Big Pharma, amour et Kenya ...
« The constant gardener » aurait pu être
un documentaire, un pamphlet, un film romantique, et dans tous les cas, il
n’aurait pas été réussi. C’est parce qu’il dose savamment ces trois genres
qu’il reste un grand film marquant.
Fernando Meirelles
Adapté plutôt fidèlement d’un roman de John Le Carré
(qui a publiquement reconnu qu’il s’agissait d’une des meilleures
transpositions de ses bouquins à l’écran), il raconte le combat d’un couple
(lui est diplomate, elle bosse dans une ONG) contre un puissant lobby
pharmaceutique qui teste de nouveaux produits au Kenya en pleine crise
sanitaire liée (entre autres) au SIDA.
Evacuons d’abord la thèse antivax-complotiste. Tous
les Bob Kennedy du monde pourront voir dans « The constant
gardener », sorti en salles deux décennies avant le Covid, les preuves de
tout l’obscurantisme qu’ils défendent. Sauf que le but du film n’est pas de
s’attaquer à la science, mais de montrer la cupidité mortelle des grandes
multinationales, à travers ici l’exemple d’un labo pharmaceutique. On est
beaucoup plus proche avec « The constant gardener » d’un film comme
« La firme » de Pollack que des vidéos sur YouTube de Prof Raoult …
Rachel Weisz & Ralph Fiennes
Derrière la caméra, le Brésilien Fernando Meirelles.
Révélé par un premier film au réalisme froid tourné dans les favelas de Rio
(« La cité de Dieu »), il refuse les appels du pied d’Hollywood, et
étudie la proposition d’un producteur indépendant (Simon Chinning-Williams)
d’adapter le bouquin de Le Carré. Meirelles, en réalisateur engagé (à l’époque,
il serait moins regardant depuis qu’il est en perte de vitesse artistique et
commerciale), est séduit par l’idée d’aller tourner en Afrique une histoire qui
se passe dans un pays où la vie est encore plus dure que dans les bidonvilles
brésiliens. Quelques repérages sont faits au Kenya (l’histoire s’y déroule
majoritairement), manière d’avoir des images « locales », et le film
sera tourné en Afrique du Sud, où les conditions matérielles seront meilleures
pour tous. Sauf que Meirelles et son producteur tombent sous le charme des
paysages et de la population kenyane et décident que le film y sera tourné pour
sa partie africaine. Les autres lieux seront Londres, Berlin (et Winnipeg, pour
des scènes coupées au montage, une première mouture durait trois heures, la
durée du film en salles sera raccourcie d’une heure).
Première scène. Un type accompagne sa femme à un
aéroport. Elle se dirige vers un petit avion de tourisme en compagnie d’un Noir
dont elle semble proche. Seconde scène, des militaires extraient dans un sac un
cadavre à côté d’un 4X4 renversé au bord d’un lac. Troisième scène. Au Haut
Commissariat britannique (équivalent de nos Consulats) de Nairobi, notre homme
cultive, bouture, arrose des plantes (d’où le titre du film). Un collègue lui
demande de l’accompagner à la morgue de Nairobi, pour identifier un cadavre qui
pourrait être celui de sa femme. Ce qui est le cas.
Un début de film auquel on ne comprend pas
grand-chose. En fait, ces scènes sont au milieu chronologique de l’histoire.
Une série de flashbacks vont nous montrer comment on est arrivé là. L’homme
(Ralph Fiennes) est un fonctionnaire de seconde zone. Alors qu’il remplace au
pied levé un supérieur devant la presse à Londres, il est pris à partie
verbalement à la fin de son intervention par une femme du public (Rachel
Weisz), au discours fermement altermondialiste. Ce qui a pour effet de vider la
salle de sa maigre assistance et de les laisser tous les deux face-à-face. Et
de fil en aiguille, bientôt dans le même lit. Lorsque Justin Quayle, le petit
fonctionnaire épris de botanique est nommé à Nairobi, sa maintenant femme Tessa
fait le forcing pour l’accompagner. On les retrouve quelques temps plus tard au
Kenya, lui boulotant au Haut Commissariat, elle parcourant enceinte jusqu’aux
yeux (sans avoir recours aux trucages, elle attend un gosse de son mari d’alors
Darren Aronofsky) la banlieue-ghetto-favela de Kibera (700 000 habitants)
en compagnie d’un toubib local, s’intéressant de près à l’aide médicale censée
être humanitaire qui y travaille. Toujours aussi grande gueule, elle apostrophe
au cours d’un pince-fesses le ministre de la Santé du Kenya ainsi que quelques
représentants d’une grosse firme pharmaceutique qui l’accompagnent, sous l’œil
effaré de son mari et de ses supérieurs hiérarchiques.
Théâtre dans le ghetto de Kibera
Dès lors, toutes les pièces du puzzle sont là. Le
mari effacé, sa femme militante, la diplomatie, les barbouzes du Foreign
Office, les assos humanitaires, les gros labos, … ça commence par les ragots
allusifs (dis-donc, ta femme elle se taperait pas le toubib local), les
pressions « amicales » sur les uns et les autres, les accointances
mystérieuses des uns et des autres, … Une fois Tessa morte, Justin va essayer
de comprendre, de remonter les pistes. Et à mesure qu’il dénoue l’écheveau et
que les vérités se font jour au Kenya, à Londres, à Berlin, les menaces se font
de plus en plus réelles. L’épilogue de l’histoire aura lieu au bord du lac où
Tessa est morte …
Ce genre de pitch, le pot de terre contre le pot de
fer, c’est un des thèmes les plus rebattus du cinéma. Le talent de Meirelles
(et de ses acteurs, Ralph Fiennes est comme toujours économe et juste, et
Rachel Weisz comme toujours sublime) c’est je l’ai dit quelque part plus haut
de faire trois films dans un.
« The constant gardener », c’est un film
romantique. Le coup de foudre entre le diplomate effacé et l’activiste, la dure
vie de couple quand chacun fait des efforts pour que ses occupations ne soient
pas préjudiciables à l’autre, un enfant conçu, et puis le drame. Dès lors il va
épouser la cause de sa femme, continuer son enquête et ses combats, juste par
amour pour elle, son image, ses souvenirs (de nombreux flashbacks sur les
moments, surtout les bons, passés ensemble). On se retrouve face à une version
humanitaire et engagée de Tristan et Iseut.
« The constant gardener », c’est un
documentaire. Au milieu du ghetto de Kibera, dans des missions humanitaires
perdues dans le désert, il n’y a pas de figurants. Ce sont les locaux qui
jouent. Et bizarrement, ces gens qui vivent dans le dénuement complet (pas
d’eau, d’électricité, des conditions sanitaires dantesques)
« participent » au film (on voit pas les gosses s’agglutiner devant
les caméras, ou tout le monde fixer l’objectif). Meirelles reconnaît qu’il a
été beaucoup plus facile de tourner au Kenya qu’au Brésil, où la misère est
beaucoup plus violente. On a droit à quelques scènes immersives dans la vie des
locaux, avec notamment une stupéfiante représentation théâtrale didactique par
une troupe locale pour informer sur le SIDA, où tous les personnages sont
triplés, tenues, gestes similaires, et dialogues en chœur.
« The constant gardener », c’est une charge violente contre Big Pharma sous forme de thriller. Le tout dans un gigantesque jeu de dupes (qui décide, qui ordonne, qui fait quoi, qui soutient qui, …), où se mêlent labos de recherche, entreprises pharmaceutiques, politiques locaux, associations humanitaires, personnel diplomatique, services secrets, ONG, activistes, avocats, avec partout des électrons libres, des traîtres, de vrais candides et de faux désabusés. Le tout sur fond d’essais grandeur nature d’un nouveau médicament sur une population soit mourante d’autre chose, soit trop asservie pour comprendre qu’elle sert de cobayes … Et la conjonction de tous ces intérêts fait qu’on n’en est pas à quelques cadavres près, qu’il s’agisse de locaux ou pas …
Meirelles réussit à imbriquer toutes ces histoires
entre elles. Et même à s’amuser avec le spectateur. Le double twist qui suit
l’accouchement de Tessa est magistral, et un hommage revendiqué est rendu à
Kubrick et « Orange mécanique » (le tabassage de Quayle à Berlin à
coups de pieds, où un couple hyper-ringard de chanteurs allemands remplace « Singing
in the rain » en fond sonore).
Seul reproche à faire au film, une grosse densité
d’informations et de personnages secondaires dans quasiment toutes les scènes,
qui rendent difficile la totale compréhension au premier visionnage. Peut-être
moins coup de poing dans la face et nihiliste que « La cité de
Dieu », mais tout aussi mordant sur le monde « merveilleux » de
la recherche médicale …


Je ne l'ai vu qu'une fois, et j'avais adoré ce mélange des genres dont tu parles, la complexité de l'histoire. C'est souvent le cas de ce genre de films, ce n'est jamais simple de raconter des choses compliquées ! J'ai le souvenir aussi d'un film violent, quelques coups de machettes bien placées.
RépondreSupprimerOui, la première fois, c'est assez difficile à suivre, plusieurs histoires qui s'imbriquent, plein de flashbacks, et une heure supprimée au montage ...
SupprimerPar contre, c'est pas un film violent, les meurtres sont pas montrés, on voit juste quelques cadavres en voie de décomposition. Pas de coups de machette, peut-être dans La cité de Dieu, que j'ai pas revu depuis longtemps, qui est un film avec beaucoup plus de tension violente ...