son cœur. Mise en scène grandiose et caricaturale lors d’une parade des leaders locaux du parti dans un village tout acquis à leur cause avec scènes d’hystérie à la Beatlemania devant les deux chefs (un nain et un paralytique !) et leurs affidés qui défilent en trottinant avant qu’une immense composition florale à l’effigie du Benito se mette à parler. Un grotesque compensé quand un type joue « L’Internationale » à la clarinette du haut du clocher du village. Le père de Titta (ancien ouvrier maçon donc « forcément » communiste aux yeux des fascistes) est arrêté, menacé, et subit un interrogatoire « musclé » à base de larges rasades d’eau de ricin. Ces séquences de Fellini sont peut-être ce qui s’est fait de mieux en matière de dénonciation par la farce des régimes dictatoriaux nationalistes de l’époque.

Zanin et Beluzzi 

Collaborateur attitré de longue date du Maestro, Nino Rotta livre dans « Amarcord » ce que beaucoup (dont Alexandre Desplat) considèrent comme sa meilleure B.O.

Avec « Amarcord », Fellini, quelque peu empêtré dans la surenchère symbolique démesurée depuis quelques années (au hasard « Satyricon ») signe son dernier grand chef-d’œuvre. Deux films acclamés par la suite lui doivent beaucoup. « Le tambour » de Volker Schlöndorff (un faux biopic, la frustration sexuelle, un nain comme dignitaire nazi, …) et peut-être plus encore « Underground » de Kusturica. Avec ses personnages en vase clos, la musique de Bregovic plus Rotta tu peux pas, et sa dernière scène (le mariage sur l’île qui dérive du Serbe, celui de la Gradisca dans un bord de mer triste chez Fellini).

S’il fallait n’en retenir qu’une poignée de Fellini, « Amarcord » en fait partie (allez comme je suis de bonne humeur je vous fais mon Top 5 du Federico, les quatre sont dans le désordre « La Strada », « Les nuits de Cabiria », « Huit et demi », « La dolce vita », et « Juliette des esprits ». Oh, ducon, ça fait six… Ben oui, en plus d’être de bonne humeur, je suis généreux …


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