C’est l’étiquette indélébile qui la suivra jusqu’à
la nuit des temps. Et qui la gonfle passablement. Elle, c’est Susan Ballion
pour l’état civil. Une figure du Londres punk. Quasiment une star au sens
warholien du terme. Egérie du Bromley Contingent, la section hardcore du
fan-club des groupes punks, et des Pistols en particulier. Dont les photos se
sont retrouvées sur les tabloïds. Elle passe pas inaperçue, celle qui se fait maintenant
appeler Siouxsie. Coiffure de jais spike au rasoir, yeux au charbon, et tenue
vestimentaire traditionnelle composée de soutien-gorges en cuir noir sous
imperméable transparent. Au bras de l’imper, un brassard à croix gammée. Les
paparazzi s’en donnent à cœur joie.
Siouxsie 1978 |
Alors quand avec des potes de squatt Siouxsie entend
se lancer dans la musique, par un grand coup de balancier réactionnaire (les
punks sont ingérables, et les leaders du mouvement, les
« scandaleux » Sex Pistols, en pleine débandade seulement un an après
leur apparition), ça se bouscule pas du tout pour les signer. Malgré tout, sur
la foi d’un seul single à gros succès (« Hong Kong garden »), Polydor
complète sa devanture musicale « branchée » en s’offrant Siouxsie et
son groupe, les Banshees.
Le premier 33T des Banshees sort fin 1978. Quasiment
après la bataille pouvait-on penser. S’il s’était agi d’un disque de punk-rock
basique, personne ne s’en serait préoccupé. Or Siouxsie et ses trois garçons
(formation basique, guitare-basse-batterie), vont déposer dans les bacs une
étrangeté sonore telle qu’elle n’a pas pris une ride depuis sa parution. Rares
sont les disques qui peuvent se vanter d’être parmi les fondateurs d’une mode,
d’une tendance, d’un courant. « The scream » réussit l’exploit d’être
à la fois une des premières parutions de post-punk, new wave, cold wave, rock
gothique. Aussi fort, aussi important que les disques contemporains de PIL,
Magazine ou Wire, une longueur d’avance et un modèle dans lequel ont très
largement puisé Joy Division, Cure, Bauhaus, et toute la clique des corbacs
gothiques. Et plein de gens qu’on pourrait croire à des lieues de tout ça ne
cessent de revendiquer l’héritage de ce disque ou de Siouxsie (de Jane’s
Addiction à Radiohead, ça ratisse large …).
Alors, il y a quoi dans ce
« Scream » ? Deux choses qui dominent. La voix de la Siouxsie
qui hurle et monte dans les aigus pour tester les tympans. Un type, John McKay,
qui joue de la guitare façon scalpel, tout en riffs incisifs et saignants, dédaignant
tout le foutu bazar pentatonique bluesy. Les deux stridences se mélangent, se
répondent, s’invectivent, et tous ces gimmicks juste entrevus chez Wire ou
Magazine sont la base même de la musique des Banshees. Ajoutez un tout jeune
producteur, Steve Lillywhite, qui deviendra un des pousseurs de manettes roi
des années 80 grâce à ses batteries mixées très en avant. Ici, si ça ne sonne
pas encore comme U2 ou Simple Minds, le son de batterie des Banshees, tout en
brisures et en contre-temps, porte sans nul doute la patte du producteur.
Siouxsie & The Banshees avec Robert Smith |
« Pure » ouvre les hostilités. Et on est
bien en terrain hostile. C’est un court instrumental menaçant comme la B.O.
d’un giallo de Dario Argento, avec quelques cris terrifiants au fond du mix
(Siouxsie). Mais on égorge quoi là ? Le punk, tout simplement. Parce que
la suite confirme. La guitare crissante sur une note, la rythmique tournoyante,
la voix qui hurle dans les aigus, c’est « Jigsaw feeling », c’est une
coulée de lave glaciale qui sort des sillons du disque. Troisième titre et
troisième plongée dans l’inconnu, « Overground », avec son riff au
cutter débuté à la limite de la perception avant de gronder en avant, une
incantation de la Siouxsie, et quand la batterie arrive, on a du Cure (qui n’a
pas encore sorti de disque). Ensuite, on prend ses repères, c’est quasiment du
terrain connu. « Carcass », sur un riff dérivé de celui de
« Rebel rebel » de Bowie (la dame est très fan du chanteur aux yeux
vairons), et ne serait cette voix syncopée, ce serait du classic rock de
l’époque. On relâche la garde à l’intitulé de « Helter Skelter »,
ouais, ces jeunots, ils s’amusent à faire du boucan désorganisé, mais ils
reviennent vite aux Beatles, aux valeurs sûres. Grave erreur, fallait rester
vigilant. Le titre de Paulo Macca est totalement déchiqueté, déstructuré à
rendre jaloux l’insupportable Zorn et son fan-club, et si Manson avait pu
entendre cette reprise, c’est pas Sharon Tate et une poignée d’autres, c’est
tout Los Angeles qui se serait retrouvée les tripes à l’air… Fin de la première
face du vinyle …
La seconde n’a rien de primesautier. Moins
surprenante, parce que là, maintenant, on est prêt à tout. Mais pas pour autant
mainstream. « Mirage » anticipe la pop noire et hantée des 80’s (pas
un hasard si les Depeche Mode en mode « célébration noire » des
débuts ne tarissaient pas d’éloges sur les Banshees), tous les corbeaux
gothiques se délecteront des stridences de « Metal postcards ».
Sûrement concession aux potes du Bromley Contingent, « Nicotine
stain » est le titre plus ou moins punk de l’album, mais du punk qui n’en
est déjà plus (post-punk ?, post-rock ?). En tout cas, il paraît
léger à côté du final, le très lent et très inquiétant « Suburban
relapse », avant la conclusion (« Switch »), longue montée
névrotique entamée par des arpèges de guitare et voix plaintive de la Siouxsie,
un titre qui contient en germe la trilogie « glaciale » des Cure.
Accueil critique dithyrambique, accueil poli du
public. Ce disque est très novateur, et à mon sens, les Banshees n’iront plus
jamais aussi loin dans ce qu’il est bien convenu d’appeler quand même de
l’expérimental. D’ailleurs de la formation présente sur « The
Scream » ne resteront vite que Siouxsie et le bassiste Steve Severin.
Budgie, le batteur des Slits, et futur Monsieur Siouxsie les rejoindra, Robert
Smith viendra faire quelques piges à la guitare, avant l’arrivée de John
McGeoch (ex Magazine) pour ce qui constituera alors la formation « à
succès » de Siouxsie & The Banshees …
Te casse pas va, Zorn a 60 berges et il se porte très bien, merci pour lui.
RépondreSupprimerFaut vraiment que je creuse la miss Siouxsie Sioux. Je connais Juju (normal, c'est celui qui est considéré comme leur meilleur) qui c'est formidable. Un peu la classe la fille, et sa troupe de Banshee aussi.
je m'en fais pas pour Zorn ... vraiment pas ... mais alors pas du tout du tout ...
SupprimerJ'ai vu qu'il y avait un commentaire et quand j'ai lu "l’insupportable Zorn et son fan-club", j'ai su qu'il était de DeL :)
RépondreSupprimerNotre "prêtresse gothique" à nous revient ce soir pour une dizaine de Bercy et une tournée française qui ne passera pas par la cité phocéenne. Peur de repartir les pieds devant ? :)
Je te sens 'ach'ment déçu de pas avoir de la varièt gothique de supérette à Kalachnikov City ...
SupprimerT'as oublié "et botoxée" dans ta phase... Sinon, non, pas du tout du tout du tout...
SupprimerIl tend la perche aussi faut dire. C'est parce qu'il sait que je suis en train de me mettre au jazz, il est tout vexé maintenant (réponse de Lester : mais alors pas du tout du tout ... )
SupprimerJ'ai même un best of de la mémère, oui Monsieur en vinil. C'est pas que c'est mauvais, mais c'est juste pas bon, comme un mal de mer...Désolé..
RépondreSupprimerMais de rien ... on a tous nos Radiohead ...
SupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerPochette sub-aquatique en adéquation avec le contenu, deux bandes noires sur les côtés (ça c'est pour le côté cinématique, je suppose), en tout cas tu as écrit un bon papier qui m'a maintenu en haleine jusqu'au bout. Quant à la tracklisting, "Switch" avec le sax à la Roxy Music ("Switch" massacré depuis en live sur youtube par Faith No More) anticipe peut-être le Radiohead avec les morceaux en 3 parties. Il m'a fallu au moins dix écoutes pour apprécier ce disque qui désoriente l'auditeur à la première écoute mais on trouve vite ses marques. ça reste accessible fort heureusement. Si ça avait été arty, j'aurais lâché.
SupprimerC'est sûr que les Banshees c'est pas arty ... c'est électrique et radical et c'est vrai pas très facile d'accès ...
SupprimerMerci de ton passage ...