SIDNEY LUMET - 12 HOMMES EN COLERE (1957)

 

Autopsie d'un meurtre ...

Y’a des façons de commencer plus mal derrière une caméra. « 12 hommes en colère » est le premier film de Sidney Lumet. Qui aura sa décennie de gloire dans les roaring seventies, avec Pacino (« Serpico », « Un après-midi de chien »), ou pas (« Network »), et qui, la chose est suffisamment rare pour être soulignée, terminera sa carrière cinquante ans après ses débuts par un autre grand film (« 7h58 ce samedi là »). Lumet, c’est en gros le type qui filme l’envers du décor, les histoires tout sauf glamour, où des héros en papier viennent se fracasser sur les murs des réalités. Les personnages de Lumet, c’est souvent des anti-héros Marvel …

Fonda, Lumet & Cobb

« 12 hommes en colère » est un chef-d’œuvre, un classique … avec plein de défauts, cependant emportés par le souffle épique et la tension du film. Bon, évacuons ce qui peut piquer aux yeux. Des raccords plus qu’approximatifs, ainsi des cendriers pleins avant d’être à moitié, des auréoles de transpiration grandes comme des ballons de foot qui ont disparu la scène suivante, …, c’est assez couillon quand on filme un huis-clos dans la continuité. Et puis, le revirement assez inattendu et plutôt irrationnel des derniers partisans de la culpabilité …

Bon, il aurait peut-être fallu que je sois moins bordélique et commencer par l’histoire. « 12 hommes … », c’est un film de tribunal, et pour être encore plus précis, un film sur la délibération d’un jury. Amené à se prononcer sur la culpabilité ou pas d’un minot basané accusé d’avoir poignardé son père. Il a tout contre lui, l’ado, des menaces publiques envers son vieux, un stiletto qu’il exhibait devant ses potes et qu’on retrouvera dans la poitrine du macchabée, des témoins visuels du meurtre et de sa fuite, pas d’alibi, un casier déjà épais comme un bottin, et j’en passe…

Tout ça, on l’apprend très vite après un plan d’exposition sur un Palais de Justice à New York (on situe), et un laïus du juge qui explique aux jurés comment ça se passe une délibération. Soit unanimité pour la culpabilité (et dans ce cas-ci, c’est chaise électrique), soit unanimité pour la non-culpabilité (on relâche le prévenu). Si les avis sont partagés, délibération du jury nulle et on rejugera avec un nouveau jury … Les jurés se lèvent (tous des hommes, en ce temps-là, aux USA comme ailleurs, les femmes faisaient le ménage et la bouffe et n’avaient pas à s’occuper de « choses sérieuses », pas un Black ni un « coloured » non plus, on est en 1957 dans une Amérique qui n’a pas encore « digéré » l’affaire Rosa Parks), et le regard perdu de l’ado les accompagne quand ils rejoignent la salle de délibérations (c’est la seule fois où on le verra, d’ailleurs il est même pas crédité au générique).

Premier vote du jury ...

Dès lors (et hormis la courte scène finale à la sortie du Palais de Justice, où les deux premiers à avoir mis en doute la culpabilité s’échangent leurs noms), tout le film va se passer dans cette salle de délibérations, quasiment en temps réel. Atmosphère suffocante, en plus de la tension qui très vite s’installera entre les douze, c’est aussi la journée la plus chaude de l’année, et c’est pas le gros orage qui surviendra qui rafraîchira l’ambiance …). Le temps que les débats commencent, les discussions entre jurés montrent clairement la tendance, le gosse est coupable sans aucun doute possible, et les personnalités en présence se dessinent. Pourtant, lors du premier vote, un juré se prononce pour la non-culpabilité. C’est un architecte, qui n’a aucune certitude, mais se pose des questions. Ce juré est interprété par le grand Henry Fonda, habitué des personnages « positifs » (même si son rôle le plus connu sera une décennie plus tard l’inoubliable salopard de « Il était une fois dans l’Ouest »). Son voisin de chaise, un retraité et le plus âgé du groupe, le rejoindra au vote suivant et tous deux devront affronter le mépris, l’incompréhension, voire la haine des plus virulents du groupe.

Le génie du film, en plus d’une analyse psychologique et sociologique des gens présents, sera aussi de refaire l’enquête (le coup du même stiletto acheté par Fonda, la reconstitution du trajet du témoin boiteux dans son appartement), de pointer du doigt les questions légitimes pesant sur les deux témoins oculaires du meurtre, et petit à petit, d’instiller le doute chez les autres jurés. Dès lors les tenants de la non-culpabilité deviennent plus nombreux au fil des votes, certains par leur vécu ou leur expérience, amenant de nouveaux éléments à décharge …

Reconstitution tendue entre Fonda & Cobb

L’issue est prévisible, l’intérêt étant de montrer quel va être l’argument qui fera basculer les votes successifs. Ça se complique scénaristiquement quand ils ne sont plus qu’une poignée (la versatilité du publiciste et du gars qui veut pas rater le match de baseball, ouais, un peu limite quand même). Le coup des lunettes avec l’assureur qui ne transpire jamais est discutable (si la femme témoin est presbyte et pas myope, l’argument de la « défense » ne tient pas), le speech du raciste se tient, sa « capitulation » morale beaucoup moins (quand on est raciste, c’est pour la vie, on devient pas un bisounours sous le simple poids du regard des autres), et l’effondrement du plus véhément partisan de la culpabilité (énorme prestation de Lee J. Cobb) qui transfère sur le basané accusé la haine que lui-même voue à son fils avec lequel il est plus qu’en froid, c’est quand même de la psychanalyse à deux balles …

Ce qui est aussi fabuleux, comme c’est souvent répété, c’est que si de nombreux éléments peuvent permettre de disculper l’accusé et d’installer un « doute raisonnable », rien n’indique cependant que le minot ne puisse pas être coupable … C’est aussi à ma connaissance le premier film « de tribunal » à se concentrer uniquement sur la délibération du juré.

Deux remarques pour finir. Il y a parmi les jurés un horloger qui intervient plusieurs fois sur la thématique de l’Amérique pays de la liberté et de la démocratie. Faut regarder le film en V.O. pour comprendre. Le type parle avec un accent étranger, c’est le plus tatillon pour défendre les valeurs du pays qui l’a accueilli. Dans la version française, il n’a pas d’accent, du coup ses sorties sont pas aussi clairement explicables … Ensuite le publicitaire, assez distant et imbu de sa personne. Il ne m’étonnerait pas que son look (costard-cravate, clope au bec, cheveux gominés et raie impeccable sur le côté) ait servi d’inspiration aux créateurs de la série « Mad Men » (pour les Hommes de Madison Avenue, lieu des agences publicitaires new-yorkaises au début des 60’s) pour leur personnage principal de Don Draper …

« 12 hommes en colère » est aujourd’hui reconnu et célébré comme un immense classique du cinéma. Un peu à l’image de toute l’œuvre de Lumet, la reconnaissance ne sera pas immédiate et malgré les merveilles qu’il a sorties, la « profession » ne le couvrira jamais de louanges, ne le récompensera pas beaucoup (juste un Oscar d’honneur tardif pour l’ensemble de sa carrière) …


Du même sur ce blog : 


3 commentaires:

  1. C'est le type de film que je regarde à chaque fois qu'il passe à la télé, en me disant que je ne me souviens pas de la fin. Comme "Quai des Orfèvres" ! C'est un film passionnant, par l'intrigue certes, mais aussi juste en regardant tous ces acteurs jouer. Henry Fonda (tiens, je vais chroniquer un Hitchcock où il joue dedans) bien sûr, mais y'a une brochette de sacrés comédiens, j'adore Martin Balsam (qui a pas mal tourné avec Lumet), Lee J Cobb, EG Marshall, Jack Warden... que du premier choix. Je ne sais plus en quelle classe mon gamin avait eu ce film au programme d'anglais, je me souviens que les gosses avaient halluciné qu'on leur montre un film en noir et blanc qui ne bouge pas de la pièce, c'est limite qu'ils n'ont pas porté plainte contre le prof !

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    1. Oui, c'est vrai qu'il fait partie de ces films (surtout les polars) que tu regardes plusieurs fois alors qu'après la première tu connais la fin de l'intrigue ...
      J'ai jamais eu de prof qui nous passe un film ... le seul truc culturel dont je me souviens, c'est une prof d'anglais toute jeunette en mini-mini-jupe qui nous apprenait all you need is love des Beatles. on était en 6ème vers 70-71 au fin fond de la province profonde, je pense pas qu'il y en ait un dans la classe, moi compris évidemment, qui connaissait le nom des beatles, alors you need is love ... Si je me suis un peu rattrapé par la suite, c'est pas grâce à mes profs ...

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  2. Si tu te souviens de la mini jupe de la prof d'anglais, c'est le principal.

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