Même si un film de David Lean, ça reste un film de
David Lean, « La Route des Indes » sera son clap de fin. Peut-être
parce qu’il en avait ras la casquette des tournages (Lynch a soixante seize ans
quand sort « La Route … »), peut-être aussi que les réactions
critiques (assez mitigées) sur « La Route … » lui ont fait comprendre
que la fin du siècle cinématographique n’était pas pour lui … Un peu de tout
ça, vraisemblablement …
Alec Guinness & David Lean |
Lean, les films pour lesquels il est le plus connu
et reconnu (en gros la triplette « … Kwaï », « Lawrence
d’Arabie », « … Jivago ») sont typiques et d’une époque et
d’une certaine forme de cinéma. Une décennie (55-65) marquée par une génération
qui trouvait du boulot, avait un peu d’argent dans les poches, et se
précipitait en nombre (et en famille) dans les salles de cinéma. Pour y voir
des films familiaux à grand spectacle. Et ça, Lean savait faire, torcher de
grandes fresques romanesques dans des décors naturels à couper le souffle. Le spectateur
en avait pour son pognon, il passait trois heures dans le ciné et en prenait
plein les mirettes.
Au début des années 80, le public, ses goûts, et les
films qu’il va voir ont changé. La sci-fi à grands renforts d’effets spéciaux
triomphe (« Le retour du Jedi », « E.T. », « Blade
runner », « Terminator »). Pas vraiment le monde de Lean.
Hasard, « La Route des Indes » sort quelques mois après le
« Gandhi » d’Attenborough, avec lequel in partage bien des points
communs. Et avec lequel il souffre de la comparaison. « Gandhi »
était pour son réalisateur le film de sa vie, il avait disposé de moyens
colossaux (des centaines de milliers de figurants pour la reconstitution des
obsèques). « La Route des Indes », quel que soit le niveau
d’implication de Lean, est un film de plus dans sa carrière. Et pour ce qui est
des moyens, même si c’est pas un film de fauché, on sent qu’il n’a pas eu une
enveloppe illimitée. Les scènes de foule sont filmées en plan serré (avec moins
de monde on remplit l’écran) et laissent même apparaître des
« trous » (dans la scène de l’arrivée du train au début, il
manque du monde en bas à gauche de l’image).
Les décors grandioses : la Lean touch ... |
Parce que comme son nom l’indique, « La Route
des Indes » se passe en Inde. Vers 1920 dans un comptoir colonial
britannique (quand ailleurs dans le pays, Gandhi commence à faire localement
parler de lui). Sur fond de domination déconnectée de la réalité des Anglais et
en face une prise de conscience que l’Indien mérite mieux que le sort qui lui
est réservé. Lean fait se mélanger romance sentimentale et thématique de
l’émancipation du peuple Indien.
Côté cœur, on est loin de « …Jivago ».
D’ailleurs, une fois le générique final passé, on n’a toujours pas compris de
qui Adela était vraiment amoureuse (pas de son fiancé magistrat, c’est évident,
peut-être de Fielding, ou passagèrement du Dr Aziz, faites vos jeux …). Côté
social, c’est encore plus problématique, on est trop dans la caricature de
l’asservissement au début de l’histoire pour que le revirement spectaculaire
(Aziz devient hautain et méprisant vis-à-vis des Anglais) des réactions soit
crédible.
La Lean touch (suite) : Davis & Ashcroft dans un train ... |
Le plus gros reproche, il est à mon sens global.
La visite des grottes de Marabar est certes l’articulation de l’histoire et se
situe au milieu du film. Mais quid des personnages ? Un de ceux que l’on
croyait principaux (Mrs Moore) disparaît, un autre que l’on pensait secondaire
(Fielding) devient le personnage central. Etrange, même si le film est
l’adaptation (fidèle paraît-il) d’un bouquin réputé (refrain connu) inadaptable
à l’écran, ce procédé est curieux. « La Route des Indes » manque pour
moi de souffle, de lyrisme, d’une histoire et de personnages forts.
Bon maintenant, si ça passe à la télé, faut pas
zapper pour aller regarder « Plus belle la vie », hein… Lean, même en
fin de carrière, ça reste un sacré manieur de caméra et un remarquable faiseur
d’images. Il est en Inde comme un poisson dans l’eau, parce que l’Inde, c’est
le pays du train roi. Et Lean aime le monde du rail, c’est le moins qu’on
puisse dire. Depuis son premier gros succès (« Brève rencontre » en …
1945, tout de même), Lean filme des gares, des trains, et en fait un des
éléments essentiels de ses films. On a donc droit dans « La Route … »
à quelques superbes plans montrant des trains qui semblent minuscules dans des
paysages grandioses. Des plans qui n’apportent strictement rien à l’histoire,
mais juste pour le plaisir des yeux, c’est déjà beaucoup …
V Benerjee, A Guinness, J Davis |
Lean peut aussi s’appuyer sur un casting qui tient
la route, avec des personnages crédibles dans leurs rôles. Pas de stéréotypes à
la hache pour les rôles principaux, tout ces personnages, au contact de l’Inde
ou des situations qu’ils vivent, sonnent vrai, ne surjouent pas. D’autant que
le casting est international. Dans le quatuor majeur du film, on trouve deux
Anglais, Peggy Ashcroft (Mrs Moore) et James Fox (Fielding), l’Australienne
Judy Davis (Adela Quested), et l’Indien Victor Banerjee (Aziz). Tous se mettent
au service du film, et évitent d’en faire des brouettes (et à peu près tous se
sont affrontés avec plus ou mois de véhémence au dirigisme strict de Lean, les relations
en fin de tournage n’étant pas au beau fixe entre le metteur en scène et ses
acteurs). Ne pas oublier celui qui est peu l’électron libre du scénario, un méconnaissable
Alec Guiness, qui est le Professeur Godbole, un Indien philosophe et lunaire. Guiness,
pourtant habitué des plateaux de Lean, que certains critiques ont confondu lors
de la sortie du film avec Peter Sellers (malheureusement bien mort à cette
époque-là), une méprise qui perdurera (le déguisement de Sellers en prince
hindou dans « La Party » y étant certainement pour beaucoup).
Lean montre beaucoup de choses. La cohabitation qui
ne pourra que devenir impossible entre une Angleterre victorienne transposée
sous les tropiques et une population locale traitée par-dessus la jambe, le
psychodrame intime qui concerne les quatre acteurs principaux, le mysticisme et
ses lieux étranges de l’Inde… Mais Lean survole tout cela, laissant dans son
histoire de nombreux points d’interrogation. Le seul qui se justifie étant de
savoir ce qui s’est passé dans la frotte
entre Adela et Aziz. Pour les autres (une fin qui n’en est pas vraiment une, ces
revirements d’attitude des personnages majeurs, le procès étrange tant dans son
déroulement que dans son verdict de la part d’une institution judiciaire à la
botte des Anglais …).
« La Route des Indes » sera le dernier
film de Lean. Au vu de ceux des décennies précédentes, on était en droit d’en attendre
un peu plus. Lean fait du Lean, c’est bien le moins. Mais en moins bien qu’avant
… Du même sur ce blog :
Je n'ai jamais vu ce film. Et ne me souviens pas l'avoir vu passer à la télé depuis... 15 ans ? Bref, le grand oublié de sa filmo, pourtant, avec toutes ces chaines de cinoche, ils pourraient éviter "Kwaï" ou "Lawrence" tous les 6 mois !
RépondreSupprimerDonc, pour moi, le dernier grand film de Lean, c'est "La fille de Ryan" en 1970. Qu'on a tendance à oublier un peu aussi...
PS : me souviens pas, t'avais chroniqué le Blade Runner de Scott, toi ?
Moi c'est "La fille de Ryan" que j'ai jamais vu ... et qui s'est fait salement déglinguer lorsqu'il est sorti. Mais j'ai noté que tu dis que c'est un grand film, j'essaierai de le voir à la téloche un jour ...
Supprimer"Blade runner", non, j'ai pas chroniqué. Vu il y a très longtemps, plus beaucoup de souvenirs que j'ai peur de mélanger avec ceux de Total recall ... pas trop mon truc, ces univers futuristes oppressants ...