Bien que celui dont il s’agit ici, le dénommé King Tuff,
doit un peu s’en foutre d’un quelconque royaume … Il se contente, le sieur Kyle
Thomas de son vrai nom, d’être guitariste plus ou moins attitré des Muggers, un
des backing bands de la « superstar » Ty Segall et donc évidemment
pote avec cette nébuleuse de types de la scène garage de San Francisco. Le King
Tuff donnant l’impression d’être un gars assez instable et bizarre.
Décontracté au milieu du mur de Marshalls, le King ... |
Suffit de le voir poser sur sa pochette en chapeau pointu turlututu. Paraît qu’il
est fan du mage sataniste Aleister Crowley (comme Jimmy Page … ou l’Ozzy Osbourne). Paraît aussi que sous
ses airs frappadingues de roi de pacotille c’est plutôt un dépressif. Tout ça
nous amène à ce « The Other », aux textes pas forcément très joyeux et
remplis à la gueule pour ce que j’en ai compris de références ésotériques plus
ou moins fumeuses.
Ça aurait pu donner une galette genre Cure – Joy Division
au rabais, le truc à écouter quand après avoir raté ta vie, tu te prépares à
rater ton suicide. Ben non, pas du tout. On est très loin de la cold wave et
d’une black celebration. La musique du Roi Tuff est apaisée, plutôt enjouée,
voire carrément funky. Ses potes sont venus lui filer un coup de main (Ty
Segall à la batterie sur la plupart des titres, quand c’est pas lui c’est
Charles Moothart, Mikal Cronin fait une apparition au saxo, et Kevin Morby fait
les chœurs sur un titre, on reste dans la famille). King Tuff s’occupe de tout
le reste, il a écrit, enregistré at home, produit, chante et joue de tout un tas
d’instruments. Dont les maintenant incontournables synthés 80’s, dont il ne
garde heureusement que le côté sonore vintage, préférant en napper ses titres
plutôt que d’en tirer des mélodies putassières jouées à un doigt. En résumé, le
type a plutôt bon goût.
Et il écrit même des trucs qui, s’ils ne risquent pas de
faire de l’ombre à Kanye West et Justin Timberlake en haut des charts se
laissent écouter, et certains plutôt deux fois qu’une. A commencer par le
morceau-titre qui ouvre les hostilités par des bruits de clochettes, auxquels
se greffent des nappes de synthés et une mélodie évidente, le tout donnant
l’illusion parfaite de la ballade 60’s toute en émotion et feeling. Le genre de
titre dont pourraient tomber amoureux les fans de Nick Drake, s’il en reste
encore et qu’il leur vienne à l’idée d’écouter cette galette. Ce « The
Other » surclasse pour moi tout le reste du disque… sans que toutefois le
reste démérite. On pourra néanmoins zapper sans trop de regrets « Infinite
smile », le genre de titre un peu foutraque comme le scientologue Beck doit
en écrire dix par jour et foutre à la poubelle ensuite. Le single choisi, censé
booster la notoriété du machin, c’est « Psycho star » qui à mon avis
est plutôt quelconque, passons ….
Au milieu d'un cadre très aristocratique ... |
Mais il serait quand même dommage de passer à côté du
somptueux « Birds of paradise » (rien à voir avec les terrifiants
Mahavishnu Machin), grande chanson pop citant je crois bien des bribes du
« Pastime paradise » de Stevie Wonder. Et tant qu’on est parler de
l’aveugle dreadlocké de la fin des 70’s, il y a parfois tout du long de ce
« The Other » de ces intonations funky jazzeuses dont était friand le
Wonder. J’ai même cru déceler (ou sont-ce mes nouvelles enceintes qui sont pas
encore rodées) sur les couplets de « Circuits in the sand » des
bribes mélodiques très « I will survive ». Rayon bonne pioche, on
peut prendre « Raindrop blue » classic rock d’americana qui ne
dépaysera pas les aficionados de la sainte trinité centriste
Springsteen-Seger-Petty. Et alors que la planète semblait avoir oublié le
Knopfler du temps de Dire Straits, l’intro de « Ultraviolet » (rien à
voir avec l’égérie de Warhol ou le morceau de U2) fera ressortir des étagères
« Money for nothing » pour constater que la gratte du Tuff sonne
comme celle du Marko K… Précisons que tout ceci tient plus du subliminal que de
la citation scolaire ou de la copie éhontée.
King Tuff est un guitariste. Le moins qu’on puisse dire,
c’est qu’il la joue pas vraiment guitar hero, et perso ça me gêne pas. Il
s’appuie volontiers sur ses vieux claviers et ça donne une patine très rétro
chic à son disque, sans que ça tourne non plus à la citation énamourée de la
syntaxe musicale 60’s – 70’s. Il y a chez lui une sorte de classicisme, une
envie de faire un disque « à l’ancienne ». Et comme une évidence, « The
Other » se termine avec « No man’s land » par une
ballade-berceuse (genre « Goodnight ladies » de Lou Reed) qui va
crescendo en s’appuyant sur des nappes de synthé comme on en a entendu des
milliers …
De la belle ouvrage, plutôt bien faite, quelques excellents
titres, rien de révolutionnaire, donc le King peut garder sa couronne …
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